L'Alsace dans les griffes nazies (7). 1944-1945 : le tribut de...

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Déjà p a r u s :

TOME 1 : La propagande pro-allemande en Alsace de 1918 à 1939 - L'annexion de l'Alsace par Hitler en juin 1940 - La résistance passive - Premier s t ade de la Résistan- ce active : l'aide à l'évasion des prisonniers de guerre (2ème réédition).

Tome 2 : Evacuation de l'Alsace en sep tembre 1939 - La Ré- s is tance dans le Haut-Rhin de 1940 à 1942 - La vraie « affaire Giraud » - Salaire du patriotisme haut- rhinois.

Tome 3 : Implantation nazie et résistance alsacienne dans le Bas-Rhin.

Tome 4 : La Résistance des Communistes alsaciens - La Ré- sistance de la J e u n e s s e alsacienne et les représailles prises envers elle par les Nazis.

Tome 5 : Justice, prisons et camps de concentration en Alsace. Seule évasion réussie du camp de Natzweiler- Struthof.

Tome 6 :

1943 : Année Martyre de l'Alsace - Représailles Allemandes en France occupée -

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Charles BÉNÉ

L'ALSACE dans

LES GRIFFES NAZIES

Tome VII

1944-1945 : Le tribut de pleurs et de souffrances

payé par l'Alsace Française pour sa Libération

Imp. FETZER - RAON

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" L'inclination que vous Alsaciens avez eu de tout temps pour la France, oblige tous les bons Français d'en avoir du ressentiment ".

Lettre adressée en 1643 par Mazarin aux villes d'Alsace qui demandent la protection de la France pour échapper aux ravages des armées tant suédoises que de l'empire germanique.

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L'ALSACE DANS LA GUERRE TOTALE DE HITLER

C'est dans une atmosphère de tristesse et d'angoisse que se lève sur l'Alsace l'aube du 1er janvier 1944. Depuis plus d'une année, plu- sieurs dizaines de milliers de ses enfants avaient été arrachés à leurs foyers. Les Nazis les avaient envoyés, revêtus de l'uniforme vert-de-gris, sur tous les fronts où la Wehrmacht, jadis si fière et arrogante, s'effor- çait d'endiguer la poussée irrésistible des armées alliées tant à l'Est qu'en Italie. Six nouvelles classes alsaciennes avaient passé le conseil de révision allemand il y a quelques semaines à peine. Il s'agissait des classes 1908 à 1913, comprenant des hommes âgés de 31 à 36 ans qui s'étaient déjà battus héroïquement aux côtés de la France. La plupart d'entre eux avaient femme et enfants. Maintenant ils s'attendaient à rece- voir leurs feuilles de route pour un front quelconque. Ils venaient de passer de bien tristes fêtes de fin d'année en pensant à tous leurs frères ou amis qui avaient déjà laissé leur vie pour une cause dictée par l'enne- mi nazi. Ceux qui étaient rentrés pour quelques jours à Noël avaient parfaitement compris à quel point la Wehrmacht se trouvait au bord d'un gouffre dans lequel ils seraient irrémédiablement précipités. Des mères et des épouses se demandaient avec anxiété si l'holocauste alsacien exigé par Hitler allait s'arrêter là. Tous comprenaient que cette guerre honteuse pouvait rapidement prendre fin avec une Wehrmacht vidée de son sang allemand. Cet espoir, cette certitude même, rendaient encore plus douloureuse l'angoisse qui étreignait leurs cœurs alsaciens.

Ces sentiments se reflètent parfaitement dans la première page de l'année 1944 extraite du journal de guerre de M.J. Bopp :

"Je ne doute pas que cette année apportera la décision nette. Tout est prêt pour le dernier combat. Les succès des Russes depuis juillet der- nier ont été si importants que les Allemands ont partout perdu l'initiative et ont dû céder de vastes territoires. Leurs pertes en hommes sont énormes et la mobilisation totale ne pourra guère remédier à la pénurie en hommes. Presque toutes les grandes villes allemandes ont subi de terribles bombardements et beaucoup d'entre elles sont dévastées. En Italie, les armées allemandes sont forcées de combattre d'importantes troupes alliées et doivent y envoyer de nombreuses divisions pour mainte- nir un front très instable. Les Yougoslaves de Tito sont aux prises avec

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des divisions allemandes retirées du front russe. En Angleterre se prépare maintenant le deuxième front qui décidera de la guerre. Les Allemands eux-mêmes ne se moquent plus de ce deuxième front mais prétendent l'attendre de pied ferme. Mais auront-ils encore assez d'hommes pour arrêter une armée gigantesque qui se ruera sur eux ? Ils comptent sur une arme mystérieuse et secrète ainsi que sur leur rempart de fer et de béton construit le long de la côte atlantique; mais sera-t-il efficace ou subira-t-il le sort de notre ligne Maginot ?

Souhaitons que notre espoir de voir la fin de la guerre en cette année puisse se réaliser !"

Malgré la réalité désastreuse de la situation non seulement militaire mais aussi économique, les responsables politiques nazis en Alsace, téléguidés par les services de propagande du Dr. Goebbels, répercutaient partout les mêmes messages du Nouvel An. Bien que très différents dans le ton des messages de l'année passée, on y retrouvait des ren- gaines auxquelles bien peu d'Alsaciens accordaient encore le moindre crédit :

"Une année difficile au destin très riche vient de se terminer. Dans une communauté indissoluble dans le combat tout le peuple allemand a fait face à tous les dangers. Sous la conduite géniale d'Adolf Hitler tous les plans perfides de nos ennemis ont été anéantis".

"Avec une foi inébranlable, plein de confiance, le peuple allemand porte son regard vers son Führer. Cette année encore, chacun à sa place, nous lui garderons notre confiance et lui prouverons par notre engagement quotidien que notre contribution à la victoire finale de l'Alle- magne est un témoignage venant du fond de notre cœur. Notre souhait unanime est que notre Führer vive encore longtemps. Heil Hitler !" (

D'autres jeunes Alsaciens avaient aussi été convoqués pour une visite médicale, ceux des classes 1926 et 1927, âgés respectivement de 17 et 16 ans. A leur égard l'angoisse était moins grande car on espérait qu'ils ne seraient destinés qu'à la relève du Service du Travail (Arbeitsdienst). Il est aussi à remarquer qu'à la suite de cette décision le Président de la délégation française à la Commission d'Armistice transmettait le 3 janvier 1944 à la Commission allemande une protestation du "Gouverne- ment Français" contre l'incorporation des jeunes Alsaciens nés en 1926 et 1927. Cette protestation, évidemment de principe, de gouvernants qui comprenaient aussi que la guerre tournait rapidement au désavantage

(*) Strassburger N.N.

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de leur allié nazi, n'eut pas plus d'effet que la protestation identique faite le 3 novembre 1943 contre l'ordonnance du 15 septembre 1943 décrétant la convocation des hommes nés de 1908 à 1913.

Le 8 janvier 1944 de nombreux Alsaciens de la classe 1913 quit- taient déjà leurs foyers pour Kœnigsberg, en Prusse Orientale. "Des scènes de désespoir se déroulèrent à la gare de Colmar où leur nombre est évalué à 1700", signale M.J. Bopp qui ajoute : "les rues de la ville commencent à se vider et rares sont les jeunes gens qu'on rencontre encore en civil".

Maintenant la majorité des incorporés de force étaient versés dans la Waffen-SS. Ils avaient été obligés de signer un document sur lequel était écrit : "La demande d'entrer volontairement dans la Waffen-SS a été agréée". Partout la Gestapo était prête à conduire les éventuels récalcitrants en prison.

Le dimanche 9 janvier le Gauleiter Wagner se trouvait à Mulhouse où il harangua les responsables politiques. Il rappela à l'Alsace que, de par le Droit et la volonté de Dieu, sa position était définitivement du côté du Reich allemand et de son peuple. Il concluait : "Nous croyons en la victoire de l'Allemagne !" Il oubliait simplement d'indiquer à ses auditeurs comment il pensait qu'elle puisse être obtenue et, de plus, son ton n'était pas celui d'un cri de victoire.

Le même jour, le Oberburgermeister Ernst de Strasbourg se trouvait en visite au camp de Wandern dans le Brandebourg où se trouvait un important effectif d'incorporés de force alsaciens. Il s'adressa spécialement à eux, leur certifiant que l'Allemagne allait gagner la guerre malgré les quelques revers subis sur le front de l'Est. "Faites un effort", concluait-il, "car nous Alsaciens, sommes une grande famille". La réponse de nos jeunes compatriotes fut un concert de coups de sifflets...

Le lendemain les journaux annonçaient une nouvelle accentuation de la bataille d'hiver sur le front de l'Est. "Partout les défenses alle- mandes tenaient bon". N'empêche que le même jour la même propagande dut annoncer que Kirovograd, un important bastion de cette défense allemande en Ukraine, retournait entre les mains de l'Armée Rouge.

"On apprend", notait M.J. Bopp, "que les hôpitaux alsaciens seront vidés d'une partie de leurs malades. A Colmar l'hôpital Pasteur sera forcé de mettre 300 lits à la disposition de la Wehrmacht et la clinique du Diaconat également 40 lits. La raison de cette mesure est que les hôpitaux de Russie ont dû être évacués et que ceux de Pologne sont menacés par l'avance des Russes".

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"De temps à autre le journal "Kurier" publie des "Gruesse" (saluta- tions), des bonnes pensées de soldats alsaciens se trouvant au front. Or, je sais de source sûre que les Alsaciens en question ignorent tout de ces vœux publiés dans le journal. La rédaction cherche au Bureau de recrutement les noms des mobilisés et s'en sert à l'insu des intéressés. C'est aussi un excellent moyen de propagande !"

"Depuis quelques jours une équipe de peintres trace sur les murs et vitrines des magasins la silhouette d'un homme mystérieux avec le chapeau enfoncé sur la tête et portant un énorme point d'interrogation sur son corps. On ne parle que de cette nouvelle forme de propagande. Qui est-ce ? Les uns prétendent avec ironie que c'est le fameux "Kohlenklau" (voleur de charbon) en costume de dimanche, d'autres voient en lui Churchill; d'autres encore le "Juif errant". On croit plutôt que c'est une réclame pour exiger le silence et la prudence dans les conversations dans le genre : "Attention l'ennemi vous écoute !"

Le 15 janvier, à la une de tous les journaux alsaciens, les Allemands annoncent qu'un Alsacien a été abattu en voulant franchir la frontière à Schaffmatt am Weyer (Chavannes sur l'Etang) dans le canton de Danne- marie. L'identité de la victime n'est pas indiquée. L'article relate que les gardes-frontières ont été renforcés et qu'ils ont reçu l'ordre de tirer sans sommations sur toutes personnes qui s'approchent de la frontière.

Des articles semblables paraissent toujours lorsque les Allemands ont l'intention d'appeler sous les drapeaux de nouvelles classes alsa- ciennes. "Pour surveiller la frontière", rapporte M.J.Bopp, "ils emploient maintenant, également des Ukrainiens qui ont stationné pendant plusieurs semaines à Colmar. Or, plus d'un tiers auraient eux-mêmes déserté avec armes et bagages en Suisse".

Pour parer à la raréfaction du potentiel humain indispensable pour le front, de nombreuses usines, entreprises ou magasins, avaient été obligés de fermer leurs portes après le 1er mars 1943 à la suite d'une ordonnance prise par le Gauleiter Wagner assisté d'une commission com- posée d'Allemands et de collaborateurs alsaciens. Les personnels, essen- tiellement féminins, rendus ainsi disponibles, étaient dirigés sur des usines et entreprises travaillant pour l'industrie de guerre. Les résultats étaient souvent désastreux, car ces personnels n'étaient pas formés pour leur nouveau travail qu'ils accomplissaient évidemment sans beaucoup d'ar- deur. Du fait de ces nouvelles exigences des Allemands, des familles

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se trouvaient de plus en plus déchirées du fait que les lieux de travail se trouvaient le plus souvent très éloignés de leurs domiciles.

Les autorités nazies connaissaient parfaitement toute la main-d'œuvre disponible. L'inscription à l'Arbeitsdienst (Office du travail) était devenue obligatoire pour toute la population alsacienne à la suite d'une ordonnance du 2 février 1943 qui concernait tous les hommes de 16 à 65 ans, les femmes célibataires de 17 à 45 ans et certaines femmes mariées travaillant moins de 48 heures par semaine.

Au mois de janvier 1944, ces mesures furent complétées par un décret du ministère de la Défense du Reich qui instaurait le "Jugend- kriegseinsatz" (participation de la Jeunesse à la guerre). Etaient concernés les jeunes gens des deux sexes âgés de 10 à 18 ans, appelés à servir dans les services auxiliaires de la DCA ou des Transmissions. Cette mesure, de caractère d'abord volontaire, allait peu à peu devenir obli- gatoire.

Ce n'est que le 17 janvier que les journaux reprirent en première page les évènements militaires : "Extension de la bataille à l'Est". Le lecteur avisé avait l'impression que de mauvaises nouvelles sur la situation de la Wehrmacht sur le front de l'Est se préparaient. Les détails sur ces opérations furent publiés cinq jours plus tard par une annonce pré- cisant que dans le secteur de Witebsk l'assaut de 50 divisions russes avait été brisé. L'ennemi y aurait perdu plus de 40.000 morts et de nombreux blessés. D'autre part 1.200 de ses chars et 342 canons auraient été détruits. Il était aussi fait mention que la dureté de la bataille s'était accrue dans le secteur de la Bérézina. La propagande nazie s'était néan- moins gardée de faire la moindre allusion aux pertes de sa propre armée.

Le 29 janvier, de nouveaux grands titres parlaient "d'une augmenta- tion d'intensité de cette nouvelle bataille d'hiver", en répétant toujours que toutes les tentatives de percées soviétiques avaient échoué.

Le moment aurait été mal choisi pour publier de mauvaises nouvelles, étant donné que le lendemain 30 janvier était le jour anniversaire de la victoire national-socialiste du 30 janvier 1933, la "Machtergreifung" d'Adolf Hitler. Mais il n'y avait plus guère que les membres du Parti et quelques collaborateurs fanatiques pour célébrer cette date. Dans les "Strassburger N.N." Franz Moraller, le porte-parole en Alsace du Dr. Goebbels, concluait

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son éternel et monotone verbiage par : "Une fois encore l'issue finale de notre combat nous donnera la victoire. Ce qui, à l'époque, nous apporta cette victoire viendra encore aujourd'hui à bout de toutes les résistances".

Si, à ce moment-là, Franz Moraller s'était trouvé sur le font de l'Est, toute envie d'écrire de pareilles niaiseries lui aurait sans doute passé.

Lors de la cérémonie officielle au Palais des Fêtes à Strasbourg, le Gauleiter Robert Wagner prenait la parole pour répéter, lui aussi, ses traditionnels slogans qui devaient galvaniser les masses. Sans cris ronflants de victoire, il concluait en parlant du Fuhrer : "Cet homme est trop grand pour qu'on puisse arriver à provoquer sa chute".

Quant à Adolf Hitler lui-même, dans un grand discours prononcé à Berlin, il s'attaquait essentiellement "à la Juiverie mondiale dont l'in- tention était l'extermination totale de l'Allemagne".

La population alsacienne n'était pas dupe de la réalité de la situation : l'agonie de l'Allemagne nazie avait commencé. Aussi, au lendemain de cette propagande ignominieuse, une bonne blague se répétait discrètement de bouche à oreille :

"Dans l'au-delà, Annibal, Charles-Quint et Napoléon 1er s'entretien- nent sur la guerre actuelle. Annibal dit : "Si à la bataille de Cannes j'avais eu des tanks à la place de mes éléphants, je me serais emparé le même jour également de Rome". - Charles-Quint lui répond : "Si j'avais eu des avions, j'aurais pu dire que, dans mon Empire, non seule- ment le soleil ne se couchera jamais, mais aussi la lune". - Enfin Napoléon 1er enchaîne : "Tout cela n'est rien. Si j'avais eu Goebbels comme ministre de la propagande, le monde entier ignorerait encore aujourd'hui que j'ai perdu la bataille de Waterloo" (

Avec une satisfaction évidente on faisait aussi circuler une histoire véridique qui venait de se passer à Strasbourg : "Dans un tramway se trouvait un capitaine de la Wehrmacht et, à côté de lui, un bonze du Parti en uniforme brun. Entre un sous-officier escortant deux prisonniers de guerre russes. Le capitaine, grand blessé de guerre, n'avait plus son bras droit; avec sa main gauche, il prend une cigarette dans son étui. Le sous-officier prévenant lui offre du feu avec son briquet. Pour le remercier, l'officier lui donne une cigarette ainsi qu'aux deux prisonniers. Le bonze nazi, furieux, se lève et dit : "Mon capitaine, vous dépassez la mesure !

(*) Notes de M.J. Bopp

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Vous n'avez pas le droit de donner des cigarettes à nos ennemis !" Sans se laisser troubler, l'officier lui réplique avec un air de mépris : "Si je n'avais pas perdu mon bras droit en Russie, je vous giflerais !" Sur ces mots, le sous-officier applique une gifle magistrale au bonze, puis il se met au garde-à-vous et dit : "Mon capitaine, votre ordre a été exécuté !" Sans un mot, le Nazi disparaît au premier arrêt sous les huées des autres voyageurs" (

Les rumeurs qu'à Mulhouse on concentrait de nombreux cheminots allemands et qu'on y rassemblait aussi de nombreux autocars étaient également largement commentées et répétées durant ce mois de janvier. On était persuadé que les Allemands craignaient que les cheminots alsaciens et français sabotent le trafic ferroviaire dans le cas d'une invasion alliée en France. On affirmait aussi qu'on recensait les Alsaciens-Lorrains âgés de 17 à 56 ans résidant en France.

Une mesure plus réelle toucha en ce début de mois de février 1944, tous les élèves des lycées âgés de 15 à 16 ans. Ils furent informés qu'ils partiraient prochainement pour différentes villes du Pays de Bade voisin pour servir d'auxiliaires dans des unités de la "Flack" (DCA). Seuls resteront en Alsace les fils des Allemands et aussi ceux de certains collaborateurs notoires alsaciens. En vue de ces pré-mobilisations, les examens de l'Abitur (baccalauréat allemand) furent avancés. Dès le 4 fé- vrier les directeurs des établissements en question distribuèrent les bulle- tins à ces élèves.

Ce même 4 février, la presse faisait enfin état de gains de terrain importants par l'Armée Rouge au prix d'énormes pertes en vies humaines. Le communiqué de la Wehrmacht annonçait l'évacuation de Rowno et de Lusk. Partout, en Alsace, le bruit circulait que les Russes avaient encerclés dix divisions allemandes.

Les départs des Alsaciens des classes 1911 à 1913 pour les Waffen SS se poursuivaient. Le vendredi 11 février, un important convoi de mobilisés, partait de Colmar en direction de Mulhouse. Au moment du départ, ces nouvelles victimes des Nazis entonnèrent une Marseillaise tellement forte qu'on pouvait l'entendre de très loin. Les Allemands présents à la gare ne firent aucun geste pour faire cesser cette manifestation d'hostilité à leur égard.

(*) Notes de J.M. Bopp

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Ce n'est d'ailleurs que le 13 février que la presse nazie reparla du front d'Italie où les Alliés se trouvaient soi-disant en difficulté dans la nouvelle tête de pont de Nettuno ainsi qu'à Cassino. Le retard dans la parution de toutes ces informations nous est révélé par le journal de M. J. Bopp qui mentionnait dès le 23 février qu'une nouvelle tête de pont alliée avait été établie à Nettuno. Tout laissait entrevoir une dégradation du moral des Allemands et de leurs valets alsaciens. Le Kreisleiter Paul Schall qui tenait une réunion à Strasbourg ce 13 février concluait sa harangue par : "Chaque Alsacien vaincra ou périra avec l'Allemagne". Il oubliait de dire que de trop nombreux jeunes incorporés de force avaient déjà péri. La liste des morts était déjà très longue et aucun de nos villages n'avait été épargné dans ce malheur.

A Colmar où la section locale des SA célébrait sa fête dans la salle des Catherinettes, un dirigeant du Parti venu d'Outre-Rhin prenait la parole devant les "Politische Leiter" (chefs politiques) tous obligés d'y assister sous peine de sanctions sévères. L'orateur avait ouvertement attaqué la religion chrétienne, qualifiée d'hérésie orientale (orientalischer Irrglaube). Selon lui, le christianisme aurait retardé de plusieurs siècles le développement de l'Allemagne. "Mais", concluait-il , "soyez convaincus que nous, les Nazis, nous y porterons remède".

Le lendemain, 14 février, éclatait dans toute l'Alsace la douloureuse nouvelle que les officiers de réserve alsaciens de l'armée française seraient à leur tour mobilisés dans les Waffen-SS. Certains venaient de recevoir une convocation pour passer la visite médicale. Le Gauleiter Wagner avait d'ailleurs offert à ces officiers d'entrer avec leur grade dans la Waffen-SS à condition de signer un engagement volontaire. Dans le cas contraire, ils seraient incorporés comme simples soldats. A cette date aucun d'entre eux n'avait répondu à cet appel.

L'attitude initiale des officiers de réserve alsaciens ainsi que les manifestations d'hostilité de plus en plus fréquentes parmi les incorporés de force de toutes classes devaient amener le Gauleiter à demander à la Chancellerie du Parti qu'un additif particulier aux Alsaciens soit apporté à l'ordonnance du 19 juin 1943 par laquelle la Wehrmacht avait défini la conduite à adopter envers les mobilisés des régions rattachées au Reich depuis l'ouverture des hostilités. Ce projet porte la date du 14 février 1944 :

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"A.- Pour les mobilisables alsaciens dans le service militaire actif s'appliquent les règlements suivants :

Principes 1) L'Alsacien incorporé dans l'armée allemande a les mêmes devoirs et par conséquent les mêmes droits que tout autre militaire allemand. 2) L'Alsacien auquel la nationalité allemande n'avait pas été attribuée avant son incorporation dans la Wehrmacht devient définitivement citoyen du Reich allemand le jour de son incorporation. Après l'incorporation, le dépôt de l'armée de réserve devra effectuer une rectification des fichiers y compris livret militaire et pièces matricules. 3) Les difficultés pouvant résulter de l'attitude et des opinions politi- ques de soldats originaires d'Alsace devront être comprises du fait que l'Alsace, depuis 1918, était de nouveau sous influence française. Non seulement l'Alsace mais tout le peuple allemand porte la responsabilité de cette évolution. C'est un point d'honneur pour chaque citoyen allemand d'aider l'Alsacien à sortir des erreurs d'un passé tragique. Chaque supé- rieur ou camarade qui s'en prendrait au passé des Alsaciens, qui les mépriserait et qui les traiterait en inférieurs, manquerait à ses devoirs d'Allemand. Montrer de la compréhension pour des défauts et faiblesses ne veut cependant pas dire les ignorer ou fermer les yeux sur eux, mais au contraire les écarter.

En particulier, les Alsaciens peu nombreux dont la langue courante était un dialecte français - dans quelques vallées vosgiennes seulement la population s'était servie de ce dialecte français - devront être réorientés vers la langue allemande. 4) Le droit de l'Alsacien à l'égalité de rang avec tous les soldats alle- mands de l'Armée, de la Marine, de l'Aviation et de la Waffen-SS, exige en particulier qu'il soit aussi traité conformément aux principes généraux en vigueur, en rapport avec l'admission aux carrières spéciales, aux stages de formation de sous-officiers et d'officiers, avancement, permissions, etc...

S'il s'avérait nécessaire, dans des cas exceptionnels, de s'écarter des prescriptions généralement en vigueur dans la façon de traiter les soldats alsaciens, en vue de préserver les intérêts du Reich, cette mesure devra être appliquée de telle façon que l'Alsacien ne puisse pas se sentir considéré comme Allemand de seconde classe. Jamais un Alsacien ne devra se voir refuser une demande ou un désir sous prétexte qu'il est Alsacien. 5) Si l'Alsacien, en tant que soldat allemand, doit remplir les mêmes de- voirs et bénéficier des mêmes droits que chaque autre membre allemand de la Wehrmacht, il est clair que chaque manquement aux dispositions générales en vigueur doit être puni. Sans tenir compte éventuellement du nombre de cas punissables, il devra être sanctionné durement et

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inexorablement d'une façon équitable. Une attitude ferme et dure des autorités supérieures permettra de maintenir la discipline avec un mini- mum de châtiment. Tout traitement de faveur ne pourrait qu'encourager les Alsaciens à commettre des actes d'indiscipline. 6) Dans le cadre des règlements généraux, un avancement particulier doit être réservé aux engagés volontaires alsaciens. La population alsa- cienne doit avoir le sentiment que les volontaires alsaciens jouissent d'égards particuliers dans la Wehrmacht". (*)

"La devise de Robert Wagner était celle du maître d'école et officier intègre mais naïf : "Sévère, mais juste !"

Robert Backfisch, alias Wagner, était effectivement un ancien maître d'école issu de l'Ecole Normale de Heidelberg. Il n'enseigna que peu de temps, car dès 1914, alors âgé de 19 ans, il s'engagea dans l'armée qu'il ne quitta qu'en 1924 pour se mettre à la disposition d'Aldof Hitler.

La crainte de difficultés de plus en plus sérieuses suite à cette incorpo- ration accélérée d'Alsaciens-Lorrains devenait évidente. S'y ajoutait la crainte de problèmes non moins négligeables venant de l'attitude d'une population qui avait maintenant la certitude que les Nazis ne doutaient plus que l'ouverture d 'un troisième front à l'ouest n'était plus un mythe. Des mesures draconiennes devenaient donc indispensables pour sauve- garder une sécurité intérieure du Reich très fragile. L'attitude des anciens officiers de l'armée française convoqués pour une visite médicale durant ce mois de février montrait parfaitement que l'Alsace ne pliait plus, même sous les pires menaces.

Ce n'est que chez les plus jeunes que l'occupant usait encore de méthodes naïves comme celles employées sur de jeunes apprentis lors d'un examen professionnel : Question de l'examinateur : "Où habite le Führer Adolf Hitler ?" Réponses des élèves : "A Berchtesgaden !" - "Non" ! - "A Berlin" ! - "Non" ! - "Au Führerhauptquartier (G.Q.G. du Führer) !" - "Dans le cœur du peuple allemand !" hurle finalement l'examinateur (**)

(*) Extraits traduits de l'ouvrage de Lothar Kettenaclœr

(**) Notes de M. J. Bopp

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La Résistance, toujours très active, payait aussi son lourd tribut. Le 17 février 1944, la Gestapo arrêtait le jeune Théodore Witz. Employé aux usines Junker à Strasbourg, il copiait des plans secrets intéressant l'industrie de guerre et les remettait à un membre d'un réseau de ren- seignements. Son père avait déjà été arrêté en 1941 et avait purgé 17 mois de prison à Kehl, puis à Schirmeck.

Le 24 août 1944, le jeune Witz était traduit devant le Sondergericht de Strasbourg qui le condamnait à mort. Transféré à la prison de Bruchsal, près de Heidelberg, ce patriote alsacien était décapité le 22 septembre à l'aube. Son cadavre était ensuite remis à l'Institut d'Anatomie de Heidelberg. Au mois de mars 1947, le père de Théodore Witz était informé que le cadavre de son fils se trouvait toujours dans la chambre froide de l'Institut précité. Depuis plus de deux ans, le jeune Alsacien reposait à côté d'un autre Résistant assassiné ce même 22 septembre 1944, le Strasbourgeois Charles Riehl (

Face à une situation qui se dégradait dans tous les domaines, le Gauleiter Wagner, par une nouvelle ordonnance en date du 28 février 1944, accentuait ses menaces en fixant les peines pour toute manifesta- tion hostile à l'Etat (Staatsfeindlische Kundgebungen). Les délinquants seront punis de prison, de travaux forcés et même de mort pour les cas les plus graves. Cette ordonnance avait un effet rétroactif au 1er août 1943.

La même semaine, des violonistes étaient venus de Berlin à Sélestat pour donner un concert au bénéfice des œuvres de la Wehrmacht. A peine 30 personnes avaient assisté à cette manifestation : des Alle- mands et quelques collaborateurs alsaciens... Cela montrait bien que l'hésitation minait aussi les milieux des rampants d'hier. N'était-ce pas aussi une nouvelle manifestation hostile contre l'Etat ?

Depuis le début du mois de mars, la presse nazie en Alsace ne parlait plus des opérations terrestres de la Wehrmacht. Elle annonçait, par de gros titres à la une, de terribles attaques aériennes sur Londres

(*) Archives " Résistance-Est "

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avec des pertes relativement faibles pour la Luftwaffe. Cette propagande cherchait simplement à couvrir les durs échecs en Russie. De grandes manchettes étaient aussi consacrées aux nombreux avions anglo-améri- cains abattus au-dessus de l'Allemagne. Le 2 mars, le Reichsmarschall Gœring lançait un appel à sa Luftwaffe et annonçait que bientôt toute l'Angleterre subirait le même sort que les villes allemandes, grâce à une arme nouvelle "capable d'exploits sans précédents".

Le 12 mars, à l'occasion de la journée des "Héros de l'Allemagne", Franz Moraller titrait à la une des "Strassburger N.N." : « Eternel est celui qui mourut pour l'Allemagne ! » Ils devaient certes être nombreux ceux qui, chaque jour, devenaient éternels pour Hitler, car les communi- qués de la Wehrmacht n'annonçaient plus de succès sur les fronts de Russie et d'Italie. Il n'était question que de batailles défensives. Les Alsaciens qui écoutaient clandestinement la radio suisse étaient bien fixés car, dans sa dernière critique hebdomadaire, il avait été dit : "L'Allema- gne est dépassée par les Alliés dans tous les domaines militaires. L'issue de la guerre n'est plus douteuse" (

Cette situation était confirmée le 14 mars par le Général Dittmar, porte-parole de la Wehrmacht. Il avouait "que la situation en Ukraine était mauvaise, et que la réaction allemande ne pourrait s'effectuer que dans un délai assez long". Il prétendait que la Wehrmacht était préparée à résister à l'offensive soviétique en Ukraine mais que l'ennemi avait attaqué sur un front trop vaste avec des forces tellement importantes que la résistance allemande avait été vaine. A la fin de son exposé, il annonçait cependant "que des mesures spéciales seraient prises pour parer au danger".

La réalité de la guerre apparaissait tous les jours davantage aux Alsaciens. Le 16 mars, des avions anglais survolaient la région de Colmar. Ils lançaient des tracts en langue allemande : "Pourquoi les Alliés com- battent" - "Comment il est encore possible de sauver l'Allemagne". Deux avions anglais étaient abattus, l'un à Sondernach, le second près de Marckolsheim. La chasse allemande de son côté perdait aussi deux appareils.

"Le samedi 18 mars, entre 14 et 15 heures, plus d'un millier d'avions américains, rentrant d'une mission de bombardement sur Munich et Augsbourg, survolaient le centre de l'Alsace. Spectacle grandiose de formations de 40 à 60 appareils, parfaitement visibles, qui montrait toute la puissance de l'aviation alliée. Au cours de combats avec la chasse

(*) Notes de M.J. Bopp

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allemande, un avion tombait dans la forêt de l'Ill, un autre à Hohwarth, un troisième à Breiternau près de Villé et un quatrième derrière le Hahnenberg entre Châtenois et Saint-Hippolyte. Sept aviateurs améri- cains purent sauter en parachute. L'un d'eux se posa à proximité d'une chapelle, son premier geste fut de s'agenouiller devant la chapelle fermée. Un deuxième atterrit dans le vignes devant une paysanne ahurie; il se mit à rire et la bonne femme aussi... Un troisième aperçut à l'endroit de son atterrissage un jeune garçon, et non loin de là un gendarme allemand. L'Américain ôta vite son bracelet-montre, une bague en or, puis prenant l'argent qu'il avait sur lui tendit le tout au gosse. "Les Boches prennent quand même tout", lui dit-il. Mais le jeune garçon troublé par l'approche du Feldgendarme n'osa accepter. Un quatrième aviateur fut fait prisonnier par le maire de Rodem qui chassait en compagnie du Kreisleiter de Ribeauvillé. Ramené à Rodern, l'Améri- cain fut frappé à coups de matraque par un jeune fanatique âgé d'une vingtaine d'année, en uniforme de la Hitler-Jugend. Les Feldgendarmes, arrivés entre temps, durent intervenir pour faire arrêter cette vile agres- sion". (

Les prisonniers furent amenés à la caserne de Sélestat. Les habitants s'étaient rassemblés non seulement pour les voir, mais aussi pour leur témoigner discrètement leur admiration.

Le même jour, le Dr. Gœbbels, chef de la propagande nazie, parlait à Salzbourg : "Nous savons pourquoi nous apportons le sacrifice de notre sang et de nos biens. A la fin de la guerre, il sera plus avanta- geux pour le peuple allemand de posséder la victoire et la liberté, malgré la destruction d'une série de ses villes. Notre fermeté et. notre endurance décideront de la guerre. Jamais nos nerfs ne lâcheront !" Belle perspective pour les villes alsaciennes, étant donné que dans la même semaine le creusement de tranchées était ordonné dans toutes les localités, toutes les personnes valides devant prendre part à cette tâche.

Le Gauleiter venait aussi de décréter que dorénavant il était interdit d'organiser des services religieux le matin à 9 heures, comme c'était l'habitude, pour les soldats tombés au front. Ces messes ne pourront être dites qu'à 7 heures car, comme l'affirmait le décret, trop de per- sonnes assistaient aux offices et le travail pour l'armement et la défense en pâtissait... Etait-il encore possible de ne pas comprendre que l'Alle- magne était réellement aux abois ?

(*) Notes de M. J. Bopp

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Les différents Kreisleiter venaient aussi de diffuser dans tous leurs services une circulaire donnant des directives précises sur la manière de traiter les ouvriers étrangers : "1.- Chaque ouvrier ou ouvrière étrangers doivent être considérés comme des agents ennemis. Ils profiteront de toutes les occasions qui se pré- senteront à eux pour servir leur pays en lui fournissant des renseigne- ments. Etant donné qu'aujourd'hui en Allemagne la population comporte pour dix personnes, un étranger, donc un ennemi, nous devons agir en conséquence. Si l'étranger vit chez vous ou travaille avec vous dans les champs, ou dans les usines, nous ne devons jamais parler d'affaires mili- taires en leur présence. 2.- Il ne faut jamais leur raconter ce qu'écrivent vos maris ou fils mobi- lisés et les laisser dans l'ignorance de l'endroit où se trouvent nos lazarets et nos hôpitaux militaires. Les prisonniers de guerre "à la mine honnête" sont les plus dangereux. Méfiez-vous qu'ils ne vous jettent pas du sable aux yeux. Ne vous laissez pas séduire par de bons travailleurs pour leur parler de sujets qu'ils doivent ignorer. 3.- Le prisonnier de guerre ne devra pas savoir le nombre de bêtes que le paysan devait fournir, ou s'il n'était pas en mesure de le faire. 4.- Si un nouveau décret du Gouvernement ne vous convient pas, n'en parlez pas en présence de Polonais ou de Français. Ne critiquez pas votre maire, votre chef d'îlot (Blockleiter) ou dirigeant paysan (Bauernfuhrer). 5.- Si vous possédez une arme à feu chez vous, cachez-la, enfermez-la, car les Polonais tout particulièrement volent des armes. 6.- L'ouvrier étranger n'a pas besoin de se servir d'une bicyclette le dimanche. Enfermez la vôtre pendant la nuit, car il pourrait éventuelle- ment s'en servir pour aller communiquer des renseignements. 7.- Surveillez les personnes qui pourraient fréquenter vos prisonniers- ouvriers et les lieux de rencontre des Polonais. 8.- Beaucoup de personnes craignent de dénoncer leurs ouvriers pour des délits ou des soupçons de délits par crainte de perdre leur main-d'œuvre. C'est une erreur, car l'intérêt de l'Etat et sa sécurité passent avant tout. 9.- L'espionnage ennemi s'intéresse à toutes les remarques ou observa- tions. En regroupant les plus petites et les plus anodines il peut se faire une bonne image de la situation. 10.- Pensez que partout l'ennemi a des oreilles qui écoutent : dans les chemins de fer, au bistrot, à l'usine. Mettez en garde vos camarades trop bavards ou vantards. 11. - Soyez conscient que vous n'avez pas le droit d'expédier des lettres écrites par des prisonniers de guerre en n'observant pas le circuit prescrit. Pensez toujours que par des paroles imprudentes en présence d'étran- gers vous mettez en danger vos pères et vos enfants qui se trouvent au

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front et pourraient perdre leur vie par suite de vos bavardages. C'est pourquoi : Prudence ! Les oreilles ennemies vous écoutent !"

Le 19 mars la presse nazie reparle du front de l'Est et annonce que les Soviets lancent de gigantesques troupes dans la bataille mais sans obtenir de succès notables. Nouvelles qui présagent l'aveu de nouvelles défaites de la Wehrmacht. Il est évident que la situation devient critique vu que dans la même semaine, dans chaque ville d'Alsace est créée une "Garde municipale" (Stadtwache). Son effectif prévu est de 1 % de la population. Ses membres sont armés et sont astreints à l'exercice militaire tous les quinze jours.

La mauvaise nouvelle présagée tomba le 22 mars par l'annonce de l'occupation de la Hongrie par la Wehrmacht. C'est en effet le 19 mars que cette alliée de Hitler baissait les bras comme les Italiens sept mois plus tôt. D'autre part, l'armée du Général Joukov venait d'atteindre la frontière polonaise. La situation à l'Est se dégradait de plus en plus.

Le samedi 1er avril, Strasbourg, subissait un nouveau bombardement faisant 27 morts et de nombreux blessés. L'objectif de l'aviation alliée visait les usines Junkers dans le faubourg de la Meinau.

Le lendemain de cette journée tragique pour la capitale alsacienne, le Gauleiter Wagner se trouvait à Wissembourg. Une fois de plus le thème de sa harangue était : "L'Alsace se forge sa place dans la nou- velle Europe !" Il terminait par l'habituelle menace : "Der heute versagt, geht unter !" (Celui qui se dérobe aujourd'hui périra !). Un professeur allemand tenant cette même semaine une conférence au collège de Sélestat tenait un langage encore plus absurde : "Puisque du sang alsacien coule pour l'Allemagne, les Allemands ont des droits sur l'Alsace !"

Effectivement le sang alsacien allait encore couler, car les départs des jeunes gens de la classe 1926, âgés de 17 ans, enrôlés de force dans la Waffen-SS, se poursuivait à rythme accéléré. Ces départs donnaient toujours lieu à d'émouvantes manifestations de la part des parents venus les accompagner jusqu'à la gare d'embarquement. Ils pouvaient aussi se demander pourquoi les jeunes mosellans n'étaient pas mobilisés dans les unités d'élite SS, réputées pour leur dureté. Ces unités toujours engagées en première ligne avaient un besoin pressant de recrues.

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A la suite des défaites successives de la Wehrmacht, les militaires servant dans la DCA (Flack) étaient retirés pour être envoyés au front. Ils étaient remplacés par de jeunes garçons et filles ayant à peine quinze ans arrachés à leur banc d'école. Tous étaient mutés hors d'Alsace, au Pays de Bade essentiellement.

Le 7 avril 1944 s'ouvrait devant le Sondergericht de Strasbourg un grand procès contre dix-neuf soi-disant "trafiquants" du marché noir. Il devenait urgent pour les Nazis de montrer que leur autorité restait inflexible malgré les remous et grognements consécutifs aux échecs de la Wehrmacht. Parmi les accusés de ce procès figuraient plusieurs fonction- naires alsaciens du Service du Ravitaillement ainsi que des commerçants strasbourgeois. Des peines sévères furent prononcées : les fonctionnaires Alfred Q. et Charles R. ainsi que le commerçant Ernest R. furent condamnés à mort. Les seize autres prévenus récoltèrent de un à six ans de réclusion criminelle. Le crime reproché aux deux fonctionnaires était d'avoir volé et revendu à des commerçants des cartes de ravitaillement. Quelques jours plus tard, le 14 avril, l'exécution des trois condamnés à mort était placardée dans toutes les villes d'Alsace.

Le mal qui rongeait le Nazi se révélait aussi dans l'obligation faite à tous les citoyens allemands, sans disctinction d'âge, de participer à des séances de tir au fusil dont le premier exercice était fixé au 10 avril, lundi de Pâques. Etait-ce une préparation à la mobilisation géné- rale de tous les Allemands ?

Ce même lundi de Pâques 1944 l'armée soviétique occupait Odessa. Ce nouveau revers subi par la Wehrmacht était aussi un nouveau coup porté au moral de l'Allemagne. Il est reproduit dans une circulaire diffu- sée à ses membres par le NSV (Bureau de bienfaisance) de Colmar le 14 avril : "Depuis l'abandon du port d'Odessa et l'évacuation de la presqu'île de Kertch annoncés par les derniers communiqués de la Wehrmacht et aussi par la fréquence des attaques aériennes, la foi dans la victoire allemande a énormément baissé chez un très grand nombre d'Allemands et d'Allemandes. Beaucoup ont perdu l'espoir dans la victoire finale. Cependant, il n'y a pas de raison d'être pessimiste, car nous dispo- sons encore de grands moyens qui garantiront notre victoire définitive. C'est pourquoi le directeur du NSV exige de ses collaborateurs et colla- boratrices confiance dans le Führer et la Wehrmacht dans les bonnes

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et les mauvaises situations. Il n'y a pas de place chez nous pour les faibles, ils devront disparaître" (

Le 20 avril, Adolf Hitler fête son 55ème anniversaire. Pour la pre- mière fois depuis sa prise de pouvoir en 1934 un ton inaccoutumé résonne dans la voix de l'Allemagne. A la une des "Strassburger N.N." Franz Moraller se contente de conclure : "Nous ne l'abandonnerons ja- mais !" Le Gauleiter Wagner se contente de dire : "La solution qui masque la victoire finale : Adolf Hitler !" Gœbbels, le ministre de la propagande nazie, frappe aussi par sa modération : "Le Führer est et reste toujours ce qu'il a été : notre Hitler !" Quant au Feldmarschall Gœring, il se contente de conclure l'hommage à son Führer : "Adolf Hitler incarne notre confiance en la victoire !" Qui ne pouvait pas compren- dre que la barque nazie partait à la dérive ?

C'est certainement avec une bien maigre satisfaction que les grands blessés de la Wehrmacht, hospitalisés à Strasbourg et dans d'autres villes alsaciennes, reçurent une bouteille de champagne, une tablette de choco- lat et un paquet de cigarettes pour fêter l'anniversaire de leur Führer. Aussi l'annonce faite pour la première fois le 22 avril que les troupes allemandes et hongroises se battaient maintenant côte à côte montrait bien que Hitler ne pouvait plus se permettre le moindre égard envers ses alliés d'Europe Centrale jusqu'alors restés en dehors des combats. Quels sacrifices de sang seront encore exigés pour essayer de sauver l'Allemagne ? Les Alsaciens jusqu'à la classe 1908 (36 ans) avaient déjà été convoqués pour une visite médicale au cours de laquelle ils étaient informés d'une façon trompeuse qu'ils pourraient servir volontairement dans la Waffen-SS. Ils n'étaient pas dupes, car les jeunes de la classe 1926 venaient d'y être incorporés d'office.

Le cynisme des Allemands, toujours plus acéré par leurs défaites militaires et les coups terribles portés à leurs villes par les aviations alliées, n'avait plus guère de limites. Un exemple affligeant fut donné aux Alsaciens le 27 avril : au retour d'une attaque sur Friederichshafen, deux avions anglais furent abattus au-dessus de l'Alsace par la chasse allemande. L'un des appareils tomba près de Hettenschlag-Appenwihr, dans le canton de Neuf-Brisach; le second près de Saint-Hippolyte.

(*) Document M.J. Bopp

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Parmi les huit aviateurs du bombardier tombé près du Rhin sept étaient morts. Un seul, grièvement blessé, respirait encore. Sans lui apporter le moindre soin, les Allemands l'abandonnèrent là où il était tombé. Les morts furent déshabillés puis, nus et sans cérémonie, jetés dans un trou creusé en hâte au cimetière d'Appenwihr. La population indignée par ces mœurs barbares recouvrit cette tombe héroïque de fleurs durant la nuit (

L'exaspération de cette population alsacienne était d'autant plus intense qu'elle venait d'apprendre que les hommes des classes 1908 et 1909 résidant dans le Bas-Rhin venaient de recevoir leurs feuilles de route pour être incorporés dans la Waffen-SS et que ceux du Haut-Rhin étaient partis le matin même. On ne pouvait concevoir que des pères de familles qui avaient héroïquement servi la France soient à présent obligés d'aller se battre, contre leur gré, sous l'uniforme maudit des Waffen-SS appartenant à une armée en déroute n'ayant plus ni foi ni loi.

(*) Notes de M.J. Bopp

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TRIBULATIONS DES INCORPORÉS DE FORCE DANS LA WAFFEN-SS DES CLASSES 1908-1909

Pierre Gall, un des vétérans de cette honteuse incorporation de force dans la Waffen-SS, nous a laissé un carnet de route grâce auquel il nous est permis aujourd'hui de brosser une image réelle du malheur qui frappait ces hommes qui laissaient derrière eux des familles souvent déjà lourdement frappées par la guerre.

"A la mi-février 1944, tous les hommes appartenant aux classes 1908 à 1910 furent convoqués pour une visite médicale. Tout le monde comprenait que cela présageait une plus ou moins imminente incorpo- ration dans la Wehrmacht. Malgré la mauvaise humeur générale, cette visite se passa sans trop de heurts. Plusieurs semaines se passèrent sans nouvelle manifestation de la part des Allemands. On se demandait si réellement les Nazis auraient l'audace et la bassesse d'incorporer dans leur armée des pères de familles d'âge mûr qui avaient déjà combattu avec loyauté dans les rangs de l'Armée française. Ce doute fut malheu- reusement levé par une nouvelle convocation pour une visite d'incorpo- ration fixée au 17 avril au matin dans la grande salle du Cercle catho- lique de Sélestat. Tous les hommes des classes 1908 et 1909 étaient convoqués. Le motif de cette nouvelle visite était, soi-disant, de rechercher les meilleurs éléments physiquement aptes à servir volontairement dans la Waffen-SS. Nous étions environ 2.000 venus de toutes les localités du canton. On nous fit mettre en rangs, ce qui s'effectua déjà avec une mauvaise volonté évidente. Celui qui avait l'audace d'exprimer son désaccord à haute voix était immédiatement puni d'une amende de 5 marks. La visite se passa individuellement devant une commission d'offi- ciers et de civils parmi lesquels siégeait aussi notre Kreisleiter et les différents Ortsgruppenleiters. Après une visite médicale qui n'était qu'un simulacre, on nous présenta une feuille à signer. Après l'avoir lue, j'hési- tais. La voix du président de la Commission me rappela à la réalité : on ne recherchait pas de volontaires pour la Waffen-SS mais on nous y jetait de force. Refuser de signer c'était aussi nous condamner d'une autre manière. Il était aussi logique que pratiquement tous les hommes convo- qués étaient reconnus aptes... Notre mauvaise humeur n'éclata en réalité qu'en fin de matinée, lorsque les différents groupes furent autorisés à rentrer chez eux. Tous avaient été obligés de signer un papier qui nous condamnait à servir dans la Waffen-SS comme nos cadets de la classe 1926.

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Nos feuilles de route pour notre incorporation fixée au 27 avril arrivèrent peu de jours après cette visite. Les hommes des classes 1908 et 1909 des régions de Strasbourg et Haguenau durent partir déjà le 25 avril.

Le départ des hommes de la région de Sélestat était fixé au lundi 27 avril, tôt dans la matinée. Nous étions plusieurs centaines d'incorpo- rés à nous rendre à la gare accompagnés de nos femmes, de nos enfants et de parents en pleurs, mais il n'y eut pas de manifestations violentes comme celles qui s'étaient produites lors du départ des classes plus jeunes.

Tous les incorporés de l'arrondissement de Sélestat furent dirigés sur Mulhouse avec ceux de la région de Colmar pris en cours de route. A Mulhouse, les Allemands formèrent un nouveau convoi, maintenant très important, qui prit la direction de Strasbourg puis, après un arrêt assez long, celle de Morhange en Moselle. On nous dirigea immédiatement sur la caserne de cette ville. Malgré l'heure tardive et avant de nous indiquer notre hébergement, on nous fit passer au magasin d'habillement. C'est là que commencèrent les premiers problèmes, en particulier pour trouver un pantalon à sa taille... Cette caserne de Morhange n'était en fait qu'un lieu de transit. Comme il n'était pas question de nous envoyer immédiatement au front, on nous employa à divers travaux, jardinage et autres. Notre séjour à Morhange tirait en longueur; cela permit à nos femmes et parents à nous rendre une brève visite. Cela entraina souvent des problèmes, car nous étions environ 2.700 Alsaciens en attente d'être dirigés sur des unités constituées de la Waffen-SS.

Un premier contingent partit de Morhange le 24 mai. Une moitié fut dirigée sur la Hongrie, l'autre moitié de l'effectif d'un bataillon dont je fis partie, se rendit à Goslar dans la Harz.

Dès notre arrivée dans ce qui ressemblait plutôt à un camp, on nous répartit immédiatement en trois compagnies : la première comprenait tous les agriculteurs, la seconde les intellectuels, fonctionnaires et commer- çants, la troisième les artisans. Etant ébéniste, je fus affecté à cette dernière. Sur la même lancée on nous présenta nos supérieurs : l'Ober- sturmführer (lieutenant) Winkler, l'Obserscharfuhrer (caporal-chef) Buss et quatre autres caporaux. Lorsque toutes ces présentations furent termi- nées, on nous donna l'ordre de rejoindre nos baraques respectives. Celles-ci étaient divisées en chambre à effectif normal de 20 hommes et dotées de lits à deux étages. La tête vide, fatigués par un long voyage de nuit, nous nous sommes affalés, tout habillés, sur nos couchettes.

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Le corps auquel nous venions d'être affectés était un groupe de formation dans les Transmissions : "SS Nachrichten Ausbildungs Abteilung 3".

Dès le lendemain de notre arrivée à Goslar, on nous distribua des fusils avec l'ordre de les nettoyer immédiatement. Ce premier travail de notre vie de Waffen-SS fut suivi d'une revue d'armes (Waffenappel) sur l'artère principale du camp où nous dûmes nous présenter en ligne sur trois rangs. Notre manque "d'entrainement" à cet exercice fit que cette revue se déroula dans un potin infernal de cris et d'injures grossiè- res proférés par les gradés SS.

Puis vint le moment de l'instruction dans les Transmissions (Funkaus- bildung) dans une salle spécialement aménagée (Hôrsaal) où des instruc- teurs SS nous apprenaient le code morse. Ce fut pour nous un moment relativement calme, presque agréable; puisque assis et casqués d'un écou- teur individuel nous devions grouper, par tranches de cinq sur une feuille quadrillée, les signaux morse transmis par l'instructeur. Nous avions aussi des exercices sur une place du camp : maniement d'armes, marche au pas cadencé, le tout accompagné de chants militaires que nous avions peu d'empressement à apprendre.

Deux fois par semaine, nous devions nous rendre sur un terrain de manœuvre situé à l'extrême limite de Goslar. On y allait bien sûr au pas cadencé et en chantant. En tête de la colonne marchaient de jeunes recrues allemandes; nous au milieu étions plutôt silencieux. En serre-files marchait une section de volontaires hollandais qui faisaient le plus de bruit en chantant. Habituellement c'était l'Unterscharfuhrer (capo- ral) Arndt qui commandait le groupe formé par notre chambrée. C'était un jeune garçon presque paisible qui semblait avoir égard à notre âge. Durant les exercices au champ de manœuvre, il nous laissait souvent au repos en mettant même un guetteur pour l'avertir de l'arrivée du lieutenant Winkler. Il nous racontait aussi avec fierté ses aventures sur le front russe où il avait obtenu la Croix de Fer de 1ère classe. Son caractère nous dérouta complètement quand il nous raconta qu'après avoir fait plusieurs prisonniers russes, il assista à un spectacle "excep- tionnel et inoubliable" : les prisonniers, les uns après les autres, furent écartelés entre quatre chevaux. Il avait, soi-disant, ressenti un plaisir particulier dans ce spectacle... Cela nous montra à quel point on avait inculqué la haine de l'ennemi aux SS.

Le caractère dur et brutal de ces hommes auxquels nous étions mêlés n'arrivait pas à entamer notre façon de penser et d'agir. Il était

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clair que les Nazis préféraient nous voir encadrés par des SS afin d'écarter au maximum le risque de rebellion de notre part. Notre intérêt n'était donc pas de jouer aux fortes têtes tout en restant dignes de nous- mêmes.

Au début du mois de juillet, notre camarade Wegscheider de Sainte- Marie-aux-Mines reçut un télégramme lui annonçant la naissance d'un enfant. Il demanda au caporal-chef Buss, la bête noire de la compagnie, si à l'occasion de cette naissance il pouvait obtenir une permission pour se rendre dans sa famille. Le SS lui demanda d'abord si le bébé était un garçon ou une fille. Wegscheider lui répondit avec fierté que c'était un garçon. Buss le regarda avec un air narquois et lui dit : "Dann konnen sie ruhig an die Front, ihre Sippe ist gesichert !" (Vous pouvez aller tranquillement au front, votre succession est assurée). Ces paroles firent grosse impression sur nous. Quelques jours plus tard, Muller de Colmar put lui renvoyer la balle. Lors d'un exercice de chiffrement, Buss lui lança ironiquement : "Alors Muller, comment cela se passa- t-il lorsque les Allemands traversèrent le Rhin en 1940 ?" (le SS avait appris que notre camarade avait été chef d'une casemate de berge près de Marckolsheim). Sans se démonter, Muller lui répondit : "Là où je me trouvais, pas un Allemand n'a traversé le Rhin, mais ceux qui l'ont descendu étaient nombreux !" Buss accusa le coup; mais son attitude créait en nous une tension de plus en plus profonde.

Enfin vint le 14 juillet et le souvenir mélancolique de nos fêtes traditionnelles chez nous en Alsace. C'était un vendredi, maintenant un jour comme tous les autres. Mais, oh surprise, le lendemain fut pour nous quand même un jour de fête. Le matin tous les Alsaciens furent réunis pour prendre nos photos individuelles destinées à notre livret militaire. Cette obligation fut suivie "d'une réunion patriotique" à la salle des fêtes. Après les traditionnelles harangues de nos supérieurs, un jeune Allemand du "Sonderkommando" récita une poésie toute pleine d'espoir en la victoire finale de l'Allemagne en évoquant les sacrifices qui restaient encore à faire avant ce jour glorieux. L'après-midi on nous donna quartier libre avec l'autorisation de nous rendre en ville jusqu'à minuit. C'était une faveur rarement accordée. Nous l'avons naturellement dédiée au 14 juillet et en avons profité pour prendre le repas du soir dans un bon restaurant de Goslar qui servait en ce samedi un "Markenfreies Stammge- richt" (plat unique sans tickets). Comme cela nous semblait bon et que nous avions encore faim chacun d'entre nous a repris plusieurs fois... tout en buvant abondamment... A la nuit tombante, nous reprîmes le chemin du camp. Tout en "défilant" en colonne, car nous étions nom- breux, nous nous mîmes à sifller "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine". Il est vrai que le bon vin avait beaucoup influencé notre bonne humeur.

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Alors que nous passions près de la gare de Goslar devant un hôtel transformé en hôpital, tout en sifflant le même air, une voix venant de l'hôtel nous cria en alsacien : "Camarades, ne vous en faites pas, ils vont bientôt crever !" La voix venait d'un compatriote qui avait sans doute été blessé sur le front russe.

Fin juillet, ma compagnie quitta Goslar pour un "Arbeitskommando" (commando de travail) près de la ville de Giessen dans la province de Hesse. Un groupe de jeunes volontaires allemands s'était joint à nous. Lorsque le train prit la direction de Francfort-sur-le-Main, cela nous rassura un peu sur notre sort : pour le moment nous n'allions pas vers le front russe. Notre cantonnement était prévu à Heuchelheim, un fau- bourg de Giessen. Nous le rejoignîmes en colonne par trois, en chantant évidemment, les jeunes SS ouvrant la marche. En traversant le pays nous constatâmes qu'il n'y avait personne dans les rues pour nous voir passer; seule de temps en temps une fenêtre ou une porte fut un peu entr'ouverte, puis refermée. La population ne semblait guère enchantée de la présence de SS.

Notre travail à Giessen consistait à déterrer des câbles téléphoniques déjà posés avant la guerre mais qui n'avaient jamais été raccordés.

Ces câbles se trouvaient le long de la route allant à Francfort- sur-le-Main et étaient enterrés à environ 70 centimètres de profondeur. Chacun d'entre nous devait creuser cinq à six mètres par jour, sortir le câble, puis remblayer la tranchée.

Les jours passaient sans qu'on puisse entrevoir la fin de ce travail. C'était une tâche bien pénible en ce mois d'août mais personne ne se plaignait, car nous étions loin du front. On nous renvoya à Goslar le 1er septembre pour, soi-disant, poursuivre notre instruction dans les transmissions. Notre désappointement ne dura heureusement que quatre jours après lesquels on nous renvoya à Giessen avec tous les Alsaciens de la 1ère compagnie. Notre travail ayant bien avancé notre cantonne- ment se trouvait à présent dans la petite ville de Mornshausen. La population, essentiellement agricole, apprenant que nous étions des incorporés de force alsaciens, nous témoigna tout de suite beaucoup de sympathie. Elle nous montra souvent qu'elle n'était pas d'accord avec la conduite de la guerre et la politique nazie. Cette attitude bienveillante à notre égard n'échappa pas à nos cadres SS et ne fit qu'augmenter leurs menaces et leurs grossièretés. Ils nous reprochaient aussi de fraterniser avec des prisonniers de guerre français, de manger chez l'habitant "de la tarte aux quetches au mètre carré" et d'ingurgiter des "arrosoirs" de

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café... Ce comportement de la population de cette région de Hesse fut d'un grand réconfort pour notre moral bien malmené par l'attitude de ces jeunes SS qui nous encadraient.

Tout en déterrant ce câble téléphonique nous arrivâmes à la fin du mois d'octobre. Les journées diminuèrent et le temps se gâta avec de fréquents brouillards et du froid. Nous déménageâmes à Biedenkopf, ville proche de Wiesbaden ce qui fit que matin et soir notre trajet fut moins long de notre cantonnement au chantier. Nous logions dans la grande salle d'une entreprise, heureux d'avoir de la paille fraiche pour nous allonger le soir, car depuis longtemps nous n'avions plus l'avantage de coucher dans un lit. Néanmoins personne ne se plaignait ouvertement de notre sort plutôt pénible, étant donné qu'il n'était toujours pas question de nous envoyer au front. Le dimanche était quand même jour de repos et beaucoup d'Alsaciens en profitaient pour assister à la messe. Les habi- tants s'étonnaient beaucoup d'y rencontrer tellement de SS : il ne savaient pas que les insignes maudits sur nos uniformes nous avaient été collés de force...

Le 18 décembre, de retour à Goslar, nous fûmes reçus presque à bras ouverts, car les Allemands, gavés par leur propagande espéraient tous un succès triomphal de l'offensive de von Rundstett dans les Ardennes. Ils se vantaient que dans les huit jours, la Wehrmacht aurait atteint la Manche et écrasé définitivement les Alliés. Nous étions évidemment bien embarrassés pour nous associer à leur joie, d'autant plus que les quelques nouvelles que nous pouvions encore recevoir d'Alsace n'étaient guère rassurantes. On nous relatait que partout dans notre province se dérou- laient de durs combats ont on ne voyait pas la fin. Ces nouvelles nous inquiétaient beaucoup sur le sort de nos familles dont nous craignions de ne plus recevoir de nouvelles. La dernière lettre que j'avais écrite le 22 novembre n'est jamais arrivée à destination.

Pendant notre absence de Goslar, la petite ville avait subi un impor- tant bombardement aérien. Le camp avait aussi été touché et notre baraque détruite. Beaucoup de nos cadres SS étaient partis ou avaient changé d'affectation. Notre caporal-chef Buss avait pris le commande- ment d'une section de SS hongrois qui ne parlaient pas un mot d'allemand. Notre 3ème compagnie fut prise en charge par l'Obersturmfuhrer Stephens commandant précédemment la 1ère compagnie des Alsaciens.

Le soir de Noël, les Allemands, toujours euphoriques à la suite des succès de von Rundstett, organisèrent une soirée d'amitié (Kamerad- schaftsabend) durant laquelle on nous servit un vin de mauvaise qualité auquel nous, Alsaciens, n'étions pas habitués. Pour ne pas nous faire

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remarquer nous fîmes semblant de boire un quart par petite gorgées. Les jeunes Allemands par contre ne laissèrent rien dans les cruches et pour eux la soirée se termina en vomissements... Il en résultat que, le jour de Noël, on nous laissa parfaitement tranquilles. Le reste de la se- maine se passa en exercices d'alerte aérienne sans qu'il fût question de reprendre notre instruction de transmetteurs.

Pour le 31 décembre qui tombait un dimanche, on nous promit une autre grande "soirée". On avait l'impression que von Rundstett avait déjà gagné la guerre... Le commandant de notre 3ème compagnie émit le vœu que l'organisation de la fête revienne à son unité; une céré- monie se déroulerait à minuit sur le terrain des sports du camp où chaque section devrait présenter un chant. Cela nous embarrassait bien, car des chants patriotiques de circonstance nous n'en connaissions pas. De plus, pour ce qui était de chanter, notre moral du jour se trouvait bien en dessous de zéro... Il ne pouvait être question de refuser caté- goriquement, car la punition aurait été sévère. Heureusement notre camarade Sattler de Turckheim eut une idée géniale. Il proposa à notre chef de chanter un chant patriotique alsacien, le "Hans em Schnokeloch"... A deux reprises, on nous accorda le temps de répéter sous la direction de Sattler...

Arriva le soir de la fête ! Après avoir passé d'abord la soirée à la cantine, on nous rassembla en équipements et en armes pour nous rendre au pas cadencé au terrain des sports. Les jeunes SS allemands, le cœur toujours joyeux, entonnèrent un chant militaire. Comme il n'était pas bien suivi par les Alsaciens, nos chefs nous en firent la remarque accom- pagnée de leurs habituelles grossièretés. Cela ne nous fit guère d'effet, car en cette soirée du Nouvel An, nos pensées allaient à nos familles en Alsace dont nous n'avions plus de nouvelles. Arrivés sur le lieu de la cérémonie, chacun de nous reçut trois cartouches à blanc. Peu avant minuit, un jeune Allemand déclama un poème plein de patriotisme, d'esprit de sacrifice, de confiance en la victoire finale et d'éloges à l'a- dresse du Führer. A minuit sonnant, on nous donna l'ordre d'armer nos fusils; puis notre entrée dans l'année 1945 fut marquée par trois salves. Un grand nombre d'entre nous ne chargèrent pas leur fusil de sorte que le bruit des détonations fut beaucoup moins fort dans le rang des Alsaciens... Nous avions tous pensé à l'inévitable revue d'armes qui aurait lieu le lendemain. Nos rangs étaient d'ailleurs déjà bien éclaircis car, pendant notre séjour à Giessen, nos camarades alsaciens de la 4ème compagnie étaient partis pour la Yougoslavie. Quant à ceux de la 1ère compagnie, les "téléphonistes", ils venaient d'être prévenus qu'ils seraient transférés incessamment en Hongrie.

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Dès le début du mois de janvier, notre instruction de "Funker" (transmetteur) reprit en salle d'une façon accélérée. En plus des signaux morses, on nous apprit le chiffrement et le déchiffrement des messages codés. Lorsque notre instruction fut assez avancée, on nous forma en groupe de cinq ou six hommes (Funktrupp) pour effectuer des exercices dans les environs du camp. Ces exercices par journée ou demi-journée étaient très fréquemment interrompus par des alertes aériennes. A la mi-février, notre formation étant considérée comme satisfaisante, on nous annonça une manœuvre de 48 heures à laquelle devaient participer les Hollandais et les sections des "vieux sacs fainéants", c'est-à-dire les Alsaciens. Pour ce premier grand exercice on m'affecta à un groupe composé de trois Hollandais et de mon camarade Albert Andrès. Nous nous rendîmes dans un village au nord-ouest du camp où nous nous installâmes avec notre matériel chez l'habitant. Ce fut une journée plutôt agréable, sans problèmes techniques, car les volontaires hollandais avaient une instruction beaucoup plus "poussée" que nous.

A présent, les nouvelles du front n'étaient pas tellement bonnes pour les Allemands qui ne parlaient plus guère de l'offensive de von Rundstett. Ce qui comptait pour nous était notre éloignement du front; mais nos pensées se portaient aussi vers nos camarades partis en Yougos- lavie et en Hongrie. A quand notre tour ? Les indices d'une fin très proche de la guerre étaient nuls. Nos préposés SS commençaient à s'impatienter et nous devions subir quotidiennement leur mauvaise hu- meur. Ils nous expliquaient que la victoire finale était toujours certaine et que notre devoir était d'y contribuer. Ils n'avaient toujours pas compris que notre confiance allait aussi à la victoire finale mais à celle des Alliés.

Les alertes aériennes étaient de plus en plus fréquentes. Elles s'ac- compagnaient toujours de force hurlements et grossièretés à notre égard. De nuit, le courant électrique était immédiatement coupé ce qui ne simplifiait pas le transport de notre matériel de transmissions que nous devions emporter chaque fois dans les abris.

Le 28 février au soir, nous fûmes informés à notre tour de notre départ pour le front fixé au 2 mars. Le lendemain, nous eûmes à rendre nos armes parfaitement nettoyées ce qui nous étonna beaucoup car, en principe, le soldat qui se rend au front est censé posséder une arme...

Dans la soirée du 2 mars, on nous rassembla avec nos bagages sur l'artère principale du camp en formation de groupes de 10 hommes

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par feuille de route. L'Obersturmfuhrer nous adressa ses dernières re- commandations et conseils pour le voyage, sans oublier ses encourage- ments pour notre participation aux derniers combats avant la victoire finale. Ils distribua six titres de voyage aux différents chefs de groupe (Oberfunker) dont cinq Hollandais et un seul Alsacien. Ces documents indiquaient notre destination : Division "Nordland" et Division "Neederland" sta- tionnées à Stargard (Poméranie) à 40 kms de Stettin. En colonne, mais sans chanter, nous nous rendîmes à la gare de Goslar...

Grâce à l'initiative de mon chef de groupe hollandais, qui désirait revoir un membre de sa famille à Brême avant de monter au front, nous avons pris le train pour Hanovre au lieu de celui partant pour Brandebourg-Berlin, profitant de l'immense pagaille qu'on rencontrait partout dans les gares embouteillées par des trains bondés de réfugiés refoulés des zones de combat. A Brême notre Hollandais réussit à sortir de la gare. Il nous laissa dans un "Wehrmachtsunterkunft", un immense souterrain de la gare où se trouvaient en transit des centaines de soldats de toutes formations, essentiellement des marins. L'un de ces derniers qui semblait en avoir plein le nez de la guerre me confia qu'il ne sortirait plus de cet abri avant la fin de la guerre. Manifestement le moral de l'armée n'était pas toujours au niveau de celui de nos SS...

Notre chef de groupe hollandais, pas trop pressé de monter au front, ne revint nous chercher que le surlendemain... il était grand temps car, sans notre feuille de route, il nous était impossible d'obtenir un repas dans le Service d'assistance à la Wehrmacht installé dans le souterrain.

Le 7 mars au soir, après cinq jours d'un voyage homérique à tra- vers le Nord de l'Allemagne, nous arrivâmes à Stettin. En cours de route, nous avions appris que Stargard était tombée entre les mains des Russes. On nous dirigea vers une caserne de SS dans un faubourg de la ville. En réalité nous étions à proximité du front car l'artillerie russe tirait déjà sur Altdam, partie de la ville située sur la rive droite de l'Oder, où les foyers d'incendies illuminaient le ciel. Dans cette ca- serne de SS régnait un désordre et un chahut indescriptibles. La plupart des hommes que nous croisions n'avaient plus de comportement humain. Les officiers S S qui sentaient proche la fin de leur règne avaient l'air de fauves aux abois. Dans leurs continuelles menaces pour maintenir l'ordre revenait toujours cette phrase terrible : "Wird an die Wand gestellt !" (sera fusillé !). Pour la nuit on nous logea dans un vaste couloir où il restait un peu de place pour s'allonger. Il n'était pas ques- tion de dormir car il y régnait un va-et-vient continuel d'hommes aux-

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quels on remettait des munitions, des couteaux de tranchée et des "Panzerfaust" (bazookas) avant leur départ pour le front".

Charles Stoerckel de la classe 1909, originaire d'Orschwiller, se trou- vait dans ce même groupe de "spécialistes" des transmissions SS. Il enchaîne avec le témoignage de son camarade Pierre Gall :

"Entre temps notre chef de groupe hollandais apprenait où était stationnée l'unité que nous devions rejoindre. Notre fameuse division SS se trouvait près de Brussov, à 40 kms de l'endroit où nous nous trou- vions.

Retour à la gare de Stettin le lendemain matin. Il y régnait un désor- dre inimaginable. Des troupes en déplacement, aux traits tirés, se mé- langeaient aux civils effarés fuyant avec de maigres bagages devant la progression de l'armée soviétique. A notre arrivée il n'y avait pas de train en gare. Seule une locomotive venait de temps en temps chercher des wagons restés sur des voies de garage. Après une attente qui nous parut interminable, un petit train fut mis en route sur la voie que nous devions emprunter pour nous rendre à Brussov via Locknitz où nous devions attendre une correspondance. La petite rame, surchargée de soldats en armes, partit de Stettin que vers 16 heures. Elle mit quatre heures pour effectuer les 24 kms qui nous séparaient de Locknitz telle- ment la voie était endommagée par les bombardements russes. Les arrêts fréquents furent particulièrement pénibles car à tous moments l'aviation russe pouvait nous prendre pour cible.

A notre arrivée à Locknitz, on nous informa qu'aucun train ne pouvait être mis en route pour Brussov avant le lendemain à 13 heures. Aucun d'entre nous n'envisagea d'effectuer à pied les 10 kms qui nous séparaient de notre Division. La nuit étant tombée, nous trouvâmes refuge dans le fenil d'une ferme-auberge où il nous fut enfin possible de trouver un peu de sommeil malgré la canonnade ininterrompue qu'on entendait au loin.

A l'heure annoncée la veille, un train partit pour Brussov. Le voyage fut plus rapide et, dans la soirée, nous avions enfin intégré la Division SS "Neederland" formée presqu'uniquement de volontaires hollandais. Les autres groupes d'Alsaciens, partis de Goslar en même temps que nous, étaient arrivés depuis plusieurs jours et prenaient déjà le service de garde. Notre moral était au plus bas; d'autant plus qu'il pleuvait toujours,