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  • LITTRATURE ORALE POPULAIRE MAGHREBINE LE CONTE EN BERBRE :

    VEXEMPLE DU CONTE KABYLE

    La littrature orale populaire maghrbine peut sans aucun doute figurer au premier rang des littratures orales du monde entier, tant par sa qualit, tout fait remarquable, que par sa richesse. Qualit qui peut tre due, en partie, au fait qu'elle se trouvait encore vivante, encore en fonction, il y a un peu plus d'un sicle, dans des conditions peut-tre particulirement propices l'panouissement d'une grande littrature orale; richesse fconde par la rencontre de deux courants qui s'y sont troitement mls: un vieux fonds mditerranen d'inspiration trs ancienne et souvent encore proche du genre mythique, de tradition uniquement orale, a t complt par des apports appartenant au mme fonds universel de thmes, souvent passs et retransmis, au moins dans une tape, par le canal de l'crit; c'est--dire plus moins fixs un moment donn de leur existence, une forme littraire d'aspect beaucoup plus labor. C'est le cas, entre autres, des Contes des l'lIille et Une Nuits diffuss en langue arabe, souvent par l'intermdiaire des lettrs, puis par transmission orale le truchement des plerins ou des conteurs professionnels pour ne citer que ces exemples. Ainsi, la littrature orale qui a pu tre recueillie la campagne, parmi les ruraux, tant berbrophones qu'arabophones, offre-t-elle davantage de contes du premier type que les recueils raliss en milieu citadin presqu'exclusivE:ment arabophone.

    1. - LES DOCUMENTS

    Ce sont aussi les contes recueillis en milieu rural qui ont suscit le plus tt et le plus largement l'intrt. Certes, la politique berbre mene par le gouvernement colonial fut sans doute en partie responsable de l'importante disparit des tudes menes parmi les arabophones et les berbrophones (la proportion est du simple au double). Cependant, les cultures des berbrophones, plus rurales, plus gnralement paysannes (ou pastorales), plus originales puisque rduites au seul Maghreb, moins et

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    mme trs peu influences par l'crit, plus menaces aussi de rapide disparition attirrent plus spontanment l'intrt des chercheurs. Et, parmi les rgions berbrophones, la Grande Kabylie a bnfici, ds la seconde moiti du sicle, d'un engouement particulier qui s'est manifest par les plus nombreux recueils: Rivire [3J, Mouliras [8J, Yabs [9J. Frobenius [14J, Dermenghem [17J, J.-M. Dallet [20J, Lacoste [21J, Amrouche [22J, Lacoste [23].

    Ds les dbuts de la colonisation, quelques contes furent prsents en annexe des ouvrages gnraux ou des rcits de voyageurs. Mais ces premiers textes ainsi publis taient offerts dans leur seule traduction malheureusement trop souvent peu fiable. Ce fut grce aux publications des dialectologues que les rcits narratifs trouvrent des collecteurs plus dignes de foi; ils furent alors plusieurs prsenter des contes comme textes l'appui de leurs tudes: ainsi peut-on encore disposer avec profit de textes srs, situs, dats, authentifis par le nom de l'informateur (l'auteur vritable), dans le dialecte mme du recueil, traduits, en outre, de faon extrmement prcise (Hanoteau [lJ, Creusat [2J, Boulifa [12J, Basset [7J, Ben Sedira [4J). Quelques uns de ces dialectologues vinrent mme consacrer une grande partie de leurs activits ces collectes; ce furent les premiers recueils importants, d'un intrt considrable puisque la littrature orale, encore t.rs vivante au Maghreb, evait rapidement se trouver ensuite en voie de disparition: Basset [5, 10], Mouliras [8], Stumme [I1J, CalassantiMotylinski et De Foucauld [16], Laoust [18], Pellat [19]. Malheureusement. ces conditions scientifiques de recueil ne furent pas toujours observes par les non-linguistes. De nombreux folkloristes, souvent plus ou moins amateurs, des ethnographes encore prisonniers des premiers balbutiements de discipline, se dispensrent trop souvent de publier les textes originaux des contes recueillis, qu'ils offrirent ainsi dans leur seule traduction souvent fort approximative, sans toujours indiquer les rfrences de recueils. Si bien que, non seulement l'intrt de ces textes s'en trouve diminu, mais en outre, leur qualit a eu de fort fcheuses consquences quant la rputation de la littrature orale maghrbine. C'est ainsi que le premier recueil bnficier d'une assez large diffusion fut celui du Pre Rivire [3], publi Paris, en 1882. Or, les textes qui y sont prsents, sans aucune rfrence de recueil, non plus que d'informateur, paraissent, surtout en comparaison de ce qui a pu recuellli au mme moment ou plus tard, extrmement lacunaires et trop souvent informes. Ce sont ces textes qui permirent Emmanuel Cosquin, dont les tudes eurent un retentissement international, de porter un jugement svre et erron sur la littrature orale maghrbine, quand il concluait que les Kabyles plus particulirement n'avaient t que des rcepteurs des contes orientaux [15]. Cette afirmation devait pourtant tre infirme dans le mme moment en Allemagne par L. Frobenius [14], qui s'appuyait sur une collecte considrable de quelques 150 contes kabyles (prs de 850 pages en 3 volumes), dont on ne dispose malheureusement que u texte allemand, pour affirmer l'extrme richesse d'une littrature orale de tout premier ordre. L'illustre historien-philosophe maghrbin Ibn Haldun avait lui-mme fait remarquer, ds le sicle. que les Berbres racontent un si grand nombre d'his

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    toires que si l'on prenait la peine de les mettre par crit, on en remplirait des volumes (Histoire des Berbres, trad. De Slane, Alger 1882, t. 1. p. 205).

    A l'heure o les orales se perdent irrmdiablement, des entreprises de sauvegarde de ces lments des patrimoines culturels sont mis en uvre, au Maghreb par le Centre de Recherches Anthropologiques, Prhistoriques et Ethnographiques (C.R.A.P.E.) et le Fichier Priodique, Alger, L'Equipe de Recherche Associe (E.R.A. 57) : Littratures Orales Arabo-Berbres, du C.N.R.S., Paris. A ces collectes en cours, il faut ajouter les archives encore inexplores et inexploites des bibliothques nationales d'Alger et de Paris (Fonds Oriental) ainsi que des manuscrits encore en partie indits, comme celui de IvIouliras (Centre A. Basset de l'LN.L.C.O. Paris).

    II. - CONTE ET socIT

    Ainsi se prsentent donc actuellement les textes qui permettent d'apprhender les contes oraux au Maghreb. On a constat l'importance privilgie des contes recueillis en berbre et plus particulirement en kabyle: cette richesse a incit l'auteur de cette note leur consacrer une grande partie de ses recherches et tenter de dgager plus prcisment quelles relations peuvent tre tablies entre ces productions culturelles et les formations sociales au sein desquelles elles ont exist.

    Quelques remarques prliminaires s'imposent avant de poursLtivre: - Il ne saurait s'agir ici que des productions culturelles orales en

    contes des berbrophones de dialecte kabyle, dont on dispose d'un corpus important.

    - Ces contes ont t produits dans un pass rvolu, il n'est plus possible d'en connatre les circonstances et les modalits de leur production.

    - Il ne saurait donc s'agir ici que d'voquer les contextes sociaux au sein desquels ces contes ont encore t reproduits jusqu' une poque encore point trop ancienne et pour laquelle il est possible de hasarder quelques hypothses ou plutt, de poser quelques problmes.

    - Historiquement, on pourra plus srement envisager les modalits d'volution rcente de ces contes, volution rcente fort proche d'un dclin qui prcde de peu la disparition de ces productions et reproductions, dans le domaine oral.

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    III. L'EXEMPLE DU CONTE KABYLE

    Ainsi les contes recueillis au sein de la Kabylie paysanne semblent-ils profondment enracins au cur de cette formation sociale qui apparat travers ces rcits avec son systme de valeurs propres, ses reprsentations et aussi ses ambiguits, ses conflits, ses problmes.

    CONTES PAYSANS )).

    Un certain de ces contes se situent dans un cadre tout fait paysan o les personnages voluent dans un milieu trs proche de la vic quotidienne des agriculteurs. Ainsi, un thme frquent est celui du dfrichement d'un maquis accident, parfois mme une montagne, dont il faut enlever les broussailles, les souches et les pierres, conqurir sur un serpent matre de ce maquis et de cette terre (1) : on sait comment l'accaparement de leurs terres de plaine a priv les habitants des villages de la montagne de riches terres de moissons et comment, l'accroissement dmographique aidant, ils se trouvrent dans la ncessit de mettre en culture de mauvaises terres o une mdiocre rcolte ne pouvait tre obtenue qu'au prix d'une lutte continuelle contre une vgtation sauvage tenace. Mais la conqute d'une terre n'est pas tout. L'action de culture implique d'imposer un certain ordre, certaines rgles indispensables la fcondit de la terre. Ainsi voit-on stigmatiss des semeurs de dsordre, dans le labour ou dans la moisson. Le labour ne peut tre fcond si les rgles qui entourent l'usage de la charrue par exemple ne sont pas observes: c'est ainsi que deux jeunes gens qui, eux, respectent les usages, conquirent une proprit, livre l'exploitation dsordonne d'un homme aux yeux bleus (2). De mme, la moisson ne peut tre dtruite par le feu manipul tort et travers par un Pois Chiche devenu magiquement humain par le vu inconsidr d'une femme strile (3).

    (1) [8], t. 1. p. 179-188; texte berbre et Fat; traduction: 21. p. 503-511; et 23. p. 168-172.

    (2) [8] t. l, fasc. 4, n 25, p. 317-326, texte berbre: Thahk'ait en'Amor azrem d-egmas; trad. : 21. t. 1. p. 235-243; Histoire d'Amor le serpent et de son frre.

    [20] t. II. p. 30-79 : Uhric ed-wungif. 114] t. II, nO 29. p. 234-244 : Le sage et sot. 123] p. 158-163. (3) [8] t. l, fasc. 4, nO 29. p. 350-358. texte berbre: Ain ethammez;

    trad. : [21] t. 1. p. 261-267 : d'un Pois chiche. [20] t. l, p. 92-105 : Petit Pois [14] t. I. p. 210-216 : Histoire de l'ongle doigt. 114] t. III, p. 70-72 : petit pois. 123] p. 155-158.

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    Ainsi apparat une des proccupations les plus constamment exprimes dans ces contes: la lutte permanente des hommes contre l'isolement et la strilit, l'un et l'autre tant lis. Il n'est pire sort que celui de l'homme sans descendance et l'isolement volontaire est un crime toujours puni. Ainsi, la fcondit parat-elle la cl de vote de tout le systme de valeurs de ces paysans et qui a ses prolongements, entre autres, dans deux domaines essentiels troitement solidaires: l'conomie et les relations de parent. La prosprit va de pair avec la prsence de nombreux fils au foyer, fils qui sont autant de producteurs au sein d'une seule et mme unit qui voit ainsi crotre ses moyens et son prestige. Le systme de production, dans cette formation sociale, reposait en effet sur le systme de parent et magnifiait la solidarit masculine qui fonde le systme patriarcal et lignager. Trs nombreux sont les contes la gloire de la fraternit (4). Seulement cette fraternit est presque toujours reprsente en conflit, sinon en opposition avec les liens qui peuvent unir les hommes aux femmes. Les ogresses sont plus nombreuses que les ogres et le personnage de la Mre Terrible prend un relief remarquable; le problme rapports mre-fils revient avec insistance et son degr d'acuit peut mme aller jusqu' l'expression, par un pre d'une exigence de matricide impose ses fils (5): ainsi se trouve pousse l'extrme la ncessit de l'exclusion des femmes du systme lignager.

    Bien d'autres problmes ainsi exprims au sein de cette formation sociale marquent encore les contes. Les dimensions de cet article ne permettent pas de tous les voquer (6). Cependant, il parat utile de mentionner

    (4) [8] t. 1. fasc. 4, n 25. p. 317-316, texte berbre: Thahk'ait en d'egmas; trad . 21. t. 1. p. 235-243 : Histoire d'Amor le serpe'nt et de son frre.

    [20] t. II. p. 30-79 : Uhric ed Wungif. [14] t. II. n 29. p. 234-244 : Le sage et le sot.

    [8] t. II. p. 228-240 : Bab amellal; trad.: 21, t. II. p. 541-552: Histoire de l'amateur de blanc.

    [20] t. II, p. 282-307 : Les deux Ali. [3] p. 193-199: Les deux frres.

    [14] t. II. p. 79-90 : Le combat contre le dragon. p. 237-246 : La belle-mre ma.r.tre. [10] p. 103-107 : L'ogresse et les deux frres. [18] p. 218-224 : Histoire de deux frres.

    [8] t. II. p. 105-111. texte berbre: Thahk-ait en sin ouaithmathen, d'abouhal, ouaiedh d'elh'a.dek': trad. 21, t. II. p. 443-449: Histoire de de'lLx frres, l'un sot, l'autre dgourdi.

    [20] t. II. p. 30-80 : Finaud et simplet. [14] t. II. p. 234-243 : L'intelligent et le sot.

    [8l t. II. p. 112-119. texte berbre: Thahk'aith oumad'z d'ounaou is i sin; trad. 21. p. 449-455 : Histoire d'un fainant et de ses deux fils.

    [8] t. II, p. 159-174. texte berbre: Thahk'aith ijirmedn iaok d'emmis igellil; trad. : [21] t. II. p. 486-500 : Histoire du myriapode et fils du pauvre. (5) [8] t. p. 87-104. texte berbre: Thahk'aith en Ali netsa d'immas; trad. 21. t. 1.

    p. 72-87 : Histoire d'Ali et de sa mre. [20] t. 1. p. 108-145 : Ehmed Eccqa. t. III, p. 158-187 : Win yelli-s e-emmi-s.

    [1] p. 282-290 : Conte du chasseur. [14] t. II. p. 71-79 : Le combat contre le dragon forme). p. 79-90 : Le combat contre

    le dragon (2' forme). [141 t. II. p. 11-24 : La femme ingrate. [171 p. 69-75 : La mre dnature. 122] p. 117-125 : Les sept ogres.

    [3] p. 193-199 : Les deux frres. [18] p. 218-224 : Histoire de de'lLx frres. [23] p. 405-412. (6) Pour plus de dtails: cf. 23.

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    encore l'expression d'une certaine conscience du danger que reprsente le dveloppement de certaines ingalits sociales: ainsi se trouve condamne et chtie svrement, la tentative d'un important propritaire terrien, mais dpourvu de descendance, pour s'approprier le fils de pauvres gens (7).

    CONTES POLITIQUES

    A ct de ces hros paysans, d'autres contes mettent en scne des ambitieux au destin individuel, qui s'approprient un pouvoir politique, parfois avec l'aide d'un auxiliaire, animal ou humain, et presque toujours en pousant la fille de quelque sultan (8). Il semble que l'on puisse voir voqus dans ces Contes les petits sultans locaux, aux royauts plus ou moins phmres du type, par exemple des Bel Qadi, sultans de Koukou, qui, tablissant leur domination, mirent en danger les formations sociales de type segmentaire au sein desquelles taient groups et organiss les paysans des montagnes. Dans ces contes, apparaissent galement d'autres modles que ceux en vigueur dans le groupe social concern, tels par exemple, le mariage de type prfrentiel avec la cousine parallle paternelle, le matrilocalisme, l'isolement du pouvoir personnel, qui sont plutt l'apanage de niveaux sociaux extrieurs, trangers, au mpris des modles traditionnels propres. Dans ces conditions, les contes dont les thmes sont emprunts aux textes crits des Mille et Une Nuits ont pu trouver facilement un cho leurs qui mettent en scne des sultans ou des fils de sultans qui reproduisaient en les amplifiant les exemples des potentats locaux. Seulement, alors que, pour un mme conte, les structures d'ensemble sont rigoureusement identiques dans les versions orales en berbre et dans les versions crites du clbre recueil, certaines dissemblances remarquables apparaissent. Elles tiennent d'abord au style, videmment profondment oral du premier. Mais aussi, en matire de contenu, le contexte dans lequel se placent les diffrents motifs, porte la marque des valeurs exprimes dans les autres contes paysans: les actions comme les paysages sont moins aimables, le luxe moins raffin, moins dtaill, peut tre parce qu'inconnu et seulement imagin; surtout, les rapports familiaux y jouent un rle dterminant: dans la version kabyle d'Aladin, par exemple, les liens briss entre le pre mort et son fils, les rapports difficiles entre le hros et sa mre

    (7) [8] t. II, p. 158-174, texte berbre: Thahk'ait ijirmedh iack d'emmi.s trad. 21. p. 486-500 : Histoire du myriupode et du du pauvre.

    [23] p. 177-179, p. 190-196 et 431-442. (8) A simple titre d'exemple (il faudrait citer beaucoup trop de textes) : [8] t. l, p. 421-451, texte berbre: Demmou entsa djenn ih'ougen tislathin,

    d'emmis ougellid tseh'ourets tafoukth; et trad. 21, t. II, p. 312-336: Ali Demmou, le gnie qui enlve les fiances, le fils du roi et la houri du soleil.

    [3] p. 187-192 : Moh'amed ben soltan. [141 t. II, p. 104-111; [14] t. II, p. 111-115: La vie dans t. III, p. 171-188: Un homme lib1' recon

    naissant. [19] p. 68-73 : Histoire de la femme recouve1te sa chevelure.

  • -L'EXEMPLE DU CONTE KABYLE 255

    interviennent clairement comme ressorts essentiels de l'action (9). Ailleurs (version kabyle de Farizade) le point de dpart dterminant de l'action est la strilit, cause de la jalousie maladive des surs rivales: motifs inexistants dans les Mille et Une Nuits [version Mardrus ou Galland] (10).

    IV. EVOLUTION RCENTE

    Enfin, si l'on peut admettre que tous ces contes oraux ont t produits une poque et dans un contexte prsent rvolus, on ne saurait exclure l'intrt que prsentent versions recueillies rcemment, qui sont, par suite, des reproductions rcentes, mais qui portent quelques marques d'un contexte plus rcent. Car les diffrences essentielles entre versions anciennes et versions rcentes tiennent surtout au style, beaucoup plus labor et infiniment moins sobre, il est en quelque sorte littraris les descriptions quasi absentes dans le style oral, sont prsent tout concourt la visualisation beaucoup plus expressment dveloppe. Beaucoup de dtails sont ajouts, monologues commentent le droulement du rcit, son sens, comme la valeur des actions des personnages; les actions elles aussi sont plus dtailles, plus progressives. Tout ce qui tait implicite dans le style oral devient de plus en plus explicite: tout se passe comme si la sobre suite des

    ne plus la comprhension profonde du rcit (11). Incomprhension d'ailleurs parfois exprime: dans le cadre contemporain, l'ordre patrilinaire et lignager n'a plus les exigences d'autrefois (12). Les relations

    (9) l8l t. l, p. 381-420; texte berbre: tadjdjalt 21; t. II, p. 279-312 : Le fils de la et le marocain.

    [14] 1. IIr, p. 148-154 : Le petit pois magique. (10) [8] t. II, p. 120-133, texte berbre: Emmis n essolt'an (l'illis n essolt'an, thiouen

    ziouin ensen bourar' d'dounnith; trad., 21, t. II, p. 456-467 : Le et la princesse et l'Univers.

    [20] t. J, p. 49-55, El Ghoul Amelloul et sa sur Hadezzin. [3J p. 71-74, Les enfants et la chauve-souris.

    [14] t. II, p. 155-162: Les enfants abandonns. t. III. p. 164-188: Les enfants cheveux d'or.

    [18] p. 185-190 : Si le roi [19] p. 44-55 : de trois femmes. (11) Un bon exemple de cette {( littrarisation {( peut tre fourni par les lectures com

    pares de versions d'un mme conte, publies 70 ans de distance l'une en 1894 : [8] t. J, p. 87-104 : texte berbre: Thahk'ath en Ali netsa d'immas, trad., [21], t. J, p. 7287 : Histoire de Ali et de sa mre; l'autre publie en 1966: [22], p. 117-125: Les sept A titre d'exemple, le hros est ainsi prsent, dans la version de 1894: ... Cet Ali tait trs fort, nul au monde ne le surpassait. Il aimait beaucoup la chasse et y allait chaque jour Et, la version de 1964: le virent ainsi grandir l'abri du mal, de la laideur et du danger, mais avec un got prononc pour la chasse. Devenu adolescent, il alla de champ en champ et de bois en bois, le fusil sur l'paule, au gr de sa fantaisie.. En outre des modifications affectent le contenu, le hros, de septime, est devenu fils unique. la femme qui veut sa mort n'est plus sa mre, mais sa femme.

    (12) Dans une version rcente, [20J t. J, p. 108, la demande de matricide impose par un pre ses fils, dpourvue de tout commentaire dans les versions anciennes, est, ici, assortie de cette considration: Il avait sans doute la tte drange.. Dans une version encore plus [22] p. 117, le matricide est remplac par le meurtre de l'pouse.

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    de parent tendent se rduire au niveau de la famille conjugale, les rfrences la parent lignagre se font rares. Le sens de l'volution conduit une individualisation, tant dans la forme o la part de cration du

    diseur augmente, que dans le. contenu o les problmes des relations sociales tendent isparatre au profit des rapports individuels plus gnralement rpandus. Les contes s'affaiblissent, se moralisent, leur enseignement prend une valeur exemplaire et universelle. La marque du groupe social au sein duquel ils furent en fonction tend disparatre. La structure mme du conte est atteinte: les motifs sont mlangs, leur ordre de succession n'est plus observ, ils sont parfois tronqus, courts, des pisodes sont supprims. Les dtails se modernisent: la domination coloniale fait irruption avec le gendarme, le ptrole vient attiser le feu de bois, les lions et les loups remplacent volontiers les lvriers et les chacals, la femme tire de l'eau au robinet, le condamn fume une dernire cigarette, le hros boit du caf, se dplace en voiture ou use du prestige d'une machine parlante .

    L'ge d'or du conte oral semble bien prsent rvolu. Son panouissement parat bien avoir t tout .favoris dans le contexte de la socit paysanne patrilinaire lignagre et segmentaire telle qu'elle existait sans doute Kabylie avant la colonisation. L'criture modifie considrablement le style et le contenu des contes qui passent du domaine d'une production culturelle collective celui de productions individuelles. Des anciens contes demeurent les thmes universels. De nouve8UX thmes, mais ports peut-tre par d'autres formes d'expression (thtre, cinma, roman) sont appels les remplacer.

    C. LACOSTE-DuJARDIN C.N.R.S. Paris.

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