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L’esprit, le corps et la conscience Charles Lebrun, tête d’homme vue de dessus

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L’esprit, le corps

et

la conscience

Charles Lebrun, tête d’homme vue de dessus

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Introduction:

En plus des objets matériels, au sens vulgaire, tels que les voitures, les tables et les chaises,

et en plus des organismes vivants et des phénomènes qui les caractérisent (phénomènes

biologiques: digestion, respiration, etc.),

il y a des phénomènes tels que les perceptions, les émotions, les sentiments, les souvenirs,

les idées, les croyances, les désirs, les souhaits, les théories...

On parle de phénomènes mentaux car ils semblent relever d’un autre ordre que l’ordre

matériel des objets extérieurs : l’ordre du mental, de l’esprit.

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Mais qu’est-ce qu’un souvenir, un désir, une pensée, etc ? Que sont ces phénomènes mentaux ?

Souvenir de Claude Lévi-strauss

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Souvenir de Brigitte Bardot

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Désir d’avenir

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Par nos sens, nous ne pouvons

pas observer directement

l’émotion. Nous n’en observons

que les effets : le comportement

extérieur des individus semble

causé par des états mentaux

internes (émotion, désir, etc.).

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De tels mots servent à décrire le comportement de nos semblables. Des personnes qui s’entassent sur un quai de métro ont un comportement similaire. Pourquoi? Cette similarité de comportement s’explique par une similarité mentale : chacune des personnes désire accomplir un certain trajet en métro, et chacune croit qu’attendre le prochain métro et se préparer à monter dans le wagon est un bon moyen de réaliser cette fin. Toutes les personnes se caractérisent donc par des phénomènes mentaux que sont désirs et croyances. De manière générale, l’esprit serait en quelque sorte l’entité qui se manifeste dans les phénomènes que l’on considère comme mentaux (rationnels, intelligents, émotionnels, etc.).

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Problème : l’esprit est-il distinct du corps ?

S’il l’est, de quelle manière l’est-il ?

Faut-il penser que l’esprit appartient à un autre genre d’être que le

corps, les êtres matériels ? Ou faut-il croire qu’il n’existe pas de

distinction réelle entre l’esprit et le corps, puisque l’esprit se réduit à la

pensée, qui serait produite par le cerveau ?

… ce qui pose problème, c’est d’abord la définition de l’esprit.

… lié à ce problème, il y a l’enjeu de l’immortalité de l’esprit.

Mais un autre problème se pose : selon quelle modalité les

phénomènes mentaux se donnent-ils à l’observateur, se font-ils

connaître ? Directement (en « s ’observant » intérieurement soi-

même, par la conscience) ou indirectement (en observant

autrui) ?

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I- Le dualisme de l’âme et du

corps et ses limites

« dualisme » vient du mot duo,

deux. Être dualiste, c’est penser

qu’il existe une différence

radicale entre les phénomènes

mentaux et les phénomènes

physiques.

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1- le dualisme des substances

Les personnes humaines ont en apparence au moins deux types de

propriétés et d’aptitudes: des propriétés et aptitudes physiques (je

peux courir) et des propriétés ou des aptitudes mentales (je peux

faire un calcul mental).

Selon Descartes, cette différence de propriété s’explique par une

différence plus radicale : la personne humaine serait composée de

deux sortes d’être, radicalement différents : le corps (matériel) et

l’esprit (immatériel).

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On parle de différence de « substance ».

On appelle « substance » n’importe quelle entité (chose), dans la

mesure où elle est caractérisée par des propriétés ( des

caractéristiques) dont elle est le support, et qui ne dépend de rien

d’autre qu’elle même : elle existe de manière relativement

indépendante (elle n’est pas elle-même une propriété d’une autre

substance). Exemple : un livre est une substance matérielle.

Il existe deux types de substances selon Descartes : les esprits et

les corps. L’esprit est donc indépendant du corps et inversement.

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Le corps est un être matériel, c’est-à-dire une réalité qui se

caractérise par

… des dimensions spatiales

… qui est susceptible de mouvement.

… composé de matière et obéit aux lois de la physique

Mon propre corps, pris en lui-même, n’est donc d’abord qu’un

être physique comme un autre (outre le fait qu’il est vivant).

L’esprit est une « chose pensante », une réalité immatérielle, qui

… n’a pas de dimension spatiale

… se caractérise essentiellement par la pensée, sous différentes

formes

Conséquence: la destruction de mon corps (y compris mon

cerveau) n’est pas celle de mon esprit.

Comment établir cela? Quelles sont les raisons (≠ foi) qui vont en

faveur de la thèse du dualisme des substances ?

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Les capacités de l’esprit selon Descartes

« La raison »

« L’imagination »

« les sens »

« La volonté »

Raisonner, calculer, concevoir Penser par représentations imagées (souvenirs, anticipations, imagination) Sensations et émotions (en rapport avec le corps) Désirs, volontés (« pensées » motrices : qui nous font agir)

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2-un argument antique : la nécessité d’une substance permanente

dans le changement de la personne.

Prémisse 1- Le corps de la personne peut changer complètement.

développement :

… nous savons que la quasi-totalité des cellules du corps (hors neurones) est renouvelée

périodiquement.

… nous pouvons concevoir que la totalité du corps soit renouvelée

Prémisse 2- pourtant, nous concevons qu’il puisse s’agir de la même personne.

Conclusion : l’âme existe.

Développement:

… il y a un principe qui fait la permanence de la personne dans le temps (P2).

… ce principe est différent du corps (P1)

… on appelle âme ou esprit cette substance immatérielle. Donc l’âme existe.

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3- l’argument principal de Descartes : la connaissance de mon esprit

diffère de la connaissance du corps et du monde, d’une manière telle

que ces deux réalités doivent être distinctes Son argument principal apparaît au cours de ses fameuses Méditations

Métaphysiques.

- but: refonder l’ensemble du savoir humain sur des bases solides, des axiomes, qui

doivent être absolument certains, ou ‘indubitables:’ : on ne doit pas pouvoir en

douter.

-La méthode cartésienne commence par l’emploi du doute, un doute méthodique

(méthode de recherche de vérité) et hyperbolique (s’efforcer de douter de tout ce

dont ordinairement on ne doute pas).

… argument des sens trompeurs

… argument du rêve

… argument du malin génie

Il est possible de douter de tout ce que nous croyons savoir du monde

naturel ou humain, de mon environnement, de mon propre corps (y compris

mon cerveau).

Mais est-ce à dire que toute connaissance certaine est impossible ?

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Une version contemporaine des arguments sceptiques de

Descartes Hilary PUTNAM, "Des Cerveaux

dans une Cuve " (1981)

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Dans cet océan de doute, Descartes trouve un rocher sur lequel se

jucher :

« Cogito ergo sum » « Je pense, donc je suis »

On peut développer ainsi : P1- si je doute de tout, alors je pense quelque chose

(douter de quelque chose, c’est penser quelque chose)

P2- mais pour penser, il faut exister (il faut qu’il existe un sujet

de cette opération mentale, un sujet qui fasse cette expérience de

pensée)

Conclusion- J’existe.

Autrement dit, affirmer « je n’existe pas » est auto-contradictoire

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ATTENTION : le cogito n’est valide que s’il est formulé à la

première personne (je), et non à la troisième (Il, Descartes).

L’existence de l’esprit n’est indubitable (hors de doute) qu’en ce

qui me concerne.

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Que s’est-il passé ? Pourquoi mon existence (celle de cet esprit que je suis) est-elle absolument certaine alors que rien d’autre ne l’est?

Descartes s’appuie sur une propriété de l’esprit qu’on nomme la conscience

Généralement, la conscience désigne l’ensemble de nos états conscients : nos états mentaux et nos actions dont nous savons spontanément qu’ils nous affectent ou que nous les faisons.

Nombre de penseurs assimilent purement et simplement l’esprit ou la pensée d’une part, et la conscience d’autre part.

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L’esprit est comme un projecteur dont le faisceau lumineux est naturellement dirigé vers des êtres extérieurs. Ainsi, il a des représentations mentales, telles que des images de ce qui l’entoure.

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Cette propriété qu’a l’esprit de se représenter intérieurement quelque chose, c’est ce qu’on nomme la conscience.

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Mais en s’aventurant ainsi hors de lui-même, l’esprit n’est jamais sûr de se représenter correctement l’objet qu’il vise, ni même de rencontrer effectivement un quelconque objet (doute).

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En croyant atteindre hors de lui des objets réels, peut-être l’esprit ne fait-il que projeter ses propres créations et ses chimères. Le doute met fin à ces croyances naturelles.

Mais douter c’est encore penser …

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Mais en même temps que je pense à un objet quelconque, à la table ou à un ami par exemple, je sais que j’y pense. Ma pensée est naturellement et nécessairement consciente d’elle-même.

L’esprit humain a la capacité de se dédoubler : en même temps qu’il s’ouvre à ce qui n’est pas lui, il a la capacité de se réfléchir lui-même dans un mouvement de réflexion qui lui fait connaître chacun de ses états. C’est ce qu’on appelle plus précisément la conscience réflexive ou conscience de soi.

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John Locke, qui écrit quelques décennies après Descartes qu’il a lu, exprime

assez bien cette notion de conscience (réflexive) :

« [il est ] impossible à quelque être que ce soit

d’apercevoir sans apercevoir en même temps qu’il

aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons,

que nous flairons, que nous goutons, que nous sentons,

que nous méditons, ou que nous voulons quelque

chose, nous le connaissons à mesure que nous le

faisons. Cette connaissance accompagne toujours

nos sensations et nos perceptions présentes (...)

la conscience accompagne toujours la

pensée. »

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Par la conscience de soi, l’esprit se perçoit comme une entité

douée de pensée, une « chose pensante »

Le doute peut s’introduire dans la relation de ma

conscience aux objets extérieurs. Mais il ne trouve pas à

s’insinuer dans la relation de ma conscience à elle-même.

La conscience fournit un accès immédiat de l’esprit à lui-

même, et n’offre donc aucune place pour le doute.

Revenons à Descartes

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La conscience introduit une différence entre la connaissance de soi

(connaissance de l’esprit par lui-même) qui est directe et

absolument certaine et la connaissance de mon corps, et de ce qui

m’est extérieur, qui est une connaissance indirecte et hypothétique. - La connaissance de soi, au sens de ce qui compose actuellement notre intériorité, est immédiate (directe), du

fait de la conscience de soi. La connaissance des autres et du monde repose sur des hypothèses, que le doute a

d’ailleurs suspendues.

- Dans la suite de son œuvre des Méditations métaphysiques, Descartes réintroduit la thèse de l’existence des corps,

des autres, bref, du monde. Mais il ne réintroduit pas par là l’identification de moi et de mon corps. Car même

s’il est vrai que j’ai un corps et un cerveau, cette vérité n’est que contingente : je peux me concevoir sans mon

corps (par l’épreuve du doute hyperbolique).

En revanche, je ne peux pas me concevoir sans mon esprit: je suis mon esprit.

Cette vérité est nécessaire. D’une différence dans le mode de connaissance (immédiat / médiat ; nécessaire /

contingent), Descartes déduit une différence dans le mode d’existence: mon esprit n’est pas mon corps.

Conclusion: même si j’ai un corps, je ne suis pas ce corps, et cet

esprit que je suis en est bien distinct: ce sont deux choses

radicalement différentes, indépendantes. On dit que ce sont deux

« substances » distinctes.

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4- le problème de l’interaction

Problème: comment penser dans un tel cadre

... le fait que je perçoive mon propre corps et les êtres environnant mon

corps (sensations et sentiment de douleur, plaisir, fatigue, etc.), puisque ces

perceptions reposent apparemment sur l’action du corps sur l’esprit ?

... le fait que je puisse modifier la position de mon corps et son

environnement en fonction de certaines intentions , puisque ce pouvoir

repose apparemment sur l’action de l’esprit sur le corps ?

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Descartes soutient que l’esprit et le corps peuvent interagir causalement :

il y a interaction causale entre l’un et l’autre :

Tel changement d’état de la « substance étendue » (le corps) peut causer un

changement d’état de la « substance pensante » (l’esprit), et inversement.

Précisons:

... le fait que des terminaisons nerveuses soient stimulées dans le corps

cause par exemple une sensation de douleur dans l’esprit (l’impression

d’une onde lumineuse sur ma rétine, relayée par des influx nerveux

parvenant au cerveau produit une sensation de couleur)

... un acte de volonté dans l’esprit cause le fait que mon corps se mette en

mouvement dans une direction donnée: un changement d’état mental (je

veux maintenant lever mon bras) produit un changement d’état physique

(mon bras se lève).

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Selon Descartes, qui a fait de la biologie, cette interaction se produit

dans une partie du cerveau qu’il nomme « glande pinéale »

(épiphyse).

Les deux substances y sont « unies », on parle d’union de l’âme et du

corps.

Dessin de Descartes

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Via la ‘glande pinéale’, … les actes de l’esprit (désirs, volontés) stimulent le système nerveux et commandent ainsi des mouvements corporels … des mouvements corporels (ex: stimulation de la rétine) et les influx nerveux qu’ils produisent dans l’âme des pensées.

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Via la ‘glande pinéale’, … les actes de l’esprit (désirs, volontés) stimulent le système nerveux et commandent ainsi des mouvements corporels … des mouvements corporels (ex: stimulation de la rétine) et les influx nerveux qu’ils produisent dans l’âme des pensées.

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5- objection : comment une substance immatérielle peut-elle agir sur

une substance matérielle ?

comment une substance qui n’est pas de nature spatiale pourrait-elle

bien être unie avec une substance étendue dans l’espace ?

Comment pourrait-elle communiquer un mouvement à un corps (ou subir

un mouvement) sans posséder elle-même des propriétés physiques ?

Il semble en effet que pour qu’un agent puisse modifier un état physique il

faut qu’il soit lui-même physique.

Si un ‘fantôme’ fait grincer l’armoire, si un ‘esprit’ fait se déplacer un verre,

alors cet agent est en fait un agent physique, non pas un esprit immatériel

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L’hypothèse cartésienne semble contredite par le principe de la clôture causale du monde : un phénomène physique, quel qu’il soit, possède une cause physique qui suffit à l’expliquer. Ce principe paraît massivement confirmé par l’induction : il semble que nul n’ait jamais été témoin d’un fait physique auquel on ne puisse assigner de cause physique. Descartes, en fait, soutient que le cas de l’action de l’esprit sur le corps est effectivement exceptionnel dans l’ordre de la nature. Mais on peut lui reprocher que ce caractère exceptionnel est de l’ordre du miracle (intervention extraordinaire d’une cause non physique dans l’ordre de la nature). Pourtant, Descartes prétend expliquer de manière rationnelle le fonctionnement normal de l’être humain. En ce qui concerne plus précisément le cerveau, on devrait pouvoir observer régulièrement des événements cérébraux sans aucune cause cérébrale. Or, aucun événement de cette sorte n’a jamais été observé par quiconque.

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II- Le matérialisme : l’esprit se réduit à la matière

L’esprit n’est-il pas avant tout l’esprit d’un individu qui est lui-même un

système physique, matériel ? L’esprit n’est-il pas, comme toute chose

matérielle, l’effet de causes matérielles ?

Il n’y a pas de problème de l’union car il n’y a pas deux substances

réellement distinctes.

Il n’existe qu’un seul genre de choses : les choses matérielles, les corps

physiques. Le monisme ( de « monos », un seul) matérialiste suppose

que ce n’est pas un esprit immatériel qui est le support des phénomènes

mentaux, mais le cerveau.

Le médecin français Pierre Cabanis au XVIIIe siècle

résume bien cette position en écrivant :

« Le cerveau sécrète la pensée comme le foie sécrète la bile. »

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Les philosophes matérialistes disent que les états mentaux

sont identiques à certains processus physiques. Il s’enracine

dans l’antiquité grecque avec Démocrite et Epicure qui

soutiennent que la pensée est matérielle,

composée d’atomes comme tous les êtres.

Le matérialisme moderne les identifient à des états ou processus

neurophysiologiques qui se déroulent dans le cerveau : La pensée n’est que

le résultat de courants électrochimiques qui se produisent dans des aires

particulières du cerveau.

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On appelle plus précisément matérialisme éliminativiste toute théorie selon laquelle l’esprit comme tel (et la conscience) n’existe pas, parce qu’il se réduisent purement et simplement aux processus du cerveau. Certes il y a apparemment des propriétés mentales distinctes des propriétés physiques. Ainsi, l’expérience de notre propre pensée répugne à une telle assimilation de cette dernière à un corps physique : mes propres pensées ne m’apparaissent pas du tout de la même manière que les êtres physiques... Mais cette expérience interne, celle de la conscience, selon les matérialistes, serait illusoire. Par exemple, une souffrance « morale » ou est en fait une souffrance physique ou, ce qui est plus probable, n’est pas à proprement parle une « souffrance » comme nous l’entendons au sens commun (une sensation subjective, consciente). Notre dualisme spontané (physique / moral) doit être éliminé.

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Il y a apparemment deux types de propriétés : des propriétés mentales et

des propriétés physiques.

Mais nous avons qu’il y a des corrélations rigoureuses entre ces propriétés

Considérons notamment 3 types de faits mettant en évidence la corrélation:

a- l’étude de pathologie mentale affectant certains sujets a révélé

l’existence de liaisons cérébrales. C’est Broca qui le premier a découvert

cette corrélation : une aphasie peut s’expliquer par une liaison dans l’aire

cérébrale qui deviendra l’aire de Broca. Il en est de même pour l’amnésie.

b-on sait depuis toujours que telle stimulation du corps produit tel état

mental (par exemple, une écorchure au coude produit une douleur). Mais

les neurosciences ont mis en valeur

… l’existence de corrélation plus étroite : c’est telle excitation neuronale (les

« fibres nerveuses C ») qui produit la douleur

… on peut modifier les états mentaux en agissant sur les

transmissions neuronales par le biais d’agents chimiques : anti-douleur

pour la douleur, anxiolytique pour l’anxiété, antidépresseur pour les états

dépressifs.

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c- l’activité du cerveau d’une personne qui fournit une activité mentale est observée grâce aux techniques de l’imagerie cérébrale. Selon la conception éliminativiste, on peut ainsi observer directement l’activité de l’esprit. En principe, on pourrait un jour lire les pensées… en regardant le cerveau .

par Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM)

L'électro-encéphalographie

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Selon le philosophe contemporain le plus important de ce courant J.J.C. Smart, on ne peut rendre compte correctement de telles

corrélation qu’en affirmant la réduction pure et simple (donc

l’élimination) des propriétés mentales aux propriétés physiques.

Il pense ainsi qu’il s’agit de la meilleure explication de ses faits

(principes de l’inférence en faveur de la meilleure explication)

-Pourquoi l’éclair se produit-il systématiquement

en corrélation avec des décharges électriques qui

se produisent dans l’atmosphère ?

La meilleure explication est qu’ils sont strictement

Identiques. L’éclair n’est que l’apparence que prend,

Pour les hommes, ces décharges électriques.

tout état mental (tel que croire, désirer, aimer, souffrir, etc. ) est identique à un état neurophysiologique du cerveau.

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Ce qui justifie principalement l’élimination pure et simple de l’esprit est le principe du « rasoir d’Occam », qui a deux aspects : - Aspect ontologique : ne pas multiplier les entités sans nécessité -Aspect épistémologique : ce qui peut être fait avec moins d’hypothèses ne doit pas être fait avec plus.

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Smart ajoute que chaque état mental est identique à un et un seul état du cerveau.

Remarque: l’état actuel des neurosciences (sciences du cerveaux) ne permet pas de spécifier

exactement quels sont les types d’états cérébraux qui sont identiques aux types d’états

mentaux..

Mais Smart postule que les neurosciences pourront un jour déterminer tous ces types

d’identité. On pourrait un jour traduire les termes psychologiques tels que « aimer » (un état

mental) en une formulation physique telle que : « Aimer est identique à la stimulation xyz à la

vitesse v, dans la région 2304 du cerveau ».

La théorie de Smart offre donc un programme de recherche pour les neurosciences.

Une certaine activité neuronale (les cellules nerveuses qui composent le cerveau)

= L’amour qu’éprouve une personne envers une autre personne

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- objection : -il est exagéré d’espérer que pour tout type d’état mental il y ait un seul et unique type d’état neurophysiologique auquel il soit identique : rien n’assure que seule l’espèce pourvu de neurones ai des propriétés mentales. Ainsi, les membres d’autres espèces biologiques semblent pouvoir avoir des douleurs, bien que ces douleurs soient liées à un autre type de processus physiologique. -De plus on sait aujourd’hui que la localisation des fonctions mentales n’est pas précise et peut varier (plasticité du cerveau)

La réduction matérialiste des états mentaux à des phénomènes cérébraux est donc difficile à tenir. Mais alors, si deux individus (humains ou non) qui sont dans le même état mental sont dans des états cérébraux ou plus généralement physiologiques différents, qu’est-ce qui fait de ces états le même état mental ? Qu’ont donc en commun deux personnes qui aiment ou qui souffrent, etc, si elles peuvent être dans des états cérébraux différents ? Serait-ce quelque chose de non physique, conformément à ce que soutient le dualisme cartésien ? Ce serait retomber dans les difficultés insolubles du dualisme... il faut une autre solution.

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Objections au fonctionnalisme et au matérialisme en général : -le matérialisme élimine la dimension subjective, vécu des états mentaux. Certes, il s’appuie sur le principe de rasoir d’Occam : la théorie est plus simple, plus économe. Mais n’est-elle pas en fait véritablement incomplète? Peut-elle rendre compte de la vie psychique?

l’étude objective des processus physiologiques du cerveau fait complètement abstraction de la manière dont nous vivons intérieurement, subjectivement ces processus. Le « ce que ça fait que d’être » soi, de sentir, de percevoir, de penser, de se souvenir, etc. en fait, élimine la conscience qui donne à nos états mentaux leur dimension subjective. En effet, il semble qu’il y ait une expérience tout à fait singulière correspondant à l’état mental de voir du mauve ou du jaune, d’aimer un homme ou une femme, d’éprouver un mal de cœur, d’être déprimé, etc. Cette expérience est donné à la conscience. Le matérialisme en général ne parvient pas à rendre compte de cet aspect. - Le matérialisme et le fonctionnalisme étudient le cerveau et l’esprit en laboratoire, comme si l’être vivant doué d’une vie et d’une vie mentale était indépendant du milieu naturel d’une part, social d’autre part. Reconnaître qu’un être est vivant et doué d’une vie mentale, c’est ipso facto reconnaître qu’il existe dans un milieu naturel et social.

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III – l’esprit n’est pas une substance (matérielle ou immatérielle),

c’est une certaine capacité attachée à certains animaux sociaux.

Ludwig Wittgenstein

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A- l’esprit induit une conscience : une intériorité, une subjectivité 1-le point de vue subjectif est irréductible … contre la réduction matérialiste en général : Locke et les couleurs; l’argument de Mary … Nagel 2- l’analyse de Brentano : faits physiques et faits intentionnels 3- contre la réduction au modèle informatique : Searle et la chambre chinoise. B- l’erreur de catégorie 1- la notion de catégorie 2- l’erreur de catégorie À quelle catégorie appartient l’esprit ? C- l’esprit est une certaine capacité 1- l’esprit n’est pas une chose, c’est une certaine capacité (Kenny) 2-l’esprit et la conscience ne sont pas simplement intérieure. 3-La dépendance de l’esprit à l’égard du contexte naturel et social.

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A- l’esprit induit une conscience : une intériorité, une subjectivité 1- l’irréductibilité du point de vue subjectif de la conscience … Arguments de Mary (Franck Jackson) : quelqu’un peut disposer de toutes les informations sur la physique des couleurs et la neurophysiologie de la perception, bref, il peut savoir parfaitement ce qu’est la couleur d’un point de vue objectif. Mais s’il n’a pas le vécu des couleurs que les animaux et l’homme semblent avoir, il lui manque une connaissance de quelque chose de très important sur les couleurs qui n’est pas contenu dans leur description causale ou physique, mais qui est réservée à ceux-là seuls qui en font l’expérience sensible. Il y a quelque chose d’irréductible dans l’expérience subjective des état mentaux. Dans le même genre, imaginons un homme en train de savourer du chocolat. Ses récepteurs gustatifs, stimulés, donnent naissance à des influx nerveux qui se propagent dans le cerveau et qui lui font reconnaître le goût du chocolat. Si un scientifique enlevait la calotte crânienne de cet homme; il n’y verrait que de la matière grise. Grâce aux techniques d’imagerie, il pourrait voir que certaines régions sont activées et d’autres pas. Mais percevrait-il le goût du chocolat? … l’argument des chauves-souris de Nagel est proche, mais vise plus spécifiquement la conception fonctionnaliste. … argument des couleurs de Locke : vers l’idée d’intériorité;

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2- faits physiques et ‘faits’ intentionnels L’homme n’a pas seulement la capacité de réagir aux données de l’environnement, comme une machine doué d’un ordinateur interne. L’ordinateur ne pense à rien. Un homme, déjà, est vivant, en rapport avec un milieu, et il est en plus capable de se rapporter « en lui-même » à ce milieu: il peut penser à quelque chose – ce qu’on nomme l’intentionnalité, la propriété qu’a la conscience de porter sur autre chose que soi. C’est ce que montre Searle avec l’argument de la chambre chinoise Qu’est-ce que l’intentionnalité ? Brentano et Husserl Voir Kim p. 26 sqq. et surtout 28 Partir des objets inexistants, que l’on recherche, que l’on espérer trouver, auquel on croit, etc. Pas de différence dans la recherche de Schliemann qui cherchait Troie et l’a trouvé et Ponce de Léon qui cherchait la fontaine de Jouvence et ne l’a jamais trouvée. De même que Dieu existe ou n’existe pas ne change rien du point de vue mental

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B- dualisme et matérialisme éliminativiste commettent une erreur de catégorie Dans la notion d’esprit (1949), Gilbert Ryle dénonce une erreur qu’il attribue à Descartes, mais qui est aussi commune au matérialisme éliminativiste. Descartes voit que les pensées (au sens large : croyances, raisonnement, désirs, sentiments...) n’ont pas les mêmes propriétés que les êtres et états physiques. Il en induit alors qu’elles sont autre chose que cela, soit : un autre genre de chose. Descartes raisonne ainsi : il y a le corps (matière) et il y a quelque chose qui n’est pas du corps, c’est donc une autre chose (une « substance ») qu’on appellera « esprit » (et qu’on déterminera par des propriétés contraires à celle du corps : sans dimension spatiale, immatériel...). Mais ce raisonnement est incorrect. Qu’il s’agisse d’autre chose, on ne peut en inférer qu’il s’agisse d’une autre chose, ou d’un autre genre de chose : le terme de « chose » ou de substance n’est pas neutre. Il désigne un être indépendant d’autres êtres, qui a son propre être, par lui-même. Ryle dit que Descartes fait une « erreur de catégorie ».

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Une catégorie est, au sens philosophique, depuis Aristote, un des concepts les plus généraux. Ils disent les différents genres de l’être (tout ce qui est). Une chose (substance) n’est pas de la même catégorie qu’une couleur (qui appartient à la catégorie « qualité ») ni que le nombre d’une chose (il mesure 1.70 : catégorie « quantité »). Ces deux dernières font partie des « êtres » dépendant d’autres choses qu’eux-mêmes : ce ne sont pas des choses à part entière, des ‘substances’, ce sont des propriétés des choses . Descartes range dans la même catégorie corps et esprit : tous deux sont des substances (choses, êtres indépendants). Là est son erreur. Il est vrai que l’esprit n’est pas visible (de même, un nombre n’a pas de couleur...). Mais Descartes en fait alors une chose invisible. Et puisqu’il y a des rapports très étroits entre corps et esprit, alors il loge cette chose invisible dans le corps, ce qui donne une réalité fantomatique qui habite le corps. On arrive ainsi à une réalité intérieure bien mystérieuse. Pourtant, de ce que l’esprit n’est pas un corps, on ne peut en conclure qu’il est une autre substance, une autre chose, de même que de ce que l’université n’est pas les bâtiments de l’université, on ne peut en déduire qu’elle est une autre « chose » : l’esprit, comme l’université, relève d’une autre catégorie que celle de la « substance » ou chose. Tel est le raisonnement de Gilbert Ryle : il compare Descartes à un étranger qui visiterait une université , et qui, après avoir visité tous les bâtiments de l’université, dirait : « j’ai visité les amphithéâtres, les bâtiments de l’administration, le campus, etc., mais où est l’université? » cet individu croirait que l’université est une partie de l’université, et n’aurait pas compris qu’elle n’est que l’arrangement des bâtiments qu’il a vu, et l’institution qui les emploie. Il reste à déterminer à quel genre d’être appartient l’esprit: on n’a fait qu’éliminer une possibilité. À quelle catégorie appartient l’esprit ?

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Mais peut-on préciser ce qu’est l’esprit, si ce n’est pas une « chose » intérieure, accessible à la conscience ou à l’étude du cerveau ? Qu’est-ce que c’est ?

Le philosophe Kim développe une analogie intéressante avec l’expression « danser une valse ». Le fait qu’on puisse danser une valse n’implique pas qu’il existe des entités d’une nature spécifique, nommées ‘valses’. Une valse n’est en effet pas une entité substantielle, mais une certaine manière de danser ; il s’agit, autrement dit, d’un type de comportement, et non d’une chose.

Jaegwon Kim (1934-)

Peut-être en va-t-il exactement de même de l’esprit : de même que les valses sont des façons de danser, le fait d’avoir un esprit pourrait n’être rien d’autre qu’une capacité complexe de certains organismes. Dire qu’une personne a un esprit reviendrait alors non pas à soutenir l’existence d’une substance particulière à côté du corps de la personne, mais à soutenir que la personne en question possède un ensemble de capacités, ou un ensemble de propriétés, qui la différencient d’une pierre ou d’une plante.

C- l’esprit n’est pas une chose, c’est une certaine capacité des personnes humaines(Kenny) 1-l’esprit est une certaine capacité.

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« Les êtres humains sont des corps vivants d’un certain genre, qui ont différentes capacités. L’esprit humain est la capacité d’acquérir des aptitudes intellectuelles : une capacité est elle-même une aptitude, mais une aptitude de second-ordre, l’aptitude à acquérir des aptitudes. Le véhicule de l’esprit humain est le cerveau humain. Les êtres humains et leurs cerveaux sont matériels ; mais pas leurs esprits parce qu’ils sont des capacités. Cela ne veut pas dire qu’ils sont des « esprits » (spirits). L’aptitude d’un piquet rond à rentrer dans un trou rond n’est pas un objet physique comme le piquet rond lui-même, mais personne ne suggèrera qu’il s’agit d’un esprit. Ce n’est pas par adhésion au spiritualisme, mais par simple souci de clarté conceptuelle que nous insistons sur le fait que l’esprit n’est pas un objet physique et n’a pas de longueur ni d’épaisseur. »

Kenny, « Language and mind », The Legacy of Wittgenstein, p. 139.

Anthony J. P. Kenny (1931- )

2-capacité de premier ordre et capacité de second ordre Kenny, un disciple de Wittgenstein, précise : l’esprit est une certaine aptitude.

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Il faut distinguer entre capacité et conditions physiques d’une capacité.

L’esprit est une capacité, et plus précisément la capacité d’acquérir des aptitudes intellectuelles, c’est-à-dire à maîtriser des techniques de pensée. La maîtrise du langage est l’une des aptitudes les plus importantes (puisque l’acquisition des autres aptitudes en dépend comme par exemple l’aptitude à faire des mathématiques).

Le possesseur ou le sujet d’une aptitude est ce qui a l’aptitude. Par exemple, je suis le possesseur de mon aptitude linguistique.

Le « véhicule » ou la condition d’une aptitude est donc cette partie du possesseur en vertu de quoi il est apte à exercer son aptitude. Par exemple, mon œil est une partie du véhicule ou des conditions de mon aptitude à voir. Un véhicule est quelque chose de concret et de plus ou moins tangible. Mais l’aptitude ou la capacité n’a ni longueur ni épaisseur ni lieu. Cela ne signifie pas qu’elle est une chose spirituelle: la capacité du piquet d’entrer dans la terre n’est pas le piquet lui-même, mais n’est pas une « chose » spirituelle. C’est une certaine propriété de la substance matérielle, du corps physique.

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3-l’esprit et la conscience ne sont pas simplement intérieure. La dépendance de l’esprit à l’égard du contexte naturel et social.

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-Les pensées ne sont pas à concevoir uniquement comme des réalités intérieures à l’esprit d’une personne

Dans les deux cas, l’esprit est dedans. Il y aurait ainsi dans l’esprit des croyances, des désirs, des représentations qui seraient les causes de manifestations extérieures (comportements, actions, paroles)

Le présupposé commun au dualisme et au matérialisme (éliminativiste ou fonctionnaliste) est que le sujet de la pensée est une partie, matérielle ou immatérielle, de la personne. Ce sont donc deux philosophies internalistes dans la mesure où elles conçoivent les pensées comme des « petites choses », des propriétés internes à l’esprit ou au cerveau individuel considéré.

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- Le matérialisme peut tenir compte du fait que nos pensées sont relatives à un milieu naturel. Mais elles sont surtout relatives à un milieu historique. cf. l’argument de l’homme préhistorique (diffusée en France par Vincent Descombes) : si l’on veut réduire la pensée à un état du cerveau, alors le scénario suivant serait crédible: un homme préhistorique reçoit de la foudre, accident qui le met dans un état cérébral équivalent à la pensée « il faut que j’aille à la banque ». Si la pensée se réduit à un état du cerveau, alors on ne voit pas pourquoi ce phénomène serait impossible. Or, il nous semble bien impossible d’avoir une pensée relative à la banque dans un monde où n’existe aucune banque. Nos pensées sont relatives à un milieu social et historique. Une théorie de l’esprit doit donc pouvoir en rendre compte. Or le matérialisme ne le peut pas. Cet argument est double : il contre le matérialisme, mais aussi toute les théories dîtes « internaliste » de l’esprit, selon lesquelles toutes nos pensées se produisent « à l’intérieur », du cerveau ou de l’esprit.

Il faut que j’aille à la banque !

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Pourtant, on peut soutenir qu’il n’est ni suffisant, ni nécessaire que l’esprit ou la pensée soit un processus intérieur, « spirituel » (à la manière de Descartes) ou cérébral.

-ni suffisant : Car le cerveau d’un homme préhistorique a bien pu se trouver dans un état physiologique semblable au mien lorsque je pense « je vais à la banque ». L’homme préhistorique a même pu avoir présent à l’esprit une image semblable à une image de banque Une image mentale.

- Mais dans le contexte historique qui est le sien, cette pensée n’a pas de sens, elle ne peut pas être pensée.

Il faut que j’aille à la banque !

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-ni nécessaire : prenons , comma activité mentale, le cas du langage: la parole ou l’écriture ont quelque chose de mental dans la mesure où elles ne sont pas que des sons ou des traits, mais sont doués de sens.

Wittgenstein se sert de cet exemple pour soutenir la thèse suivante: la pensée n’est pas un processus interne qui accompagne le discours et lui confère sa signification en transposant nos pensées en énonciations dans un autre symbolisme public (ce que croyait Descartes)

Si c’était le cas, je pourrais me tromper deux fois. Une première fois en lisant sur l’écran interne où s’affichent les images ou les mots privés et une seconde fois en les traduisant dans le langage public des signes.

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L’esprit est accessible directement dans les actions humaines, intentionnelles, dans les diverses formes de la culture et des institutions humaines, dans le langage.

En effet, il est arbitraire de ne considérer comme mentaux que les phénomènes intérieurs : les actions humaines, dans la mesure où elle manifeste une intention ou une signification relèvent du mental.

Par exemple, la promenade du promeneur est une chose mentale si elle est faite dans un but : les mouvements du promeneur sont faits dans l’intention de se promener.

Dès lors, il faut reconnaître que ce qui caractérise la mentalité, l’esprit, c’est le pouvoir de produire quelque part un ordre de sens.

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L’esprit est attribué à la personne complète plutôt qu’à une partie, matérielle ou immatérielle, du corps de la personne

Le présupposé commun au spiritualisme et au matérialisme : le sujet de la pensée est une partie, matérielle ou immatérielle, de la personne. Mais la question devrait d’abord être : le sujet de la pensée ne pourrait-il pas être la personne dans son entier ?

C’est ce que soutient Wittgenstein: les capacités mentales doivent être attribuées à la personne dans son entier.

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Conclusion

Sous l’effet d’une analogie entre la possession d’un attribut observable comme des crocs, des griffes, bref d’un organe et la possession d’une capacité, nous sommes tentés de nous exprimer ainsi :

« Si le fauve est doué de crocs et de griffes acérés, l’homme est doué d’un esprit ».

Cette façon de s’exprimer devient problématique lorsque nous croyons illusoirement avoir expliqué quoique ce soit en disant que si l’homme est capable de suivre des règles et de saisir des buts, c’est parce qu’il a un esprit. La vérité est que c’est parce qu’il est capable de suivre des règles et de saisir des buts que nous disons qu’il a un esprit : le mot esprit sert à abréger notre expression de cette capacité complexe.

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Qu’est-ce qu’un esprit ?

a) L’esprit est-il une substance matérielle ou immatérielle ?

b) Est-ce la détention d’un esprit qui rend l’homme capable de suivre des règles ?

c) Comment l’homme fait-il pour suivre activement des règles culturelles inventées sans être déterminé mécaniquement par les lois de la nature ?

Qu’est-ce qu’une griffe ?

a) Une griffe est une substance matérielle. [nature = essence]

b) Une griffe rend capable d’agripper des aliments et de blesser des proies ou des adversaires. [fonction]

c) Les griffes sont une caractéristique héréditaire de certaines espèces. [origine]

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l’esprit est-il une substance immatérielle ?

L’esprit n’est pas une substance immatérielle, mais désigne un ensemble complexe de capacités à suivre des règles et à comprendre des buts.

Est-ce la détention d’un esprit qui rend l’homme capable de suivre des règles ?

L’esprit n’est pas la cause qui explique que l’homme soit capable de suivre des règles, mais cette capacité même.

Connaît-on indirectement ou directement les pensées d’autrui?

nous avons accès directement aux pensées d’autrui, qui sont immanentes à ses activités signifiantes, comme la parole.

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Critique du théatre cartésien (Denett)

Modèle classique de l’esprit

Une recension des caractéristiques de cette conception de la conscience donnerait quelque chose comme la liste suivante : la perception est une fenêtre transparente sur le monde; les actions ont comme causes les intentions générées librement par la conscience; ces intentions se forment dans la conscience sur la base de prémisses consciemment accessibles;

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Il n’est ni suffisant, ni nécessaire, ni même souhaitable qu’une image ou un mot traverse mon esprit pour penser

- ni suffisant : Car je peux avoir une image ou un mot présents à l’esprit sans rien penser du tout

- ni nécessaire : Car je peux penser à un problème sans qu’aucune image ou aucun mot ne me traverse l’esprit.

- souhaitable : Car je dois pouvoir comprendre des mots sans recourir à l’évocation d’images.

En effet, si nous étions incapables de comprendre les mots sans que ces mots n’évoquent en nous des images, nous serions également incapables de distinguer ces deux pensées : « La Joconde visite le Japon » et « Une excellente copie de la Joconde a été envoyée au Japon ».

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Il n’est ni suffisant, ni nécessaire, ni même souhaitable que la pensée soit un processus cérébral de manipulation de symboles

- ni suffisant : Car le cerveau d’un homme préhistorique a bien pu se trouver dans un état physiologique semblable au mien lorsque je pense « je vais à la banque ». Mais dans le contexte historique qui est le sien, cette pensée n’a pas de sens, elle ne peut pas être pensée.

Il faut que j’aille à la banque !

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- ni nécessaire : Car si l’écriture est une activité que nous accomplissons avec notre main, la réflexion n’est pas une activité que nous accomplissons avec le cerveau, puisque celui-ci n’est pas un organe que nous contrôlons.

- ni souhaitable :

La pensée n’est pas un processus cérébral interne qui accompagne le discours et lui confère sa signification en transposant nos pensées en énonciations dans un autre symbolisme public.

Si c’était le cas, je pourrais me tromper deux fois. Une première fois en lisant sur l’écran interne où s’affichent les images ou les mots privés et une seconde fois en les traduisant dans le langage public des signes.

Pensée Langage

Traduction de la pensée dans le langage :

« Japon ! »

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L’esprit est accessible directement dans les actions humaines, intentionnelles, dans les diverses formes de la culture et des institutions humaines, dans le langage.

En effet, il est arbitraire de ne considérer comme mentaux que les phénomènes intérieurs : les actions humaines, dans la mesure où elle manifeste une intention, relèvent du mental. Ce qui distinguera un simple mouvement d’une action sera la capacité à comprendre les mouvements comme s’intégrant dans un projet orienté vers un but, une fin.

Par exemple, la promenade du promeneur est une chose mentale si elle est faite dans un but : les mouvements du promeneur sont faits dans l’intention de se promener.

Dès lors, il faut reconnaître que ce qui caractérise la mentalité, l’esprit, c’est le pouvoir de produire quelque part un ordre de sens, c’est-à-dire une relation de moyen à fin.