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UNIVERSITE DE MONTPELLIER 1 Centre du droit de la consommation et du marché MASTER 2 RECHERCHE DROIT DU MARCHE Le juge face au contrat Par Pauline CASTELOT Sous la direction de Melle Isabelle ALVAREZ Mémoire présenté et soutenu dans le cadre du Master 2 Recherche Droit du marché pour l’année 2010/2011

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UNIVERSITE DE MONTPELLIER 1

Centre du droit de la consommation et du marché

MASTER 2 RECHERCHE DROIT DU MARCHE

Le juge face au contrat

Par Pauline CASTELOT

Sous la direction de Melle Isabelle ALVAREZ

Mémoire présenté et soutenu dans le cadre du Master 2 Recherche Droit du marché pour

l’année 2010/2011

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« L’Université n’entend donner aucune approbation, ni improbation aux opinions émises.

Celles-ci doivent être considérées comme propres à leur auteur. »

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Sommaire

Titre 1 : Le juge face à la volonté commune des parties ............................................................ 7

Chapitre 1 : Le rôle d’interprète du contrat ............................................................................ 7

Section 1 : L’interprétation explicative du contrat ............................................................. 7

Section 2 : L’interprétation créatrice d’obligation ........................................................... 11

Chapitre 2 : Le pouvoir modérateur du juge ........................................................................ 14

Section 1 : L’intervention du juge dans le contrat............................................................ 14

Section 2 : La limitation des pouvoirs du juge ................................................................. 17

Titre 2 : Le juge, esclave de la force obligatoire du contrat ..................................................... 20

Chapitre 1 : Le refus actuel de la théorie de l’imprévision .................................................. 20

Section 1 : La modification du contrat en raison des changements de circonstances ...... 20

Section 2 : Les possibilités éventuelles de réviser le contrat ........................................... 23

Chapitre 2 : L’introduction envisagée de la théorie de l’imprévision .................................. 26

Section 1 : L’évolution incertaine de la position française .............................................. 26

Section 2 : La nécessité d’une évolution française........................................................... 29

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« Le droit est l'ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de

s'accorder à la liberté de tous. »

Emmanuel KANT

1.- La difficile conciliation entre la liberté de chacun et la liberté de tous est à l’origine de

tout les courants de pensée traitant des rapports dans la société. Outil économique nécessaire à

tous, le contrat est la relation juridique la plus utilisée dans la société.

2.- Le contrat est un accord de volonté entre des parties désirant chacune l’une de l’autre

l’exécution d’une ou plusieurs obligations. Le contrat est donc basé sur un accord de volonté.

Il est dirigé par de nombreux principes directeurs, établi par la théorie générale des contrats,

mise en forme par les rédacteurs du Code civil.

3.- Parmi ces principes, la théorie de l’autonomie de la volonté a fortement influencé le

droit des contrats en France. Ce principe est à la base une idée philosophie. Inspirée par

Rousseau dans « Le contrat social » et par Kant, elle a pour volonté de ne pas restreindre la

liberté de l’individu. Ainsi, il faut distinguer la notion d’obligation et d’obligatoire. Les

obligations viennent donc de l’individu qui est libre de se les imposer ou non. Toutefois, si

elles sont le fruit de sa décision, une fois décidées, elles s’imposent à lui.

4.- L’autonomie de la volonté s’exerce à travers la liberté contractuelle. Cette dernière

permet aux contractants de choisir dans un premier temps de contracter ou non. Ce choix fait,

l’individu est également libre de choisir avec qui contracter. Plus encore, la liberté s’exprime

également dans la teneur du contrat, les parties étant libres de former leur contrat comme elles

l’entendent, sous réserve toutefois de respecter certaines règles, comme l’ordre public et les

bonnes mœurs.

5.- Le choix des parties doit cependant être réfléchi car le contrat n’affecte pas seulement

les contractants mais s’inscrit également dans leur relation avec les tiers. Découlant également

de l’autonomie de la volonté, la force obligatoire du contrat est un des principes directeurs de

l’exécution du contrat. Exprimé par l’article 1134 du code civil, il permet aux parties de créer

elles mêmes leur propre loi. Cela signifie que les parties doivent exécuter leurs obligations

mais également que celles-ci s’imposent aux autres, et notamment au juge qui doit respecter

l’esprit et le contenu du contrat.

6.- Longtemps dominante, la théorie de l’autonomie de la volonté semble affaiblie face à

la montée en puissance de la théorie du solidarisme contractuelle. Cette théorie est basée sur

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le postulat que les contractants ne sont pas égaux entre eux. Il est vrai que depuis quelques

années, les relations contractuelles se sont considérablement modifiées. Il est certain que dans

un contrat passé entre un professionnel et un non professionnel, ce dernier est forcément plus

faible, car profane sur l’objet du contrat1.

7.- Le législateur est alors intervenu, notamment dans le cadre du droit de la

consommation, du droit du travail, ceci affectant le droit des contrats. Cet interventionnisme

flagrant de l’Etat n’est pas sans atteindre le principe de l’autonomie de la volonté.

8.- Les contractants vont de plus en plus souvent se voir opposer et opposer eux même

l’équilibre du contrat. Cette notion rappelle la difficile question de l’égalité des contractants.

S’il est vrai qu’il est utopique de penser que les contractants sont égaux, il l’est davantage de

penser qu’un quelconque équilibre puisse s’instaurer dans le contrat. Il est essentiel de

diminuer les inégalités mais rechercher un véritable équilibre reste un objectif difficile à

atteindre.

9.- Le recul de l’autonomie de la volonté a été également marqué par le rôle de plus en

plus étendu du juge. En effet, sous l’empire de l’autonomie de la volonté, le juge se voyait

opposer la force obligatoire du contrat. Avec l’affaiblissement de celle-ci, il se voit la

possibilité d’intervenir dans le contrat. Toutefois, s’il est possible que l’intangibilité du

contrat soit atteinte par l’immixtion du juge, celle-ci reste encadrée et limitée en raison de la

trop grande insécurité juridique qu’elle pourrait provoquer.

10.- Le rôle du juge est assez paradoxal dans le contrat en raison des influences

réciproques des deux courants de pensée, solidarisme et liberté contractuelle. Le juge doit

interpréter, contrôler, parfois modifier, mais jamais imposer. Le refus catégorique de la

doctrine et de la jurisprudence d’accepter l’introduction de la théorie de l’imprévision dans le

droit français montre la difficulté de poser les limites entre intervention du juge et ingérence

du juge dans le contrat. Face à au refus de son immixtion, le juge va parfois s’appuyer sur des

concepts tel que l’équité, la loyauté contractuelle ou la bonne foi pour pouvoir parfois imposer

aux parties des obligations qui lui paraissent nécessaires.

11.- Outil du juge, ces concepts peuvent parfois déranger dans leur utilisation et apparaitre

comme dénaturés de leur véritable sens. Plus que des interrogations sur les concepts de droit

1 LEQUETTE Yves, Bilan des solidarismes contractuels, in Etudes en l’honneur de P.Didier, Economica 2008,

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des contrats, une interrogation parait essentielle à l’heure des réformes envisagées en droit des

contrats. Quel rôle doit et peut avoir le juge dans le contrat ?

12.- La notion fondamentale à l’origine du contrat est la volonté des parties. Celle-ci

s’impose à ces dernières, mais également aux tiers, et surtout au juge. Toutefois, face à cette

volonté, le juge peut parfois se retrouver face à une situation difficile : respecter la volonté des

parties, mais également respecter la loi, parfois méconnue par les contractants. Face à la

volonté des parties, le juge aura pour office de resituer le contrat dans un cadre juridique tout

en respectant l’esprit que les parties ont voulu lui donner (Titre 1).

13.- Si dans ce cas, le juge a la possibilité d’intervenir de manière mesurée, il n’en est pas

de même dès lors que son intervention touche directement le fond du contrat. Avec le refus de

la théorie de l’imprévision, c’est la notion de force obligatoire qui prend toute son ampleur et

qui vient s’imposer au juge, qui ne peut que la subir. La question reste cependant en suspens

car il semblerait qu’une évolution tant jurisprudentielle que doctrinale vienne atténuer ce rejet

(Titre 2).

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Titre 1 : Le juge face à la volonté commune des parties

14.- Le juge est soumis à la « loi » des parties qu’est le contrat. Cependant, la « loi » des

parties est bien souvent une source de litige à laquelle l’intervention judiciaire est nécessaire.

Le juge doit alors se prononcer sur le contrat et sur son exécution tout en respectant son

contenu.

15.- Toutefois, les parties n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour

appréhender la réalité et les engagements qui découlent de certains contrats. Le juge permet

alors de rattraper les erreurs et l’éventuel déséquilibre que le contrat contient. Il peut ainsi

dégager ce que les parties ont réellement voulu (Chapitre 1) mais également revenir sur

certains points du contrat qui peuvent provoquer un déséquilibre pour l’une ou l’autre des

parties (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le rôle d’interprète du contrat

16.- Les parties ne parviennent pas toujours à retranscrire leur volonté dans le contrat, ce

qui peut parfois compromettre ou affecter la bonne exécution du contrat. Pour éviter ceci, il

est de l’office du juge d’interpréter le contrat. Il va ainsi éclaircir les points obscurs du contrat

en explicitant la volonté des parties (Section 1). La jurisprudence a cependant repoussé les

limites de l’interprétation du juge, en lui accordant la possibilité de déduire des obligations de

l’accord des parties (Section 2).

Section 1 : L’interprétation explicative du contrat

17.- Interprète du contrat, le juge doit permettre de clarifier le contrat, à la fois son cadre,

mais également son contenu. Ce pouvoir permet au juge de qualifier le contrat quand cela est

nécessaire (A), mais également d’éclaircir les clauses qui seraient ambigües (B).

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A.La qualification nécessaire

18.- Le juge est tenu par les qualifications légales des contrats nommés auxquels il est

confronté, néanmoins, il n’est pas lié par les qualifications retenues par les parties. Si la

qualification retenue n’est pas conforme à la réalité du contrat ou que les parties n’ont pas

qualifié le contrat, le juge a le pouvoir de le requalifier.

19.- S’il est rare que les parties ne qualifient pas le contrat, il est toutefois courant de voir

une qualification erronée. L’erreur peut provenir de la méconnaissance des termes juridiques,

souvent vulgarisés, induisant en erreur les parties. Il y a souvent confusion entre la vente, le

louage ou encore le contrat mixte que peut être le contrat d’entreprise2. Le juge va donc

retranscrire à travers la qualification du contrat, la véritable intention des parties.

20.- Dans d’autres cas, la qualification erronée du contrat sera le fruit de la mauvaise foi

des parties. En effet, les parties pourraient vouloir opter pour un régime juridique particulier,

beaucoup plus favorable que celui qui leur serait applicable. Ce schéma se retrouve

notamment dans les actes de donation, qualifiés à tort de contrat de vente, afin d’échapper au

régime fiscal s’appliquant à ce genre d’acte.

21.- La qualification exacte du contrat est nécessaire car c’est elle qui va définir le régime

juridique qui lui est applicable. Le juge ne peut pas faire une bonne application du droit si

celui-ci n’est pas bien défini. L’article 12 du code de procédure civile dispose dans son alinéa

2 que le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux

sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

22.- La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, consacré le pouvoir de qualification des

juges3. En reconnaissant ce pouvoir, la Cour de cassation rappelle que le juge reste la

référence en matière de droit dans les litiges. Il n’a pas à être lié par les qualifications, parfois

fantaisistes, des parties.

23.- La question s’est toutefois posée de savoir si la qualification du contrat était une

obligation ou une simple faculté. L’article 12 du code de procédure civile dans son alinéa 2

utilise le verbe devoir. La lecture du texte indiquerait donc qu’il s’agirait d’une obligation

pour le juge de qualifier ou de requalifier les actes et faits litigieux.

24.- Toutefois, ce pouvoir de qualification reste limité par la volonté des parties. En effet,

l’article 12 du Code de procédure civile précise également dans son alinéa 3 que le juge ne

2 Cass. Com, 6 mars 2001, JCP G, 2001.II.10564, n. Fr. LABARTHE

3 Cass. Soc., 31 octobre 1989, Bull. civ., V. n°624, p.376

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peut requalifier le contrat si les parties , en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont

elles ont la libre disposition, ont prévu de lier le juge par leur qualification.

25.- Les parties doivent avoir conclus un accord exprès. La simple concordance dans leurs

qualifications respectives ne peut être entendue comme un véritable accord. Cette condition

stricte se comprend par l’importance d’une telle renonciation. En effet, les parties renoncent à

voir requalifier leur contrat, quand bien même la requalification serait plus avantageuse pour

l’une d’entre elles. Cette disposition de l’article 12 du code de procédure civile ne s’applique

que pour les droits disponibles des parties.

B.L’exégèse des clauses

26.- Outre la qualification du contrat, le juge peut également interpréter le contenu du

contrat. Toutefois, ce pouvoir ne peut s’exercer que lorsque le contenu de la convention est

obscur. Autrement dit, pour que la volonté des parties s’impose au juge, celle-ci doit

cependant être claire et sans ambigüité. En effet, face à des stipulations obscures, le juge se

doit d’interpréter le contrat afin d’en permettre la meilleure exécution possible, celle-ci qui ne

lésera ni l’une ni l’autre des parties.

27.- Il convient donc de se demander à quel moment un contrat devient obscur, à partir de

quel moment les clauses sont ambigües. Cette question est une question de fait, qui reste donc

à l’appréciation souveraine du juge. Toutefois, certaines clauses types sont considérées

généralement comme claires par les juges. Dans le cas où le juge considère qu’une ou

plusieurs des clauses d’une convention sont obscures, le juge sera habilité à interpréter ces

clauses.

28.- Le rôle d’interprète du juge est strictement encadré par des règles légales

d’interprétation, prévues dans le code civil aux articles 1156 à 1164. L’article 1156 du code

civil rappelle le principe fondamental de l’interprétation légale : l‘esprit l’emporte sur la

lettre. Le juge doit en effet déduire le sens du contrat de la volonté commune des parties et

non pas des termes utilisés par ces mêmes parties.

29.- Il s’agit donc d’une recherche plus psychologique que juridique qui s’impose au juge.

Celui-ci va devoir replacer la convention dans le contexte qui a poussé les parties à se lier, et

ainsi en retrouver l’exacte essence.

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30.- Le juge va également devoir apprécier les clauses, les unes par rapport aux autres, et

leur redonner le sens nécessaire à leur exécution. En effet, il peut arriver que, selon le sens

donné à la clause, celle-ci ne puisse plus s’appliquer. En cas d’ambigüité, le juge va primer

l’interprétation selon laquelle la clause est valable selon les dispositions des articles 1157 et

1158 du code civil. Grace à cette interprétation des clauses, le juge va pouvoir éliminer toute

contradiction dans la convention et ainsi valoriser ses effets. Il doit donc préférer une

interprétation globale du contrat à une interprétation fragmenté. Cette position tend à se

confirmer avec l’admission de la notion d’économie du contrat. En effet, la Cour de cassation4

a de plus en plus tendance à prendre en considération la notion d’économie du contrat. Par là,

elle consacre une vision plus globale du contrat permettant de déterminer l’utilité des clauses

et leurs effets plus facilement.

31.- Le rôle d’interprète du juge doit toutefois respecter la liberté contractuelle des parties.

Pour cela, il est limité. Le juge ne peut aller jusqu’à la dénaturation. La dénaturation est le fait

pour le juge d’interpréter à sa façon des clauses qui sont pourtant claires et sans ambigüité. Il

viole ainsi la liberté contractuelle des parties.

32.- Le juge tient également compte de la condition des parties. En effet, selon l’article

1162 du code civil, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui

qui a contracté l’obligation. Le Code civil part donc du principe qu’il y a une partie faible

dans le contrat qui doit être davantage protégé. En règle générale, il s’agissait du débiteur.

Toutefois, la jurisprudence est venu quelque peu modifier la signification, en raison

notamment de la spécificité de certains contrats. En effet dans les contrats conclus entre un

professionnel et un consommateur, c’est en faveur de ce dernier que le contrat est interprété.

La jurisprudence considère en effet qu’il faut distinguer entre celui qui propose le contrat et

celui qui l’accepte. Ainsi, c’est le professionnel qui propose le contrat et le consommateur qui

l’accepte.

33.- Cette solution est d’ailleurs consacrée dans l’article L133-2 du code de la

consommation. L’alinéa 2 ne dispose que les clauses « s'interprètent en cas de doute dans le

sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel. »

4 Cass. Civ. 1

ère, 12 juillet 2001, n°98-21.591, Bull. Civ. I, n°224

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Section 2 : L’interprétation créatrice d’obligation

34.- Face au contrat, le juge va parfois dégager des obligations qui n’ont pas été prévues

par les parties dans le contrat, mais qui sont pourtant logiquement rattachables à l’objet de

celui-ci. Forçant le silence du contrat, le juge va imposer de nouvelles obligations aux parties

(A). Ce pouvoir créateur reste cependant sous le contrôle de la Cour de cassation qui veille à

ce que le contrat ne soit pas dénaturé (B).

A.Le forçage du contrat

35.- Outre l’interprétation permettant d’éclaircir le contrat et ainsi d’en faciliter la

compréhension, le juge peut également être un interprète créateur d’obligations nouvelles,

découlant du contrat.

36.- L’article 1160 du code civil dispose que l’on doit suppléer dans le contrat les clauses

qui y sont d’usage, même si celles-ci n’ont pas été mentionnées dans la convention. Cet article

reprend les idées développées dans l’article 1135 du code civil qui rappelle que les parties à la

convention sont soumises aux obligations crées par la convention mais également aux

obligations découlant de l’équité, l’usage et la loi.

37.- Ainsi, le juge va pouvoir se référencer à l’équité, la bonne foi, la loyauté dans le

contrat pour établir certaines obligations non mentionnées dans la convention, et qui sont

pourtant nécessaire à sa bonne exécution. Cette technique là a été qualifiée de « forçage » par

Josserand car le juge va forcer les parties à exécuter certaines obligations qu’elles n’avaient

pas prévu.

38.- Le forçage du contrat par le juge a ainsi permis de dégager plusieurs obligations

s’imposant aux contractants même si ceux là ne l’avaient pas prévue. Ce fut notamment le

cas pour l’obligation de sécurité, découverte dans un arrêt de 19115. Un transporteur

marseillais était mis en cause après les dommages subis par une passagère durant la traversée.

La Cour avait alors déclaré que le transporteur était soumis à une obligation de sécurité durant

la traversée6. Cette obligation a depuis été reprise dans les contrats pouvant atteindre à la

sécurité des personnes.

5 Cass. Civ., 21 novembre 1911, DP 1913, 1. 249.

6 Attendu « Que l'exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l'obligation de

conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d'Alger constate elle-même que c'est au cours de

cette exécution et dans des circonstances s'y rattachant, que Y... a été victime de l'accident dont il poursuit la

réparation »

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39.- L’obligation d’information a également été dégagée grâce à la méthode du forçage.

Dans un premier temps, c’est une obligation d’information qui a été mise à la charge du

vendeur, d’informer l’acheteur, notamment sur la chose vendue. Mais cette obligation n’a eu

de cesse de s’étendre et concerne désormais tout les professionnels à l’encontre des non-

professionnels, et même à l’encontre du professionnel qui ne possède pas les compétences

nécessaires pour connaitre la chose vendue7.

40.- Dans ce domaine, le juge a souvent précédé le législateur en déduisant cette

obligation de la notion de bonne foi posée par l’article 1134 du code civil. En effet, si le

législateur a précisé les contours de l’obligation d’information concernant les contrats de

consommation, c’est la jurisprudence qui a dégagé les principaux axes de l’obligation

d’information aussi bien dans son contenu que dans son application.

41.- Les juges ont également dégagé un devoir de conseil pour les professionnels tels que

les banquiers, les assureurs ou encore les professionnels du droit tels que les notaires ou les

avocats. Les informations doivent être nécessaires, de natures pertinentes et exactes.

L’obligation d’information a une nature particulière puisque la Cour de cassation a par

ailleurs décidé que la preuve de cette obligation pesait sur le débiteur de l’obligation, le

professionnel.

42.- Le juge peut donc faire peser à la charge de l’une ou l’autre des parties des

obligations considérablement importante.

43.- L’intangibilité de la force obligatoire du contrat, s’imposant en tant que loi des

parties, est donc remise en cause. A travers la technique du forçage, le juge s’impose

réellement et bouleverse l’équilibre du contrat.

44.- Le contrôle de la Cour de cassation est alors indispensable pour limiter le pouvoir du

juge et éviter le foisonnement d’obligations créées de toute pièce par l’imaginaire des juges.

B.Le contrôle de la Cour de cassation

45.- La question s’est posée de savoir si l’interprétation était une question de droit ou de

fait. Dans un arrêt de la Cour de cassation du 2 février 18088, la Cour a expressément reconnu

que le pouvoir d’interpréter le contenu du contrat appartenait aux juges du fond qui l’exercent

de manière souveraine.

7 Cass. Com., 28 mai 2002, Contrats Conc. Consom., 2002, n°138, obs. LEVENEUR

8 Cass. , sect. Réun., 2 février 1808, S. chr., D. Jur. Gén. V° Cassation, n° 1573.

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46.- Cette solution s’explique en raison de la mission pour laquelle la Cour de cassation a

été institué : maintenir l’unité de la loi, en harmonisant la jurisprudence. Or le contrat, en

raison de l’autonomie des parties, est une unité particulière, différente de celle de la loi. Son

contrôle ne rentre donc pas dans les attributions de la Cour de cassation.

47.- De plus, l’interprétation suppose une recherche de la volonté des parties, donc une

recherche d’éléments de fait. Cette enquête relève du pouvoir d’investigation des juges du

fond, la Cour de cassation ne pouvant se prononcer sur le fond de l’affaire. Cependant, la

Cour de cassation opère tout de même un certain contrôle. En effet, la qualification du contrat

est une question de droit9 , et donc, est soumise à son contrôle.

48.- La Cour de cassation contrôle donc la qualification donnée par les juges et les censure

en cas de mauvaise qualification. En effet, en qualifiant le contrat, les juges du fond qualifient

la loi et les textes qui vont lui être appliqué. En cas d’erreur dans la qualification, la loi est

violée car elle est mal appliquée. La Cour de cassation intervient donc pour contrôler cet

aspect là.

49.- De plus, si la Cour de cassation laisse aux juges du fond le pouvoir d’interpréter le

contenu du contrat, elle leur pose également une limite, ne pas dénaturer le contrat. En effet,

depuis un arrêt du 15 avril 187210

, la dénaturation est considérée comme un moyen de

cassation. Dans cet arrêt, la Cour rappelle que le juge ne peut interpréter le contenu de la

convention lorsque celui-ci est clair et sans ambigüité. Ainsi, la Cour montre qu’il n’est pas

question de revenir sur l’interprétation même du juge. En effet, ce n’est pas l’erreur

d’interprétation qui est ici censuré mais bien la mauvaise utilisation du pouvoir d’interpréter.

Quand le contrat est clair, le juge n’a pas à user de son pouvoir d’interprétation, afin de

respecter la liberté contractuelle des parties.

50.- En cas d’interprétation créatrice par le juge, la Cour de cassation intervient afin de

préciser l’étendue et les limites des obligations imposées par le juge. Elle fixe également la

nature de l’obligation. Le juge peut donc créer des obligations, mais reste suspendu à la

décision de la Cour de cassation.

9 Cass. Com, 10 déc. 2003, n° 01-11.923, Bull. Civ. IV, n°416

10 Cass. Civ. 15 avril 1872, DP 72. 1. 176, S.72. 1.232

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Chapitre 2 : Le pouvoir modérateur du juge

51.- Le juge est soumis à la force obligatoire du contrat mais n’en est pas pour autant

seulement spectateur. Il a la possibilité d’intervenir dans l’exécution du contrat à travers le

contrôle de certaines clauses et le pouvoir d’accorder des délais (Section 1). Toutefois, son

pouvoir peut également être restreint par certaines clauses introduites par les parties dans le

contrat (Section 2).

Section 1 : L’intervention du juge dans le contrat

52.- Le juge peut intervenir de deux sortes dans le contrat. Il peut tout d’abord se

prononcer sur une clause concernant l’exécution contractuelle, en sanctionnant une clause

manifestement excessive (A). Mais il peut également prononcer en cas d’impossibilité

d’exécuter ses obligations en accordant des délais au débiteur en difficulté (B).

A.Les clauses abusives

53.- La directive communautaire du 5 avril 1993 a été codifiée par la loi du 1er février

1995. L’article L132-1 du code de la consommation dispose que « Dans les contrats conclus

entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui

ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur,

un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. ». Le texte

comporte une liste indicative et non exhaustive des clauses abusives.

54.- D’après G.Cornu11

, la clause abusive se retrouve dans les contrats entre non-

professionnel et professionnel. Elle serait une stipulation imposée par le professionnel, lui

conférant un avantage excessif au détriment du non professionnel.

55.- Certaines clauses peuvent être abusives en raison de leur caractère menaçant pour

l’économie du contrat. A travers cela, c’est l’équilibre du contrat qui est en jeu. La clause peut

également être abusive car elle vise à procurer au seul professionnel un avantage sans

justification ou sans contrepartie pour le non-professionnel.

11

G. CORNU, Vocabulaire juridique, 4ème

édition, 2003, PUF

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56.- Voilà un faisceau d’indices bien peu complet pour aider le juge à repérer une clause

abusive. Et pourtant, il lui est nécessaire de pouvoir les identifier aisément en raison de son

devoir de contrôle. En effet, il ne s’agit pas d’une simple faculté pour le juge de relever une

clause abusive, mais d’une véritable obligation12

.

57.- La Cour de Justice de l’Union Européenne13

a décidé à plusieurs reprises qu’il était

du devoir du juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle des lors

qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaire à cet effet. La jurisprudence

communautaire a donc imposé au juge un nouveau contrôle sur les clauses contractuelles.

Pour faciliter ce contrôle, la Cour de cassation14

a autorisé le juge à relever d’office des

moyens de droit en matière de droit de la consommation.

58.- Le juge voit donc son pouvoir de contrôle être renforcé avec cette compétence

spéciale en droit de la consommation.

B.Le délai de grâce

59.- L’article 1244-1 du code de procédure civile dispose que « compte tenu de la

situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut dans la limite

de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues ».

60.- Le délai de grâce est une mesure permettant au débiteur de bonne foi d’obtenir un

délai supplémentaire. Il est accordé par le juge qui le décide de manière discrétionnaire sans

avoir besoin du consentement du créancier. Il s’agit encore d’un mécanisme permettant

d’assouplir la force obligatoire du contrat15

.

61.- Les contours du délai de grâce ont été précisés grâce à la jurisprudence. Dans un arrêt

de 200616

la Cour de cassation définit assez clairement les contours de ce mécanisme. En

l’espèce, le débiteur reprochait aux juges du fond de ne pas lui avoir accordé un délai de grâce

en ajoutant une condition à l’article 1244-1 du code civil qui n’existe pas.

12

BORGHETTI J-S.,CARVAL S., DESAHYES O. et VINEY G., L’obligation pour le juge de relever d’office

le caractère abusif d’une clause, RDC 2010/1 13

CJCE, 4 juin 2009, Pamon GSM Zrt. c/ Erzsebet Sustikne Gyorfi, aff. C-243/08 et CJCE, 6 octobre 2009,

Asturcom telecomunicaciones SL c/ Cristina Rodriguez Noguerna, aff. C-40/08 14

Cass. Civ. 1ère

, 22 janvier 2009, n° 03-11.775 15

MAZEAUD Denis, Nature et régime du pouvoir du juge en matière de délai de grâce, RDC 2007/2, p. 263 et

s. 16

Cass. Civ. 1ère

, 24 octobre 2006, n°05-16.517

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

16

62.- La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif qu’ « en refusant d’accorder un

délai de paiement au débiteur, la Cour d’appel n’a fait qu’exercer le pouvoir discrétionnaire

qu’elle tient de l’article 1244-1 du code civil, sans avoir à motiver sa décision. »

63.- Dans la loi du 31 décembre 1989 relative au surendettement des ménages et des

particuliers, des procédures de reports de dette et de rééchelonnements étaient déjà possible.

Les juges utilisaient alors les outils de cette loi dans l’objectif d’assurer le rétablissement de la

situation du débiteur surendetté.

64.- Le débiteur en l’espèce utilisait donc cette vision des choses pour protester contre le

refus de son délai de grâce. Toutefois, les faits sont radicalement différents. Le débiteur

n’était pas ici dans une situation précaire ou financièrement invivable, mais simplement

incapable de payer une dette isolée. Il ne peut donc invoquer une procédure de

surendettement. Celle-ci doit rester un droit spécial et non pas général.

65.- Le juge peut accorder un délai de grâce mais doit veiller à ce que celui-ci ne

déséquilibre pas de manière évidente le contrat. En effet, le créancier ne doit pas pâtir d’une

trop grande clémence accordée au débiteur. Le juge a donc un pouvoir discrétionnaire sur les

délais de grâce et n’a pas à motiver ses décisions. Les motifs pouvant être discutés par le

débiteur mécontent ne peuvent donc pas être utilisés.

66.- Toutefois, selon certains auteurs, le refus d’accorder un délai de grâce doit être

motivé lorsque ce dernier est demandé par voie de demande principale conformément à

l’article 455 du NCPC17

qui en fait de manière générale l’obligation pour tout jugement à

peine de nullité.

67.- Selon l’article 1244-2 du code de procédure civile, le délai de grâce permet de

suspendre les procédures d’exécution qui pourraient être engagées par le créancier. Le juge a

donc la capacité à travers ce mécanisme d’intervenir sur une des sanctions de l’inexécution

d’une obligation contractuelle.

17

Il dispose que «Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs

moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le

jugement doit être motivé.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

17

Section 2 : La limitation des pouvoirs du juge

68.- Il peut arriver que les parties prévoient des clauses qui permettent de se substituer aux

pouvoirs du juge afin d’échapper au contrôle de ce dernier. Toutefois, le juge n’est toutefois

pas privé de toutes ses facultés puisque là encore il peut modérer la clause en elle-même (A),

mais également ses effets (B).

A.La clause pénale

69.- La clause pénale est une clause contractuelle fixant un forfait de dommages-intérêts

afin de prévenir ou de sanctionner une éventuelle inexécution des obligations contractuelles.

Elle a été définie de manière plus précise par la jurisprudence.Selon la Cour de cassation18

,

constitue une clause pénale, la clause contractuelle « par laquelle les parties évaluent

forfaitairement l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée. »

70.- L’article 1152 du code civil dispose que « Lorsque la convention porte que celui qui

manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut

être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.

71.- Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été

convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera

réputée non écrite. ». La loi du 9 juillet 1975 instaure dans l’alinéa 2 de cet article, une

possibilité pour le juge de modifier la clause pénale.

72.- Lorsqu’il y a excès dans le montant de la clause pénale, le juge peut augmenter ou

diminuer la peine convenue. Toutefois, ce pouvoir ne peut s’exercer que lorsque le montant

est manifestement excessif ou dérisoire. Le juge ne peut modérer une clause seulement parce

qu’il estime le montant trop élevée. Il doit rechercher l’aspect manifestement excessif du

montant par rapport à l’inexécution des obligations, et donc au préjudice qu’il en découle19

.

73.- Le juge dispose ainsi d’un pouvoir modérateur dans l’exercice d’une sanction

conventionnelle de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Sa présence, avant le contrat,

justifiée par la nécessité de qualifier, se retrouve donc à la fin du contrat. Si celle-ci peut se

justifier par le prononcé d’une résolution judiciaire ou par un litige ayant attrait à des

inexécutions contractuelles, elle apparait comme étant sévère lorsqu’il s’agit d’une sanction

conventionnelle, la liberté contractuelle des parties étant une nouvelle fois bafouée.

18

Cass. Civ. 1ère

, 10 octobre 1995, Bull. 1995, I, n°347, p.243 19

Cass. Ch. Mixte, 20 janvier 1978, D. 1978. 349

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

18

74.- La Cour de cassation est donc intervenue pour restreindre le pouvoir modérateur du

juge et ainsi rétablir l’esprit de la clause pénale. Elle a en effet posé de nombreuses limites au

pouvoir du juge, dénaturant ainsi le réel impact de l’alinéa 2 de l’article 1152 du code civil.

75.- Tout d’abord, le juge ne peut que modérer la peine lorsque celle-ci est manifestement

excessive. Il ne peut en aucun cas la réduire en deçà du préjudice subi par le contractant lésé.

Cette limite est tout à fait justifiée au regard de la finalité de la clause pénale. En effet, il ne

faut pas oublier que celle-ci est prévue au contrat dans un but répressif, et il faut bien le

reconnaitre dans un but dissuasif. Le contractant sait qu’il peut encourir une peine en cas

d’inexécution de ses engagements. Si le montant de la clause pénale peut être rabaissé de

façon considérable par le juge, il n’y aura plus l’effet escompté.

76.- Ici encore, se retrouve la limite entre la liberté contractuelle et l’équilibre du contrat.

Cependant, le juge est-il le mieux placé pour se prononcer sur cet équilibre ?

77.- La clause pénale est là pour indemniser le préjudice du créancier. Or, le juge n’a

parfois pas le recul ou les connaissances techniques nécessaires pour se prononcer sur le

préjudice qu’un contractant lésé peut éprouver.

78.- Ainsi, outre la limite dans la réduction de la peine, le juge doit également justifier son

intervention dans la sanction de l’inexécution. Il doit exposer les motifs pour lesquels il

modère la clause pénale.

79.- Parmi ces motifs, le comportement du débiteur n’est pas une justification suffisante.

En effet, le juge n’est pas là pour statuer sur l’inexécution du contrat. Bonne ou mauvaise foi,

erreur ou faute, il n’a pas à interpréter l’inexécution. Le juge est là uniquement pour encadrer

la sanction afin que celle-ci ne soit pas injustifiée et de nature à handicaper lourdement l’une

ou l’autre des parties.

B.La clause résolutoire

80.- L’article 1184 du code civil traite de la résolution judiciaire du contrat en cas de

manquement par une des parties à son obligation contractuelle.Contractuellement, les parties

peuvent échapper à la contrainte de l’article 1184 du code civil en optant pour l’insertion

d’une clause résolutoire dans leur contrat. Elle a pour objectif de simplifier une possible

résolution du contrat, mais également d’inciter à l’exécution du contrat.

81.- Le créancier aura donc le choix entre demander le bénéfice de la clause résolutoire, la

résolution judiciaire ou encore l’exécution forcée.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

19

82.- L’invocation de la clause résolutoire n’empêche pas le créancier, victime de

l’inexécution, d’agir ultérieurement en exécution forcée. De même, la mise en œuvre de la

clause résolutoire n’empêche pas le créancier de mettre fin au contrat en cas de comportement

grave du débiteur, empêchant toute continuation du contrat.

83.- Cette clause, de plus en plus répandue dans les contrats, est admise de plein droit par

le droit français. De jurisprudence constante20

, il est permis aux parties de prévoir

expressément une condition résolutoire, précise, absolue et opérante de plein droit à leur

convention. Il a même été précisé que cette condition tient lieu de loi à ceux qui l’ont faite et

que les tribunaux ne peuvent pas la changer.

84.- La clause résolutoire s’impose donc au juge, en dépit de l’alinéa 3 de l’article 1184

du code civil, portant ainsi atteinte aux pouvoirs conférés au juge de prononcer la résolution

du contrat. Cependant, encore faut-il que la clause résolutoire soit énoncée de manière claire

et non équivoque.

85.- Dans un arrêt du 25 novembre 198621

, la Cour de cassation vient préciser en effet cet

élément, élément pouvant affaiblir si ce n’est réduire l’efficacité de la clause résolutoire.

86.- Elle vient préciser que la clause résolutoire de plein droit qui permet aux parties de

soustraire la résolution d’une convention à l’appréciation des juges doit être exprimée de

manière non équivoque, faute de quoi les juges recouvrent leur pouvoir d’appréciation.

87.- Pas de révolution ici puisqu’il est certain que la clause résolutoire ne peut enlever au

juge tout pouvoir. En effet, celui-ci peut être appelé à contrôler a posteriori la résolution du

contrat. La Cour de cassation montre donc que la clause résolutoire ne peut pas toujours éviter

l’intervention du juge. En effet, il a été aussi jugé que si la clause a été mise en œuvre par un

créancier de mauvaise foi, le juge peut la déclarer nulle et non avenue.

88.- Une fois de plus, le juge exerce ici un pouvoir modérateur sur les clauses du contrat.

Limité par la volonté des parties, il doit rester vigilant sur l’équilibre du contrat, afin que

celui-ci ne soit pas en totale défaveur de l’un des contractants. C’est à travers le contrôle de

ces clauses que le juge parvient à garder un semblant de pouvoir sur le contrat.

89.- Toutefois, si le juge parvient à contrôler un tant soit peu le contrat, il reste prisonnier

de la volonté des parties, même si depuis quelques années, la tendance semble s’inverser.

20

Cass. Civ., 2 juillet 1860, DP, 1860.I.284 21

Cass. Civ., 25 novembre 1986, Bull., 1986, I, n° 279 p. 266

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

20

Titre 2 : Le juge, esclave de la force obligatoire du contrat

90.- Le solidarisme contractuel défend la nécessité de rééquilibrer un contrat qui souvent

ne l’est pas en raison de la différence entre les contractants. Le contrat serait donc dominé par

l’une des parties qui imposerait des obligations à une autre. S’il est vrai que l’évolution des

contrats tend à constater ce déséquilibre récurrent dans les parties, la résolution de cet

équilibre est plus compliquée, notamment en ce qu’elle implique le juge dans le contrat.

91.- L’immixtion du juge en droit civil est refusé catégoriquement, en raison notamment

de la liberté contractuelle des parties. Ce refus est parfaitement illustré par le refus de la

théorie de l’imprévision en droit français, limitant ainsi profondément le pouvoir du juge dans

le contrat, (Chapitre 1), même si une nouvelle vision de l’imprévision tend à se dessiner, et à

être accepter, bien que difficilement (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Le refus actuel de la théorie de l’imprévision

92.- La théorie de l’imprévision permettant de réviser le contrat en cas de bouleversement

majeur de l’équilibre du contrat est refusée en France. Cette position catégorique est parfois

regrettable, notamment dans l’intérêt des parties. En effet, nul ne peut contester l’effet que

peut avoir un changement des circonstances entourant le contrat sur ce dernier (Section 1).

Les parties peuvent cependant prévoir elle-même une révision en cours d’exécution par des

mécanismes spécifiques, le juge étant mis à l’écart (Section 2).

Section 1 : La modification du contrat en raison des changements de

circonstances

93.- La théorie de l’imprévision prend en compte le contexte dans lequel le contrat évolue.

En effet, en cas de contrat à exécution successive, il est parfois amené à évoluer, modifiant

parfois de manière sensible les obligations des parties (A). Cette théorie a cependant été

refusée de manière certaine par la jurisprudence qui a refusé de reconnaitre une intervention

directe du juge dans le contrat (B).

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

21

A.L’influence contextuelle et conjoncturelle

94.- Selon G.Cornu, l’imprévision est une théorie en vertu de laquelle le juge a le pouvoir

de réviser un contrat à la demande d’une partie lorsque par suite d’un événement extérieur,

étranger à la volonté des contractants et imprévisible lors de la conclusion, l’exécution de

celui-ci devient pour l’un des contractants tellement onéreuse qu’elle déséquilibre l’économie

du contrat22

.

95.- L’imprévision est donc une théorie permettant la révision judiciaire du contrat en cas

de bouleversement dans les circonstances entourant le contrat. Les contrats visés sont

évidemment ceux à exécution successive, s’inscrivant dans un contexte, de plus en plus

souvent économique, et subissant parfois les affres conjoncturels de ce contexte.

96.- Les parties ne sont pas à l’abri de l’évolution des taux de changes pour les contrats

internationaux, de l’augmentation du cout des matières premières pour les contrats de

fourniture mais également de toute évolution contextuelle ou législative entravant l’exécution

de leurs obligations contractuelles.

97.- En cas de changement majeur, la révision du contrat est parfois nécessaire pour

rétablir l’équilibre du contrat, afin que l’une des parties ne se retrouve pas dans une situation

plus que compromettante, ne pouvant pas exécuter le contrat.

98.- C’est dans ce cadre là que la théorie de l’imprévision opère. Les parties n’ayant pas

pu prévoir ces évolutions au moment de la conclusion du contrat, elles ont donc la possibilité

de demander la révision du contrat en tenant compte du nouveau contexte dans lequel les

parties vont devoir évoluer23

.

99.- La révision du contrat est une révision judiciaire. Elle est opérée par le juge, à la

demande des parties et évidemment dans l’intérêt de celle-ci. C’est la difficulté majeure de

cette théorie qui affaiblit considérablement la force obligatoire du contrat ainsi que la liberté

contractuelle des parties. Le juge va pouvoir intervenir dans le contrat en imposant des

obligations aux parties de manière arbitraire.

100.- Touchant au principe de la liberté contractuelle, de la force obligatoire du contrat,

mais provoquant également une insécurité juridique certaine, la théorie de l’imprévision a été

écartée avec force par la jurisprudence, refusant ainsi de reconnaitre un pouvoir au juge dans

le contrat, en droit civil français.

22

G.CORNU, Vocabulaire juridique, 4ème édition, PUF, 2003, p. 451 et 452 23

GENICON Thomas, Théorie de l’imprévision… ou de l’imprévoyance ?, D. 2010, n°37, p. 2485 et s.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

22

B.Le refus catégorique de la jurisprudence

101.- Il n’est pas possible de parler d’imprévision sans parler de l’arrêt Canal de

Craponne24

, qui fut le premier refus de cette théorie et qui à ce jour, est toujours appliqué. Au

regard des faits, cette affaire, qui est pourtant d’un autre siècle, pourrait se dérouler à notre

époque.

102.- Les conventions litigieuses portent sur la fourniture d’eau à partir d’un canal.

Conclues en 1560 et 1567, elles ont vocation à être à exécution successive. Au 19ème

siècle,

l’entreprise propriétaire du canal se plaint de la baisse de la valeur de la monnaie et

corrélativement à cela, de la hausse du cout de la main d’œuvre. Face à ce déséquilibre

économique, l’entreprise demande alors que la redevance qui avait été établie pour la

fourniture de l’eau soit augmentée, afin d’être alignée avec les frais d’entretien et ainsi de

rééquilibrer la convention. La Cour d’appel d’Aix accepte alors la demande de l’entreprise

d’augmenter la redevance.

103.- La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel d’Aix le 6 mars 1876 au

motif qu’aucune considération de temps ou d’équité ne peut permettre au juge de modifier la

convention des parties.

104.- La Cour de cassation s’appuie ici sur l’article 1134 du code civil pour affirmer que

le juge ne peut modifier l’accord de volonté des parties. La force obligatoire est donc ici plus

importante que des considérations d’équilibre du contrat.

105.- La solution parait ici quelque peu démesurée. En effet, trois siècles séparent la

conclusion des contrats et la demande de révision. Il est évident que le contexte dans lequel

évolue le contrat a été profondément modifié, d’où la remise en question notamment de la

redevance due par l’une des parties.

106.- De plus, la Cour de cassation écarte toutes considérations d’équité, violant au

passage l’article 1135 du code civil. Pourtant, cet article est dénué de toute confusion

possible. Les conventions obligent à toutes les suites que l’équité donne à l’obligation.

107.- Toutefois, plus que le refus de la révision des contrats, c’est ici le refus de laisser la

possibilité au juge de modifier le contrat. Le pouvoir des parties prime sur le pouvoir du juge.

24

Cass. Civ. 6 mars 1876, DP, 1876.I.193

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

23

108.- Ceci s’explique aisément. Le contrat peut-il vraiment être laissé à l’appréciation

arbitraire du juge, décidant oui ou non de modifier les obligations pesant sur les parties ? Il est

certain que si la réponse à cette question était oui, les conséquences seraient regrettables.

109.- L’insécurité juridique serait plus que présente dans les contrats. Les parties ne

seraient pas certaines que les obligations qu’elles se sont fixées mutuellement perdurent, une

fois le contrôle du juge opéré. Celui-ci serait l’outil de la mauvaise foi des parties, désirant

modifier le contrat quand celui-ci ne leur conviendrait plus.

110.- De plus, la modification du contrat pourrait parfois mettre les parties dans

l’impossibilité d’exécuter ses obligations dans d’autres contrats, qui eux ne seraient pas

modifiés.

111.- L’arrêt dit Canal de Craponne a donc posé le principe d’un refus de la prise en

compte de l’imprévision dans le contrat. Cette position n’a pas été suivie par la jurisprudence

administrative qui a consacré la théorie de l’imprévision dans l’arrêt Gaz de Bordeaux25

.

112.- Les sentences arbitrales ont suivi la jurisprudence civile et par là le refus de

l’ingérence de l’arbitre dans le contrat. Il n’appartient pas à l’arbitre de modifier le contrat.

Toutefois, l’arbitrage admet une solution plus souple en tenant compte de la bonne foi des

parties pour les obliger à renégocier le contrat.

Section 2 : Les possibilités éventuelles de réviser le contrat

113.- Rien ne s’oppose à la révision du contrat par les parties. C’est à elles cependant de

prévoir cette faculté de révision à travers l’insertion de stipulations contractuelles qui

permettront en cas de nécessité de renégocier le contrat (A). Toutefois, il semblerait que

même sans clause de prévu, les parties ont l’obligation de renégocier le contrat en cas de

déséquilibre manifeste du contrat, cette obligation découlant de la loyauté contractuelle (B).

A.L’aménagement conventionnel

114.- La révision judiciaire du contrat en cas de changement de circonstances est

impossible. Toutefois, il ne tient qu’aux parties d’éviter de se retrouver face à ce problème en

prévoyant contractuellement la révision du contrat.

25

CE 30 mars 1916, DP 1916.3.25 : Le Conseil d’état reconnait l’imprévision en cas de bouleversement de

l’équilibre du contrat lié à un événement imprévisible et extérieur aux parties. Le déséquilibre doit être

temporaire. S’il est définitif, le contrat sera résilié.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

24

115.- La principale clause permettant cela est la clause rebus sic stantibus, expression latin

signifiant « les choses demeurant en l’état ». Plus connue désormais sous le nom de clause de

hardship, elle permet à une partie d’exiger de l’autre la renégociation du contrat à exécution

successive, en raison du déséquilibre soudain du contrat, provoqué par un bouleversement des

circonstances. Cette clause se distingue d’une clause d’obligation de renégociation après une

certaine durée d’exécution du contrat. En effet, la clause de hardship prévoit une possibilité de

renégociation et non pas une obligation de renégocier.

116.- La validité de la clause ne pose aucun souci, en effet, rien n’interdit aux parties de

prendre en compte un changement de circonstance pour renégocier leur contrat.

117.- La question va être plus délicate en ce qui concerne les conditions d’utilisation de

cette clause. A partir de quand le contrat va-t-il être déséquilibré ? Des seuils et des critères

doivent être prévus dans la rédaction dans la clause.

118.- Autre question tout aussi délicate, si les parties ne parviennent pas à trouver un

accord, quel est le sort du contrat ?

119.- Le juge réapparait ici. Si les parties ne parviennent pas à un accord en raison de la

mauvaise foi de l’une d’entre elles, cette dernière engage sa responsabilité contractuelle. Le

juge devra donc se prononcer sur la bonne ou mauvaise foi de la partie dans son obligation

contractuelle de renégocier le contrat. Son rôle est ici très limité. Il peut uniquement se

prononcer sur la responsabilité ou non du cocontractant qui est tenu de l’échec de la

renégociation. En aucun cas il ne pourra prendre part à la renégociation ou se substituer à

l’une des parties pour imposer des obligations qu’il établirait seul.

120.- Les parties peuvent cependant prévoir qu’en cas d’échec des renégociations, un tiers

pourra être désigné pour fixer lui-même les nouvelles obligations du contrat. Dans ce cas, les

parties peuvent désigner le juge. Il est alors investi du pouvoir de fixer les nouvelles

conditions.

121.- L’idée d’une révision judiciaire serait alors écartée, le pouvoir du juge dans la

renégociation étant fortement restreint. Il dépend uniquement de la volonté des parties, sauf

dans le cas de la responsabilité contractuelle des parties, ou il doit se prononcer sur une

éventuelle mauvaise foi. C’est d’ailleurs sur ce fondement que les juges se sont appuyés pour

inciter fortement les parties à renégocier le contrat.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

25

B.Le fondement de la loyauté contractuelle

122.- Le principe de bonne foi contractuelle, tel qu’il est posé à l’article 1134 du code

civil, a souvent servi à justifier ou dénoncer le comportement contractuel des parties. Les

juges ont dégagé un autre concept, tiré de la bonne foi, la loyauté contractuelle.

123.- Dans deux arrêts, l’arrêt Huard26

et l’arrêt Chevassus-Marche27

, la Cour de cassation

se fonde sur la loyauté contractuelle pour reprocher au contractant de ne pas avoir modifié le

contrat en cours d’exécution alors que des circonstances nouvelles le déséquilibraient

fortement. Il y a ici une consécration implicite de la prise en compte du changement de

circonstances pour permettre la révision d’un contrat28

.

124.- La renégociation est possible car elle ne provient pas du juge lui-même. Elle doit

être à l’initiative des parties. Toutefois, il y a lieu de se demander si le fait que le juge puisse

reprocher aux contractants de ne pas renégocier n’est pas le signe de son ingérence dans le

contrat et donc de sa capacité à ordonner la révision.

125.- Dans le silence de l’arrêt sur la véritable question de l’imprévision, il semblerait

qu’il ne s’agisse là que d’une supplémentaire extension de la bonne foi contractuelle, qui

servirait une nouvelle fois à condamner un comportement peu enclin à la bonne exécution du

contrat.

126.- L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 juillet 200729

est

venu répondre à ces interrogations. Elle rappelle au juge, au visa de l’article 1134 du code

civil, que le fondement de la bonne foi ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance des

droits et des obligations auxquels sont tenues les parties.

127.- Certains auteurs ont vu ici un revirement de jurisprudence, dans lequel la notion de

bonne foi reculait de manière considérable, ne permettant pas de justifier la révision du

contrat.

128.- La Cour de Cour de cassation ne remet cependant pas en compte le principe de la

loyauté contractuelle, ni la révision conventionnelle. Elle rappelle que « si la règle selon

laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner

l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la

substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ».

26

Cass. Com., 3 novembre 1992, RTD Civ., 1993 p.124 27

Cass. Com., 24 novembre 1998, RTD Civ. 1999 p. 98 28

JAMIN Christophe, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’article 1134 du code

civil, Droit et Patrimoine, 1998, n°58, p. 46 et s. 29

Cass. Com., 10 juillet 2007, n°06-14.768, RDC 2007/4, p. 1107 et s., note L.AYNES, p.1110 et s., note

D.MAINGUY

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

26

129.- La Cour de cassation ne vient donc pas évincer une renégociation du contrat fondé

sur la bonne foi contractuelle. Le rejet est ici relatif au rôle du juge. Celui-ci n’a pas à réviser

le contrat, au motif de la théorie de la bonne foi.

130.- C’est une fois de plus le refus de l’immixtion du juge dans le contrat qui gouverne

les décisions relatives à un changement de circonstances.

131.- Cependant, le fait que le fondement de la loyauté contractuelle pourrait

éventuellement permettre à la partie défavorisée par un changement de circonstances de

demander et d’imposer la renégociation à l’autre partie n’est pour le moment pas contestée.

Chapitre 2 : L’introduction envisagée de la théorie de l’imprévision

132.- La théorie de l’imprévision a fait couler beaucoup d’encre en doctrine. Acceptée par

des nombreux pays et surtout, par les réformes du droit européen du contrat. En France, la

situation est moins définitive que ce qu’elle semble être. Influencée par les autres droits et par

la situation économique actuelle, la position française semble évoluée. Elle se pose certaines

interrogations (Section 1), auxquelles il est nécessaire de répondre aujourd’hui (Section 2).

Section 1 : L’évolution incertaine de la position française

133.- La jurisprudence marque une évolution au niveau de la théorie de l’imprévision.

Celle-ci est cependant incertaine car elle s’appuie sur différents fondements, tel que

l’économie du contrat (A) ou la cause subjective (B), qui sont des notions très controversées

en doctrine.

A.La prise en compte de l’économie du contrat

134.- La position française sur l’imprévision peut illustrer le refus de prendre en compte la

notion d’économie du contrat, notion vivement critiquée par les auteurs30

. Toutefois, les

hautes instances comme la Cour de cassation31

ou bien encore le Conseil Constitutionnel32

y

font parfois référence, dans des arrêts à chaque fois très remarqués.

30

J.MOURY, « Une embarrassante notion : l’économie du contrat », D.2000, Chr., p.382 31

Voir notamment l’arrêt Point club vidéo, Cass. Civ. 1ère

, 3 juillet 1996, JCP 1997, I, 4015, obs. F.LABARTHE

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

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135.- Il semblerait que la notion d économie soit venue se substituer à la notion

d’équilibre dans le contrat. En effet, la contrepartie des obligations est analysée en fonction de

l’intérêt des parties et de l’esprit qu’elles ont voulu donner au contrat. Il est d’ailleurs question

de l’économie générale du contrat, ce qui permet d’apprécier de manière globale le contrat et

ainsi d’extraire la réelle volonté des parties, qui n’est pas toujours aisée à retrouver dans les

obligations auxquelles elles sont soumises.

136.- Cette notion d’économie du contrat reste cependant trop floue pour permettre de

justifier la révision du contrat en raison d’un changement de circonstances. Cependant, elle

illustre une certaine tendance qui est d’associer l’économie au droit, afin que ce dernier soit

plus vivant33

.

137.- C’est principalement ce dernier point qui est avancé par les partisans de la théorie de

l’imprévision pour défendre leur position. Le contrat, notamment celui à exécution

successive34

, est un contrat qui doit pouvoir s’adapter aux circonstances dans lesquels il

évolue. Le contrat, en tant qu’outil des relations économiques, est parfois victime de la

conjoncture économique et une trop grande rigidité peut dissuader certains opérateurs de

contracter, paralysant ainsi le circuit économique.

138.- Actuellement, ces arguments ont encore plus de poids, en raison de la crise

économique qui secoue la France. Plus que jamais, le contrat a besoin de souplesse afin

d’inciter les opérateurs économiques à contracter, sans avoir peur d’un éventuel

bouleversement qui les obligerait à continuer d’exécuter leurs obligations contractuelles alors

qu’elles n’y auraient plus aucun intérêt.

139.- La notion d’économie du contrat s’inscrit dans un phénomène de subjectivisation de

la cause. Plus que rechercher l’objet du contrat, il faut maintenant s’intéresser à l’intérêt du

contrat pour les parties, leur mobile en quelque sorte.

140.- C’est cette vision de la cause qui permet de justifier la nécessité de réviser le contrat

en cas de changement majeur de circonstances.

B.La cause subjective à l’appui de l’imprévision

141.- En recherchant l’intérêt des parties dans le contrat, plutôt que l’objet de leur

engagement, il est certain que le changement de circonstances va influer sur la cause du

32

Conseil constitutionnel, décision du 10 juin 1998, 98-4010

34

Il est le contrat le plus concerné par la nécessité de renégocier, se déroulant sur une durée parfois assez longue.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

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contrat. Récemment, la Cour de cassation35

est venue s’appuyer sur la cause subjective pour

reprocher à un contractant de ne pas avoir renégocié le contrat alors que l’évolution des

circonstances économiques le déséquilibrait.

142.- Dans cet arrêt, dont les faits ne sont pas sans rappeler les faits du fameux arrêt Canal

de Craponne36

, la Cour de cassation vient censurer la Cour d’appel de Paris au motif que

celle-ci n’a pas recherché si l’évolution des circonstances économiques n’avait pas eu pour

effet de déséquilibrer l’économie générale du contrat et ainsi priver de contrepartie réelle

l’obligation d’une des parties37

.

143.- L’évolution flagrante n’est pas ici la recherche de la disparition de la cause pour

justifier la caducité d’une obligation mais bien le fondement de la disparition de la cause, le

bouleversement des circonstances économiques.

144.- Avancée, petite, avancée tout de même dans la théorie de l’imprévision. Le

bouleversement des circonstances entourant le contrat serait donc une raison de réviser le

contrat afin d’éviter de voir la cause de l’engagement d’une partie disparaitre38

.

145.- La théorie de l’imprévision prend ici un autre visage. Son invocation serait en effet

limitée à des cas assez extrêmes dans lesquels la cause du contrat disparait, remettant par

ailleurs, cette dernière notion au gout du jour.

146.- Dans ce raisonnement, le juge n’interviendrait pas directement au niveau de la

révision en elle-même. Il serait là pour rechercher si le bouleversement des circonstances

entourant le contrat provoque la disparition de la cause, cause subjective évidemment.

147.- Il est donc aisé d’imaginer les difficultés liées à ce raisonnement que nous a proposé

la Cour de cassation dans cet arrêt de juin 2010. En effet, il nécessite d’abord que la notion de

changement de circonstances soit acceptée et surtout définie de manière plus claire. Les

circonstances peuvent être économique mais l’on peut aussi bien imaginer qu’elles soient

contextuelles, l’arrivée d’une loi par exemple posant des conditions trop strictes rendant plus

difficile une exécution contractuelle. Un cadre est ainsi à poser car les abus et les

débordements pourraient être nombreux, et dénaturer ainsi le caractère qui doit rester

exceptionnel de la révision du contrat.

35

Cass. Com., 29 juin 2010, D.2010, 1832, note D.Mazeaud 36

Il s’agit d’un contrat de maintenance conclu pour une durée de 12 ans entre la société SEC et SOFFIMAT.

Cette dernière souffre de l’augmentation majeure du prix des pièces dont elle a besoin pour assurer son

obligation, la redevance due par la société SEC relative étant devenu dérisoire. 37

MAZEAUD Denis, L’arret Canal « moins » ?, D. 2010, n°37, p. 2481 et s. 38

MAINGUY Daniel, Imprévisible imprévision, www.lexcellis-avocats.fr

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

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148.- Il y a en effet un problème de sécurité juridique qui se pose. Introduire la théorie de

l’imprévision ne doit pas permettre d’imposer des renégociations à tout va. Le déséquilibre du

contrat doit être justifié.

149.- Un autre problème se pose dans ce raisonnement. Quid de la renégociation entre les

parties ? Le juge doit certes se prononcer sur l’éventuelle disparition de la cause du contrat,

mais la caducité de celui-ci en cas de disparition est une solution bien radicale qui pourrait

être évité.

150.- La théorie de l’imprévision doit être mise en œuvre pour permettre de trouver une

solution pour à la fois contenter les parties et sauver le contrat. Le silence de la Cour de

cassation illustre parfaitement la tendance actuelle. La révision judiciaire est refusée

catégoriquement, la révision contractuelle n’est pas assez efficace.

151.- Corrélativement à cet immobilisme forcé, faute de solution, les projets de réforme

laissent une grande place à la théorie de l’imprévision, et il semblerait bien que cette dernière

soit enfin entrée dans le champ des notions à accepter aujourd’hui.

Section 2 : La nécessité d’une évolution française

152.- Les avancées timides de la position française montre la difficulté aujourd’hui pour le

droit français de revenir sur une jurisprudence établie depuis plus d’un siècle. Il semblerait

que l’acceptation d’une révision du contrat pour imprévision ne puisse être effectuée qu’au

niveau législatif. La position européenne a d’ores et déjà marquée sa volonté d’accepter la

théorie de l’imprévision à certaines conditions (A). Influencés par ces travaux , les projets de

réforme de droit des contrats français se sont également penchés sur cette question, différant

légèrement des projets européens (B)39

.

A.La position européenne

153.- La position française sur la théorie de l’imprévision est une position finalement

assez isolée. Elle est en contradiction avec de nombreuses législations étrangères mais

également avec les projets d’harmonisation européenne du droit des contrats.

39

SAVAUX E., L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision-Rapport français , RDC

2010/3, chron. Débats, p. 1057 et s.

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

30

154.- Si la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises exclut la

théorie de l’imprévision, il n’en est pas de même pour les projets européens de droit des

contrats.

155.- Les « Principes relatifs aux contrats du commerce international » publiés en 1994

par l’organisme UNIDROIT40

ont pour objectif d’harmoniser les droits européens. Dans ces

principes, l’imprévision est consacrée sous le nom d’ « hardship ». L’article 6.2.2 prévoit que

« Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement

l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obligations ait augmenté, soit

que la valeur de la contre-prestation ait diminué ». Les événements doivent être postérieurs à

la conclusion du contrat, imprévisibles et extérieurs aux parties.

156.- Dans le cas d’une situation de Hardship, la partie subissant le déséquilibre peut

demander l’ouverture des négociations41

. Si les parties ne parviennent pas à un accord, le juge

doit se prononcer sur l’existence d’un bouleversement majeur dans le contrat. S’il conclut à

un cas de Hardship, il peut soit adapter le contrat à ses conditions ou prononcer la résiliation

du contrat.

157.- Cette position a été également reprise par la commission Lando, dans l’article 6.111.

Les parties peuvent renégocier en cas de changement de circonstances. En cas d’échec de la

négociation, c’est le juge qui adaptera le contrat ou y mettre fin selon ses conditions. Le juge

peut également décider de réparer le préjudice subi par une partie en raison de la mauvaise foi

dans la négociation de l’autre partie.

158.- Les projets européens prennent donc position pour une révision judiciaire du contrat

en cas d’imprévision. Le juge est donc plus que présent dans le contrat, en ayant la possibilité

d’intervenir directement et surtout d’imposer des obligations aux parties en adaptant librement

le contrat. Il peut également mettre fin au contrat, ce qui n’est pas toujours la meilleure

solution pour les parties. En effet, la résiliation du contrat peut entrainer des conséquences

néfastes pour les parties, parfois davantage même que le déséquilibre.

159.- Imposer aux parties la présence du juge dans leur accord est totalement

contradictoire au principe de l’autonomie de la volonté, principe fondamental de la théorie des

contrats. Cette position européenne est donc difficilement acceptable en France. Laisser au

juge la possibilité de modifier arbitrairement le contrat est source d’insécurité juridique. De

plus, face à un contrat technique, le juge n’est pas toujours compétent pour adapter un contrat

dans l’intérêt des parties.

40

Publié par l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT), Rome 41

Article 6.2.2 des Principes Unidroit

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

31

160.- Les projets français de réforme de droit des contrats proposent une solution

différente qui place le juge en tant qu’observateur et non pas en acteur de la négociation.

B.Les projets de réforme français

161.- Face à la construction du droit européen des contrats, un grand chantier en droit

français a été entrepris. En effet, le droit des obligations, immobile depuis des années,

nécessite une réforme pour avoir plus de poids sur la scène européenne42

.

162.- En ce qui concerne la théorie de l’imprévision, le projet gouvernemental de réforme

de droit des contrats s’aligne sur la position européenne. En effet, dans son article 13643

, le

projet prévoit que si un changement majeur dans les circonstances entourant le contrat

provoque un déséquilibre excessif dans le contrat, la partie subissant le déséquilibre peut

demander une renégociation. En cas de refus ou d’échec dans la renégociation, le juge pourra

mettre fin au contrat à ses conditions ou l’adapter, sous réserve des parties.

163.- Cette première atténuation marque le rejet de l’immixtion du juge dans le contrat.

En effet, contrairement aux projets européens, le juge ne peut adapter le contrat sans l’accord

des parties. Son pouvoir reste donc limité à la volonté des parties. Toutefois, ce mécanisme

parait peu efficace. La partie lésée ne dispose en effet que de deux solutions en cas d’échec

des négociations, Elle peut soit accepter l’adaptation par le juge, soit en arriver à la résiliation

du contrat. En d’autres termes, la partie lésée est obligée de recourir au juge.

164.- La proposition de l’avant-projet Catala est sensiblement différente. Dans l’article

1135-1, il incite l’insertion d’une clause dans le contrat par les parties, imposant une

renégociation en cas de déséquilibre lié à un changement dans les circonstances. La partie

lésée doit perdre tout intérêt au contrat.

165.- La notion de l’intérêt au contrat est ici importante car elle rappelle le parti pris pour

la cause subjective. L’évolution jurisprudentielle irait donc en ce sens.

166.- A défaut de clause, il prévoit la possibilité pour le contractant lésé en cas de

déséquilibre majeur dans le contrat, lié à un changement de circonstances, de demander au

42

GHESTIN Jacques, Observations sur le projet de réforme du droit des contrats, Les petites affiches, 12 février

2009, p. 29 et s. 43

« Si un changement de circonstances, imprévisible et insurmontable, rend l’exécution excessivement onéreuse

pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son

cocontractant mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d’accord, procéder à

l’adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe. »

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

32

président du tribunal de grande instance d’ordonner une renégociation du contrat44

. L’échec

de la négociation serait caractéristique d’un comportement de mauvaise foi et ouvrirait ainsi à

chaque partie la faculté de résilier le contrat sans frais45

.

167.- Le rôle du juge serait ici plus limité. Il dépendrait des parties pour imposer une

nouvelle négociation et ne pourrait adapter le contrat. Il est regrettable que cette proposition

n’ait pas été retenue dans le projet de chancellerie.

168.- Pourtant, c’est la proposition la plus en phase avec l’esprit du droit des contrats en

France. Elle permet d’imposer une nouvelle négociation en cas de bouleversement de

l’équilibre, permettant ainsi plus de souplesse au niveau du contrat pour les parties, mais

n’introduit pas le juge à l’intérieur même du contrat en le cantonnant au rôle d’observateur.

169.- Il est certain que la théorie de l’imprévision telle qu’elle est ne pourrait être acceptée

en raison de l’importance qu’elle donne au juge dans le contrat. C’est donc sur ce point que

les efforts doivent se concentrer afin de faire évoluer la position sur cette notion.

170.- Malheureusement, le mouvement de réforme de droit des contrats semble s’être

immobilisé depuis quelques temps. Si le législateur laisse ainsi le projet tomber en désuétude,

il est inquiétant de se demander ce que vont devenir toutes ces propositions pour moderniser

le droit des contrats.

171.- La jurisprudence ne peut ici pas jouer le rôle qu’elle a pu jouer lors du refus de la

théorie de l’imprévision avec l’arrêt canal de Craponne. En effet, le juge ne peut pas lui-même

s’accorder des pouvoirs qu’il n’a pas, en adaptant un contrat ou en imposant à une partie de le

faire. Il semblerait donc que seul le législateur puisse prendre une décision.

44

Article 1135-2 de l’avant projet Catala 45

Article 1135-3 de l’avant projet Catala

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

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LEVENEUR

- Cass. Com, 6 mars 2001, JCP G, 2001.II.10564, n. Fr. LABARTHE

- Cass. Com., 24 novembre 1998, RTD Civ. 1999 p. 98

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Sections réunies:

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Colloque :

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Le juge face au contrat, par Pauline Castelot

37

INDEX

A

Autonomie de la volonté : 4 et s., 10

B

Bonne foi : 37, 40, 119, 122, 125

C

Cause subjective : 139, 141 et s.

Clause : 27, 30

- abusive : 53 et s.

- pénale : 69 et s.

- rebus sic stantibus : 115

- résolutoire : 80 et s.

Contrat :

- définition : 2

- équilibre : 8, 32, 55, 76, 88, 92, 97,

135, 168

Contrôle de la Cour de cassation : 44, 45 et

s., 74

D

Délai de grâce : 59 et s.

Droit européen des contrats : 152, 159

- principes Unidroit : 155

- commission Lando : 157

E

Economie du contrat : 30, 134 et s.

Equité : 37, 106

F

Forçage du contrat : 35 et s.

Force obligatoire : 5, 43, 60, 99, 104

I

Imprévision :

- Canal de Craponne : 101 et s., 142

- refus : 111

- théorie : 94 et s., 98

Interpretation : 26, 28 et s., 45, 47, 49

L

Liberté contractuelle : 31, 100

Loyauté contractuelle : 122 et s., 128

O

Obligations : 120 et s., 142

- d’information : 39

- de sécurité : 38

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Q

Qualification :

- légale : 18 et s., 48

- obligation : 23,24

R

Réforme du droit des contrats :

- avant projet Catala : 164

- projet gouvernemental de réforme : 164

S

Solidarisme : 6, 10, 90

V

Volonté des parties : 16, 26, 167

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Table des matières

SOMMAIRE .............................................................................................................................. 3

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 4

Titre 1 : Le juge face à la volonté commune des parties ............................................................ 7

Chapitre 1 : Le rôle d’interprète du contrat ............................................................................ 7

Section 1 : L’interprétation explicative du contrat ............................................................. 7

A.La qualification nécessaire ......................................................................................... 8

B.L’exégèse des clauses ................................................................................................. 9

Section 2 : L’interprétation créatrice d’obligation ........................................................... 11

A.Le forçage du contrat ................................................................................................ 11

B.Le contrôle de la Cour de cassation .......................................................................... 12

Chapitre 2 : Le pouvoir modérateur du juge ........................................................................ 14

Section 1 : L’intervention du juge dans le contrat............................................................ 14

A.Les clauses abusives ................................................................................................. 14

B.Le délai de grâce ....................................................................................................... 15

Section 2 : La limitation des pouvoirs du juge ................................................................. 17

A.La clause pénale ....................................................................................................... 17

B.La clause résolutoire ................................................................................................. 18

Titre 2 : Le juge, esclave de la force obligatoire du contrat ..................................................... 20

Chapitre 1 : Le refus actuel de la théorie de l’imprévision .................................................. 20

Section 1 : La modification du contrat en raison des changements de circonstances ...... 20

A.L’influence contextuelle et conjoncturelle ............................................................... 21

B.Le refus catégorique de la jurisprudence .................................................................. 22

Section 2 : Les possibilités éventuelles de réviser le contrat ........................................... 23

A.L’aménagement conventionnel ................................................................................ 23

B.Le fondement de la loyauté contractuelle ................................................................. 25

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Chapitre 2 : L’introduction envisagée de la théorie de l’imprévision .................................. 26

Section 1 : L’évolution incertaine de la position française .............................................. 26

A.La prise en compte de l’économie du contrat ........................................................... 26

B.La cause subjective à l’appui de l’imprévision ........................................................ 27

Section 2 : La nécessité d’une évolution française........................................................... 29

A.La position européenne............................................................................................. 29

B.Les projets de réforme français................................................................................. 31

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................... 33

INDEX ............................................................................................................. 37