Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la...

17
DOCTRINE 3 2015/1 – DROIT PÉNAL DE L ENTREPRISE (1) Avocat général. Auditorat général de Mons. (2) Voy. tout particulièrement l’étude lumineuse de Fr. KONING, « La loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe una via dans la répression des infractions fiscales, ou la transposition manquée du principe non bis in idem », CUP, vol. 148, pp. 131 et s. (3) Voy. entre autres M.-A. BEERNAERT, H. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, tome I, 7 e  éd., Bruxelles, La Charte, 2014, pp. 223 et s. ; C. VISART, M. FRANQUINET, G. LIGOT et C. LESCART, « L’application du principe non bis in idem dans le droit pénal social », Chron. D.S., 2011, p. 266 ; Colloque du 21 octobre 2011, Réunion des Conseils d’État du Benelux et de la Cour administrative du Luxembourg, « Les sanctions administratives en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas – Analyse comparée » consultable sur le site du Conseil d’État en Belgique, voy. notamment pp. 12 et s. ; A. DE NAUW, « Cumulatie van straffen en administrative sancties met een strafrechtelijk karakter na de arresten zolotouckhin et Ruotsalainen », Bruges, Die Keure, 2011, Strafrecht meer…dan ooit ; Fr. ROGGEN, « La règle du cumul des sanctions administratives et pénales en matière fiscale, à travers la jurisprudence : impact et perspectives », Actualité en droit pénal, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 1 ; P. VAN DEN BON, « Het non bis in idem beginseil in de werkloosheid », Nullum Crimen, 2014, pp. 177 et s. ; J. ROZIE, « Ceci n’est DROIT PÉNAL DE L’ENTREPRISE Le principe « Non bis in idem » : de la révolution à l’intégration : cinq ans après l’arrêt Sergueï Zolotoukhine ? Philippe de Koster (1) I. Introduction 1. Le principe « non bis in idem » prévu à l’ar- ticle 4 du Protocole n° 7 de la Convention euro- péenne des droits de l’homme a induit, à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des changements substantiels quant à la sanction de comportements infractionnels tant à travers le droit pénal commun qu’à travers le droit administratif pénal. 2. Le présent article examinera in fine, en s’appuyant sur la jurisprudence de la cour d’appel de Mons ET de la cour du travail de Mons, les conséquences de l’application de ce principe en droit pénal social. Cependant, on ne peut faire l’économie de l’étude de l’application évolutive du principe non bis in idem au travers de la jurispru- dence et de la doctrine. Cette dernière n’a pas manqué de révéler les « bienfaits » de l’avancée du principe mais il convient aussi de s’interroger sur la nécessité de tirer toutes les conséquences éventuellement législatives qu’induisent, trop sou- vent indirectement, les enseignements des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (2) . 3. Le principe non bis in idem consacre le fait qu’une personne qui a été définitivement condam- née ou acquittée ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie une nouvelle fois. Il constitue en droit belge un principe général de droit dont l’exis- tence est affirmée tant par la Cour constitution- nelle que par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et qui est fondée sur le respect nécessaire des décisions judiciaires ainsi que sur un principe garanti internationalement dans l’ordre juridique belge inscrit dans l’article 4.1 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme que la Belgique a ratifié le 13 avril 2012 ; par l’ar- ticle 54 de la Convention d’application de l’accord Schengen du 14 juin 1985 ; par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union euro- péenne et par l’article 14, § 7, du Pacte internatio- nal relatif aux droits civils et politiques (3) .

Transcript of Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la...

Page 1: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

32015/1 – droit pénal de l’entreprise

(1) Avocat général. Auditorat général de Mons.(2) Voy. tout particulièrement l’étude lumineuse de Fr. Koning, « La loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe una via dans

la répression des infractions fiscales, ou la transposition manquée du principe non bis in idem », CUP, vol. 148, pp. 131 et s.(3) Voy. entre autres M.- A. Beernaert, H. Bosly et D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, tome I, 7e éd., Bruxelles, La

Charte, 2014, pp. 223 et s. ; C. Visart, M. Franquinet, G. Ligot et C. Lescart, « L’application du principe non bis in idem dans le droit pénal social », Chron. D.S., 2011, p. 266 ; Colloque du 21 octobre 2011, Réunion des Conseils d’État du Benelux et de la Cour administrative du Luxembourg, « Les sanctions administratives en Belgique, au Luxembourg et aux Pays- Bas – Analyse comparée » consultable sur le site du Conseil d’État en Belgique, voy. notamment pp. 12 et s. ; A. De Nauw, « Cumulatie van straffen en administrative sancties met een strafrechtelijk karakter na de arresten zolotouckhin et Ruotsalainen », Bruges, Die Keure, 2011, Strafrecht meer…dan ooit ; Fr. Roggen, « La règle du cumul des sanctions administratives et pénales en matière fiscale, à travers la jurisprudence : impact et perspectives », Actualité en droit pénal, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 1 ; P. Van den Bon, « Het non bis in idem beginseil in de werkloosheid », Nullum Crimen, 2014, pp. 177 et s. ; J. Rozie, « Ceci n’est

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIse

Le principe « Non bis in idem » : de la révolution à l’intégration : cinq ans après l’arrêt Sergueï Zolotoukhine ?Philippe de Koster(1)

I. Introduction

1. Le principe « non bis in idem » prévu à l’ar-ticle 4 du Protocole n° 7 de la Convention euro-péenne des droits de l’homme a induit, à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des changements substantiels quant à la sanction de comportements infractionnels tant à travers le droit pénal commun qu’à travers le droit administratif pénal.

2. Le présent article examinera in fine, en s’appuyant sur la jurisprudence de la cour d’appel de Mons ET de la cour du travail de Mons, les conséquences de l’application de ce principe en droit pénal social. Cependant, on ne peut faire l’économie de l’étude de l’application évolutive du principe non bis in idem au travers de la jurispru-dence et de la doctrine. Cette dernière n’a pas manqué de révéler les « bienfaits » de l’avancée du principe mais il convient aussi de s’interroger sur la nécessité de tirer toutes les conséquences

éventuellement législatives qu’induisent, trop sou-vent indirectement, les enseignements des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme(2).

3. Le principe non bis in idem consacre le fait qu’une personne qui a été définitivement condam-née ou acquittée ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie une nouvelle fois. Il constitue en droit belge un principe général de droit dont l’exis-tence est affirmée tant par la Cour constitution-nelle que par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et qui est fondée sur le respect nécessaire des décisions judiciaires ainsi que sur un principe garanti internationalement dans l’ordre juridique belge inscrit dans l’article 4.1 du Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme que la Belgique a ratifié le 13 avril 2012 ; par l’ar-ticle 54 de la Convention d’application de l’accord Schengen du 14  juin 1985 ; par l’article  50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union euro-péenne et par l’article 14, § 7, du Pacte internatio-nal relatif aux droits civils et politiques(3).

235260NYQ_RPE2015-1.indb 3 05/03/2015 09:32:50

Page 2: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

4 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

pas une peine… Over de vraag hoe lang het dybride Belgische sanctiebegrip nog overeind kan blijven ? », in De Wet Voorbij, Liber Amicorum Luc Hubrechts, Intersentia, pp. 319 et s. ; voy. aussi l’ouvrage collectif sous la direction de M. Puéchavy, « Le principe ne bis in idem », Anthemis, 2012 ; voy. J.- M. Demarche, « L’incidence du Code pénal social », CUP., vol. 148, spéciale-ment pp. 256-267 à propos du non bis in idem.

(4) Cour eur. D.H., 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, J.T., 2009, p. 150 et Dr. pén. entr., 2009, p. 327.(5) Cour eur. D.H., 16 juin 2009, Ruotsalainen c. Finlande, Chron. D.S., 2010, p. 544.(6) Cour eur. D.H., 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c. Italie, req. nos 18640/10, 18647/10, 18663/10,18668/10 et 18698/10,

§ 219.(7) Idem, § 220.(8) Idem, § 221.(9) Idem, § 222.

II. La jurisprudence récente de la Cour européenne de Strasbourg

4. Par son arrêt du 10  février 2009, la Cour de Strasbourg a harmonisé sa jurisprudence en matière d’application du principe non bis in idem. Selon elle, la notion d’infraction recouvre « des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »(4). Elle a repris cette définition dans un arrêt ultérieur concernant des sanctions fis-cales de nature pénale(5).

5. La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté une jurisprudence fondée sur la qualifica-tion juridique des faits (interdisant de sanction-ner deux fois des faits, mais uniquement lorsqu’ils sont qualifiés juridiquement de la même manière). Désormais, il sera procédé à un examen de la substance des faits et si, à l’issue de cet examen, il est conclu que les faits sont substantiellement identiques, il y a interdiction de les sanctionner deux fois.

6. Dans son arrêt du 4 mars 2014, la Cour rap-pelle que « l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde “infraction” pour autant que celle- ci a pour origine des faits qui sont en substance les mêmes »(6).

7. Elle ajoute que « la garantie consacrée à l’article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d’acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée. À ce stade, les éléments du dossier com-prendront forcément la décision par laquelle la première “procédure pénale” s’est terminée et la liste des accusations portées contre le requérant dans la nouvelle procédure. Normalement, ces pièces renfermeront un exposé des faits concer-nant l’infraction pour laquelle le requérant a déjà été jugé et un autre se rapportant à la seconde infraction dont il est accusé. Ces exposés consti-

tuent un utile point de départ pour l’examen par la Cour de la question de savoir si les faits des deux procédures sont identiques ou sont en subs-tance les mêmes. Peu importe quelles parties de ces nouvelles accusations sont finalement rete-nues ou écartées dans la procédure ultérieure, puisque l’article 4 du Protocole no 7 énonce une garantie contre de nouvelles poursuites ou le risque de nouvelles poursuites, et non l’interdic-tion d’une seconde condamnation ou d’un second acquittement »(7).

8. La Cour de Strasbourg a précisé la métho-dologie en la matière : l’examen doit porter « sur les faits décrits dans ces exposés, qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissocia-blement liées entre elles dans le temps et l’es-pace, l’existence de ces circonstances devant être démontrée pour qu’une condamnation puisse être prononcée ou que des poursuites pénales puissent être engagées »(8).

9. Les principes rappelés et précisés pour autant que de besoin trouvent à s’appliquer en toute matière. On relèvera que les faits de la cause relevaient du droit pénal financier car le requérant était accusé, pour l’essentiel, de ne pas avoir mentionné dans les communiqués de presse du 24  août 2005, le projet visant à une renégo-ciation du contrat d’equity swap avec Merrill Lynch International Ltd alors que ce projet existait déjà et se trouvait à un stade avancé de réalisation. Il a été condamné pour cela par la CONSOB et par la cour d’appel de Turin(9).

10. Devant les juridictions pénales, l’intéressé était accusé d’avoir déclaré, dans les mêmes com-muniqués, qu’Exor n’avait ni entamé, ni étudié d’initiatives concernant l’échéance du contrat de financement, alors que l’accord modifiant l’equity swap avait déjà été examiné et conclu, information qui aurait été cachée afin d’éviter une probable chute du prix des actions FIAT.

235260NYQ_RPE2015-1.indb 4 05/03/2015 09:32:50

Page 3: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

52015/1 – droit pénal de l’entreprise

(10) Idem, § 227.(11) Idem, § 229.(12) Req. n° 4455/10.

11. À l’issue de l’examen factuel de la cause, la Cour de Strasbourg a considéré qu’« il s’agit claire-ment d’une seule et même conduite de la part des mêmes personnes à la même date. Par ailleurs, la cour d’appel de Turin elle- même, dans ses arrêts du 23 janvier 2008, a admis que les articles 187ter et 185, §  1er, du décret législatif no  58 de 1998 avaient pour objet la même conduite, à savoir la diffusion de fausses informations. Il s’ensuit que les nouvelles poursuites concernaient une seconde “infraction” ayant pour origine des faits identiques à ceux qui avaient fait l’objet de la première condamnation définitive »(10).

12. La Cour de Strasbourg répondra aussi à l’ar-gument du gouvernement italien qui prétendait que « le droit de l’Union européenne aurait ouvertement autorisé le recours à une double sanction (adminis-trative et pénale) dans le cadre de la lutte contre les conduites abusives sur les marchés financiers », en relevant que dans son arrêt du 23 décembre 2009, rendu dans l’affaire Spector Photo Group, précité, la C.J.U.E. a indiqué que l’article 14 de la directive 2003/6 n’impose pas aux États membres de pré-voir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés, mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que des sanc-tions administratives soient appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dis-positions arrêtées en application de cette directive. Elle a également alerté les États sur le fait que de telles sanctions administratives étaient susceptibles, aux fins de l’application de la Convention, de se voir qualifiées de sanctions pénales. De plus, dans son arrêt Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson, précité, relatif au domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, la C.J.U.E. a précisé qu’en vertu du principe ne bis in idem, un État ne peut imposer une double sanc-tion (fiscale et pénale) pour les mêmes faits qu’à la condition que la première sanction ne revête pas un caractère pénal »(11).

13. Que dire de plus ? –  Rien, si ce n’est de constater qu’il est fait interdiction claire et défi-nitive de prévoir pour des faits substantiellement identiques des sanctions administratives et pénales pour autant que les sanctions administratives comminées puissent être considérées comme des sanctions de nature pénale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

14. Même s’il concerne un cas très particulier, il convient de mentionner brièvement un autre arrêt récent de la Cour de Strasbourg du 27 mai 2014 dans l’affaire M. c. Croatie(12). Cet arrêt précise que l’application du principe « non bis in idem » connaît aussi des limites.

15. Le requérant, membre de l’armée croate, fut inculpé de meurtre et d’autres infractions graves commises en 1991 pendant la guerre en Croatie. Certaines des accusations furent par la suite abandonnées. En 1997, le tribunal chargé de l’affaire, présidé par le juge M.K., mit fin à la procé-dure quant au reste des charges en vertu de la loi d’amnistie générale, qui prévoyait l’amnistie pour toutes les infractions pénales commises en rela-tion avec la guerre en Croatie entre 1990 et 1996, excepté pour les actes constituant des violations très graves du droit humanitaire ou des crimes de guerre. En 2007, la Cour suprême, statuant sur un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le pro-cureur général, conclut que la décision de mettre fin à la procédure était contraire à la loi d’amnistie générale. La haute juridiction estima notamment que le requérant avait commis les infractions allé-guées en qualité de réserviste, après la fin de son temps de service. En conséquence, elle conclut à l’absence de lien significatif, tel que requis par la loi, entre les infractions alléguées et la guerre.

Entre- temps, le requérant fut accusé de crimes de guerre dans le cadre d’une seconde procédure pénale. Le tribunal de première instance condam-na le requérant à une peine de 14  ans d’empri-sonnement pour crimes de guerre. En appel, la Cour suprême confirma le verdict estimant, pour ce qui concernait l’argument relatif aux secondes poursuites, qu’« il n’y avait pas autorité de la chose jugée : en effet, le contexte factuel des infractions était d’une portée beaucoup plus large dans la deuxième procédure que dans la première, étant donné que le requérant était accusé d’avoir violé des dispositions du droit international, en particu-lier la Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ».

16. Quant à la violation de l’article  4 du Protocole n° 7, la Cour de Strasbourg a considéré que « Le requérant se plaint d’une violation de son droit à ne pas être jugé deux fois. La Cour

235260NYQ_RPE2015-1.indb 5 05/03/2015 09:32:50

Page 4: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

6 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(13) Cour eur. D.H., arrêt du 31 mai 2011, aff. Kurkov et Ivanov c. Bulgarie, req. no 16137/04.(14) Engel et autres c. Pays- Bas, 8 juin 1976, § 82, série A, no 22.(15) Jussila c. Finlande, req. no  73053/01, §§  30-31, CEDH  2006- XIV ; Ezeh et Connors c. Royaume- Uni, req. nos  39665/98 et

40086/98, §§ 82-86, CEDH 2003- X, et arrêt précité, § 36.(16) Cour eur. D.H., arrêt du 31 mai 2011, aff. Kurkov et Ivanov c. Bulgarie, req. no 16137/04, § 44.

constate que le requérant a bien été poursuivi pour les mêmes infractions dans le cadre des deux procédures. Cependant, on se trouve en présence de deux situations distinctes concernant les accu-sations portées contre le requérant dans le cadre de la première procédure  : le procureur a retiré les charges concernant les meurtres allégués de deux personnes tandis qu’un tribunal de comté a décidé, en application de la loi d’amnistie géné-rale, de mettre fin à la procédure concernant les meurtres allégués de deux personnes et les bles-sures graves infligées à une autre personne.

a) Charges abandonnées –  Quant aux accu-sations qui ont été retirées par le procureur au cours de la première procédure, la Cour rappelle que l’abandon de poursuites pénales par un pro-cureur n’équivaut ni à une condamnation ni à un acquittement et qu’en conséquence l’article 4 du Protocole n°  7 ne trouve pas application dans cette situation.

b) Fin de la procédure en application de la loi d’amnistie générale –  Quant à la fin de la pre-mière procédure en application de la loi d’amnistie générale, la Cour relève que le requérant s’est vu accorder, à tort, une amnistie pour des actes qui s’analysent en des violations graves des droits fon-damentaux de l’homme protégés par les articles 2 et  3 de la Convention. Or les États ont l’obliga-tion de poursuivre des actes tels que la torture et les assassinats. De plus, le droit international tend de plus en plus à considérer comme inac-ceptable l’octroi d’amnisties pour des violations graves des droits de l’homme. À l’appui de cette observation, la Cour se fonde sur plusieurs organi-sations, juridictions et conventions internationales, notamment le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie et la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En outre, à supposer que les amnisties soient possibles lorsqu’elles s’accom-pagnent de circonstances particulières telles qu’un processus de réconciliation et/ou une forme de réparation pour les victimes, l’amnistie octroyée au requérant en l’espèce n’en resterait pas moins inacceptable puisque rien n’indique la présence de telles circonstances en l’espèce. En dressant

un nouvel acte d’accusation contre le requérant et en le condamnant pour crimes de guerre, les autorités croates ont donc agi dans le respect des obligations découlant des articles 2 et 3 de la Convention, de sorte que l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce ».

17. En l’espèce, si la Cour semble avoir écarté l’application de l’identité substantielle des faits, c’est pour mieux mettre en avant la protection absolue des droits cardinaux protégés par les articles 2 et 3 de la Convention.

18. Il est intéressant aussi de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, l’appli-cation du principe « non bis in idem » requiert de rechercher si les procédures en cause ont les caractéristiques d’une procédure « pénale » aux termes de l’article 4, § 1er, du Protocole no 7. Dans un arrêt du 3 août 2011(13), la Cour a rappelé les principes fondamentaux de sa jurisprudence selon lesquels « l’existence ou non d’une “accusation en matière pénale” doit s’apprécier sur la base de trois critères, que l’on désigne couramment sous le nom de “critères Engel”. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé(14). Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessai-rement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusa-tion en matière pénale »(15).

19. Adoptant une approche cumulative, la Cour relevant, dans le cas d’espèce, que, à l’époque des faits, le montant maximal de l’amende encourue en vertu de la loi sur la sécurité incendie ne dépassait pas l’équivalent de 3,07 dollars américains et que le défaut de paiement d’une telle amende ne pou-vait pas entraîner la transformation de la sanction imposée en privation de liberté, (…) estime que la sévérité de la sanction encourue n’était pas de nature à conférer à la procédure suivie en l’espèce le caractère pénal exigé pour rendre applicable la règle non bis in idem(16).

235260NYQ_RPE2015-1.indb 6 05/03/2015 09:32:50

Page 5: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

72015/1 – droit pénal de l’entreprise

(17) Arrêt n° 91/2010. Cfr attendu B.4.5 ; voy. Fr. Koning, « Reconnaissance de la jurisprudence de la C.E.D.H. relative au prin-cipe non bis in idem et du caractère pénal des sanctions administratives sociales », J.T., 2014, p. 208, note sous C. const., 19 décembre 2013, J.T., 2014, p. 207 ; voy. aussi Fr. Koning, « Le principe non bis in idem et la loi du 20 septembre 2012 instau-rant le principe una via dans la répression des infractions fiscales », J.L.M.B., 2013, p. 581.

(18) C. const., 19 décembre 2013, op. cit. et la note de Fr. Koning.(19) J.T.T., 2012, p. 321.(20) C. const., 3 avril 2014, arrêt n° 61/2014, Dr. pén. entr., 2014/2, pp. 169 et s.(21) Dr. pén. entr., 2014/2, pp. 171 et s.(22) Voy. Fr. Koning, « La loi du 20 septembre 2012… », op. cit. ; voy. aussi C. const., 27 mars 2014, arrêt n° 55/2014 dans lequel

la Cour considère que les accroissements d’impôts sont des sanctions à caractère pénal ; voy., pour un commentaire,

20. À travers cette analyse des arrêts récents de la Cour européenne, le cadre d’interprétation de l’application de l’article 4 du Protocole n° 7 est précis, même si la Cour conserve une marge d’ap-préciation afin de pouvoir rencontrer les multiples situations qui pourront lui être déférées à l’avenir.

III. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Belgique

21. La Cour constitutionnelle a, rapidement, pris la mesure de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 février 2009 – sans attendre d’ailleurs la ratification par la Belgique du Protocole n° 7 à la Convention européenne.

22. Ainsi, par un arrêt du 29  juillet 2010, elle a dit pour droit que « le principe non bis in idem interdit de poursuivre ou de juger une personne pour une “seconde infraction” pour autant que celle- ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes. Pour que ce principe s’applique à une taxe, il est requis que cette taxe constitue, outre un impôt, une mesure de nature pénale »(17).

23. Par un arrêt du 19 décembre 2013, la Cour constitutionnelle consacrera à nouveau le sta-tut du principe non bis in idem comme principe général de droit et ajoutera que « la circonstance qu’une prévention de droit pénal social requiert que le prévenu ait commis l’infraction sciemment et volontairement, alors que les sanctions admi-nistratives sociales ne requièrent pas cet élément moral spécifique est sans incidence sur la viola-tion du principe non bis in idem dès lors que les sanctions administratives revêtent un caractère pénal »(18).

24. Dans son arrêt du 1er mars 2012, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que la cotisation de solidarité pour la non- déclaration d’emploi en temps opportun par application de l’article 22qua-ter de la loi du 27  juin 1969 n’a pas une fonction

répressive. Le principe non bis in idem ne trouve pas matière à s’y appliquer(19).

25. Enfin, dans son arrêt du 3  avril 2014(20), la Cour constitutionnelle semble avoir définitivement anobli le principe non bis in idem comme l’indi-quaient, dans leur note publiée dans cette revue, Arnaud Lecocq et Emanuele Ceci(21). Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a annulé les articles 3, 4 et  14 de la loi du 20  septembre 2012 instaurant, en matière fiscale, le principe una via au motif que ces dispositions méconnaissent le principe ne bis in idem en ce que le prononcé à titre définitif d’une sanction administrative à caractère pénal d’un contribuable n’a pas pour effet d’empêcher que celui- ci fasse l’objet de poursuites pénales subsé-quentes ou qu’il soit renvoyé devant une juridiction de jugement lorsque les faits qui lui sont reprochés sont en substance identiques à ceux pour lesquels il a été condamné administrativement. Un contri-buable ne peut être condamné deux fois pour les mêmes faits de fraude fiscale  : il n’est donc pas possible que le fisc commence par réclamer l’impôt éludé, avec application éventuelle d’un accroisse-ment d’impôt ou d’une amende administrative, et que le ministère public propose ensuite un arran-gement amiable concernant les mêmes faits.

La Cour estime que la sanction administrative du fisc revêt déjà un caractère pénal. Des poursuites pénales supplémentaires engagées pour les mêmes faits par le ministère public sont donc illégales.

26. À propos de la problématique de l’appli-cation du principe non bis in idem en matière fis-cale, dans le cadre de la loi Una Via, il y a lieu de consulter l’excellent article de Fr. Koning. L’auteur procède à une analyse approfondie et pertinente des situations diverses impliquant l’application du principe non bis in idem et ajoute une réflexion très intéressante quant à l’application du non bis in idem à l’égard des sanctions administratives prises par les administrations fiscales et sociales à l’égard d’un chômeur indélicat, hypothèse que nous exa-minerons plus tard(22).

235260NYQ_RPE2015-1.indb 7 05/03/2015 09:32:50

Page 6: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

8 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

O. Robijns, « Amendes fiscales à caractère pénal et sursis : suite mais pas fin ! », Bruxelles, Larcier, La semaine fiscale, n° 144, 25 mai 2014, pp. 3-4.

(23) Consultable sur le site du Conseil d’État de Belgique.(24) Voy. la loi du 7 juillet 2013, M.B., 3 septembre 2013, p. 60.536 et la loi du 18 juillet 2013 modifiant la loi du 12 mai 2004 orga-

nisant une procédure de recours dans le cadre de la protection contre le faux monnayage, M.B., 3 septembre 2013, p. 60.539 organisant le recours devant la cour d’appel de Bruxelles à l’encontre des amendes administratives.

(25) Voy. Chambre, DOC 53 2771/003, avis du Conseil d’État du 14 janvier 2013, p. 8.(26) Voy. Chambre, DOC 53 2771/003, p. 4.(27) M.B., 3 septembre 2013, p. 60.536.(28) Voy. avis BCE CON/2011/64, consultable sur le site de la Banque centrale européenne.(29) Voy. O. Coenegrachts, « Bis repetita (non) placent », obs. sous Bruxelles, 22 juin 2011, J.L.M.B., 2012, p. 114 ; D. Roulive,

« L’incidence du principe non bis in idem sur l’application des sanctions administratives dans la réglementation du chômage au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation », Dr. pén. entr., 2011, p. 283 ; J.- F. Neven et H. Mormont, « Cumul des sanctions administratives et pénales en matière de chômage : la Cour de cassation ignore- t-elle la jurisprudence de Strasbourg sur l’identité d’infraction ? », obs. sous Cass., 25 mai 2011, J.T., 2011, n° 6449, p. 651 et contra voy. la note d’observation de G.- F. Raneri, « Non bis in idem – La Cour de cassation rejette- t-elle la jurisprudence Zolotoukine ? », J.T., 2012, p. 52 dans laquelle l’auteur développe des arguments techniques de défense de la Cour de cassation auxquels je souscris.

27. La jurisprudence de la Cour constitution-nelle nous semble intégrer totalement la jurispru-dence de la Cour européenne en matière d’appli-cation du principe non bis in idem.

IV. La réception du principe non bis in idem par le Conseil d’État

28. Le Conseil d’État a complètement intégré le principe non bis in idem comme en atteste l’analyse comparée réalisée en octobre 2011 à l’occasion de la réunion des Conseils d’État Benelux(23).

29. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la protection de l’euro contre le faux monnayage et au maintien de la qualité de la circulation fidu-ciaire(24), le Conseil d’État n’avait d’ailleurs pas manqué également de souligner la probabilité de l’application du principe non bis in idem eu égard à la nature pénale des amendes administratives prévues, l’éventualité d’un cumul de poursuites administratives et de poursuites pénales ne pou-vant être exclue dans la mesure où l’article  6 in fine du projet de loi faisait référence à une remise de billets contrefaits sans préjudice du secret de l’instruction(25). Le législateur a entendu suivre l’observation du Conseil d’État et a modifié en substance le projet de loi(26).

30. L’article 7 de la loi du 17 juillet 2013(27) rela-tive à la protection contre le faux monnayage et au maintien de la qualité de la circulation fiduciaire dispose que « lorsqu’un établissement ne respecte pas la réglementation de l’Union européenne visée à l’article 2 ou les règles visées aux articles 4 ou 5, la Banque nationale de Belgique, en ce qui concerne les billets, ou la monnaie royale de

Belgique, en ce qui concerne les pièces, peuvent proposer au ministre des Finances d’infliger une amende administrative ». Si les faits communi-qués sont susceptibles d’également constituer une infraction pénale, le ministre des Finances en informe le procureur du Roi. Le procureur du Roi dispose d’un délai de trente jours pour décider d’engager des poursuites pénales ou non sur base des faits communiqués. Il informe le ministre des Finances de cette décision sans délai. Si le procu-reur du Roi renonce à poursuivre ou ne notifie pas sa décision dans le délai fixé, le ministre des Finances peut infliger à l’établissement concerné une amende administrative, après l’avoir entendu ou à tout le moins l’avoir dûment convoqué.

31. L’article 8 de la loi dispose que le montant de l’amende ne peut être inférieur à 250 EUR ni excéder 50.000 EUR. Cette amende administra-tive nous paraît de nature pénale comme cela ressort implicitement mais clairement de l’avis de la Banque centrale européenne émis le 18  août 2011(28).

V. La réception du principe à travers la jurisprudence de la Cour de cassation

32. La doctrine a fait grand cas de ce que la Cour de cassation n’avait pas fait sienne la juris-prudence européenne quant à l’application du principe non bis in idem dans le domaine spécifique du cumul de poursuites pénales et administratives à l’encontre de chômeurs indélicats(29).

33. Dans un arrêt du 25 mai 2011, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, laquelle avait déclaré irrecevables les

235260NYQ_RPE2015-1.indb 8 05/03/2015 09:32:50

Page 7: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

92015/1 – droit pénal de l’entreprise

(30) Voy. pour un commentaire de cet arrêt : Ch.- E. Clesse, « Droit pénal social », R.P.D.B., Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 368.(31) Cass., 21 décembre 2011, R.G. n° P.11.1349.F, inédit.(32) Arrêts inédits, C.A. Mons, n° 266/11, B.F., n° 267/11, K.M., n° 268/11, C.M., n° 269/11, T.J., n° 270/11, S.N., n° 271/11, L.B.,

n° 272/11, V.I., n° 273/11, M.D., n° 274/11, S.S., n° P 435/12, M.M. ; voy. un arrêt récent, C.A. Mons, n° 323/14, F.P. ; voy. égale-ment C. trav. Mons (5e ch.), 18 décembre 2014, R.G. n° 2011/AM/186, S.T. R. c. ONEm. ; C. trav. Mons (4e ch.), 10 septembre 2014, R.G. n° 2011/AM/210, B.J. c. ONEm.

poursuites pénales engagées à l’encontre d’un chômeur qui avait omis de biffer les cases sur la carte de pointage lorsqu’il effectuait une activité rémunérée. La cour d’appel de Bruxelles avait constaté que le chômeur avait fait l’objet de sanc-tions administratives de la part de l’ONEm pour des faits s’identifiant à ceux fondant les poursuites pénales ultérieures.

34. La Cour de cassation a censuré la cour d’ap-pel de Bruxelles au motif que les faits des deux procédures ne présentaient pas un degré d’iden-tité qui justifierait l’application du principe non bis in idem. L’absence d’identité des faits résultait de l’existence d’une intention frauduleuse requise pour la poursuite des infractions pénales et l’ab-sence d’une telle intention pour l’imposition des sanctions administratives prévues par l’article 154 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

35. La Cour de cassation a renvoyé la cause devant la cour d’appel de Mons, laquelle statua, par un arrêt du 14 novembre 2012, aux termes duquel elle déclara les poursuites irrecevables, sur réquisitions conformes du ministère public, en application du principe non bis in idem consa-cré par l’article 4 du Protocole additionnel n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme qui avait enfin été ratifié par le gouver-nement belge et était entré en vigueur le 1er juil-let 2012(30).

36. Cependant, tant le ministère public que la cour d’appel de Mons s’étaient trouvés confortés dans leur raisonnement suite à un autre arrêt de la Cour de cassation, pris en date du 21 décembre 2011. Par cet arrêt, la Cour de cassation cassait un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles et ren-voyait, devant la cour d’appel de Mons, le dossier de M. Ma. poursuivi initialement pour avoir falsifié diverses lettres émanant d’employeurs qu’il n’avait pas contactés et avoir fait usage de ces lettres afin de faire croire qu’il recherchait activement un emploi et ainsi bénéficier d’allocations de chô-mage (articles 196, 197 et 213 du Code pénal). Il était également poursuivi pour avoir falsifié des réponses d’employeurs afin de maintenir son droit aux allocations de chômage (articles  155 et  175, 1°, de l’A.R. du 25 novembre 1991).

37. La cassation est intervenue sur la première branche d’un moyen pris de la violation de l’ar-ticle 14/7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du principe général non bis in idem. La Cour de cassation déclare le moyen en cette branche fondé  : « Les juges d’appel ont admis l’identité des faits d’usage de documents inexacts aux fins de se faire octroyer de mau-vaise foi des allocations indues, qui avaient donné lieu à une sanction administrative définitive de nature répressive à l’égard du demandeur, et ceux d’usage d’un faux en écritures (seconde partie de la prévention A) et d’un faux document afin de maintenir le droit aux allocations de chômage (prévention B). En considérant, sur ce fondement, que le principe général de droit non bis in idem n’impliquait pas l’irrecevabilité des poursuites, l’ar-rêt ne justifie pas légalement sa décision »(31). La cassation est prononcée non pas parce que l’arrêt attaqué a fait une application erronée du principe non bis in idem mais bien parce que l’arrêt atta-qué n’en a pas tiré la seule conclusion légalement possible  : à savoir, l’irrecevabilité des poursuites pénales.

38. Prononçant son arrêt le 12 septembre 2012, la cour d’appel de Mons déclara la prévention A irrecevable par application du principe non bis in idem. Aucun pourvoi en cassation ne fut intro-duit contre l’arrêt de la cour d’appel de Mons. Il convient de souligner que la cour d’appel de Mons avait déjà, le 11 mai 2011, rendu plusieurs arrêts en la matière constatant l’irrecevabilité des poursuites pénales au nom du principe non bis in idem malgré le fait que le Protocole n° 7 n’était pas encore rati-fié mais en s’appuyant sur le caractère de principe général du droit attribué au principe non bis in idem, l’article 14, § 7, du Pacte sur les droits civils et politiques et l’arrêt Zolotoukhine(32). Depuis lors, les tribunaux d’instance et du travail ainsi que les cours d’appel et les cours du travail veillent à une application du principe non bis in idem à la lumière tant de la jurisprudence de la Cour européenne que de la Cour constitutionnelle.

39. Après son arrêt du 25  mai 2011, la Cour semble avoir maintenu sa jurisprudence. S’appuyant sur l’arrêt n° 67/2007 de la Cour constitutionnelle

235260NYQ_RPE2015-1.indb 9 05/03/2015 09:32:50

Page 8: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

10 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(33) Cass., 27 mars 2013, R.G. n° P.12.1945.F, Pas., 2013, n° 213.(34) Cass., 25 mars 2014, R.G. n° P.12.1884.N, Pas., 2014, n° 236 ; voy. également Cass., 27 novembre 2007, R.G. n° P.05.0583.N,

Pas., 2007, n° 583.(35) Voy. Cass., 17 juin 2014, R.G. n° P.13.1747.N, Pas., 2014, publié à la date ; voy. aussi Cass., 29 janvier 2013, R.G. n° P.12.0402.N,

Pas., 2013, n° 67, avec les concl. du MP, publiées à leur date.(36) Cass., 6 février 2014, R.G. n° D.120018.N, Pas., 2014, n° 100 ; voy. sur la finalité différente de la sanction pénale et la sanction

disciplinaire, G. Ravarani, « Les sanctions administratives au Luxembourg », in Analyse comparée sur les sanctions administra-tives en Belgique, au Luxembourg et aux Pays- Bas, publiée à l’occasion de la Réunion des Conseils d’État du Benelux et de la Cour administrative du Luxembourg, Bruxelles, 21 octobre 2011, p. 44.

(37) Cass., 25 février 2014, R.G. n° P.13.1409.N, Pas., 2014, n° 150 ; voy. aussi Cass., 24 novembre 2009, R.G. n° P.09.0965.N, Pas., 2009, n° 692.

(38) Cass., 24 juin 2014, R.G. n° P.13.1747.N, T. Strafr., 2014, p. 313 et la note critique de H. van Bavel, « Idem betekent niet altijd hetzelfde ».

du 26 avril 2007, la Cour a encore dit pour droit que « le principe général du droit non bis in idem, inscrit à l’article 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s’oppose à ce qu’une personne fasse l’objet de poursuites pénales après avoir payé une amende administrative à caractère répressif, lorsque le texte prévoyant l’amende administrative et celui relatif à l’infraction pénale répriment, en des termes équivalents, le même comportement et que les éléments essentiels des deux infractions sont identiques ». En l’espèce, la Cour n’accueillera pas le moyen pris de la viola-tion du principe non bis in idem au motif que les demandeurs en cassation n’avaient pas soutenu que l’amende fiscale administrative avait été infli-gée par application d’une ou de plusieurs disposi-tions légales ou réglementaires réprimant les faits constitutifs des préventions de droit pénal qui leur étaient reprochées(33). S’il revient au juge du fond d’apprécier la réunion des éléments permettant l’application du principe non bis in idem, la Cour de cassation vérifie si le juge du fond ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qui ne peuvent être admises sur ces bases(34).

40. Il serait, cependant, erroné de penser que la Cour de cassation n’entendrait pas appliquer le principe non bis in idem tel qu’il est défini par la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, la Cour considère que « l’article 4.1 du Protocole additionnel n°  7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamen-tales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, implique qu’une seconde poursuite est interdite du chef de faits identiques ou substantiellement les mêmes, après qu’une pre-mière poursuite a déjà donné lieu à une décision irrévocable de condamnation ou d’acquittement ; il est entendu par faits identiques ou substantiel-lement les mêmes un ensemble de circonstances

de fait concrètes concernant un même suspect, lesquelles sont indissociablement liées entre elles dans le temps et dans l’espace »(35).

41. En matière disciplinaire, la Cour de cassation semble vouloir ne pas considérer favorablement l’application du principe non bis in idem. Dans un arrêt du 6 février 2014(36), la Cour a dit pour droit que « le principe général du droit non bis in idem et l’article 14, alinéa 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne sont pas perti-nents lorsque, du chef d’un même fait, une per-sonne fait l’objet, d’une part, d’une procédure dis-ciplinaire et, d’autre part, de poursuites pénales ».

42. Dans un arrêt du 25  février 2014, la Cour a dit pour droit que « ni les articles 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 4.1 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni le principe général du droit non bis in idem ayant la même portée, ne font obstacle à une poursuite pénale et à une condamnation après une procédure disciplinaire ayant fait l’objet d’une décision définitive, lorsque cette procédure disciplinaire ne présente pas les caractéristiques d’une poursuite pénale ; la cir-constance qu’il y a lieu de considérer, en l’occur-rence, la peine disciplinaire infligée comme une peine au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’y change rien »(37).

43. Dans un arrêt du 24  juin 2014, la Cour a rappelé sa jurisprudence dans un cas où la per-sonne prévenue était poursuivie disciplinairement pour avoir administré des substances hormonales et poursuivie pénalement pour avoir été en pos-session des mêmes substances hormonales(38).

44. En matière disciplinaire pénitentiaire, la Cour a dit pour droit que « le principe général du droit non bis in idem, consacré par l’article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et

235260NYQ_RPE2015-1.indb 10 05/03/2015 09:32:51

Page 9: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

112015/1 – droit pénal de l’entreprise

(39) Cass., 11 janvier 2012, R.G. n° P.11.1867.F, Pas., 2012, n° 26 ; voy. aussi Cass., 24 novembre 2009, R.G. n° P.09.0965.N, Pas., 2009, n° 692, ainsi que M.- A. Beernaert, « Le cumul des sanctions disciplinaires et pénales à l’aune du principe non bis in idem », obs. sous Corr. Verviers, 7 décembre 2009, J.L.M.B., 2010, p. 481.

(40) Voy. http://www.ilo.org/dyn/triblex/triblexmain.showList?p_lang=fr&p_keyword_id=186.(41) Cour eur. D.H., 10 février 1983, aff. Albert et Le Compte c. Belgique, req. no 7299/75 ; n° 7496/76, § 30.(42) Cour eur. D.H., 13 septembre 2007, aff. Moullet c. France, req. n° 27521/04.(43) Aff. C- 617/10.

politiques, tend à éviter que deux sanctions de même nature puissent être infligées à une même personne pour s’être rendue coupable d’un même comportement ; lorsque la sanction disciplinaire infligée à un détenu ne porte que sur les moda-lités d’exécution d’une peine imposée par le juge, sans prolonger la durée de l’incarcération à subir par le condamné, une telle mesure ne saurait, en règle, être qualifiée de pénale »(39).

45. Gardons- nous de critiques trop hâtives par rapport à cet arrêt. En effet, même si l’action disci-plinaire se fonde sur les mêmes faits, elle poursuit un objectif différent en matière telle qu’il est diffi-cilement imaginable que l’action disciplinaire puisse aboutir à l’irrecevabilité d’une action pénale ou que l’action pénale puisse empêcher de prendre une mesure disciplinaire de suspension ou de radiation. Au- delà de ces réflexions théoriques, il importe d’analyser tant les faits de la cause que les moyens invoqués par le demandeur en cassation.

46. En matière disciplinaire au sein d’une orga-nisation internationale, le tribunal administratif de l’O.I.T. a considéré dans son jugement n°  3126 du 4 juillet 2012 que « le principe non bis in idem n’empêche pas qu’il y ait des conséquences à la fois disciplinaires et non disciplinaires à un même acte ou incident. En revanche, il interdit d’imposer des mesures disciplinaires supplémentaires pour des actes ou des omissions qui ont déjà donné lieu à une sanction disciplinaire »(40).

47. En ce qui concerne les procédures en matière de discipline professionnelle, la question demeure ouverte de savoir si une telle procé-dure doit être considérée comme une accusa-tion en matière pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, la Cour a jugé qu’une procédure discipli-naire relève principalement de la sphère civile(41). La Cour n’a pas reconnu un caractère « pénal » au sens de l’article  6 de la Convention européenne des droits de l’homme à une procédure discipli-naire ayant entraîné la mise à la retraite d’office d’un fonctionnaire dans la mesure où les autorités ont su maintenir leur décision dans un domaine purement administratif. Tel est le cas lorsque la

procédure disciplinaire administrative, autonome tant dans ses conditions de mise en œuvre que dans son régime procédural n’est pas le corollaire direct de la dernière procédure pénale(42).

VI. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes

48. L’arrêt Åkerberg Fransson(43) prononcé le 26 février 2013 par la Cour de justice de l’Union européenne nous paraît intéressant à relever.

49. Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Haparanda tingsrätt (Suède), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 26 février der-nier, le principe ne bis in idem et a précisé le champ d’application de la Charte des droits fondamen-taux de l’Union européenne. Le litige au princi-pal opposait Monsieur Fransson à l’administration fiscale suédoise, qui l’accusait d’avoir, notamment, fourni des informations inexactes l’ayant exposé à la perte de recettes afférentes à différents impôts. Après le prononcé de sanctions par l’administra-tion fiscale, le requérant au principal a été assigné à comparaître devant une juridiction pénale pour répondre des chefs de fraude fiscale aggravée et de non- déclaration des cotisations patronales. Le juge de renvoi a alors interrogé la Cour sur le point de savoir si le principe ne bis in idem, énoncé à l’ar-ticle 50 de la Charte, s’oppose à ce que des pour-suites pénales pour fraude fiscale soient diligentées contre un prévenu, dès lors que ce dernier a déjà fait l’objet d’une sanction fiscale pour les mêmes faits. La Cour rejette, tout d’abord, l’argument des États membres et de la Commission européenne selon lequel le recours ne serait pas recevable au motif que les sanctions en cause au principal ne procèdent pas de la mise en œuvre du droit de l’Union et ne pourraient donc pas faire l’objet d’un contrôle au regard de la Charte. Selon la Cour, les sanctions et poursuites en cause sont en partie liées à des manquements aux obligations déclara-tives en matière de TVA. Elle en déduit que ces sanctions mettent en œuvre plusieurs dispositions du Traité et de la directive 2006/112/CE relative

235260NYQ_RPE2015-1.indb 11 05/03/2015 09:32:51

Page 10: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

12 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(44) M. Morsa, « L’application du principe non bis ibidem en droit européen et la question du cumul successif des sanctions admi-nistrative et pénale pour des mêmes faits », J.T.T., 2013, pp. 249-253.

(45) Voy. G. Gaulard, « Le principe non bis in idem en droit de la concurrence de l’Union européenne », C.D.E., 2013, pp. 703 et s. ; voy. aussi D. Bosco et C. Prieto, « Droit européen de la concurrence : ententes et abus de position dominante », Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 1430.

(46) Voy. E. Pacea, Le principe non bis in idem : vers la sortie de l’ impasse dans le cadre de l’Union européenne, éd. Universitaires européennes, 2013.

(47) Voy. J. A. Vervaele, « Ne bis in idem: Towards a transnational constitutional Principle in the EU », Utrecht Law Review, 2013, pp. 211 et s. ; voy. aussi J. Lelieur, « Transnationalising Ne bis in idem: how the rule of Ne bis in idem reveals the principle of personal legal certainty », Utrecht Law Review, 2013, pp. 198-210.

(48) Voy. aussi la loi du 25 avril 2014 portant dispositions diverses en matière de justice (M.B., 14 mai 2014, p. 39.045). Le titre 8 de cette loi « Transposition de la décision- cadre 2008/675/JAI du Conseil du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des condamnations prononcées par les juridictions pénales d’autres États membres de l’Union européenne » introduit un nouvel article 99bis dans le Code pénal. L’article 99bis est libellé comme suit : « Les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un autre État membre de l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condam-nations prononcées par les juridictions pénales belges, et elles produiront les mêmes effets juridiques que ces condamnations. La règle mentionnée à l’alinéa 1er n’est pas applicable à l’hypothèse visée à l’article 65, alinéa 2 ». La décision- cadre 2008/675/JAI du 24 juillet 2008 relative à la prise en compte des décisions de condamnation entre les États membres de l’Union euro-péenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale vise à assurer que les condamnations prononcées dans un État membre produisent des effets semblables à ceux d’une condamnation nationale antérieure lorsque de nouvelles procédures pénales sont engagées dans un autre État membre pour des faits différents. Cet instrument ne concerne donc pas l’application du principe « ne bis in idem » (prise en compte négative) mais son objet principal est l’application des règles relatives à la récidive (prise en compte positive). En conséquence, l’application de l’absorption (art. 65, al. 2, du Code pénal – l’infraction collective ou continuée) se limite aux peines prononcées antérieurement en Belgique ; voy. de manière plus générale sur le droit pénal européen, D. Flore, Droit pénal européen : les enjeux d’une justice pénale européenne, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2014.

au système commun de taxe sur la valeur ajou-tée. Par conséquent, elle estime que le recours est recevable. S’agissant du principe de l’interdic-tion de la double peine, la Cour considère qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, successivement, pour les mêmes faits de non- respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la TVA, une sanction fiscale et une sanction pénale. Ce n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, au sens de la Charte, et est devenue définitive que le principe ne bis in idem s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne.

50. Marc Morsa a procédé à une analyse appro-fondie de cet arrêt. Il conclut, d’une part, à une adéquation des jurisprudences luxembourgeoise et strasbourgeoise quant à l’application du prin-cipe non bis in idem et, d’autre part, à une exten-sion possible du raisonnement de la Cour de jus-tice de l’Union européenne à la matière de droit pénal social(44).

51. Néanmoins, on retiendra que la situation européenne ne paraît pas aussi limpide que l’on serait en droit de l’attendre. Ainsi, en matière de droit de la concurrence, les amendes adminis-tratives prononcées par la Commission ne sont pas considérées comme relevant de la matière pénale au sens de l’article  6 de la Convention européenne des droits de l’homme en sorte

que le principe non bis in idem ne leur est pas applicable. Une analyse approfondie dépasserait largement les limites du présent article et nous nous permettons de renvoyer à la récente étude de Géraldine Gaulard à cet égard(45). Elena Pacea considère que le système juridique européen est tellement complexe qu’il ne peut pas assurer, en même temps, la complétude et la cohérence, et de ce fait, l’application du principe non bis in idem se caractérise par l’imprévisibilité et la contradic-tion(46). La combinaison de l’autonomie d’inter-prétation que revendiquent tant la C.J.U.E. que la Cour européenne des droits de l’homme est de nature à rendre difficilement prévisible la juste application des concepts qui habillent le principe non bis in idem, justifiant notamment l’appel du Professeur Vervaele à ce que le principe non bis in idem soit considéré comme un véritable principe constitutionnel transnational(47)(48).

52. Mentionnons encore un arrêt intéressant prononcé le 27 mai 2014 par la Cour de justice de l’Union eurpéenne. Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit : un Serbe, poursuivi en Allemagne pour une escroquerie commise à Milan et condamné en Italie pour cette même infraction à une peine privative de liberté d’un an assortie d’une amende de 800 EUR, alors qu’il était déjà emprisonné en Autriche pour d’autres délits, a payé l’amende, mais n’a pas exécuté sa peine pri-vative de liberté.

235260NYQ_RPE2015-1.indb 12 05/03/2015 09:32:51

Page 11: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

132015/1 – droit pénal de l’entreprise

(49) C.J.U.E., 27 mai 2014, aff. C- 129/14PPU, Zoran Spasic ; voy. aussi la prise de position de M. l’avocat général Nilo Jääskinen, présentée le 2 mai 2014.

(50) C.J.C.E., 18 juillet 2007, aff. C- 367/05, Norma Kraaijenbrink, Rec., 2007, p. I- 6640 ; Cour eur. D.H., 10 février 2009, Zolotoukhine c. Russie, § 38.

53. Saisie d’une question préjudicielle par la juridiction allemande, la C.J.U.E. déclare que la condition supplémentaire d’exécution de la sanc-tion constitue une limitation du principe non bis in idem qui est compatible avec la Charte des droits fondamentaux. La Cour considère également que la condition d’exécution ne remet pas en cause le principe en tant que tel, puisqu’elle vise unique-ment à éviter l’impunité dont pourraient béné-ficier des personnes condamnées dans un État membre par un jugement pénal définitif.

54. Par ailleurs, la Cour déclare que, lorsqu’une peine privative de liberté et une amende sont pro-noncées à titre principal, l’exécution de la seule amende ne suffit pas pour considérer que la sanction a été subie ou est en cours d’exécution au sens de la convention d’application de l’accord de Schengen(49).

55. Dans le domaine de l’application du principe non bis in idem dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, il convient de constater que la Cour européenne des droits de l’homme se réfère à une jurisprudence intéressante de la C.J.U.E. rela-tive à l’interprétation du critère pertinent de l’iden-tité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt protégé. Dans un arrêt du 18 juillet 2007, statuant sur une question préju-dicielle posée par la Cour de cassation, la C.J.C.E. a dit pour droit que « des faits différents consis-tant, notamment, d’une part à détenir dans un État contractant des sommes d’argent provenant d’un trafic de stupéfiants et, d’autre part, à écouler dans des bureaux de change situés dans un autre État contractant des sommes d’argent provenant égale-ment d’un tel trafic ne doivent pas être considérés comme des “mêmes faits” au sens de l’article  54 de la CAAS en raison du seul fait que l’instance nationale compétente constate que lesdits faits sont reliés par la même intention criminelle »(50).

VII. De quelques situations intéressantes en France

56. La perception des enseignements tirés des arrêts de la Cour européenne reste éminemment

variable comme cela ressort des considérations qui suivent à l’examen de procédures récentes.

57. Le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité n° 2012-289 portant sur le principe non bis in idem dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Dans sa décision du 7 novembre 2012, le Conseil d’État (France) a posé la question de la constitutionnalité de l’article  L 145-2 du Code de la sécurité sociale qui prévoit un système assez complexe de cumul de poursuites disciplinaires contre les médecins. Ces derniers sont soumis à deux types de règles  : d’une part, adhé-rents à un Ordre professionnel, ils doivent respecter des normes déontologiques dont la violation peut conduire à une sanction prononcée par la Chambre disciplinaire de l’Ordre et, d’autre part, prescripteurs de dépenses publiques, ils sont soumis à d’autres règles, dans l’intérêt, cette fois, de la sécurité sociale. Les sanctions sont alors prononcées par les sections des assurances sociales, considérées comme des juridictions de contrôle technique prononçant éga-lement des sanctions disciplinaires.

58. Dans sa décision du 17  janvier 2013, le Conseil constitutionnel constate que « deux procédures disciplinaires sont susceptibles d’être concurremment engagées pour sanctionner un même fait. Ces poursuites engagées dans le cadre du contentieux du contrôle technique et dans celui du contentieux disciplinaire général relèvent de juridictions différentes –  la section des assu-rances sociales de la chambre disciplinaire de première instance ou la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des méde-cins, d’une part, et les chambres disciplinaires du conseil national de l’ordre des médecins, d’autre part. Elles répondent en outre à des objectifs dif-férents – répression des “fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l’exercice de la profession”, d’une part, et “maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine, (…) des devoirs professionnels, ainsi que des règles édic-tées par le code de déontologie”, d’autre part ».

59. Tout en rappelant l’existence du principe non bis in idem, l’interdiction d’une double sanction pour les mêmes faits par la même autorité sanc-tionnatrice, en l’espèce, s’agissant de sanctions dis-

235260NYQ_RPE2015-1.indb 13 05/03/2015 09:32:51

Page 12: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

14 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(51) La décision peut être consultée à l’adresse suivante : http://www.conseil- constitutionnel.fr/conseil- constitutionnel/francais/les- decisions/acces- par- date/decisions- depuis- 1959/2013/2012-289- qpc/decision- n- 2012-289- qpc- du- 17- janvier- 2013.135653.html. Le recours au principe de proportionnalité des peines pour éviter l’application du principe non bis in idem soulève la question de sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, un tel recours constitue la connaissance explicite de l’existence de deux poursuites pour des faits identiques. Or la Cour de Strasbourg déduit d’une telle connaissance et de la double sanction qui en découlerait une violation manifeste de l’article 4 du Protocole n° 7 (voy. Cour eur. D.H., 18 octobre 2011, aff. Tomasovic c. Croatie, req. n° 53785/09, § 29). Une autre pratique belge consiste à une application par analogie de l’article 65 du Code pénal qui nous paraît dangereuse sur le plan des principes (voy. C. trav. Liège, 26 juin 2007, Chron. D.S., 2010, p. 524 ; C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2006/AM/20457).

(52) Voy. l’article publié le 3 octobre 2014 sur http://www.droitpublic.net/spip.php?article4964.(53) À consulter sur https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/questions_prioritaires_constitutionnalite_3396/7607_

17_30722.html.(54) Forum Financier/Droit bancaire et financier, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 143 et s. ; voy. aussi l’article de S. Djerid et M. Pigot,

« L’Autorité des Marchés Financiers : liaison dangereuses entre sanction administrative et sanction pénale », Revue Sorbonne- OFIS, avril 2014.

(55) Voy. l’arrêt du Conseil d’État de France à l’adresse suivante : http://arianeinternet.conseil- etat.fr/arianeinternet/ViewRoot.asp?View=Html&DMode=Html&PushDirectUrl=1&Item=1&fond=DCE&texte=ordre+des+m%E9decins&Page=1&querytype=advanced&NbEltPerPages=4&Pluriels=True&dated_date_lec_s=30/06/2014&datef_date_lec_s=15/01/2015.

(56) Je renvoie aux considérations exprimées au point 47 du présent article à propos de la nature des procédures disciplinaires au sens de la CEDH.

ciplinaires prises par deux autorités disciplinaires différentes et pour autant pour les mêmes faits, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il convenait de contrôler le respect du principe de proportion-nalité des peines dans l’éventualité d’un cumul de sanctions disciplinaires pour conclure, en l’espèce, qu’il n’y avait pas violation de ce seul principe(51).

60. Relevons encore que, dans le procès AEDS dit des stock- options, le tribunal correctionnel de Paris a estimé que deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) étaient recevables dans la forme comme sur le fond et jugé qu’il y avait « lieu à les transmettre à la Cour de cassation ». Il a également estimé nécessaire « de surseoir à sta-tuer au fond sur l’action publique » en attendant que la Cour de cassation se prononce sur la trans-mission ou non au Conseil constitutionnel d’une question sur la compatibilité de la double procé-dure de sanction en matière boursière (adminis-trative et pénale) avec la charte constitutionnelle. Le représentant du parquet financier de Paris ne souhaitait pas transmettre ces QPC, ne voulant pas « éteindre la lumière […] sur ces millions d’euros de profits illicitement réalisés en piétinant les règles du marché », dès lors que « une QPC ne peut avoir un objet que si elle traite d’une atteinte à la Constitution mais le “non bis in idem” n’est pas une règle constitutionnelle »(52).

61. Par un arrêt n° 7607 du 17 décembre 2014, la Cour de cassation (France) a décidé que « la question posée présente un caractère sérieux, en ce que l’article 6 du Code de procédure pénale, tel qu’interprété par une jurisprudence constante, qui n’exclut pas le cumul de poursuites pénales et administratives pour de mêmes faits, est suscep-

tible de porter une atteinte injustifiée au principe ne bis in idem »(53).

62. Pour ce qui concerne le droit financier, je me permets de renvoyer le lecteur à l’excellent article d’Arnaud Lecocq intitulé « Le principe “non bis in idem” en droit financier. Vers un change-ment de paradigme ? »(54).

63. Un autre procès emblématique en France est susceptible d’être déféré à la Cour euro-péenne des droits de l’homme. Dans un arrêt du 30  décembre 2014, le Conseil d’État (France) a confirmé la légalité de la sanction disciplinaire infli-gée au docteur B. accusé d’avoir administré à sept patients en fin de vie hospitalisés à l’hôpital de Bayonne des médicaments ayant provoqué leur décès, il a été condamné par la chambre discipli-naire régionale à être radié du tableau de l’Ordre des médecins le 24 juin 2013. Cette condamnation a été confirmée en appel par la chambre discipli-naire nationale de l’Ordre, le 15 avril 2014(55).

64. L’affaire pose indirectement la question de l’éventuelle mise en œuvre de la règle non bis in idem. En effet, le docteur B. a été acquitté en juin 2014 par la Cour d’assises de Pau pour les faits qui ont fondé sa condamnation disciplinaire. Cependant, le parquet général a fait appel et un second procès devrait être tenu devant la Cour d’assises d’Angers ; il n’y a pas de décision pénale définitive. Si la sanc-tion disciplinaire n’a pas exactement le même fon-dement juridique que la sanction pénale, en réalité l’une et l’autre demeurent en lien étroit à travers les faits qui les fondent. On retrouve ainsi la ques-tion de l’identité substantielle des faits autorisant ou interdisant l’adoption d’une « éventuelle » double sanction pour les mêmes faits(56).

235260NYQ_RPE2015-1.indb 14 05/03/2015 09:32:51

Page 13: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

152015/1 – droit pénal de l’entreprise

(57) Crim., 14 octobre 2014, n° 13-86.052, NP, commenté par R. Salomon, « Chroniques de droit pénal social », Droit social, 2015, p. 160.(58) Soulignons que, théoriquement, dans un tel cas d’espèce, les juridictions répressives belges appliqueraient, à bon droit,

l’article 65, alinéa 2, du Code pénal.(59) « Droit pénal social », R.D.P.B., Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 365.(60) Bruxelles, 31 janvier 2013, Chron. D.S., 2014, p. 262.(61) Voy. C. trav. Liège, 9 mai 2014, J.L.M.B., 2014, p. 1679 et l’excellente note de A. Mortier, « Le travailleur partiellement inapte

et le principe non bis in idem », J.L.M.B., 2014, p. 1684.(62) C. trav. Mons, 6 juin 2013, R.G. n° 2012/AM/188, inédit.

65. Il y a lieu de verser aux débats autour et à l’alentour de l’application du principe non bis in idem un arrêt très récent de la Cour de cassation de France prononcé le 14 octobre 2014. La question soumise à la Haute juridiction était ici relative au cumul des qualifications de blessures involontaires et d’infractions relatives à la réglementation sur la sécurité des travailleurs que contestait le mémoire ampliatif(57). La chambre criminelle admet qu’un fait unique constituant un cumul idéal d’infractions puisse recevoir plusieurs qualifications pénales dif-férentes, dès lors que celles- ci ne présentent entre elles aucune incompatibilité et sont susceptibles d’être appliquées concurremment. Elle rejette le pourvoi, fondé sur le principe non bis in idem, au motif que l’infraction de blessures involontaires et les infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, qui constituent des infractions dif-férentes dans leurs éléments matériels et légaux, ne présentent aucune incompatibilité entre elles et peuvent justifier des poursuites distinctes.

66. Il convient de souligner les considérations for-mulées par le conseiller- rapporteur de cet arrêt  : « si un élément matériel est bien commun aux deux infractions (blessures involontaires et infrac-tion à la réglementation sur la sécurité), la gravité des blessures constitue un élément matériel propre à l’incrimination de blessures involontaires, les élé-ments intentionnels des deux infractions sont diffé-rents et les valeurs sociales protégées (vie humaine dans un cas, respect de la réglementation du travail dans l’autre) le sont également ». Ces considérations rappellent les attendus de l’arrêt de notre Cour de cassation en date du 25 mai 2011 et attestent d’une application restrictive du principe non bis in idem dans un ordre juridique très proche du nôtre(58).

VIII. Des conséquences pratiques de l’application du principe non bis in idem en matière sociale

67. De plus en plus souvent, les juridictions du travail et les juridictions pénales – tant en instance

qu’en appel – intègrent, de manière idoine quant aux principes, les enseignements fondamentaux dégagés des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre d’un cumul de sanctions administratives et de sanctions pénales selon la distinction proposée par Ch.- E. Clesse(59).

68. Ainsi la cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 31  janvier 2013, a considéré que le paiement d’une somme d’argent proposée par le ministère public empêche l’application d’une sanction administrative d’exclusion dans le régime du chômage. L’espèce concernait un chômeur qui continuait à percevoir des allocations au taux de personne ayant charge de famille alors que l’obli-gation alimentaire qu’il assumait était éteinte(60).

69. Dans un arrêt du 9 mai 2014, la cour du tra-vail de Liège a, tout en maintenant la décision de récupération de l’indu prise par l’organisme assu-reur, annulé la sanction d’exclusion prononcée par l’INAMI à l’encontre d’une personne en incapacité de travail et qui avait repris une activité qui n’avait pas été déclarée et autorisée par les instances administratives. Après avoir constaté que l’assuré social indélicat avait été sanctionné pénalement pour les mêmes faits par la cour d’appel de Liège, la cour du travail a fait une correcte application du principe non bis in idem(61).

70. La cour du travail de Mons a adopté le même raisonnement dans un arrêt du 6  juin 2013(62). Le cas d’espèce concernait un chômeur qui, dès le début de la perception des allocations de chômage, avait développé un commerce de voitures d’occasion. De l’enquête pénale, il en est ressorti que le bénéfice de ce travail frauduleux, exercé entre le 1er juillet 2002 et le 30 septembre 2005, se situait entre 42.000 et 63.000 EUR. Le chômeur indélicat fut traduit devant le tribunal correctionnel de Mons lequel, par un jugement du 21 décembre 2006, le déclara coupable de la prévention de travail frauduleux et lui accorda le bénéfice de la suspension du prononcé.

71. Par une décision administrative du 15 février 2010, l’ONEm décida d’exclure l’intéressé des allo-cations de chômage durant 39  semaines, outre

235260NYQ_RPE2015-1.indb 15 05/03/2015 09:32:51

Page 14: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

16 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(63) C. trav. Mons, 10 septembre 2014, R.G. n° 2011/AM/210, publié dans cette livraison, pp. 65 et s.(64) Voy. C. trav. Mons, 18 décembre 2014, R.G. n° 2011/AM/186, inédit.(65) R.P.D.B., op. cit., p. 365.(66) Voy. « Analyse comparée sur les sanctions administratives en Belgique, au Luxembourg et aux Pays- Bas publiée à l’occasion

de la Réunion des Conseils d’État du Benelux et de la Cour administrative du Luxembourg », Bruxelles, 21 octobre 2011, consultable en version électronique sur le site du Conseil d’État de Belgique.

(67) Cfr point B.5, arrêt du 19 décembre 2013, J.T., 2014, p. 208 ; voy. aussi sur ce débat l’article de C. Boulanger, « La responsa-bilité pénale de l’assuré social », in Ch.- E. Clesse et St. Gilson (sous la dir.), La responsabilité du travailleur, de l’employeur et de l’assuré social, Limal, Anthemis, 2014, p. 374 ; voy. aussi C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2006/AM/20457 qui considère qu’il s’agit de sanctions civiles.

(68) Ch.- E. Clesse, op. cit., p. 369 ; D. Roulive, op. cit., R.D.P.E., pp. 294-295.

la récupération des allocations indues depuis le 1er janvier 2005.

72. Saisie d’une requête d’appel, frappant le jugement du tribunal du travail de Mons prononcé le 4 avril 2012 et qui avait confirmé la décision de l’ONEm tout en réduisant la sanction d’exclusion de 39 à 26  semaines, la cour du travail ne put qu’annuler la sanction d’exclusion par application du principe non bis in idem.

73. La cour du travail a prononcé, le 10  sep-tembre 2014, un arrêt en tout point semblable sur le plan des principes à l’arrêt du 6 juin 2013(63). Les faits de la cause concernaient un chômeur com-plet indemnisé depuis le 23 mars 1998 qui s’était abstenu de déclarer une activité accessoire pour compte propre dans le domaine de la sonorisation événementielle.

74. L’intéressé se trouvant en état de récidive « administrative » pour avoir été sanctionné pour des faits similaires, une nouvelle décision adminis-trative fut prononcée à son encontre, l’excluant notamment du droit aux allocations à partir du 5  mars 2007 pour une période cumulée de 13, 52 et 26  semaines sur pied des articles 153, 154 et 155 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dès lors que le chômeur avait été condamné à une peine de six  mois d’emprisonnement avec sursis et à une peine d’amende de 2.750 EUR avec sursis pour la moitié, par un jugement du tribunal cor-rectionnel de Tournai le 16 février 2010.

75. Dans ces circonstances, saisie d’un appel du jugement du tribunal du travail de Tournai, au motif que les peines d’exclusion étaient « particu-lièrement sévères », la cour du travail ne pouvait qu’annuler les sanctions administratives d’exclu-sion par application du principe non bis in idem(64).

76. À l’issue de cette brève présentation de quelques arrêts, force est de constater qu’une application correcte du principe non bis in idem se manifeste sur le plan des principes. S’il faut s’en réjouir intellectuellement, néanmoins, le résultat pratique en termes de justice sociale est parti-

culièrement décevant. M.  Clesse souligne, très judicieusement, la nécessité d’une étroite colla-boration entre les autorités administratives et le ministère public pour qu’une sanction effective, proportionnée et efficace intervienne(65).

77. Est- ce suffisant ? Ne faut- il pas « boulever-ser les codes » afin de créer un véritable « effet miroir » entre les sanctions administratives et les sanctions pénales ?

78. Reconnaître explicitement que les sanc-tions qualifiées administratives constituent, en réalité, des sanctions de nature pénale au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et en dresser un véritable catalogue constituerait certainement un premier pas nécessaire(66). Cela permettrait ainsi d’éviter le développement de jurisprudence discordante qui aboutit à des interprétations critiquables sur le plan des principes.

79. Même la Cour constitutionnelle ne semble pas toujours disposée à qualifier certaine sanc-tion administrative. Ainsi, dans son arrêt du 19 décembre 2013, la Cour prend soin de répondre à la question préjudicielle posée en tenant compte de l’appréciation du juge a quo quant au caractère répressif de la mesure d’exclusion(67).

80. Cette réflexion s’impose d’autant plus lorsque l’on examine le second champ d’applica-tion du principe non bis in idem  : celui du cumul des sanctions administratives d’exclusion prévues aux articles  153, 154 et  155 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

81. Ch.- E.  Clesse résume clairement la situa-tion  : « si un même fait est susceptible de faire l’objet de plusieurs sanctions ou que plusieurs faits reprochés au chômeur sont liés par une même intention délictueuse, une seule sanction la plus lourde ou la plus proche de l’acte posé, peut être appliquée au chômeur. Plusieurs sanctions admi-nistratives peuvent être appliquées au chômeur lorsque des faits distincts non liés par une même intention délictueuse, lui sont reprochés »(68).

235260NYQ_RPE2015-1.indb 16 05/03/2015 09:32:51

Page 15: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

172015/1 – droit pénal de l’entreprise

(69) C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2006/AM/20457, inédit, dans lequel il est dit que l’article 65 du Code pénal exprime un principe général qui déborde largement les frontières du droit pénal et qui doit être appliqué aux faits matériels multiples unis par une seule intention délictueuse.

(70) Cass., 14 mars 2005, R.G. n° S.04.0156.F, Chron. D.S., 2005, p. 523.(71) Cass., 31 mai 2006, R.G. n° P.06.0403.F, Pas., n° 300.(72) Voy. F. Kéfer, op. cit., p. 213.

82. En réalité, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une dérive de l’application du principe non bis in idem qui vise à pallier l’impossibilité d’ap-pliquer l’article  65 du Code pénal aux sanctions administratives d’exclusion. Cette impossibilité pourrait sans doute être dépassée si le législa-teur voulait bien les considérer comme des sanc-tions de nature pénale puisqu’elles présentent un caractère répressif prédominant. Une modifica-tion de l’article 71 du Code de droit pénal social réglant définitivement cette question et renvoyant expressément à l’article  65 pourrait constituer une solution plus adéquate.

83. Si, en règle, les sanctions administratives pré-vues par les articles 154 et 155 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 sont qualifiées de sanctions de nature pénale, elles sont encore parfois qualifiées de « civile ». La question de leur cumul éventuel se résout alors par le recours à une application analogique de l’article 65 du Code pénal(69). Une telle approche apparaît problématique à la lecture d’un arrêt de la Cour de cassation du 16  mars 2005 dans lequel la Cour a dit pour droit que la sanction prévue par l’article 154 n’est pas une peine au sens de l’article  2, alinéa  2, du Code pénal(70). À la quatrième branche du moyen qui reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir réduit la sanc-tion d’exclusion, par admission de circonstances atténuantes, en dessous du minimum prévu par la législation du chômage en violation de l’article 85 du Code pénal, la Cour de cassation rejette le moyen en considérant que ce n’est pas par réfé-rence à l’article  85 du Code pénal que la cour du travail a réduit la sanction à une semaine mais en vertu du principe général du droit de l’appli-cation de la loi nouvelle plus douce qui appelait l’application immédiate de l’arrêté royal du 29 juin 2000 lequel avait réduit le minimum de la sanction de l’article 154 à une semaine. Il semble pouvoir être dégagé de cet arrêt que l’application par suite d’une interprétation analogique des dispositions de droit pénal ne soit pas conforme au droit.

84. Si la portée de l’arrêt de la Cour de cas-sation du 14 mars 2005 doit être nuancée suite aux nouvelles dispositions du Code de droit pénal social, il n’en demeure pas moins que si la mesure

d’exclusion n’est pas une peine au sens de l’ar-ticle  2 du Code pénal, on aperçoit difficilement comment considérer que ladite mesure puisse être considérée comme une peine au sens de l’article 65 du même Code(71).

85. Avec l’entrée en vigueur du Code de droit pénal social, en matière de circonstances atté-nuantes, les choses auraient dû être plus claires et plus lisibles comme le souligne F. Kéfer(72). Pourtant, il n’en est rien. L’article 110, alinéa 2, du Code de droit pénal social prévoit que l’assuré social qui aurait commis une fraude au préjudice d’une ins-titution de sécurité sociale peut solliciter du juge pénal une réduction de l’amende qui lui serait imposée, conformément à l’article  85 du Code pénal, eu égard à sa situation financière et ce, au motif qu’il pourrait subir une suspension ou une réduction des avantages sociaux. Une telle sanc-tion d’exclusion ne peut être prononcée que par les autorités administratives. Voilà un bel exemple d’aberration juridique provoquée par l’application du principe non bis in idem dans son sens actuel : comment le juge pénal pourrait- il encore statuer sur une action publique forcément irrecevable si une décision d’exclusion a déjà été prise et est devenue définitive et comment pourrait- il, pour réduire l’amende, tenir compte d’une sanction d’exclusion ultérieure qui ne pourra plus être pro-noncée au nom du principe non bis in idem ?

86. Dans la perspective d’un effet miroir, alors qu’aujourd’hui le juge pénal ne peut prononcer une mesure d’exclusion du bénéfice des alloca-tions sociales, contrairement aux administrations qui disposent d’un tel pouvoir, serait- il inimagi-nable d’envisager une modification de l’article 31 du Code pénal afin d’y ajouter un alinéa prévoyant que le juge correctionnel pourra exclure du béné-fice des allocations sociales, pour une période à déterminer, les personnes condamnées du chef des infractions prévues aux articles 226, 229, 232, 233 et 235 du Code de droit pénal social ?

87. Avant l’entrée en vigueur du Code de droit pénal social, Ch.- E.  Clesse avait commen-té un arrêt de la cour du travail de Liège du 18 décembre 2008 qui avait condamné une chô-meuse indélicate à rembourser les allocations de

235260NYQ_RPE2015-1.indb 17 05/03/2015 09:32:51

Page 16: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

18 droit pénal de l’entreprise – 2015/1

(73) Voy. Ch.- E. Clesse, « Confiscation et récupération d’indu : cherchez l’erreur », note sous C. trav. Liège, 18 décembre 2008, Chron. D.S., 2010, p. 190.

(74) Fr. Koning, op. cit., CUP, vol. 148, p. 169.(75) C.J.C.E., 18 juillet 2007, aff. C- 367/05, Norma Kraaijenbrink, Rec., 2007, p. I- 6640.(76) Cour eur. D.H., 14 janvier 2014, Muslija c. Bosnie- Herzégovine, req. n° 3204/11, § 37.

chômage indues. Sanctionnée administrativement par l’ONEm et condamnée pour les mêmes faits par le tribunal correctionnel, cette dame s’était trouvée face à une mesure « civile » de récupération d’indu et à une mesure de confis-cation, ordonnée par le tribunal correctionnel, équivalente au montant indu. En préambule, Ch.- E.  Clesse affirmait « Inique oui, certaine-ment. Illégal, non ; certainement pas, contraire à la jurisprudence de la CEDH, pas nécessaire-ment ? »(73). Une situation ubuesque appartenant au passé ? Ce n’est pas certain et tout dépendra de la première « juridiction » qui statuera défi-nitivement. S’agit- il de celle appelée à statuer sur la décision administrative de sanction, alors le fraudeur pourra opposer lors de poursuites ultérieures devant le juge pénal l’irrecevabilité de l’action publique et éviter une confiscation pénale. À l’opposé, rien n’interdirait au juge pénal de prononcer une confiscation pénale et de voir la juridiction civile prononcer la mesure de nature civile que constitue la récupération d’indu.

88. François Koning évoque également la pro-babilité d’une application du principe non bis in idem entre une sanction administrative prise par les autorités fiscales et une sanction administrative prise par l’ONEm(74) lorsqu’un chômeur indemnisé fera l’objet de sanctions pour avoir omis de décla-rer l’exercice d’une activité économique (licite). On peut légitimement supposer que les gains de ces activités n’auront pas non plus été déclarés aux autorités fiscales lesquelles pourront ouvrir une procédure spécifique. Les mêmes faits délic-tueux peuvent faire l’objet de deux procédures administratives mais une seule sanction ne pourra qu’être prononcée. Nous partageons entièrement son analyse. Nous pensons également que cette probabilité peut être étendue à d’autres situa-tions spécifiques dans lesquelles une procédure judiciaire pénale est ouverte du chef d’escroque-rie sociale au préjudice de l’INAMI, un mandat d’arrêt est décerné de ce chef et que l’INAMI prend une sanction administrative contre l’auteur placé sous mandat d’arrêt. Sans doute, une ana-lyse plus approfondie à la lumière des principes pertinents dégagés dans l’arrêt de la C.J.C.E. du 30 juillet 2007 permettrait d’éviter une application

déraisonnable du principe non bis in idem dans un tel cas d’espèce en intégrant correctement l’appli-cation du critère « spacio- temporel » pour vérifier si les comportements incriminés sont susceptibles d’être concernés par l’application du principe non bis in idem(75). On peut encore penser à la coexistence d’une procédure judiciaire ouverte à l’encontre d’un trafiquant de stupéfiants (chô-meur de son état) détenu préventivement et une procédure de sanction administrative engagée par l’ONEm du chef d’exercice d’une activité incom-patible avec l’état de chômeur complet indemnisé.

89. Dans de telles situations, l’information portée par les autorités judiciaires aux autori-tés administratives de l’existence d’un ensemble de faits susceptibles de différentes qualifications répressives ouvre la voie à l’existence de deux procédures concurrentes de sanction. Or, il res-sort de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 janvier 2014, que l’article 4 du Protocole n° 7 doit être lu comme interdisant la continuation de procédures parallèles après que l’une des procédures a abouti à une décision définitive(76).

90. Les faits de la cause paraissent utiles à pré-senter et peuvent être résumés comme suit : en août  2004, le tribunal des infractions mineures condamna le requérant pour rixe, constatant que le 12 février 2003 vers 18 h 40, il était entré dans l’appartement de son ex- femme, l’avait giflée et lui avait donné des coups de poing sur le corps. Il se vit infliger une amende de 150 marks conver-tibles. Le 9  janvier 2008, un tribunal municipal reconnut M. Muslija coupable de coups et bles-sures graves, constatant que le 12  février 2003 vers 19 h 00, l’intéressé était entré dans l’appar-tement de son ex- femme, l’avait saisie par le cou et l’avait frappée à plusieurs reprises à la tête, à l’estomac et au visage. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement, qui fut par la suite convertie en une amende de 9.000 BAM. M. Muslija forma un recours devant la Cour constitutionnelle au sujet de ses deux condamnations, mais celle- ci le débouta en janvier 2011. Invoquant l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, M.  Muslija se plaignait d’avoir été jugé et puni deux fois pour le même

235260NYQ_RPE2015-1.indb 18 05/03/2015 09:32:51

Page 17: Le principe « Non bis in idem » : DOCTRINe de la ...editionslarcier.larciergroup.com/resource/extra/9782804472405/Extr... · à la sanction de comportements infractionnels ... On

DOCTRINE

DROIT PÉNAL De L’eNTRePRIseLe principe “non bis in idem” : de La révoLution à L’intégration : cinq ans après L’arrêt Sergueï Zolotoukhine

192015/1 – droit pénal de l’entreprise

(77) M.B., 5 août 2004, p. 58.977.(78) F. Pirard, « Sociale inspectie en administratieve geldboeten in Vlaanderen », Sociale Praktijkstudies, Kluwer, 2006, p. 55.(79) Voy. F. Kéfer, Précis de droit pénal social, Limal, Anthemis, 2e éd., 2014, p. 243 et les auteurs cités dans la note infrapaginale

n° 911.(80) Voy. P. Van den Bon, « Het non bis in idem beginsel in de werkloosheid », Nullum Crimen, 2014, pp. 177 et s.

incident. La Cour européenne des droits de l’homme fit droit à sa requête tout en rejetant sa demande présentée au titre du préjudice moral. En résumé, la condamnation définitive pour une infraction mineure implique la fin de la procé-dure engagée pour une infraction majeure.

91. Mentionnons encore une nouvelle source de difficultés potentielles dans la perspective de l’application de sanctions administratives au sens de l’article  71 du Code de droit pénal social  : l’article  17, §  1er, du décret flamand relatif au contrôle des lois sociales du 30  avril 2004 sti-pule, en ce qui concerne la procédure d’impo-sition d’amendes administratives  : « Le ministère public dispose d’un délai de deux mois à compter du jour de la réception du procès- verbal pour informer le fonctionnaire désigné en vertu de l’article  15, alinéa  2, de sa décision d’entamer ou non des poursuites. Le ministère public peut prolonger ce délai d’au maximum deux mois par décision motivée. Le ministère public en informe le fonctionnaire désigné, visé à l’article 15, alinéa deux »(77). Cette disposition a été copiée de la loi fédérale du 30 juin 1971, de l’époque, relative aux amendes administratives(78). Toutefois, la dis-position fédérale a été modifiée avec l’introduc-tion du Code pénal social. L’article  72 du Code de droit pénal social prévoit un délai général de six mois.

92. À la suite à la sixième réforme de l’État, la politique du marché de l’emploi va être complète-ment transférée aux régions qui deviendront éga-lement compétentes pour infliger des amendes administratives, notamment pour les infractions reprises à l’article  175 du Code de droit pénal social. La distorsion des délais est de nature à engendrer des difficultés procédurales notam-ment sous l’angle de l’engagement de procédures concurrentes éventuellement inopportunes.

IX. Conclusion

93. Force est ainsi de se rallier à l’opinion de Fabienne Kéfer qui déclare que « pour mettre fin à la situation compliquée dans laquelle se trouvent les autorités de poursuite et les institutions de sécurité sociale désireuses d’observer (le principe non bis in idem), une nouvelle réflexion en profon-deur sur le système de sanctions paraît indispen-sable »(79) et l’élaboration d’une loi- cadre globale en la matière, comme l’a souligné M. le premier avocat général Piet van den Bon lors de la rentrée solennelle de la cour du travail d’Anvers, constitue une nécessité impérieuse(80).

94. Au terme de cette étude, force est de constater que la révolution « Zolotoukhine » n’est pas encore totalement et harmonieusement inté-grée. Si les cours et tribunaux appliquent, de plus en plus, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, des dissonances sub-sistent, voire une cacophonie s’installe. Nombreuses demeurent ou naissent les questions incidentes qui mettent en lumière la nécessité de repenser, complètement et le plus efficacement possible, le régime de sanctions émanant d’autorités répres-sives différentes aussi bien dans le domaine du droit pénal général, fiscal, social que dans d’autres domaines, tel notamment que le droit discipli-naire. Entre l’affirmation et la consécration d’un principe général de droit et son application quo-tidienne, il subsiste encore l’absolue nécessité de veiller à une application cohérente et éthique des notions de droit et, au- delà des critiques souvent prononcées, la Cour de cassation veille en gardien prudent… car, son action prudente, l’intégration aveugle du principe non bis in idem risque d’entraî-ner la désintégration de notre système juridique si le législateur tarde à prendre la pleine et entière mesure de la révolution « Zolotoukhine ».

235260NYQ_RPE2015-1.indb 19 05/03/2015 09:32:51