La transition énergétique : enjeux et perspectives pour le...

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La lettre de l'Itésé Numéro 18 Printemps 2013 13 Eté 2013 Numéro 19 La lettre de l'Itésé Dossier La transition énergétique : enjeux et perspectives pour le CEA par Christian BATAILLE, VicePrésident de l'OPECST, Député du Nord J e pense que c’est ma qualité de viceprésident de l’OPECST, et d’auteur de nombreux rapports de l’OPECST sur les questions énergétiques qui me vaut l’honneur de conclure cette journée de réflexion sur les enjeux et perspectives de la transition énergétique L'OPECST, organe du Parlement chargé de l’évaluation des questions scientifiques et technologiques créé en 1983, a en effet une longue tradition de réflexion sur les questions énergétiques. Abordant ce thème dès son deuxième rapport en décembre 1987 sur les conséquences de l'accident de Tchernobyl, il a produit à ce jour trente rapports touchant à ces questions, dont 25 concernant les différents aspects de l'énergie nucléaire (déchets, sûreté) et 5 concernant ce qu'on appelait encore, voilà quelques années, les nouvelles technologies de l'énergie. J’ai été personnellement impliqué dans plus de la moitié de ces rapports. A sa manière, l'OPECST a ainsi contribué aux trois grands précédents moments de réflexion nationale sur l’énergie : celle ouverte en janvier 2003 par le «Débat national sur les énergies», qui s’est achevé avec le rapport sur le «facteur 4» en août 2006, et la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique ; celle ouverte en juillet 2007 par le Grenelle de l’environnement, qui a abouti aux deux lois du 3 août 2009 et 12 juillet 2010. Le troisième est consécutif à l'accident de Fukushima, l'OPECST s'est vu confier par les deux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat une étude sur l'avenir de la filière nucléaire dont les conclusions ont été présentées le 15 décembre 2011. L’OPECST ne pouvait donc pas manquer d’apporter sa contribution au débat sur la transition énergétique. Il le fait à travers ses études en cours, complétées par quelques démarches spécifiques. Ainsi je conduis actuellement avec JeanClaude Lenoir une étude sur les gaz de schiste, ou plutôt les hydrocarbures non conventionnels, qui constituent évidemment un des aspects importants de ce débat dans une perspective de moyenlong terme. Leur disponibilité potentielle ou réelle modifierait évidemment le contexte d’exploitation des autres sources d’énergie. Notre analyse concerne en particulier l’éventuelle mise à jour de techniques d’exploitations alternatives à la fracturation hydraulique, et plus compatibles avec l’environnement. D’autres études de l’OPECST apportent actuellement une contribution au débat sur la transition énergétique. En premier lieu, le rapport final de la mission sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, publié en décembre 2011, a proposé une « trajectoire raisonnée » de décroissance progressive de l'électricité d'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à la maturation des technologies de stockage d'énergie, indispensables pour compenser l'intermittence (la variabilité) des énergies éolienne et solaire. En deuxième lieu, une étude sur les usages énergétiques de l'hydrogène, menée par JeanMarc Pastor et Laurent Kalinowski, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteur énergétique pourrait jouer dans le stockage des énergies renouvelables. En troisième lieu, une étude sur les nouvelles mobilités sereines et durables, confiée à Fabienne Keller et Denis Baupin, étudie les évolutions des véhicules individuels et de leurs usages. Les transports, rappelonsle, représentent le tiers de notre consommation énergétique. En quatrième lieu, l’OPECST est chargé en vertu de la loi du 28 juin 2006 d’évaluer le troisième plan national de

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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 18 ­ Printemps 2013 13Eté 2013 ­ Numéro 19 La lettre de l'I­tésé

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La transition énergétique : enjeux etperspectives pour le CEApar Christian BATAILLE,Vice­Président de l'OPECST,Député du Nord

Je pense que c’est ma qualité de vice­président del’OPECST, et d’auteur de nombreux rapports del’OPECST sur les questions énergétiques qui me vautl’honneur de conclure cette journée de réflexion sur lesenjeux et perspectives de la transition énergétiqueL'OPECST, organe du Parlement chargé de l’évaluationdes questions scientifiques et technologiques créé en 1983,a en effet une longue tradition de réflexion sur lesquestions énergétiques. Abordant ce thème dès sondeuxième rapport en décembre 1987 sur les conséquencesde l'accident de Tchernobyl, il a produit à ce jour trenterapports touchant à ces questions, dont 25 concernant lesdifférents aspects de l'énergie nucléaire (déchets, sûreté)et 5 concernant ce qu'on appelait encore, voilà quelquesannées, les nouvelles technologies de l'énergie. J’ai étépersonnellement impliqué dans plus de la moitié de cesrapports.A sa manière, l'OPECST a ainsi contribué aux trois grandsprécédents moments de réflexion nationale sur l’énergie :celle ouverte en janvier 2003 par le «Débat national sur lesénergies», qui s’est achevé avec le rapport sur le «facteur4» en août 2006, et la loi de programme du 13 juillet 2005fixant les orientations de la politique énergétique ; celleouverte en juillet 2007 par le Grenelle de l’environnement,qui a abouti aux deux lois du 3 août 2009 et 12 juillet 2010.Le troisième est consécutif à l'accident de Fukushima,

l'OPECST s'est vu confier par les deux présidents del'Assemblée nationale et du Sénat une étude sur l'avenirde la filière nucléaire dont les conclusions ont étéprésentées le 15 décembre 2011.L’OPECST ne pouvait donc pas manquer d’apporter sacontribution au débat sur la transition énergétique. Il lefait à travers ses études en cours, complétées par quelquesdémarches spécifiques.Ainsi je conduis actuellement avec Jean­Claude Lenoirune étude sur les gaz de schiste, ou plutôt leshydrocarbures non conventionnels, qui constituentévidemment un des aspects importants de ce débat dansune perspective de moyen­long terme. Leur disponibilitépotentielle ou réelle modifierait évidemment le contexted’exploitation des autres sources d’énergie. Notre analyseconcerne en particulier l’éventuelle mise à jour detechniques d’exploitations alternatives à la fracturationhydraulique, et plus compatibles avec l’environnement.D’autres études de l’OPECST apportent actuellement unecontribution au débat sur la transition énergétique.En premier lieu, le rapport final de la mission sur lasécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir,publié en décembre 2011, a proposé une « trajectoireraisonnée » de décroissance progressive de l'électricitéd'origine nucléaire, afin de laisser le temps nécessaire à lamaturation des technologies de stockage d'énergie,indispensables pour compenser l'intermittence (lavariabilité) des énergies éolienne et solaire.En deuxième lieu, une étude sur les usages énergétiquesde l'hydrogène, menée par Jean­Marc Pastor et LaurentKalinowski, s'attache à évaluer le rôle que ce vecteurénergétique pourrait jouer dans le stockage des énergiesrenouvelables.En troisième lieu, une étude sur les nouvelles mobilitéssereines et durables, confiée à Fabienne Keller et DenisBaupin, étudie les évolutions des véhicules individuels etde leurs usages. Les transports, rappelons­le, représententle tiers de notre consommation énergétique.En quatrième lieu, l’OPECST est chargé en vertu de la loidu 28 juin 2006 d’évaluer le troisième plan national de

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gestion des matières et déchets radioactifs, et deuxauditions ont eu lieu à ce propos, les jeudis 28 février et 21mars. Bien entendu, la question des déchets radioactifsreste, pour l'essentiel, distincte des choix à venir surl'évolution de la filière nucléaire, puisqu'il sera, dans tousles cas, nécessaire d'assurer leur gestion. Mais notredeuxième audition a permis d’aborder notamment lesujet des réacteurs nucléaires du futur. Cette nouvellegénération de réacteurs, plus sûrs, pourrait permettre toutà la fois d'exploiter le potentiel énergétique considérablede nos réserves d'uranium appauvri et de plutonium etde réduire les éléments radioactifs les plus nocifs.En cinquième lieu, le Bureau de l’Assemblée nationalenous a demandé, le 22 mai dernier, de lancer une étudesur l’apport de l’innovation technologique aux économiesd’énergie dans le secteur du bâtiment.Nous avons anticipé cette étude par une audition du jeudi4 avril dernier, ouverte par M. André Chassaigne,président du groupe de la Gauche démocrate etrépublicaine, à l’origine de cette saisine. L’audition a étéconclue par Mme Fleur Pellerin, ministre délégué encharge de l’innovation. Chacun sait que les économiesd’énergie sont une dimension cruciale de la transitionénergétique. Il est essentiel d’évaluer l’effort effectif quipourra être fait dans ce domaine, sans se contenter descalculs virtuels a priori.Enfin, pour compléter ces contributions au débat sur latransition énergétique, l’OPECST s’est fixé l’objectif defaire le point sur certains domaines innovants, repérésnotamment par son dernier rapport d’évaluation de lastratégie de recherche en énergie de mars 2009. Enparticulier, l’OPECST a entendu le 23 avril des acteursfrançais des énergies de la mer, notamment ceux de laDCNS, l’ancienne direction des constructions navales, quien a fait l’un de ses principaux axes stratégiques dedéveloppement.Une audition publique, le 6 juin prochain, nous permettrade faire le point sur les feuilles de route technologiques etles avancées de l’innovation pour d’autres formesd’énergies renouvelables : le photovoltaïque, dont lephotovoltaïque organique ; la géothermie, la biomasse.Tous ces travaux doivent nous conduire à produire unrapport de synthèse avant la fin de l’été ou au début del’automne. D’ores et déjà, il est possible de mettre enavant quelques axes principaux d’analyse.Ainsi, mon rapport de décembre 2011 sur l’avenir de lafilière nucléaire posait que le devenir du bouquetélectrique français devait se régler sur la vitesse dematuration industrielle des énergies renouvelables.Ce constat conduit à décrire une «trajectoire raisonnée»,fonction des perspectives plausibles d’évolution destechnologies en jeu, se traduisant par une réduction de lapart de l’énergie nucléaire à un niveau de 50 à 60 % de laproduction totale actuelle vers 2050 et de l’ordre de 30 %vers 2100, toutes choses étant équivalentes par ailleurs du

point de vue de la sécurité énergétique, de la neutralitéclimatique et de «l’empreinte économique»(l’implantation en termes d’emplois).C’est un schéma proche du volontarisme affiché par lePrésident de la République, qui propose un recul plusrapide de 75% à 50% d’ici 2025. Mais notre «trajectoireraisonnée» intègre l’objectif complémentaire d’assurerune transition «toutes choses égales par ailleurs», c'est­à­dire sans risque pour la sécurité énergétique (du point devue de l’approvisionnement et de l’indépendancenationale), pour la neutralité climatique (en évitant lerecours de substitution au gaz), ou pour l’empreinteéconomique (en maîtrisant la hausse des prix).Tout au long de la transition vers cette substitution desmoyens actuels de production, l’énergie nucléaire, dansles conditions de sûreté renforcée prenant en compte lesenseignements de l’accident de Fukushima, conserveraitson rôle de pilier du bouquet électrique français, lesgénérations technologiques nouvelles (troisièmegénération, puis quatrième génération) se déployant àl’occasion de l’arrivée en fin de vie des réacteurs desgénérations antérieures, au rythme de deux réacteursnouveaux en remplaçant trois anciens.Cette «trajectoire raisonnée» de décroissance progressivede la part d'énergie nucléaire dans la productionélectrique n’interdirait en rien une évolution plus rapidesi les ruptures technologiques permettaient de sauter desétapes. Mais nous avons souligné qu’une démarche desubstitution qui se voudrait être plus volontariste enfaisant fi des limites bien réelles des techniques actuellesprendrait le double risque de conduire à l’incohérenceclimatique et à l’impasse économique :­ l’incohérence climatique, parce que le seul substitutviable à court terme pour la production nucléaire est laproduction thermique (gaz et charbon) fortementémettrice de CO2, qui s’imposera alors nécessairement,soit directement pour empêcher les délestages, soit, dansle meilleur des cas, pour compenser l’intermittence desénergies renouvelables;­ l’impasse économique en raison de l’effet de ciseaurésultant de ce que le déploiement des énergiesrenouvelables est subventionné grâce au produit de la«contribution du service public de l’électricité» (CSPE),qui est assise sur la facture d’électricité, c’est à dire pourles trois­quarts, sur la production nucléaire.C’est le prix relativement bas de l’électricité française,héritage de l’investissement historique de notre pays dansl’énergie nucléaire, qui permet d’effectuer depuis 2003 ceprélèvement de manière relativement indolore. Si la basede production nucléaire en vient à être brusquementréduite sans attendre la maturation des solutions desubstitution, comme toute autre source d’électricité nonhydraulique est plus chère, lee pprriixx ffiinnaall ddee ll’’éélleeccttrriicciittééss’’ééllèèvveerraa mmééccaanniiqquueemmeenntt, réduisant d’autant la marge de

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15Eté 2013 ­ Numéro 19 La lettre de l'I­tésé

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revenu du client final pouvant faire l’objet d’unprélèvement. LLaa rreessssoouurrccee ppoouurr ssoouutteenniirr llee ddééppllooiieemmeennttddeess éénneerrggiieess rreennoouuvveellaabblleess ssee ttaarriirraa ddoonncc aauu mmoommeennttmmêêmmee ooùù ccee ddééppllooiieemmeenntt aauurraa aauu ccoonnttrraaiirree bbeessooiinn dd’’êêttrreeaaccccéélléérréé ppoouurr ccoommppeennsseerr llee ddééffiicciitt dd’’éélleeccttrriicciittéé pprroovvooqquuééppaarr ll’’aarrrrêêtt aa pprriioorrii ddeess cceennttrraalleess nnuuccllééaaiirreess..Un tel arrêt précipité enclencherait donc un cercle vicieuxqui contrarierait l’objectif d’accroître la place des énergiesrenouvelables; il conduirait en outre à une détériorationdu bilan en CO2 via un recours contraint à un supplémentd’énergies fossiles. C’est là l’illustration d’un «effet deciseau» : une trajectoire trop directe pour obtenir desbénéfices va activer d’elle­même des facteurs antagonistesaccroissant à rebours des charges et des contraintes aupoint d’annihiler les gains souhaités.Au mécanisme auto­bloquant très immédiat passant parle canal des subventions, il faut ajouter dans ce cas le jeuplus général du circuit économique, car une interruptionde la production nucléaire sans solution véritablementsubstituable, avec les conséquences qu’elle aurait sur laqualité de l’approvisionnement en électricité, entraîneraitdes perturbations du système productif qui pèseraient surla croissance, diminuant d’autant les ressourcespotentielles de financement public et privé pourl’investissement dans des capacités de productionnouvelles.Dans une logique déjà illustrée par des phases similairesde l’histoire, les énergies renouvelables prendrontd’autant plus rapidement leur essor qu’elles s’appuierontsur les apports technologiques et économiques dessystèmes énergétiques antérieurs, qu’il serait doncdommageable d’arrêter prématurément.La compensation de l’intermittence (= la variabilité)Le volet essentiel de cette «trajectoire raisonnée» dedécroissance progressive réside dans la mise au point desolutions technologiques nouvelles permettant decompenser la variabilité des énergies renouvelables parstockage de l'énergie.L’effort à conduire en ce domaine présente un intérêtindustriel, car toute solution nouvelle aura vocation àdiffuser commercialement dans le monde entier,notamment dans les pays émergents qui renforcent leursystème énergétique au fur et à mesure de leurdéveloppement, et qui se tournent pour cela vers toutesles formes d’énergie disponibles, y compris les énergiesrenouvelables.Dès 2009, un rapport de l’OPECST observait que lessystèmes destinés à permettre un stockage massifd’énergie, notamment intersaisonnier, restaient encorelargement à développer. Plus de quatre ans plus tard, ceconstat demeure largement d’actualité même si desperspectives nouvelles se sont ouvertes depuis lors.Deux pistes paraissent bien adaptées pour répondre à des

besoins de stockage massif d’énergie : les stations depompage, et la conversion du gaz carbonique.Le stockage d’énergie par retenue d’eauLes stations de pompage (STEP) sont capables de délivrerdes puissances de plusieurs gigawatts grâce à de l’eauretenue dans des réservoirs, déversée au moment voulusur des turbines. La France dispose déjà d’une capacitéd’ajustement cumulée de 5 GW sous cette forme, enparticulier grâce au barrage de Grand’Maison dansl’Isère. Comme il sera difficile de trouver de nouveauxsites en montagne, le rapport précité de mars 2009 avaitsouligné la pertinence de l’idée de l’ingénieur FrançoisLempérière de construire des stations de pompage sur lelittoral en utilisant la mer comme bassin bas.Dans le cadre d’un appel à manifestations d’intérêt sur lessystèmes de stockage d’énergie lancé par l’Ademe et leCommissariat général à l’investissement en avril 2011,EDF a proposé la réalisation en Guadeloupe d’une STEPqui serait construite en haut de falaise.Ce démonstrateur est conçu notamment en liaison avecAlstom et les anciens chantiers navals de Saint­Nazaire(aujourd’hui STX), et consiste en l’installation par voiemaritime d’une usine préfabriquée en pied de falaise demanière à standardiser autant que possible l’architecture.Ainsi conçu, le projet ouvre la voie à la création d’unefilière industrielle en mesure de répondre à la demandeinternationale considérable qui se dessine avecl’expansion des énergies renouvelables. Actuellement, lescapacités de stockage de masse atteignent 140 GW dans lemonde, chiffre qui pourrait croître jusqu’à 500 GW voire2000 GW vers 2040; les STEP marines constitueront unesolution particulièrement bien adaptée pour lastabilisation de l’électricité produite par les parcsd’éoliennes offshore.Le stockage d’énergie dans des hydrocarbures desynthèseLe stockage d’énergie par conversion du gaz carboniquepour fabriquer du carburant de synthèse est une pistetechnologique qui présente le double avantage d’apporterune solution à l’intermittence des énergies renouvelableset de créer un nouveau cycle du carbone ayant pour effetde fixer un temps les gaz à effet de serre, tout comme lecycle naturel basé sur la photosynthèse.Le «scénario négaWatt» la mentionne en évoquant la«méthanation», procédé de production de méthane parun mélange d’hydrogène et de gaz carbonique enprésence d’un catalyseur, mis au point par Paul Sabatier,prix Nobel de Chimie en 1912. Le «gaz naturel» ainsiobtenu peut ensuite être stocké ou distribué par le réseauexistant, ce qui permet d’appuyer le développement desénergies renouvelables sur une filière industrielledisposant d’une incontestable expérience.

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La lettre de l'I­tésé ­ Numéro 19­ Eté 201316

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Quel que soit le procédé utilisé, il passe toujours par unepremière étape de production d’hydrogène, qui mobilisel’énergie que l’on cherche à stocker. Cette énergie peutêtre de l’énergie renouvelable surabondante en cas debons vents ou de fort ensoleillement, mais aussi unexcédent d’énergie nucléaire en saison de sous­consommation. Ensuite, l’opération de synthèse quiutilise l’hydrogène ainsi produit, et le carbone contenudans le gaz carbonique, relève de l’industrie chimiquetraditionnelle, qui est consommatrice d’énergie.L’opération de stockage d’énergie peut aussi s’arrêter austade de la production d’hydrogène, destiné alors soit àun mélange en faible dose avec le gaz naturel, pourobtenir un combustible moins émetteur de gazcarbonique, soit à l’alimentation d’une pile à combustible.En Allemagne, toutes ces voies font d’ores et déjà l’objetd’expérimentations. Elles permettent un stockaged’énergie pouvant délivrer une puissance de plusieurscentaines de mégawatts pour des durées quasimentillimitées, puisqu’elles dépendent d’unapprovisionnement par gazoduc. Il est indispensable quel’industrie française, selon des modalités qui restentévidemment à définir, développe des partenariats derecherche avec son homologue allemande pour être enmesure de maîtriser les technologies correspondantes.La mise au point d'un procédé de valorisation du gazcarbonique a pour enjeu que le captage du gazcarbonique deviendrait alors une fin économique en soi,et non plus une charge pure pour les finances publiques.Les enseignements des modèles de l’ANCREComme vous l’aurez constaté les analyses de l’OPECSTne sont pas très différentes du scénario central«Electricité» de l’ANCRE qui vous a été présenté tout àl’heure par Jean­Guy Devezeaux. C’est le même scénariosous réserve d’une relaxation de deux contraintes.Premièrement, la relaxation de la contrainte sur laconsommation d’énergie : on suppose un maintien duniveau de la consommation d’électricité par unecompensation entre l’efficacité accrue des usages del’électricité, grâce aux technologies de l’information, etl’extension des usages de l’électricité, du fait de ladématérialisation croissante des transactions. Lesdiminutions de consommation d’énergie sont reportéesentièrement sur les ressources fossiles pour limiter lesémissions de CO2.Deuxièmement, la relaxation de la contrainte de temps : larègle opératoire du remplacement de trois réacteurs pardeux réacteurs de la génération suivante, ramène laproduction d’énergie nucléaire à 50% de la productionactuelle vers 2050, et non pas vers 2025.Je voudrais souligner combien cette relaxation de lacontrainte de temps est importante :­ D’abord, elle est cohérente avec le constat que l’histoirede l’énergie s’inscrit dans le temps long, le rythme des

évolutions dans ce domaine se faisant à l’échelle desdemi­siècles au moins. Cela ne sert à rien d’essayer deprécipiter le mouvement, il a une vitesse propre. On peutcertes créer les conditions pour une accélération, maistoute innovation doit passer par des étapes successives,on ne peut en court­circuiter les jalons ;­ Ensuite, c’est la progressivité de l’évolution qui assureun support à la transition. Une transition a besoind’énergie. Elle s’effectuera d’autant mieux et d’autantplus vite qu’elle pourra s’appuyer sur un systèmeénergétique solide. A vouloir casser trop vite le systèmede production nucléaire, on risque d’handicaperl’émergence des systèmes de substitution : lesconcepteurs des technologies nouvelles de l’énergie nepeuvent pas travailler dans le noir.En fait, ce qui devrait être le maître mot de la transitionénergétique, c’est le mot «maturation». On peut imaginerque la part de l’énergie nucléaire diminue dans notresystème énergétique, mais cette diminution doit se faireau rythme de la maturation des solutions de substitution.Au début du XIe siècle, le moine Eilmer de Malmesbury,équipé d’un harnais portant des ailes mécaniques de saconfection, s’est lancé d’une tour de son monastère pourtenter de réaliser le fabuleux rêve d’Icare. Il a progresséde quelques mètres dans le vide avant de chuterbrutalement, se brisant les jambes au point de resterestropié à vie. Il n’avait pas tort de croire qu’un hommepourrait un jour s’envoler. Il lui manquait seulement septsiècles de progrès technique pour y parvenir comme lesfrères Montgolfier, et encore un siècle de progrèsindustriel pour y parvenir comme Clément Ader, et lesfrères Wright.Il ne faudra certainement pas autant de temps pourdomestiquer complètement les énergies renouvelables ; etl’adverbe «complètement» renvoie à une exploitationsans besoin d’aide publique. Mais il serait irresponsabled’estropier notre pays en le lançant dans le vide pours’éviter d’attendre les deux ou trois décenniesindispensables à la mise en œuvre de cette domestication.