Laurent Moreuil - Loi Hamon : beaucoup de bruit pour rien

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Date : 26 JAN 15 Pays : France Périodicité : Hebdomadaire Page de l'article : p.18-23 Journaliste : Houda El Boudrari Page 1/6 SBKG 7583182400507 Tous droits réservés à l'éditeur Loi Hamon : beaucoup de bruit pour rien ? Le volet de la loi ESS relatif à l'obligation d'informer les salariés en cas de cession a provoqué une levée de boucliers dans le milieu de la PME et du M & A small cap. Si le décret d'application et le guide explicatif qui l'accompagne ont désamorcé quelques craintes, un certain flou juridique entoure encore ce texte entré en vigueur cet été. V ous avez dit « choc de simplification »"> En matiere de chocs on est servis apres la loi Florange qui vou lait imposer aux entreprises de plus de 1000 salaries 1 obligation de chei cher un repreneui avant de termei un site, voici la loi Hamon, sa cousine pour les entre- pi ises de moins de 250 salaries, maîs dans une version encore plus « ubuesque » Sous prétexte de « sauver » des entreprises m bonis qui fei ment faute de repreneui s les articles 19 et 20 de la loi relative a léconomie sociale et solidaire (dite loi Hamon), imposent a tous les dirigeants de PME d informer leurs salaries individuellement d un piojet de cession au moins deux mois avant la conclusion du deal

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Loi Hamon :beaucoupde bruitpour rien ?Le volet de la loi ESS relatif àl'obligation d'informer les salariés encas de cession a provoqué une levéede boucliers dans le milieu de la PMEet du M & A small cap. Si le décretd'application et le guide explicatif quil'accompagne ont désamorcé quelquescraintes, un certain flou juridiqueentoure encore ce texte entré envigueur cet été.

Vous avez dit « choc de simplification »"> En matiere dechocs on est servis apres la loi Florange qui voulait imposer aux entreprises de plus de 1000 salaries1 obligation de chei cher un repreneui avant de termeiun site, voici la loi Hamon, sa cousine pour les entre-

pi ises de moins de 250 salaries, maîs dans une version encore plus« ubuesque » Sous prétexte de « sauver » des entreprises m bonis quifei ment faute de repreneui s les articles 19 et 20 de la loi relative aléconomie sociale et solidaire (dite loi Hamon), imposent a tous lesdirigeants de PME d informer leurs salaries individuellement d unpiojet de cession au moins deux mois avant la conclusion du deal

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afin de leur permettre de présenter eux-mêmesune offre Sous peine d'une nullité pure et simplede la vente' « Le paradoxe de cette loi est qu'elle nerésout pas le problème des entreprises sans repreneur puisque la sanction s'applique uniquementaux societes qui sont deja dans un processus decession avec un acquéreur défini, souligne JoelGrange, associe de Fhchy Grange Avocats On nepeut s'empêcher d'y voir une dimension idéologiquequi considère que les salaries sont mieux placespour reprendre leur entreprise, sauf que cette loimanque de coherence puisqu'elle n accorde aucundroit de préemption aux salaries »

Stupeur et incompréhensionPlus sournoisement, elle ne fait que creer desconditions pour que la manifestation de lavolonte de rachat d'un ou plusieurs salaries per-turbe le processus de vente, voire provoque uneffet dissuasif chez l'acqueieui « Quand nousavons decouvert le projet de loi, nous avons eteatterrés, témoigne Thierry Giron, directeurgénéral du fonds small cap Initiative & FinanceSurtout, nous n'avons pas compris l'objectif visepuisque l'obligation d'informer les salaries exis-tait deja dans les entreprises employant plus de50 personnes par l'intermédiaire des comitésd'entreprise Quanta l'idée de favoriser les propo-sitions de rachat par les salaries, c'est certes uneintention louable, maîs c'est bien méconnaître lavie des entreprises, et particulièrement des PME,que d'ignorer que cette option est forcement envi-sagée chaque fois que cela est possible Quand lasociete dispose de salaries capables de prendre lerelais, le dirigeant se tourne naturellement verseux » Cela s appelle meme un LBO, et il est denotoriété publique que les investisseurs préfèrentles MED aux MB], plus risques Encore faut-il quel'entreprise compte dans ses affectifs des cadresehgibles a l'opération « Malheureusement, dansdes structures de moins de 50 salaries, la plu-part des dirigeants ne disposent pas de candidais naturels a la reprise en interne», poursuitThierry Giron Sauf à considérer que la simpleconnaissance d un projet de cession créerait desvocations chez des salaries qui ignoraient leurfibre entrepreneunale et que ce « commg-out »déboucherait sur un projet structure et financeen moins de deux mois « Telle qu'elle a ete rédi-gée, cette loi est tout sauf efficace et ne remplit enaucune façon son objectif» regrette, de bon côte,Laurent Moreuil, avocat spécialise en droit social,associe au sein du cabinet SBKG, qui y voit uneoccasion de plus de faire du droit social «le poidsmort de la fluidité des transactions »

Un guide pour faire passer la pilule ?Cela dit, maintenant que la loi est passée, il fautbien faire avec «Au sein de lAfic, nous avonstoujours ete favorables a la reprise des entreprisesavec les salaries, maîs cette loi est loin de la realite

du marche et peut être tres néfaste a la pérennitéde l'entreprise C'est pourquoi apres sa promul-gation, nous nous sommes mobilises pour obtenirau minimum une clarification sur le contenu del'information a divulguer aux salaries Nous avonspu préserver la confidentialité des informationsmême si le simple f ait d'éventer le processus de cession peut être tres préjudiciable au déroulementde la transaction et déstabiliser l'entreprise »,indique Michel Chabanel, president de l'associanon, qui a participe aux échanges avec les organisalions patronales pour atténuer les incertitudeset les effets pervers de la loi Et surtout eviterquelle ne donne un quasi-droit de préemptiondes salaries sur le rachat de leur entreprise et neleur ouvre l'accès aux data roomsSi la mobilisation des organisations patronalesa l'automne n'a pas réussi a faire abroger la loi,la voix de la raison a tout de même influence laledaction du deciet publie fin octobre, et sur-tout celle d un guide explicatif du ministere del'Economie qui donne une intèrpretation plutôt

« light » de son appli-cation « Assortie dela notice explicativedu ministere, cette loise revele bien moinscontraignante qu'annonce, maîs elle n'estpas pour autant sansconséquence résumele spécialiste de droitsocial Joel Grange IIne faut pas minimiserl'impact de l'allon-gement du délai de

conclusion de la vente de deux mots pendant les-quels les salaries seront au courant de la cessionCe délai peut générer de grandes perturbationset détériorer sigmficativement le climat social del'entreprise avec des salaries qui pourraient fairela grève du zèle » Sans parler de la confident^lile illusoire de la cession auprès des tiers quandtous les salaries sont au courant, donc les concur-rents, les clients, les fournisseurs, les sous iraitants les banquiers bref tout l'écosystème de laPME que l'on sait toujours vulnérable dans cespériodes de transition' «Le délai des deux moisesta la fois assez long pour sérieusement compro-mettre l'aboutissement du processus de cessiondeja engage, maîs trop court pour permettre auxsalaries de structurer une offre qui tienne la route,souligne Laurent Moreuil En outre, le cédantn'étant pas tenu de repondre à l'offre du salarie,le projet de reprise salariale risque de ne pas etrepris en considération, même s'il est intéressant,sauf a décaler considérablement le calendrier dela vente »II est certes encore trop tôt pour dresser un bilande la pratique de la loi Peu de transactions ontete bouclées sous le nouveau regime, puisque les

Cette loidémagogiquemanque decohérencepuisqu'ellen'accordeaucun droitde préemptionaux salariés.

JOËL GRANGE

FLICHY GRANGE AVOCATS

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LAURENT MOREUIL

SBKG

deals signés a l'automne ne sont pas concernespar le texte « Pour le moment, nous n'avons pasde remontée d'information spécifique sur des casparticuliers de la mise en œuvre de cette loi, il estencore trop tôt car les opérations de fin d'année sesont conclues sous l'ancien régime et les nouveauxdossiers ne sont pas encore boucles », confirmeMichel Chabanel, président de l'Afic. Même sonde cloche chez la plupart des fonds small cap,qui ont tous essaye d'anticiper la date couperetdu 1er novembre « Lincertitude liée a la promul-gation de la loi Hamon a eu pour effet d'accélé-rer certaines transactions avant fin octobre dansl'objectif d'éviter ces futures obligations dont nousignorions la portée précise jusqu'en novembre,confie Benoît Metais, membre du directoire deSiparex Pour les sujets entames depuis la pro-mulgation de la loi, nous sommes encore dansun certain flou, en attendant que les avocats etles conseils adoptent une position unanime surl'interprétation du décret » Toujours est-il qu'ace stade, maigre l'incertitude juridique quiplane sur l'interprétation du guide (voir enca-dré, ci-dessous), le consensus semble aller versune information des salariés du projet de ces-sion quelle que soit la configuration de l'opéra-tion (cession de plusieurs blocs minoritaires,interposition d'un holding.. ) « Afin d'éviter leseffets néfastes à l'entreprise d'une telle notifica-tion, il est probable que les vendeurs vont attendred'avoir des premieres offres, et donc de disposerd'une meilleure visibilité sur la faisabilité de lacession avant d'informer les salariés On se rap-prochera ainsi du modèle qui se pratiquait déjàpour l'information des comités d'entreprise »,estime Michel Chabanel. Sécuriser le deal, donc,et croiser les doigts pour que les deux mois de

délai imposes par la loi ne perturbent pas ledénouement de l'opération et ne détériore pastrop le climat social, surtout dans les TPE . « Lelégislateur a sous-estime le caractere anxiogènede l'application de cette loi pour les salariés d'uneentreprise qui sont informes du projet de cessionsans autre explication et, pour les structures demoins de 50 salaries, sans passer par le filtre ducomité d'entreprise, qui aurait pu les rassurersur l'identité du repreneur et son projet », pointeLaurent Moreuil

Aucun détricotage possibleL'ambiance est toutefois a une certaine résigna-tion attentiste « Nous avons l'impression que leschoses ont tendance à s'assouplir ces derniersmois, il est certain que la loi ne pourra pas êtredetncotée rapidement maîs nous espérons pouvoiréviter le carcan qui aurait pu menacer les tran-sactions, estime, pour sa part, Benoît Métais, quirelativise l'ampleur de la portee de cette nouvelleobligation Cette loi reste tout de même moinsperturbante pour nos activités que l'annonce, enoctobre 2012, de la taxation des plus-values surcessions de titresjusqu'à 75 %, qui avait été à lori-gine du mouvement des Pigeons. » En définitive,la montagne aurait-elle accouche d'une souris9

« Nous y voyons des lourdeurs procédurales sup-plémentaires dont nous nous serions bien passés,maîs je ne pense pas que cette loi empêche destransactions de se faire ll est juste regrettableque cela donne du grain a moudre aux tenants du"France bashing" et compromette sérieusementla compétitivité de {'environnement des affairesfrançais », conclut Thierry Giron Un reprochequ'on n'a vraisemblablement pas fini d'entendre.../ /HOUDAELBOUDRARI

Un guide pour « contourner » la loi ?

Si certaines positions très tranchées duguide neutralisent quelques effets

pervers de la loi, il n'est pas dit qu'un juge sesente lié par les préconisations del'administration. « Le décret et le guidepratique du ministère ont apporté uneclarification sur la manière dontl'administration voit l'application de la loi,mais cela n'interdit pas aux juges de voir leschoses autrement », rappelle LaurentMoreuil, avocat spécialisé en droit social,associé au sein du cabinet SBKG. A lire labrochure du ministère, on a l'impressionqu'elle souffle clairement la manière la plus« licite » pour contourner la loi. Commentinterpréter sinon les recommandations defractionner la cession pour sortir du champd'application de la loi, comme le stipule le

guide: « La cession progressive de blocsminoritaires, notamment par l'exerciced'options d'achat ou de vente, n'est passoumise au dispositif d'information dusalarié. » Or, le cédant prend le risque de lanullité de la transaction en cas de non-respect de l'obligation d'information,sanction jugée totalement disproportionnéepar l'ensemble des experts juridiques, auregard notamment de la sanction denon-information du comité d'entrepriseantérieure à cette loi qui, elle, se résume à un« simple » délit d'entrave. D'où la perplexitéde certains acteurs, et notamment lesinvestisseurs en private equity qui, parprudence, auraient tendance à respecter ledroit d'information des salariés au-delà desconsignes du guide. // H.E B.

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BENOÎT MARPEAUCOTTY VIVANT MARCHISIO& LAUZERAL

Quelques moisaprès l'entrée envigueur de la loi

ESS, dite Hamon,l'avocat associé

livre sa lecture de lagenèse du texte et

ses implications surles transactions du

small cap

OSon parcours

Benoît Marpeau(maîtrise droit des affairesDESS droit des affaires etfiscalité Paris ll)

2013Associe Cotty Vivant MarchisioS Lauzeral

2008 - 2009Avocat Cotty Vivant MarchisioS Lauzeral (a Tokyo)

2006Avocat Cotty Vivant MarchisioS Lauzeral (a Paris)

« La solution technique dela loi Hamon ne résout pasle problème des entreprisessans repreneurs »C F.: Comment interprétez vous la finalitéde cette mesure de la loi ESS, qui oblige ainformer les salaries en cas de projet decession dans les PME ?B.M.: Cette loi trouve son origine dans la promessede campagne de François Hollande qui avait propose de donner un veritable droit de preferenceaux salaries sur les titres de leurs societes Facea la levee de bouchers provoquée par ce projet ledroit de preference s est mue en droit de présenterune offre concunente Lois des debats parleinentaires autour de la loi dite Hamon on a invoquecomme prétexte la disparition d entreprises fautede repreneurs pourjustifier une position en realiteassez idéologique \ isant a promouvoir le role dessalaries dans la détention capitalistique de leurentreprise Quoi qu il en soit la solution techniqueproposée par la loi ne résout absolument pas lepiobleme des enti éprises sans lepreneuis Maîss attelle plutôt a entraver la cession de celles quiont trouve un acquéreur

C F Quels sont, selon vous, les points les plus« problématiques » de cette loi 'B.M.: Depuis la publication du decret [NDLR le29 octobre 2014] et surtout du guide pratique 1 accompagnant les interrogations quant au contenude 1 information que 1 on doit délivrer aux salariesont sans doute ete levées la seule obligation estd informer de I existence d un projet de cession etde la faculté pour les salaries de déposer une offresans auti es elements supplémentaires C est deja ungrand soulagement Cela dit 1 insécurité juridiquepersiste sur d autres points Car le document publiepar le ministere de 1 Economie n a aucune valeurcontraignante dans la hiérarchie des normes jundiques et prend parfois des positions peu évidentesau regard du texte Par exemple dans le cas de 1 mterposition d un holding le gouvernement considère que les salariés des filiales de 1 entreprise cedeen entrent pas dans le champ d application de la loiOr en cas de contestation devant un juge 1 interpretation pourrait etre différente et aller dans lesens de leffet utile de la loi, abstraction faite de ladétention indirecte de la societe Idem pour le casde cession de plusieurs blocs minoritaires representant conjointement plus de 50 % du capital quin entre pas non plus dans le périmètre défini par le

guide - ici encore la prudence pourrait conduite ainformer quand même les salaries

C F. : Qu'en est il de l'épineuse question du délaide deux mois'B.M. : Ce problème du tuning subsiste informer lessalaries deux mois avant la conclusion de la cession complique le calendrier de la transaction demaniere significative et introduit un risque important de déstabilisation de la société et de détérioraLion de son climat social Sans compter 1 illusoirerespect de 1 obligation de discrétion quand tous lessalaries sont au courant

CF La loi est entree en vigueur en novembre2014 Quel impact a-t-elle sur les processus devente en cours?B.M.: A ce jour je nal pas vu d opération « empechee»pai cette loi L impact est surtout regrettablequant au symbole renvoyé aux dirigeants de PMEqui se voient lestes d une couche de complexité supplementaire alors qu ils souffrent deja du poids deslourdeurs administratives maîs aussi concernant1 image que le milieu daffaires français renvoieencore une fois aux investisseurs etrangers dejaechaudes par 1 instabilité fiscale

C F.: Quid de la possibilité de faire signer al'ensemble des salaries un engagement de nepas présenter d'offre de rachat pour ecourterle délai des deux mois?B.M.: Pour les plus petites entreprises, on pourraitenvisager d obtenir une formalisation simultanéede tous les salaries de leur intention de ne pas presemer d offre concurrente de rachat Dans les faitsil peut s avérer delicat de reunir le même jour tousles salaries dune societe pour, a la fois, les informer du projet de cession et déplus leur demanderde signer un engagement de ne pas présenter decontre offre Ce serait sous estimer 1 effet psychologique d une telle demarche par laquelle les salariesse sentiraient mis sous pression Une autre solutionserait de leur donner quelques jours de reflexionavant de signer 1 engagement Toutefois ce seraitaussi prendre le risque qu ils s organisent pourcontrecarrer le projet voire qu ils tentent d obtenirune contrepartie en echange de leur signature//HOUDAELBOUORARI

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É/lALAIN COURETPROFESSEUR ÀL'UNIVERSITÉ PARIS-I,AVOCAT ASSOCIÉ CMSBUREAU FRANCIS LEFEBVRE

VINCENT DELAGEAVOCAT ASSOCIÉ, CMSBUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Loi Hamon : incertitudeset controverses

La loi Hamonintroduit un droit

d'informationpréalable des

salariés encas de cession

d'entreprise.Mais elle n'oblige

le cédant nià répondre à

l'offre formuléeni à entrer en

négociation avec leou les salariés.

a loi Hamon du 31 juillet 2014 a sus-cite beaucoup d inquiétudes dans lesmilieux entrepreneuriaux Cette loiqui ne concerne que les entreprises demoins de 250 salaries oblige le cedam

_^_ d'un fonds de commerce ou de la majo-rité des droits sociaux dans une societe d'informerles salaries de son intention de vendre en suivantune procédure différente selon que l'entrepriseemploie moins de 50 salaries ou moins de 250 ' IIconvient de préciser des le depart que la loi n intro-duit ni droit de préemption, ni droit de priorité auprofit des salaries Le cédant n'a aucune obligationd entrer en négociation avec un ou plusieurs sala-ries qui souhaiteraient faire une offre Si une offreest faite par des salaries, le cedam n a aucune obhgation particuliere a 1 égard de cette offre On estbien loin de la version initiale du projet de loi et decertaines velléités d'amendement parlementairesDes sa publication, la loi a suscité les controverseset révélé incertitudes et contradictions Par unemethode quelque peu singulière le ministère de1 Economie est venu donner sa propre lecture dutexte dans un guide publie sur son site Puis estvenue une « foire aux questions » qui précise lessolutions donnees par le guide Pour une largepart, ces explications donnees par le minis-tere apparaissent rassurantes et ont le meritede mettre sans doute fin a des controverses quiauraient pu déboucher sur des contentieux Pourune autre part, ces reponses sont parfois juri-diquement approximatives et n offrent pas une

securite juridique veritable a ceux qui s en prévau-dront Ajoutons a cela quun decret d applicationest intervenu le 29 octobre 2014 qui n'est pas nonplus juridiquement incontestable Dans les deuxcas, tout sera fonction du juge qui aura a connaîtredes contestations, sachant que la sanction peutêtre la nullité de la cession Le juge n'est en effeten aucune maniere tenu par des documents dontla valeur juridique est tout a fait incertaine Oncomprend bien qu une « foire aux questions »puisse, par exemple, lier l'AMF dans sa fonctionde régulateur il s agit pour elle d'expliciter sonpropre règlement général On comprendrait moinsqu elle lie un juge, dont le rôle est d'appliquer la loi

Des réponses des pouvoirs publicssouvent rassurantesII ne fait pas de doute que la documentation four-nie par le ministere de l'Economie, au travers duguide et de plusieurs « foires aux questions », a rmsfln a diverses incertitudes, et cela d'une manierequi n'appelle pas véritablement la contestation Lesentiment qui se dégage est celui d'une approche« transactionnelle » du texte Face aux remouset aux oppositions nés dans les cercles entrepreneunaux, les pouvoirs publics ont manifestementrecherche l'apaisementS agissant d'abord des entreprises concernées, leguide ici tranche des controverses dont certainesétaient passablement artificielles ainsi la ques-tion de savoir si les seuils de 50 ou 249 salariesdevaient s'apprécier par rapport à l'effectif affecte

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au fonds cede ou a l'entreprise cédante, lorsqu'il ya plusieurs fonds de commerce C'est bien evidemment la seule entreprise qu'il convient de prendreen compte et la chose est rappelée dans une foireaux questionsS'agissant ensuite des opérations en cause Laquestion etait posée de savoir si la procéduredevait s'appliquer aux cessions mtra-groupes, quece soit de filiale a filiale ou entre societe filiale etsociete mere On pouvait en discuter en raison dufait que, s'agissant souvent d'opérations de leclas-sement, une offre de salaries peut sembler incon-grue Le guide confirme lobligation d'informeret rejoint ici les positions des premiers commentateurs La loi ne distinguant pas, il etait a vraidire difficile de plaider le contraire De même, ladiscussion pouvait se dèvelopper sur la questionde savoir si lobligation d'information des salariess'appliquait au cas de cession progressive de blocsminoritaires, notamment par l'exercice d optionsd'achat ou de vente le guide évacue l'obligationdans ce cas de figure Tres logiquement cependant, une foire aux questions rappelle le carac-tere condamnable de la fraude qui consisterait asequencer les ventes pour contourner l'obligationDe même encore pouvait on discuter du cas d unecession en nue-propnete en principe, le nu propnetaire est l'associe II n'aurait pas ete aberrantde consideier que la cession de la nue piopiieteopérait une cession d'entreprise Dans une foireaux questions, il est dit que l'obligation d'informa-tion ne concerne que la cession de la pleine propnete Autre point discute la loi s'applique t ellelorsque plusieurs proprietaires de participations,représentant moins de 50 % du capital, veulent lesceder'' La loi ne parle que du proprietaire d'uneparticipation représentant plus de 50 % du capi-tal, et ce n'est donc que dans ce cas qu'il y a lieua information Le guide rejoint la encore des opi-nions deja formulées en ce sensS agissant enfin des modalités d'information dessalariés, le ministere considère que la loi n'imposela transmission d'aucune autre information que lavolonte du cédant de procéder a une cession et lefait que les salaries peuvent présenter une offred'achat De même considère t il qu'il n'y a aucuneobligation de transmettre des documents a dessalaries ayant fait connaître leur interêt pourl'offre De telles affirmations sont parfaitementconformes a la lettre de la loi Pour autant, lescommentateurs de ce texte avaient tendance a semontrer plus exigeants et la position du ministeresemble couper court a la tentation par exemplede revendiquer le droit de participer a une « dataroom » De la même maniere, et en corollaire acette information mmimahste, le ministere pré-cise que la loi n'oblige le cédant ni a répondre al'offre formulée par le ou les salaries ni a entreren négociation avec le ou les salaries

Des réponses pour certainesjuridiquement très contestablesSur plusieurs points, l'observateur est amené as'interroger sur le caractere fonde des solutions

donnees par les pouvoirs publics et sur l'autorite qui peut s'attacher a certaines affirmationsAinsi s'agissant de la notion de cession Figurentdans la liste des operations relevant de lappel-lation « cession » la « transaction », la fiducie,l'appoit en societe La tiansaction leleve dudomaine des objets juridiques non identifies Lacession fiduciaire parait totalement etrangereaux considérations a l'origine de la loi Quanta l'apport en societe, il n'est pas techniquementune cession et l 'affirmation contenue dans leguide pourra être discutée devant le juge avecquelque chance de succesCest peut être le decret d'application du29 octobre 2014 qui contient l'affirmation la pluscontestable le délai de deux mois s'apprécie auregard de la date de cession entendue comme ladate a laquelle s'opère le transfert de proprieteII n'est nullement évident dans notre droit quel'on puisse ainsi confondre cession et transfertde propriete car la vente est formée des lors qu'ily a accord sur la chose et sur le prix On peut sedemander si l'exception d'illégalité ne sera pasrecevable devant un juge saisi en cas de contestation sur l'écoulement du délai

La réponse ultime sera celle du jugeQue les reponses rassurent ou maintiennentun certain degré d'inquiétude, leui valeur juri-dique est soumise a l'appréciation souveraine dujuge C'est lui qui aura le dernier mot Maîs queljuge7 Le tribunal de commerce9 Le conseil desprud'hommes ' La plupart des experts pensentaujourd'hui que le tribunal compétent sera le tri-bunal de commerce, ce qui peut laisser penser que1 intèrpretation du texte sera plutôt restrictive Lacompétence du tribunal de commerce est égale-ment retenue par le guide d application, qui prendappui sur l'article I 721-3 du Code de commercedonnant compétence a cette juridiction pour lecontentieux de la cession d une societe commer-ciale Sans doute, maîs 1 action ne sera pas intro-duite par lacheteur ou le vendeur L'action estintroduite par un salarie sur la base de la mécon-naissance d'une obligation liée a l'existence d'uncontrat de travail A partir de la, deux modes deraisonnement s'opposent• Ou l'on considère qu'il y a une sorte de bloc de

compétence qui traite devant la juridiction com-merciale toutes les actions concernant la cession

• Ou l'on considère que les droits dont se prévautle salarie naissent du contrat de travail, auquelcas la compétence du conseil des prud'hommespourrait se justifier A cela pres qu'il s'agit de pro-noncer la nullité d une cession et que l'on peuts'interroger sur le pouvoir de cette juridictionquant au prononce d'une telle sanction

La tendance naturelle des salaries pourrait êtrede saisir le conseil des prud'hommes On verrabien si cette juridiction se déclare ou non incom-pétente Si tel n'est pas le cas, on peut imaginerque certaines positions moins favorables auxsalaries et qui figurent dans le guide ne serontpas retenues •

Le délai de deuxmois s'apprécieau regard de ladate de cessionentendue commela date à laquelles'opère le transfertde propriété.