Le Mythe de l'automobile; The UNESCO Courier: a window open on ...

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OCTOBRE 1990 de l'automobile M 1205 -9010 15.00 F

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OCTOBRE 1990

de l'automobileM 1205 -9010 15.00 F

_lconfluences four cette rubrique « Confluences », envoyez-nous une photo

(composition photographique, peinture, sculpture, ensemblearchitectural) où vous voyez un croisement, un métissage créateur,entre plusieurs cultures, ou encore deux de provenanceculturelle différente, où vous voyez une ressemblance, ou un lienfrappant. Accompagnez-les d'un commentaire de deux ou troislignes. Nous publierons chaque mois l'un de vos envois.

A PIEDS JOINTS

1990, gravure en taille

douce (30 x 40 cm) de

Denise Fernandez Grundman

L'artiste peintre

française a voulu

représenter le sautdans la modernité

de cette jeune

Africaine, qui laissederrière elle ses

coutumes ancestrales.

r

OCTOBRE 1990M M

Ami lecteur.

L'aventure n'a plus d'horizon

géographique. Il n'y a plus de

continents vierges, plus

d'océans inconnus, plus d'îles

mystérieuses. Et cependant, les

peuples demeurent par bien

des côtés étrangers les uns auxautres, et les coutumes, les

espérances secrètes, les convic¬tions intimes de chacun d'eux

continuent d'être largement

ignorées par les autres...

Ulysse n'a donc plus d'espace

physique à parcourir. Mais il a

une nouvelle odyssée à entre¬

prendre, d'urgence l'explo¬

ration des mille et un paysagesculturels, de l'infinie variété des

pensées et des sagesses vivan¬tes ; la découverte des multi¬

ples de l'homme.

C'est cette odyssée que vous

propose Le Courrier de ¡'Unesco

en vous offrant chaque mois unthème d'intérêt universel,

traité par des auteurs de natio¬

nalités, de compétences, desensibilités différentes. Une tra¬

versée de la diversité culturelle

du monde avec pour boussole

la dignité de l'Homme de

partout.

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LE MYTHE DE L'AUTOMOBILE

UNE PASSION DÉVOYÉEpar Jean-Francis Held 10

LA VITESSE, UN ÉLAN DE BONHEURpar Françoise Sagan 15

NOSTALGIE

par Mahmoud Hussein 16

LA PREMIÈRE FORDpar John Steinbeck 20

EN CONDUISANT LE DRAGON

par Julio Cortázar 20

LA RÉVOLUTION AUTOMOBILEpar Robert Braunschweig 22

LA DÉESSEpar Roland Barthes 24

L'INDISPENSABLE FLÉAUpar Nicolas Langlois 27

SEX DRIVE

par Stephen Bayley 30

L'ART SUR LA ROUTE

par Moira F. Harris 31

ÉTATS-UNIS : DES VOITURES DE RÊVE,LES « KUSTOM CARS » 32

L'AUTOMOBILE ENTRE DANS L'HISTOIRE

par Alvaro Casal Tatlock 36

Entretien avec

CLAUDE

LÉVI-STRAUSS

EN BREF DANS

LE MONDE... 41

UNE NOUVELLE RUBRIQUE :

MÉMOIRE DU MONDE

La Convention du

patrimoine mondial :un instrument originalpour une idée neuve 44

Un indivisible héritagepar Azedine Beschaouch 45

Les campagnesinternationales de sauvegardedu patrimoine mondialpar AbtMkaderBrahim Errahmani 46

322 hauts lieux

du monde 48

ANNIVERSAIRE

La grande bibliothèque duroi Mathias 49

LE COURRIER

DES LECTEURS 50

URUGUAY : UN MUSEE SUR ROUES 38

Notre couverture :

Hispano, 1986, sculpture enbronze poli par EmmanuelZurini.

Photo © Jean-Loup Princelle.

Couverture de dos :

Échangeur autoroutier enCalifornie.

Claude Lévi-Strauss

Vous êtes l'auteur d'une puvre considérable, à laquelle onse réfère désormais dans le monde entier. Célébrité oblige

ceux qui connaissent votre nom sont beaucoup plus nom¬breux que ceux qui connaissent votre C'est pour¬quoi nous sommes tentés, pour le grandpublic internationalqui est le nôtre, de vous poser des questions premières, élé¬mentaires sur les moments essentiels de votre réflexion.Mais d'abord, quelques mots sur votre itinéraire personnel,sur vos débuts...

Au vrai, je n'ai pas commencé à écrire très tôt. J'ai euune carrière un peu incertaine. Après avoir entrepris desétudes de droit, je les ai abandonnées pour la philosophie,dont je me suis détourné pour me consacrer d'abord à lasociologie c'est commme professeur de sociologie que jesuis allé enseigner à l'université de Sào Paulo, au Brésilet, enfin, à l'ethnographie. C'est seulement pendant la guerre,alors que j'étais réfugié aux Etats-Unis, que j'ai commencéà écrire. Double travail. D'un côté j'ai exploité une partiede mes matériaux de terrain concernant les Nambikwara,

de l'autre, j'ai commencé ma réflexion théorique en écri¬vant Les structures élémentaires de la parenté.

Ces premières recherches théoriques n'allaient sans doutepas sans inquiétudes...

Plutôt que d'inquiétudes, je préférerais parler d'incerti¬tudes. Ce serait plus exact. Ma pensée théorique s'orientaitalors dans une certaine direction que je ne faisais qu'entre¬voir. Puis j'ai rencontré aux Etats-Unis, en 1942, le linguisteRoman Jakobson et j'ai découvert que ces idées floues exis¬taient, sous la forme d'un corps de doctrine déjà constitué,en linguistique structurale. Je me suis senti aussitôt rassuré.Nous enseignions alors tous les deux à l'Ecole libre des hautesétudes de New York sorte d'université en exil qui avaitété fondée par des savants réfugiés, français ou de languefrançaise. Nous suivions nos cours respectifs. Dans l'ensei¬gnement de Jakobson, j'ai trouvé les grands principes d'inter¬prétation dont j'avais besoin. De son côté, il m'a encouragéet m'a même incité à pousser plus avant mes cours sur laparenté.

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Maître incontesté de l'anthropologie contemporaine,

à laquelle il a donné une nouvelle méthodologie,

l'analyse structurale, Claude Lévi-Strauss retrace

ici son itinéraire intellectuel et évoque

quelques-uns des grands thèmes de son .uvre.

Cours qui ont abouti à un livre...Oui, à mon premier grand livre, qui fut aussi ma thèse

de doctorat d'Etat, Les structures élémentaires de la parenté.

Quelles coïncidences avez-vous donc trouvées entre la lin¬guistique de Jakobson et les travaux ethnographiques quevous meniez à l'époque ? C'étaient deux disciplines fortdifférentes...

Les différences sont énormes. Je ne cherchais nullementà transposer mécaniquement, en ethnologie, ce que faisaitla linguistique. C'était plutôt une même inspiration d'ensem¬ble. Avec ce sentiment très clair, dès le départ, que nous neparlions évidemment pas des mêmes choses et que nous nepouvions parler pareillement de choses différentes. Mais lalinguistique a confirmé deux points qui avaient été, jusque-là, encore flous dans mon esprit.

Le premier, c'est que, pour comprendre des phénomènestrès compliqués, il importe plus de considérer les rapportsqui existent entre eux que d'étudier isolément chacun de cesphénomènes. Le second^ c'est la notion de phonème, telleque l'a développée Jakobson. Les phonèmes sont des sonsdistinctifs tels que, par exemple, en français, e, t, q, a,b,c qui ne signifient rien en eux-mêmes. C'est la manièredont on les combine pour faire des mots qui permet de dif¬férencier les significations p et t ne veulent rien dire,mais servent, en français, à différencier pas de tas.

Cette idée m'a paru extrêmement féconde. Encore une

fois, il ne s'agissait pas de comparer les faits ethnologiquesà des phonèmes ce sont des réalités qui ne sont pas dumême ordre. Mais lorsque j'essayais, par exemple, de com¬prendre l'extraordinaire diversité, en apparence arbitraire,des règles de mariage qui prévalent dans telle ou telle société,je ne me posais plus la question que l'on s'était posée jusque-là : que veut dire cette règle, prise en elle-même, à l'intérieurde cette société ? Je considérais, au contraire, que cette règlene signifiait rien en soi, mais que la façon dont l'ensembledes règles se combinent entre elles, en s'opposant ou, àl'inverse, en se juxtaposant, était un moyen d'exprimercertaines significations. Ces règles servaient, par exemple,à formuler ou à mettre en vigueur des cycles d'échanges àl'intérieur du groupe social. Cycles d'échanges qui sont eux-mêmes signifiants et qui varient d'une société à une autre.

Pour résumer cette nouvelle méthode...

Disons qu'il y a, dans toute société humaine, des ensem¬bles de premier ordre le langage, la parenté, la religion,le droit, pour ne prendre que ceux-là. Dans un premier stadede la recherche, sans doute est-il bon et prudent de lesconsidérer comme autant d'unités séparées. Mais, dans unsecond stade, il faut se demander quels rapports peuventexister entre ces unités de premier ordre et les unités, pluscomplexes, de second ordre, qu'elles constituent par leurscombinaisons. On en arrive ainsi progressivement à cettenotion de « fait social total » dont parlait Marcel Mauss. Yinterviennent diverses représentations, à la fois linguistiques,juridiques, religieuses, et autres.

Mais cela à l'intérieur d'une société donnée, prise commetotalité...

Dans un premier temps, oui. Mais on essaie ensuite decomprendre les rapports de corrélation et d'opposition quipeuvent exister entre sociétés voisines ou éloignées.

Vous avezparlé de sociétés « chaudes » et de sociétés «froi¬des » pour différencier des sociétés à volonté historique etdes sociétés à vocation statique...

Ce sont des pôles théoriques. Toutes les sociétés, en réa¬lité, se situent à des échelons intermédiaires. Les sociétés dites

« primitives » ne le sont pas du tout. Elles ont pour idéalde ne pas changer, de rester dans l'état où les dieux, à l'ori¬gine des temps, les ont créées. Bien entendu, elles n'y réus¬sissent pas : elles aussi sont dans l'histoire. Mais elles ontune tendance à neutraliser les changements, à maintenir unétat idéal celui que représentent les mythes. Au contraire,dans les sociétés que j'ai appelées « chaudes », nous essayonsde nous définir par opposition à nos ancêtres. Donc, le chan¬gement est beaucoup plus rapide. Nous ne connaissons passeulement l'existence de l'histoire, nous voudrions, avec la

connaissance que nous avons de notre passé, réorienter l'ave¬nir, légitimer ou critiquer l'évolution de notre société. L'his¬toire, pour nous, est un élément même de notre consciencemorale.

Voulez-vous préciser la notion de mythe, telle que vous laprésentez dans votre somme des Mythologiques ?

Au départ, le mythe est une notion très souple. Pour unIndien américain, le mythe, c'est une histoire du temps oùles hommes et les animaux n'étaient pas distincts. Cette défi¬nition me semble d'une grande sagesse. Car, malgré les effortsdéployés par la tradition judéo-chrétienne, aucune situationne paraît plus tragique, pour le csur et l'esprit, que celled'une humanité qui coexiste avec d'autres espèces vivantes,sur une terre dont elles partagent la jouissance, sans pou¬voir communiquer avec celles-ci. Les mythes refusent de tenircette tare de la création pour originelle ; ils voient dans sonapparition l'événement inaugural de la condition humaine.Le mythe, à l'opposé de la méthode cartésienne face à unproblème, refuse de diviser la difficulté, n'accepte jamais deréponse partielle, aspire à des explications englobant la tota¬lité des phénomènes.

J'ai tenté, pour ma part, de voir le rôle que le mythejoue dans la pensée des membres d'une société. J'ai essayéde dégager sa logique interne avant de m'interroger, dansune seconde étape, sur sa fonction sociale. Dans toutes lessciences se pose un problème qu'on pourrait définir entermes biologiques, comme le rapport entre l'anatomie etla physiologie, entre la manière dont un organisme estconstitué et la manière dont il fonctionne. Bien entendu,

les mythes fonctionnent à l'intérieur des sociétés ils rem¬plissent un rôle. Mais avant de se demander comment ilsfonctionnent, il faut savoir comment ils sont faits, il faut

Oeuvres de Claude Lévi-Strauss

La vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara, Société des américanistes,Paris 1948.

Les structures élémentaires de la parenté, P.U.F., Paris 1949.Race et histoire, Unesco, Paris 1952.

Tristes tropiques. Pion, Pans 1955.Anthropologie structurale, ibid. 1958 ; Le Totémisme aujourd'hui, P.U.F, 1962.La Pensée sauvage. Pion, 1962.Mythologiques. t.l : Le Cru et le Cult, ibid. 1964 ; til : Du Miel aux Cendres.ibid, 1967 ; till : L'Origine des manières de table. Ibid., 1968 ; tIV : L'Hommenu, ibid., 1971.

La Voie des masques, 2 vol. Skira, Genève 1975.Myth and Meaning, Rout/edge * Kegan Paul, Londres 1978.Le regard éloigné. Pion. 1983.

connaître leur anatomie. Nous n'aurions pu avoir Darwinsi Cuvier ne l'avait précédé. Mes Mythologiques correspon¬daient au stade de Cuvier : il s'agissait de faire l'anatomiedes mythes.

Vous avez donné deux conférences à l'Unesco, à vingt ansd'intervalle, la première intitulée « Race et histoire », laseconde « Race et culture ». Peut-on dire que, de l'une àl'autre, votre principalepréoccupation aura été de réconci¬lier la notion de progrès avec le principe de relativismeculturel ?

La notion de progrès implique l'idée que certaines culturessont supérieures à d'autres, en des temps ou en des lieuxdéterminés, les unes ayant produit des dont les autresauraient été incapables. Selon le relativisme culturel, qui est

Indien donnant l'attaque

(1827), huile du peintrefrançais Jean-BaptisteDebret, reproduite sur

l'affiche de l'exposition« Les Amériques de

Claude Lévi-Strauss » (Paris,octobre 89 avril 90).

Cl-contre, masque desIndiens Tllnglt, Colombiebritannique (Canada).Ci-dessous, coiffure frontale

en bols peint des IndiensMakah. Washington(Etats-Unis).

une des bases de ma réflexion ethnologique, aucun critèrene permet de décréter, dans l'absolu, qu'une culture est supé¬rieure à une autre. Si des cultures « bougent » tandis qued'autres ne « bougent pas », ce n'est pas en raison d'une supé¬riorité des premières sur les secondes. C'est parce que cer¬taines circonstances historiques suscitent une collaborationentre des sociétés, non pas inégales, mais différentes. Cescultures se mettent alors en mouvement en s'imitant ou en

s'opposant les unes aux autres ; elles se fécondent et se sti¬mulent mutuellement. En d'autres périodes ou en d'autreslieux, il arrive que des cultures restent isolées comme desmondes clos et connaissent une vie stationnaire.

La fonction de l'art n'est-elle pas également différente d'uneculture à l'autre ? Dans les sociétés que vous appelez«froides», elle est plus collective.

C'est dû, je crois, au fait que l'art y est intimement liéaux croyances collectives. L'art, dans ces sociétés, n'a pointpour but la jouissance particulière d'individus ou d'ungroupe. Il a une fonction, qui est d'assurer la communica¬tion entre la société et un monde surnaturel auquel croienttous ses membres. L'art remplit donc ici une fonction indis¬pensable au groupe.

Une fonction sociale...Sociale et religieuse. Dès lors que la religion, les croyances,

sont partagées par la totalité du groupe, on ne peut disso¬cier les deux aspects.

Cette fonction n'existe plus dans les sociétés « modernes ».crois que c'est essentiellement lié à la disparition d'une

grande foi commune. Nos sociétés ont perdu cette capacitéd'une grande croyance collective, d'un grand élan commun.

N'est-ce pas une des formes que prend la coupure instau¬rée, entre l'individu et le monde, par la culture occiden¬tale à travers sa propre histoire ?

En isolant l'homme du reste de la création, l'individua¬

lisme occidental l'a privé d'un glacis protecteur. Dès lors

que l'homme croit ne plus avoir de limite à son pouvoir,il en vient à se détruire lui-même. Pensez aux camps deconcentration. Sous une forme plus insidieuse mais auxconséquences tragiques, cette fois, pour l'humanité toutentière, pensez aux problèmes de l'environnement.

Comment jugez-vous aujourd'hui le résultat de vos recher¬ches par rapport à vos débuts ï Comment voyez-vous le che¬min parcouru ?

J'ai l'impression d'avoir toujours fait la même chose, enessayant d'étudier des domaines différents avec la mêmeapproche. J'avais commencé par m'attaquer à des problè¬mes d'organisation familiale et sociale. Puis, par le hasarddes circonstances, j'ai été amené à occuper une chaire de reli¬gion des peuples sans écriture à l'Ecole pratique des hautesétudes. Je me suis donc tourné vers les faits religieux, en par¬ticulier vers la mythologie. Les problèmes à résoudre étaientencore plus ardus que ceux de la parenté domaine danslequel on avait déjà beaucoup travaillé, même si ce n'étaitpas, à mes yeux, de façon satisfaisante. A part de vieilles théo¬ries extrêmement confuses, dont tout le monde percevaitle caractère démodé, les mythes étaient un domaine d'étudequasi vierge encore. J'excepte, bien entendu, l' pion¬nière de Georges Dumézil, mais qui explorait le champ cir¬conscrit de la mythologie indo-européenne.

Les problèmes soulevés par ce nouveau travail étaientdu même ordre que le précédent. De même que les règlesde mariage des différentes sociétés que j'avais étudiées parais¬saient arbitraires, de même les mythes semblaient incom¬préhensibles, voire absurdes. Or, quand on compare desmythes de populations différentes, parfois très éloignées, ons'aperçoit qu'ils ont des caractères communs. Il s'agissait pourmoi, après avoir essayé de mettre un peu d'ordre dans lechaos des règles de parenté et de mariage, d'en mettre dansle chaos de la mythologie. Et, en m'inspirant des principesque j'avais définis au départ, de chercher à comprendre ceque les mythes voulaient dire.

Ce travail de longue haleine m'a occupé pendant vingt-cinq ans à cause du volume énorme de matériaux qu'il m'afallu absorber. La littérature ethnographique contenait unemasse de mythes que les ethnologues, depuis un siècle,avaient recueillis avec un zèle admirable, puis transcrits enun corpus de publications dont personne ne faisait rien.J'avais le sentiment de trouver là un matériel encore plusriche que celui dont nous disposons pour la Grèce et pourla Rome antiques. « Voilà deux mille ans, me disais-je, quedes commentateurs se penchent sur les croyances des Grecset des Romains, sans avoir épuisé la matière et en trouvantsans cesse de nouvelles interprétations. » Aussi ai-je essayéd'exploiter ce continent inexploré de documents sur les Amé¬riques du Nord et du Sud. J'espère avoir réussi à montrercomment est construit le discours mythologique des Indiensaméricains.

Propos recueillis par Manuel Osorlo, Journaliste péruvien.

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Chaîne de montage (1968).

'e n'est pas par hasard que l'automobile est aujourd'hui le premier

des symboles de la société moderne. Elle est, à la fois, au c de son

imaginaire et au principe de son dynamisme industriel. Elle scande pour

une large part les rythmes de sa vie économique et détermine ainsi un

vaste champ de normes, de pratiques, de comportements individuels et

collectifs qui sont devenus, pour le meilleur et le pire, autant de traits

marquants du 20e siècle.

Les grands fabricants de voitures sont aussi les phares du capitalisme.

Daimler et Benz en Allemagne, Citroën en France, Ford aux Etats-Unis.

La standardisation et la fabrication à la chaîne, introduites par ce dernier,

devaient permettre de baisser les coûts de revient et d'offrir ce produit,

qui était au départ un objet de luxe, à la consommation de masse.

Mais si la demande a répondu à l'offre et que l'automobile est devenue,

en quelques décennies, le moteur de l'économie de marché, c'est qu'elle

satisfait à un ensemble de besoins et de désirs, d'exigences et de

phantasmes, qui définissent à merveille le projet de l'individu moderne :

recherche d'une liberté de mouvement personnelle, surmultipliée par la

puissance d'un moteur parfaitement contrôlé. Le cheval est laissé loin

derrière...

Une liberté maîtrisée... Mais le mariage peut-il être parfait, entre le rêve

et l'industrie ? N'y a-t-il pas illusion à croire que l'homme peut lier sa

liberté à la possession d'une machine, sans, un jour, être à son tour possédé

par elle ?

L'automobile

est un objetde désir et

de rêve,mais le rêve,

perverti,tourne au

cauchemar...

10

JEAN-FRANCIS HELO,

journaliste français, estdirecteur de la rédaction à

L'Evénement du jeudi depuissa fondation en 1984. Il est

l'auteur de plusieurs ouvrages

de fiction et d'essais, dont

plusieurs sont consacrés

au phénomène de l'automobile

dans la société.

Une passion dévoyéePAR JEAN-FRANCIS HELD

«L bondit jusqu'au ciel ! Quand je le monte,je plane ! » Et encore : « Mon cheval est ma maî¬tresse... » C'est dans Henry V, de William Shakes¬peare. Le Dauphin de France, un imbécilevaniteux, délire sur son destrier, à la veille de labataille d'Azincourt.

Le cheval, alors qu'il va être question dechevaux-vapeur ? Remonter à la guerre de CentAns pour décortiquer la modernité ? Normal. Lavitesse hante depuis toujours notre imaginaire,surtout celui des mâles avides de prolonger leurspetites jambes avec des bottes de sept lieues.Dévorer l'espace terrestre, depuis les chars de Pha¬raon jusqu'à la diligence de la Chevauchéefantas¬tique, c'est une prétention immémoriale. Lalitanie shakespearienne du Dauphin fou de chevalse psalmodie encore aujourd'hui, presque motpour mot, dans les bars de Rome, de Paris ou deKansas City. Sauf qu'il s'agit de Porsche ou deFerrari.

L'automobile a exaspéré cette hantise, elle l'arendue universelle. Une route, quatre roues, unvolant et, sous le capot, une force surhumaine quele bout du pied droit peut déchaîner : c'est bienplus que le parcours d'un point à un autre unsentiment très fort, un idéal d'évasion loin des

pesanteurs matérielles et collectives. L'espace estdominé. Le temps est maîtrisé. Le cheval, lui, étaitdonné par la nature. L'automobile, au contraire,est un produit intégralement humain, une volonté

manufacturée. Jamais objet n'a été aussi riche¬ment chargé de sens. La littérature, le cinéma etmême l'art moderne en font leurs choux gras.L'auto caractérise l'homme, et inversement. Si

demain, après un cataclysme nucléaire, quelquehabile archéologue du futur découvre une collec¬tion de voitures épargnées au fond d'un garage-mausolée, il pourra en déduire tout ce que nousfûmes.

Exemple récent de la représentativité automo¬bile : la Trabant, érigée en symbole de la réunifi¬cation des deux Allemagnes. Cette poussive

Père et fils. machine a gagné sa place dans les musées. Ellerésume l'échec totalitaire et les frustrations quil'ont marqué comme les Mercedes et lesB.M.W. illustrent la réussite de la « libre entre¬

prise » capitaliste, avec son orgueil cossu et si sou¬vent impitoyable. Avant la Première Guerremondiale, le président des Etats-Unis WoodrowWilson voyait clair : « Rien n'a favorisé autantque l'automobile la propagation des idées socia¬listes ; elle symbolise l'arrogance de la richesse. »Retour du bâton : la Trabant exprime, elle,l'humiliation de la misère.

Un symbole standardisé

Avant cela, l'auto était devenue le gri-gri occi¬dental. Le tiers monde et les ex-colonies en sont

restés intoxiqués, jusque dans leurs fibres : la Mer¬cedes là où régnaient les Allemands, la Peugeot« chez » les Français, la Land Rover « chez » lesAnglais. Le temps passé n'y change rien oupresque. Les Japonais ont beau conquérir les mar¬chés, la marque, culturellement, reste indélébile.Après le fusil, la voiture a été comme une armeblanche pour devenir fort, riche et rapide àl'image des Blancs. Une sorte de véhicule néo¬colonialiste...

L'expression automobile varie selon les cultu¬

res et les nations. Pourtant, le passage de l'arti¬sanat à la rationalité industrielle a peu à peu niveléles personnalités. Il n'y a plus guère d'« esprit »mécanique latin, germanique ou britannique.Jadis, l'éthique Bugatti ou Alfa-Romeo ne pouvait

être confondue avec le style Bentley ou Mercedes.Ettore Bugatti en personne se moquait desBentley qui, au Mans, écrasaient ses légers pur-sang bleu de France : « Peuh, ce sont les camionsles plus rapides qui aient jamais roulé... »Aujourd'hui, les bolides de course se ressemblent,ils obéissent aux mêmes paramètres. Pareil pourles voitures de monsieur Tout-le-Monde. Elles se

conforment aux impératifs économiques, techni¬ques et commerciaux dictés par l'ordinateur apa¬tride. On ne sait plus très bien si on est dans uneFiat, une Opel, une Renault ou une Austin. Lapoésie y perd. Le Japon, lui, n'est pas gêné parses traditions : il fait de bonnes voitures, un pointc'est tout. Seule l'Amérique produit encore quel¬ques carrosses vraiment américains, mais jusqu'àquand ?

La libido prend le volant

L'objet-auto devient standard. Oui, mais pasla manière de s'en servir. Dis-moi comment tu

conduis, je te dirai qui tu es. Il y a, au volant, desclivages individuels selon les tempéraments. Selonle sexe aussi : plus détachées, les femmes sont surla route moins redoutables que les hommes,avides de suprématie. Mais, surtout, la conduiteest un test de civilisation. Les Italiens, les Alle¬mands, les Français ou les Anglais ont des stylesrespectifs, où se reflète leur morale. Les nationsplus récemment acquises à l'auto se donnent peuà peu une doctrine. Au contraire, à part quelquesfoucades du genre gangster ou James Dean, les 11

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Américains, mieux rodés, brûlent peu de libidosur l'autoroute. Cependant, d'un bout du mondeà l'autre, apprivoisés ou non, les fantômes sontlà. Jamais loin.

'Un homme rêve qu'il pilote un cabrioletrouge au long capot puissant. Une côte se pré¬sente, jusqu'à l'horizon. Voilà que le moteurcafouille, ratatouille. Le rêveur s'éveille trempéde sueurs d'angoisse. Pas la peine d'avoir lu Freudpour découvrir la clé libidinale du songe ! Lespsychanalystes savent bien quelle place tientl'auto dans notre paysage inconscient. L'hommes'identifie à cet instrument de puissance, il y étendl'espace de sa personne. Toucher à son corps demétal, c'est l'agresser ; faire obstacle à sa trajec¬toire, c'est une atteinte castratrice à la toute-

puissance de son Moi.Passe encore que l'auto soit ainsi érotisée :

dans toutes les civilisations converties à l'Occi¬

dent, elle est objet de séduction comme ailleursles cornes du cerf, la crinière du lion ou les plumesdu paon. Les belles voitures fascinent les dames,pas forcément les mieux avisées. Il n'y a pas silongtemps, les dragueurs français parlaient, avecun clin d'ceil égrillard, de leurs « aspirateurs ànanas »...

La complicité entre l'automobile et le désirest brûlante, les publicitaires en jouent. Plus spon¬tanément, il y a vingt ans, le glissement desgrandes limousines américaines vers des dimen¬sions plus modérées disons des normes presqueeuropéennes a coïncidé avec le dégonflage desénormes seins arborés jusque-là par les pin-up decertains magazines. Aucun des sociologues qui,bien sûr, sont attentifs aux avatars de l'auto, n'ya vu un pur effet du hasard.

Vous n'êtes pas convaincu ? Demandez-vouspourquoi l'immense majorité des conducteurseuropéens refuse la boîte de vitesses automatique,alors que les Américains l'ont adoptée en masse.C'est que les uns et les autres ne placent pas leursusceptibilité virile au même endroit. Chacun sonlevier, ça ne fait de mal à personne.

Le jouet perverti

Mais là où tout se gâte, où les cadeaux amoureuxde l'auto deviennent empoisonnés, c'est quand lemariage tourne mal quand les frustrations,

12 réelles ou imaginaires, de l'homme envahissent la

Berline Cadillac, 1960.

machine pour en faire un recours, une compen¬sation, voire une arme. C'est fréquent. La placede l'auto est tellement envahissante dans le rêve

de chacun, qu'on pouvait bien s'attendre à le voirinversé en cauchemar. Il arrive qu'un conducteurexaspéré par le défi de son ennemi, l'homme del'autre voiture, passe des insultes aux voies de fait,ou qu'il exécute pour se « venger » des mantu¬vres dangereuses, des agressions mortelles aux¬quelles il n'oserait même pas penser une foisredevenu piéton et civilisé. Les enfants hurlentde terreur, la sirène des ambulances retentit ? Tant

pis ou tant mieux, je fonce, je double, ça passeou ça casse.

On peut être passionné d'automobile, y voirle plus merveilleux des jouets jamais imaginés parl'homme, et se poser, aujourd'hui surtout, quel¬ques questions. La mariée est devenue trop belle

elle tend à se transformer en mégère, enmarâtre, en vampire. Les raisons de cette terriblemétamorphose sont assez claires, même si lesremèdes, eux, restent problématiques.

Quand il se réalise, le rêve tient rarement sespromesses. Du temps des Bugatti, disons entre lesdeux guerres mondiales, l'auto était pour lecommun des mortels un idéal inaccessible. Même

dans les années 50, les Européens, en voyant desfilms américains comme Les raisins de la colère,

n'arrivaient pas à comprendre qu'on puisse êtremisérable et rouler en voiture. L'auto nous était

promise, pour demain ; elle était due ; elle appor¬terait la liberté, le statut individuel jusque-làréservé à la bourgeoisie, le bonheur. Et puis, avecvingt ans de retard sur le Nouveau Monde, l'Occi¬dent enrichi a enfin gagné « ses » voitures. Hélas,quand tout le monde est privilégié, il n'y a plusde privilège. Les individus au volant sont devenusfoule : ils le supportent mal. Le désenchantementné de l'excès engendre de redoutables névrosescollectives. Elle sont passées dans lesmCeuxqui dénoncent la pathologie crient au désert, tantl'aberration est banalisée.

Ce désenchantement ne fait aucun doute. Où

est-il l'exquis cadeau exclusif qu'on me promet¬tait hier ? En dix ans, le parc mondial de véhicules

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a augmenté de 30%. Si on laisse entre parenthèsesles pays les plus pauvres qui en sont encoreau mieux ! à l'imaginaire mécanique, c'esteffrayant. 70% de gonflement en Espagne, 51%au Japon et ainsi de suite. La marée est moins bru¬tale chez les nations industrielles d'Europe, déjàau seuil de la saturation. Rien qu'en France, 5%d'augmentation de trafic, 2,5% de croissance duparc : c'est énorme.

Le cauchemar mécanisé

Mathématiquement, si tout le monde, ou presque,peut posséder une auto, il n'est pas question delancer au même moment ces centaines de millions

de véhicules dans l'espace public. Ils s'empile¬raient en montagnes chaotiques. L'individualismelibertaire est donc révolu, surtout dans les villes.

Un traitement social de l'auto s'impose, forcé¬ment contraignant. Il est fort mal reçu par les usa¬gers cramponnés au « droit » de rouler coûte quecoûte.

Pourtant, peu à peu, insidieusement, l'absolulibéralisme motorisé a été rogné. Les deux « chocs

pétroliers » ont servi de prétexte à l'abolition demaints privilèges. On a, non sans mal, limité lavitesse, imposé le port de la ceinture de sécurité,marchandé le stationnement urbain. L'auto,

bridée contrairement à sa vocation fantasmatique,se désacralise. En principe...

Un grand pétrolier a même fait campagne untemps pour que la sainte voiture « descende deson piédestal » l'antiphrase du « tigre dans lemoteur », slogan pousse-au-crime d'un concur¬rent. On a osé, pour la première fois, parler desécurité plus que de performance en vain, tropsouvent... Prêts à tout pour vendre, les industrielscontinuent à fabriquer des bolides totalement ina¬daptés au trafic quotidien. Ils cèdent à la tenta¬tion de la publicité agressive, sachant fort bienque personne n'achète une machine capable dedépasser les 200 km/h pour rouler sagement à 130dans le morne troupeau des autoroutes.

Encore une fois, il y a autant de civilisationsautomobiles que de civilisations tout court. AuxEtats-Unis, les gens ont compris qu'il fallait jouerle jeu et, sauf exceptionnels paranoïaques, ils res¬tent des citoyens même quand ils ont un volant 13

La limousine la plus longuedu monde, commandéepar l'acteur nord-américainSylvester Stallone.

entre les mains. Ce n'est pas encore vrai, parexemple, en France : ce pays, par ailleurs fortcivil, dénombre plus de 10 000 morts par an surla route, ce qui lui vaut le sanglant ruban rougede la criminalité machinale.

Pourtant, si l'on ose dire, cette hécatombe

n'est pas le pire symptôme de l'aberrant détour¬nement de l'auto. On ne meurt qu'une fois. Maislà où les névroses sévissent le plus fort, là oùl'individualisme brimé se cramponne à sa toute-puissance, la vie quotidienne devient carrémentun enfer embouteillages monstres, gâchis detemps, d'argent, de nerfs, fins de semaine trans¬formées en épreuves d'impatience... Le civismedes gens résiste mal à l'exaspération. On tricheavec la loi, on resquille, on agresse, et le pouvoirpolitique, qui lâche démagogiquement du lest,voit sa respectabilité compromise. Voilà qui est

14

mauvais pour la démocratie. Quelle vertu espérerd'un citoyen qui, en quête forcenée de déchaîne¬ment individuel, se retrouve chaque jour fourmiparmi les fourmis d'une fourmilière en délire ?

Une longue psychothérapie

L'auto devait changer la vie. Elle l'a changée, eneffet, mais pas toujours pour le mieux. Le tempsdes libres aventures est loin... On a dû on

n'aurait pas dû ! bâtir des villes pour la voi¬ture. Voyez Los Angeles. Ce n'est pas vraimentune réussite. Les grandes cités du monde,anciennes ou modernes, sont dénaturées, polluéespar l'envahissement majoritaire des véhicules àmoteur. Rome, Paris, Mexico partout.

Alors, abominable, l'automobile que nousavons tant voulue, tant aimée ? Maudite à jamais ?Pas forcément. Mais pour nous en guérir, il faudraà la fois des remèdes de cheval et une longuepsychothérapie en finesse. Bref, du couragepolitique.

Limiter, sans doute. Eduquer les frustrés,pour le mieux-vivre de tous. Endiguer l'inonda¬tion des moteurs individuels pour frayer un librepassage à des transports dits (le vilain mot) encommun, à des nuées de taxis commodes, à tous

les systèmes que l'obsession automobile arabaissés au rang de pis-aller pour pauvres.Démontrer qu'il y a d'autres chemins que ceux,saturés, où sévissent la rage ou la résignation.Enfin, rendre à l'auto sa vocation de bonheur.

C'est aux Etats-Unis encore qu'il faut allerchercher les signes de l'espoir. Les Américains ontcompris, mieux ils ont intégré les règles de la loco¬motion de masse. Sagesse au volant, on l'a dit.Mais aussi, c'est pareil, début d'une césure entrel'auto-outil et Pauto-plaisir. Les car-pools, parexemple, ces rotations entre voisins qui partagent

Wt

le même véhicule pour se rendre à leurs bureauxdu centre-ville, c'est une idée géniale. Elle a del'avenir, sauf qu'elle hérisse les demeurés qui par¬tageraient plus volontiers leur femme que leurvoiture oh combien personnelle, pas malnon plus, la vieille idée de Nikita Khrouchtchev,mais oui, qui envisageait de créer de vastes parcsde location au lieu de fournir un talisman narcis¬

sique à chaque Soviétique. Comme c'est loin,tout ça...

Il faudra bien apprendre, ou réapprendre, às'amuser avec des voitures, à l'écart des routes où

l'on se transporte. Jouer avec des bijoux d'hier,hérités du temps où l'auto était merveille ; fairela course, dans des lieux prévus à cet usage, avecdes bolides, des tondeuses à gazon, des rouleauxcompresseurs ; se promener dans le désert, sansembêter le monde. Pour le reste, l'utile, le voyage,on préférera les salons de musique roulants, lesderniers endroits où l'on cause, aux chars d'assautféroces lancés sur la route ou le boulevard.

Triste ? Au contraire. Le salut de l'automo¬

bile. Et le nôtre, par dessus le marché.

La vitesse, un élan de bonheur PAR FRANÇOISE SAGANExtrait de Avec mon meilleur souvenir, © Editions Gallimard, Paris 1984.

WONTRAIREMENT à ce qu'on pourrait croire, lestempo de la vitesse ne sont pas ceux de la

musique. Dans une symphonie, ce n'est pas

l'allégro, le vivace ou le furioso qui correspond au

deux cents à l'heure, mais l'andante, mouvement

lent, majestueux, sorte de plage où l'on parvient

au-dessus d'une certaine vitesse, et où la voiture

ne se débat plus, n'accélère plus et où, tout au

contraire, elle se laisse aller, en même temps que

le corps, à une sorte de vertige éveillé, attentif,

et que l'on a coutume de nommer « grisant ». Cela

se passe la nuit sur une route perdue, et parfois

le jour dans des régions désertes. Cela se passe

à des moments où les expressions « interdiction »,

« port obligatoire », « assurances sociales »,

« hôpital », « mort », ne veulent plus rien dire, annu¬

lées par un mot simple, utilisé par les hommes à

toutes les époques, à propos d'un bolide argentéou d'un cheval alezan : le mot « vitesse ». Cette

vitesse où quelque chose en soi dépasse quelque

chose d'extérieur à soi, cet instant où les violences

incontrôlées s'échappent d'un engin ou d'un

animal redevenu sauvage et que l'intelligence et

la sensibilité, l'adresse la sensualité aussi

contrôlent à peine, insuffisamment en tout cas

pour ne pas en faire un plaisir, insuffisamment

pour ne pas lui laisser la possibilité d'être un plaisir

mortel. Odieuse époque que la nôtre, celle où le

risque, l'imprévu, l'irraisonnable, sont perpétuel¬

lement rejetés, confrontés à des chiffres, des défi¬

cits ou des calculs ; époque misérable où l'on

interdit aux gens de se tuer non pour la valeur

incalculable de leur âme, mais pour le prix d'ores

et déjà calculé de leur carcasse.

En fait la voiture, sa voiture, va donner à son

dompteur et son esclave la sensation paradoxale

d'être enfin libre, revenu au sein maternel, à la soli¬

tude originelle, loin, très loin de tout regard

étranger. Ni les piétons, ni les agents, ni les auto¬

mobilistes voisins, ni la femme qui l'attend, ni toute

la vie qui n'attend pas, ne peuvent le déloger desa voiture, le seul de ses biens, après tout, qui lui

permette une heure par jour de redevenir physi¬

quement le solitaire qu'il est de naissance. Et si,

en plus, les flots de la circulation s'écartent devant

sa voiture comme ceux de la mer Rouge devant

les Hébreux, si en plus les feux rouges s'éloignent

les uns des autres, se raréfient, disparaissent, etsi la route se met à osciller et à murmurer selon

la pression de son pied sur l'accélérateur, si le vent

devient un torrent par la portière, si chaque virage

est une menace et une surprise et si chaque kilo¬

mètre est une petite victoire, alors étonnez-vous

que de paisibles bureaucrates promis à des des¬

tins brillants au sein de leur entreprise, étonnez-

vous que ces paisibles personnes aillent faire une

belle pirouette de fer, de gravier et de sang mêlésdans un dernier élan vers la terre et un dernier

refus de leur avenir. On qualifie ces sursauts

d'accidentels, on évoque la distraction, l'absence,

on évoque tout sauf le principal qui en est juste¬

ment le contraire, qui est cette subite, insoupçon¬nable et irrésistible rencontre d'un corps et de son

esprit, l'adhésion d'une existence à l'idée brusque¬

ment fulgurante de cette existence : « Comment,

qui suis-je ? Je suis moi, je vis ; et je vis ça, et j'y

vais à 90 kilomètres à l'heure dans les villes, 110

sur les nationales, 130 sur les autoroutes, à 600

à l'heure dans ma tête, à 3 à l'heure dans ma peau,

selon toutes les lois de la maréchaussée, de la

société et du désespoir. Quels sont ces compteurs

déréglés qui m'entourent depuis l'enfance ? Quelle

est cette vitesse imposée au cours de ma vie, de

mon unique vie ?... »

Mais là, nous nous éloignons du plaisir, c'est-

à-dire de la vitesse considérée comme un plaisir,

ce qui est finalement la meilleure définition.

Disons-le tout de suite comme Morand, comme

Proust, comme Dumas, ce n'est pas un plaisir

trouble, ni diffus, ni honteux. C'est un plaisir précis,

exultant et presque serein d'aller trop vite, au-

dessus de la sécurité d'une voiture et de la route

qu'elle parcourt, au-dessus de sa tenue au sol, au-

dessus de ses propres réflexes, peut-être. Et

disons aussi que ce n'est pas, justement, une sorte

de gageure avec soi-même dont il s'agit, ni d'un

défi imbécile à son propre talent, ce n'est pas un

championnat entre soi et soi, ce n'est pas une vic¬

toire sur un handicap personnel, c'est plutôt une

sorte de pari allègre entre la chance pure et soi-

même. Quand on va vite, il y a un moment où tout

se met à flotter dans cette pirogue de fer où l'on

a atteint le haut de la lame, le haut de la vague,

et où l'on espère retomber du bon côté grâce au

courant plus que grâce à son adresse. Le goût de

la vitesse n'a rien à voir avec le sport. De même

qu'elle rejoint le jeu, le hasard, la vitesse rejoint

le bonheur de vivre et, par conséquent, le confus

espoir de mourir qui traîne toujours dans ledit bon¬

heur de vivre. C'est là tout ce que je crois vrai, fina¬

lement : la vitesse n'est ni un signe, ni une preuve,

ni une provocation, ni un défi, mais un élan de

bonheur.

FRANÇOISE SAGAN, écrivain français (1935). Principauxromans : Bonjour tristesse (1954) ; Un certain sourire, 1957 ;Aimez-vous Brahms ? (1957) ; La Chamade (1965) ; Un peu desoleil dans l'eau froide, 1969 ; Le lit défait, 1977, ¡.a femme

fardée, 1981. 15

« Ainsi

l'automobile

aura-t-elle

allumé pournous, un à un,

tous les feux

du monde

moderne :

le désir

d'évasion et

d'affirmation

personnelle, legoût de

l'efficacité

technique,l'émancipationde la femme,la liberté des

corps... »

16

MAHMOUD HUSSEIN

est le nom de plume de deux

écrivain égyptiens, auteurs

de plusieurs ouvrages de

sociologie politique, qui ont

publié récemment Versant sudde la liberté : essai sur

l'émergence de l'individudans le tiers monde

(La Découverte, 1989).

NostalgiePAR MAHMOUD HUSSEIN

NeI OUS étions au début des années quarante etc'était la guerre. Notre village, situé tout au nordde l'Egypte, à l'est du delta du Nil, était cepen¬dant loin du champ d'opérations. Nous ne nousdoutions pas que là-bas, en plein désert libyque,entre les armées alliées et celles des forces de

l'Axe, se jouait alors l'un des tournants décisifsdu conflit.

Nous avions de six à dix ans. On nous per¬mettait de jouer en liberté, une fois terminées leslongues heures de classe. Nous devions rester dansle périmètre du village ou dans ses environs immé¬diats. Mais il nous arrivait de nous aventurer

jusqu'à la grand route reliant Damiette à Izbet ElBorg...

A quelques centaines de mètres, à peine, ducarrefour où cette route croisait le petit cheminmenant à notre village, se dressait une base mili¬taire britannique d'où émergeait une station-radar. Des soldats de nationalités diverses s'affai¬

raient tout autour.

Pour nous ôter toute envie d'aller y voir deplus près, on nous racontait que ces soldats étaientà l'affût de la moindre occasion de kidnapper lesenfants isolés. Certains les mangeaient. D'autresles violaient. Ne vivaient-ils pas, depuis des mois,peut-être des années, loin de toute femme ? La ter¬reur que nous inspiraient ces menaces prenait unedimension d'apocalypse lorsque le bruit d'explo¬sions sourdes, déchirant soudain la nuit, nous

réveillait en sursaut. On nous précisait qu'il s'agis¬sait de torpilles allemandes, venant s'écraser enmer contre les navires alliés.

Nos premiers souvenirs automobiles datentde cette époque. Convois de camions et de jeepsmilitaires, couleur de sable, s'étirant vers la base

ou s'éloignant interminablement d'elle. Enginsétrangers, hérissés d'armes, grouillant de visagesextra-terrestres, dont chacun représentait undanger pour chacun d'entre nous.

De loin en loin, cependant, émergeait unvéhicule différent. Il passait fugitivement sur laroute, et parfois s'arrêtait même quelquessecondes au carrefour, tout près de nous, pourdéposer un adulte revenant de Damiette. Il s'agis¬sait d'automobiles privées, dont les occupantsétaient des Egyptiens.

Oasis de Bahrlya (Egypte).

Nous n'avions pas de raison de les craindre,eux. Nous pouvions laisser libre cours à notreémerveillement. C'est par tous nos sens que nouséprouvions la nouveauté radicale de ces engins,comparés aux objets de notre univers familier. Parleurs lignes pures, par les surfaces lisses de leurcarosserie, par leurs couleurs homogènes et bril¬lantes, par le ronron de leur puissance cachée, parl'odeur de l'essence et des gaz d'échappementque nous accourions, aussi vite que possible, pourpouvoir respirer à pleins poumons. Et qui nousenivraient comme le plus capiteux des parfums.

Puis la merveille disparaissait en direction dela ville, dont elle résumait pour nous tous lesattraits inconnus, tous ces attraits qui nous sem¬blaient, alors, à jamais interdits.

Nous ne savions pas que, bientôt, ceuxd'entre nous qui auraient terminé avec succès lecycle de l'école obligatoire, auraient la chanced'être appelés à poursuivre leur scolarité... à laville, à Damiette même. Du moins les familles

aisées, ou instruites, allaient-elles saisir cette

chance pour leurs enfants.

Le premier voyage

La distance qui nous séparait de Damiette étaittrop longue pour être parcourue à pied, ou mêmeà dos d'âne. Et c'est ainsi qu'un beau jour, sansaucune préparation, on nous conduisit jusqu'aufameux carrefour et on nous dit d'attendre. Nous

ne savions pas ce que nous attendions. Nousétions seulement très excités : c'était la premièrefois qu'à ce carrefour, au lieu d'être arrivés toutseuls, à l'insu des adultes, nous étions menés parl'un d'entre eux, officiant au nom de nos parents.Une voiture s'approcha de nous, ralentit, s'arrêta.Le chauffeur nous regarda avec un sourire encou¬rageant. Puis tout bascula. Il nous dit de monter...

La crainte devait le disputer au ravissementdurant le premier voyage. Mais très vite la craintedevait disparaître. Les jours où il ne faisait pastrop chaud, certains d'entre nous se tenaientdebout sur le marche-pied, accrochés au rebordd'une fenêtre, laissant les places assises à des pas¬sagers adultes. Comment exprimer la griseried'une vitesse éprouvée de plein fouet, de la coursegagnée contre le vent, de ce temps autre, qui nousarrachait, une fois pour toutes, à la pesanteur denos enfances ? Dans les champs, les paysans s'arrê¬taient le plus souvent de travailler pour nousregarder passer en trombe. Nous n'avions pas letemps de leur adresser les salutations d'usage. Apeine les voyions-nous qu'ils étaient déjà loin der¬rière nous.

Deux ou trois ans plus tard, la guerre étantfinie, quelques familles décidaient d'aller s'ins¬taller à Damiette, ou d'envoyer leurs enfants lesplus âgés y vivre chez des familles déjà installées.C'est alors que nous avons pu explorer une villeque nous avions jusque-là seulement entrevue, encoup de vent, dans le taxi collectif qui nous emme¬nait vers l'école ou nous ramenait au village.Explorer est le mot. Damiette nous a paru 17

immense, avec des places vides, si vastes que cha¬cune d'elles aurait pu contenir un village entier,avec des rues goudronnées, sillonnées dans lesdeux sens par des bus, des camions, des voituresprivées, des taxis... et traversées n'importe où pardes ânes nonchalants. Le petit carrefour, à l'entréede notre village, qui avait constitué à nos yeux,pendant des années, le point de passage obligé detout le trafic du monde, n'était plus qu'un sou¬venir dérisoire.

Des êtres si différents

Mais nous n'étions qu'au début de nos décou¬vertes. A Damiette nous attendait une nouvelle

merveille, le cinéma. Magie des images de lumière.Et des histoires qui défilaient, avec un début etune fin, avec des héros dont l'amour , le courage,la bonté, finissaient pas triompher de la fatalité.Et pour qui le présent, enfin, cessait d'être lasimple répétition du passé.

Les films étaient le plus souvent égyptiens.Mais il arrivait qu'il fussent étrangers anglaisou américains. Et là, le dépaysement était encoreplus troublant. Ces hommes et ces femmes étaientindéfinissablement différents de nous : nous

étions sensibles à leurs souffrances, à leurs joies.Mais d'où venait ce sentiment qu'ils apparte¬naient, malgré tout, à une autre planète que lanôtre ? De leur façon de dire : moi je, sans com¬plexe ? De leur manière de regarder la vie dansles yeux, d'assumer une aventure jusqu'au bout,de décider et d'agir selon leur désir et leur juge¬ment propres, sans se préoccuper de ce qu'en pen¬sait la famille, ce qu'en diraient les voisins ?

Ces hommes et ces femmes... Ces femmes

surtout, si incroyablement libres de leurs paroleset de leurs mouvements. Leur image reste gravéedans~nos mémoires. Jeunes, belles, blondes, élé¬gantes au volant de voitures décapotables...Pourquoi cette image nous a-t-elle troublés sifort ? Autour de nous, il y avait aussi de joliesjeunes filles, et des femmes, que nous voyionsparfois dans la rue, la tête découverte, les cheveuxau vent. Elles pouvaient être coquettementvêtues, de robes ou de jupes qui soulignaientdiscrètement les courbes de leur corps. Mais ellesdevaient être accompagnées d'un père, d'un frère,d'un oncle, ou d'un mari. Même pour faire unecourse rapide, à dos d'âne, une femme devait êtreconduite par un homme. Et voilà ces superbesactrices américaines, qui sortaient toutes seules etconduisaient toutes seules, maîtrisant par elles-mêmes un engin si mystérieux, si compliqué, qu'ilnous semblait représenter, par excellence, unprivilège masculin.

Au seuil de l'adolescence, la voiture et lafemme nous réservaient d'autres émotions mêlées.

Quelques aînés allaient nous emmener hors de laville, à la nuit tombée, dans des lieux isolés où

l'on distinguait, entre les arbres ou contre unepalissade, des voitures à l'arrêt. Ce sont les aînéseux-mêmes qui nous ont encouragés à nous enapprocher, avec des ruses de Sioux, pour sur¬prendre à travers la vitre ce qui se passait à l'inté¬rieur. Un homme et une femme s'embrassaient

fougueusement, nerveusement. Une ou deux fois,il nous a même semblé, dans le noir, que le coupleallait plus loin. Nous les regardions, partagés entrela honte d'enfreindre leur intimité et la crainte

d'être surpris en train de les surprendre. Nousdétalions sans attendre, lorsque le regard de

18

L'actrice américaine

Grace Kelly au volant d'unedécapotable dans La main aucollet d'Alfred Hitchcock

(1953).

« Nous étions dans les

années 50 et les transportsen commun étaient

calamlteux. Des voitures

à bout de souffle, ployantsous le poids d'usagersbeaucoup trop nombreux. »

1**^

A

l'homme découvrait le nôtre. Ou que la femme,brusquement, nous fixait de ses yeux terrorisés.

Ainsi l'automobile aura-t-elle allumé pournous, un à un, tous les feux de ce monde

moderne, si étranger à nos coutumes, et qui pour¬tant les irradiait déjà de part en part : le désird'évasion et d'affirmation personnelle, le goût del'efficacité technique, l'émancipation de la femme,la liberté des corps...

Un privilège entre tous

Mais pendant longtemps la possession d'une auto¬mobile resterait, pour la plupart d'entre nous, unrêve inaccessible. Nous avions quitté Damiettepour Le Caire, où nous pouvions poursuivre nosétudes post-scolaires. A l'Université, quelques étu¬diants arrivaient parfois dans la voiture de leursparents. Quelques autres, encore plus rares, enconduisaient une. C'étaient les privilégiés d'entreles privilégiés.

Les autres, s'ils venaient de loin, devaient

prendre le bus. Nous étions dans les années

cinquante et les transports en commun étaientcalamiteux. Des voitures à bout de souffle,ployant sous le poids d'usagers beaucoup tropnombreux. Impossible d'entrer par les portes bon¬dées, à moins de provoquer à chaque fois unebagarre. Les jeunes que nous étions avaient lachance de pouvoir entrer par les fenêtres. Nousessuyions les regards d'envie, et parfois les injures,de ceux que l'embonpoint, ou le statut social,empêchait de nous imiter...

Les importations d'objets de luxe étaient sou¬mises à des mesures de plus en plus restrictives.Et ces mesures s'appliquaient tout particulière¬ment aux automobiles individuelles. Mais le

nombre de ces dernières, mystérieusement, ne ces¬sait pas d'augmenter. Les rues des villes, quin'avaient pas été conçues en prévision d'une telleconcentration, se trouvaient chaque année un peuplus congestionnées que la précédente.

La capitale, pourtant tellement plus vaste queDamiette, subissait un envahissement encore plusmassif. Des quartiers, des banlieues, des villes-satellites, s'édifiaient tout autour. Et à mesure que 19

La première FordW

Will serra le frein, coupa le contact, et se

laissa aller sur le siège de cuir. La voiture continua

de pétarader quelques secondes. Il y avait de

l'auto-allumage, car le moteur était surchauffé.La voici ! cria Will avec un faux enthou¬

siasme.

Il portait aux Ford une haine mortelle, mais

c'est sur elles qu'il bâtissait sa fortune.

Adam et Lee se penchèrent sur les entrailles

de la voiture pendant que Will Hamilton, essoufflé

par son embonpoint, expliquait le fonctionnement

d'un mécanisme auquel il ne comprenait rien.

Il est impossible aujourd'hui d'imaginer la dif¬

ficulté qu'il y avait alors à faire démarrer et à

maintenir en ligne droite une automobile. Non seu¬

lement c'était beaucoup plus compliqué qu'aujour¬

d'hui, mais il fallait apprendre toute la théorie

depuis le début. L'enfant moderne apprend au ber¬

ceau les mystères et les idiosyncrasies des moteurs

à combustion interne, mais, alors, on était intime¬

ment persuadé que ça ne marcherait pas du tout,

et on avait parfois raison. Aujourd'hui, pour mettre

en route un moteur de voiture, deux gestes suffi¬

sent : introduire une clef et tirer le démarreur. Tout

le reste est automatique. Autrefois, c'était beaucoup

plus compliqué. Il fallait non seulement une bonne

mémoire, une musculature d'athlète, un caractère

angélique, et un espoir aveugle, mais aussi, une

certaine connaissance des pratiques de magie. Il

n'était pas rare de voir un homme, sur le point de

tourner la manivelle de son modèle T, cracher sur

le sol et murmurer une formule cabalistique.

Will Hamilton expliqua le fonctionnement de

la voiture, s'arrêta, recommença depuis le début.Son auditoire avait les yeux grands ouverts, inté-

A l'Est d'Eden (1955), adapté à l'écranpar le réalisateur Ella Kazan.

ressé comme un chat par un oiseau. Mais lorsqu'il

dut recommencer son explication pour la troisième

fois, Will comprit qu'il n'arriverait à rien.

Je vais vous dire, proposa-t-il. Vous compre¬

nez, ce n'est pas mon rayon. Je voulais que vous la

voyiez et que vous l'écoutiez avant de vous la livrer

définitivement. Maintenant je vais retourner en ville,

et demain je vous la renvoie avec un garçon de la

partie. Il vous en dira plus en quelques minutes que

moi en une semaine. Je voulais que vous la voyiez.

Will avait oublié certaines de ses instructions.

Après avoir tourné la manivelle un bon moment,

il emprunta à Adam un boghei et un cheval et partit

pour la ville en promettant d'envoyer un mécani¬

cien le lendemain.

Il ne fut pas question d'envoyer les jumeauxà l'école. Ils auraient refusé. La Ford trônait sous

le chêne où Will l'avait arrêtée, haute, distante, et

sévère. Ses nouveaux propriétaires tournaient

PAR JOHN STEINBECKExtrait de A l'Est d'Eden, traduit de /'américain par J.C. Bonnardot, © Del Duca, Pans 1954.

autour et la touchaient de temps à autre, comme

on touche un cheval dangereux pour le calmer.

Lee dit :

Je ne sais pas si je m'y habituerai jamais.

Mais si, dit Adam sans conviction. Bientôt

vous vous promènerez dans tout le pays.

J'essaierai de la comprendre, dit Lee. Mais

la conduire, ça jamais !

Les jumeaux grimpaient dedans pour toucher

quelque chose, puis en ressortaient.

Qu'est ce que c'est que ça, papa ?

N'y touche pas.

A quoi ça sert ?Je n'en sais rien, mais n'y touche pas, on

ne sait pas ce qui pourrait arriver.

Le Monsieur ne te l'a pas dit ?

Je ne me le rappelle pas. Laissez cette voi¬

ture tranquille ou je vous envoie à l'école. Tu

m'entends, Cal ? N'ouvre pas ça.Ils s'étaient levés très tôt et s'étaient habillés

plus vite que de coutume. Vers onze heures, l'hysté¬

rie avait gagné toute la ferme. Le mécanicien arriva

pour le déjeuner. Il portait des chaussures à incrus¬

tations blanches, des pantalons à la duchesse, et

sa veste, rembourrée aux épaules, lui couvrait les

genoux. Dans le boghei, à côté de lui, était posée

une sacoche à outils. Il avait dix-neuf ans, mâchait

du tabac, et, depuis qu'il avait passé trois mois

dans une école de mécanique, professait un pro¬

fond mépris pour le reste de l'humanité.

JOHN STEINBECK, romancier américain (1902-1968), prixNobel de littérature en 1962. Parmi ses romans les pluscélèbres : Tortilla Fiat, 1935 ; Des souris et des hommes,1937 ; Les Raisins de la colère, 1939 ; A l'Est d'Eden, 1952 ;

L'Hiver de notre mécontentement (1961).

En conduisant ie DragonE

PAR JUUO CORTÁZARExtrait de Les autonautes de la cosmoroute, ou un voyage intemporel Paris-Marseille

par Carol Dunlop et Julio Cortázar, traduit de l'espagnol par taure Guille-Bataillon, © Gallimard, Paris 1983.

20

it c'est ainsi que de temps en temps, je

m'arrête de travailler et je m'en vais par les rues,

j'entre dans un bar, je regarde ce qui se passe dans

la ville, je bavarde avec le vieux qui me vend le sau¬

cisson du déjeuner car Dragon il est grand

temps de vous le présenter est une espèce de

maison ambulante ou coquillage à roues que mon

goût obstiné de Wagner m'a fait appeler Fafner,

une Volkswagen rouge où il y a un réservoir d'eau,

une banquette qui devient lit et à laquelle j'ai ajouté

la radio, la machine à écrire, des livres, des bou¬

teilles de rouge, des sachets de soupe et des gobe¬

lets en carton. Plus, un short de bain pour si

l'occasion s'en présente, une lampe-butane et un

réchaud grâce auquel une boîte de conserve

devient repas tandis qu'on écoute du Vivaldi ou

qu'on écrit ces pages.

Cette histoire de dragon vient d'un besoin

ancien : je n'ai presque jamais accepté le nom-

étiquette qu'on colle aux choses et je crois que

cela se reflète dans mes livres. Je ne vois pas pour¬

quoi il nous faudrait invariablement tolérer ce qui

nous vient d'avant et du dehors et c'est ainsi que

j'ai donné aux êtres que j'ai aimés et que j'aime

des noms qui naissent d'une rencontre, d'une coïn¬

cidence entre des clefs secrètes, et alors des

femmes furent des fleurs, des oiseaux, des ani¬

maux des bois et il y eut des amis avec des noms

qui changeaient, une fois un cycle accompli, l'ours

pouvait devenir un singe, tout comme une femme

aux yeux clairs fut d'abord un nuage, puis une

gazelle pour devenir un soir mandragore ; quoi qu'il

en soit et pour en revenir au Dragon, je dirai que

lorsque, voici deux ans, je le vis arriver par la rue

Cambronne, tout frais émoulu de l'usine avec sa

large face rouge, ses yeux bas et étincelants, l'air

bravache et à la coule, il y eut un déclic en moi

et ce fut le Dragon et pas n'importe lequel mais

Fafner, le gardien du trésor des Niebelungen qui,

d'après la légende et Wagner, est peut-être bien

sot et brutal mais qui m'a toujours inspiré une

sympathie secrète, ne serait-ce que parce qu'il est

destiné à mourir de la main de Siegfried et ça, c'est

un truc que je ne pardonne pas aux héros, pas plus

que, trente ans plus tôt, je n'avais pardonné à

Thésée d'avoir tué le Minotaure. C'est à présent

seulement que je relie ces deux choses, mais cet

après-midi, j'étais bien trop occupé avec les pro¬

blèmes qu'allait me poser le Dragon en matière

de changement de vitesses, de man�uvres, tel¬

lement plus haut et plus large que ma vieille petite

Renault. A présent, il me paraît clair que j'ai obéi

à l'élan qui me fait toujours prendre la défense de

ceux que l'ordre établi qualifie de monstres et

extermine dès qu'il le peut. En deux ou trois jours,

je devins ami du Dragon, je lui dis clairement que,

pour moi, il ne s'appelait plus Volkswagen et la

poésie, comme toujours, fut exacte au rendez-vous

car, lorsque j'allai au garage lui faire poser sa

plaque d'immatriculation, il me suffit de voir le

mécanicien lui coller un grand F au derrière pour

me confirmer dans mon opinion. Et même si le

mécanicien n'eût pas admis que cela voulait dire

autre chose que France, le Dragon, lui, comprit

parfaitement et, au retour, il me témoigna sa joie

en montant d'enthousiasme sur le trottoir pour le

plus grand effroi d'une ménagère chargée decabas.

JULIO CORTÁZAR, écrivain argentin (1914-1984). Parmi sestraduites en français : Les Armes secrètes. 1959 ;

Marelle, 1963 : Livre de Manuel, 1974 ; Le Tour du jour enquatre-vingts mondes, 1967 ; Nous l'aimons tant, Clenda, 1980.

les distances s'allongeaient, de nouvelles routesétaient construites, que des automobiles, toujoursplus nombreuses, submergeaient aussitôt. Saufpour une petite minorité de gens, habitant et tra¬vaillant dans un même quartier, il devenait en effetde moins en moins possible de se passer de moyende locomotion mécanique. Comment parcourir àpied les dizaines de kilomètres séparant son domi¬cile du bureau ou de l'usine, de la faculté, des ciné¬mas du centre-ville, des lieux où habitaient amis

et parents, désormais disséminés un peu partout ?Dans les transports en commun, dont le parc

s'accroissait toujours moins vite que la popula¬tion active, voyager devenait une épreuve physiqueet nerveuse. Les taxis, trop onéreux, ne pouvaientservir que de temps en temps. La voiture indivi¬duelle devenait un besoin, en même temps qu'unsymbole social. On l'achetait à crédit ou on ache¬tait d'occasion de vieux modèles importés et bri-colables à l'infini. Mais tous ceux qui avaient, soitréussi dans les affaires soit économisé en travail¬

lant quelques années dans un pays pétrolier, met¬taient un point d'honneur à acheter, en la payantcomptant, une belle allemande toute neuve.

Mille et un tracas

-*T

L'automobile avait cessé d'être un phantasme. Onla possédait ou, ne la possédant pas, on la désirait,mais pour tous, elle avait perdu son mystère. Elleétait partout, on la voyait, on la touchait. Il y avaitdans toutes les rues, pare-chocs contre pare-chocs,les engins les plus neufs et les guimbardes les plusvétustés. La voiture n'était plus parée de l'éter¬nelle jeunesse des rêves. On croisait chaque jourdes échantillons de tous les stades de sa détério¬

ration physique. Et on assistait aux embouteil¬lages, aux accidents, aux pannes subites, révélantles mille et un tracas qu'elle occasionnait à ses usa¬gers aussi bien qu'aux millions de passants. Et lesuns et les autres de pester contre le besoin qu'ilsen avaient et la frustration qu'elle leur causait...

Tout se passe comme si l'automobile, bizar¬rement, créait autant de problèmes qu'elle enrésolvait. Gigantesque jeu à somme nulle, oùchacun se sentirait un peu plus libre, et tous unpeu plus piégés. On produit plus, on consommeplus. On roule plus. Au prix de villes éventrées,de voies rapides suspendues entre les immeubles,assombrissant le ciel de quartiers entiers, d'espacesverts sacrifiés pour construire des parkings, d'untaux de pollution qui finit par filtrer la lumièredu jour...

Peut-être, malgré tout, l'automobile distille-t-elle encore un phantasme. Celui d'une merveil¬leuse machine qui nous obéirait docilement, surdes routes respectant la beauté du paysage et lesommeil des génisses. Mais il ne s'agit plus d'unrêve d'avenir. C'est la nostalgie d'une enfanceperdue, vers la fin de la guerre, au carrefour dedeux routes désertes.

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C£T-*#ÜH

Les encombrements de la circulation au Caire.

Toujours etpartout

nécessaire,l'automobile

doit néanmoins

relever les défis

écologiquesque son succès

même à fait

naître.

22

ROBERT BRAUNSCHWEIG

est un ingénieur suisse qui se

consacre depuis 1932 au

journalisme automobile.

De 1943 à 1980, il a été

successivement rédacteur

technique et rédacteur en chefde la Revue automobile/

Automobile Review.

Il est l'auteur de nombreuses

études et d'essais techniques

sur le sujet.

PAR ROBERT BRAUNSCHWEIG

La révolutionautomobile

iL y a moins d'un siècle, parmi la foule des pié¬tons, des cyclistes et des attelages qui occupaientalors la chaussée, on pouvait voir quelques raresautomobiles au moteur bruyant et poussif, rap¬pelant encore par leurs formes les voitures àcheval. Ceux qui les croisaient leur lançaient unregard dépourvu d'aménité. Une révolution com¬mençait. L'homme venait de trouver le moyende réaliser son vieux rêve de mobilité individuelle.

Aujourd'hui, plus d'un demi-milliard de véhiculesautomobiles circulent dans le monde : environ

400 millions de voitures particulières et 100 mil¬lions de véhicules utilitaires. L'automobile n'en

est pas devenue pour autant un moyen de trans¬port accessible à tous dans le monde actuel. Uncinquième de l'humanité, situé en Amérique duNord, en Europe occidentale, au Japon et en Aus¬tralie, détient à lui seul les quatre cinquièmes detous les véhicules automobiles de la planète. Pourla majorité des humains, l'automobile est réservéeaux autres. Elle creuse encore le fossé qui séparel'abondance de la misère.

Avant et après

Il est difficile aujourd'hui d'imaginer ce qu'a puêtre la vie quotidienne vers 1890, à une époquequi ne connaissait encore ni voiture, ni téléphone,ni téléviseur, ni appareils ménagers, dans unesociété où il n'y avait ni égalité de droits entreles hommes et les femmes, ni congés payés.

Habiter le plus près possible de son lieu detravail était alors le seul moyen, sauf pour quel¬ques privilégiés, de s'épargner une longue marche.Aujourd'hui, des flots de salariés quittent tôt lebureau pour rejoindre leur domicile, souvent situétrès loin dans la ceinture verte des villes. Autre¬

fois, on pourvoyait aux modestes besoins jour¬naliers par des achats dans les boutiques dequartier ; aujourd'hui, on rapporte en voiturechez soi, pour les stocker plusieurs semaines, unegrande variété de produits raffinés qu'on est alléacheter dans des centres commerciaux éloignés.Là où, autrefois, les bêtes de trait labouraient d'un

pas lent et les paysans chargeaient à la fourche,sur les charrettes, le foin qu'ils avaient fauché àla main, des tracteurs puissants, des engins méca

nisés permettent aujourd'hui d'abattre bien plusde travail en bien moins de temps.

Paysans et citadins ont maintenant leurpropre voiture. Les vacances, mot qui n'avaitautrefois de sens que pour une infime minorité,sont à la portée de très nombreuses personnes.Souvent on les passe en des pays lointains, auterme d'un long voyage qu'on entreprend avecsa voiture personnelle, ou en louant sur place unevoiture, après avoir franchi les océans d'un vold'avion. Les domestiques, autrefois signe distinctifdes plus favorisés, ont disparu. Le citadin qui peutencore se payer leurs services doit aussi leurassurer une place de parking. Aux endroits où ilsaiment se retrouver, les adolescents garent les voi¬tures ou les deux-roues avec lesquels ils se dépla¬cent partout. Pour les sportifs, les amateurs de

Ci-dessus, conception d'unprototype par ordinateur(1989).Cl-contre, chaîne de montageFord (1923).

pêche ou les campeurs, les distances ne comptentplus.

Cette mobilité, toutefois, est loin d'êtresynonyme d'une entière liberté de mouvement. Làoù elles pullulent, les automobiles deviennent unegêne les unes pour les autres, parfois même se para¬lysent mutuellement. Au départ et au retour dechaque période de vacances, elles forment d'inter¬minables embouteillages jusque sur les autoroutes,toutes cylindrées confondues. En 1990, pour quihabite en ville, la chasse à la place de stationne¬ment est une épreuve quotidienne. Routes et voi¬tures sont devenues plus sûres, hommes et femmessavent mieux les utiliser. Mais, comme le révèle

une statistique de l'ONU, le tribut payé à l'auto¬mobile en vies humaines est lourd : plus de200 000 tués chaque année et un nombre encorebien plus élevé de blessés, souvent graves.

Un outil ou une arme ?

L'automobile est-elle bonne ou mauvaise ? En soi

elle n'est ni ceci ni cela tout dépend de l'usagequ'on en fait. Elle sert au médecin des urgenceset à l'invalide aussi bien qu'au braqueur debanque, au routier aussi bien qu'au ravisseurd'enfant. N'est-elle pas d'abord, pour reprendrela formule de l'écrivain Friedrich Dürrenmatt,une « prothèse de la jambe », et dés plus sûres ? 23

24

La Déesse

JE crois que l'automobile est aujourd'hui l'équi¬

valent assez exact des grandes cathédrales gothi¬

ques : je veux dire une grande création d'époque,

conçue passionnément par des artistes Inconnus,consommée dans son image, sinon dans son

usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle

un objet parfaitement magique.La nouvelle Citroën tombe manifestement du

ciel dans la mesure où elle se présente d'abord

comme un ob;'et superlatif. Il ne faut pas oublier

que l'objet est le meilleur messager de la surna¬

ture : il y a facilement dans l'objet, à la fois une

perfection et une absence d'origine, une clôture

et une brillance, une transformation de la vie en

matière (la matière est bien plus magique que la

vie), et pour tout dire un silence qui appartient àl'ordre du merveilleux. La « Déesse » a tous les

caractères (du moins le public commence-t-il par

les lui prêter unanimement) d'un de ces objets des¬

cendus d'un autre univers, qui ont alimenté la néo¬manie du 18" siècle et celle de notre science-

fiction : la Déesse est d'abord un nouveau Nautilus.

C'est pourquoi on s'intéresse moins en elle à la

substance qu'à ses joints. On sait que le lisse est

toujours un attribut de la perfection parce que son

contraire trahit une opération technique et toute

humaine d'ajustement : la tunique du Christ était

sans couture, comme les aéronefs de la science-fiction sont d'un métal sans relais. La D.S. 19 ne

prétend pas au pur nappé, quoique sa forme géné¬

rale soit très enveloppée ; pourtant ce sont les

emboîtements de ses plans qui intéressent le plus

le public : on täte furieusement la jonction des

vitres, on passe la main dans les larges rigoles de

caoutchouc qui relient la fenêtre arrière à ses

entours de nickel. Il y a dans la D.S. l'amorce d'une

nouvelle phénoménologie de l'ajustement, comme

si l'on passait d'un monde d'éléments soudés à

un monde d'éléments juxtaposés et qui tiennentpar la seule vertu de leur forme merveilleuse, ce

qui, bien entendu, est chargé d'introduire à l'idée

d'une nature plus facile.

(...) Il se peut que la Déesse marque un chan¬

gement dans la mythologie automobile. Jusqu'à

présent, la voiture superlative tenait plutôt du bes¬tiaire de la puissance ; elle devient à la fois ici plus

spirituelle et plus objective, et malgré certaines

complaisances néomaniaques (comme le volant

vide), la voici plus ménagère, mieux accordée à

cette sublimation de l'ustensilité que l'on retrouvedans nos arts ménagers contemporains : le tableau

de bord ressemble davantage à l'établi d'une cui¬

sine moderne qu'à la centrale d'une usine : les

minces volets de tôle mate, ondulée, les petits

' wm

PAR ROLAND BARTHESExtrait de Mythologies, © Editions du Seuil, Paris 1957.

leviers à boule blanche, les voyants très simples,

la discrétion même de la nickelerie, tout cela

signifie une sorte de contrôle exercé sur le mou¬

vement, conçu désormais comme confort plus quecomme performance. On passe visiblement d'une

alchimie de la vitesse à une gourmandise de laconduite.

Il semble que le public ait admirablement

deviné la nouveauté des thèmes qu'on lui propose :

d'abord sensible au néologisme (toute une cam¬

pagne de presse le tenait en alerte depuis des

années), il s'efforce très vite de réintégrer une

conduite d'adaptation et d'ustensilité («Faut s'yhabituer »). Dans les halls d'exposition, la voiture-

témoin est visitée avec une application intense,

amoureuse : c'est la grande phase tactile de la

découverte, le moment où le merveilleux visuel va

subir l'assaut raisonnant du toucher (car le tou¬

cher est le plus démystificateur de tous les sens,

au contraire de la vue, qui est le plus magique) :

les tôles, les joints sont touchés, les rembourrages

palpés, les sièges essayés, les portes carressées,

les coussins pelotés : devant le volant, on mime la

conduite avec tout le corps. L'objet est ici totale¬

ment prostitué, approprié : partie du ciel de Metro¬

polis, la Déesse est en un quart d'heure médiatisée,

accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement

même de la promotion petite-bourgeoise.

ROLAND BARTHES, critique et essayiste français (1915-1980).Principales : te degré zéro de récriture, 1953 ;Mythologies, 1957 ; Essais critiques, 1964 ; L'Empire des

signes, 1970 ; Sade, Fourier, toyo/a{1971); Le plaisir du texte,1972 ; Fragments d'un discours amoureux. 1977 ; L'Obvie et

l'obtus (Essais critiques III), 1982.

''"- .»* "^

« Charrette-citerne »

à Louqsor, en Egypte.

A droite, embouteillage entreParis et Auteull en 1923.

Or, certains persistent à y voir l'occasionidéale de « faire du sport » : il y a encore des fousde vitesse qui rêvent d'avaler les kilomètres à plusde 200 à l'heure. La voiture n'a changé ni leshommes ni les femmes qui, d'ailleurs, cèdentmoins à ses séductions que certains hommes. Ily a toujours, parmi les conducteurs, les timideset les risque-tout, les prudents et les coléreux, lesdiscrets et ceux qui veulent se distinguer de lamasse, en roulant dans un bolide profilé ou unmodèle rarissime.

Dans les régions où la voiture abonde, elle estdevenue une dévoreuse d'énergie non renouve¬lable et une source majeure de nuisance et de pol¬lution de l'environnement. Y remédier passe, nonpar un retour nostalgique à des temps révolus,mais par des choix technologiques, et une préfé¬rence accordée, progressivement, à la commu¬nauté plutôt qu'à l'individu. Le processus prendrasans doute du temps.

Là où il y a pénurie

Dans les zones les moins motorisées du globeAsie hors Japon, Afrique, Amérique latine et cer¬taines régions de l'Océanie , on trouve, pourmille habitants, environ quarante fois moins devoitures qu'en Amérique du Nord et en Europeoccidentale.

Certaines des métropoles du Sud, à la crois¬sance extrêmement rapide, comme Rio de Janeiroou Hong Kong, Mexico ou Tel Aviv, Le Caireou Singapour, connaissent une circulation auto¬mobile intense. Mais dans la plupart de ces pays,posséder une voiture reste l'apanage de quelquesélus riches particuliers ou bénéficiaires d'unvéhicule de fonction. (La Chine, par exemple, necomptait en 1980 que 280 000 automobiles, soità peine le double du parc automobile du Luxem¬bourg.) Le nombre des véhicules utilitairesdépasse largement celui des voitures particulières,perçues comme produits de luxe. Le réseau rou¬tier étant le plus souvent peu développé, il estindispensable d'avoir des poids lourds tous ter¬rains pour le transport des biens, et des autocarspour celui des personnes.

Le long cheminde l'automobile pour tous

L'idée d'une automobile « populaire » a com¬mencé à se concrétiser dès le début du siècle, sous

la forme d'une version simplifiée des grandsmodèles classiques. Mais il a fallu attendre plusde cinquante ans pour qu'elle devienne réalité.Période pendant laquelle l'histoire de la produc¬tion a connu trois grandes étapes : le passage dutravail à façon à la standardisation, l'introductionde la chaîne de montage, qui a permis de produireplus de dix mille véhicules par an, et l'automati¬sation. Désormais, la plupart des opérations sontfaites par des robots perfectionnés, et les pro¬grammes de fabrication sont tous informatisés.

Ces progrès révolutionnaires ne sont pas

intervenus partout au même rythme. C'est auxEtats-Unis qu'Henry Ford Ier instaure la chaînede montage. Cet authentique pionnier se fixealors pour objectif de motoriser le pays toutentier, en fabriquant une voiture robuste et peucoûteuse. En 1909, son modèle T, la célèbre « TinLizzie », arrive sur le marché : c'est un énorme

succès on en fabriquera plus de quinze millionsd'exemplaires jusqu'en 1927. L'exemple de Fordva être si efficacement repris par une industrie enplein essor, qu'en quelques années les Etats-Unisdeviennent le seul pays de l'époque où la posses¬sion d'une automobile devient la règle plutôt quel'exception.

En Europe, où pourtant elle est née, l'auto¬mobile reste plus longtemps un bien rare. Sonexpansion est interrompue par les deux guerresmondiales. La production à la chaîne connaît sonplus grand essor en France, grâce à trois indus¬triels : André Citroën, le premier à se lancer danscette activité, Louis Renault et Robert Peugeot.

En Italie, Giovanni Agnelli, fondateur de laFiat et grand-père de l'actuel patron, construisitdeux usines dont les débouchés furent facilités parl'attitude favorable du régime fasciste à l'égard del'automobile. L'Allemagne, épuisée par la défaitede 1918, ne put immédiatement suivre le mouve¬ment, bien que Ford ait repris en main la pro¬duction automobile nationale dans sa filiale de

Cologne, imité peu après par la General Motorsqui racheta les usines Opel. Il fallut attendre le

Un participant auRallye annuel de

véhicules solaires en

Suisse (1986).

26

régime nazi pour voir s'ouvrir toutes grandesportes et routes à l'industrie automobile. Par uneironie cruelle de l'histoire, la marque aujourd'huiuniversellement célèbre « Volkswagen » en alle¬mand, « voiture populaire » doit son existenceà Adolf Hitler.

Un saut qualitatifL'industrie automobile a donc révolutionné en

quelques décennies ses méthodes de fabrication.Grâce à cette mutation, qui est encore loin de sonterme, l'objet automobile a accompli un extraor¬dinaire saut qualitatif. Tout en conservant sa mor¬phologie de base, la voiture qu'on fabrique aujour¬d'hui s'est considérablement transformée et, sur¬

tout, automatisée. L'électronique et la micro¬informatique commandent aussi bien le moteur,la transmission ou la suspension que le fonction¬nement des sièges, des vitres ou des portes.

La « voiture populaire » existe aujourd'hui.L'industrie automobile japonaise, plus tard venueque les autres, mais actuellement première pro¬ductrice mondiale, y a largement contribué. Loind'être cette version tronquée, ce nain inconfor¬table qu'elle fut longtemps, la « voiture popu

laire » possède tous les perfectionnementsmodernes. Grâce à sa petite taille, elle est à l'aisedans la cohue de la circulation urbaine et n'a pourvéritable rival que la voiture d'occasion, qui offretout le confort d'hier à prix réduit.

Comment conclure ? A l'heure actuelle, vingtfirmes automobiles américaines, européenneset asiatiques produisent 99% des voitures dumonde. Héritières des quelque 6 000 entreprisesqui jalonnent l'histoire de l'automobile, elles sontimplantées sur l'ensemble du globe. Concur¬rentes, elles travaillent néanmoins en coopérationde plus en plus étroite. Elles bâtissent des projetsd'avenir pour relayer les industries sinistréesd'Europe de l'Est. Elles sont le noyau d'un gigan¬tesque secteur d'activités diversifiées auquel notreépoque doit une partie de son opulence.

Et demain ? L'automobile, toujours et par¬tout nécessaire, doit relever les défis écologiquesque son succès même a fait naître. Alors que, dansune moitié du monde, l'opinion publique,alarmée, prévoit la fin de l'automobile et quel'autre moitié, en ressent cruellement l'absence,

on travaille aujourd'hui, dans l'ombre, à sa trans¬formation. La seconde révolution automobile a

commence.

L'enginmerveilleux,

symbole grisantde liberté et

de vitesse, estdevenu une

envahissante

machine...

NICOLAS LANGLOIS,

de France, a été journaliste au

journal Le Monde en 1972 et

à l'hebdomadaire L'Express de

1973 à 1978. En 1979, il a

créé une revue bimensuelle, te

journal de l'automobile, dont ilest le rédacteur en chef.

L'indispensable fléauT'XJ EST a bougé. Et par la première brècheouverte dans le rideau de fer, l'auto s'est engouf¬frée. L'Occident automobile, qui étend ses rami¬fications jusqu'au Sud-Est asiatique, a trouvé làun nouveau terrain. En URSS, perestroïka etautomobile riment désormais l'une avec l'autre.

Tous les constructeurs de la planète ont fait levoyage de Moscou.

Alors, l'automobile, c'est la liberté ? Oui, si

l'on parle d'économie libérale. Oui, si l'on songeà la véritable fête que représente toujours l'acqui¬sition d'une voiture. Oui, lorsqu'on évoque lesautomobilistes, privilégiés de pays qui ne le sontpas. Ou les grands espaces à découvrir.

Mais ne serions-nous pas aliénés par unmythe ? Celui de la liberté de se déplacer, par¬tout, sans fatigue, à une vitesse que notre corpsne permet pas. Après nous avoir séduits, l'idée,matérialisée, risque de provoquer sa propre des-

PAR NICOLAS LANGLOIS

truction. Trop d'autos ne freinent-elles pas l'autojusqu'à la rendre immobile ?

Si, à l'échelle du globe, neuf êtres sur dix enrêvent, en Europe de l'Ouest, une personne surdix en vit. Et sur ce même continent, comme en

Amérique du Nord ou au Japon, elle est merveillede foires, produit de marchés, enjeu social. Sonfantastique magnétisme permet tous les abus.

Incarnation d'un rêve de liberté

Oh, pas de nostalgie déplacée. Le monde dit déve¬loppé n'a qu'à résoudre ses incohérences et brûlerses artifices. Les nantis ont dévoyé l'objet, ledétournant de ses vocations. L'engin merveilleuxest devenu une envahissante machine chrome,

gadget, symbole social. Tandis que les nouveauxjeux du cirque, retransmis en mondovision, fontl'éloge de la vitesse, l'auto, dans certains pays, tue, 27

28

agresse, pollue. Mais pas question non plus dedevenir blasé. Les vrais enfants gâtés restent moinsnombreux que les oubliés et les exclus de la crois¬sance. Plus de 85% des 35 millions de voitures

produites en 1989 ont été vendues en Amériquedu Nord, en Europe de l'Ouest et au Japon.

Il n'est pas question de se priver de cette fabu¬leuse prothèse mécanique, qui a su se diversifier :le véhicule automobile, c'est aussi le camion, le

bus, le car. Autant d'acteurs mécaniques pourrelier les hommes. Désenclavement, commerce,

rencontres c'est l'auto qui sait rompre certainsisolements et matérialiser certains espoirs dedéveloppement.

Et puis, incarnation d'un rêve de liberté,l'auto c'est l'égalité. Un bras industriel de ladémocratie. L'instrument d'un formidable nivel¬

lement social, tout juste supplanté par la télévision.Quels que soient son prix et ses performances,les encombrements de circulation mettent ses uti¬

lisateurs à égalité... Mais quand toutes les popu¬lations du globe ont tendance à se concentrer dansles zones urbaines, son usage devient un avantageexorbitant. Empoisonner la planète pour un cer¬tain confort de déplacement...

A l'auto on demande tout

Rêve et incurie en ont fait l'un des nouveaux

fléaux. Mais un fléau indispensable et réclamé, etencouragé à la fois béquille d'un développe¬ment non maîtrisé et pilier d'une fuite en avantéperdue. D'agrément, elle est devenue nécessité

indispensable pour supporter les contraintesde nouveaux styles de vie. Et son règne préfigureautant l'anarchie que la surpopulation. L'éclosionest, semble-t-il, incontrôlable ; les usines tournent

pour fournir un travail devenu rare, et elles pro¬duisent, et leurs produits trouvent preneurs.Chacun veut son auto...

Sans doute, ici ou là, quelques contraintesapparaissent. On a codifié certaines de ses utili¬sations. Beaucoup en font un bouc émissaireidéal : elle polluerait la planète. Sûrement, elle asa part, mais elle est d'abord la plus évidente descibles. On pense à la qualité de l'air, mais, enmême temps, on continue à creuser, à trancher,on fait des routes, des souterrains, des autoroutes

pour absorber les flots d'une circulation en per¬pétuelle croissance...

Car on lui demande tout, à l'auto. « Malheu¬

reux » Américains condamnés, dès l'âge de 15 ans,à prendre le volant pour se déplacer... Et tous cesindividus enfermés, et parqués durant des heuressur du bitume, prisonniers des barrières d'acier ?Ils vont en vacances ou au travail, peu importe. Iln'y a pas d'autre système de déplacement pourrelier la ville. Pour le particulier, la voiture restele moins coûteux des moyens de transportmodernes.

Pourquoi, en cette fin de siècle, dans un paysdit développé, un homo sapiens de la classemoyenne, consacre-t-il une part plus importantede ses revenus à son automobile qu'à sa maison ?

Parce qu'on peut tout demander à l'automobile :outre les taxes de propriété et d'usage, qu'elleassume le développement d'une économie etqu'elle veille à l'emploi. C'est pour l'emploi quel'automobile aujourd'hui doit assurer le renou¬veau à l'Est européen comme elle devait, hier,venir au secours du Sud italien ou du Nord de

la France, ou comme elle doit encore soutenir le

libéralisme britannique.

Un jeu idiot :le trajet domicile-travail

Quand les grands équilibres traditionnels flan¬chent, quand la sidérurgie patine, quand le bâti¬ment est enrhumé, toujours un même sauveur :la « bagnole » et ses usines. Qu'importe l'alour¬dissement des charges qui pèsent sur lui, l'auto¬mobiliste aime sa voiture et il continuera de

l'aimer à n'importe quel prix. Heureusement,parce qu'il y est souvent condamné.

Les années cinquante ont inventé un jeuidiot : le trajet domicile-travail. Et tandis que l'onsupprimait, dans les villes, les rails de tramways,on construisait des cités-dortoirs, et on deman¬

dait aux cars et aux poids lourds de remplacer lestrains. Sans trop compter les victimes...

Aujourd'hui, dans les agglomérations, desraies de peinture blanche remplacent les railsd'autrefois. Ce sont les grands travaux d'uneépoque qui ne sait pas réfléchir à la complémen¬tarité de ses capacités. Même si elle permet tout,l'auto n'est sans doute pas faite pour concurrencerl'avion, le train, pas plus que la bicyclette. Maisl'homme est la marchandise la plus facile à trans¬porter il sait attendre, il se déplace seul, il nese dégrade pas...

Le « business »

face à l'imagination

Alors, on a pris le parti de ne pas trop penser. Onétale du bitume pour trouver un exutoire à toutesces machines qui sortent des usines à un rythmede plus de 150 000 par jour. Et on laisse faire.C'est simple : l'automobiliste subit, et conduit.

I\

Au pied du Kilimandjaro,un concurrent du

Rallye du Kenya en 1984.

Villa californienne en forme

de Cadillac.

Il ne faut pas casser le moteur de l'économie.Quand les Japonais comptent sur leurs autos pourasseoir définitivement leur suprématie écono¬mique à l'échelle de la planète, chacun, à sonrythme, tente une réplique. Pour éviter l'invasion,les pertes de profits et d'emplois, on renforceencore davantage sa propre industrie automobile.Mais sans imaginer, sans doute, que l'on setrompe de terrain de jeu. On connaît parfaite¬ment le rayon d'action idéal d'un avion. On saitaussi que, jusqu'à une distance de 700 km, le trainlui est largement supérieur. On sait donc quel'auto ne devrait pas être l'engin que l'on continueà produire. Seulement...

Le budget d'un pays comme la France équi¬valait, il y a quelques années encore, au chiffred'affaires du premier constructeur automobile dumonde. Aujourd'hui, dans les sept pays les plusriches, ce sont, encore et toujours, les firmesd'automobiles qui occupent les premières placesen termes de chiffres d'affaires et de profits. Lespétroliers suivent...

Rêve d'azur devenu artifice

L'élastique est encore solide. L'envie de voiturene faiblit pas. Alors, on peut en profiter pourentretenir le « business », les grands accords, leséchanges internationaux de vrais plans sur lacomète. Et les colonisateurs n'ont même plusbesoin d'évoquer d'autres cultures ils viennentfabriquer, et vendre du rêve. L'automobile n'a-t-elle pas déjà joué son rôle de religion dans les paysdits développés ?

Dès lors, tout est clair. Surtout ne rien casser.

Et tant pis si l'auto prend des airs d'immobilité.Et tant pis si certaines inégalités pointent à nou¬veau. Le rêve est bien malmené. Il a vécu. Et il

n'y a plus que la publicité pour montrer les grandsespaces, nos rêves d'azur et l'appel au voyage.

Qu'importe ! La maturité sera d'un autresiècle... Quand d'autres générations, qui n'aurontpas été élevées dans ce culte, s'essayeront à lacohérence de leurs styles de vie. Juste avantl'asphyxie ? 29

Sex Drive PAR STEPHEN BAYLEYExtrait du supplément spécial publié par le International Herald Tribune

à /'occasion du centenaire du journal (16 septembre 1987).

U,

30

' ne voiture de prestige est toujours révélatricede la culture qui l'a produite. La Jaguar, voiture

anglaise plébiscitée entre toutes, a été conçue,du moins pour l'intérieur, comme une maison

cossue de la campagne anglaise. Il n'y a guère quedans les résidences chic de la vallée de la Tamise

qu'on a su jouer, avec un art aussi consommé, surle contraste du bois et du cuir.

Les Allemands sont passionnés de technique,

et pour eux, selon le mot du grand ingénieur

Ferdinand Porsche, « une voiture doit avoir la

beauté agressive d'une arme ». C'est d'ailleurs à

Porsche que Hitler avait demandé de dessiner sa

« voiture populaire », la Volkswagen, pour permettre

aux familles allemandes de traverser les forêts du

Reich sur les autoroutes gratuites construites par

ses soins. Interné en France pour ses activités en

temps de guerre, Porsche devait en profiter pour

dessiner une voiture de sport promise à un grandsuccès.

Mais celle-ci ne serait peut-être pas devenue

la voiture de sport par excellence, en même temps

qu'un objet culte du romantisme moderne si, en

1955, un certain James Dean, acteur de cinéma,

ne s'était tué en la conduisant. (De même, cer¬

taines femmes demeurent hantées par la vision

de la mort de la danseuse Isadora Duncan, étran¬

glée par son echarpe de scène rouge, dont le bout

s'était pris dans le moyeu arrière d'une Bugatti,

longue comme un paquebot).

L'érotisme automobile n'est pas toujours aussi

morbide. En témoigne la chanson des Beach Boys

« She's so fine, my 409 ». Mais le rapprochement

entre voiture et sexe est plus qu'une rengaine

populaire : c'est aussi l'idée publicitaire du siècle !

Le galbe des belles automobiles n'évoque-t-il pas

d'autres courbes affriolantes ? Et la puissance du

moteur renvoie irrésistiblement à la puissance

sexuelle. On peut ainsi voir, dans la Corvette des

années 50, la représentation objective de la libido

des adolescents américains, reconstituée à grand

renfort de chrome, de plastique et de verre teinté.

Ce modèle était censé être la réplique américaine

aux bolides européens, mais avec ses roues

énormes et sa boîte de vitesse peu maniable,

c'était une voiture faite davantage pour stationner

que pour rouler. Les publicitaires l'avaient com¬

pris, qui montraient fréquemment un couple amé¬

ricain préludant aux joies conjugales sur les sièges

jumeaux d'un coupé Corvette.

Les innovations des bureaux d'étude, autour

desquelles les constructeurs font un tel battage,

ne sont jamais innocentes. Les voitures de légende

sont celles qui expriment toute une culture. Une

Ferrari se doit d'être rouge. Une Mercedes Benz

couleur fraise écrasée serait, par contre, une

hérésie ; il faut aux carrosseries de cette marque

un éclat métallique. Quant au cab, le taxi londo¬

nien, cette fonctionnelle boîte noire sur roues est

peut-être le chef-d'oeuvre de l'esthétique utilitaire,

comme le prétendent certains, mais elle n'a guère

fait fortune ailleurs qu'en Grande-Bretagne.

Il suffit souvent d'un détail pour déceler l'ori¬

gine nationale d'un véhicule. Le fameux modèle

DS de Citroën (code de fabrique très vite trans¬

posé en « déesse » par ses fanatiques) a dû sa

popularité à sa carrosserie surbaissée dissimulant

les roues pour souligner son aérodynamisme, mais

aussi à son intérieur tout en courbes capitonnées,

au confort enveloppant.

Mercedes-Benz Formel I Rennwagen

W 196 R Stromlinie, 1954, acrylique sur toilepar Andy Warhol.Tableau commandé en 1986

par le constructeur de la marque.

En Allemagne, les successeurs de Porsche ont

résolument démilitarisé le « look » de leurs véhi¬

cules, en accord avec l'esprit du temps. Cepen¬

dant, parmi les nombreux cadrans lumineux du

tableau de bord d'une BMW, le premier qu'on

remarque est la pendule, symbole de ponctualité

et de fiabilité germaniques. Les ingénieurs suédois

de Volvo insistent, eux, un peu trop peut-être, sur

une technologie « humaine » et respectueuse de

l'environnement.

Quant à la voiture de demain, ce sera sans

doute un modèle japonais. L'industrie nippone, qui

a vraiment les moyens d'innover, tend de toute sa

puissance vers la perfection absolue. C'est pour¬

quoi ceux qui s'attachent à une voiture comme à

un être humain d'abord pour ses défauts ont

intérêt à s'en procurer une au plus vite. Pendant

que l'imperfection existe encore.

Forme inédite

d'art populaire,de vieilles

guimbardesbringuebalantes,

couvertes

d'inscriptions,de peintures et

de lumières

clignotantes,dévalent les rues

de Medellin,Panama ou

Port-au-Prince

dans le vacarme

de leur radio

branchée à pleinvolume.

MOIRA F. HARRIS,

historienne de l'art américaine,

s'intéresse à diverses formes

d'art et de culture populaires,

comme les peintures murales

et les voitures décorées,

notamment au Costa Rica,

en Colombie, en Haïti,

au Panama et aux Etats-Unis.

Elle a publié récemmentArt on the Road : the Painted

Vehicles of the Americas

(L'art sur la route : les véhicules

peints des Amériques,

Pogo Press, 1988).

L'art sur la routePAR MOIRA F. HARRIS

JL ROMENEZ-VOUS dans n'importe quelle rue dePanama ou de Port-au-Prince, et vous êtes sûrd'en voir. A Medellin aussi, mais là, il faut aller

dans les faubourgs ou aux environs du marché.De quoi s'agit-il ? Des bus et des camions éton¬namment décorés qui constituent les transportsurbains indépendants dans ces trois villes. Là-bas,prendre le bus chiva en Colombie, tap-tap enHaïti est une véritable expérience esthétique,qui vous emporte dans un carrousel d'images etd'inscriptions, au rythme de lumières clignotanteset de musiques syncopées.

C'étaient au départ des véhicules ordinaires,aux couleurs neutres rehaussées de chrome, et quiont été réaménagés et repeints au goût du jour,pour répondre à leur nouvelle vocation. Les spé

cialistes de la culture populaire vous diront queles mots et les images qui les décorent reflètentles croyances et les habitudes, 1'« âme » collectiveen somme, de la population de ces différents pays.

Même s'il y a des antécédents plus lointains,l'habitude de décorer les bus et les camions paraîtremonter au lendemain de la Seconde Guerre

mondiale. Ce type de véhicule bariolé a très viteété adopté par la population. Même si l'on essayede temps en temps de renouveler les moyens detransports urbains, jamais les véhicules plusmodernes n'ont réussi à supplanter ces vieux

A l'arrière d'une chiva en Colombie, les fameuxpersonnages canins du calendrier de la firme américaineBrown & Blgelow, créés dans les années 30 par l'artistenew-yorkais Casslus M. Coolldge.

31

Etats-Unis : des voitures de rêve,ies « Kustom Cars »

32

^^ux Etats-Unis, on appelle « Kustom Cars » (oucustomized cars) des voitures littéralement « taillées

sur mesure » pour concrétiser les rêves de leur pro¬

priétaire. Inutile de les chercher dans les catalogues

ou les salles d'exposition. Ce sont des modèles

uniques. Amoureusement bricolés dans des

garages spécialisés ou dans un atelier de fortune.

Souvent, c'est le propriétaire lui-même qui dessine

sa propre machjne, la démonte et la remonte à

partir d'un modèle existant, la dénude pour

accroître sa vitesse (on parlera alors d'un « hot

rods », littéralement « essieux brûlants ») ou, au

contraire, la surcharge au point qu'elle peut à peine

rouler (ce sont les « lead sleds » et « low riders »

qu'on pourrait traduire par « rampants » ou « culs-

de-plomb »).Les ancêtres des « essieux brûlants » sont les

Ford légères des années 30, et notamment le petit

coupé Ford à deux portes modèle 1932. A l'ori¬

gine, ces véhicules n'étaient pas conçus pour lavitesse, mais il suffisait de peu de chose pour lestransformer en voitures de course. On commen¬

çait par renforcer l'aérodynamisme en supprimant

tous les chromes : poignées de portes, pare-chocs,

parfois même pare-brise et tableau de bord. Puis on

surbaissait le plancher et l'on réduisait la hauteur

des vitres.

Les propriétaires de ces bolides avaient l'habi¬tude de se défier à la course dans les rues des

villes, démarrant en trombe dans une odeur de

caoutchouc brûlé, ce qui les obligeait à remplacer

souvent les pneus. On voit d'ailleurs des scènes de

ce genre dans le film American Graffiti. Le décor

même de ces voitures évoquait la vitesse. Sur

les ailes et la carrosserie étaient fréquemment

peintes des flammes, sortant du capot et léchant

les portières.

Aujourd'hui, ce décor s'est diversifié. En appli¬

quant des couches successives de peinture métal¬

lisée et acrylique, on obtient des reflets iridescents

qui font chatoyer les surfaces, sur lesquelles on

peut ensuite obtenir des contrastes de couleurs

(vert sur pourpre, bleu sur jaune, rose sur vert),

rehaussés de flammes tracées au pinceau avec

un soin de calllgraphe.

Rien n'est plus éloigné de cette esthétique

que les monstres roulants que sont les « lead

sleds », les culs-de-plomb. Ceux-ci sont construits

à partir d'un châssis déjà très lourd et massif au

départ (Ford 1936 ou Mercury, Chevrolet ou Dodge

des années 50) qui a été surbaissé, profilé et

alourdi par injection de plomb dans les parties

creuses. Les pots d'échappement chromés pla¬

qués le long de la voiture alourdissent encore la

silhouette, de même que les jupettes métalliques

recouvrant en partie les roues arrières, alors que

les phares et feux de position font saillie. Contrai¬

rement aux collectionneurs de voitures anciennes

qui insistent sur les pièces détachées d'origine,

les passionnés des « lead-sleds » se préoccupent

davantage de l'aspect du véhicule que de la nature

des moyens employés. L'un d'eux se vantait même

d'avoir utilisé les pièces de 22 voitures différentes

pour réaliser son chef-d'

A l'intérieur, le propriétaire du « lead-sled » a

remplacé la sellerie, installé la climatisation et une

chaîne stéréo. Beaucoup sont amateurs de coussins

moelleux, mais dans le Sud-Ouest on raffole du

velours capitonné au point d'en mettre partout,

même pour tapisser le coffre. Le dernier raffine¬

ment consiste à suspendre au rétroviseur une

paire de gros dés en peluche.Le décor de la carrosserie de ces mastodontes

correspond au nom donné au véhicule : vert bou¬

teille un peu glauque pour le « Crapaud », une Olds-

mobile de 1949, et noir rehaussé de toiles

d'araignées rouges pour la « Veuve noire », une

Ford de 1951. Aux motifs traditionnels festons,

flammes et nervures sont venues s'ajouter

récemment les fresques. Les scènes peintes au

pistolet sur les parois des camionnettes sont à la

mode depuis les années 70 et on signale l'appa¬

rition récente, sur les flancs d'une Hudson de 1935

retapée, d'une scène reproduisant les personnages

d'un dessin animé publicitaire pour les raisins deCalifornie.

En effet, c'est au sud de la Californie qu'est

née la mode des bolides et des mastodontes, mais

très vite les clubs, les magazines et les concours

de voitures se sont multipliés et on en rencontre

partout aux Etats-Unis, avec toutefois une plus

grande densité de « low riders » ou « carros bajos »

dans la frange hispanique des Etats du Sud-Ouest,

de San Antonio du Texas à San José de Californie.

A l'origine, les propriétaires de ces voitures

s'en servaient pour tous leurs déplacements, mais

le temps et l'argent qu'ils y consacrent en font

désormais des objets trop précieux pour être ainsi

galvaudés. Aujourd'hui, on ne les sort plus guère

que par grand beau temps, et pour se rendre à pas

de sénateur jusqu'à un quelconque concours auto¬mobile. Bolides et mastodontes roulent ainsi au

ralenti, pour que chacun puisse les admirer, bien

sûr, mais surtout parce que pour leurs proprié¬

taires, cette allure processionnelle fait partie d'unvéritable rituel.

Les formes serpentines d'undragon sur un bus panaméen.

Kustom car en Pennsylvanie(Etats-Unis).

tacots dans le clur des usagers et dans le folk¬lore local.

A Panama, ce sont d'anciens bus scolaires

américains, traditionnellement peints en jaune,qui constituent la matière première. Très vite, lacouche de peinture initiale disparaît sous les bom-bages. Les flancs des véhicules s'ornent de scènesétirées en longueur : semi-remorque lancé à pleinevitesse, chaîne montagneuse et manoir dans lelointain, sirène mollement allongée au fond dela mer ou dragon crachant des flammes.

Le « bus-art »

Mais c'est la portière de secours à l'arrière quiconstitue le lieu privilégié de ce qu'on pourraitappeler le « bus art » ; c'est là que l'artiste concentretous ses efforts sans doute parce que c'est lapartie du véhicule que l'on voit le mieux et le pluslongtemps au passage. C'est là que les artistesinscrivent leur nom ou leur surnom, assorti par¬fois d'un numéro de téléphone, à l'intention decommanditaires éventuels.

Les sujets traités par les artistes sont fréquem¬ment religieux, souvent anecdotiques, presquejamais politiques. Il y a des ateliers spécialisés, etchaque propriétaire de bus sait fort bien à quis'adresser selon qu'il souhaite commander unChrist, une Vierge ou son saint patron, un héros

de bande dessinée comme le populaire Kalimanmexicain, un logotype commercial comme lelapin de Playboy ou une vedette de la télévision.C'est d'ailleurs un excellent test de popularitépour les acteurs, et le sourire de tel ou tel hérosd'une série télévisée américaine sera recouvert parcelui d'un autre dès lors que son feuilleton auracessé de faire les beaux soirs de la télévision locale.

L'un des plus vieux maîtres du « bus art »panaméen est Jesus Teodoro de Villarue, plus sim¬plement surnommé « Yo Yo » par ses amis etadmirateurs. Après avoir initié ses fils et ses assis¬tants aux secrets de son art, Yo Yo a estimé qu'ildevait en faire profiter aussi ses concurrents. C'estpourquoi il a légué à la postérité un cours com¬plet de « bus art » sous la forme d'une série decompositions, soigneusement numérotées et inti¬tulées « Arte popular », qui circulent dans les ruesde Panama sur la portière et la lunette arrièred'une vingtaine de bus.

Le « bus art » possède aussi son bestiaire : lionsféroces, aigles impérieux et même bouledoguesamateurs de cigares. En effet, sans s'être concertés,un artiste de Panama et un autre de Bogotaont tous deux puisé leur inspiration dans le calen¬drier de la firme américaine Brown and Bigelow,qui pendant de nombreuses années avait repro¬duit les créations d'un artiste new-yorkais morten 1934, Cassius Marcellus Coolidge. Celui-ci 33

s'était spécialisé dans la représentations debouledogues, danois et épagneuls jouant au poker,au billard, aux courses, au baseball, et tétant

d'énormes havanes (l'artiste avait fait ses pre¬mières armes dans la décoration des boîtes de

cigares).Mais si le décor des bus de Panama reflète

fidèlement l'évolution des modes et de la culture

populaire urbaine en matière de musique, decinéma, de télévision, celui des chivas de

Colombie est davantage axé sur la vie rurale. Leschivas sont des camions qui ont été aménagéspour transporter les paysans colombiens qui vontvendre leurs produits sur les marchés de Medellin,

Scène religieuse sur un tap-tap à Haïti.

34

Cali ou Cartagena. Le nom des véhicules et leurdécoration varient d'une région à l'autre. De l'avisdes connaisseurs, le plus beau est le « camión deescalera », un bus à galerie, du départementd'Antioquia.

Vaches et sacs de café

Pour transformer en chiva un gros camion Fordou General Motors, on commence par enlever laplate-forme arrière pour la remplacer par unespace mi-clos, où s'alignent des bancs amoviblesauxquels on accède de l'extérieur, à l'extrémitéde chaque rangée, comme dans les vieux tram¬ways largement ouverts sur les côtés. Lorsque lechargement est lourd (deux vaches ou plusieurssacs de café), on enlève aisément tout ou partiedes sièges pour faire de la place.

Les flancs du véhicule sont traditionnellement

décorés de motifs géométriques, lignes, cercles ettriangles, tracés et peints avec précision sous lesfenêtres et entre les rangées de sièges. Mais c'estsur la porte arrière du véhicule que le peintre peutdonner toute la mesure de son talent.

Ses clients lui apportent parfois commemodèle une carte postale évocatrice de lieux exo¬tiques : le pont de la Golden Gate à San Francisco,un chalet de montagne ou tout simplement un

avion de ligne en plein vol. Les scènes religieuses,inspirées comme à Panama ou en Haïti de l'ima¬gerie populaire, sont nombreuses. Qu'il s'agissede la Vierge à l'enfant, de saint Pierre dans unegloire de nuages ou d'un épisode de la vie duChrist, on y décèle toujours l'influence d'imagespieuses largement répandues. Telle scène duchemin de Croix se référera, par exemple, au pèle¬rinage voisin de Girardot. Mais on ne trouverapas la moindre allusion aux mondes du cinéma,de la télévision ou de la musique populaire. TinaTurner, Rambo ou Janet Jackson n'ont pasencore conquis la rue en Colombie, où Les Gla¬neuses de Millet sont un thème incomparablementplus courant que les portraits de stars.

Si pour des raisons de sécurité, les chivas bon¬dées et surchargées ne sont plus autorisées à péné¬trer dans Medellin, en Haïti les tap-tap sontpartout. Pour de simples parcours urbains ou destrajets plus longs, les tap-tap et leurs grands frères,les « bois fouille », font la loi sur les routes.

Les tap-tap haïtiens étaient à l'origine desfourgonnettes Ford ou Chevrolet, mais aujour¬d'hui on voit davantage d'Isuzus, Mazdas et autresToyotas. Même si la surface de la plate-forme duvéhicule est réduite, on peut toujours y installerdes sièges et ménager un accès en découpantl'arrière. Des cloisons et un toit en bois protè¬gent des intempéries les passagers assis sur desbancs parallèles à la route. Si réduits que soientles espaces libres, les parois et les portes sont exté¬rieurement décorées de motifs floraux, de fruits,

d'oiseaux et d'animaux. Plus spacieux, le « boisfouille » comporte une entrée latérale dont l'enca¬drement est fréquemment sculpté et peint decouleurs vives.

Le nom du tap-tap est peint sur le pare-briseet sur le toit, mais les ailes et les pare-chocs sontégalement couverts de graffiti de toute nature :slogans, devises ou citations bibliques, souventréduites, faute de place, à une simple référence :« Psaumes 1 », « Exode 14, 14 » ou « Romains 15,

7 ». On y lit aussi les noms de parents ou d'amis,des noms de saints ou des noms de lieux, sans

oublier ceux de célébrités comme Jean-Paul Bel¬mondo, Al Capone ou Diego Maradona. Dansun cocktail de créole, de français, d'espagnol etd'anglais, on mélange allègrement le sacré et leprofane, mais on se risque rarement à des allu¬sions politiques.

Les flamants d'Erzulie Freda

A priori, on pourrait penser que les portraits dessaints ou de la Sainte Famille qui ornent les tap-tap haïtiens ne diffèrent guère de ceux qui sor¬tent du pinceau des artistes colombiens et pana¬méens. Pourtant, le regard qu'on y porte n'est pastoujours le même, car pour les adeptes du vaudouhaïtien, l'image de saint Jacques le Majeur seconfond avec celle d'Ogun, le « loa », ou dieu, dela guerre, et celle de la Vierge Marie dans sa gloirecéleste avec Erzulie Freda, la loa haïtienne del'amour. Les couleurs, les animaux et les fleurs

Le « bois fouille » d'Haïti. sont fréquemment associés à tel ou tel loa, d'oùla répétition de motifs comme le bateau d'Agoué,l'épée d'Ogun et les flamants d'Erzulie. Et l'allé¬gorie du Christ en Bon Pasteur peut aussiexprimer le souci du propriétaire du véhicule dese ménager une protection divine dans l'exercicesouvent périlleux de son métier.

L'art des tap-tap haïtiens serait né dans lesannées 40. A cette époque, un certain DeWittPeters, venu à Port-au-Prince enseigner l'anglais,se découvrit une vocation artistique et finit pardevenir le père du mouvement moderniste haï¬tien. Il possédait une jeep que ses élèves passaientleur temps à peindre et à repeindre, et c'est cevéhicule qui aurait donné l'idée aux décorateursde tap-tap d'élargir un répertoire qui se bornaitauparavant à mentionner sur la carrosserie l'iti¬néraire, lé prix de la course et le nom du pro¬priétaire.

« Tap-tap » signifie « vite » en créole, et« chiva » est l'équivalent espagnol de « che-viette » : ces deux mots suggèrent bien la rapiditéavec laquelle ces véhicules se faufilent à larecherche de clients dans les rues encombrées, où

on les repère de loin au vacarme de leur radio-cassette branchée à plein volume. Les tap-tap sontdécorés de guirlandes lumineuses et les bus pana¬méens d'ampoules clignotantes qui les font res

sembler la nuit à d'énormes billards électriquesambulants. Des flots de rubans en plastique accro¬chés aux rétroviseurs soulignent la vitesse del'engin.

Pénétrer dans un de ces véhicules, c'est aussi

découvrir le jardin secret du conducteur. L'usager,attiré par le bruit, la lumière et les couleurs,découvre à l'intérieur d'autres sujets d'étonne-ment. Le tableau de bord s'agrémente parfois d'unpetit autel dédié à un saint protecteur, orné defleurs, de médailles et de gris-gris. Des rideauxpeints en trompe-1'ceil sur la vitre arrière com¬plètent l'illusion d'une maison ambulante. Si lesslogans peints à l'extérieur soulignent la mâle assu¬rance du conducteur, l'intérieur révèle qu'il estconscient des risques quotidiens de son métier.

Car conduire dans ces conditions n'est pas unmétier de tout repos. Les gens roulent vite et leschauffeurs ne se font pas de cadeaux. Les clientsrisquent de bouder un véhicule pauvrementdécoré, qui choque leur sentiment religieux, oudont le décor n'est plus à la mode. Il faut doncconstamment rafraîchir et repeindre les élémentsde ce décor, changer les slogans, ajouter deslumières et trouver des musiques encore plusaccrocheuses. Et c'est ainsi que les impératifs ducommerce poussent l'art de l'automobile à sanscesse se renouveler. 35

L'automobile

possèdedésormais ses

musées, sescollections et

ses millésimes,

ses ouvrages

spécialisés.

L'automobile entre

36

ALVARO CASAL TATLOCK,

journaliste uruguayen,

appartient à la Society of

Automotive Historians (Société

des historiens de l'automobile)

des Etats-Unis et occupe

le poste de directeur du

musée de l'Automobile Club

de l'Uruguay. Il a écrit El

Automóvil en el Uruguay.

1900-1930 (1982), ainsi quede nombreux articles sur

l'histoire de l'automobile pour

des revues spécialisées dans

son pays et à l'étranger.

PAR ALVARO CASAL TATLOCK IL est malaisé de parler de la passion que susci¬tent les vieilles automobiles en gommant l'aspectfinancier de la chose : comment ignorer que cer¬tains modèles valent aujourd'hui plusieurs mil¬lions de dollars, et que chaque vente de voituresde collection établit de nouveaux records de prixpour telle marque, ou tel modèle, quand ce n'estpas pour un bouchon de radiateur signé Lauque ?Ce qui était encore au début des années 80 le vicesecret de quelques passionnés est désormais lachasse gardée de riches spéculateurs qui n'hésitentpas à payer, par exemple, cinq millions et demide livres sterling pour une Bugatti Royale.

Il suffit de comparer d'anciens catalogues devente d'automobiles avec ceux des grandes ventesaux enchères actuelles pour constater la diffé¬rence. Le catalogue Sotheby's du 4 décembre 1989à Londres pesait plus d'un kilo : ce n'était pas troppour décrire à l'intention des connaisseurs les 69véhicules dispersés ce jour-là, mais aussi 650 objets

!*." *

k9ÍK

dans l'histoire

d'art, éléments et accessoires s'inscrivant dans la

catégorie des « automobilia ». A cette occasion,une Rolls-Royce (pas particulièrement attirante)de 1912 a « fait » 915 000 livres et huit autres voi¬

tures ont franchi le seuil des 100 000 livres. Aucun

automobiliste dans son bon sens n'aurait envisagé,en 1950, d'acheter ces monstres que les collection¬neurs d'aujourd'hui s'arrachent à coup de millions.

Qu'est-ce qui fait qu'une voiture de collec¬tion vaut plus ou moins cher qu'une autre ? Unprofane pourrait penser que c'est l'ancienneté oula rareté du véhicule qui en fait tout le prix, alorsqu'il n'en est rien. Les vieux tacots de l'âgehéroïque valent moins cher que les modèles plusrécents : encombrants, difficilement utilisables sur

route, ils intéressent davantage les musées queles particuliers. Parmi les modèles anciens, uneplus-value s'attache toutefois à ceux qui datentd'avant 1905, et sont donc admis à participer àla fameuse course Londres-Brighton. Quant aux

La course de Mille Migliaen Italie du Nord (1987).

La course Paris-Vienne de

1902, dessin au crayon del'artiste allemand Carlo

Demand (v. 1950). En tête,Marcel Renault au volant

d'une de ses voitures.

Une Bugatti royale coupé Napoléon de 1930, qui fut la voiture personnelle d'Ettore Bugatti. Musée national de l'automobile, Mulhouse (France).

Uruguay : un musée sur roues

I rès tôt le matin, dans une rue de Montevideo,

un vieux camion Ford A de 1929, portant des ins¬

criptions en lettres rouges sur fond crème, est à

l'arrêt devant une boutique. Au volant, le laitier se

prépare à sa tournée quotidienne.

Dans tout autre pays, il s'agirait d'une mise

en scène publicitaire, mais ici, en Uruguay, la scène

est somme toute assez banale. Le camion appar¬

tient en effet à toute une flotille de véhicules uti¬

litaires des années 30 et 40, qui n'ont jamais cessé

de rouler et qui appartiennent toujours à la même

entreprise.

D'ailleurs, c'est aussi la règle pour les voitures

particulières, et les routes de l'Uruguay sont quoti¬

diennement sillonnées par des véhicules de toutes

marques, dont certains remontent aux années 20.

38

Leur propriétaire trouve en effet parfaitement

naturel de s'en servir pour ses déplacements jour¬

naliers, même s'il s'agit d'une machine aussi

vétusté qu'une Graham de 1930, une Singer de

1947, une Panhard de 1950 ou une Hansa de 1960.

Peu importe que la marque soit désuète et les

pièces détachées introuvables. En Uruguay, on uti¬

lise, on répare et on recycle systématiquement

toutes les voitures, quels que soient leur marque

et leur âge.

Il y a plusieurs explications à ce phénomène. La

multiplicité des marques tient au fait que lorsque

s'est généralisé l'engouement pour l'automobile,

l'Uruguay n'avait pas encore adopté de politique

précise en matière d'importation de véhicules. Pen¬

dant des décennies, les Uruguayens ont donc pu

se procurer sans problème des voitures des mar¬

ques les plus diverses. Et puis, avec la crise des

années 50, il a fallu limiter les Importations en

imposant des droits de douane très lourds. Ceux

qui possédaient déjà une auto en ont donc pris

grand soin pour la conserver plus longtemps.

Depuis, les frontières se sont ouvertes, avec

certaines restrictions concernant la cylindrée et

« On utilise, on répare et on recyclesystématiquement toutes les voitures, quels que

soient leur marque et leur âge. »

le type de carrosserie, et l'on a assisté à la nais¬

sance d'une industrie locale de sous-traitance et

de pièces détachées. Mais le parc automobile uru¬

guayen était déjà constitué en grande partie et,

aujourd'hui encore, beaucoup d'Uruguayens pré¬

fèrent rouler dans une pièce de musée qui coûte

moins cher à l'achat, en taxes et en assurances

que d'investir dans une voiture neuve dont le prix

représente facilement deux ans de salaire pour

quelqu'un qui gagne bien sa vie.

Voilà pourquoi le laitier de Montevideo continue

à rouler dans sa vieille Ford, bien qu'elle consomme

énormément de carburant. Son propriétaire reste

sans doute persuadé que « l'essence, dans une voi¬

ture, c'est encore ce qui coûte le moins cher » !

modeles les plus rares, ils ne sont chers que si leurrareté s'accompagne d'autres caractéristiques : parexemple, la Bugatti Royale est un modèle extrê¬mement rare, mais si elle vaut des millions de

dollars, c'est parce que beaucoup la considèrentcomme un des chefs-d' de l'esthétiqueautomobile.

L'automobile,

objet d'art ?

En fait, une automobile ancienne vaut le prix queles collectionneurs sont prêts à payer pour la pos¬séder. Comment expliquer qu'une Chevroletdécapotable de 1957 soit plus cotée que lesmodèles plus anciens ou plus récents de lamarque ? On peut penser que ceux qui sont prêtsà payer plus de 30 000 dollars pour un modèleen parfait état sont des nostalgiques qui soitn'avaient pas les moyens de s'en payer une àl'époque, soit en ont effectivement possédé uneet sont à la recherche de leur jeunesse.

La spéculation financière sur les vieilles voi¬tures a donné lieu à un fructueux trafic interna¬

tional. En Amérique du Sud, par exemple, où leparc automobile de pays comme l'Argentine,l'Uruguay ou le Brésil comporte encore de nom¬breux modèles des années 20 et 30 utilisés quoti¬diennement, les chasseurs de pièces rares àl'intention des riches clients étrangers ont pu s'endonner à csur joie dans les années 70. Les auto¬rités nationales ont fini un peu tardivementpar s'en émouvoir et, à l'instar de l'Inde quil'interdit totalement depuis de nombreusesannées, ont imposé des restrictions à l'exporta¬tion de voitures présentant un intérêt historique.

La flambée des prix des originaux est telle queleurs propriétaires hésitent souvent à les exposeraux aléas de la circulation. Aussi se voient-ils pro¬poser la reproduction grandeur nature desmodèles les plus prestigieux. C'est ainsi qu'enUruguay, vous pouvez obtenir moyennantquelque 20 000 dollars une copie de la MercedesSSK des années 20, équipée d'un moteur Mer-cedez Benz de modèle courant. Ce n'est pas cherpayé quand on songe que l'original vaut au moinsdix fois plus.

On en arrive à se demander si les faussaires

internationaux ne seront pas tentés d'investir ledomaine de l'automobile, comme ils l'ont fait

avec la peinture, les meubles et les objets d'art.Tout cela ne peut manquer d'éc les vrais

amoureux des vieilles voitures. Mais certains ont

su mettre à profit cet engouement pour multiplierles clubs, manifestations, courses, défilés et rallyesde vieilles voitures. Il ne se passe pas un mois sansau moins une manifestation de ce type quelque

En 1984, la célèbre courseLondres-Brlghton, réservéeaux tacots antérieurs à 1905.

Essayé en 1770, le fardierà vapeur du Français NicolasJoseph Cugnot est considérécomme le premier véhiculeautomobile.

part dans le monde, et les effectifs de la Fédéra¬tion internationale de voitures anciennes, la

FIVA, ne cessent d'augmenter.Les musées de l'automobile se multiplient.

Mais justement, en quoi les vieilles automobilesprésentent-elles un intérêt muséographique ?

Certains, comme Kenneth Behring, ontapporté à cette question une réponse péremptoireen baptisant, en 1988, musée d'art l'établissementqui porte son nom à Danville, en Californie, etoù sont conservées 150 voitures de collection.

L'automobile est pour lui la plus belle sculpturequ'il lui soit donné de contempler. Pour sa part,Giancarlo Amari, le conservateur du musée del'Automobile Carlo Biscaretti di Ruffia, à Turin,

y voit un témoignage du génie humain et un véri¬table effort de création auquel il attribue unmérite supplémentaire, celui d'avoir été utile à lacollectivité. Dans le même ordre d'idées, on pour¬rait dire que l'automobile est une forme achevéed'art cinétique.

Une histoire récente

Mais ce sont là des notions relativement récentes,

et qui n'avaient certainement pas cours au débutdu siècle. C'est seulement au cours des années 20

que l'automobile est devenue un phénomène his¬torique, lorsqu'un groupe de gentlemen britan¬niques imagina d'organiser entre Londres etBrighton une course de « vieilles » autos, pourcommémorer le jour de 1896 où la décision de 39

40

porter la limite de vitesse pour les automobilesà 12 miles (20 km) à l'heure rendit enfin possiblela compétition entre le cheval et le cheval-vapeur.Cette course annuelle, réservée aux voitures anté¬

rieures à 1905, est quelque chose comme l'Ascotdes voitures de collection.

C'est encore au Royaume-Uni qu'a été fondéen 1930 le Veteran Car Club of Great Britain,

qui rassemble les propriétaires de voitures de plusde 25 ans d'âge. Mais il faudra attendre les années50 pour que naissent les premiers musées del'automobile. Quand Lord Montagu of Beaulieudécida en 1952 d'ouvrir au public son château,dont le garage abritait cinq voitures de maître, iln'imaginait sans doute pas qu'il jetait les fonda¬tions du prestigieux National Motor Museum ofEngland, qui abrite,aujourd'hui plus de 200 voi¬tures anciennes. Il doit y avoir maintenant plusde 300 musées de l'automobile de par le monde,auxquels il faut ajouter des centaines d'autres quiaccueillent des voitures dans leurs collections, àcommencer par le musée d'Art moderne de NewYork, qui exhibe une superbe Cisitalia.

Clubs, livres et revues

C'est aussi dans les années 50 qu'on voit appa¬raître les premiers articles nostalgiques consacrésaux vieilles automobiles, ainsi que les premièresrevues spécialisées. La situation est bien différenteaujourd'hui, avec la multiplication des revuespubliées dans toutes les langues Fanauîo enFrance, The Automobile en Grande-Bretagne ouMotor Klassik en Allemagne.

Par ailleurs, chaque année paraissent de nou¬veaux livres sur les vieux tacots, leur histoire, leurscaractéritiques techniques. Et tous les ans, l'édi¬teur américain Motorbooks international publie uncatalogue de plus de cent pages, mentionnant les

Une salle du National

Motor Museum of England,fondé par Lord Montagu of

Beaulieu en 1952.

ouvrages spécialisés, les marques, les cotes desvéhicules, les gadgets, les adresses des ateliers deréparation, etc. Bien entendu, les derniers cata¬logues comportent aussi une sélection de vidéo¬cassettes pour l'amateur désireux de voir évoluerses modèles favoris ou de revoir avec nostalgie lesfilms publicitaires qui leur sont consacrés.

Au vu de tout cela, on pourrait penser queles amoureux de vieilles voitures n'ont jamais étéplus heureux qu'aujourd'hui : leur passion estdésormais reconnue dans le monde entier, il existedes centaines de clubs où ils peuvent se retrouverentre propriétaires des mêmes marques, voire desmêmes modèles (quelque 250 clubs rien qu'auRoyaume-Uni), des artisans avisés fabriquent àleur intention des pièces détachées de modèlespérimés, tandis que se multiplient les publicationsspécialisées, ainsi que les concours, défilés et autresmanifestions où ils peuvent exhiber leurs trésors,confronter leurs expériences et glaner des infor¬mations précieuses. Mais ils estiment à bon droitavoir quelques motifs de se plaindre : pour desraisons d'écologie et de sécurité, la législation estde plus en plus sévère pour les moteurs polluantset les systèmes de freinage approximatifs desengins qu'ils vénèrent et dont la spéculation faitflamber les prix au-delà de toute mesure.

Pour l'historien de l'automobile, la questionqui se pose aujourd'hui est de savoir si, dans cin¬quante ans, certains véhicules que nous utilisonsquotidiennement susciteront le même engoue¬ment que les Duesenberg, Bugatti, Bentley, Mer¬cedes et Rolls-Royce des décennies précédentes.Y aura-t-il des gens pour payer des millions dedollars pour une de ces voitures, passer des cen¬taines d'heures à la réparer ou usiner à la maindes pièces fabriquées aujourd'hui industrielle¬ment ? Et d'ailleurs, ces véhicules pourront-ilsencore rouler ? On en reparlera vers 2040.

EN BREF DANS LE MONDE...

A qui la faute ?Aux Etats-Unis, biologistes etsociologues ne sont pas d'accord.Parmi les premiers, nombreux sontceux qui pensent que certainsindividus auraient une propensionbiologique à abuser de l'alcool etdes drogues, et que le responsableen serait un gène. Des chercheursdes universités du Texas et de

Californie ont pu établir que surun échantillon d'alcooliques et de

drogués, 77% étaient porteurs dugène incriminé. Selon eux, onpourra un jour identifier les sujetsà risque et agir préventivement.Les sociologues protestent : serefusant à attribuer cette fragilitéde l'individu à son patrimoine

génétique, ils préfèrent enrechercher les causes dans sa

condition sociale. Le groupe àrisque le plus important, affirment-ils, se trouve dans les milieux les

plus défavorisés. Le débat sepoursuit.

Le tour de Rama

Après la grande épopée indiennedu Mahabharata, ce fut cet été au

tour du Ramayana d'entamer satournée européenne. La légendede Rama a été présentée enFrance, en Italie et en Espagnedans sa version originale pardes troupes thaïlandaises, malaises,balinaises, javanaises et indiennes.Attribué à Valmiki, un sage del'Inde antique, le Ramayana est unlong poème épique de 24 000versets. D'abord écrit en sanskrit,

puis en hindi, il a circulé pendantdes siècles dans tout le Sud-Est

asiatique, chaque pays yintroduisant ses particularismesculturels et religieux. Certainsnoms ont changé, despersonnages et des épisodes ontdisparu ou ont été remplacés pard'autres, mais la trame généraleest restée la même.

Pauvres et riches

Selon un rapport publié en juin1990 par l'Organisation decoopération et de développementéconomiques (OCDE), l'aidepublique au développementdistribuée par les grands paysindustrialisés (sous forme de dons,

de prêts à des conditions defaveur ou d'assistance technique)s'est élevée en 1989 à 46,5

milliards de dollars, diminuant de

2% en termes réels par rapport àl'année précédente.

En valeur absolue, le Japonoccupe le rang de premierdonateur avec 8,96 milliards de

dollars (en hausse de près de 4%sur 1988), suivi des Etats-Unis

d'Amérique avec 7,66 milliards dedollars (en recul de 27%). La

France conserve la troisième place,avec 5,14 milliards de dollars,devant la RDA avec 4,95 milliardsde dollars.

En tête du palmarès, leDanemark, la Finlande, la Norvègeet la Suède consacrent en

moyenne 0,98% de leur PNB àl'aide au développement, soittrois fols plus que la moyennedes autres pays (0,33%). Parmiles plus riches, la France arrive enpremier avec 0,54% et les Etats-Unis sont derniers avec 0,15%. Les

Nations Unies, après avoir fixé letaux de l'aide publique audéveloppement à 1 %, l'avaientramené à 0,7%

Sauver l'atmosphèreEn septembre 1 987, 56 paysréunis à Montréal (Canada)

s'étaient engagés à réduire demoitié leur recours aux

chlorofluorocarbones (CFC) : ces

gaz utilisés dans les aérosols, lesréfrigérateurs et les climatiseursseraient en partie responsables dela destruction de l'ozone

atmosphérique. Les 70 pays réunisà Londres en juin 1990 sont allésencore plus loin. Ils ont décidéd'éliminer complètement, d'ici àl'an 2000, la consommation desCFC. La raison de cette

accélération est qu'entre 1987et 1990, les techniques defabrication de produits desubstitution ont beaucoup

progressé, mais presqueexclusivement dans les pays lesplus industrialisés. Les autrespays ont donc réclamé un transfertde technologie qui leur permettede procéder aux reconversionsnécessaires. Au terme de longueset laborieuses négociations etgrâce à l'intervention pressante deM. Mustapha Tolba, directeur duProgramme des Nations Uniespour l'environnement, unedécision a finalement été prise ence sens.

Le système tournesolC'est en 1985, à l'Expositioninternationale de Tsukuba, que

l'ingénieur japonais Kei Moriprésenta pour la première fois sonsystème c Himawari » (Tournesol) :ce dispositif, qui permet de capterl'énergie solaire au moyen defibres optiques, éclairait un plantde tomate géant, qui avait produitplus de 10 000 tomates. Cinq ansplus tard et quelques mois aprèsson décès, le savant japonaisrecevait à titre posthume le titrede docteur honoris causa de

l'Université Carnegie-Mellon auxEtats-Unis pour son invention,considérée comme une des plusgrandes contributions individuellesà la science du 21e siècle. Ses

applications sont multiples et nesont pas limitées à l'agriculture : lesystème « Tournesol » permet, parexemple, de diffuser la lumière etl'énergie solaires dans les partiesles plus sombres d'une ville.

La source des quasarsUne équipe d'astro-physiciensfrançais et américains a détectédes molécules de monoxyde decarbone dans un quasar. Unquasar est une radiosource dontl'émission d'ondes est comparableà celle des étoiles. Celui-ci se

situait à quelque 4 milliardsd'années lumière, soit à une

distance deux fois plus grande quecelle à laquelle des moléculesavaient été observées jusqu'alors.Cette découverte pourrait remettreen cause les théories actuelles sur

l'origine des quasars, notammentl'hypothèse selon laquelle ilsrenfermeraient de gigantesquestrous noirs.

L'étendue de la misère

Une étude présentée en juillet1990 par la CEPAL, la Commissionéconomique des Nations Uniespour l'Amérique latine, indiqueque 44% des Latino-américainssont démunis, 21% jusqu'àl'indigence. La population de cettepartie du monde, qui passait àune époque pour la « classemoyenne » de la planète,compterait donc 183 millions depauvres, dont 88 millionsd'indigents. Les pays de la région,précise l'étude, ont tous connuune période de croissanceéconomique dans les années70, mais la crise des années 80

et le poids de la detteextérieure ont dégradé lesconditions de vie de vastes

secteurs de la population. Entre1980 et 1986, la pauvreté s'estaccrue dans six des dix paysétudiés Argentine, Brésil,Costa Rica, Pérou, Uruguay etVenezuela. Seuls deux l'ont vue

reculer : la Colombie et le

Mexique.Toujours selon cette étude,

la pauvreté serait un phénomèneessentiellement urbain. En

1 970, 37% des défavorisésétaient des citadins ; en 1 989, ilsétaient 57%.

Le gènede la masculinité

Une équipe de chercheursbritanniques du Fonds impérialpour la recherche sur le cancer etdu Conseil de la recherche

médicale affirme avoir trouvé

l'activateur génétique quidétermine le sexe de l'embryon.Situé dans une minuscule région

du chromosome Y, ce gèneamorce une série de

transformations qui commandentle développement des testiculeschez le garçon. Les chercheurspensent que ce gène estprésent chez tous les mammifères,du rat à l'homme. Cette

découverte, rendue publique dansle numéro de juillet dernier de larevue scientifique Nature, donneaux hommes de science un aperçudes premiers stades de laformation de la vie. Cependant, ilssont encore loin d'en connaître les

applications pratiques et refusentd'emblée de s'en servir pour selivrer à des manipulationsgénétiques sur des êtres humains.

Reconstruire Lisbonne

Au mois de juin dernier,le Conseil municipal de Lisbonnea approuvé le projet de l'architecteAlvaro Siza pour la restaurationdu quartier historique de la ville,ravagé en 1988 par un incendie.Cet ambitieux projet ne se bornepas à prévoir la remise enétat de la vingtaine de bâtimentsdétruits par le feu : il remanie enprofondeur le tissu urbain de lacapitale portugaise afin deredonner vie au vieux centre ville,

qui avait été déserté par seshabitants et était tombé

progressivement dans l'abandon.La reconstruction, pour laquellele gouvernement portugaisconsent un effort financier

important et qui bénéficie dedivers soutiens internationaux,sera achevée en 1993.

L'Europe des citoyensIl y a quatre ans, les signataires dela Charte 77, ce manifeste publiéen janvier 1 977 par des citoyenstchécoslovaques pour réclamer lerespect des droits de l'hommedans leur pays, se sont pris à rêverd'une Europe unie dans sadiversité, une Europe « au-delà desblocs », dont les acteurs principauxne seraient pas les institutionsétatiques, mais les citoyens eux-mêmes. Ainsi naquit l'idée d'uneAssemblée européenne descitoyens, dont la sessioninaugurale se tiendra à Prague les19, 20 et 21 octobre 1990.

Pendant ces trois jours, unegrande manifestation culturellepan-européenne se déroulera dansla capitale de la Tchécoslovaquie,sous la devise c People to People »(De peuple à peuple). Tous lesdomaines de la création artistique

y seront représentés.La culture y apparaîtra commeun lieu de vigilance face à lamontée de la haine et de

l'intolérance, de la xénophobie etdu racisme.

EN BREF DANS LE MONDE...41

UNE NOUVELLE RUBRIQUE

Mémoiredu monde

A la demande de nombreux lecteurs, le

Courrier de ÏUnesco inaugurera, en

décembre, une rubrique consacrée

au patrimoine mondial

Intitulée Mémoire du monde, elle

explorera les merveilles artistiques,

architecturales ou historiques et les sites

naturels exceptionnels qui constituent

désormais le bien commun de l'humanité.

Elle dégagera aussi l'intérêt universel de

chaque site, les dangers qui le menacent,

les actions entreprises bien souvent sous

l'égide de l'Unesco mais aussi

les efforts qu'il reste a déployer. Pour

en assurer la sauvegarde et la transmission

aux générations à venir.

En introduction à cette rubrique, nous

publions aujourd'hui trois textes sur la

notion de patrimoine commun, la

Convention du patrimoine mondial et les

campagnes organisées pour aider au

sauvetage de certains sites particulièrement

représentatifs.

Les chutes Victoria entre la Zambie et le Zimbabwe.

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La Convention du patrimoine mondial :un instrument original pour une idée neuve

La Convention concernant la pro¬tection du patrimoine mondial cultu¬rel et naturel, dite « Convention du

patrimoine mondial », est un textejuridique, par lequel les Etats s'enga¬gent à protéger sur leur territoire lesmonuments et les sites reconnus

d'une valeur telle que leur sauve¬garde concerne l'humanité dans sonensemble. Ces mêmes Etats sont éga¬lement tenus de respecter le patri¬moine de valeur universelle situé sur

le territoire d'autres Etats et de co¬

opérer, par le versement d'une contri¬bution financière, à la sauvegarde dece patrimoine dans les pays qui n'ontpas les moyens de l'assurer.

1 1 2 Etats sont déjà parties à laConvention.

Tout commence en 1960

Dans les années 60, la construction

du barrage d'Assouan menace defaire disparaître sous les eaux lesmonuments de Nubie. La commu¬

nauté internationale s'émeut et prendconscience, sans doute pour la pre¬mière fois avec une telle acuité, dela perte irréparable que cela représen¬terait, non seulement pour l'Egypteet le Soudan, mais pour l'humanitétout entière. Chacun comprend aussique le sauvetage de ces monumentsnécessite des moyens considérables,qui ne sont pas à la portée des seuls

44 pays concernés. L'idée d'un patri

moine commun et son corollaire,la responsabilité commune de sa sau¬vegarde a pris corps. Le 8 mars1960, René Maheu, Directeur généralde l'Unesco, lance un appel à la suiteduquel quelque 30 millions de dollarssont réunis pour sauver les monu¬ments de Nubie.

A la même époque, des voix, deplus en plus nombreuses, se fontentendre en faveur de la défense de

l'environnement et de la protectiondes espaces naturels. Le mouvementécologique, dont l'importance n'acessé de croître depuis, a favorisé uneprise de conscience de l'absoluenécessité de respecter les richesses dela nature, qui sont indissociables del'histoire de l'humanité comme de

son avenir.

La Convention du patrimoinemondial est née de la rencontre de

ces deux courants. En affirmant queles �uvres des hommes et celles de

la nature formaient un seul et même

patrimoine, la Convention présentaità l'époque où elle fut adoptée par

la Conférence générale de l'Unesco,en 1 972 une profonde originalité.

Inventaire des biens

du patrimoine mondialParmi les richesses culturelles et natu¬

relles de chaque pays, on cherche àidentifier les éléments dont la sauve¬

garde intéresse la communauté inter

nationale dans son ensemble ces

biens auxquels le texte de la Conven¬tion attribue une « valeur universelle

exceptionnelle » du point de vue del'art, de l'histoire, de la science ou dela beauté naturelle.

Ce sont les Etats parties à laConvention qui, après avoir dressé uninventaire des biens qui leur parais¬sent mériter de figurer sur la Liste dupatrimoine mondial, proposent de lesy inscrire. Le Comité du patrimoinemondial, un organe intergouverne¬mental composé des représentantsde 21 Etats parties à la Conventionélus par roulement, étudie ces pro¬positions. Il s'appuie sur des étudesdétaillées qui lui sont fournies par leConseil international des monuments

et des sites (ICOMOS) et l'Alliance

mondiale pour la nature (UICN),deux organisations non gouverne¬mentales qui font autorité en lamatière. Le nombre des dossiers étu¬

diés chaque année est considérable,mais celui des nouveaux biens ajoutéà la Liste du patrimoine mondialdemeure restreint.

La Liste du patrimoine mondialcompte actuellement 322 biensrépartis dans 69 pays. Elle témoigned'une réelle recherche en vue de

l'établissement d'un inventaire mon¬

dial qui se veut le plus complet, leplus représentatif et le plus cohérentpossible.

Les critères de sélection

Les monuments ou les sites sélection¬

nés doivent, pour faire partie du patri¬moine mondial :

constituer une réalisation unique(jardins de Shalimar au Pakistan, châ¬teau de Chambord en France) ;

avoir exercé une influence consi¬

dérable à une certaine époque (cen¬tre historique de Florence en Italie) ;

apporter un témoignage sur unecivilisation disparue (palais royauxd'Abomey au Bénin, Machupicchu auPérou) ;

illustrer une période historiquesignificative (site d'Abou Mena enEgypte, centre historique de Salvadorde Bahia au Brésil) ;

constituer des exemples d'habitatshumains traditionnels (vallée duM'Zab en Algérie, village d'Holloköen Hongrie) ;

Enfin, être directement associés à

des idées ou des croyances essentielles(ville sacrée de Kandy au Sri Lanka,Indépendance Hall aux Etats-Unis) ;

Quant au patrimoine naturel, ildoit:

illustrer les grandes étapes de l'évo¬lution de la terre (îles Galapagos enEquateur) ;

représenter des processus géologi¬ques en cours (volcans d'Hawaïaux Etats-Unis, Los Glaciares en

Argentine) ;constituer des formations remar-

quables ou d'une beauté exception¬nelle (le Kilimandjaro en République-Unie de Tanzanie, la réserve de Scan-dola en France) ;

contenir les habitats d'espècesmenacées (parc de la Garamba auZaïre, parc de Wood Buffalo auCanada).

Souvent les biens inscrits répon¬dent à plusieurs de ces critères ; danscertains cas, ils ont à la fois une valeurculturelle et naturelle.

Menaces sur

le patrimoine mondialLe patrimoine mondial est confronté àdifférents types de problèmes. Cer¬tains sont liés au développement età l'évolution des modes de vie, à la

pression démographique sur les res¬sources naturelles, à l'industrialisa¬tion, la modernisation des centres

urbains ou la pollution. D'autres résul¬tent de la négligence, du manqued'intérêt, de la pauvreté. A l'inverse,certains sites touristiques sont misen péril par la surfréquentation tou¬ristique, les aménagements dont

cet afflux s'accompagne et les chocsculturels qu'il peut entraîner. Enfin,les catastrophes naturelles inonda¬tions, tremblements de terre, cyclo¬nes sont la cause de dommagesconsidérables.

A l'heure actuelle, ces problèmesse multiplient et s'amplifient dange¬reusement, et il n'est pas exagéré dedire que tout le patrimoine se trouvemenacé, à divers degrés.

Rôle de la Convention

La Convention ne s'applique qu'auxbiens inscrits sur la Liste du patri¬moine mondial, alors que c'est bienévidemment l'ensemble du patri¬moine culturel et naturel qui estmenacé. Mais l'objectif de la commu¬nauté internationale est d'abord

d'attirer l'attention sur le biens les

plus représentatifs et d'organiser unecoopération efficace pour assurer, enpriorité, leur sauvegarde et leur trans¬mission aux générations futures.

L'inscription d'un bien sur la Listelui confère un prestige indéniable. Elleengendre aussi des obligations pour

Un indivisible

héritagePar l'action du Comité du patrimoine mondial, l'Unesco a pu, en deux décen¬

nies, faire prendre conscience d'une réalité nouvelle dans la mentalité

contemporaine à savoir que la sauvegarde du patrimoine monumental

importe à la communauté humaine tout entière, même si, au premier chef,

elle incombe respectivement à chaque pays.

Au vrai, malgré divers obstacles et quoique, ici et là, l'esprit de domi¬

nation ne l'ait pas encore cédé tout à fait à la volonté de coopération, l'on

s'achemine, à pas sûrs, vers une philosophie du patrimoine culturel. Cette

philosophie implique la fin de l'histoire poétique : si le monument revit, le

passé ne ressuscite jamais. Elle exige également, et surtout, le rejet de l'his¬toire politique : il ne s'agit nullement de louer une civilisation, ni de décrier

une culture, ni d'établir quelque palmarès. L'essentiel est de connaître lescréations humaines séculaires dans toute leur diversité. La valorisation des

oeuvres créatrices du passé ne peut être interprétée comme une tentative

de revivification de valeurs anciennes désuètes. Elle apparaît plutôt comme

un effort d'enracinement et d'identification, au plan national, tout autant

qu'elle confère une dignité universelle à ces

Mais il est un autre acquis, de grande conséquence, qu'assure l'Unesco

grâce à la « Convention du Patrimoine mondial ». L'homme dans la cité doit

cesser d'être un homme contre la nature, s'il s'affirme en travaillant pour

la continuité d'une culture. Il doit aussi sauvegarder son environnement natu¬

rel, considéré comme un patrimoine irremplaçable.

En considérant que le patrimoine est à la fois culturel et naturel, l'Unesco

fait revenir l'humanité aux évidences premières : la nécessité de préserver

les équilibres entre l'homme et son milieu, autant que l'interaction entreculture et nature.

Enfin, à l'approche des premiers bilans (puisque la Convention fêtera

en 1 992 ses vingt ans), il est permis de mettre particulièrement en exergue

l'élargissement des circuits de solidarité entre tous les pays, aussi bien que

la diffusion universelle des informations sur le patrimoine de chaque pays.

Aujourd'hui il est heureux de pouvoir le dire le catalogue des mer¬

veilles du monde ne s'arrête plus au chiffre « sept ». Grâce à la Convention

du Patrimoine mondial, une double conviction commence à s'imposer : lesmonuments de la culture sont un seul et immense mémorial des siècles et la

préservation des sites de la nature devient un impératif catégorique communà l'humanité.

Azedine Beschaouch

Président du Comité du patrimoine mondial

Ci-dessus, restauration de peinturesà San Francisco de Lima (Pérou).A droite, l'emblème officiel dupatrimoine mondial.

Page de gauche, le mont Tal, enChine.

l'Etat concerné, auquel la protectionde ce bien incombe au premier chefet qui en devient responsable vis-à-visde la communauté internationale. Le

Comité du patrimoine mondial, relayépar les médias, peut rappeler à cetEtat ses obligations s'il ne les respectepas. Grâce à de telles pressions, ona pu obtenir plus d'une fois l'aban¬don de projets de construction debarrages, d'usines polluantes oud'infrastructures touristiques déme¬surées.

Mais le Comité du patrimoinemondial intervient aussi directement

en faveur des sites protégés, lorsqueles Etats parties lui en font lademande. Le Fonds du patrimoinemondial, qui dispose d'environ 2,5millions de dollars par an, lui permetd'organiser la coopération internatio¬nale par l'envoi d'experts et de maté

riel, le lancement d'activités de for¬

mation et d'information, ainsi que larecherche de sources de financement

pour les gros projets de restaurationde monuments ou de gestion deparcs naturels. De telles opérationspeuvent également être engagéesdans le cadre de campagnes interna¬tionales, comme celle que mèneactuellement l'Unesco en faveur de

Sana'a, au Yémen. 45

DES TEMPLES DE NUBIE A LA VALLÉE DE KATMANDOU

Les campagnes internationales |*>de sauvegarde du patrimoine mondialPAR ABDELKADER BRAHIM-ERRAHMANI

46

Auprès le plus grand sauvetagearchéologique de tous les temps,celui des temples d'Abou Simbel enHaute-Egypte, et la reconstructiond'un des plus hauts lieux de la vie spi¬rituelle, le sanctuaire de Borobuduren Indonésie, l'Unesco mèneaujourd'hui campagne pour la sau¬vegarde de 24 autres sites du patri¬moine culturel universel.

Certaines campagnes sont déjà lar¬gement avancées : c'est le cas de larestauration de Venise, qui s'enfon¬çait inexorablement dans les eaux desa lagune. Les touristes peuvent tou¬jours admirer les célèbres chevauxbyzantins cabrés au sommet de labasilique Saint-Marc, mais ce ne sontque de parfaites copies. Les vrais che¬vaux de bronze, qui dominaient unedes plus belles places du monde, ontété mis, une fois restaurés, à l'abri desrigueurs du temps.

Depuis plus de quinze ans, l'antiqueCarthage est l'objet de soins atten¬tifs : des archéologues du mondeentier sont venus prêter main forteà leurs collègues tunisiens pour exhu¬mer les ruines de la ville romaine et

de la cité punique que l'on croyait,à tort, complètement détruite.

Au Pakistan, Moenjodaro, la « Citédes morts », vestige de la civilisationde l'Indus, a désormais des chancesd'échapper à l'ensevelissement qui laguettait.

Au large de Dakar, l'île de Gorée,ancien entrepôt de la traite négrière,est depuis dix ans l'objet d'une actionde réhabilitation. En parcourant sesrues bordées de bougainvillées, onpeut dès à présent admirer l'éclatretrouvé de son architecture coloniale.

En Mauritanie, Ouadane, Chin-guitti, Tichitt et Oualata, quatrecités médiévales qui jalonnaientl'ancienne route des caravanes, sontmenacées d'être rendues au désert,mais elles luttent pour rester en vie etperpétuer l'empreinte de sept sièclesde civilisation.

A Haïti, on s'attache à préservertrois monuments : la Citadelle de la

Fernere, le Palais de Sans-Souci etle Site des Ramiers, témoins histori¬ques d'une farouche volonté d'indé¬pendance.

Au Sri Lanka, trois centres religieuxet historiques Anuradhapura,Polonnaruva et Kandy sont encours de restauration, tout comme laville ancienne aux célèbres peinturesrupestres de Sigiriya.

En Thaïlande,, à 500 km de Bang¬kok, Sukhothaï (I'« aube de la féli

cité »), qui fut la première capitale duroyaume, recouvre peu à peu sasérénité.

Au Népal, la solidarité internationaletente de rendre leur splendeur à plusde 800 monuments et sites menacés

de la Vallée de Katmandou.

D'autres opérations de sauvegarde,véritables restructurations urbaines

autour d'un tissu historique qu'il fautpréserver et réinsérer dans le présent,sont conduites à Istanbul, en Tur¬quie ; dans la Plaza Vieja de LaHavane à Cuba et la ville sainte de Fès

au Maroc ; à Sana'a, la « perle del'Arabie », ainsi qu'à Shibam et dansla vallée du Wadi Hadramaout au

Yémen ; dans le site d'Antigua auGuatemala, où s'épanouit jadis la civi¬lisation maya, et à San Francisco deLima, au Pérou, un des plus beauxensembles architecturaux des 16e et

18e siècles.

Hué, ancienne capitale du Vietnamet témoin de sa créativité culturelle et

artistique, a souffert tout à la fois desatteintes du temps et des destructionsoccasionnées par la guerre.

D'autres défis nous conduisent au

c.ur de l'Anatolie en Turquie, autourdes églises rupestres de la Vallée deGöreme, ou à Kotoren Yougoslavie :durement touchée par un tremble¬ment de terre en avril 1979, cettecontrée recèle le plus prestigieux patri¬moine monumental du Monténégro.

Aux frontières de l'Argentine et duBrésil, du Paraguay et de l'Uruguay,à la limite des anciens domaines colo¬

niaux espagnols et portugais, on tentede sauver le patrimoine artistique desMissions jésuites des Guaranis.

Le célèbre site de l'Acropole àAthènes, en Grèce, est menacé dedestruction par la pollution industrielle.

Malte, terre d'accueil et carrefourde cultures se devait d'arracher cita¬

delles, villes, médinas, tombes et cata¬combes à l'usure du temps et auxdéprédations de l'homme.

Au Bangladesh, le temple dePaharpur Vihara, ainsi que la Ville-Mosquée de Bagerhat doiventpouvoir compter aussi sur un effortfraternel.

En Ethiopie, quatre sites et monu¬ments appellent, autour de leur sau¬vegarde, la formation d'une chaîne desolidarité : Tiya et ses stèles, ultimestémoins d'une civilisation six fois mil¬

lénaire, aussi mystérieuse que malconnue ; Axoum, la Babylone afri¬caine ; Harare, la forteresse des sul¬tans de la mer Rouge ; les églises deLalibela, que la tradition fait remon¬ter jusqu'à Ménélik Ier, fils de Salomonet de la reine de Saba.

En Egypte enfin, il s'agit d'édifierdeux musées : l'un, au Caire, seraitconsacré à la civilisation égyptienne,l'autre, à Assouan, redonnerait vie auxchefs-d'muvre de l'art nubien.

Mf|

Cl-dessus, Palais des Rohan,dans le quartier de la Grande Ile

è Strasbourg (France).En haut à droite, Parc nationaldu Kilimandjaro, en République-

Unie de Tanzanie.

Cl-contre, le cap de Glrolata

en Corse (France).Ci-dessous, le cloître principal du

couvent de San Francisco de

Lima, au Pérou.

Lancement

d'une campagne

Une campagne internationale faitd'abord l'objet d'une résolution, prisepar la, communauté des Etats mem¬bres de l'Unesco lors d'une Confé¬

rence générale.Le Secrétariat de l'Organisation

entreprend alors des études techni¬ques pour mettre sur pied un pland'action qui définit les opérations desauvegarde, de réhabilitation et demise en valeur à mener, ainsi que leurcoût.

Ce plan d'action est soumis àl'approbation du Conseil exécutif del'Unesco, lequel autorise le Directeurgénéral à lancer un appel à la solida¬rité internationale. Cet appel sollicitele soutien tant technique que finan¬cier des Etats membres, des organi¬sations gouvernementales et nongouvernementales, des fondations,institutions publiques et privées, detous les intellectuels, artistes et écri¬

vains, ainsi que du grand public.L'appel du Directeur général

s'accompagne d'une série d'activitéspromotionnelles visant à sensibiliserle public aux problèmes spécifiquesde chaque campagne et l'incitant à ycontribuer. Ces contributions ont un

caractère volontaire : il faut savoir

que rien n'est prévu dans le budgetde l'Organisation pour lui permettrede financer des travaux d'infrastruc¬

ture et de réhabilitation.

Aux experts nationaux se joignentdes experts internationaux pour

former un comité ou un groupe detravail chargé de la mise en tuvre duplan d'action et de l'affectation desressources financières recueillies à la

suite de l'appel du Directeur généralde l'Unesco.

Les 24 campagnes internationalesen cours nécessitent un investisse¬

ment, national et international, quel'on peut chiffrer à 1 ,5 milliard de dol¬lars des Etats-Unis. Cela donne la

mesure du défi lancé à la solidarité

internationale. Mais il n'y a pas quece défi à relever : les campagnes sou¬lèvent toute une problématique detype socio-économique, dans laquelleinterviennent le développement dessites et la redéfinition des fonctions

architecturales et urbaines des bâti¬

ments. Elles vont bien au-delà de la

simple intervention esthétique etdébouchent sur de véritables opéra¬tions de restructuration des établis¬

sements humains. Sauver les vieilles

pierres, cela ne suffit pas tout à fait.Il faut aussi réinsérer les bâtiments

anciens dans la vie contemporaine,leur donner de nouvelles fonctions

correspondant aux besoins actuelssans pour autant les dénaturer, enfaire des ensembles vivants auxquelsla population ne se sentirait pas étran¬gère et qui commenceraient une nou¬velle carrière au caur de la cité.

ABDELKADER BRAHIM-ERRAHMANI

est, à l'Unesco, le chef de la Section des

activités promotionnelles de la Division du

patrimoine culturel. 47

322 hauts lieux du mondeLa Liste du patrimoine mondial au 15 décembre 1989. (234 biens culturels, 75 biens naturels et 13 biens mixtes, situés dans 69 Etats parties)

Algérie. La Kalâa des Béni Hammad.Tassili n'Ajjer. Vallée du M'Zab. Djémila.Tipasa. Timgad.

République fédérale d'Allemagne.Cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Cathédrale deSpire. La Résidence de Wunzbourg avec lesjardins de la Cour et la place de laRésidence. Eglise de pèlerinage de Wies.Châteaux d'Augustusburg et de Falkenlusta Brühl. Cathédrale Sainte-Marie et EgliseSaint-Michel d'Hildesheim. Monuments de

Trêves. Ville hanséatique de Lübeck.

Argentine. Los Glaciares. Parc nationalde lTguazu.

Argentine et Brésil. Missions jésuitesdes Guaranis : San Ignacio Mini, SantaAna, Nuestra Señora de Loreto et Santa

Maria Mayor (Argentine), Ruines de SâoMiguel das Missoes (Brésil).Australie. Parc national du Kakadu. La

Grande Barrière. La Région des LacsWillandra. Zone de nature sauvage déTasmanie. Les Iles Lord Howe. Parc des

forêts pluviales tempérées subtropicales dela côte est de l'Australie. Parc national

d'Ulum. Tropiques humides deQueensland.

Bangladesh. La ville-mosquée historiquede Bagerhat. Ruines du Vihara Bouddhiquede Paharpur.

Bénin. Palais royaux d'Abomey.Bolivie. Ville de Potosi.

Brésil. Ville historique d'Ouro Preto.Centre historique de la ville d'Olinda.Centre historique de Salvador de Bahia.Sanctuaire du Bon Jésus à Congonhas. Parcnational d'Iguaçu. Brasilia.

Bulgarie. Eglise de Boyana. Cavalier deMadara. Tombe thrace de Kazanlak. Eglisesrupestres d'Ivanovo. Ancienne cité deNessebar. Monastère de Rila. Réserve

naturelle de Srébarna. Parc national de

Pirin. Tombeau thrace de Svechtari.

Cameroun. Réserve de faune du Dja.

Canada. Parc national historique del'Anse aux Meadows. Parc national

Nahanni. Parc provincial des Dinosaures.Ile Anthony. Le Secteur du précipice àbisons « Head-Smashed in Bison JumpComplex ». Parc national de Wood Buffalo.Parcs des Rocheuses canadiennes*.

Arrondissement historique de Québec. Parcnational du Gros Morne.

Canada et Etats-Unis d'Amérique.Parc national de Kluane et Parc national et

Réserve de Wrangell-St. Elias.

Chine (Rép. populaire de). MontTaishan. La Grande Muraille. Le Palais

impérial des Dynasties Ming et Qing.Grottes de Mogao. Le Mausolée duPremier Empereur Qin. Site de l'Hommede Pékin à Zhoukoudian.

Chypre. Paphos. Eglises peintes de larégion de Troodos.

Colombie. Port, forteresse et ensemble

monumental de Carthagène.Costa Rica. Réserves de la Cordillère de

Talamanca-La Amistad.

Côte d'Ivoire. Parc national de Tai. Parc

national de la Comoé.

Cuba. Vieille ville de La Havane et son

système de fortifications. Trinidad et laVallée de los Ingenios.

Egypte. Memphis et sa nécropole. Leszones des Pyramides de Guizeh àDahchour. La Thèbes antique et sanécropole. Les Monuments de Nubied'Abou Simbel à Philae. Le Caire

islamique. Abou Mena.

Equateur. Iles Galapagos. Ville de Quito.Parc national Sangay.

48

Espagne. La Mosquée de Cordoue.L'Alhambra et le Generalife à Grenade.

Cathédrale de Burgos. Monastère et site del'Escurial (Madrid). Parc Gùell, PalaisGiiell, Casa Mila à Barcelone. Grotte

d'Altamira. La vieille ville de Ségovie etson aqueduc. Eglises du royaume desAsturîes. La vieille ville de Saint-Jacques-de-Compostelle. La vieille ville d'Avîla avecses églises extra-muros. Architecturemudéjare de Teruel. Ville historique deTolède. Parc national de Garajonay. Vieilleville de Caceres. La Cathédrale, l'Alcazar etl*Archivo de Indias de Seville. Vieille ville

de Salamanque.

Etats-Unis d'Amérique. Parc nationalRedwood. Mesa Verde. Yellowstone. Parc

national du Grand Canyon. Parc nationaldes Everglades. Independence Hall. Parenational du Mammoth Cave. Pare national

Olympique. Site historique d'Etat desCahokia Mounds. Parc national des Great

Smoky Mountains. Forteresse et sitehistorique de San Juan à Porto Rico. Statuede la Liberté. Parc national de Yosemite.

Parc national historique de Chaco.Monticello et Université de Virginie àCharlottesville. Parc national des Volcans

d'Hawai.

Ethiopie. Parc national du Simen. Eglisescreusées dans le roc de Lalibela. Fasil

Ghebi. Basse vallée de l'Aouache. Tiya.Axoum. Basse vallée de l'Omo.

France. Mont-Saint-Michel et sa baie.

Cathédrale de Chartres. Palais et Parc de

Versailles. Basilique et colline de Vézelay.Grottes ornées de la vallée de la Vézère.

Palais et parc de Fontainebleau. Château etdomaine de Chambord. Cathédrale

d'Amiens. Théâtre antique et ses abords et« Arc de Triomphe » d'Orange.Monuments romains et romans d'Arles.

Abbaye cistercienne de Fontenay. Salineroyale d'Arc-et-Senans. Places Stanislas, dela Carrière et d'Alliance à Nancy. Eglise deSaint-Savin sur Gartempe. Caps de Girolataet de Porto et Réserve naturelle de

Scandola en Corse. Le pont du Gard.Strasbourg - Grande Ile.

Ghana. Forts et Châteaux de Volta,

d'Accra et ses environs et ¿es régionscentrale et ouest. Bâtiments traditionnels

Asante.

Grèce. Temple d'Apollon Epikourios àBassae. Site archéologique de Delphes.Acropole d'Athènes. Mont Athos.Météores. Monuments paléochrétiens etbyzantins de Thessalonique. Sitearchéologique d'Epidaure. Ville médiévalede Rhodes. Site archéologique d'Olympie.Mystras.

Guatemala. Parc national de Tikal.

Antigua Guatemala. Parc archéologique etruines de Quirigua.

Guinée et Côte d'Ivoire. Réserve

naturelle intégrale du Mont Nimba.

Haïti. Parc national historique - Citadelle,Sans-Souci, Ramiers.

Honduras. Site maya de Copan. Réservede la biosphère Rio Plátano.

Hongrie. Budapest : le panorama des deuxbords du Danube et le quartier du Châteaude Buda. Holloko.

Inde. Grottes d'Ajanta. Grottes d'Ellora.Fon d'Agra. Le Taj Mahal. Le temple dusoleil à Konarak. Ensemble de monuments

de Mahabalipuram. Parc national deKaziranga. Sanctuaire de faune de Manas.Parc national de Keoladeo. Eglises etcouvents de Goa. Ensemble monumental

de Khajuraho. Ensemble monumental deHampi. Fatehpur Sikri. Ensemble demonuments de Pattadakal. Grottes

d'Elephanta. Temple de Brîhadisvara àThanjavur. Parc national des Sundarbans.Parc national de Nanda Devi. Monuments

bouddhiques de Sânchi.

Iraq. Hatra.

Iran. Tchoga Zanbil. Persépolis. MeidanEmam, Ispahan.

Italie. An rupestre du Valcamonica.Centre historique de Rome. L'église et lecouvent dominicain de Santa Maria délie

Grazie avec « La Cène » de Léonard de

Vinci. Centre historique de Florence.Venise et sa lagune. La Piazza del Duomoà Pise.

Jamahirîya arabe libyenne. Sitearchéologique de Leptis Magna. Sitearchéologique de Sabratha. Sitearchéologique de Cyrène. Sites rupestres duTadrart Acacus. Ancienne ville de

Ghadamès.

Jordanie. La vieille ville de Jérusalem etses remparts. Pétra. Qusair Amra.

Liban. Anjar. Baalbek. Byblos. Tyr.Malawi. Parc national du Lac Malawi.

Mali. Villes anciennes de Djenné.Tombouctou. Falaises de Bandiagara (PaysDogon).

Malte. Hypogée de Hal Safliéni. Ville deLa Valette. Temples de Ggantija.Maroc. Médina de Fès. Médina de

Marrakech. Ksar d'Aït-Ben-Haddou.

Mauritanie. Parc national du Banc

d'Arguin.

Mexique. Sian Ka'an. Cité pré-hispaniqueet Parc national de Palenque. Centrehistorique de Mexico et Xochimilco. Citépré-hispanique de Teotihuacán. Centrehistorique de Oaxaca et Zonearchéologique de Monte Alban. Centrehistorique de Puebla. Ville historique deGuanajuato et mines adjacentes. Ville pré¬hispanique de Chichen Itza.

Népal. Parc national de Sagarmatha.Vallée de Katmandou. Parc national de

Royal Chitwan.

Norvège. « Stavkirke » d'Urnes. Quartierde « Bryggen * dans la ville de Bergen.Roros. Sites d'an rupestre d'Alta.

Nouvelle-Zélande. Parc national de

Westland et du Mont Cook. Parc national

de Fiordland.

Oman. Fort de Bahía. Sites archéologiquesde Bat, Al-Khutm et Al-Ayn.

Pakistan Ruines archéologiques deMohenjo Daro. Taxila. Ruines bouddhiquesde Takht-i-Bahi et vestiges de Sahr-i-Bahlol.Monuments historiques de Thatta. Fort etJardins de Shalimar à Lahore.

Panama. Les fortifications de la côte

caraïbe du Panama : Portobelo, SanLorenzo. Parc national du Darien.

Pérou. Ville de Cuzco. Sanctuaire

historique de Machupicchu. Sitearchéologique de Chavin. Parc national deHuascaran. Zone archéologique de ChanChan. Parc national de Manu. Ensemble

conventuel de San Francisco de Lima.

Pologne. Centre historique de Cracovie.Mines de sel de Wieliczka. Camp deconcentration d'Auschwitz. Parc national

de Bialowieza. Centre historique deVarsovie.

Portugal. Centre d'Angra do Heroísmoaux Açores. Monastère des Hiéronymites etTour de Belem à Lisbonne. Monastère de

Batalha. Couvent du Christ à Tomar.

Centre historique d'Evora. Monastèred'Alcobaça.

République arabe syrienne.Ancienne ville de Damas. Ancienne ville de

Bosra. Site de Palmyre. Ancienne villed'Alep.

République Centrafricaine. Parcnational du Manovo-Gounda St. Floris.

République-Unie de Tanzanie. Zonede conservation de Ngorongoro. Ruines deKilwa Kisiwani et de Songo Mnara. Parcnational de Serengeti. Réserve de gibier deSelous. Parc national du Kilimandjaro.

Royaume-Uni. La Chaussée des Géantset sa côte. Cathédrale et château de

Durham. Gorge d'Ironbridge. Parc deStudley Royal avec les ruines de l'abbayede Fountains. Stonehenge, Avebury et sitesmégalithiques associés. Châteaux-forts etenceintes du roi Edouard Ier dans

l'ancienne principauté de Gwynedd. Ile deSt. Kilda. Palais de Blenheim. Ville de

Bath. Le Mur d'Hadrien. Le Palais de

Westminster, l'Abbaye de Westminster etl'Eglise Sainte Marguerite. Ile d'Henderson.Tour de Londres. Cathédrale, AbbayeSaint-Augustin et Eglise Saint-Manin àCantorbéry.

Saint-Siège. La Cité du Vatican.

Sénégal. Ile de Gorée. Parc national duNiokolo-Koba. Parc national des oiseaux

du Djoudj.

Seychelles. Atoll d'AIdabra. Réservenaturelle de la Vallée de Mai.

Sri Lanka. Ville sainte d'Anuradhapura.Cité historique de Polonnaruva. Villeancienne de Sigiriya. Réserve forestière deSinharaja. Ville sacrée de Kandy. Vieilleville de Galle et ses fortifications.

Suisse. Couvent de Saint-Gall. Couvent

bénédictin Saint-Jean des S à Müstair.Vieille ville de Berne.

Tunisie. Médina de Tunis. Site

archéologique de Carthage. Amphithéâtred'El Jem. Parc national de l'Ichkeul. Citépunique de Kerkouane et sa nécropole.Médina de Sousse. Kairouan.

Turquie. Zones historiques d'Istanbul. Leparc national de Göreme et les sitesrupestres de Cappadoce. Grande Mosquéeet Hôpital de Divrigi. Hattousa. NemrutDag. Xanthos-Letoon. Hierapolis-Pamukkale.

République du Yemen. Vieille ville deSana'a. Ancienne ville de Shibam et son

mur d'enceinte.

Yougoslavie. Vieille ville de Dubrovnik.Le vieux Ras avec Sopocani. Noyauhistorique de Split avec le Palais deDioclétien. Parc national de Plîtvicka.

Contrée naturelle et culturo-historiqued'Ohrid. Contrée naturelle et culturo-

historique de Kotor. Parc nationalDurmitor. Monastère de Studenica. Grottes

de Skocjan.

Zaïre. Parc national des Virunga. Parcnational de la Garamba. Parc national du

Kahuzi-Biega. Parc national de la Salonga.Zambie-Zimbabwe. Chutes de

Victoria/Mosi-oa-Tunya.

Zimbabwe. Parc national de Mana Pools,

Aires de Safari Sapi et Chewore.Monument national du Grand Zimbabwe.

Ruines de Khami.

Outre les Etats susmentionnés,

sont parties a la Convention dupatrimoine mondial les Etatssuivants : Afghanistan, Antigua-et-Barbuda, Arabie Saoudite, Burkina,

Burundi, Cap-Ven, Chili, Congo,Danemark, Finlande, Gabon, Gambie,

Guyane, Jamaïque, Luxembourg,Madagascar, Maldives, Monaco,Mozambique, Nicaragua, Niger, Nigeria,Paraguay, Philippines, Qatar, Républiquedémocratique populaire lao, Républiquedominicaine, Saint-Christophe-et-Nevis,Soudan, Suède, Thaïlande, Ougandaet Viet Nam.

(*) Le site de Burgess Shale, précédemment inscritsur la Liste du patrimoine mondial, fait partie desParcs des Rocheuses canadiennes.

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Wtte année marque le 500e anni¬versaire de la mort de Mathias Ier, roide Hongrie (1443-1490). SurnomméCorvin, du nom latin du corbeau quiornait son blason, ce souverain de laRenaissance, « amant des muses »pour ses contemporains, fut élu roien 1458 et fit de sa cour un foyerd'humanisme si brillant que savantset artistes de renom y affluèrent del'Europe entière.

Linguiste, érudit et mécène,Mathias Ier fonda en sa capitale deBuda une grande bibliothèque, laCorvina, qu'il enrichit avec le concoursd'une nuée d'agents chargés derechercher des livres dans toute

l'Europe, de les recopier, de les tra¬duire du grec et de l'italien en latinet de les enluminer.

D'autres grands collectionneursde l'époque les Médicis, les Sforza,les rois de Naple, le prince d'Urbin,les rois de France, le roi Wenceslas deBohème détenaient des manuscrits

d'une rare beauté, mais la collectionde Mathias Ier ne le cédait par le nom¬bre et la richesse qu'à la bibliothèqueVaticane.

Un voyageur de l'époque qui serendit à Buda en fut transporté :« J'examinai tous les livres. Des livres ?

Que dis-je, plutôt des trésors. J'eus lesentiment de me retrouver, non pasdans une bibliothèque, mais dans legiron de Jupiter. Des légions d'ouvra¬ges en grec et en hébreu... et plus delivres latins, vieux ou neufs, que par¬tout ailleurs sur terre. »

Le culte des livres et des biblio¬

thèques était récent dans la vie intel¬lectuelle de l'Europe du 1 5e siècle. Lelivre était devenu le véhicule suprêmede la pensée, le transmetteur dusavoir de l'Antiquité, que l'on s'effor¬çait de préserver et de reproduire du

La grande bibliothèquedu roi Mathias

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Manuscrits de la Corvina :

Ci-dessus, sentences de saint Jean Damascene, v. 1485.En haut à gauche, commentaire des traités de rhétorique de Cicerón,

antérieur à 1462.

En haut à droite, graduel de 1480-1490, aux armes du roi Mathlas I" de Hongrieet de la reine Béatrice.

mieux que l'on pouvait. Tout ce quisubsistait de ce savoir était précieu¬sement conservé dans les bibliothè¬

ques, qui devinrent des centresd'érudition, des lieux de travail et

d'échanges intellectuels.Les premiers imprimés, les incu¬

nables, commencèrent à circuler enEurope dès la seconde moitié durègne de Mathias Ier, mais ils restè¬rent largement minoritaires dans sacollection, où dominaient les manus¬crits, les codices. Ceux-ci étaient lefruit du travail minutieux des copis¬tes, qui devaient maîtriser parfaite¬ment le latin, langue des lettres et desarts au Moyen-Age, mais aussi savoirdéchiffrer les nombreuses abrévia¬

tions qu'employaient les auteurs pourgagner du temps et de la place.

C'était un labeur épuisant, physique¬ment et intellectuellement : « Trois

doigts pour écrire, mais c'est tout lecorps qui peine », notaient-il souventdans le colophon, à la fin d'un livre.

Le type des caractères variait,selon le goût du temps. On retrouvedans les manuscrits de la Corvina qua¬tre grandes écritures : gothique tex-tura, gothique antiqua, humanistiqueronde et humanistique cursive. Lestextes étaient minutieusement calli¬

graphiés sur le vélin le plus fin, maissurtout, ils étaient somptueusementornés d'enluminures peintes à lamain. Ceux qui furent acquis par labibliothèque ou réalisés pour elledans les années 1460 à 1470 étaient

rehaussés, dans le style relativementsimple de l'époque, de bandeaux

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marginaux aux entrelacs de feuillagesblanc sur fond de couleur. Plus tard,

à son apogée, la bibliothèque fitl'acquisition de purs chefs-d'vuvrede la Renaissance, ornés d'emblèmesroyaux et parfois même des portraitsdu roi et de la reine de Hongrie.

Mais plus que la beauté de sesmanuscrits, ce fut la richesse de ses

collections qui fit la gloire de la Cor¬vina. Faute d'indications précises, onpense qu'elle aurait possédé, à lamort du roi Mathias Ier, entre 2 000

et 5 000 volumes. Les grands classi¬ques grecs et leurs traductions enlatin y occupaient une place prépon¬dérante. Ce qui subsiste de ce fonds

216 manuscrits dispersés dans dif¬férentes bibliothèques et collectionsparticulières permet de penser qu'ilétait composé pour un tiers seule¬ment d'ouvrages de théologie, lereste étant consacré à des sujetsprofanes.

La Corvina était plus qu'uneeuvre de prestige. Ses codicesétaient compulsés par le souverain,qui guidait ses acquisitions et suivaitles colloques qui s'y déroulaient sousl'égide des grands savants de l'épo¬que. Tous les champs de la connais¬sance étaient couverts : poésie etthéâtre, philosophie et théologie,astronomie et médecine, géographie,rhétorique, grammaire, architecture,art militaire et mathématiques. A côtédes ouvrages en latin, grec et hébreu,on y trouvait aussi les premièresauvres de la littérature hongroisenaissante.

La Corvina connut son apogéevers la fin du règne de Mathias Ier. Lamort du roi amorça son déclin et en1 526, lorsque Buda tomba aux mainsdes Ottomans, la grande bibliothèquefut détruite. 49

i»-.1.

Le courrier des lecteurs

50

Sans légendeVotre numéro de mai 1 990 (Aux ori¬gines du monde) ne comporte pas lescommentaires habituels à propos desphotos de couverture. J'espérais lestrouver dans le numéro de juin, maisnon. Pourriez-vous pallier ce manque ?

Marcelle Achard

Versailles (France)

Nous avons pensé que ces photos se pas¬saient de commentaires, et nous noussommes contentés de mentionner les noms

de leurs auteurs et de l'agence qui endétient les droits à la page 50, dans larubrique des crédits photographiques.

En pleine pageVotre numéro de mai 1990 (Aux ori¬gines du monde) est magnifique. Jeregrette seulement que les reproduc¬tions artistiques soient parfois à chevalsur deux pages (la charnière les défi¬gure) ou entachées d'un texte ou d'untitre (comme la couverture). Si votrebut n'est certes pas de concurrencerles revues d'art, vous ne devez pasoublier que vous avez pour mission deremédier à l'élimination par l'argentde l'accès à la culture. Je souhaiterais

que vos merveilleuses reproductionssoient détachables du texte et qu'ellessoient plus qu'un simple ornementpour votre revue.

M. Chenre

Seiches-sur-le-Loir (France)

S.O.S. Amazonie

Dans le monde entier, on s'inquiètesérieusement des déséquilibres écolo¬giques qui affectent la planète. Il estbien naturel que l'attention de la com¬munauté internationale se tourne vers

l'Amazonie. Récemment, des satellitesnord-américains ont détecté de nou¬

veaux brûlis et relevé des signes dedéboisement. Les conséquences peu¬vent en être catastrophiques : réchauf¬fement planétaire par accumulationde gaz carbonique dans l'atmosphère,risque de fonte des glaces polaires etélévation du niveau des mers, entraî¬nant l'inondation de villes et des

régions côtières.Pour prévenir une telle catastro¬

phe, il faut agir d'urgence sur troisfronts :

1. Intervention de l'ONU auprèsde ses Etats membres afin qu'une partdes ressources consacrées à l'arme¬

ment soit destinée à la préservation dela forêt amazonienne, sous la formed'une taxe amazonienne (une sorte de

redevance) qui serait versée aux paysde l'Amazonie continentale.

2. Affectation de ces ressources

et d'une partie de la dette extérieuredes pays du bassin amazoniencédée par les pays créanciers à lacréation d'un Parc mondial de conser¬

vation de la nature en Amazonie.

3. Adoption, sous les auspices del'ONU, d'un plan conjoint des pays dubassin amazonien Bolivie, Brésil,Colombie, Pérou, Venezuela et Guya-nes pour la protection et la gestionde la partie du parc mondial qui relèvede leur juridiction nationale.

On aura ainsi franchi un grandpas vers l'instauration de la paix dansle monde et la prise de conscience dela nécessité, pour tous les peuples, dechercher une solution aux problèmesqui touchent l'humanité tout entière.

Maria Marcina

Pimentel Coimbra Bueno

Rio de Janeiro (Brésil)

L'introuvable passéallemand

Dans votre numéro d'avril 1990 (Sil'histoire m'était contée Penser le

passé), vous publiez un entretien avecHinnerk Bruhns intitulé « L'introuvable

passé allemand », dans lequel il est ditque la R.D.A. n'a pas cherché à décou¬vrir et à faire juger les criminels deguerre. La personne qui a réalisé cetentretien n'a pas cru bon de relevercette erreur pour le moins grossière,qui fait apparaître l'historien en ques¬tion comme quelqu'un de bien malinformé.

Pierre Huguenin

Helsinki (Finlande)

Sorti de son contexte, le membre de phrasecité pourrait en effet prêter à malentendu.Dans les premières années de l'après-guerre, la « denazification », l'épuration del'appareil d'Etat (surtout en ce qui concer¬nait les professeurs et les juges, mais appa¬remment dans une moindre mesure pourles militaires) a été effectuée de manière

plus systématique dans la zone d'occupa¬tion soviétique que dans les zones occiden¬tales, et les tribunaux militaires soviétiquesont souvent ordonné des peines très lour¬des. Cette phase s'est achevée en1948-1949. Après la création de la RDA, àl'automne 1 949, il y a encore eu une sériede procès contre des criminels de guerre,dont le dernier date de 1988. Mais là n'était

pas le sujet de l'entretien. L'idéologie offi¬cielle de la RDA faisait du fascisme une

forme et une conséquence du capitalisme.Les ombres du passé national-socialisteétaient donc rejetées du côté de la RFA,tandis que la RDA refusait de porter lamoindre responsabilité morale pour lescrimes commis par l'Allemagne pendant laguerre. Cette responsabilité (avec ses impli¬cations financières) n'a été reconnuequ'après la chute du régime par le nouveaugouvernement de la RDA. L'amalgame

entre national-socialisme, fascisme et capi¬talisme avait occulté le problème de la poli¬tique raciste. Ce n'est que dans les années1970 que la persécution des Juifs estdevenue un thème pour les historiens dela RDA, mais sans qu'il y ait eu un véritableet sérieux débat public. C'est ce travail surla mémoire qui reste à faire en RDA.

Hinnerk Bruhns

Paris (France)

Mains d'aveugleDans votre numéro de juillet 1990 (Unmilliard d'analphabètes, le défi), vouspubliez à la page 10 une photo mon¬trant les mains d'une aveugle sur unetablette de braille.

Je vous signale tout d'abord queces mains ne lisent pas, comme l'indi¬que la légende, elles écrivent. Celaétant, la tablette doit être tenue de

haut en bas devant l'aveugle et pasen largeur. Ensuite, jamais un aveuglene mettrait les deux mains au même

endroit de la tablette. La main droite

écrit de droite à gauche, et la maingauche maintient la barre où se trou¬vent les trous pour imprimer les carac¬tères, mais pas sur l'endroit où la maindroite poinçonne les lettre. Enfin, leBraille s'écrit de droite à gauche et lepapier, retourné, se lit de gauche àdroite du côté du relief.

Yvonne Tavel

Lausanne (Suisse)

Nous prions nos lecteurs d'excuser cetteerreur. Espérons que cette lettre leurpermettra de la rectifier.

Toutes les languesdu monde

Dans l'entretien qui lui est consacrédans votre numéro de mai 1990 (Auxorigines du monde), Camilo José Celadéclare que « dans quelques années,il ne restera que quatre grandes lan¬gues dans le monde... l'anglais, l'espa¬gnol, l'arabe et le chinois. »

Dommage qu'un lauréat du prixNobel ait une vision si étroite de la

communauté mondiale et manifeste

si peu de considération pour la diver¬sité de la nature humaine.

Nous entrons dans une ère de

démocratie, de coexistence. Les empi¬res ne gouvernent plus le monde. Achacun de sauvegarder ses racines,mais dans la compréhension d'autrescroyances et d'autres cultures.

Il me semble que ce noble idéalest celui de l'Unesco, et c'est d'ailleursla raison de l'infini respect que je luiporte.

Paramendra Kumar BhagalKatmandou (Népal)

Crédits

photographiques

Couv, page 3 à gauche : © Jean-

Loup Princelle, Paris. Page 2 :© Denise Fernandez Grundman,

Aix-en-Provence. Page 3 à droite :

S. Bassouls © Sygma, Paris.

Couverture de dos : Burt Glin,

© Magnum, Paris. Pages 4, 6, 7 :

© Musée de l'Homme, Paris. Page5 : Vauthey © Sygma, Paris. Page

8 : Doisneau © Rapho, Paris. Page9 : © Sygma, Paris. Page 10 en

haut : T. Graham © Sygma, Paris.Pages 10, 12 en haut, 13, 14 en

bas : © Loup, Paris. Pages 11, 26,

27 en haut : Dingo ©Vandystadt,Paris. Page 12 en bas : F. Le

Diascorn © Rapho, Paris. Pages

14-15 : T. Campion © Sygma, Paris.

Page 15 en bas : Valéry Assenât© Publicis-Conseil - Renault 25

Baccara. Page 16 : F. Le Guen

©Sygma, Paris. Pages 16-17:

Georg Gerster © Rapho, Paris.

Pages 18-19 : © Cinémagence, Paris.Pages 18 en bas, 24 en haut : John

.G. Ross © Rapho, Paris. Page 20en haut : © Kipa, Paris. Page 20 enbas : ©V.A.G. France

Volkswagen-Audi. Page 21 : John

Launois © Rapho, Paris. Pages 22

en haut, 27 en bas, 36 à gauche,38 en haut : © Musée national de

l'automobile, Mulhouse. Pages22-23 en haut : Relations publiques

Citroën XM. Pages 22-23 en bas :

© Keystone, Paris. Page 24 en bas :

Erich Hartman © Magnum, Paris.

Page 25 : © Robert Braunschweig,Berne. Page 28 : Bill Nation Picture

Group © Rapho, Paris. Page 29 :Yann Arthus Bertrand

© Vandystadt, Paris. Page 30 :

© Daimler-Benz, Stuttgart Galerie

Hans Mayer, Düsseldorf. Page 31en haut : J. Prayer © Sygma, Paris.

Pages 31, 32, 33, 34, 35 : ©Moira

F. Harris, Minnesota. Pages 36-37 :

Bernard Asset © Vandystadt, Paris.

Page 37 en bas : © Galerie Vitesse,

Paris. Page 38 en bas à gauche :Alvaro Casal Tatlock, Uruguay.

Page 38 en bas à droite : Seraillier

© Rapho, Paris. Page 39 : Dave

Cannon © Vandystadt, Paris. Page39 en bas : © Musée national des

techniques Conservatoire national

des Arts et Métiers, Paris. Page 40 :© The National Motor Museum,

Beaulieu. Pages 42-43 : © José Serra,

Lima. Page 44 : Unesco/Commission nationale chinoise.

Pages 45, 46 en bas : Unesco/S.

Mutai. Pages 46-47 en haut :Unesco/Monuments historique

Alsace, J.P. Beck. Page 47 en bas :

Unesco/F. Charafi. Page 47 à

droite : Unesco/M. Bâtisse. Page

49 : © MTI, Budapest - Collection

Országos Széchényi Knyvtár,

Budapest.

le Courrier>*dei UNESCO

Mensuel publié en 34 langueset en braille

par l'Organisation des Nations Unies pourl'éducation, la science et la culture.

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RÉDACTION AU SIÈGE

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Français : Alain Lévêque, Neda El KhazenAnglais : Roy Malkin, Caroline Lawrence

Espagnol : Miguel Labarca, Araceli Ortiz de UrbinaArabe : Abdelrashid Elsadek Mahmoudi

Russe : Gueorgui ZélénineEtudes et recherches : Fernando Ainsa

Unité artistique, fabrication : Georges ServatIllustration : Ariane Bailey, Carole Pajot (46 90)Documentation : Violette Rmgelstein (46 85)

Relations éditions hors Siège : Solange BeimSecrétariat de direction : Annie Brächet (47.15),

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Editions en braille (français, anglais, espagnol etcoréen) : Marie-Dominique Bourgeais (46.92)

ÉDITIONS HORS SIÈGE

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Italien : Mario Guidotti (Rome)

Hindi : Ganga Prasad Vima! (Delhi)Tamoul : M Mohammed Mustafa (Madras)

Persan : H. Sadough Vanini (Téhéran)Néerlandais : Paul Morren (Anvers)

Portugais : Benedicto Silva (Rio de Janeiro)Turc : Mefra Hgazer (Istanbul)

Ourdou : Hakim Mohammed Said (Karachi)Catalan : Joan Carreras i Marti (Barcelone)Malais : Azizah Hamzah (Kuala Lumpur)

Coréen : Paik Syeung Gil (Séoul)Kiswahili : Domino Rutayebesibwa (Dar-es-Salaam)

Croato-serbe, Macédonien, Serbo-croate,

Slovène : Bozidar Perkovié (Belgrade)Chinois : Shen Guofen (Beijing)Bulgare : Goran Gotev (Sofia)

Grec : Nicolas Papageorgiou (Athènes)Cinghalais : SJ. Sumanasekera Banda (Colombo)

Finnois : Marjatta Oksanen (Helsinki)Suédois : Manni Kessler (Stockholm)

Basque : Gurutz Larrañaga (San Sebastian)Vietnamien : Dao Tung (Hanoi)

Pachto : Zmarai Mohaqiq (Kaboul)Haoussa : Habib Alhassan (Sokoto)

Bangla : Abdullah A. M. Sharafuddin (Dacca)Ukrainien : Victor Stelmakh (Kiev)

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IMPRIMÉ EN FRANCE {Printed m France)DEPOT LEGAL ' CI OCTOBRE 1990

COMMISSION PARITAIRE ND 71842 - DIFFUSÉ PAR LES N M P P

Photocomposition - Le Courrier de l'Unesco Photogravure impressionMaury -Im primeur S A , Z I route d'Etampes, 45330 Malesherbes

ISSN 0304 3118

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Il découvre l'unique revue culturelleinternationale paraissant en 35 langues et

attendue, dans 120 pays, par des centaines demilliers de lecteurs de toutes nationalité

Il explore, mois après mois,la formidable diversité des cultures

et des savoirs du monde

NO io 1990 -OPl -90 5- 485 F

// s'associe à l' de l'Unesco qui vise àpromouvoir « le respect universel de la justice,de la loi, des droits de l'homme et des liberté

fondamentales pour tous, sans distinction derace, de sexe, de langue ou de religion... ».