Le Phenomene Des Femmes Kamikazes 419

8/14/2019 Le Phenomene Des Femmes Kamikazes 419

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LE PHENOMENE DES FEMMES KAMIKAZES

Par Iqbal AL GHARBI1Chercheur invit lESISC

La multiplication des attentats suicides, depuis quelques annes, suscite bien desinterrogations. Est-ce un phnomne nouveau ? Quelles sont les motivations de ceux quiplanifient ou commettent de tels actes ? Et lorsque ceux-ci sont perptrs par des femmes, lastupfaction est double. En effet, la femme est gnralement perue, dune part, comme forcede vie et damour et non comme pulsion de mort et de destruction, et, dautre part, commevictime et non auteur dactes de violence.Les femmes apportent donc un nouveau profil aux attentats suicides en tant que stratgie dela terreur. Cette fminisation de la menace terroriste, observe au Liban, en Isral, enTchtchnie, en Irak ou en Algrie, constitue un dfi particulirement droutant pour lesservices de scurit. En effet, comme les enfants que lon dit innocents, les reprsentantes dusexe faible sont bien mieux armes que les hommes pour dtourner lattention despoliciers. En outre, dans certaines cultures, les tabous lis la mixit compliquent lesprocdures de contrles et de fouilles des femmes.

1) Lattentat suicide : une stratgie complexeEn ce dbut de XXIe sicle, et plus particulirement depuis le 11 septembre 2001, lesnouveaux paysages qui se dessinent devant nos yeux se caractrisent notamment par uneaugmentation des productions victimaires et par un dbordement de passions, qui viennentcontrarier une vision moderne qui les exclut et qui promet le respect du sujet individuel, lasolidarit, la tolrance, la rationalit, soit l'exclusion de la passion et du tragique du champ

des relations humaines 2

. Depuis lAntiquit, philosophes, moralistes et politiques ont tentde grer et de rationaliser les conflits et la violence, considrs comme un drglement despassions humaines. Au cours de ces dernires annes, lattentat suicide - larchtype mmede lacte brutal de violence - est venu contrarier cet effort civilisateur entrepris par lhumanitpensante. La gopolitique contemporaine semble, par consquent, prouver du mal percevoir une menace qui chappe ses rgles. Contrainte dextrapoler partir de ce quelleconnat, la littrature politique tente ds lors dlaborer une grille dinterprtation qui associesouvent opration kamikaze et dimension religieuse.

1 Iqbal AL GHARBI est professeur d'anthropologie religieuse et directrice du Centre de l'innovationpdagogique luniversit Ezzeytouna, en Tunisie.2

KANT Emmanuel,Vers la paix perptuelle Que signifie s'orienter dans la pense ? Qu'est-ce que lesLumires ? Et autres textes, Paris, Flammarion, 2006.


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Soulignons, toutefois, que les attentats suicides n'ont pas attendu le 11 septembre 2001 pours'introduire en tant qu'arme dans l'histoire des affrontements humains. Traversant le tempset lespace, transcendant les idologies, le suicide meurtrier revt une dimensiontransculturelle.

Aux premiers sicles de notre re, le refus de lesclavage et lhonneur guerrier formaient lecadre de lidologie du sacrifice meurtrier. Les Zlotes de Galile ainsi que les Sicaires(factions politico-religieuses juives rputes pour leur rsistance loccupation romaine) yont ajout une dimension nouvelle, proprement religieuse, lie au monothisme : ils tuaientleurs adversaires mais ne se souciaient pas de prendre la fuite, comme, par exemple, laforteresse de Massada, o ils prfrrent le suicide collectif la capitulation.Le terme martyr fut appliqu aux chrtiens qui durent affronter la perscution et la mortpour dfendre leur foi. Ce concept a donc t dfini et imagin en rponse des pressionssociales, religieuses et politiques complexes.Dans son ouvrage Rome et le martyre, Glen W. Bowersock3 rappelle que l'extension duconcept de martyr aux populations musulmanes a eu lieu lors de la conqute de la Palestine,au VIIe sicle. C'est aprs cette conqute arabe que la notion de tmoin (chahid) a pris le sensde mort sacre, en rfrence la notion grecque de marturos et sa double signification detmoin et martyr. Quelques sicles plus tard, la clbre secte des assassins, fonde vers 1090par Hassan Sabbah, institua lassassinat politique comme stratgie de lutte et devint unexemple lgendaire.Plus prs de nous, lpoque de la Rvolution franaise, Maximilien Robespierre considraitla terreur comme une manation de la vertu. En 1850, la socit russe vit merger la violence rvolutionnaire. Les anarchistes puis lessocialistes rvolutionnaires posrent le problme de lindiscrimination par rapport lanature de la cible, fonde sur la thorie rvolutionnaire de responsabilit collective de groupe,dethnie ou de classe sociale.

Lexpression trs mdiatise de kamikaze fait rfrence un vent divin qui a stopp linvasion

mongole du Japon, au XIIIe

sicle, en dtruisant la majeure partie de sa flotte. Ce terme fut nouveau utilis pour dsigner les missions suicides daviateurs japonais pendant la SecondeGuerre mondiale.En 1967, les combattants nationalistes palestiniens (fidayn) proclamrent leur volont desacrifice et, aprs Septembre noir, des units spciales portrent des ceintures dexplosifspour marquer leur dtermination absolue.Enfin, au cours des annes 80, dans sa guerre contre lIrak, le pouvoir rvolutionnaireiranien cra lorganisation bassidj (volontaires organiss) comme arme de guerre. Cettemilice, forme dadolescents, invoquait la martyrologie chiite, mortifre et fascine par lesacrifice de limam Hussein. Le sacrifice de ces jeunes combattants tait intgr au dispositifglobal dune offensive stratgique.

Aujourdhui, le terme kamikaze signifie folie fanatique. En effet, une action kamikaze dsigneune mission suicidaire visant tuer, au cours de laquelle son ou ses acteurs savent leurschances de survie nulles, cette dernire condition tant la clef de la russite de lopration.Notons que, depuis 2001, lutilisation de ce terme dans les mdias renvoie aux mmesambiguts : fanatisme pour les uns, sacrifice pour les autres, le tout dans un contexte o lesdimensions religieuse, politique et militaire se mlent inextricablement. Le kamikaze estdevenu en quelques annes la bombe intelligente et bon march du terrorisme de la nouvellegnration, le produit dune idologie et dune technique peu coteuse, facilementtransposable et exportable.

3BOWERSOCK Glen,Martyrdom and Rome, Cambridge University Press, 1995.


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Contrairement une ide rpandue, les attentats suicides constituent un phnomnerelativement rcent dans lislam.La doctrine du Jihad est certes fonde sur le texte du Coran mais il nexiste pasdinterprtation unique. Etymologiquement, Jihad signifie effort tendu vers un butdtermin. La racine du mot j.h.d ne fait rfrence qu l'effort , la peine . Pourcertains, le Jihad est une discipline rigoureuse et non violente fonde sur limitation stricte etlittrale de la vie du prophte dans le but datteindre la perfection. Du point de vue dunemorale islamique caractre stratgique, il sagit de surmonter un double interdit : le suicideet le meurtre, condamns par la religion musulmane.Si lislam a toujours constitu une rfrence politique dans le monde arabe et a galvanis lesluttes de libration nationale, le Jihad - ou guerre sainte - est soumis une rglementationstricte. Le droit de la guerre,fiqh el harb, a t labor par les jurisconsultes musulmans desquatre coles de jurisprudence afin de limiter le drglement des passions et de dfinir lanotion de guerre concevable .

La guerre sainte musulmane a t autorise dans trois cas :

En cas dattaque trangre ou pour prvenir la fitna, cest--dire la rbellion ou laguerre civile. Il sagit dune guerre dintrt gnral.

Pour porter secours dautres musulmans victimes de svices et dinjustices. Pour dfendre lintgrit personnelle ou lintgrit de la patrie4.

Des rgles prcises ont t dfinies concernant les combattants et les non combattants, lesfemmes, les enfants et les moines. Ces principes fondamentaux, tablis par le prophteMohamed et appliqus de manire variable selon les poques et les lieux, taient relatifs laprotection accorde aux populations civiles (femmes, enfants, mineurs, vieillards et maladesmentaux) et linterdiction de dtruire les cits, de couper les palmiers et les arbres fruitiersou de brler des terres agricoles. En outre, le Coran dsapprouve lassassinat, lattentat

prmdit par tratrise car Dieu naime pas le tratre incrdule (32 :38).Le grand jurisconsulte Ibn Taymiyya (1263-1328), qui est devenu la rfrence majeure de lamouvance islamiste sunnite, affirme que nous devons combattre uniquement ceux qui nouscombattent . Certains dcisionnaires musulmans contemporains ont toutefois remis encause ce droit de guerre musulman. Sayyid Qutb, dont la doctrine est base sur le concept dejahiliyya (tat dignorance de lislam), justifie le Jihad ternel. Ce Jihad nest plus un moyende dfense des musulmans et de leurs territoires mais une rvolution offensive, proactive etpermanente contre les ennemis de lintrieur et de lextrieur qui ont usurp la souverainetde Dieu.La stratgie dal-Qada consiste interprter le Jihad non pas comme une obligationcollective ou politique mais plutt comme une responsabilit morale individuelle qui va au-

del du pragmatisme politique. Certains Jihadistes croient quils participent une bataillefinale mythique et apocalyptique contre le Mal. Cheikh Qaradhaoui, un dirigeant des Frresmusulmans, qui sest prononc en faveur des attentats suicides, a remis en cause ladistinction essentielle entre combattants et non combattants. Selon lui, les oprations demartyre sont une arme asymtrique. Elles compensent la faiblesse des Palestiniens, qui nedisposent pas dhlicoptres Apache ou de tanks. Toutefois, cheikh Qaradhaoui aborde laquestion dun point de vue politique et militaire et non de celui de la logique juridiquemusulmane qui, elle, fait la distinction entre victimes permises et victimes interdites.

Pour revenir la problmatique des femmes kamikazes, toutes sortes de fatwas ont circul, justifiant ou condamnant leurs attentats suicides. LArabie saoudite a dabord refus de les

4 AMIR-MOEZZI Mohammad Ali,Dictionnaire du Coran, Paris, Robert Laffont, 2007.


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lgitimer et de considrer leurs auteurs comme des martyres. Cependant, le 1er aot 2001, leHaut conseil islamique dArabie saoudite a publi une fatwa encourageant les Palestiniennes commettre des attentats.En gypte, cheikh Qaradhaoui refusait daccorder le statut de martyres aux femmeskamikazes mais, depuis peu, une nouvelle fatwa leur permet denfreindre lescommandements de lislam en voyageant non accompagnes par un homme de leur famille et tte dcouverte pour perptrer leur attaque suicide.Quant au chef spirituel du Hamas, cheikh Yacine, il a dclar le 31 janvier 2002 quilautorisait les femmes mener des attentats suicides condition quelles soient encadres parun homme. Plus tard, le matre penser du Hamas a dict une fatwa affirmant que cellesqui commettent un attentat suicide et tuent des juifs seront rcompenses au paradis endevenant plus belles que les 72 vierges promises aux hommes martyrs .

Lmergence de ce phnomne a donn lieu de nombreuses interprtations. Selon BernardLewis, la progression du radicalisme et du terrorisme islamique est due au sentimentdhumiliation bien ancr chez les musulmans cause de lchec de lislam sadapter aumonde moderne, au cours des deux derniers sicles5.Pour certains islamologues, comme Gilles Kepel, le Jihadisme a des racines religieuses etculturelles6, tandis que dautres, comme Olivier Roy7 ou Mohamed Tozy8, mettent laccent surdes facteurs politiques et sociologiques. Dautres encore, comme Faical Devji9, pensent que leJihadisme ne dcoule daucun facteur gnalogique prcis : il est le fruit de la fragmentationdes structures traditionnelles de lautorit musulmane au sein dun nouveau paysagemondial. Enfin, Kadija Finan10 considre quau-del des causes conomiques, sociales etpolitiques, cest une panne de sens qui serait lorigine de lclatement de la violence.

2) Les femmes kamikazes : qui sont-elles ?Lorigine ethnique et sociale des femmes kamikazes prsente une grande htrognit.

Historiquement, les femmes ont, depuis longtemps, t associes des mouvementspolitiques violents. De la Rvolution franaise ou russe aux mouvements terroristes desannes 70 et 80, en passant par les mouvements de libration nationale, notamment enAlgrie, les priodes de guerre et de rpression ont permis aux femmes islamistes dacqurirle statut valorisant de rsistante (moujahida) voire de martyre (shahida).Lvolution de la femme dun rle essentiellement dauxiliaire un rle plus actif etoprationnel comme celui de kamikaze est toutefois assez rcente. En manifestant leurengagement politique par la mort sacrifielle et le don de soi, ces shahidas empruntent une voie qui, jusqu rcemment, ntait suivie que par des hommes jeunes, que lon dit toutsimplement fanatiss.Palestiniennes, Tchtchnes, Libanaises ou Irakiennes, tudiantes ou mres de famille,adolescentes ou grand-mres, il est bien difficile dtablir un profil social type de la

kamikaze. Certaines de ces femmes avaient mme devant elles un avenir prometteur dejuriste ou duniversitaire. Elles jouissaient, pour la plupart, dun trs bon niveau dducationet taient parfois issues de familles aises.Certaines organisations, comme le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), ont depuislongtemps approuv et encourag la participation des femmes leurs actes violents. Dautres,

5 LEWIS Bernard, Le langage politique de lIslam, Paris, Gallimard, Bibliothque des Scienceshumaines, 1998.6 KEPEL Gilles,Jihad, expansion et dclin de lislamisme, Paris, Folio, 2000.7 ROY Olivier,LIslam Mondialis, Paris,Seuil - La couleur des ides,2002.

8 TOZY Mohamed,Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.9 DEVJI Faical,Landscapes of the Jihad, University of Pennsylvania Press, 2005.

10 LEVEAU Rmy, FINAN Khadija, DE WENDEN Wihtol,Lislam en France et en Allemagne. Identitet citoyennet, Paris, La documentation franaise, 2001.


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comme al-Qada, navaient nullement prvu le phnomne des femmes missiles et furent lespremiers surpris. Prcisons toutefois que le recrutement des femmes nest parfois que laconsquence de dcisions prises par des rseaux locaux en manque de combattants.

Entre 1985 et 2007, plus de 230 attentats suicides la bombe ont t perptrs par desfemmes. Cependant, il semble que ce qui relie ces femmes jihadistes entre elles soitdavantage dordre idologique quoprationnel.Cest au Liban que le phnomne des femmes kamikazes est apparu pour la premire foisdans le monde arabo-musulman : le 9 avril 1985, Sana Khyadali, une jeune femme membredu parti nationaliste syrien, faisait exploser sa voiture pige prs dun convoi militaireisralien. Ce phnomne est par consquent nouveau et sest amplifi aprs la secondeintifada. Le 27 janvier 2002, Wafa Idriss, une ambulancire de 25 ans, commettait unattentat suicide en plein cur de Jrusalem ouest, devenant ainsi la premire kamikazepalestinienne. Durant les six mois qui ont suivi cet attentat, les femmes ont reprsent uncinquime des auteurs dattaques suicides. Parmi elles : Dareen Abu Ayshah, ge de 21 ans,qui a activ sa ceinture dexplosifs un barrage militaire isralien en Cisjordanie, le 27 fvrier2002 ; Hanadi Jaradat, une avocate palestinienne de 29 ans, sest fait sauter dans unrestaurant Hafa, le 4 octobre 2003, tuant 21 personnes. En janvier 2004, Reem Salah alRayacha, 22 ans, laissait la maison sa fille de 18 mois et son fils de 3 ans pour aller se faireexploser au point de passage dErtz, entre Isral et la Bande de Gaza.

Ces exemples ont ensuite rapidement t suivis par dautres. Le 30 avril 2005, deux femmes voiles ont attaqu un bus transportant des touristes en Egypte. Le 23 novembre 2006,Fatima Omar Mahmoud al-Najar, une Palestinienne de 57 ans, mre de 9 enfants et grand-mre de 41 petits-enfants, sest fait exploser dans la bande de Gaza.Prcisons que nombre de ces femmes nont pas attir lattention des forces de scurit carelles transportaient leurs bombes sous leurs vtements, laissant croire quelles taientenceintes, ou dans les poussettes des enfants.

Le phnomne des femmes kamikazes touche galement lEurope. Le 9 novembre 2005,Muriel Degauque, une Belge de 38 ans convertie lislam, commettait un attentat suicidedans le nord de Bagdad, tuant cinq policiers et quatre civils.Depuis 2000, on assiste une augmentation progressive des attaques kamikazes perptrespar des musulmanes, que ce soit en Irak, en Egypte, en Ouzbkistan ou dans le Maghreb, quisemble tre devenu le thtre du terrorisme transnational. Lattentat suicide qui a cibl, le 28janvier 2008, un commissariat dans la wilaya de Boumerdes, en Algrie, a t commis parune jeune Algrienne de 26 ans.

Le passage lacte ne repose pas sur un processus ou un facteur unique. Les raisons de leurparticipation aux actes suicidaires varient considrablement dun pays lautre, selon laculture et le vcu personnel de chaque femme. Sil est, par consquent, difficile de gnraliser

les cas, nous pouvons toutefois tenter dexpliquer comment certains facteurs psychologiqueset politiques peuvent influencer ces scnarios fminins de mort volontaire.

a) La haine de soiLa culture arabo-musulmane offre une image ngative de la femme. La premire source detoutes les discriminations encore dfendues par les islamistes est le refus de lgalit entre leshommes et les femmes. Ce refus est justifi par un verset coranique qui stipule que leshommes leur sont suprieurs dun degr [aux femmes] . Des noncs isols de leur contextesont devenus des fondements juridiques intangibles qui hypothquent lvolution du droit,des institutions, des murs et de la socit. Ainsi, la tutelle des hommes sur les femmes,encore en vigueur dans tous les pays arabes, est justifie au nom de ce verset coranique. Ce

droit saccompagne, dans cette conception, de lobligation dobissance de la femme vis--visde son tuteur, ainsi que du droit la correction qui revient lhomme lencontre de lafemme juge rebelle.


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Face cette situation, certaines musulmanes peuvent intrioriser ces stigmates en lesrenforant. Leur identit ngative leur apparat comme le rsultat de leurs insuffisancespersonnelles et de lordre naturel - donc un fait invitable - et non comme le rsultat desrapports sociaux qui dfinissent leur place dans la socit. De ce fait, elles renchrissent surleur identit de femme faible et dpendante, et la renforcent. Toutefois, dans certainescirconstances, un retournement smantique se produit, qui renverse les valeurs et transformela ngativit en positivit. Souffrant dune image de soi si compromise, certaines peuventdvelopper une haine de soi et intgrer les mouvements islamistes radicaux, conduisant desactes extrmement violents. La haine, fait clinique fondamental, nest pas sans incidencessociales. Les femmes martyres sont les agents les plus dramatiques de cette situation.En perptrant des actes terroristes, ces femmes expriment par les armes et la mort leursressentiments et leur haine, et sidentifient aux hommes. Lattentat terroriste devient unesacralisation de soi dans la mort lorsque le sentiment que lon ne peut pas raliser son idaldans la vie prvaut. Quand lhorizon du futur est peru comme bloqu, on se projette vers lamort, qui devient le lieu de ralisation de soi. Dans ce type dengagement, les conflits locauxsont des facteurs de motivation dterminants et critiques ; toutefois, chaque cas demeureunique.

b) Les conditions conomiquesLes rapports du PNUD (Programme des Nations unies pour le dveloppement) signalent uneprcarit galopante de la condition des femmes dans le monde arabo-musulman. Les femmessont victimes dautant plus quelles sont prives de ressources, de qualifications et demeurentpeu alphabtises.Toutefois, les femmes des classes dfavorises ne sont pas les seules victimes de cettedgradation des conditions de vie. En effet, plusieurs tudes, menes notamment en Tunisie11 ,en Algrie12, au Maroc13 et en Iran14, soulignent la position insatisfaisante dans laquelle setrouvent les femmes des classes ascendantes, qui ont un degr dinstruction suffisant pourconnatre leurs droits et ressentir la frustration quengendre lingalit.

Ces dernires participent des activits publiques mais un niveau subalterne. Leur travail,peu valorisant tant conomiquement quintellectuellement, ne reprsente alors ni une sourcedindpendance financire consquente, ni loccasion dune plus grande reconnaissancesociale. En revanche, en les loignant du foyer, le besoin matriel dun second salaire leurdonne le sentiment de trahir leur mission originelle dpouse et de mre. Lvolutionindividuelle est entrave par les contraintes familiales, les tches de soins aux enfants et auxpersonnes dpendantes tant assumes par les femmes. Labsence dinfrastructure sociale degarde et de soins, qui permettrait une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vieprofessionnelle, constitue un obstacle pour lpanouissement des femmes. terme, cettecombinaison de pression des contraintes matrielles et de linsatisfaction des aspirationsprofessionnelles et personnelles engendre un certain sentiment de culpabilit et alimente unerevalorisation certaine du rle traditionnel. Le proslytisme religieux sappuie ainsi sur les

esprances dues (conomiques, intellectuelles, sociales et politiques) des classes moyennes.c) Changement des rapports entre genres

Lpuration dont ont t victimes certains mouvements islamistes a contraint ces derniers placer les femmes sur le devant de la scne. En labsence des hommes, elles ont jou un rle

11 BELHASSEN Sophie, Femmes tunisiennes islamistes , in Christiane Souriau (dir.),Le Maghrebmusulman en 1979, collection Etudes de lAnnuaire de lAfrique du Nord, Paris, CNRS, 1981.12 BUCAILLE Laetitia, Lengagement des femmes dans le mouvement islamiste en Algrie ,Monde

Arabe Maghreb-Machrek, n 144, avril 1994.13 DAOUD Zakia,Femmes, mouvements fministes et changement social au Maghreb, Casablanca,

Eddif, 1996.14 ADELKHAH Fariba,La rvolution sous le voile : Femmes islamiques dIran, Paris, Karthala, 1991.


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indispensable dans la formation des rseaux de solidarit, la prise en charge des militants enfuite ou dans la clandestinit, ltablissement des contacts entre les prisonniers et lesmilitants lextrieur, etc. Les contextes de rpression ont renforc le rle des femmes etentam un changement des rapports entre genres au sein des courants islamistes. Certainesmilitantes ont ainsi pu disputer des espaces de reconnaissance dans leur propre courantpolitique, accder au sommet de leur formation et devenir mythiques linstar delEgyptienne Zaynab al-Ghazali, qui sest impose lors des arrestations de 1948-1950, ou de laMarocaine Nadia Yassine, leader du parti islamiste marocain al-Adl wal Ihssan ( Justice etSpiritualit ). Quant au parti palestinien Hamas, il a accept linscription de 20% de femmessur ses listes lors des lections de 2006. Dans certaines socits musulmanes fodales ettribales, lorganisation jihadiste est la seule structure qui offre la femme un choix autre quele rle traditionnel dpouse ou de mre, en leur proposant un nouveau style de vie. Et, auprix de leurs sacrifices, les femmes kamikazes trnent titre posthume sur les posters et lesfresques allgoriques consacrs aux glorieux martyrs de la nation.Cette douteuse conscration galitaire via la mort volontaire inspire des envoles lyriques des centaines de femmes musulmanes en qute de libert et dgalit du genre.

d) Corporit de la femme : du corps voil au corps martyrIl existe, au sein de la culture musulmane, un lien constant entre le corps fminin et unepluralit denjeux sociaux, politiques et religieux. Le corps fminin est souvent un emblmede la politique en vigueur et finit par constituer un objet de jurisprudence comme un autre,susceptible en permanence dtre ramnag en fonction des intrts stratgiques en jeu :corps maternel sacr comme stratgie dmographique en Palestine, corps voil pourprserver lidentit face au colonisateur durant les luttes de libration nationale, corpsdvoil, modernis , soumis aux techniques de la contraception pour amorcer la bombedmographique et rattraper le convoi de la civilisation aprs lindpendance. Le corpsfminin est actuellement lenjeu principal de lislam politique qui lutilise comme icne de sacommunaut, dont le corps social se confond avec le corps de la femme. Son projet dun

monde en ordre, intgre et conforme au Coran et la Sharia, repose sur la domination et lalibre disposition des femmes. Dabord et avant tout autre chose, dans un monde idal, ellessont destines assurer la reproduction selon les normes dfinies par les hommes, servirlensemble du corps social, et cela dans la dpendance, la limitation de leur mobilit et lacontrainte.Cette corporit illustre la fonctionnalit du corps fminin, qui revt une dimensionfortement utilitariste. Le corps martyris de la kamikaze illustre, par excellence, cettechosification du corps fminin. Je voulais que les morceaux dchiquets de mon corpssenvolent dans toutes les directions , dclarait une femme kamikaze dans unenregistrement vido diffus aprs sa mort.

e) Internet et le cyberterrorismeLa plupart des sites Internet destins aux femmes prsentent un islamisme insidieux etcontenu. On y trouve des textes thologiques, des recettes de cuisine dittiques, des conseilsde dcoration et dhygine ou des recommandations pour lducation des enfants, maissurtout une vision simpliste, rigoriste et austre de la religion musulmane. Tous ces sitesmettent en exergue les narrations du Coran et limitation du Prophte afin de donner auxmusulmanes des exemples et des guides de bonnes conduites pieuses au quotidien, pourquelles trouvent le droit chemin dans la vie moderne.Le site fminin La caravane des prdicatrices (www.gafelh.com) propose ses internautesun cours spcial : comment procder au lavage rituel dune dpouille de femme, commentlenvelopper dans son linceul, comment lorienter dans lespace, etc. Lobjectif didactique dece cours macabre est de les accabler et dvoquer lau-del et la vie ternelle.

Le site al-Khansa , qui sadresse galement aux femmes, prodigue des conseils en matirede secourisme et donne des instructions pour le Jihad islamique. Quant au site


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Moujahidat , il propose un protocole dentranement militaire de 8 semaines avec pourobjectif dapprendre aux musulmanes concilier vie familiale et Jihad !La fondation As Sahab ( Fondation for Islamic Media Publication), lagence decommunication extrieure dal-Qada, diffuse sur ces sites fminins des cassettes et desvidos de propagande des prches dOussama ben Laden. Cet arsenal mdiatique comprendde petits films de guerre mettant en scne des Jihadistes musulmanes en pleine action dansdes pays comme lAfghanistan, lIrak, la Bosnie ou la Tchtchnie. En dautres termes, cessites offrent une interprtation des versets coraniques choisis dlibrment pour inciter lesfemmes la violence et au Jihad.Toute une culture de la mort y trouve un terreau fertile pour proposer une fin heureuse : lachahada. Sa finalit est de cultiver la martyrologie par la diffusion post-attentat desprofessions de foi des kamikazes, entretenant ainsi l'image des hrones et des rsistantesdans l'inconscient collectif des femmes.

Par ailleurs, lorsquon procde lanalyse smantique des pseudonymes utiliss par lesfemmes internautes dans les forums de discussion, on constate quils refltent, pour laplupart, une identit unidimensionnelle et martyrise : lumire de lislam , rose delislam , lumire du monothisme , celle qui aime le Coran , celle qui aime leProphte , parfum du paradis , la pudique , celle qui porte le hijab , lacombattante , la fidaiyya , celle qui soutient la Palestine , celle qui soutientlIrak ,etc.Lidentit impose quivaut une sorte dalination de soi, car ces femmes ne peuvent pasprendre conscience de leur identit partir de ce quelles possdent, mais par ce dont ellesont t prives.Le rseau Internet instaure des liens entre des individus isols et atomiss, crant le fantasmedune communaut musulmane idale, cest--dire juste, galitaire, libre et universelle danssa simplicit et sa puret, et renforce la doctrine de el wala wa al bara : dune part, il tissedes liens virtuels intenses avec les dignitaires et, dautre part, il favorise la rupture avec lemonde rel.

6) Dficit de citoyennet et extase de la violence

Le Jihad offre aux musulmanes une confiance en soi, ladmiration des autres, des motionsfortes et le sentiment davoir un but.Lorsquelle est touche par la misre affective et le dnuement culturel, la femme est dsensibilise. Elle a, ds lors, besoin dextases plus fortes quune femme sensible, vivante,citoyenne, participant activement la vie de sa communaut. La propagande virtuelle peutalors dvoyer laltruisme, le dvouement une cause, le sentiment dappartenance, etcautionner lassassinat et la violence. En outre, ce terrorisme fminin, propuls grandechelle grce aux mdias modernes, est soutenu par la grande majorit des militantesislamistes fondamentalistes, qui sont trs fires des actions de leurs surs, interprtes

comme le symbole de lmancipation de la femme musulmane. Leurs actes terroristesdmontrent que la femme islamiste est capable de dfier les pouvoirs en place, de sesubstituer aux hommes et que leur Jihad ne passe pas obligatoirement par la procration et lareproduction de la Oumma musulmane.Le sacrifice, comme la montr Ren Girard, est toujours un fait collectif qui rassemble lescommunauts conscientes dassister un acte fondateur15, et cest ce qui explique lafascination quil exerce sur les masses.

15 GIRARD Ren, La violence et le sacr, Paris, Grasset, 1972.


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Conclusion

Si limage de la femme commettant un attentat suicide est contraire aux strotypes et auxconceptions classiques de la religion musulmane, elle nest pas pour autant le signe dunequit des genres mais le reflet de la crise profonde dans laquelle le monde arabo-musulmanest plong. Le suicide est parfois la tactique choisie lorsque la femme na plus dautresalternatives pour provoquer un changement dans son environnement personnel.Actuellement, le dficit dmocratique dont souffre le monde arabe et musulman, lambigutdes droits positifs modernes du statut personnel, la fois conservatoires de lidentitreligieuse nationale dont les femmes et la famille sont la matrice et vecteurs de latransformation du code religieux et du changement social, fragilisent la condition fmininedans ces pays. Cette fragilisation conomique, politique et psychologique est un terreau pourla propagation de lidologie jihadiste qui instrumentalise les femmes kamikazes.

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