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La transplantation d’organes en Espagne et en France: Éléments pour la
compréhension du modèle espagnol
David Rodríguez-Arias Vailhen 1
Manuel Wolf 2
Depuis ses débuts, dans les années 1950, la transplantation d’organes est devenue une
stratégie thérapeutique dont l’efficacité, en espérance et en qualité de vie, a été prouvée.
Pour des organes comme le rein, dont les fonctions peuvent être remplacées par une
thérapeutique alternative (la dialyse), la transplantation n’est pas vitale, mais elle donne
aux patients une qualité de vie nettement meilleure. Par ailleurs, elle s’est avérée
économiquement plus avantageuse que la dialyse à partir de la deuxième année après
greffe3. Dans le cas des « greffes vitales » telles que celles de cœur, de poumon ou de
foie, la valeur de la transplantation ne saurait être calculée, à moins que l’on veuille
donner un « coût » à la vie humaine. La transplantation suscite aujourd’hui davantage
l’admiration que des interrogations de la part de la société.
Malheureusement, dans tous les pays du monde, le nombre de patients en attente d’une
greffe augmente chaque année, sans qu’une augmentation parallèle du nombre de
donneurs puisse répondre à cette demande. En 2005, 186 patients en attente d’un organe
sont décédés en France et 170 en Espagne.
De 14 dons par million d’habitants en 1989, l’Espagne a atteint le chiffre record de 35,1
donneurs prélevés par million d’habitants (pmh) en 2005, se situant ainsi comme le
pays du monde dont l’activité de transplantation est la plus intense, suivie de pays
comme l’Italie, l’Irlande, le Portugal, les USA, la France ou le Royaume Uni, aucun ne
dépassant le chiffre de 25 dons pmh. En avril 2005, on pouvait lire dans un journal
espagnol : “L’Organización Nacional de Trasplantes [Organisation Nationale de
Transplantation] bat son record d’activité quotidien, après avoir coordonné 12 dons en
13 heures. La mobilisation de 500 personnes et 21 hôpitaux espagnols a permis de
greffer 32 patients, dont cinq enfants4 ». Durant ces coordinations, 21 hôpitaux ainsi que
1 Laboratoire d’Ethique Médicale, Université Paris-5 ; Área de Ética, Universidad de Salamanca 2 Laboratoire d’Éthique Médicale, Université Paris-5 ; Réanimation médicale, CHR d’Orléans 3 Whiting JF et al. : Cost-effectiveness of organ donation : evaluating investment into donor action and other donor initiatives. Am J Transplant 2004, 4, 569-573 4 http://www.consumer.es/web/es/salud/, 28 de abril de 2005
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plus de 10 régions ont été sollicités5. L’avantage significatif du taux de dons
cadavériques en Espagne perdure depuis la création de l’Organización Nacional de
Trasplantes (ONT) et a fait de ce pays un modèle international que bien d’autres –
l’Italie, l’Australie, le Brésil, les Etats-Unis- ont reproduit partiellement6, avec des
résultats satisfaisants. Malgré les efforts de l’ONT pour enseigner et communiquer la
recette du « spanish model », aucun autre pays n’a réussi à se rapprocher des chiffres
espagnols7.
Face à cette situation de perplexité relative et étant donné que la vie de beaucoup de
personnes dépend du taux des dons, il faut chercher à comprendre les raisons de ces
différences. On serait tenté de penser que le succès espagnol « est seulement dû à des
facteurs culturels ». Tout d’abord, la « culture » est une justification vague à laquelle on
fait appel lorsqu’on manque d’explication plus précise sur les différences que l’on
constate empiriquement entre les données statistiques provenant de deux régions
différentes. Or, il n’est pas du tout prouvé que la culture soit une cause ou une
conséquence, voire les deux simultanément, des conditions historiques,
démographiques, politiques, économiques, éducationnelles ou technologiques d’une
société quelconque. En outre, l’hypothèse culturaliste reste insuffisante car elle manque
de capacité explicative. La religion catholique –pour donner un exemple récurrent- reste
majoritaire en Espagne mais également dans d’autres pays qui sont grands promoteurs
du don d’organes, comme le Portugal ou l’Italie. On peut donc considérer la charité –
valeur chrétienne- comme une pré-condition de la générosité de la population
espagnole, comme celle des Portugais, des Irlandais, des Italiens ou des Français.
L’avantage stable de plus de 30% des donneurs en Espagne par rapport à tous les autres
pays, oblige néanmoins à chercher d’autres explications. Finalement, la culture est
justement ce que l’on ne peut pas maîtriser : si les différences sont dues à la culture, tout
effort pour importer le modèle espagnol, à court terme ou à moyen terme, serait vain.
Les auteurs qui ont abordé la question des conditions spécifiques du modèle espagnol
parlent d’un phénomène multifactoriel8. Nous allons analyser ces facteurs au cours de
cet exposé9.
5 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 127 6 http://www.ont.msc.es/proyecIntern/proyec/home.htm 7 Certaines régions de l’Italie, comme la Toscane, et de la France, comme le Limousin (avec 42,5 dons pmh) ont récemment enregistré des taux de dons similaires, voire parfois supérieurs, à ceux de l’Espagne. 8 S. COHEN , A. Dunbavand , C. Hiesse , M. Hummer , C. Boileau , E. Luciolli : Conférences d'actualisation 2003, p. 545-566. © 2003 Elsevier SAS. De l'état de mort encéphalique à la greffe ;
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Dans ce travail nous prétendons comparer les différences entre les modèles français et
espagnol et comprendre leurs implications à deux moments fondamentaux de la
transplantation : l’identification du donneur potentiel et l’entretien avec les proches. À
partir des données empiriques disponibles dans les sites officiels de l’ONT et de
l’Agence de la Biomédecine (AB), nous allons comparer de près les deux réalités :
espagnole et française. Nous analyserons ensuite les moyens investis en Espagne,
susceptibles d’avoir participé au succès de la transplantation et nous comparerons ces
moyens avec ceux qui ont été mis en place dans le contexte Français.
INTRODUCTION
Entre le moment de l’identification du donneur et celui de la greffe des organes
prélevés, plus de 24 heures peuvent s’écouler, durant lesquelles une activité très intense
et organisée est réalisée. Celle-ci peut se résumer par les étapes suivantes :
- Recensement du donneur potentiel
- Maintien du donneur
- Diagnostic (et confirmation) de la mort du patient
- Accompagnement et discussion avec les proches: recueil de leur témoignage/
permission de prélèvement
- Analyse des organes prélevables du donneur
- Contact avec d’autres hôpitaux et identification dans la liste d’attente du ou
des récepteurs
- Analyse de compatibilité du receveur
- Contact avec les receveurs
- Coordination des équipes de prélèvement et de greffe
- Déplacement des équipes de greffe depuis les différents hôpitaux jusqu’au
centre dans lequel se trouve le donneur
- Prélèvement chirurgical des greffons
- Conservation des organes prélevés
- Administration du protocole d’immunosuppression au receveur
- Transportation du greffon jusqu’à l’hôpital où se trouve le receveur
Borrillo, D. (2000). Don et transplantation d'organes: le modèle espagnol. Éthique et Transplantation d'organes. J.-F. Collange. Paris, Ellipses: 172-177 9 Ce travail s’inscrit dans un projet de recherche plus large, financé par l’Agence de la Biomédecine, dans le cadre d’une collaboration entre le Laboratoire d’Éthique Médicale de l’Université Paris-5, l’Université de Salamanque en Espagne, et le Case Western Reserve University de Cleveland (État d’Ohio).
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- Substitution chirurgicale de l’organe malade du receveur par l’organe
provenant du don
Il est fondamental que les premières phases se déroulent avec efficacité. R. Matesanz et
B. Miranda, de la direction de l’ONT, estiment que la pénurie de greffons n’est pas due
à un manque de donneurs potentiels, mais au fait que peu de donneurs potentiels
deviennent des donneurs réels10. Ainsi, l’hypothèse maintenue par la direction de l’ONT
renforce l’idée que le succès de l’activité de transplantation en Espagne se décide
fondamentalement dans les premières phases du processus : la détection des donneurs
potentiels et l’obtention de l’autorisation de la part des proches pour le prélèvement.
Les statistiques espagnoles et françaises montrent que les causes de décès des donneurs
sont similaires dans les deux pays. Contrairement à ce qui se passait au début des
années 90, la principale cause de décès des donneurs n’est plus l’accident sur la voie
publique. En 2004, la cause majeure de décès chez les donneurs, en Espagne comme en
France, est l’accident vasculaire cérébral (AVC), qui représente 55,1% en France et
59,9% en Espagne. La proportion de ce type de donneurs parmi le total des donneurs
augmente depuis le début de la transplantation dans ces deux pays11. En 2004, les
accidents sur la voie publique concernaient 16% des donneurs en Espagne et 14% en
France.
10 Matesanz, R. and B. Miranda (2002). A decade of continuous improvement in cadaveric organ donation: the Spanish model. J Nephrol. 15: 22-8 11 En 2005, 61,1% des donneurs ont décédé pour cause d’accident cardiovasculaire.
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DU DONNEUR POTENTIEL AU DONNEUR REEL
« La première cause de perte de donneurs dans le monde entier, et celle qui fait
vraiment la différence entre les pays et les hôpitaux est la non détection de donneurs
potentiels (…). Tout pourcentage de perte pour des raisons médicales ou légales, les
refus ou n’importe quelle autre raison, reste aisément compensé par une détection
adéquate. »12
1. LE NON RECENSEMENT DES DONNEURS POTENTIELS
Dans les pays qui, comme la France, les USA ou l’Espagne, disposent d’un important
développement technologique, entre 1,2% et 4,3% des décès hospitaliers et environ
13% des décès en réanimation ont lieu par mort encéphalique13. Ces chiffres augmentent
de façon significative lorsqu’il s’agit d’hôpitaux qui disposent d’un service de
neurochirurgie, car c’est là que l’on traite les malades qui ont subi une hémorragie
cérébrale ou un traumatisme crânien. Dans les hôpitaux espagnols, par exemple, parmi
le total des personnes qui meurent en réanimation, il s’agit de mort encéphalique pour
12% à 15% et ceux-ci deviennent donneurs potentiels14.
Une méta analyse réalisée par Miranda et collaborateurs en 1997 a comparé les résultats
d’une série de 8 études qui avaient estimé l’efficacité des services de réanimation dans
l’identification de donneurs potentiels15. Les auteurs de cette méta analyse soulignent
l’impossibilité d’extrapoler, d’un hôpital à un autre, d’une région à une autre, l’écart (en
nombre) entre les donneurs potentiels « réels » et ceux qui sont détectés, car la mortalité
en réanimation et l’incidence de la mort encéphalique dépend directement du nombre de
lits pourvus de ventilation mécanique, de l’existence ou non d’un service de
neurochirurgie, etc. Dans ce sens, ils signalent que ce type de comparaisons est
seulement pertinent pour des zones très larges, avec des populations suffisamment
représentatives.
12 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosP. 107-108 13 Senouci, K., P. Guerrini, E. Diene, et al. (2004). "A survey on patients admitted in severe coma: implications for brain death identification and organ donation." Intensive Care Med 30(1): 38-44. ; Cuende, N., J. F. Canon, M. Alonso, et al. (2001). [Quality assurance program in the process of donation and transplantation at the National Organization of Transplantations]. Nefrologia. 21 Suppl 4: 65-76 14 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 123 15 Miranda, B., M. Fernandez Lucas and R. Matesanz (1997). The potential organ donor pool: international figures. Transplant Proc. 29: 1604-6
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Jusqu’à la fin des années 1990, on estimait que le taux moyen de donneurs potentiels
par million d’habitants était d’environ 50 par an16. Nous allons voir que ce chiffre est
probablement supérieur en Espagne et dans certaines régions françaises à l’heure
actuelle. L’efficacité dans l’identification des donneurs potentiels n’atteint jamais
100%, mais oscille, dans les études rapportées par Miranda et cols., entre 52% (État de
Pennsylvanie en 1991) et 92% (Catalogne en 1989). (V. tableau ci-dessous)
Si l’on appliquait ce taux moyen de 50 donneurs potentiels pmh, la France pourrait
compter sur environ 3 100 donneurs cadavériques par an17 et l’Espagne, sur 2 20018. En
réalité, on ne fait des prélèvements d’organes que sur la moitié d’entre eux, car les
autres sont exclus par contre-indication médicale, à cause de l’âge, d’une maladie, du
décès ou du refus des proches…19 Il faudrait donc soustraire à ces chiffres les cas de
patients en mort encéphalique qui ne sont pas prélevés pour contre-indications
médicales, ceux dont les proches refusent le don et les cas, exceptionnels, qui ne sont
pas prélevés parce que le juge exige une expertise judiciaire. Les donneurs cadavériques
incluent les donneurs en mort encéphalique (à cœur battant) et les donneurs à cœur
arrêté20. Les donneurs vivants ne sont pas comptés parmi les donneurs recensés.
Total donneurs cadavériques = Donneurs recensés – (contre indications du don + oppositions + obstacle légal)
16 Ce chiffre ayant pu varier depuis, grâce aux investissements en nombre de lits de réanimation avec respirateur automatique, par exemple. 17 En 2005, 2 803 personnes ont été identifiées en mort encéphalique en France, ce qui représente 45,4 personnes par million d’habitants et une augmentation de 11% d’identification par rapport à l’année 2004. 18 On ne connaît malheureusement pas le total de donneurs identifiés, car cette donnée n’est pas disponible dans le site officiel de l’ONT. 19Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros, 123 20 Ces protocoles de donneurs à cœur arrêté sont fréquents dans certains pays, comme les USA, les Pays Bas, la Belgique. En Espagne on réalise depuis les années 90 ces processus pour des patients qui font un arrêt cardiorespiratoire à domicile. Au moment d’écrire cet article, plusieurs équipes françaises ont été désignées par l’Agence de la Biomédecine pour commencer en France à les réaliser, suivant le modèle espagnol, qui diffère des pratiques hollandaises et américaines.
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Selon des études datant des années 90, les contre-indications médicales concernent
entre 18% et 24% des donneurs potentiels21. Ceci implique que l’on pourrait réaliser
annuellement en France environ 2 40022 entretiens auprès des proches pour envisager le
don, et 1 750 en Espagne23.
En France, en 2005, 2 803 personnes ont été recensées en mort encéphalique (au lieu
des 3 100, ce qui montre une perte de 5 donneurs pmh par rapport à la moyenne estimée
de 50 pmh). Si l’on soustrait à ce chiffre les cas de contre-indication, on peut calculer
qu’en France on aurait environ 2 20024 donneurs cadavériques potentiels. À cause du
taux de refus de don, seulement 1 371 personnes ont été prélevées en 2005. Selon les
chiffres de l’Agence de la Biomédecine, 51,1% des sujets recensés en mort
encéphalique ont été prélevés, c’est à dire plus de la moitié des donneurs potentiels. La
raison majoritaire de perte de dons est le refus de la part des familles (31,3% des
donneurs potentiels25 et 62% des cas de non prélèvement26). Environ 680 donneurs
potentiels sont donc perdus annuellement en France à cause de l’opposition des
familles27.
En Espagne, un total de 1 584 dons a été effectué en 200528. Nous ne disposons pas des
chiffres indiquant le total de donneurs potentiels recensés. Si l’on prend comme
référence le chiffre standard de 50 donneurs potentiels pmh, on aurait eu en Espagne un
potentiel de 2 205 donneurs en 2005. On aurait donc eu une perte de 621 donneurs
potentiels. Quelles en ont été les causes? On sait que 16,5% des familles des donneurs
potentiels identifiés ont refusé le don. Cela voudrait dire que, (et toujours partant de ce
chiffre hypothétique de 50 donneurs potentiel recensés pmh) parmi ces 621, 331
n’auraient pas été prélevés à cause du refus. Il nous resterait 290 donneurs perdus. 21 Navarro, A. (1996). "Brain death epidemiology: the Madrid Study. Madrid Transplant Coordinators." Transplant Proc 28(1): 103-4. ; Gore, S. M., W. J. Armitage, J. D. Briggs, et al. (1992). Consensus on general medical contraindications to organ donation? Bmj. 305: 406-9 22 2 501 à 2 318 en fonction du pourcentage estimé de contre-indication. 23 1 804 à 1 672 en fonction du pourcentage estimé de contre-indication. 24 2 300 à 2 130 en fonction du pourcentage estimé de contre-indication 25 En 2004, le refus représentait 62,8% des causes de non prélèvement, alors qu’en Espagne il ne représentait que 30,6%. Conférence d’Ana Navarro. Identification Des Donneurs Potentiels En Espagne Nice, France, 4 Avril 2006. 26 Ana Navarro : “Identification des donneurs potentiels en Espagne”, Nice 4 Avril 2006. 27 En supposant que le taux de refus était 0 et que 18% de ces donneurs potentiels ne seraient pas prélevés à cause des antécédents du donneur ou un autre obstacle. 28 Ce chiffre inclut les 71 cas de donneurs à cœur arrêté, représentant 1,6 donneurs pmh en Espagne.
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Environ 1% du total des donneurs potentiels est dû à des facteurs légaux : 22 donneurs.
Par exclusion, il ne resterait que 268 patients auxquels on n’aurait pas prélevé pour des
raisons médicales (contre-indications, etc.). Cela voudrait dire que seulement 12% des
donneurs potentiels, au lieu du 18% habituel qu’on estime être la moyenne, ne sont pas
prélevés pour des raisons médicales.
Si l’on part du chiffre estimé de 50 donneurs potentiels pmh, la conclusion à laquelle on
arrive paraît peu probable : en Espagne la proportion de patients qui ne sont pas
prélevés pour des raisons médicales serait significativement inférieure à celle de la
France. La réalité dément cette hypothèse : les statistiques présentées par le programme
de qualité réalisé par l’ONT entre 1999 et 2003 montrent au contraire que la contre-
indication médicale représente 58% des raisons de non prélèvement : une proportion
supérieure à celle de la France (voir figure 1 ci-après). Figure 1 : Patients en mort encéphalique non prélevés. Raisons de non prélèvement29
Il paraît donc raisonnable de penser qu’en Espagne le taux d’identification est supérieur
à la moyenne estimée de 50 donneurs pmh et significativement supérieur à celui de la
France. De façon estimative, nous pensons que le taux se situe en Espagne entre 55 et
60 pmh. Ce sont des calculs induits que l’ONT pourrait corroborer ou démentir.
Se référant à la France, S. Cohen et al. ont affirmé que l’offre de greffons serait trois à
quatre fois supérieure à celle observée30. (Voir Figure 2 ci dessous).
29 Information présentée par Ana Navarro : “Identification des donneurs potentiels en Espagne”, Nice 4 Avril 2006 30 S. Cohen , A. Dunbavand , C. Hiesse , M. Hummer , C. Boileau , E. Luciolli : Conférences d'actualisation 2003, p. 545-566. © 2003 Elsevier SAS. De l'état de mort encéphalique à la greffe ; Cette
Espagne: ONT Quality Assurance Program. 1999-2003 Data
France: Agence de la Biomédecine. Bilan des activités de prélèvement et de greffe en France 2004
Maintieninadéquat
4,9%
Contre-indication médicale58,0%
Opposition 30,6%
Non identifié2,8%
Refus judiciaire0,7%
Obstaclelogistique
1,1%
Diagnostic incomplet de ME
0,4%
Pas de receveur1,5%
Obstacle logistique et
autre2,5%
Opposition62,8%
Obstacle médical
9,9%
Antécedénts du donneur
24,8%
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Figure 2 : Taux de donneurs recensés et prélevés par million d’habitants en France. Année 2002
La carte comparant les donneurs recensés et prélevés montre qu’en 2004, on n’a prélevé
environ que la moitié des sujets qui étaient identifiés comme des donneurs potentiels en
France. Mais ce phénomène est également reconnu en Espagne comme un phénomène
habituel31. Ce que la carte ne montre pas, c’est le nombre absolu de donneurs potentiels :
les cas de donneurs potentiels non identifiés y sont absents. On connaît le pourcentage
de donneurs potentiels recensés qui ne sont pas prélevés à cause du refus, antécédents
du patient, obstacle médical, logistique et autre. Cependant, on ne connaît pas combien
de patients ne sont pas même identifiés comme des donneurs potentiels alors qu’ils
auraient pu l’être. Dans l’ignorance du taux « réel » de donneurs recensables, nous nous
sommes basés encore une fois sur le chiffre de 50 donneurs pmh qui, pour les experts,
est la moyenne pour toute région pourvue d’une dotation technologique adéquate. Une
première conclusion nous paraît évidente : ce taux s’avère à l’heure actuelle
complètement obsolète pour certaines régions françaises, qui le dépassent largement,
comme la région Centre, la Champagne Ardenne ou le Limousin. En particulier le
Limousin se distancie énormément des autres régions françaises depuis 1999: en 2004,
69,4 de donneurs potentiels ont été recensés pmh, et l’on a enregistré un taux de
hypothèse avait été partiellement vérifiée en 1990, même si la situation a probablement évolué depuis. Voir Section Centre – Ile-de-France – Transplant (SCIFT), Unité épidémiologique INSERM U 292, « Pour faciliter le don d’organes en Ile-de-France », Presse Médicale, 3 février 1990, 19, 4, p. 162-165 31 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 123
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prélèvement de 42,5 pmh. Dans cette région, la donnée déterminante n’est pas le taux
d’opposition (32%, un taux légèrement supérieur à la moyenne en France) mais un taux
très élevé de donneurs recensés32 qui explique que, malgré une proportion de refus
légèrement supérieure à la moyenne, le taux de prélèvement y demeure nettement
supérieur à la moyenne française, voire supérieur à la moyenne de donneurs recensés
pmh en France (40,9). (Voir tableau ci-dessous)
Source : Agence de la Biomédecine : Activité régionale de prélèvement et de greffe. Synthèse nationale 2004. http://www.agence-biomedecine.fr/fr/doc/region/france2004.pdf. Consulté le 25/05/06
Le facteur « non recensement » inclut :
des patients qui se trouvent en mort cérébrale
mais qui ne sont pas déclarés morts33;
des patients qui sont déclarés en état de mort
encéphalique mais sur lesquels on interrompt le
respirateur automatique, sans avoir envisagé
avec la famille la possibilité du don ;
des patients qui ne se trouvent pas dans la
condition de donneur potentiel car ils ne
remplissent pas encore tous les critères de la
mort encéphalique, mais qui pourraient le
devenir dans les 48 heures suivantes si, au lieu
d’interrompre les mesures de maintien des
32 Dans l’analyse de l'activité nationale et par région 2004 du site de l’Agence de la Biomédecine, on peut lire concernant le Limousin : « La proportion des traumatismes de la voie publique dans la région est plus élevée qu’au niveau national (27% pour 16% en 2004). » http://www.efg.sante.fr/fr/doc/region/limousin.pdf (Consulté 01/06/06) 33 Certains professionnels français reconnaissent avoir été confrontés à des patients en mort encéphalique qui n’ont été déclarés morts que trois jours plus tard, pendant lesquels les proches n’ont pas été informés du statut cadavérique du patient. Il paraît raisonnable de croire que, dans des cas comme celui-ci les possibilités d’amorcer la question du don diminuent.
11
fonctions biologiques (arrêt des thérapeutiques
entraînant la mort et la perte des organes), les
proches et les équipes décidaient de continuer
les traitements en attendant que la mort
encéphalique survienne34 ;
des patients qui sont décédés par arrêt
cardiorespiratoire mais qui ne font pas l’objet
d’un protocole de prélèvement sur patient à
cœur arrêté (celui-ci étant légal35).
STRATEGIES POUR LE RECENSEMENT DES DONNEURS POTENTIELS
L’ONT espagnole a investi une grande partie de ses efforts pour s’assurer que le
processus de recensement de donneurs est mené de façon complète, extensive et
précoce36. En effet, à travers des audits prospectifs sur tous les cas en réanimation,
susceptibles de devenir mort encéphalique, les coordonnateurs espagnols ont une
connaissance exhaustive des potentialités de dons dans leurs hôpitaux.
Ce processus de détection est également extensif, dans la mesure où presque la totalité
des hôpitaux espagnols -même les plus petits- équipés de lits de réanimation, disposent
au moins d’un coordonnateur à temps partiel37. Le fait que toutes les équipes de
prélèvement ne sont pas concentrées dans les grandes régions urbaines semble
fondamental : 40% des donneurs espagnols proviennent d’un hôpital où il n’y a pas
d’équipes de greffe. La France tend à reproduire ce modèle38, même si elle n’a pu
34 Soulignons le conflit d’intérêt qui peut se poser dans les équipes de réanimation qui peuvent favoriser une certaine obstination thérapeutique (ne pas proposer une limitation des thérapeutiques aux proches –bien qu’elles puissent être persuadées de la futilité de la réanimation-) dans le but de mieux contrôler le timing de la mort et prolonger le temps pour envisager avec les proches le don, tout en préservant les organes. En Espagne, il semblerait que le coordonnateur intervient lorsque les réanimateurs ou les urgentistes considèrent qu’ils ne peuvent rien faire de plus pour le patient, et que son rôle consiste à commencer à tout faire pour sauver d’autres vies. 35 En Espagne et aux Etats Unis les prélèvements sur des patients à cœur arrêté sont autorisés et réalisés, contrairement à la France où ce type de protocole est autorisé par un décret récent mais ne constitue pas encore une pratique dans les équipes de transplantation. 36 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 118 37 L’Espagne avait, en 2005, plus de 150 hôpitaux dotés d’un service de réanimation accrédité pour le don et pourvus d’une équipe de coordination. Ibid., p. 131. Les petits hôpitaux, sans équipes de greffe, fournissent environ 40% des greffons en Espagne. (Ibid. p.111) 38 En juin 2000, un plan budgétaire a été accordé pour la mise en place dans les établissements de santé autorisés à l'activité de prélèvement de postes médicaux et infirmiers. Ce plan budgétaire est appelé « Plan Greffe ». Le « Plan Greffe » a réussit à augmenter de plus de 20% le nombre de donneurs prélevés. http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/sssp020212/20secu.htm (consulté le 5 mai 2006)
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compter, dans les dernières années, que sur deux fois moins de coordonnateurs que
l’Espagne39.
Le recensement de donneurs en Espagne est extrêmement précoce. Le coordonnateur a
facilement et fréquemment accès aux services de réanimation, de sorte qu’il peut très
vite identifier les cas de mort encéphalique. Un autre moment crucial est l’arrivée aux
urgences du patient atteint d’un traumatisme sévère du cerveau. Les urgentistes doivent
alors évaluer la gravité de la situation et décider entre plusieurs possibilités : une
limitation des thérapeutiques estimées futiles, entreprendre une réanimation d’attente
(incluant l’assistance respiratoire) ou réaliser une chirurgie ayant pour résultat
exceptionnel la récupération, parfois une survie en état végétatif et dans la majorité des
cas, le décès. Les coordonnateurs espagnols n’ont pas le droit d’influencer ce type de
décisions, mais il paraît probable qu’en Espagne, contrairement à d’autres pays comme
le Royaume-Uni ou les États-Unis, les urgentistes espagnols ont une tendance spontanée
à choisir la réanimation et sachant, que si celle-ci ne pouvait pas sauver le patient, elle
pourrait néanmoins sauver d’autres vies. Dans les cas d’échec de la réanimation, mais
avant le diagnostic de mort encéphalique, un appel sera transmis à l’ONT : « une
personne est sur le point d’être déclarée en mort encéphalique ». Le donneur potentiel a
été défini comme « une personne sur le point de mourir par mort encéphalique, dont les
organes, dans des conditions adéquates, peuvent sauver des vies »40. Le fait qu’une
personne soit identifiée comme donneur potentiel ne veut pas dire qu’elle le sera
effectivement : « Lorsque cet appel survient, il n’est pas sûr qu’il s’agira d’un don réel.
Habituellement, il reste à régler les questions légales, à réaliser l’entretien avec la
famille ou encore recueillir les données analytiques nécessaires pour pondérer la validité
du donneur [41]. Il est indispensable d’avoir le plus de temps possible pour tout organiser,
et ceci implique parfois de suspendre le processus lorsqu’ une analyse exclut
l’indication du don, parce que la famille n’est pas d’accord ou parce qu’un arrêt
cardiaque survient …42 ».
Néanmoins, selon l’ONT, le nombre et la présence des coordonnateurs dans les services
de réanimation ne saurait expliquer toutes les différences entre l’Espagne et d’autres 39 S. Cohen , A. Dunbavand , C. Hiesse , M. Hummer , C. Boileau , E. Luciolli : Conférences d'actualisation 2003, p. 545-566. © 2003 Elsevier SAS. De l'état de mort encéphalique à la greffe 40 Ibid, 132, emphase ajoutée. 41 Ainsi, en théorie, le total de donneurs en mort encéphalique résulte d’une opération soustractive : on retranche le nombre des donneurs qui ont exprimé leur refus, les cas de contre-indication (18% environ) et les cas d’obstacle légal (1% environ) au nombre de donneurs potentiels. Ceci exclut les donneurs vivants. 42 Ibid, 134
13
pays. Il s’agirait aussi de la formation des équipes médicales et paramédicales, du type
de professionnels qui composent les coordinations, de leurs rapports avec les autres
soignants…
CONCLUSIONS CONCERNANT L’EFFICACITE DU LE RECENSEMENT
La comparaison de l’incidence du « non recensement » entre les deux pays reste
difficile à établir à cause de l’indisponibilité de données de la part de l’ONT. Il serait
souhaitable de pouvoir comparer, en France et en Espagne, le pourcentage de patients
en mort encéphalique pour lesquels les professionnels ont abordé la question du don
avec la famille durant un entretien. Une telle comparaison nous permettrait non
seulement de connaître le taux de recensement, mais aussi d’estimer dans quel pays les
professionnels sont moins « craintifs » pour envisager un tel entretien43. Encore faudrait-
il étudier les autres cas de non identification. Il s’agirait donc d’analyser, tout d’abord,
si les professionnels identifient ou non tous les cas présents de mort encéphalique ;
deuxièmement, s’ils maintiennent ou non les mesures de support organique des patients
en mort encéphalique afin de préserver les organes ; finalement, s’ils abordent ou non la
question du don avec les proches et de quelle façon44.
L’analyse réalisée suggère qu’en France le processus d’identification est correct, car très
proche du taux de 50 donneurs potentiels identifiés pmh, mais moins important qu’en
Espagne. Les calculs estimatifs sur l’Espagne suggèrent que le taux d’identification est
en moyenne d’environ 7 donneurs pmh supérieur à celui de la France. Les chiffres
exacts demeurent incertains. Or, quelle est la part de la non identification et la part du refus
dans les différences entre le taux de don en France et en Espagne ?
2. LE FACTEUR « OPPOSITION » EN FRANCE ET EN ESPAGNE
On sait que le taux de refus en France est significativement supérieur à celui de
l’Espagne (31,3% vs 16,5% des sujets recensés en 2005). En effet, le refus en France
43 On ne peut pas exclure des cas où l’on a prélevé les organes sans qu’un entretien formel ait eu lieu. 44 Signalons ici la difficulté de gérer éthiquement des recherches sur les procédés que suivent les professionnels pour communiquer le décès à la famille, pour leur transmettre la notion de mort cérébrale et pour demander leur accord en vue de l’extraction d’organes. La demande du consentement de la famille pour participer à une recherche sans bénéfice individuel en même temps qu’on fait appel à son “altruisme” afin qu’elle autorise l’extraction, pourrait être perçue comme un abus, voire un procédé contre-indiqué pour la finalité immédiate du don. Pensant “qu’ils en demandent déjà trop”, parce qu’ils ne se sentent pas très fiers des méthodes employées dans leurs sollicitations de générosité de la part des familles ou tout simplement parce qu’ils ne veulent pas les soumettre à une épreuve supplémentaire, certains professionnels pourraient s’opposer à ces recherches.
14
constitue plus de la moitié des causes de non prélèvement (Voire Figure P V). Une
façon de déterminer la part de non identification et la part de refus dans les différences
quant au taux de dons entre la France et l’Espagne est de remplacer le taux de refus
français par l’espagnol. Si la France avait le taux de refus espagnol, au lieu d’avoir un
taux de donneurs de 21 pmh, elle en aurait autour de 28 pmh45, se situant comme
deuxième pays du monde pour ce qui concerne l’activité de greffe. Mais encore 7 points
en dessous de l’Espagne.
Source: Agence de la Biomédecine
En France et en Espagne toute personne non inscrite dans le registre de refus est un
donneur potentiel. Cependant, on n’applique que très rarement ce consentement
présumé car le témoignage de la part des proches sur les volontés du patient est
systématiquement recherché, et leur refus respecté.
On ne connaît pas bien les raisons pour lesquelles, lorsque l’on demande aux proches
s’ils voient un inconvénient quelconque à ce que l’on prélève les organes du donneur
potentiel, le public espagnol offre moins de résistance que le français.
Plusieurs explications peuvent rendre compte de ce phénomène. La plus immédiate
consisterait à dire que le public espagnol est plus altruiste ou a davantage conscience de
l’importance de la transplantation. Si c’était le cas, les espoirs de l’Agence de la
Biomédecine de réduire, à court terme, les chiffres de refus, seraient assez limités.
Une autre explication en rapport avec ce que nous venons d’exposer, consisterait à dire
que la société espagnole fait davantage confiance au système de santé ou de
transplantations que la société française46. Plusieurs enquêtes montrent que le public
45Nous avons estimé ce chiffre en appliquant 16,5% au total des donneurs identifiés en 2005, c’est à dire 462 (au lieu des 877 qui représentent 31,3% réel de refus en 2005). À ces 462 il faut soustraire ceux qui n’auraient pas été prélevés à cause des antécédents du donneur, d’un obstacle médical, d’une logistique ou autres (17,1% selon les chiffres de 2004). Ce qui donne un potentiel de 383 donneurs de plus, ce qui représente 6,2 donneurs pmh de plus par an. 46 49% de la population espagnole considère que c’est le service public de la santé qui justifie le mieux le paiement d’impôts (Instituto de Estudios Fiscales, 2004, cité par Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros, p. 345.
15
espagnol accorde une confiance franche à son système de transplantation47. Selon une
enquête réalisée en 1996 en France, 95% des français sont tout à fait d’accord ou plutôt
d’accord avec l’idée que la greffe d’organes est un progrès médical indiscutable48. On ne
peut pas exclure la possibilité qu’en France des scandales comme l’affaire du sang
contaminé, ou des polémiques plus récentes comme celle de la greffe de visage, ont
donné lieu à une certaine hostilité envers le système de transplantation français. Malgré
tout, cet hypothétique manque de confiance des Français envers la classe médicale ne
semble pas s’appliquer à d’autres circonstances dans lesquelles des décisions critiques
doivent être prises, comme celle de la décision de fin de vie en réanimation. En effet, les
professionnels en réanimation font partie de ceux qui reçoivent le moins de plaintes
entraînant des procès légaux.
Matesanz a préféré adopter un point de vue plus pragmatique, et tend à penser que « le
consentement familial dépend bien plus de l’intervieweur que de l’interviewé.
Responsabiliser la population en général sur le fait qu’il n’y a pas suffisamment de dons
ni non plus d’activité en ce domaine est à la fois injuste et peu pratique pour trouver une
solution au problème »49. Dans ce sens, l’ONT a investi beaucoup d’efforts pour
s’assurer que les coordonnateurs et autres professionnels en rapport avec la
transplantation sont capables de comprendre, expliquer et convaincre les proches et le
grand public que les patients en mort encéphalique sont morts, ainsi que pour amorcer
de façon intelligente et délicate l’éventualité du don50. En Espagne, l’accueil des
familles est très spécialisé.
47 En décembre de 2004, une enquête menée par le Centro de Investigaciones Sociológicas montre que la transplantation d’organes est le domaine dans lequel une majorité de la population espagnole préfère soutenir l’investissement dans le développement scientifique et technologique (60% des interviewés considéraient la transplantation comme prioritaire, suivi par des domaines comme celui des énergies renouvelables et la recherche sur les cellules souche, avec un soutient de 56% et 34% respectivement). CIS, Estudio nº 2584. Barómetro de diciembre, expectativas 2005. Cité par Ibid., p. 354. 48 Waissman, R. and M.-J. Couteau (2000). Les opinions diversifiées des Français sur la greffe et le don d'organes: l'âge, la famille, la tendance politique et l'appartenance religieuse sont-ils des enjeux? La greffe humaine. M. Sasportes. 2000, PUF: 831-842 49 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 97 50 Matesanz soutient cette hypothèse lorsqu’il souligne qu’en Espagne le taux de refus varie beaucoup en fonction des services, et tout particulièrement en fonction de la formation des professionnels de chaque équipe : “Il s’agit, de toute façon, d’une question cruciale car en Espagne, en 2005, 16,7% des familles ont refusé de donner leur consentement et ceci reflète une différence très marquée entre les équipes de coordination bien entraînées et celles qui ne l’étaient pas. Dans ces cas-là, le porcentage de refus atteignait parfois 50%.”, p.120. La recherche actuellement coordonnée par le Laboratoire d’Éthique Médicale vise à identifier des failles de compréhension, chez les professionnels français, espagnols et américains, du concept de mort encéphalique.
16
QUELLES STRUCTURES ONT ETE MISES EN PLACE EN ESPAGNE POUR
EVITER LE TAUX DE REFUS ?
En Espagne, tous les professionnels susceptibles d’être confrontés au prélèvement et à
la greffe d’organes reçoivent des formations spécifiques pour la transplantation
d’organes51. Les cours portent sur la détection des donneurs, les aspects légaux,
l’entretien avec la famille, les aspects organisationnels, de gestion, de communication…
Cette formation s’adresse non seulement aux équipes de coordination, mais aussi aux
autres équipes médicales et paramédicales (soins intensifs, anesthésie, bloc opératoire,
urgences...) L’entraînement a permis de créer un bouillon de culture favorable à la
transplantation : presque la totalité des professionnels d’un hôpital sont prêts à agir de
façon coordonnée et précise dans le même but. Ce climat semble permettre de donner :
il est fondamental que les familles ne perçoivent pas la moindre hésitation ou
improvisation dans ces moments où le plus petit détail peut faire basculer la décision du
proche et aboutir à un refus.
LE « SPANISH MODEL » EXPLIQUÉ PAR L’ONT
Selon l’ONT, la spécificité du modèle espagnol est dû aux conditions suivantes :
1. Une coordination à trois niveaux -national, régional et hospitalier- a été mise
en place.
2. Un conseil interterritorial prend les décisions importantes concernant la
politique de transplantations.
3. La plupart des coordonnateurs travaillent à temps partiel, ce qui permet au
professionnel d’abandonner son poste et d’être remplacé par un collègue sans
trop de difficultés52.
4. Le coordonnateur travaille au sein de l’hôpital et dépend hiérarchiquement
de la direction de l’hôpital (et non pas de l’équipe de greffe).
5. Le coordonnateur est lié dans sa fonction à la coordination régionale et
nationale.
51 Le programme collaboratif « Donor Action » fut conçu entre les organismes de trois pays (Pays Bas, Etats Unis et Espagne), dans le but d’améliorer les identifications des donneurs potentiels dans les services de soins intensifs. En donnant des outils et des guidelines visant à améliorer leur évaluation des donneurs potentiels et l’obtention de greffons, il s’est avéré efficace pour augmenter l’offre de greffons. Pugliese, M. R., D. Degli Esposti, A. Dormi, et al. (2003). "Improving donor identification with the Donor Action programme." Transpl Int 16(1): 21-5. 52 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los librosp. 108
17
6. Le coordonnateur a majoritairement un profil de médecin réanimateur, ce qui
lui permet d’être impliqué activement dans le processus de don.
7. Le coordonnateur doit réaliser un audit continu sur la mort encéphalique
dans les services de réanimation.
8. L’ONT fournit ses services sans avoir un rôle exécuteur. Elle s’occupe de la
distribution des organes, de l’organisation des transports, de la gestion des
listes d’attente, des statistiques, de l’information générale et spécialisée.
9. Une formation continue est offerte, non seulement aux coordonnateurs, mais
aussi à une grande partie des professionnels de la santé.
10. Un système adéquat de remboursement hospitalier a été mis en place : les
autorités régionales et locales financent l’activité d’obtention et de greffe
d’organes
11. On prête une attention spéciale à la gestion de l’information et des médias.
Ceci inclut des réunions périodiques avec les journalistes, les cours de
formation à la communication des coordonnateurs, ainsi qu’une attitude de
gestion rapide de la publicité contraire à la transplantation et les situations de
crise. Le but est d’améliorer la connaissance de la part de la population sur le
don et la transplantation d’organes.
12. Une législation adéquate : définition claire de la mort encéphalique, des
conditions de prélèvement, l’absence de motivation économique, etc.
Il est certain que chacune de ces conditions ne distingue pas le modèle espagnol du
français. En particulier les conditions 1, 2, 3, 4, 5 et 8 sont de façon presque identiques
en France et en Espagne. Il semblerait que les différences plus notables concernent :
- Le profil du coordonnateur : en France, la tendance a été d’assigner
ce type de poste à des infirmières53.
53 Selon Matesanz il est fondamental que le coordonnateur soit un médecin, et non pas un résident ou une infirmière, dans la mesure où ces professionnels ne pourront pas parler aux réanimateurs d’égal à égal, à cause d’une position hiérarchique inférieure : «l’idée de placer au moins un médecin à temps partiel dans l’équipe de coordination, une thèse que j’ai personnellement maintenue contre vents et marées, tient, si l’on veut, d’une origine élitiste mais réelle comme la vie elle-même» […] «Le seul fait de poser le problème du don est désagréable et il implique parfois des heures de retard et du travail supplémentaire. Rien qui puisse encourager à faire ce choix. Dans une telle situation, l’intervention d’une personne hiérarchiquement inférieure, comme c’était le cas des infirmières mais également des médecins résidents, servait difficilement à contrôler la situation […] Pour peu que l’on connaisse un hôpital, on sait que ce genre de discussions, seul un médecin qui domine le sujet et la situation peut l’affronter. C’est en cela que se réduit la cause principale du désastre des systèmes de don d’organes dans les pays du centre et du nord de l’Europe, même si beaucoup d’entre eux ne le reconnaîtront jamais. » Ibid. 109-110
18
- Les tâches réalisées par le coordonnateur : en Espagne le
coordonnateur fait un suivi prospectif ainsi qu’un audit rétrospectif, de
tous les cas de mort encéphalique. Les cas de non identification comme
donneur potentiel des patients en mort encéphalique doivent être
justifiés.
- L’ONT aménage des formations –reconnues au niveau international54-
à tous les professionnels susceptibles d’être en rapport avec la
transplantation d’organes : cela inclut non seulement les
coordonnateurs, mais aussi d’autres professionnels de la santé.
- Les modalités de financement de l’activité de prélèvement et de
rémunération des professionnels sont différentes entre la France et
l’Espagne.
- Le type de donneurs : même si l’Agence de la Biomédecine établit
que l’âge n’est pas un facteur limitant pour le prélèvement, il reste vrai
qu’en Espagne on accepte des prélèvements sur des personnes un peu
plus âgées qu’en France. Par ailleurs, des prélèvements de donneurs à
cœur arrêté sont réalisés en Espagne mais pas en France.
Le profil du coordonnateur : « médecin … »
Le coordonnateur est devenu indispensable dans la transplantation à partir du moment
où l’on a commencé à réaliser des prélèvements multi organiques. Ce professionnel
s’occupe de coordonner un ensemble hétérogène de tâches : le recensement des
donneurs, le diagnostic de la mort encéphalique, l’abord des proches, la conservation
des organes, le prélèvement et la distribution des organes. Il coordonne les dizaines de
professionnels qui peuvent être impliqués dans une transplantation : médicaux,
paramédicaux, responsables de la police, des aéroports… Il facilite la tâche des
médecins qui s’occupent du diagnostic de la mort, il s’occupe d’obtenir l’autorisation
judiciaire dans les cas de décès pour cause non médicale, il obtient l’autorisation de
prélèvement de la part des familles et accompagne celles-ci dès le moment où les
responsables de la réanimation les ont informés du décès et, dans les cas où elles
acceptent, il s’assure qu’une restitution la plus parfaite possible du corps est réalisée. Le
coordonnateur s’occupe également de la gestion et de l’actualisation des listes d’attente,
54 Paredes, D., M. Manyalich, C. Cabrer, et al. (2001). [The TPM Project (Transplant Procurement Management): international advanced training of transplant coordination]. Nefrologia. 21 Suppl 4: 151-8
19
et c’est lui aussi qui contacte le bureau de l’ONT pour que celui-ci fasse la proposition
des différents greffons. En dehors de son activité clinique, le coordonnateur est
responsable de la promotion et de la communication de la transplantation, autant dans le
contexte hospitalier qu’auprès du public à travers des formations, la participation à des
journées, des congrès, etc. Finalement, il est responsable des programmes de qualité sur
la mort encéphalique qui sont réalisés de façon périodique. Autrement dit, il réalise non
seulement une fonction clinique, mais également de management, de qualité55,
d’éducation et de recherche. C’est lui le responsable d’une activité de don systématique,
programmée et surtout efficace. Il veille à ce que toutes les ressources –humaines et
matérielles- soient mises au service de la transplantation. Ce sont donc des tâches qui
demandent un investissement personnel important et une grande disponibilité.
« à temps partiel… »
Certains coordonnateurs ressentent au bout d’un certain temps le syndrome du « burn-
out », ce qui constitue un vrai risque pour les objectifs de la transplantation56. Dans ce
sens, Matesanz considère qu’il est important de favoriser un système de remplacement.
Il semblerait fondamental que le coordonnateur travaille à temps partiel pour que le
remplacement soit plus aisé et peu traumatisant pour le système. L’importance de
l’aspect relationnel fait qu’un bon coordonnateur se distingue par son intelligence
sociale et sa capacité explicative.
55 Le texte espagnol connu sous le nom de “Programa de Garantía de Calidad en el Proceso de Donación” (PGCPD) (Programme de Garantie de Qualité dans la Procédure du Don) peut se résumer en trois points: 1. Définir le nombre prévisible de donneurs qu’il devrait y avoir dans un hôpital en fonction de sa taille et de ses ressources (tâche réalisée par l’ONT); 2. Détecter les failles possibles au cours de la procédure du don, rechercher les causes de perte de donneurs; 3. Détecter les facteurs hospitaliers qui agissent négativement sur la procédure du don: manque de lits dans le service réanimation, problèmes internes d’organisation... L’ONT est régulièrement informée de sorte qu’elle peut trouver rapidement des solutions dans les cas de détection de problèmes. D’autre part, les coordonnateurs peuvent demander à l’ONT de faire une évaluation externe par laquelle des experts coordonnateurs appartenant à d’autres hôpitaux peuvent détecter des problèmes spécifiques dans un hôpital donné et proposer des améliorations. 56 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros
20
« et partiellement rémunéré en fonction de l’activité réalisée ».
“Les coordonnateurs ont réussi à matérialiser les splendides possibilités d’un bon système de santé, étonnamment économique par rapport aux prestations apportées, ainsi que le potentiel de professionnels (médecins, chirurgiens, infirmières) qui n’ont rien à envier à ceux des meilleurs centres du monde... mis à part le salaire qu’ils perçoivent en fin de mois » 57. L’un des points les moins connus du système de transplantation espagnol concerne le
processus de rémunération des professionnels. En Espagne, les coordonnateurs sont
généralement des professionnels payés à temps partiel pour réaliser toutes les fonctions
de coordination rapportées plus haut sans toucher pour autant à leur temps de travail (en
tant que réanimateur, néphrologue, etc), ni devoir faire des heures supplémentaires.
Vraisemblablement, il n’en est pas de même dans d’autres pays. En 2003, le nombre de
coordonnateurs par million d’habitants était en France moins de la moitié qu’en
Espagne (2,8 vs 6,5 pmh)58. Dans cette même année, S. Cohen a écrit concernant la
situation française : « [p]armi les administrateurs, les anesthésistes, les réanimateurs ou
les urgentistes, les chirurgiens préleveurs, transplanteurs, le personnel soignant, les
radiologues, les biologistes, les transporteurs, qui constituent la longue chaîne des
intervenants du prélèvement, l'immense majorité est volontaire, et bénévole ».
Néanmoins, des postes de coordonnateurs médicaux payés à temps partiel sont de plus
en plus fréquents dans l’Hexagone. La rémunération en fonction de l’activité réalisée
reste encore peu envisageable en France. Ce type de rémunération pourrait constituer en
Espagne une motivation spéciale pour les coordonnateurs espagnols, ainsi que pour les
autres professionnels participant au prélèvement et à la greffe59.
On peut envisager deux types d’objections concernant une politique d’encouragement
de type pécuniaire :
57 Los coordinadores han logrado materializar las espléndidas posibilidades de un buen sistema de salud, insólitamente económico para las prestaciones que proporciona, y de unos profesionales (médicos, cirujanos, enfermeras) que nada tienen que envidiar a los de los mejores centros del mundo... si exceptuamos el sueldo que reciben a fin de mes.» Ibid.p. 103 58 S. Cohen , A. Dunbavand , C. Hiesse , M. Hummer , C. Boileau , E. Luciolli : Conférences d'actualisation 2003, p. 545-566. © 2003 Elsevier SAS. De l'état de mort encéphalique à la greffe. 59 Lloveras, J. (2006). L'Espagne est-elle un modèle pour l'obtention des organes humains? Atelier ANUMECH Hôpital Necker-Enfants Malades. Paris Mai 2006 ; S. Cohen , A. Dunbavand , C. Hiesse , M. Hummer , C. Boileau , E. Luciolli : Conférences d'actualisation 2003, p. 545-566. © 2003 Elsevier SAS. De l'état de mort encéphalique à la greffe. Les coordonnateurs espagnols travaillent le plus souvent à temps partiel. Le salaire fixe d’un coordonnateur est souvent inférieur à celui d’autres médecins. Cependant, ce salaire est complété avec une partie budgétaire variable, en fonction de l’activité réalisée. Cette partie peut atteindre deux tiers du total de leur salaire.
21
- Le soupçon que les professionnels sont soumis à un conflit d’intérêt entre,
d’une part, les intérêts des potentiels donneurs et de leurs proches et, d’autre
part, une augmentation de leur revenu mensuel.
- Une dotation financière trop importante au système de transplantation, peut
poser un problème de justice distributive par rapport à d’autres domaines de
la santé.
Concernant la première critique, il faut signaler qu’en Espagne on a très rarement mis
en cause les bonnes pratiques de l’ensemble du système de transplantation. Aucune
information médiatique hostile au système de transplantation ne concernait les intérêts
du donneur (par exemple, des doutes sur la mort encéphalique) ou ceux de ses proches
(coaction, manque d’information, etc.)60. A notre connaissance, le système de
transplantation espagnol n’a pas reçu de plainte de la part des familles ou d’autres
instances. Nous estimons que la bonne foi de tout système de transplantation est en
grande partie garantie à partir du moment où les équipes de prélèvement n’interviennent
pas dans le diagnostic de la mort. Suite à des conversations avec les coordonnateurs
français et espagnols, il nous semble que ces personnes sont parfaitement conscientes du
fait que l’ensemble de leur travail dépend de la crédibilité que le public dépose dans leur
activité. Ils savent pertinemment qu’ils sont les dépositaires responsables de cette
confiance. En ce sens, ils sont les premiers à pratiquer une sorte d’autorégulation,
lorsqu’ils décident, par exemple, que le refus des proches prévaut sur le consentement
présumé61, ou même explicite, quitte à perdre un don pour préserver la confiance des
proches et, a fortiori, de la société.
Un coordonnateur espagnol, interrogé sur l’incidence de ce type de financement sur le
succès de la transplantation, répondait : « Le professionnel qui travaille dans le domaine
de la transplantation et qui doit être disponible à 3 h du matin, doit être payé pour son
travail. Il n’y a pas de perversion dans cette rémunération. Par contre, on ne paie pas
pour qu’un réanimateur travaille mal (…) ».
60 Matesanz signale qu’en France l’une des crises de la transplantation qui a eu lieu au cours des années 90 était due au fait que la population se plaignait de ne pas avoir était suffisamment informées sur les conditions de l’extraction. Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros p. 206. L’auteur dédie par ailleurs un chapitre de son livre aux crises informatives que l’ONT a du traiter au long de son histoire. Ch. VIII 61 Lloveras, J. (2006). L'Espagne est-elle un modèle pour l'obtention des organes humains? Atelier ANUMECH Hôpital Necker-Enfants Malades. Paris
22
Concernant la deuxième critique, Matesanz a montré que le modèle espagnol n’est pas
coûteux62, et rappelle que la proportion des dotations destinée à payer les professionnels
est de moins de 5 millions d’euros, c’est à dire, 3,7% du coût total de la transplantation
estimé annuellement63. Par ailleurs, il montre de façon convaincante que la
transplantation en Espagne est économiquement rentable : à lui seul, l’argent économisé
grâce aux transplantations de rein, (par rapport aux dépenses en dialyse) est le double de
ce que coûte annuellement en Espagne l’ensemble des coordinations, donation et greffe
de tous organes confondus : rein, foie, cœur, poumon, intestin et pancréas64.
Un autre aspect que l’on ne pourra pas discuter ici de façon détaillée est celui des
compensations données aux proches pour frais des obsèques. Contrairement à ce qui se
produit en France, on autorise en Espagne une sorte de compensation aux familles, qui
inclut la prise en charge des frais d’enterrement et, le cas échéant, de rapatriement du
corps du défunt dans son pays d’origine. Certains estiment que cette pratique est une
mesure éthique de reconnaissance au geste de don, et la distinguent de toute sorte de
rémunération qui agirait de façon coercitive envers les donneurs65. Reste à savoir si le
simple remboursement des frais d’obsèques a occasionnellement déterminé
l’acceptation du don chez des proches indécis66.
Les risques d’une marchandisation de la transplantation doivent être considérés, sans
que pour autant se voient menacées ces conquêtes contre la mort qui peuvent être
obtenues de façon éthique. Il ne faut pas oublier qu’un seul donneur procure en
moyenne 30,8 ans de vie additionnelle ainsi qu’une qualité de vie d’une valeur très
difficilement quantifiable. Ceux qui font objection aux moyens mis en œuvre par les
politiques de transplantations en Espagne et en France devraient se poser, par exemple,
les questions suivantes :
Par obéissance à certains principes comme la gratuité, quel prix est-on prêt à
payer quant à la survie et la qualité de vie ?
Peut-on se permettre de perdre ces conquêtes alors qu’elles ont été acquises par
des procédés non discriminatoires ?
62 Matesanz, R. (2003). "Factors influencing the adaptation of the Spanish Model of organ donation." Transpl Int 16(10): 736-41. 63 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros p. 159 64 Matesanz, p. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros p. 160 65 Delmonico, F. L., R. Arnold, N. Scheper-Hughes, et al. (2002). "Ethical incentives--not payment--for organ donation." N Engl J Med 346(25): 2002-5. 66 Lloveras, J. : « L'Espagne est-elle un modèle pour l'obtention des organes humains? » Atelier ANUMECH, Hôpital Necker-Enfants Malades, 25 Mai 2006
23
Et surtout, peut-on se permettre de les perdre même si elles n’ont
vraisemblablement jamais porté atteinte aux intérêts des personnes ?
24
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
40%
0-15 ans 16-45 ans 46-60 ans > 60 ans
Répartition par âge des donneurs prélevés en 2004
France
Espagne
Survie 5 ans après la greffe: France/Espagne
• Coeur : 60% 63%• Foie : 72% 63%• Rein : 79% 68%• Pancréas: 68% 70%
AUTRES DIFFÉRENCES ENTRE LA FRANCE ET L’ESPAGNE
A. DIFFÉRENCES LÉGALES
Les lignes générales du cadre légal qui régularise les greffes en Espagne et en
France sont fondamentalement identiques : consentement présumé, séparation entre
les équipes de prélèvement et de greffe, anonymat et gratuité du don. L’Espagne et
la France se différencient par certains aspects techniques. A la différence de la
France, le second encéphalogramme ne se fait pas en Espagne car on le considère
insignifiant. Il existe peut-être une différence quant au degré de détail que réclame
chaque loi sur le diagnostic de la mort et les conditions légales de prélèvement. En
Espagne, la participation des professionnels dans la rédaction du « Real Decreto» de
1999 explique que ce texte ressemble davantage à un protocole clinique qu’à des
directives légales67. Ceci entraîne que le constat de la mort est officiellement institué
comme une question strictement médicale (la décision revient totalement aux
médecins), sans contestation possible.
B. AGE DES DONNEURS ET SURVIE DES GREFFONS
L’âge moyen des donneurs est supérieur en Espagne par rapport à la France, même
si l’Agence de la Biomédecine informe les professionnels que l’âge n’est pas un
facteur limitant pour le prélèvement68. En Espagne, les personnes transplantées,
inscrites dans les listes d’attente, sont plus âgées aussi. Ces deux phénomènes
expliquent que, pour certains organes comme le rein ou le foie, la survie du patient
transplanté est significativement supérieure en France.
67 Real Decreto 2070/1999, de 30 de diciembre, por el que se regulan las actividades de obtención y utilización clínica de órganos humanos y la coordinación territorial en materia de donación y trasplante de órganos y tejidos. 68 Agence de la Biomédecine (2005). Don-Prélèvement-Greffe. Une mission pour tous les professionnels de santé, Agence de la Biomédecine p. 6
25
C. LES DONNEURS VIVANTS
En France, le taux de dons de sujets vivants est plus élevé qu’en Espagne. En 2004,
6,7% du total de reins transplantés provenaient de donneurs vivants, contre 2,8% en
Espagne (4% en 2005).
D. SYSTÈME DE SANTÉ ET ASPECTS ÉCONOMIQUES
La France et l’Espagne se ressemblent dans leur système de santé et se différencient
des USA, où la santé est en partie privée. Dans le cas de la transplantation d’organes
ceci est fondamental69. A la différence des USA, où les voix qui soutiennent l’idée
qu’une marchandisation des greffes est de plus en plus courante, la France et
l’Espagne fondent leur système sur la gratuité du don. L’interdiction de la
motivation économique est une règle qui vise à empêcher le commerce d’organes.
Néanmoins, le système de remboursement hospitalier pourrait être différent en
Espagne et en France. D’une part, en Espagne, chaque communauté autonome
détient les compétences en matière de santé. D’autre part, il est possible que la
distribution du budget se fasse de manière différente. En Espagne, une partie
significative du budget est destinée à des petits hôpitaux. Selon l’ONT : “ Il serait
impensable de faire des greffes dans les petits hôpitaux sans remboursement
hospitalier de la part des administrations qui doivent financer l’obtention et la greffe
d’organes »70.
69 La Santé Publique espagnole et française, à différence de celle des USA, assure le paiement des traitements post-greffe (immunosupprésseurs) de façon illimitée : « Grâce au système de sécurité sociale et contrairement à ce qui se produit aux Etats-Unis, l’abandon du traitement post-opératoire ne peut pas être attribué à des motifs écnonmiques » (Dennis, et al, en Elster y Herpin, p. 146). Il existe aux Etats-Unis le paradoxe suivant : de nombreux patients préfèrent la dialyse à la greffe de rein parce que les aides financières obtenues dans le premier cas sont supérieures et plus durables que dans le second cas : “Trois ans après l’opération, si c’est un succès, les greffés n’ont plus droit aux prestations pour ressources minimales qu’accorde la Sécurité Sociale en tant qu’invalidité.” (en Herpin, p. 107) […] “La survie de la greffe se trouve sujette à l’ingestion quotidienne d’immunosupresseurs. Nénmoins, la couverture écoonomique des soins médicaux offerts par la Sécurité Sociale est supprimée un an après la greffe (US, DHHS, HCFA, 1998) et les immunosupresseurs que doivent payer les patients à partir du même moment reviennent cher […]”. (p. 107) 70 www.ont.es
26
E. PROPORTION DE MÉDECINS ET INFIRMIÈRES PMH
Source : (Matesanz 2003)
F. EDUCATION ET POLITIQUE DE COMMUNICATION AVEC LA
SOCIÉTÉ
De manière schématique nous résumons ci-dessous quelques ressemblances et
différences entre les deux modèles.
Ressemblances:
Formation des professionnels : détection des donneurs, aspects
légaux, entrevue avec les familles, aspects organisationnels, gestion,
communication… Selon Cohen, « Le contenu de l'entretien et
l'expérience du personnel à cet égard, semble jouer un rôle non
négligeable sur l'acceptation, en particulier vis-à-vis des familles
indécises ».
Education de la population
Différences :
En Espagne la formation concerne la majorité des professionnels
susceptibles de participer au processus de don et de greffe.
Réunions périodiques avec des informateurs. L’ONT accorde une
attention toute particulière à l’information donnée aux médias et aux
journalistes. Par ailleurs, lorsque des informations hostiles à la
transplantation apparaissent, une clarification rapide vis-à-vis du
public est donnée avant que ces épisodes deviennent des crises. ainsi
qu’une attitude rapide de gestion de la publicité adverse et des
situations de crise, se sont révélés des points importants au cours de
27
ces dernières années pour atteindre un climat positif en vue du don
d’organes.
Les cours de formation en communication pour coordonnateurs.
La politique de communication de l’Agence de la Biomédecine est
centrée, chaque 22 juin, sur une journée nationale de réflexion sur le
don d’organes et de tissus, précédée d’une campagne dans les
médias. En dehors de cette date, la stratégie de communication de
l’agence repose sur la création de « faits » susceptibles d’intéresser la
presse (audiovisuelle en priorité) sur le sujet de la transplantation71.
En outre, l’acte de don et le thème de la mort cérébrale sont abordés
dans les documents distribués par l’agence et que l’on trouve sur son
site Internet, ce qui suppose une démarche volontaire des personnes
intéressées par le sujet. Ces mêmes thèmes sont développés dans les
différentes formations organisées par l’agence pour les
professionnels des coordinations, à charge pour eux de les
développer ensuite dans des réunions d’information avec la
population.
CONCLUSION
Avec 35,1 dons par million d’habitants en 2005, l’Espagne a réalisé une activité de
prélèvement 66% supérieure à la française (21,5 pmh). Dans ce travail, nous avons
comparé les deux modèles afin d’étudier les raisons de ces différences. Il s’avère que les
modèles espagnols et français se ressemblent dans de nombreux aspects :
Principes légaux encadrant la transplantation : consentement
présumé, anonymat, gratuité du don, séparation entre les équipes de
réanimation et de prélèvement
Système public de santé
Développement des techniques de réanimation, dotation de services
et de lits en réanimation
Causes de mortalité des donneurs
Formation des professionnels
Politique de communication vis-à-vis des citoyens
71 RANGEL,A. L’adéquation du discours officiel sur la mort encéphalique, Mémoire de Master d’Ethique Médicale, Université Paris-5, 2006
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Les différences les plus notables concernent :
Le nombre et le profil des coordonnateurs
La proportion de médecins dans la population : supérieure en
Espagne
La formation des professionnels
L’activité réalisée par les coordonnateurs : en Espagne, audits
exhaustifs sur la mort encéphalique
La politique de communication vis-à-vis des médias
L’âge des donneurs et des receveurs
L’existence, en Espagne, des donneurs à cœur arrêté
Le mode de financement des professionnels
La possibilité d’une compensation aux proches, qui se limite aux
frais d’obsèques
L’ensemble de ces facteurs exercent une influence certaine à deux moments du
processus de la transplantation : le moment du recensement des donneurs potentiels et
l’entretien avec les proches. Dans ce travail, nous avons estimé que dans chacun de ces
moments, la France perd, par rapport à l’Espagne, environ 7 donneurs par million
d’habitants. La pénurie d’organes en France devrait encourager les gouvernements
espagnol et français à promouvoir des études de type comparatif entre ces pays, dont les
résultats pourraient donner une information plus précise sur les causes spécifiques de
ces différences concernant le taux de dons. Tant que l’on n’aura pas réussi à reproduire
en France toutes les conditions transposables du modèle espagnol, toute invocation à la
“culture” pour expliquer les différences actuelles quant au taux de dons devrait être
qualifiée, pour le moins de conformiste, pour ne pas dire d’irresponsable.
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ANNEXE Tableau comparatif: Chiffres pour 2005 :
FRANCE ESPAÑA population (m. personnes) 61,6 44,1
total (pmh)
1371 (22)
1584 (35,1)
vivant rein (6,7% total de rein)
rein: (4% total de rein)
donneurs n.
coeur arr. 0 71 organes prélèves/greffes (seulement donneurs
décèdes) 4237
3683
sujets recenses en me. n. (pmh) 2803 (45,4)
entretiens avec les proches / refus 1665/ 33572 non prélèvement 51,1 %
opposition (% des sujets recenses / entretiens) 31,3 % 16,5 16,7 (entretiens)
greffes 4238 décèdes en liste d’attente 186 170
(5% du total)73
72 Matesanz, R. (2006). El milagro de los trasplantes. Madrid, La esfera de los libros. p.141, Etant donné qu’il y a eu davantage de donneurs que d’entretiens durant lesquelles les familles ont donné leur accord, on en déduit qu’en 2005, on a prélevé des organes sur 254 donneurs sans qu’aucune entretien spécifique ait eu lieu. Ceci ne veut pas obligatoirement dire que l’extraction ait été réalisée sans avoir recueilli le témoignage de la famille, mais que quelques unes expriment leur souhait de don avant d’engager un entretien formel avec les coordinateurs. 73 Ibid., p. 129. Muere el 8% de los que esperan un hígado y el 10 de los que esperan un corazón (p. 163)
30
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