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LE CONCEPT DE TRAVAIL ET LA THÉORIE SOCIALE CRITIQUE José Antonio Noguera Martin Média | Travailler 2011/2 - n° 26 pages 127 à 160 ISSN 1620-5340 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travailler-2011-2-page-127.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Noguera José Antonio , « Le concept de travail et la théorie sociale critique » , Travailler, 2011/2 n° 26, p. 127-160. DOI : 10.3917/trav.026.0127 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média. © Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_barcelona - - 158.109.142.196 - 16/01/2012 11h44. © Martin Média Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_barcelona - - 158.109.142.196 - 16/01/2012 11h44. © Martin Média

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LE CONCEPT DE TRAVAIL ET LA THÉORIE SOCIALE CRITIQUE José Antonio Noguera Martin Média | Travailler 2011/2 - n° 26pages 127 à 160

ISSN 1620-5340

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travailler-2011-2-page-127.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Noguera José Antonio , « Le concept de travail et la théorie sociale critique » ,

Travailler, 2011/2 n° 26, p. 127-160. DOI : 10.3917/trav.026.0127

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Résumé : Les débats actuels autour du concept de travail n’énoncent pas toujours clairement certains des points essentiels qui le caractérisent dans la tradition de la théorie sociale critique initiée par Marx. Celle-ci a souvent mis en évidence les relations entre le travail et l’émancipation. L’article propose trois axes conceptuels complémentaires à l’axe tradi-tionnel « valorisation versus dépréciation » du travail : concept étendu de travail versus concept réduit, productivisme versus antiproductivisme, et centralité normative versus non-centralité du travail. À partir de ces éléments, l’article procède à la critique de certains lieux communs sur le concept de travail chez Marx, et énumère les différents chemins concep-tuels empruntés par les traditions marxistes postérieures. L’objectif de ce texte est ainsi de proposer une analyse critique du concept de travail chez Habermas. Summary, p. 159. Resumen, p. 160.

Le concept de travail en questionIl va sans dire que les pays capitalistes occidentaux sont

actuellement plongés dans un débat complexe, tant académique que

Le concept de travail et la théorie sociale critique 1

José Antonio NoguerA

Théo

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1. Le présent article est partiellement extrait de la thèse de doctorat « La transforma-tion du concept de travail dans la théorie sociale : L’apport des traditions marxistes » (Noguera, l998), dirigée par Rainer Zoll et défendue en septembre 1998 à l’université autonome de Barcelone. Je remercie la Generalitat de Catalunya pour l’attribution d’une bourse de formation des chercheurs (Fpi), sans laquelle cette thèse n’aurait pu voir le jour.Cet article a été initialement publié sous le titre « El concepto de trabajo y la teoria social critica » dans Papers, 68, 2002, p. 141-168. Il paraît ici avec l’aimable autorisation du service des publications de l’université autonome de Barcelone.

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politique, sur les changements qui sont en train de se produire dans la réa-lité du monde du travail. Ce débat aborde des thèmes extrêmement variés, qui font référence au sens du travail, à sa supposée « crise de centralité », aux formes non marchandes du travail, aux changements dans le salariat et l’organisation sociale de la production, aux conséquences de ces chan-gements dans la structure sociale, aux propositions politiques de réduc-tion du temps de travail ou de dissociation entre le travail et le salaire, etc. Il existe déjà une importante littérature sur ce thème, qui pourrait se résumer à une forme de consensus, parfois un peu flou, sur la nécessité de repenser et d’élargir le concept même de travail « tel que nous l’avons connu 2 ».

L’objectif de cet article n’est pas d’entrer dans l’analyse de telles questions, mais d’aborder les prolégomènes d’une tâche qui me paraît pré-alable : celle de comprendre les implications théoriques du concept de tra-vail qui leur est sous-jacent, en partant de la tradition de la théorie sociale critique initiée avec l’œuvre de Marx. En toute logique, cette analyse doit être préalable à toute étude concrète ou recherche empirique sur les sujets mentionnés, et peut servir à éclairer certains des présupposés théoriques erronés qui sous-tendent la plupart des débats actuels, ou encore à réinter-préter les phénomènes empiriques desquels ils s’inspirent. Dans ce sens, les paragraphes suivants tentent de constituer une première approche de cette analyse conceptuelle 3.

Mais pourquoi aborder cette tâche à partir de la théorie sociale d’orientation marxiste ou marxienne ? Il y a deux raisons à cela. D’abord, parce qu’il s’agit de la tradition théorique qui s’inspire le plus indiscu-tablement des valeurs émancipatrices au service d’une transformation sociale, augmentant les degrés d’autonomie et d’autoréalisation des indi-vidus ; autrement dit, c’est la tradition qui a le mieux su renoncer à toute forme d’essentialisme anhistorique qui déciderait d’avance de la « nature » d’un phénomène tel que le travail humain (nous en verrons plus bas les conséquences).

En second lieu, parce que la tradition marxiste est l’une des moins étudiées dans le cadre du thème qui nous intéresse : les études théoriques et historiques sur le concept de travail n’y ont jamais recours de manière

2. Un panorama général et récent de ces débats peut être consulté dans des ouvrages comme ceux d’Alonso (1999 et 2000), Bauman (1998) ou Sennett (1998).3. À ce propos, j’ai tenté de développer une analyse complémentaire sur le problème théo-rique de la définition du travail dans Noguera (2000), et, de façon moins exhaustive, sur la question de la centralité du travail dans Noguera (1997).

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systématique 4. Et elle n’a pas seulement été peu étudiée dans les travaux abordant le concept de travail (ce qui est bien paradoxal puisqu’il s’agit d’un des concepts clés de ce courant intellectuel) ; elle a également été terriblement mal étudiée : les préjugés, les idées reçues, les lieux communs et lectures de deuxième main – surtout chez Marx – ont proliféré outre mesure dans la littérature abordant le concept de travail.

Il est peut-être utile de préciser ici que l’on entend par « marxistes » des écoles, des courants de pensée et des auteurs très différents les uns des autres, et même opposés par de nombreux aspects. Il est bien sûr de rigueur de faire une distinction entre Marx et les marxistes postérieurs qui disaient s’inspirer de lui, mais également de distinguer plusieurs formes de marxisme. Sur ce point, les contributions les plus intéressantes pour l’ana-lyse du concept de travail sont sans doute ce que Perry Anderson (1973, 1976) ou Martin Jay (1984) ont appelé « marxisme occidental », par oppo-sition aux versions plus « orthodoxes » et doctrinaires du marxisme. Ce sont les « marxistes occidentaux » qui ont développé des visions critiques et originales de l’œuvre de Marx, sans la fossiliser comme un ensemble de « recettes » intellectuelles « prêtes à l’emploi ».

En définitive, les traditions marxistes et critiques ont mis en évidence, de façon extrêmement fructueuse, un aspect relégué (et parfois ignoré) dans certains débats contemporains : la question des relations entre le travail et la liberté humaine. Ce problème pose une série de questions connexes : le travail peut-il être une activité génératrice de sens ? La logique du travail va-t-elle au-delà de la rationalité instrumentale ou bien s’y épuise-t-elle ? Jusqu’où peut aller, ontologiquement parlant, la chosification dans les pra-tiques de travail ? Ce sont là les questions cruciales qui structurent le débat de fond opposant deux importants penseurs : Marx et Habermas. Mais, avant de nous référer plus en détail à cette question, il convient de détailler les axes d’analyse qui vont nous servir de point de départ.

Quatre axes théoriques pour l’étude du concept de travailAfin de nous guider dans la discussion sur le concept de travail, nous

pouvons définir quatre axes théoriques ou conceptuels utiles pour classifier et étudier les diverses postures théoriques sur le sujet.

4. Pour ne citer que deux exemples assez connus dans la littérature traitant du concept de travail, ni l’étude classique de A. Tilgher (1929) ni la plus moderne de H. Applebaum (1992) ne consacrent beaucoup de place aux traditions marxistes et-ou critiques. L’œuvre encyclopédique d’Antimo Negri (1980-1981) constitue cependant une exception partielle. En Espagne, le récent travail de Fernando Dìez (2001) – par ailleurs excellent – se limite aux origines du concept moderne de travail au Siècle des Lumières.

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L’axe valorisation versus dépréciation du travail

C’est sans doute l’axe le plus traditionnellement étudié, faisant de celui-ci la perspective dominante dans la plupart des études théoriques sur le concept de travail 5. Cet axe, comme son nom l’indique, pose la question de savoir si le travail est investi de dignité et de valeur sociale et culturelle positive ou si, au contraire, il est déprécié comme une activité avilissante ; ces deux postures de valorisation et dépréciation reflètent les visions oppo-sées qui dominaient respectivement les sociétés modernes et anciennes. Le degré extrême de valorisation du travail pourrait se définir comme sa glo-rification : glorifier le travail, c’est le considérer comme la source de tout bien et de tout progrès humain ; une telle croyance s’accompagne généra-lement d’un chant rhétorique ou poétique vantant les innombrables vertus associées au travail. On peut trouver des exemples de glorification du tra-vail dans les discours de certains prédicateurs protestants comme Baxter ou Wesley, qui furent à l’origine de l’« éthique du travail » moderne dans le capitalisme industriel ; chez Benjamin Franklin, dont les idées en étaient la parfaite application 6 ; chez les philosophes et humanistes de la Renais-sance comme Bacon et Buonarotti ; chez les moralistes victoriens comme Thomas Carlyle ; chez des romanciers comme Conrad, Victor Hugo, Zola ou Tolstoï.

L’axe valorisation versus dépréciation constitue donc un chemin traditionnel et rebattu pour étudier le concept de travail. De plus, le choi-sir en tant qu’axe central dans ce type d’étude conduit fréquemment à un défaut de différenciation entre les multiples formes de valorisation ou de dépréciation du travail qui peuvent exister, et entre les divers motifs et philosophies qui en sont à l’origine (ainsi, il est fréquent de classer dans la même catégorie de « valorisation » du travail le libéralisme bourgeois et le socialisme, abstraction faite de leurs nombreuses diffé-rences sur le sujet). Il apparaît donc indispensable de trouver d’autres axes théoriques plus pertinents pour atteindre les objectifs visés. L’adop-tion de trois autres oppositions conceptuelles pourrait donc s’avérer fructueuse.

5. Pour poursuivre avec les exemples déjà cités en note 4, l’étude d’Adriano Tilgher, Homo faber, comme celle d’Herbert Applebaum, The Concept of Work sont essentiellement structurés d’après cette dichotomie théorique. On trouve d’autres exemples chez Anthony (1977), Arendt (1958), Battaglia (1951 y 1973), De Grazia (1962), Jaccard (1960), Kwant (1960), Naredo (1977 y 1997), Pieper (1952) ou Tranquilli (1979).6. Et qui pour cette raison furent cités comme des classiques par Marx (1872) ou Weber (1904-05). Voir aussi, sur la naissance et la consolidation de l’« éthique du travail », l’excellente étude de Rodgers (1978).

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Concept étendu versus concept réduit de travailNous entendrons par concept étendu l’idée qu’une activité travaillée

puisse produire des compensations qui lui soient intrinsèques, le travail n’étant pas dans ce cas une activité purement et exclusivement instru-mentale, mais – au moins partiellement – autotélique (qui porte en elle sa propre finalité) 7.

À l’inverse, le concept réduit de travail signifie que seules des com-pensations extrinsèques à l’activité en question sont possibles (celles-ci peuvent prendre des formes très diverses : argent, survie, reconnaissance sociale, salut religieux, etc.). D’après le concept réduit, le travail est une activité purement instrumentale, qui ne peut donner lieu à aucune forme d’autoréalisation personnelle, et qui suppose nécessairement une coercition pour la liberté et l’autonomie de l’individu.

Les implications de cet axe conceptuel apparaîtront mieux si nous en donnons une définition théorique plus élaborée dans le tableau 1.

Tableau 1 – Concepts de travail et dimensions de l’action

Dimensions de l’action

Critères de validité

Application au travail

Concepts de travail

Cognitive – Instrumentale

Efficience et efficacité

Production ou création des

valeurs d’usageRéduit

ÉtenduPratique –

MoraleAdéquation normative

Travail comme devoir social ou discipline

coercitive

Travail comme moyen de

solidarité sociale

Esthétique – Expressive Authenticité

Autoexpression et/ou

autoréalisation au travail

On observe dans ce tableau trois dimensions possibles de l’action – inspirées par l’œuvre de Jürgen Habermas (1981) – avec leurs critères respectifs de validité, et leur application possible à l’action humaine spécifique qu’est le travail :

7. Le concept d’activité autotélique provient d’Aristote (il est impliqué conceptuellement dans sa distinction entre praxis et poiesis), il a été repris et appliqué au travail par des auteurs contemporains comme Elster (1989) ou Csikzentmihalyi (1975, 1990).

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a) La dimension cognitive-instrumentale consisterait en la recherche de résultats selon des critères d’efficacité ou d’efficience. Appliquée au travail, elle correspondrait à la production ou création de valeurs d’usage.

b) La dimension pratique-morale correspond aux aspects significa-tifs et au sens moral et social de toute action et se définirait par des cri-tères de correction ou d’adéquation morale et sociale. Appliquée au travail, elle peut se manifester, à grands traits, de deux manières : en concevant le travail comme un devoir social ou une discipline coercitive (comme « l’éthique du travail » traditionnelle), ou bien en le considérant comme vecteur de solidarité sociale et créateur de liens sociaux. On peut observer que, dans le premier cas, nous sommes face à une conception du travail qui tend davantage vers la rationalité cognitive-instrumentale 8, alors que le deuxième cas est une ouverture vers un type de rationalité autonome vis-à-vis de la dimension instrumentale, orienté vers un sens plus communicatif en termes habermassiens.

c) Pour finir, la dimension esthétique-expressive réunirait les aspects d’autoexpression et d’autoréalisation contenus dans l’action humaine, régis par des critères d’authenticité. Appliquée au travail, elle ferait de ce dernier un moyen d’autoréalisation personnelle.

Ainsi, nous pourrions énoncer comme suit une définition théorique plus élaborée du concept étendu de travail : le concept étendu est celui qui englobe les dimensions de l’action qui vont au-delà de la rationalité instrumentale, c’est-à-dire qui considère le travail non seulement comme production instrumentale de valeurs d’usage, mais aussi comme moyen de solidarité sociale et d’autoréalisation personnelle. Le concept étendu tend à rassembler les trois dimensions ou rationalités à l’œuvre dans l’action humaine : cognitive-instrumentale, pratique-morale et esthétique-expres-sive. Le concept réduit, au contraire, se limite à considérer le travail soit comme une action instrumentale destinée à la production de valeur d’usage, soit comme un devoir social ou une discipline coercitive ; dans les deux cas, le concept réduit réfute tout potentiel d’autonomie ou d’autoréalisation individuelle dans le travail.

Productivisme versus antiproductivisme en rapport avec le travailUn autre axe pouvant s’avérer pertinent dans l’étude du concept de

travail dans la théorie sociale est celui qui oppose une position productiviste

8. Habermas (1981, i : 292 s.) ou Zoll (1991) ont montré que l’« éthique du travail », issue du protestantisme, était dans le fond une manifestation parachevée de rationalité instrumentale.

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à une position antiproductiviste. Il ne fait aucun doute que le mot produc-tivisme peut avoir des sens multiples, ce qui nous oblige à préciser ceux auxquels nous nous référons. Concrètement, on peut considérer qu’une conception du travail est productiviste lorsqu’elle se fonde sur l’un des présupposés théoriques suivants :

a) Considérer la production de biens économiques comme une fina-lité en soi ou comme étant prioritaire sur tout autre chose, c’est-à-dire soutenir « la production pour la production ».

b) Assimiler toute activité humaine à la production économique ou considérer que celle-ci est le « modèle » ou « paradigme » pour comprendre la première.

c) Ou bien considérer les activités marchandes comme seul modèle possible et-ou souhaitable de production de biens et de services.

Le concept de travail s’inscrit par conséquent dans une optique pro-ductiviste quand le travail et la production sont considérés en eux-mêmes comme des fins compulsives de l’existence humaine, ou bien lorsque l’action de travailler est prise pour le fondement de l’existence humaine, ou encore lorsque le travail se trouve réduit à la seule réalisation d’acti-vités économiques valables en termes marchands ; il serait au contraire antiproductiviste s’il ne conduisait pas à la réalisation de ces postulats.

Notons à ce propos qu’il ne faut pas confondre « production » et « productivisme » : la production matérielle sera toujours élémentaire et nécessaire dans toute société ; le productivisme, la production pour la pro-duction sans tenir compte des objectifs, la glorification de la production en tant que telle, sont un phénomène culturel et social propre à une période historique déterminée 9.

d) Centralité versus non-centralité du travail.

Le dernier axe pertinent est celui qui oppose la « centralité » à la « non-centralité » du travail. Que signifie l’expression centralité ? Par cen-tralité du travail, on n’entend pas ici l’idée évidente et triviale que le travail est nécessaire à la survie, mais un sens plus latent de centralité sociale et culturelle : ce dernier pose la question de savoir à quel point le travail constitue une instance élémentaire qui structure les institutions sociales et la vie des individus. Il faut donc distinguer clairement entre la nécessité matérielle du travail et sa centralité sociale et culturelle. Le travail sera

9. Il ne faut pas non plus confondre production et travail, mais nous n’avons pas le temps d’approfondir ici cette distinction. Voir, à ce propos, Noguera (2000).

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toujours « central » en tant que nécessité matérielle pour la survie du genre humain ; dans ce sens, parler de « centralité » du travail n’est rien d’autre qu’une lapalissade. Il convient à ce propos de rappeler le fameux passage de Marx dans une de ses lettres à Kugelman : « N’importe quel enfant sait que toute nation crèverait qui cesserait le travail, je ne veux pas dire pour un an, mais ne fût-ce que pour quelques semaines. » (Marx, 1868 : 180). Cependant, il est certain que le travail peut aussi occuper, d’un point de vue social et culturel, une place plus ou moins « centrale » dans la vie des individus et de la société à laquelle ils appartiennent ; ce n’est que depuis l’époque moderne, en effet, que le travail s’est mis à occuper tant de temps et d’importance dans la vie des êtres humains 10, et il n’est pas insensé d’imaginer qu’une telle situation puisse évoluer.

En second lieu, il convient également de distinguer la centralité des-criptive de la centralité normative du travail. La centralité descriptive ren-voie à la constatation, comme une question de fait, que le travail occupe une place centrale dans l’existence (il s’agirait au fond d’une version de plus de la discussion sur le théorème de la base et de la superstructure, ou du débat entre idéalisme et matérialisme, appliqué aujourd’hui à la vigueur ou à la crise de la « société du travail »). La centralité normative, pour sa part, renvoie à la question politique et éthique de savoir si le travail doit avoir cette importance socioculturelle et s’il doit exister un lien immédiat entre le travail et les diverses rétributions sociales (revenus, subsistance, citoyenneté, statuts, etc.). Cette dernière – la centralité normative – paraît la plus pertinente pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, étant donné que ses conséquences théoriques et politiques sur le concept de travail vont au-delà d’une simple constatation empirique et-ou descriptive sur la centralité du travail (par exemple, ceux qui souscrivent à cette centra-lité normative rejetteront la possibilité d’une rente de base garantie ou sans conditions, indépendante du travail, et seront favorables à l’une des versions de l’« éthique du travail » moderne). Ainsi, une conception de la citoyen-neté sera « travaillo-centrique » lorsqu’elle associera au travail, de manière normative, l’obtention de compensations sociales telles que les revenus, la subsistance matérielle, le prestige social, etc. Au contraire, on se passera de la centralité normative du travail en plaidant pour une dissociation entre le travail et la subsistance, ou tout autre type de dédommagements.

Les trois derniers axes que nous avons définis peuvent s’appliquer aux principaux auteurs des diverses traditions de théorie sociale marxiste

10. Cf. Sahlins (1974) ou Thompson (1967) pour corroborer l’absence de centralité du tra-vail dans des époques prémodernes.

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ou postmarxiste – et en général à l’ensemble de la pensée sociale – qui abordent avec une certaine profondeur et pertinence le concept de travail. On retrouve dans le tableau 2 quelques résultats partiels de cette analyse (nous y avons aussi inclus, à titre indicatif et illustratif, certains auteurs ou courants de pensée situés hors des traditions marxistes ou critiques).

Tableau 2 – Concepts de travail dans la pensée sociale

Concept réduit Concept étendu

Productiviste Non productiviste Productiviste Non

productiviste

Assument la centralité normative du travail

A. Smith et des économistes bourgeoises. Éthique protestante et « éthique du travail » bourgeoise. K. Kautsky A. Gramsci L. Althusser Marxisme soviétique

« Premier » Gorz

Hegel S. Brzozowski Idéologie de la « joie au travail » (Joy in work, Arbeits-freude) E. Jünger National-socialisme

J. Elster W. Morris J. Ruskin Ch. Fourier T. Carlyle L. Tolstoï

N’assument pas la centra-lité normative du travail

F. Engels Grecs anciens F. Nietzsche P. Lafargue G. Lukács H. Arendt J. Habermas « Dernier » Gorz Marcuse « de la maturité »

K. Marx T.W. Adorno H. Horkhei-mer « Premier » Marcuse C. Castoriadis A. Heller G. Markus Ph. Van Parijs Féminisme marxiste

Nous manquons bien évidemment de place ici pour entrer dans un développement détaillé de la classification de chaque auteur dans le tableau 11. Mais il est important de remarquer d’emblée que les trois nouveaux axes théoriques définis fonctionnent de façon indépendante, conceptuellement parlant. En voici des exemples : il est possible de

11. On peut retrouver cette justification chez Noguera (1998).

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défendre le concept étendu de travail tant à partir d’optiques producti-vistes qu’antiproductivistes ; il est possible d’être favorable à la centra-lité normative du travail en assumant le concept étendu tout comme le concept réduit ; il est possible de partir d’un point de vue antiproduc-tiviste, d’être pour ou contre la centralité normative du travail, etc. La combinaison de ces trois axes permet de porter un nouveau regard sur la façon dont le concept de travail s’est élaboré dans la théorie sociale. Et pour ce qui concerne précisément les traditions marxistes et critiques, ces axes apportent un nouvel éclairage pour les raisons suivantes : si l’on observe attentivement le tableau, on se rendra compte qu’il propose un certain changement de perspective par rapport aux études classiques de la tradition marxiste, sur la base de critères tels que orthodoxie-hétéro-doxie, scientisme-humanisme, ou économisme-culturalisme (ainsi, nous pouvons rapprocher des auteurs aussi distincts que Habermas et Althus-ser, tous deux plaidant pour un concept réduit du travail, ou que l’hété-rodoxe Gramsci et les marxistes soviétiques avec les économistes bour-geois, dans la défense d’un concept réduit, productiviste, et favorable à la centralité normative du travail).

Un enseignement particulièrement significatif peut être tiré du tableau 2 : contre l’avis de certains théoriciens comme Habermas ou Arendt, il est possible d’adopter un positionnement favorable à la perte de centralité normative du travail, tout en soutenant le concept étendu de tra-vail. Cela atteste la validité théorique d’une posture qui défend l’idée que le travail ne doit pas nécessairement être le moteur central de la société, et que la rationalité instrumentale n’a pas à être la seule à structurer le travail. Cette observation s’avère importante dans la mesure où la plupart des penseurs actuels qui défendent la thèse d’une « crise de centralité » du travail, ou simplement de l’emploi (Habermas, Offe, Gorz, Méda...), adhèrent généralement au concept réduit de travail comme une déduction logique de leur position, ce qui nous mène vers une stratégie uniquement basée sur la libération « du » travail, et non pas « dans » le travail. Et, vice versa, ceux qui défendent la pérennité de la centralité du travail dans la vie des individus et pour la cohésion sociale se positionnent générale-ment depuis un concept étendu de travail, comme activité nécessaire pour la reconnaissance sociale, l’estime de soi ou l’autoréalisation, ce qui ne va pas forcément de pair.

Pour être plus clair encore : une stratégie politique qui cherche à réduire la centralité sociale du travail n’a aucune raison de s’appuyer sur une image purement instrumentale et dégradante de celui-ci.

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Comme nous l’avons dit, nous n’entrerons pas dans le détail des points de vue de chacun des théoriciens mentionnés dans le tableau, mais nous ferons cependant quelques observations générales, en nous penchant plus particulièrement sur deux penseurs qui illustrent respectivement la défense d’un concept étendu et d’un concept réduit du travail : Karl Marx et Jürgen Habermas.

Le concept de travail chez Marx : critique de quelques lieux communs

Je soutiendrai dans les lignes qui vont suivre que l’œuvre de Karl Marx constitue une défense du concept étendu de travail, c’est-à-dire qu’il admet que celui-ci engendre un potentiel d’autonomie et d’autoréalisation, et ne le réduit pas à une activité purement instrumentale ou à une discipline sociale ou psychologique coercitive. Le concept de travail chez Marx est également antiproductiviste et ne reconnaît pas la centralité normative du travail dans la société (il plaide en réalité pour la dissolution du lien entre travail et survie). Ainsi, certains lieux communs, qui se sont généralisés sur la position de Marx face au travail, s’avèrent incorrects :

a) En premier lieu, la posture de Marx ne constitue en rien une glorification du travail comme l’affirment des auteurs tels que Arendt (1958), Baudrillard (1973), Habermas (1968b et 1985), Jaccard (1960), Méda (1995), Naredo (1977 et 1987), ou Tilgher (1929) : le travail est la condition matérielle préalable à l’existence humaine, mais il s’agit là d’une constatation empirique pour Marx, qui ne conduit en aucun cas à la conclu-sion que le travail est à l’origine de toute richesse (cf. Marx, 1872 : 53 et 1875 : 13), de toute morale et de tout progrès. On ne trouve jamais dans l’œuvre de Marx de « chants élégiaques » comme ceux des penseurs libé-raux ou des prédicateurs protestants. Le travail n’est pas non plus considéré chez Marx comme l’essence de l’être humain : ce dernier n’est pas homo faber mais animal social (1872 : 397). C’est sa sociabilité qui détermine sa nature et non l’inverse. C’est la praxis – entendue comme un agir par lequel se construit le monde –, et non le travail – qui serait une forme spécifique de praxis –, qui définit l’être humain et le différencie des autres espèces animales.

b) En second lieu, Marx n’adopte pas une posture productiviste, comme le faisait la pensée libérale et bourgeoise de son époque (et contrai-rement à ce qu’affirment Anthony, 1977 ; Baudrillard, 1973 ; Méda, 1995 ou Naredo, 1987). Il est indéniable que Marx, comme la totalité des

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penseurs de son époque, ne pouvait concevoir avec la clairvoyance d’au-jourd’hui ni l’impossibilité d’un développement illimité des forces de pro-duction ni les conséquences de la destruction des ressources naturelles non renouvelables. Pour Marx, la production économique n’a jamais été pré-sentée comme une fin en soi (1857-58, i : 362 ; 1872 : 99, 596, 770-71) ; au contraire, la priorité était située pour lui dans le développement humain, de telle sorte que l’être humain maîtrise et contrôle la production, au lieu de se voir dominé par elle : grâce à un ingénieux jeu de mots quasi hédoniste, Marx méprise la jouissance de l’accumulation et y opposait l’accumulation de jouissances (1861-63 : 283). Sa position clairement favorable à la réduc-tion de la journée de travail et à l’augmentation du temps libre corrobore également son antiproductivisme (1872 : 379 s.). Dans ce sens, Marx défi-nit précisément la richesse comme temps libre et autoréalisation, non pas comme consommation et accumulation (1857-58, ii : 147). Enfin, il cri-tique inlassablement la ferveur du capitalisme pour le purement marchand dans la valeur d’échange, reléguant à un second plan la valeur d’usage des biens produits (1872 : 282-283).

c) En troisième lieu, et tout spécialement, Marx défend le concept étendu de travail. Sa conception du travail englobe les trois dimensions de l’action que nous avons énumérées plus haut : le travail est une activité orientée vers une finalité (dimension cognitive-instrumentale, ou téléolo-gique), mais il est également une forme d’interaction sociale et de com-munication (dimension pratique-morale, ou sociale), il constitue enfin une autoexpression pratique de l’être humain, qui y développe « le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles » (1872 : 319) (dimension esthétique-expressive).

Au gré de ses écrits, Marx a pu mettre plus ou moins l’accent sur chacune de ces dimensions, mais les trois sont clairement présentes dans l’ensemble de ses textes, depuis les Manuscrits jusqu’à la Critique du programme de Gotha.

L’existence d’un concept étendu de travail chez Marx permet aussi d’amener quelques observations supplémentaires : un des passages fonda-mentaux de son œuvre est la défense d’un concept d’autoréalisation active, pouvant être atteint dans le travail non pas en faisant du travail un « jeu » (comme le proposaient Fourier, Schiller ou Marcuse), mais au moyen d’un effort et même d’une certaine douleur, menant au dépassement d’obs-tacles et au développement des capacités et des potentiels humains (Marx, 1857-1858, ii : 119-122 ; Elster, 1985 et 1989). L’autoréalisation ne consiste pas pour Marx en la simple jouissance passive ou la consommation, mais

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elle suppose activité et effort, et c’est précisément pour cette raison qu’on peut l’atteindre par le travail ; on peut même dire que le travail libre et créa-tif est une des voies les plus indiquées – bien qu’elle ne soit pas la seule – pour mener à l’autoréalisation. Cette idée d’une autoréalisation active par le travail, présente dans l’œuvre de Marx, concorde avec des études psy-chologiques et sociologiques contemporaines, qui montrent que l’effort et le dépassement de soi sont des composantes nécessaires à l’obtention d’un sentiment d’autoréalisation et de plénitude vitale (Csikzentmihalyi, 1975 et 1990 ; Ronco & Peattie, 1983 ; Stebbins, 1992).

Contrairement aux suppositions de certains commentateurs, l’idée d’un travail libre n’est pas une contradiction pour Marx, mais une pos-sibilité historique. Dans le Livre iii du Capital, les allusions de Marx à la différence entre le règne de la nécessité et le règne de la liberté (1894 : 1043-1044) ne doivent pas être interprétées dans le sens d’une mise en opposition du travail et du loisir ou temps libre : si l’on recontextualise de manière appropriée ce fameux passage – presque toujours isolé du fil de l’argumentation marxienne –, on se rend clairement compte que ce qui est opposé c’est le travail nécessaire (non libre) au surtravail libre ; le temps consacré à ce dernier dans la société communiste devait, selon Marx, aug-menter considérablement, comme conséquence de la réduction du temps de travail nécessaire rendue possible par l’innovation technologique ; mais, dans tous les cas, le surtravail continuerait toujours d’exister, sous la forme d’activités libres et consciemment choisies par chaque individu pour le développement personnel et la réalisation de soi.

Si l’on interprète l’œuvre de Marx à partir de ces données, on ne peut qu’en arriver à la conclusion que la continuité dans la défense du concept étendu de travail y est manifeste. D’ailleurs, la dichotomie aliéna-tion-objectivation (1844b) implique déjà l’idée d’un travail libre ou désa-liéné : le travail est une activité objectivante, génératrice de monde, mais elle ne doit pas pour autant être nécessairement aliénée. La liberté ne réside pas exclusivement pour Marx en dehors du travail, mais aussi et particuliè-rement dans le travail non aliéné. Cette conception différencie Marx non seulement à partir de l’emploi du concept réduit de travail caractéristique chez les économistes bourgeois de son époque, mais aussi à partir de la conception dévalorisée et élitiste que les penseurs de l’Antiquité avaient du travail, comme chez Aristote par exemple. Pour Marx, c’est dans la praxis réelle et matérielle – y compris dans le travail – que l’on doit s’épanouir et trouver sa liberté, et pas seulement dans la politique, le langage, la pensée ou l’art, comme le croyait Aristote, ou comme le prônent, des siècles plus tard, Habermas ou Arendt.

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d) En dernier lieu, il convient d’ajouter à tout ce que nous avons dit précédemment que Marx ne reconnaît pas la centralité normative du travail. Dans des textes que tant d’années séparent comme L’idéologie allemande et Critique du programme de Gotha, il défend l’idée que la subsistance ne doit pas être liée au rendement du travail dans la société communiste, soutenant ainsi un principe de justice distributive égalitariste (et non pas méritocratique, comme le veut l’idéologie dominante dans la société bourgeoise) : « la diversité des activités et des travaux ne justifie aucune inégalité, aucun privilège quant à la possession et à la jouissance » (Marx et Engels, 1845 : 580).

Le fameux slogan « chacun ses capacités, chacun ses besoins » met clairement en évidence cette conception ; ce n’est pas en vain que des théo-riciens contemporains comme Philippe Van Parijs (1995) ont considéré la proposition d’une rente de base garantie, indépendante du travail, comme une voie possible pour faire de ce principe une réalité.

En définitive, nous pouvons dire que ce concept étendu, non pro-ductiviste et n’assumant pas la centralité normative du travail, est l’un des apports les plus originaux de l’œuvre de Marx.

Le concept de travail dans les traditions marxistes postérieures

L’œuvre de Marx, en raison de sa complexité, de sa dispersion, et des avatars historiques de sa publication, a donné lieu à des interpréta-tions multiples et parfois contradictoires du concept de travail. Le travail pouvait-il, dans sa conception, être « libre » et « désaliéné » ? Ou bien la liberté et l’autoréalisation se trouvaient-elles par nature au-delà de la sphère du travail en tant que tel ? Dans la section précédente, nous avons tenté d’argumenter en faveur de la première alternative comme étant la plus fidèle aux mots et à l’esprit de l’œuvre de Marx, et considérant que les autres interprétations rencontraient des difficultés évidentes. Cepen-dant, il n’est pas rare de trouver dans la pensée marxiste postérieure à Marx une adhésion à l’une ou l’autre de ces positions, donnant lieu à ce que nous pouvons considérer comme deux courants ou « traditions théo-riques » distinctes quant à la conception du travail (indépendamment d’autres subdivisions théoriques qui pourraient opérer une classifica-tion pertinente entre les auteurs marxistes ou néomarxistes). Ainsi, ceux qui acceptent la dichotomie « travail aliéné / travail libre » comme étant propre au marxisme adhèrent à un concept étendu de travail (allant au-delà

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de la pure instrumentalité et rendant possible la libération dans le travail), alors que ceux qui considèrent que le travail est aliénant en soi adoptent le concept « réduit » de travail, le limitant à son aspect instrumental ou téléologique (et laissant pour seul objectif politique possible la libération du travail).

Cette complexité dans le traitement postmarxiste du concept en question (appréciable dans le tableau 2, supra) peut servir à nuancer l’af-firmation de Berki selon laquelle le concept étendu a constitué la logique dominante dans le marxisme : « Les marxistes ont toujours cru [...] que le travail en tant que plus haute activité générique de l’homme était, de fait, une forme de satisfaction » (1979 : 54). Cette affirmation demande toute-fois à être relativisée. Chez de nombreux auteurs marxistes, on repère le concept de travail réduit non seulement de manière explicite, mais aussi implicitement, par l’absence complète de toute allusion à des thèmes élé-mentaires chez Marx comme l’autoréalisation à travers le travail, le libre développement de l’individu, l’aliénation etc. Il est évident que beaucoup d’entre eux ne connaissaient pas encore certains textes de Marx comme les Manuscrits ou les Grundrisse, mais cela ne peut en aucun cas être valable pour tous. Les auteurs qui assument le concept réduit peuvent se diviser en deux catégories : ceux qui défendent également une vision productiviste selon certains aspects décrits plus haut, et ceux qui, au contraire, ont un point de vue antiproductiviste.

On trouvera dans le premier groupe Engels, les divers « marxismes orthodoxes », Gramsci et Althusser ; dans le second Lafargue, Lukács, Gorz, le Marcuse « tardif » et Habermas.

En général, la défense d’un concept réduit productiviste est liée à des intérêts politiques de discipline industrielle, et sous-tend le dévelop-pement des forces productives comme condition préalable au socialisme ; cela se perçoit clairement chez Gramsci, dans ses fragments sur l’« amé-ricanisme » et le fordisme où il plaide ouvertement pour la taylorisation et le parcellement du travail (cf. Gramsci, 1932-35), sans se soucier des aspects déshumanisants, comme le fait Lukács à la même époque. Quant aux auteurs qui défendent le concept réduit antiproductiviste, cela renvoie à une idée de l’autoréalisation et de la liberté bien plus exigeante et uto-pique que chez Marx, qui souscrivait comme nous l’avons vu à une idée de l’autoréalisation active qui suppose un effort. Ainsi, Lafargue (1880), Lukács (1923) ou Marcuse (1955) sont proches de conceptions philo-hédo-nistes et esthéticistes qui considèrent que la seule forme possible d’auto-réalisation suppose l’abolition de l’objectivité même – et pas seulement de

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l’aliénation – ; alors que Gorz (1980 et 1988) et Habermas (1983, 1984a et 1984b) estiment le degré actuel de complexité sociale irréversible, ren-dant hautement improbable toute réalisation personnelle au sein de travaux réglés et mécanisés, et réduisant par là même le travail à sa composante purement instrumentale.

D’autres auteurs situés à l’intérieur de la tradition marxiste et cri-tique ont cependant conservé le concept étendu et antiproductiviste, et l’ont élaboré et développé au-delà de Marx : Adorno (1951 : 129 ; 1966 et 1969) et Horkheimer (1934 et 1947), le Marcuse « initial » (1933), Castoriadis (1975), Heller (1970), Markus (1986), les marxistes analytiques (Elster, 1989 ; Van Parijs, 1995) et certaines marxistes féministes comme Maria Mies (1986) ont tenté d’explorer le sens et les potentialités du concept étendu de travail chez Marx, ou bien l’ont simplement adopté avec dif-férents degrés d’implication. Ainsi, les « pères » de l’École de Francfort ont toujours pensé que, dans une société rationnelle, non dominée par la logique de la raison instrumentale, le travail perdrait totalement son carac-tère aliénant et abrutissant, caractéristique de la société capitaliste ; ils se sont démarqués de l’« éthique du travail » bourgeoise, basée sur la ratio-nalité instrumentale, et ont ouvertement plaidé pour la non-centralité du travail dans la vie.

Des auteurs comme Cornelius Castoriadis ou Gyorgy Markus ont également défendu un concept étendu et antiproductiviste, avec la particu-larité d’aller même plus loin que Marx, en soutenant que son œuvre péchait par excès d’essentialisme en utilisant des concepts tels que « travail néces-saire » ou « exigences techniques » de la production ; pour ces auteurs, il ne devait pas y avoir de séparation entre la technique et la culture, la première étant inévitablement – au même titre que les « besoins » – une construction sociohistorique ; par conséquent, les frontières de la cho-sification pouvaient reculer bien au-delà de ce qu’avait imaginé Marx ou, tout au moins, être plus malléables qu’il ne l’avait pensé. D’autres courants comme le marxisme analytique ont également mis l’accent sur le concept étendu en étudiant les possibilités d’autoréalisation par le tra-vail (Elster), et ont exploré dans toute son ampleur l’idée d’en abolir la centralité sociale, par l’instauration d’une rente de base qui dissocie la subsistance de toute contrepartie laborieuse (c’est le cas de Van Parijs). Enfin, les féministes marxistes comme Mies (1986) ont tenté de dégager les implications du concept étendu de travail pour son application non productiviste aux travaux des femmes, et à la logique spécifique de ces derniers.

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12. J’ai tenté d’exposer ailleurs et de façon plus détaillée la critique des présupposés anthro-pologiques de Marx par Habermas (Noguera, 1996).

La critique de Marx et du concept étendu de travail par Habermas La « fin du paradigme de la production » et le travail comme action instrumentale

Cependant, le défi théorique le plus élaboré auquel a été confronté le concept étendu du travail chez Marx est sans doute celui de Jürgen Habermas. Habermas accuse en effet la théorie de Marx d’être enfermée dans le paradigme de la production et dans la philosophie de la conscience qui a hanté la pensée sociale moderne. La théorie habermassienne de l’agir communicationnel (1981) consistera simplement en la substitution de ce paradigme, considéré comme caduc, par le paradigme de la com-munication. Nous pouvons schématiser l’argument d’Habermas comme suit 12 : le paradigme de la production part d’un acteur isolé qui s’af-fronte téléologiquement – c’est-à-dire en recherchant la réussite dans la conquête de ses objectifs ou finalités – à un monde extérieur « objectif », qu’il soit social ou naturel. C’est ce modèle qui, selon Habermas, amène Marx à conceptualiser le travail comme la catégorie essentielle dans le processus d’hominisation – ce qui différencie l’espèce humaine du reste des espèces animales – : l’être humain est avant tout un homo faber, un être qui affronte le monde et le transforme en l’instrumentalisant selon ses désirs. Cette anthropologie philosophique, affirme Habermas, est réductionniste : elle laisse de côté une autre dimension essentielle dans la constitution de l’espèce humaine en tant que telle, qui est celle de l’interaction sociale, et plus concrètement celle de la communication et du langage. L’un – le travail – comme l’autre – la communication – sont essentiels pour l’autoreproduction de l’être humain et de la société (Habermas, 1976 : 136 s.). Marx réduirait ainsi toute la praxis sociale au travail social, sans voir qu’il existe dans les interactions linguistiques des potentialités non réductibles au type d’activité téléologique qui domine dans la sphère du travail.

Si le travail est pour Habermas le modèle d’action du paradigme de la production, cela signifie qu’il se trouve réduit à un caractère pure-ment téléologique, c’est-à-dire à sa dimension cognitive-instrumentale. En effet, dans la théorie habermassienne, le concept de travail est amputé de ses composantes pratiques-morales et esthétiques-expressives. En d’autres termes, Habermas opte clairement et vigoureusement pour un concept

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« réduit » de travail. Dès ses ouvrages La Technique et la science comme « idéologie » ou Connaissance et intérêt (tous deux datant de 1968), et conformément à sa fameuse distinction entre travail et interaction, Haber-mas définit le « travail » comme une catégorie analytique d’action, compa-rable à l’action instrumentale, et il considérait du reste que cette identifica-tion est implicite dans la théorie de Marx. Si l’action instrumentale devient un modèle catégoriel, argumente Habermas, on ne peut alors espérer la libération que dans cette dimension, c’est-à-dire du développement des forces instrumentales et productives du travail, et du contrôle technique du monde.

A-t-on « épuisé les potentiels utopiques du travail » ?

Habermas, dans des essais postérieurs (1983, 1984a, 1984b et 1985), va plus loin dans son attaque du concept étendu de travail, en qua-lifiant d’obsolète la conception « romantique » ou « expressiviste » de l’autoréalisation de l’essence humaine à travers le travail. Pour rendre compte de la libération des potentiels humains, « le modèle de l’acti-vité artisanale n’est plus suffisant » (1984a : 407). Le concept de travail employé en sociologie et en philosophie est enfin (selon Habermas) « puri-fié de tout contenu normatif » et « libéré de son rôle de force impulsive émancipatrice » (ibidem).

La réduction historique de la journée de travail et l’importance décroissante du travail dans la vie sembleraient converger en faveur de cette thèse. Pour Habermas, si l’on abandonne le modèle expressiviste, alors « toute la problématique s’en trouve réduite à une [...] bien modeste mesure de politique sociale, à savoir : une humanisation du monde du tra-vail » (ibidem : 408). Au fond, ce qu’Habermas veut dire, c’est que le travail se limite à des opérations techniques, tandis que tout ce qui surpasse ces dernières appartient déjà au règne de la communication. Pour Habermas, il n’y a de sens qu’à combattre l’aliénation dans la communication, dans les situations qui impliquent de la « communication systématiquement défor-mée » et pas dans le travail en tant que tel. Ce n’est pas l’activité laborieuse en tant que telle qui peut être « désaliénée », mais plutôt son organisation communicationnelle.

Tout cela est cohérent avec ce qu’affirmera aussi l’auteur dans sa Théorie de l’agir communicationnel (1981), concernant la distinction entre le « système » (ou les domaines régis par des échanges impersonnels et qui fonctionnent indépendamment des orientations d’action des individus) et le « monde vécu » (un monde pratique, qui fait sens et ne peut fonctionner

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13. Cf. Noguera (1996) ou Vallespin (2001) pour deux aperçus des implications de ces concepts dans l’œuvre de Habermas.

indépendamment des orientations d’action des êtres humains) 13. Dans ce contexte, le travail apparaît confiné dans le sous-système économique, qui est une composante du système au même titre que le sous-système poli-tico-administratif. Le système est celui qui conduit la reproduction maté-rielle du monde de la vie, et à l’intérieur de cette reproduction matérielle se trouve le travail social, qui n’inclut, semble-t-il, que le travail rémunéré (Fraser, 1986).

Pour l’auteur, l’automatisation moderne du processus de travail et sa configuration en tant qu’institution « systémique », le travail mécanisé, le taylorisme, etc., auraient privé le travail de sa part de créativité et d’auto-réalisation. Cela expliquerait que l’on ne puisse plus y trouver le moindre potentiel émancipateur, et que l’on doive se résigner à considérer le travail sous son seul aspect technico-économique. Habermas ne semble émettre aucun regret face à cette configuration du processus de travail en termes systémiques, et considère au contraire comme une « avancée » le marché du travail en tant que tel et l’organisation « scientifique » du processus de travail, en déconnectant la reproduction matérielle du monde vécu d’un moyen aussi précaire et incertain que la communication.

Il faut bien comprendre que, selon Habermas, la complexité et la différenciation sociale dans les sociétés modernes rendent inévitable l’alié-nation dans le processus de travail. La complexité croissante et la diffé-renciation interne au processus de travail rendent impossible, d’après lui, la « réconciliation » entre le travailleur et son produit, comme l’espérait romantiquement Marx. En termes politiques, cela signifie que la seule voie possible d’émancipation n’est pas d’augmenter le potentiel libérateur du travail au détriment de son caractère aliénant de « charge », mais de réduire ce « travail-charge » à son minimum nécessaire à la reproduction sociale ; c’est-à-dire de ne pas tant miser sur un travail générateur d’autonomie croissante et d’autoréalisation, mais de le réduire à sa plus pure instrumen-talité. Selon ses propres mots, dans le capitalisme tardif « l’accent utopique passe du concept de travail à celui de la communication » (1984b : 133). Il ne nous reste plus qu’à espérer que les impératifs systémiques ne « colo-nisent » pas des espaces du monde vécu qui ne leur sont pas « propres ». Nous n’aurions rien à redire en revanche s’ils restent confinés « dans leur propre domaine » de l’économie et de l’État.

Comme l’affirme l’auteur dans ses Écrits politiques, tout cela implique « l’épuisement des potentiels utopiques du travail ». Nous

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observons cependant dès le départ qu’Habermas associe deux arguments distincts : une défense du concept réduit de travail d’un côté, et une critique de la centralité normative du travail dans la société de l’autre. Habermas veut ainsi arriver à la dissociation du travail d’avec le revenu et la citoyen-neté (1984b : 129). Mais, pour arriver à cette conclusion critique de la centralité normative du travail, il n’est pas nécessaire en termes de concep-tualisation d’opérer tant de détours théoriques ; concrètement, il est inutile d’en passer par la critique du concept étendu de Marx, inutile d’abandon-ner « les potentiels utopiques du travail » (entendus comme autonomie et autoréalisation). Il est à noter une fois de plus que Marx était également favorable à la dissociation entre le travail et la subsistance des individus (dans L’Idéologie allemande ou la Critique du programme de Gotha), comme le sont aujourd’hui des auteurs tels que Van Parijs (1995), sans pour autant adopter le concept réduit de travail.

Critique de l’interprétation habermasienne de Marx

Il existe d’autres raisons que celle que nous venons de mention-ner pour remettre en question la pertinence des arguments d’Habermas concernant le travail. En premier lieu, il faut débattre de l’interprétation qu’Habermas fait de la problématique posée par Marx et, plus précisé-ment, de l’idée que ce dernier cède à un « réductionnisme catégoriel ». C’est une thèse risquée que de défendre l’idée que Marx réduit toute la praxis sociale au travail. Tout comme le mettent en évidence Kosik (1961) ou Sanchez Vazquez (1967), la distinction entre praxis et travail est essen-tielle dans le marxisme. Le travail est une forme spécifique de la praxis, mais il n’est pas pour autant la seule 14. Cette distinction est clairement implicite dans l’œuvre de Marx, et seule une compréhension hegéliani-sante peut a rgumenter en faveur de la réduction qui préoccupe Habermas.

Contre la thèse habermassienne qui soutient que Marx réduit « la praxis au travail, à la structure de l’activité rationnelle par rapport à une fin » (1985 : 274), on peut opposer non seulement l’argument antérieur – la praxis ne se réduit pas au travail –, mais également un second argument légèrement différent : le travail ne se limite pas chez Marx à une activité instrumentale ou « rationnelle par rapport à une fin ». Marx ne sépare pas le travail et la communication : pour lui le travail humain a une dimen-sion irréductiblement sociale (voir sa critique des « robinsonnades » des

14. Sánchez Vázquez (1967) analyse, concrètement, trois formes de praxis différenciées selon leur objet : la praxis productive (travail), l’artistique et la politique (qui ont pour objets respectifs la nature, les produits d’une praxis antérieure et l’humano-social).

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économistes et philosophes bourgeois) et également communicative (il suffit de se rappeler des fameux passages à ce propos dans les « notes sur James Mill » (1844a : 290 s.).

Nous ne prétendons certainement pas nier le fait que Marx assume le « paradigme de la production » dans son sens large d’« autoextériorisa-tion » des capacités humaines. Le fait de ne pas avoir adopté le « tournant linguistique » – ce qui était difficile, pour ne pas dire impossible, dans le contexte intellectuel de son époque – n’équivaut en rien à la réduction du travail ou de l’action humaine en activité purement instrumentale. Haber-mas mène, par ailleurs, une esthétisation excessive du concept de travail chez le jeune Marx. Ainsi, il affirme que « Le jeune Marx assimile [...] le travail à la production créatrice de l’artiste, qui dans ses œuvres exprime ses forces essentielles, pour se réapproprier ensuite le produit, dans une attitude béate et contemplative » (Habermas, 1985a : 84). Il s’agit là d’une vision incomplète : il y a sans doute une composante esthétique dans l’idée du travail chez Marx, mais ce n’est pas la seule. C’est ainsi que ressurgit l’argument habituel selon lequel Marx attribuerait une « essence » inexis-tante au travail humain, lui permettant de différencier le travail aliéné du travail désaliéné, et l’objectivation de l’aliénation. Il est certain que l’on peut rencontrer cet essentialisme chez Marx, comme nous l’avons vu. Cependant, le modèle de libération par le travail qu’Habermas lui attribue est à questionner aussi sous un autre aspect : Marx ne croit pas non plus à un retour possible à l’appropriation artisanale du produit, mais à une appropriation à l’échelle sociale, non pas individuelle 15.

Ainsi, l’argument qui critique l’essentialisme du travail comme réa-lisation d’une supposée « nature humaine authentique » peut se voir accusé à son tour d’adopter l’essentialisme opposé qui consiste à défendre l’idée que le travail est exclusivement et ontologiquement instrumental, sans possibilité de désaliénation.

L’essentialisme de la position d’Habermas

Nombreux sont les auteurs qui ont qualifié de réductionnistes les prises de position d’Habermas, et lui ont reproché son assimilation

15. Habermas affirme également que « le modèle expressiviste hérité de Marx, qui provient du transfert de certains idéaux esthétiques à la sphère du travail industriel, rencontre de moins en moins de confirmation empirique dans l’organisation des processus de travail contemporains » (1986 : 214). Mais Marx n’a jamais espéré ni prétendu trouver de confir-mation empirique de ce modèle dans le processus de travail capitaliste. Cela ne peut donc pas, de toute évidence, être retenu comme un argument contre lui.

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16. Il suffit de citer à ce propos Honneth (1982), Giddens (1982), Heller (1976 y 1982), Markus (1982), Postone (1993), Keane (1975) ou Eyerman et Shipway (1981).

essentialiste de la catégorie de travail à la rationalité téléologique ou instrumentale, oubliant ses autres potentiels, et même des réalités his-toriques bien palpables démontrant l’existence de tels potentiels 16. Certains auteurs remarquent notamment que le point de vue d’Ha-bermas s’avère anhistorique et essentialiste, et dissocie le travail des relations sociales qui le composent, lui assignant a priori une nature transhistorique.

Dans les paragraphes précédents, nous avons vu qu’Habermas réduisait le travail à une action instrumentale pour des raisons purement théoriques ou conceptuelles : il parle de « l’activité rationnelle par rap-port à une fin » comme « inhérente » au « concept de travail » (1985 : 87). Mais nous avons vu aussi qu’il complète l’argument conceptuel par un argument historico-social. Il ne s’agit plus d’une séparation concep-tuelle entre « travail » et « interaction », « agir communicationnel » ou « praxis », parce que le travail ne peut être autre chose qu’une action instrumentale et stratégique en raison de sa configuration concrète dans les sociétés modernes. Comme on peut le voir, il existe une forme de tension dans cette dualité argumentaire : si la critique de la catégorie de travail est nécessaire pour des raisons purement théoriques, et si tout ce qui n’est pas instrumental appartient au domaine de la praxis, et non pas du travail, alors il n’est nul besoin d’un argument historico-social com-plémentaire. Au contraire, en soutenant le second argument historico-social, il convient alors de questionner le premier : si le travail n’a acquis son caractère purement instrumental que par le concours de l’histoire, il est donc malvenu de le lui attribuer de façon conceptuelle, puisqu’il peut historiquement le perdre à nouveau. En résumé, la défense d’un concept « réduit » de travail, si elle se base sur un argument conceptuel, rend inutile et redondant tout argument historique ; et si elle se base sur un argument historique, elle entre en contradiction avec un quelconque argument conceptuel. Le problème, c’est que l’auteur semble argumenter indistinctement en termes conceptuels ou historico-sociaux, en fonction du contexte. S’il entend d’emblée le « travail » comme équivalent d’une « action instrumentale », il n’y a donc pas lieu de parler de « fin des potentiels utopiques du travail » pour des raisons historico-sociales, mais d’« impossibilité conceptuelle » de voir dans le travail un quelconque potentiel utopique.

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L’argument habermassien est plus qu’un argument historique : il emprunte également un tournant essentialiste. Le système économique des sociétés modernes tend à institutionnaliser la logique propre de l’activité travaillée, de la façon qui lui est en quelque sorte la plus appropriée : le mode instrumental-stratégique. S’ils n’étaient pas désuets, on attendrait presque ici d’Habermas qu’il nous dise en termes hégeliens que le travail est arrivé, dans les sociétés modernes, à « réaliser son propre Concept ». L’institutionnalisation systémique et instrumentale-stratégique du travail n’est pas une contingence historique quelconque pour Habermas, mais elle fonctionne selon une certaine exigence interne. Pour l’auteur, ce n’est donc pas le système économique en tant que tel ou le travail aliénant qui est indésirable d’un point de vue politique, mais seulement la propagation de cette logique systémique à d’autres domaines qui ne lui « appartiennent » pas en propre. En somme : ou bien Habermas réalise un « saut de niveau » illégitime entre le conceptuel et l’historico-social, ou bien il tombe dans un essentialisme obsolète et anhistorique.

Le travail est-il une réalité inévitablement systémique ?

L’« essentialisme » de la thèse habermassienne peut être néanmoins nuancé de la façon suivante. Habermas n’affirme pas en réalité qu’il n’y a pas d’inversion possible de la « systématicité » et de l’« instrumentalité » du travail et de l’économie, mais qu’un tel basculement, sans doute pos-sible d’un point de vue historique, constituerait une régression dont le prix à payer serait trop important. C’est pourtant cette dernière affirmation qui manque cruellement d’argumentation chez Habermas : comment peut-il savoir qu’il n’existe pas d’autre possibilité que la « régression » sociale (dont il faudrait aussi éclaircir le sens) ou la « systématicité » de l’éco-nomie ? D’où tire-t-il la clairvoyance d’écarter d’autres évolutions histo-riques ? Ne peut-on pas concevoir des changements dans les conditions de travail qui remettent en question le modèle « systémique » d’organisation du travail sans pour autant revenir au Moyen Âge ?

Il existe d’autres arguments plus décisifs encore pour réfuter cette caractérisation « systémique » du travail – et de l’économie en général – proposée par Habermas.

Il y a en effet toute une série de travaux informels et-ou non mar-chands qui échappent aux mécanismes d’intégration systémique : ainsi le travail domestique-familial des femmes, le travail volontaire ou social, les groupes d’entraide, l’autoproduction, l’autoconsommation, l’autorépara-tion, l’échange informel de biens et services, et même certaines professions

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17. Voir, par exemple, Pahl, 1984 ; Mingione, 1991 ; Sanchís, 1988 ; Ronco et Peattie, 1983 ; Borderías et autres, 1994. Pour Fraser (1986), la position d’Habermas fait disparaître le travail domestique-familial des femmes dans le « monde de la vie ». La différence entre système et monde de la vie dévie notre attention du fait que la sphère privée de ce dernier n’en fait pas moins un lieu de travail (Fraser, 1986 : 60).

artistiques ou intellectuelles 17. À partir de ces phénomènes, on se rend compte que l’inadéquation de la théorie d’Habermas pour comprendre le travail est plus profonde encore, car il ne s’agit pas seulement du fait que le « travail » ne soit pas réductible à un « système », mais du fait que l’ex-plication même de la différenciation entre système et monde vécu s’avère éminemment faible. La raison de cette différenciation, selon Habermas, réside dans le fait que le système est un mode « évolutivement supérieur » pour assurer la reproduction matérielle de la société, alors que la repro-duction symbolique est dévolue au monde de la vie. Si le système ne tente pas d’« étendre » sa logique au-delà de la reproduction matérielle – vers le domaine symbolique –, alors il ne se crée pas de pathologies sociales. Ce point de vue pose un problème évident : non seulement, comme nous l’avons vu, il existe aussi du travail dans le « monde vécu », mais en outre tous ces travaux « informels » assurent également certains aspects de la reproduction matérielle de la société. L’explication des « avantages évolu-tifs » de la différenciation du système et de la constitution de l’économie en termes systémiques s’effondre sur elle-même. Habermas présente une vision théoriciste à l’extrême et « idéalisée » de la division de la société en système et monde vécu. En réalité, le travail, y compris celui de la repro-duction matérielle, peut s’organiser en termes systémiques autant qu’en termes de « monde vécu ».

La question est de savoir où se trouve la frontière entre la différen-ciation du système et du monde de la vie, et la « colonisation » et « chosifi-cation » du second par le premier. Le travail industriel aliéné, tel qu’analysé par Marx, ne serait rien d’autre qu’un cas particulier de cette « colonisa-tion ». Néanmoins, Marx, en croyant que le dépassement du capitalisme et l’organisation de la production selon d’autres modes allaient conduire à la désaliénation du travail « sous-estime la logique spécifique des domaines d’action systémiquement intégrés » (1985a : 412). Il faudrait toutefois dis-tinguer la part d’aliénation propre au capitalisme de la part inévitable due à la « logique spécifique » du système, contre laquelle rien ne sert de lutter, sous peine de mettre en danger l’intégration sociale « à un tel niveau de complexité ». Et cette frontière entre les deux « parts » d’aliénation, sans l’ombre d’un doute pour Habermas, est une question de fait, technique, et non pas une question pratico-politique arbitrée par la négociation et les

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luttes sociales. L’expression renouvelée de Habermas selon laquelle on ne peut pas « dédifférencier » le système « une fois atteint un certain niveau de complexité » s’avère tautologique et ressuscite les pires travers des argumentations téléologiques fonctionnalistes.

L’inutile substitution du paradigme du travail par celui de la communication

Pour finir, précisons que la critique d’Habermas que nous tentons ici de formuler n’a pas pour objectif de revenir au dénommé « paradigme du travail », mais de défendre l’idée qu’il est complémentaire et non pas anti-nomique avec celui de la communication (défendu par Habermas). Pour s’en tenir à un seul exemple, le paradigme de la communication semble indispensable pour justifier les implications normatives d’une théorie sociale critique (Noguera, 1996) ; mais le paradigme du travail, entendu comme concept étendu et non-productiviste, nous montre qu’il existe aussi dans le travail des potentiels émancipateurs pour l’être humain, grâce aux possibilités d’autonomie et d’autoréalisation qu’il offre.

En résumé, il semble plus fructueux de faire une nouvelle lecture de la catégorie du travail à partir d’une théorie de la rationalité communica-tionnelle, sans que cette dernière nous mène de force vers un concept réduit de travail. Pour cela, nous pourrions commencer par montrer que le travail ne doit pas seulement et principalement être une « activité rationnelle par rapport à une fin ».

Cela a des implications évidentes, tant pour la recherche empirique que pour la pertinence politique à laquelle toute théorie critique aspire. Avec la position d’Habermas, et comme l’observe Honneth, tout potentiel ou toute ébauche de résistance à l’intérieur du processus productif capita-liste se trouve désactivé, et le travail devient un concept qui « reflète sim-plement les relations réelles de travail social [...], perdant de son sens pour la transformation potentielle de ses formes établies » (Honneth, 1982 : 46).

Honneth affirme également qu’en éliminant la contradiction entre travail aliéné et travail non aliéné, Habermas prive de leur logique interne les actes de résistance à l’intérieur de la sphère du travail, qui sont des pratiques quotidiennes dans le capitalisme tardif, faisant comme si la libé-ration des relations de travail était déjà arrivée aussi loin qu’il est pos-sible d’espérer (ibidem : 54), et comme si les problèmes du capitalisme n’avaient plus rien à voir avec la « reproduction matérielle » mais avec la « symbolique ».

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Il y a sans doute du vrai dans l’affirmation habermassienne selon laquelle l’identification ou la réconciliation du travailleur avec son produit (en termes individuels comme collectifs) est un objectif douteux à l’échelle sociale ; mais ce qui, en revanche, est totalement viable, et pourrait le deve-nir davantage, c’est l’identification avec l’activité en tant que telle, sa crois-sante autorégulation autonome, et le libre contrôle par les hommes et les femmes de leurs rythmes et cadences. Ce point est d’autant plus important dans les activités où le produit coïncide avec l’activité elle-même (ce que Marx remarquait déjà dans ses Théories de la plus-value, quand il analy-sait les emplois de services). Nous sommes là devant des potentiels qu’un concept de travail tel qu’Habermas le développe ne peut apprécier. L’ar-gument qui fait de l’aliénation au travail un élément inaltérable est égale-ment tronqué et sélectif : il ne tient pas compte, par exemple, des différents types d’aliénation relevés par Marx dans ses Manuscrits, pour n’en retenir que l’aliénation envers le produit du travail, au détriment des trois autres (aliénation envers l’activité elle-même, envers l’être générique même de l’humain, envers les autres travailleurs). Il convient alors de nous deman-der, au-delà d’une simple question rhétorique, si ces trois autres formes d’aliénation dont parlait Marx peuvent être dépassées ou atténuées dans d’autres types de relations sociales, et sans aucune « perte de complexité » ou de « progrès évolutif » (voire avec des avancées à ce niveau). Quelqu’un d’aussi enclin à la contrefactualité qu’Habermas pourrait sans doute étudier plus précisément une telle possibilité.

Quelques implications possibles : le concept de travail a-t-il encore du sens ?

Nous avons tenté de prouver que la défense d’un concept étendu de travail était viable et cohérente d’un point de vue théorique ; le travail, loin de se limiter à une logique purement instrumentale ou systémique, peut être une voie parmi d’autres pour créer de la solidarité sociale et pour atteindre l’autoréalisation des individus. Quelques-unes des possibles implications du point de vue exposé vont être énumérées, sans ambition d’exhaustivité, dans les paragraphes suivants.

En premier lieu, la défense d’un concept étendu et antiproductiviste du travail, considéré dans les trois dimensions qui ont été spécifiées, peut être une aide théorique pour maintenir aujourd’hui encore le concept uni-fié et abstrait de « travail » né au xviiie siècle comme catégorie cohérente d’activité (bien que pouvant recouvrer différents contenus) ; cela contre les

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attaques sociologistes ou relativistes qui cherchent à annihiler cette catégo-rie (Baudrillard, 1973 ; Foucault, 1966 ; Naredo, 1997), contre également une posture essentialiste ou nominaliste qui cherche à l’abstraire de son évolution historique et de sa portée politique, tombant ainsi dans le réduc-tionnisme en assimilant travail et emploi salarié (Habermas, 1984b ; Méda, 1995).

Le concept en trois dimensions qui est proposé ici peut donner un certain sens au maintien d’une catégorie unifiée de « travail ». Ainsi, d’après la dimension cognitive-instrumentale, le travail peut être conçu comme une activité orientée vers la production ou la création de valeurs d’usage. Mais il est certain que cette dimension ne donne pas de sens à l’activité elle-même : la dimension pratique-morale, contenue dans le caractère social du travail, est alors nécessaire ; le travail est sociabilité en soi autant qu’instrumentalité, et c’est pour cela qu’il peut produire du sens. Et il ne faut pas oublier non plus la dimension esthétique-expressive du travail (sans doute la plus frustrée dans notre société), comme moyen de création et d’autoréalisation personnelle. Écarter la possibilité de voir ces deux dernières dimensions prendre davantage d’importance dans le futur signifierait basculer dans des postures essentialistes.

En second lieu, il convient de mettre en évidence à partir de ces pré-mices que les thèses, très commentées aujourd’hui, sur la perte de centra-lité du travail peuvent également être défendues depuis le concept étendu de travail, et non pas depuis le concept réduit. En effet, le concept étendu – celui qui envisage la possibilité de l’autonomie et de l’autoréalisation par le travail – n’implique pas nécessairement l’idée que le travail doive être la seule voie d’autoréalisation vitale ni même qu’il soit central ; il ne permet pas non plus de déduire de façon automatique que le travail doive être l’instance structurante par excellence de la vie sociale, ou qu’il doive être associé en exclusivité à tout type de bénéfice et ressource sociaux et culturels. La revendication d’une rente de base garantie indépendante du travail, par exemple, se fonde habituellement sur le concept étendu, sup-posant que les individus ne travaillent pas uniquement pour des raisons instrumentales – comme l’obtention de revenus –, et qu’ils continueront donc de développer des activités utiles socialement et viables économi-quement, même si leur subsistance matérielle n’en dépend pas. La stimu-lation et la motivation pour de telles activités ne seraient plus basées sur la coercition économique et-ou politique, mais sur les liens de solidarité sociale et les nécessités personnelles d’autodéveloppement de capacités et potentiels.

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En troisième lieu, le point de vue défendu ici peut apporter une aide à la critique idéologique de certains discours sur la « fin du travail » ou le « futur du travail dans la société postindustrielle », qui mettent l’accent sur les aspects technologiques ou cognitifs-instrumentaux, sans se rendre compte que le travail ne se réduit pas à la formalité de l’emploi salarié, et que la « fin du travail » ne supposerait ni plus ni moins que la fin de l’humanité.

En quatrième lieu, du point de vue de la recherche empirique, le schéma exposé peut contribuer à une meilleure compréhension des chan-gements dans les orientations envers le travail (Zoll, 1992) : cela apporte une meilleure différenciation entre les aspects cognitifs-instrumentaux et les aspects esthétiques-expressifs présents dans ces orientations. Il peut également aider à distinguer plus précisément – tant historiquement que sociologiquement – l’« éthique du travail », propre au « vieux modèle culturel », des nouvelles orientations postproductivistes, davantage basées sur ce que nous avons appelé un « concept étendu de travail ». Cette étude peut également fournir des éléments pour comprendre certaines contradic-tions ou ambiguïtés apparentes dans les discours des acteurs sociaux quant à leur relation au travail (et notamment le fait que ces individus puissent combiner des attitudes instrumentales et expressives envers le travail), etc.

Enfin, ce que nous défendons ici est également animé par des moti-vations politiques déterminées, qui chercheraient à enrichir la discussion publique autour des thèmes de l’humanisation du travail ou des change-ments dans la nature et l’organisation du travail, afin d’en optimiser les potentiels d’autonomie et d’autoréalisation. Ce serait une ironie de l’his-toire que les hommes et les femmes, précisément dans la civilisation la plus riche et la plus avancée technologiquement que l’on ait connue, se résignent à l’aliénation et l’appauvrissement vital dans une activité aussi quotidienne que le travail. Les propositions postmarxistes actuelles, pour l’instauration d’une rente de base sans conditions ou d’un socialisme de marché avec démocratie économique, pourraient bien devenir le socle des luttes sociales dans le siècle qui vient de naître.

José Antonio Noguera Profesor Titular

Université autonome de Barcelone Departament de Sociologia

Universitat Autonoma de Barcelona Edifici B – 08913 – Cerdanyola (Barcelona), Spain

[email protected] Traduit de l’espagnol par Marie David et Patricio Nusshold

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Mots clés : Travail, théorie sociale, marxisme, théorie critique, Marx, Habermas.

The concept of work and the critical social theory.

Abstract. Present discussions about the concept of work have not always clearly established some of the central tenets that this concept acquired within the tradition of critical social theory, which begins with Marx. This tradition has often emphasized the relationship

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between work and human emancipation. Following this direction, this paper adds three conceptual dichotomies to the more traditional one of work “valuation vs. disdain”: wide vs. reduced concept of work, productivism vs. antiproductivism, and normative centrality vs. non-centrality of work. From this standpoint, the paper criti-cizes some commonplaces about Marx’s concept of work, and lists some ways in which the later Marxist traditions have develop this concept. Habermas’ concept of work is more specifically analyzed and criticized in the last part of the paper.

Keywords : Work, social theory, critical theory, Marx, Habermas.

El concepto de trabajo y la teoría social crítica.

Resumen. Los debates actuales en torno al concepto de trabajo no plantean con claridad algunos de los rasgos esenciales que dicho concepto adquiere en la tradición de la teoría social crítica ini-ciada por Marx. A menudo, esta tradición ha puesto en relieve las relaciones entre el trabajo y la emancipación humana. El artículo propone tres ejes conceptuales complementarios al eje tradicional de «valorización vs. desprecio» del trabajo: concepto amplio de tra-bajo contra concepto reducido, productivismo contra antiproducti-vismo, y centralidad normativa contra no-centralidad del trabajo. Partir de estos elementos, el artículo procede a la crítica de algunos estereotipos sobre el concepto de trabajo de Marx y enumera diver-sas líneas conceptuales tomadas por las tradiciones marxistas pos-teriores. Así, el objetivo de este texto es proponer un análisis crítico del concepto de trabajo desarrollado por Habermas.

Palabras clave : Trabajo, teoría social, teoría crítica, Marx, Habermas.

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