La Russie d'Aujourd'hui

8
Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Distribué avec Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The New York Times, The Economic Times et d’autres grands quotidiens internationaux Mercredi 19 février 2014 À la redécouverte d’Anton Lavinsky La « poupée russe » a fière allure Des sculptures de l’artiste cubiste réapparaissent dans une galerie parisienne. C’est le surnom de la créatrice de mode Ulyana Sergeenko, qui intègre les traditions cuturelles russes. P. 7 P. 8 Produit de Russia Beyond the Headlines ANNA KOZINA LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI Plus jeune championne olympique de l’histoire des Jeux d’hiver, Ioulia est « en piste » pour d’autres médailles et représente à moins de 16 ans un exemple pour sa génération. Ioulia Lipnitskaïa : une pirouette en or et un record JO La jeune patineuse crée la surprise à Sotchi et incarne la relève de la grande tradition russe sur la glace Une « tsarine » est née : Ioulia Lipnistkaïa est devenue la plus jeune championne olympique de l’histoire des Jeux d’hiver en remportant à Sotchi l’épreuve de patinage artistique par équipes avec la Russie. Elle avait exac- tement 15 ans et 249 jours. Le record appartenait aupara- vant à l’Américaine Tara Lipinski, qui s’était emparée de l’or à Na- gano en 1998 à l’âge de 15 ans et 255 jours. La veille des JO 2014, Lipinski avait d’ailleurs déclaré dans un entretien au New York Times qu’on pouvait s’attendre à une surprise avec Lipnitskaïa, évo- quant plutôt le tournoi individuel féminin où la Russe pourrait rem- porter l’or qui a toujours échappé à son pays dans cette discipline. Ioulia n’était pas encore née quand Evgeni Plushenko, son par- tenaire au sein de l’équipe, est devenu pour la première fois champion du monde senior. Il la qualifie de « petit génie ». Double médaillé d’argent aux Jeux olym- piques de Lillehammer et Naga- no, Elvis Stojko a quant à lui écrit sur son compte Twitter : « Ioulia Lipnitskaïa peut devenir la nou- velle superstar. Elle sera pour beaucoup de gens une source d’inspiration si elle poursuit en- core plusieurs années sa carrière dans le patinage artistique ». Premiers pas Ioulia est née à Ekaterinbourg, où elle a commencé le patinage artistique à quatre ans. Estimant que sa ville natale ne répondait pas à ses ambitions, elle décide en 2009 de s’installer à Moscou pour s’entraîner chez la jeune spé- cialiste Eteri Toutberidze. Lip- nitskaïa se souvient qu’elle était prête à renoncer à son ambition et à devenir une jeune fi lle ordi- naire au cas où Toutberidze ne l’aurait pas prise sous son aile. Mais elle a été retenue et la for- Ioulia Lipnitskaïa porte de nouveaux espoirs russes de médaille sur la glace à Sotchi cette semaine. matrice a immédiatement compris que « l’élève » Ioulia avait les capaci- tés de devenir une vraie championne. Lors de la saison 2011- 12, Ioulia Lipnitskaïa a rempor- té toutes les compétitions juniors auxquelles elle a pris part, dont la finale du Grand Prix et le championnat du monde. L’année suivante, elle gagnait déjà deux étapes du Grand Prix senior, avant de se retirer de la finale : elle s’était ouvert le menton et avait subi une légère commotion à l’entraîne- ment. Âge de transition En 2012, elle commence à connaître des problèmes typique- ment liés à l’adolescence : prise de poids et croissance difficile. Sa première monitrice, Elena Lev- koviets, se souvient des doutes qui avaient assailli la future cham- pionne olympique l’année der- nière : « Ioulia ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait et ne savait pas quoi faire de ses bras et de ses jambes. De plus, tout ne lui réussissait pas à l’entraînement ». Qui aurait pu penser que cette jeune fi lle frêle se battait tous les jours contre son poids ? Toutbe- ridze ne cesse de s’extasier de- vant la détermination de son élève, surnommée « tantchik » (le petit tank) à l’école de patinage. « Je n’avais jamais vu ça dans ma carrière : elle ne mangeait tout simplement rien. Lorsqu’il faut perdre du poids, elle ne se nour- rit que de fibres en poudre pour se donner de l’énergie. Mais elle y arrive, Dieu soit loué. Elle a beaucoup de caractère ». Pas un seul jour de repos Dans ses prestations, Ioulia donne l’impression de réaliser avec une facilité décon- certante ses pirouettes à grand écart vertical, pour lesquelles sa note reçoit les degrés de difficulté les plus élevés et un bonus de « +3 ». Mais cette impression est trompeuse. SUITE EN PAGE 3 À l’horizon politique 2014 Le Centre orthodoxe relancé à Paris La rue Rubinstein PAGE 2 PAGE 3 PAGE 5 POLITIQUE SOCIÉTÉ Parmi les grands objectifs de la politique étrangère russe cette année : l’intégration éurasienne, le renforcement des relations avec l’Union européenne (sans parler de l’épineux dossier ukrainien) et la négociation de nouvelles entrées sur le marché des hydrocarbures. Redessiné par Jean-Michel Wil- motte, ce centre cultuel et culturel de quatre bâtiments intégrera son architecture dans le paysage urbain du quai Branly tout en respectant les obligations canoniques de l’Église orthodoxe russe. La première pierre devrait être posée en juin prochain, après des années de tergiversations. Ce « quartier des artistes » de Saint-Pétersbourg, qui doit son nom à Anton Rubinstein est ou a été l’adresse d’écrivains et de musiciens célèbres, de Dovla- tov à Brodsky en passant par les stars du rock underground. RÉGIONS Poutine propose une zone de libre- échange à l’Union européenne Le sport à l’ère soviétique, au-delà de l’idéologie larussiedaujourdhui.fr/27661 larussiedaujourdhui.fr/27843 À lire sur notre site Web Prochain numéro Le 19 mars ITAR-TASS SERVICE DE PRESSE GETTY IMAGES/FOTOBANK INSTITUT DE L’ART RÉALISTE RUSSE KONSTANTIN MALER

description

La Russie d'Aujourd'hui est une source d'informations politiques, économiques et culturelles internationalement reconnue. Elle propose une couverture médiatique réalisée sur le terrain par des journalistes possédant une connaissance en profondeur du pays, ainsi que des analystes et un vaste éventail d'opinions sur les événements actuels.

Transcript of La Russie d'Aujourd'hui

Page 1: La Russie d'Aujourd'hui

Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu

Distribué avec

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The New York Times, The Economic Times et d’autres grands quotidiens internationaux

Mercredi 19 février 2014

À la redécouverte d’Anton Lavinsky

La « poupée russe »a fière allure

Des sculptures de l’artiste cubiste réapparaissent dans une galerie parisienne.

C’est le surnom de la créatrice de mode Ulyana Sergeenko, qui intègre les traditions cuturelles russes.

P. 7

P. 8

Produit de Russia Beyond the Headlines

ANNA KOZINALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Plus jeune championne

olympique de l’histoire des Jeux

d’hiver, Ioulia est « en piste »

pour d’autres médailles et

représente à moins de 16 ans un

exemple pour sa génération.

Ioulia Lipnitskaïa : une pirouette en or et un record

JO La jeune patineuse crée la surprise à Sotchi et incarne la relève de la grande tradition russe sur la glace

Une « tsarine » est née : Ioulia Lipnistkaïa est devenue la plus jeune championne olympique de l’histoire des Jeux d’hiver en remportant à Sotchi l’épreuve de patinage artistique par équipes avec la Russie. Elle avait exac-tement 15 ans et 249 jours.

Le record appartenait aupara-vant à l’Américaine Tara Lipinski, qui s’était emparée de l’or à Na-gano en 1998 à l’âge de 15 ans et 255 jours. La veille des JO 2014, Lipinski avait d’ailleurs déclaré dans un entretien au New York Times qu’on pouvait s’attendre à une surprise avec Lipnitskaïa, évo-quant plutôt le tournoi individuel féminin où la Russe pourrait rem-porter l’or qui a toujours échappé à son pays dans cette discipline.

Ioulia n’était pas encore née quand Evgeni Plushenko, son par-tenaire au sein de l’équipe, est devenu pour la première fois champion du monde senior. Il la qualifi e de « petit génie ». Double médaillé d’argent aux Jeux olym-piques de Lillehammer et Naga-no, Elvis Stojko a quant à lui écrit sur son compte Twitter : « Ioulia Lipnitskaïa peut devenir la nou-velle superstar. Elle sera pour beaucoup de gens une source d’inspiration si elle poursuit en-core plusieurs années sa carrière dans le patinage artistique ».

Premiers pasIoulia est née à Ekaterinbourg, où elle a commencé le patinage artistique à quatre ans. Estimant que sa ville natale ne répondait pas à ses ambitions, elle décide en 2009 de s’installer à Moscou pour s’entraîner chez la jeune spé-cialiste Eteri Toutberidze. Lip-nitskaïa se souvient qu’elle était prête à renoncer à son ambition et à devenir une jeune fi lle ordi-naire au cas où Toutberidze ne l’aurait pas prise sous son aile. Mais elle a été retenue et la for- Ioulia Lipnitskaïa porte de nouveaux espoirs russes de médaille sur la glace à Sotchi cette semaine.

matrice a immédiatement compris que « l’élève » Ioulia avait les capaci-

tés de devenir une vraie championne.

Lors de la saison 2011-12, Ioulia Lipnitskaïa a rempor-té toutes les compétitions juniors auxquelles elle a pris part, dont la finale du Grand Prix et le championnat du monde. L’année suivante, elle gagnait déjà deux étapes du Grand Prix senior, avant de se retirer de la fi nale : elle s’était ouvert le menton et avait subi une légère commotion à l’entraîne-ment.

Âge de transitionEn 2012, elle commence à connaître des problèmes typique-ment liés à l’adolescence : prise de poids et croissance difficile. Sa première monitrice, Elena Lev-koviets, se souvient des doutes qui avaient assailli la future cham-pionne olympique l’année der-nière : « Ioulia ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait et ne savait pas quoi faire de ses bras et de ses jambes. De plus, tout ne lui réussissait pas à l’entraînement ».

Qui aurait pu penser que cette jeune fi lle frêle se battait tous les jours contre son poids ? Toutbe-ridze ne cesse de s’extasier de-vant la détermination de son élève, surnommée « tantchik » (le petit tank) à l’école de patinage. « Je n’avais jamais vu ça dans ma carrière : elle ne mangeait tout simplement rien. Lorsqu’il faut perdre du poids, elle ne se nour-rit que de fi bres en poudre pour se donner de l’énergie. Mais elle y arrive, Dieu soit loué. Elle a beaucoup de caractère ».

Pas un seul jour de reposDans ses prestations, Ioulia

donne l’impression de réaliser avec une facilité décon-

certante ses pirouettes à grand écart vertical, pour lesquelles sa note

reçoit les degrés de difficulté les plus élevés et un bonus de

« +3 ». Mais cette impression est trompeuse.

SUITE EN PAGE 3

À l’horizon politique 2014

Le Centre orthodoxe relancé à Paris

La rue Rubinstein

PAGE 2

PAGE 3

PAGE 5

POLITIQUE

SOCIÉTÉ

Parmi les grands objectifs de la politique étrangère russe cette année : l’intégration éurasienne, le renforcement des relations avec l’Union européenne (sans parler de l’épineux dossier ukrainien) et la négociation de nouvelles entrées sur le marché des hydrocarbures.

Redessiné par Jean-Michel Wil-motte, ce centre cultuel et culturel de quatre bâtiments intégrera son architecture dans le paysage urbain du quai Branly tout en respectant les obligations canoniques de l’Église orthodoxe russe. La première pierre devrait être posée en juin prochain, après des années de tergiversations.

Ce « quartier des artistes » de Saint-Pétersbourg, qui doit son nom à Anton Rubinstein est ou a été l’adresse d’écrivains et de musiciens célèbres, de Dovla-tov à Brodsky en passant par les stars du rock underground.

RÉGIONS

Poutine propose une zone de libre-échange à l’Union européenne

Le sport à l’ère soviétique, au-delà de l’idéologie

larussiedaujourdhui.fr/27661 larussiedaujourdhui.fr/27843

À lire sur notre site Web

Prochain numéro

Le 19mars

ITA

R-T

ASS

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

GETTY IMAGES/FOTOBANK

INSTITU

T DE L’A

RT R

ÉALISTE R

USSE

KON

STAN

TIN M

ALER

Page 2: La Russie d'Aujourd'hui

02LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Politique & Société

LES SUPPLÉMENTS SPÉCIAUX ET SECTIONS SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILLIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX: • LE FIGARO, FRANCE • LE SOIR, BELGIQUE• THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • LA REPUBBLICA, ITALIE • DUMA, BULGARIE • POLITIKA, GEOPOLITIKA, SERBIE • THE WASHINGTON POST, THE NEW YORK TIMES ET THE WALL STREET JOURNAL, ÉTATS-UNIS • ECONOMIC TIMES, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • GLOBAL

TIMES, CHINE • LA NACION, ARGENTINE • FOLHA DE S.PAULO, BRÉSIL • EL OBSERVADOR, URUGUAY • SYDNEY MORNING HERALD, THE AGE, AUSTRALIE • ELEUTHEROS TYPOS, GRÈCE • JOONGANG ILBO, CORÉE DU SUD • GULF NEWS, AL KHALEEJ, ÉMIRATS ARABES UNIS • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NATION, THAÏLANDE. 

EMAIL : [email protected]. POUR EN SAVOIR PLUS CONSULTEZ LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011)

ALEXANDRE GABOUEVKOMMERSANT

Les priorités (Union économique

eurasienne, relations avec

Bruxelles et recherche de

nouveaux débouchés pour les

hydrocarbures) n’occultent pas

les dossiers syrien et ukrainien.

Objectifs diplomatiques et défis économiques : le programme pour 2014

Géopolitique Trois grandes priorités de la politique étrangère russe : union eurasienne, relations européennes et nouveaux marchés

Renforcer l’intégration eurasienneL’année en cours sera décisive en ce qui concerne la formation de l’Union économique eurasienne (UEE), présentée comme le prin-cipal projet de politique étran-gère de la Russie et l’une des prio-rités du troisième mandat présidentiel de Vladimir Poutine.Le texte du Traité d’Union de-vrait être rédigé d’ici mars 2014 et les chefs d’État doivent ensuite se réunir l’été prochain pour le ratifi er. L’Union économique eu-rasienne doit entrer en service dès le 1er janvier 2015.

L’an dernier, de nombreux pro-blèmes touchant au processus d’intégration ont fait surface. Le premier touche les divergences entre Moscou et le Kazakhstan.

D’après des sources proches des négociations, la Russie sou-haite faire de l’UEE une struc-ture très centralisée, dans la-quelle pratiquement tout serait coordonné. Les États membres ne devraient pas seulement for-mer un marché unique de libre circulation des biens, services, capitaux et personnes mais éga-lement constituer un espace unique en matière d’immigra-tion, d’éducation et même de po-litique d’information. Les auto-rités du Kazakhstan, et dernièrement de la Biélorussie considèrent cela comme une at-teinte à leur souveraineté. Avec ces divergences en toile de fond,

Moscou devra faire preuve de tact diplomatique.

Entrer sur les nouveaux marchés des hydrocarburesParmi les principaux défi s, celui que la Russie a peut-être le mieux géré en 2013 concerne la recherche de nouveaux débouchés pour ses hydrocarbures.

Rosneft a signé un accord avec des compagnies pétrolières chinoises portant sur l’octroi d’une avance de 60 milliards de dollars (42 milliards d’euros) pour de fu-tures livraisons de pétrole. Cette somme servira principalement à l’achat d’actifs en Russie.

Mais l’importance qu’a prise la Chine a créé un risque de dépen-dance excessive envers un seul consommateur. Beijing s’est pra-

tiquement installé en position de monopole sur les achats de pé-trole russe à l’Est. L’une des tâches les plus urgentes pour 2014 devra donc être la diversifi cation des contacts en Asie de l’Est : la Chine conservera son rôle de client prin-cipal, mais Moscou doit trouver un contrepoids. Une récente vi-site de Vladimir Poutine en Corée du Sud n’a pas débouché, tandis que les relations avec le Japon restent caractérisées par la dé-fi ance en raison du différend ter-ritorial des îles Kouriles.

Quant aux autres partenaires asiatiques comme l’Inde et le Vietnam, ils proposent des dé-bouchés pour les produits de la construction mécanique, mais pas encore d’investissements. Or, la recherche d’investissement est

une priorité absolue pour l’éco-nomie russe.

Resserrer les relations avec l’EuropeLe virage chinois en matière d’ex-portation de matières premières ne rendra pas seulement néces-saire une diversification des contacts en Asie afi n de couvrir les risques, mais impliquera éga-lement la restauration de relations plus étroites avec l’Europe. Les relations avec l’Union européenne se sont considérablement dégra-dées au cours des deux dernières années, bien qu’en apparence, Moscou comme ses partenaires européens s’efforcent de ne pas le montrer publiquement.

Le symbole le plus visible de la somme de griefs accumulés réside

dans le fait qu’en 2013, la Russie et l’UE n’ont organisé qu’un seul sommet (à Ekaterinbourg en juin) en dépit du fait que durant de nombreuses années, les dirigeants de ces deux ensembles se réunis-saient deux fois par an : une fois en Russie, puis une seconde en Eu-rope. D’après certaines sources au sein de la Commission européenne, cela s’explique par le fait que le Sommet d’Ekaterinbourg s’est achevé sans aucun résultat : le sommet de décembre risquait ainsi de devenir le second sommet consécutif à se solder par un échec complet.

La relation touche le fond à cause de l’Ukraine. Des fonction-naires européens ont accusé la Russie d’ingérence dans les af-faires d’un État souverain. Les of-fi ciels russes ont fait preuve de plus de réserve, mais dénoncent les Européens se rendant à Kiev pour soutenir la contestation.

La détérioration des relations avec l’Allemagne constitue pour la Russie la perte la plus sérieuse. Selon des sources berlinoises, le refroidissement tiendrait aux poursuites judiciaires visant en Russie des opposants. La cause réelle serait toutefois la diminu-tion progressive de la dépendance des grandes entreprises alle-mandes envers les matières pre-mières et le marché russe.

« Lorsque l’on parle de l’éco-nomie chinoise et de son taux de croissance annuel de 7%, tout le monde est prêt à fermer les yeux sur les droits de l’homme, mais lorsque le regard se porte sur la Russie, sa faible croissance éco-nomique et ses perspectives in-certaines, les enthousiastes se ra-réfi ent », estime un responsable. Les diplomates russes recon-naissent que le niveau des rela-tions a baissé, et sans le soutien de l’Allemagne, travailler avec les autres États membres de l’UE s’avère autrement plus difficile.

C’est pourquoi rétablir les contacts avec Berlin constitue éga-lement un objectif primordial. La coopération autour de la libéra-tion de Mikhaïl Khodorkovski, dans laquelle l’Allemagne a joué un rôle clé, peut être considérée comme un exemple positif.

Version éditée d’un article publié dans Kommersant

" En 2014, le principal pro-blème qui structure la poli-tique extérieure russe est

le règlement définitif du dossier nucléaire iranien. Si l’on parvient à transformer l’accord provisoire en convention à long terme, cela aura un impact positif sur une série d’autres problèmes urgents, tels que la guerre civile en Syrie et la question du bouclier antimissile européen dans les relations russo-américaines ".

" Les tensions géopolitiques en Asie orientale, notam-ment la confrontation

territoriale qui oppose la Chine à plusieurs États voisins, seront la tendance pour l’année 2014. Les problèmes économiques, sociaux et environnementaux en Chine sont susceptibles de s’aggraver cette année et nécessitent une attention particulière ".

ILS L’ONT DIT

Evgueny Boujinski

Halil Karaveli

VICE-PRÉSIDENT DU CENTRE PIR

DIRECTEUR DU PROJET TURQUIE DE L’INSTITUT DES ÉTUDES DE L’ASIE CENTRALE ET DU CAUCASE DE L’UNIVERSITÉ JOHNS HOPKINS

Sergueï Lavrov (à droite), chef de la diplomatie russe, et son homologue français Laurent Fabius.

La crise ukrainienne et le risque nationalisteplus oligarchique. Les oligarques ukrainiens sont les principaux adversaires du rapprochement avec la Russie et de l’entrée dans l’Union douanière. Ils craignent d’être dévorés par les oligarques russes.

Si les oligarques opèrent en cou-

lisse, pourquoi la classe moyenne

monte-t-elle sur les barricades ?

La classe moyenne tant à Mos-cou qu’à Kiev est une couche assez fi ne, et non la classe sociale de la majorité, comme dans les années 60-80 en Occident. Mais elle est malgré tout assez visible dans les grandes villes.

La génération qui raisonne de façon utilitariste a déjà grandi. Et la culture protestataire ap-partient à sa descendance : « nous avons si bien réussi, nous sommes éduqués », se dit-on : « pourquoi devrions-nous nous soumettre à des hommes d’État barbares et malhonnêtes ? »

tive. L’instinct anarchique au contraire dicte ceci : on renverse le pouvoir, et on verra plus tard pour le reste.

Quelles sont les principales leçons

que la Russie peut retirer de Maï-

dan ?

La principale leçon est la sui-vante : les autorités ont décidé à un certain moment qu’elles pouvaient tout se permettre, que l’expansion de « la famille » et des modèles de rapports cla-niques de corruption n’aurait pas de frontières et, se passionnant pour le marchandage politique, ont oublié que la population ob-servait tout ça. La société qu’elles ont l’habitude de considérer comme statique a une force in-térieure et peut en un instant de-venir un acteur agissant.

Propos recueillis parElena Iakovleva,

Rossiyskaya Gazeta

Mikhaïl Remizov, directeur de l’Institut pour une stratégie na-tionale russe, décrypte la crise ukrainienne et explique pour-quoi une situation analogue est peu probable en Russie.

Maïdan [surnom du mouvement

protestataire ukrainien, ndlr] a vite

cessé d’être pacifique. Pourquoi

les intellectuels restent-ils soli-

daires des actions coup de poing

des nationalistes ?

Le nationalisme de rue radical est socialement très loin de l’in-telligentsia, mais dans le fond ils sont sensibles aux mythes ukrainiens créés précisément par l’intelligentsia. Le nationalisme est l’enfant de l’intelligentsia car c’est elle qui invente les mythes nationaux.

Les oligarques influencent-ils les

événements ?

Bien sûr. L’Ukraine est le pays de l’espace post-soviétique le

Bolotnaïa ne s’est pas développé

comme Maïdan...

Parce-que les autorités russes se sont comportées plus intel-ligemment. La haine du pou-voir est l’apanage d’une mino-rité tout à fait insignifi ante. Et

pour une explosion comme à Maïdan, il faut une charge ir-rationnelle de haine très forte. Ce n’est pas seulement l’absence de confi ance ou le rapport scep-tique au pouvoir, c’est la même chose dans n’importe quel pays. Mais une force telle qui ne peut pas attendre un an jusqu’aux élections, et renverser légale-ment un président qu’on ne sup-porte pas.

En Russie, sommes-nous plus

sceptiques et désabusés ?

Sans doute qu’en Russie l’ins-tinct de l’État est plus fort. La culture politique ukrainienne se construit sur l’archétype du village cosaque, la Zaporoguie, elle est plus anarchique. Chez nous, on raisonne essentiellement à peu près ainsi : l’État est in-juste, mais son absence serait en-core pire. Il ne faut renverser ce que l’on combat que si l’on est sûr qu’il y a une bonne alterna-

Les manifestants du Maïdan : la classe moyenne sur les barricades.

QUESTIONS & RÉPONSES

C’est un motif universel de protestation d’une sous-culture consumériste. La vérité est que ce type de motivation décrit plus ce qui s’est passé avec Bolotnaïa [le surnom du mouvement de prostestation russe, ndlr]...

PHO

TOSH

OT/

VO

STO

CK-

PHO

TO

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

PHO

TOSH

OT/

VO

STO

CK-

PHO

TO

Page 3: La Russie d'Aujourd'hui

03LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Société

DIMITRI DE KOCHKOLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La nouveau centre culturel

bénéficiera d’une architecture

s’intégrant dans le paysage tout

en respectant les règles

canoniques de l’Église

orthodoxe russe.

Un coin de Russie à Paris en 2016Architecture Après quelques péripéties politiques, le projet de centre orthodoxe et culturel redémarre sur des bases solides

Le centre redessiné a été pré-senté le mois dernier à la presse. L’architecte Jean-Michel Wil-motte, concepteur du projet, et Vladimir Kojine, intendant du Kremlin, ont dit espérer que les travaux démarreront au premier trimestre de cette année et du-reront deux ans pour une livrai-son en 2016. L’entreprise Bou-ygues a remporté l’appel d’offres.

L’église, au centre, sera entou-rée d’une salle d’exposition, d’un centre paroissial, d’une cafété-ria « à la russe » ouverte au pu-blic et d’une école franco-russe non confessionnelle pour 150 élèves accueillis dans 5 salles de classes de 30 places. Le projet initial ne prévoyait pas d’école mais la communauté russe de France, appuyée par l’ambassa-deur de Russie, Alexandre Orlov, l’a demandée et a été entendue par les autorités de Moscou. Le tout est construit en pierre de Bourgogne feuilletée et dans un style moderne sans ostentation. C’est la pierre de taille la plus répandue dans ce très « beau quartier » de Paris, proche de la Tour Eiffel et au bord de la Seine.

L’église est bâtie dans l’esprit des églises russes des XVème-XVIIème siècles des villes his-toriques de Vladimir et Souzdal et des cathédrales du Kremlin de Moscou, avec des murs mas-sifs de couleur ocre clair, ici al-légés par des incrustations en verre et l’effet feuilleté. Les cinq coupoles, grandes et couvertes d’or mat, sont en forme de bulbes, très associés par le public fran-çais à la Russie. Le clocher est, comme l’exige la tradition ca-nonique russe, situé à part en haut de la salle des expositions. Le tout occupe 4 650 mètres car-rés à l’angle du quai Branly et de l’avenue Rapp, précédemment

La maquette du futur centre orthodoxe et culturel russe dans le cadre du quai Branly.

L’architecte Jean-Michel Wilmotte nous parle de son projet.

Pourquoi vous a-t-on confié ce

projet aussi important ?

Notre bureau d’architectes est bien connu en Russie car nous y travail-lons depuis de nombreuses années. Nous travaillons aussi depuis long-temps à Paris, où plusieurs de nos projets font partie du décor. Il s’agit de bâtiments publics, de bureaux de grandes entreprises ou de loge-ments.

De combien de bâtiments sera

composé le complexe ?

Il y en aura quatre sur un terrain de 4 245 m2. Le complexe sera com-posé d’une cathédrale avec cinq coupoles, d’un centre de rencontre pour les représentants de la com-munauté russe et les Français dé-sirant en savoir davantage sur la culture orthodoxe, d’un bâtiment administratif et ecclésiastique, mais aussi, d’une école primaire bilingue français et russe qui pourra accueil-lir jusqu’à 150 enfants. C’est un élé-

QUESTIONS & RÉPONSES

Un architecte français bien connu en Russie

ment qui n’était pas prévu dans un premier temps, lorsque nous avons participé à l’appel d’offres interna-tional en 2011.

Quel matériau utiliserez-vous ?

C’est la pierre de Bourgogne qui est traditionnellement privilégiée à Paris, comme pour la cathédrale Notre-Dame de Paris et le Louvre.

Propose recueillis parViatcheslav Prokofiev,

Rossiyskaya Gazeta

JO : avec Lipnitskaïa la relève est enfin arrivée sur la glace

les conclusions de ses perfor-mances et corrigerons toutes les erreurs en vue de la prochaine compétition ».

Il s’agira du tournoi indivi-duel qui aura lieu les 19 et 20 février. Pour prendre de la dis-tance par rapport à l’euphorie entourant sa première médaille d’or et se cacher des regards ad-miratifs afi n de s’entraîner tran-quillement, Ioulia et son entraî-neur sont rentrés le 10 février à Moscou où toute une patinoire était à leur disposition.

AdversairesIl fallait de la volonté pour pas-ser d’une ambiance olympique festive au silence d’une patinoire et au calme de la vie à la mai-son. Mais c’est le prix de la pré-paration pour affronter la concurrence qui attend à Sotchi.

Les adversaires de Lipnits-kaïa peuvent en effet tirer pro-fi t à la fois de leur expérience et de leurs médailles. C’est le cas de l’Italienne Carolina Kostner, championne du monde 2012 et cinq fois championne d’Europe, ainsi que de la Japo-

« Vous savez, il m’arrive souvent de travailler sous tension. Par exemple, si j’arrête complète-ment l’entraînement, je suis raide comme un bout de bois. Mes muscles cessent tout sim-plement d’obéir », soupire la jeune médaillée.

Ioulia est une véritable perfec-tionniste. Elle peut être mécon-tente d’elle-même après une vic-toire indiscutable. Ce fut encore le cas après sa deuxième perfor-mance olympique. « Les sauts au-raient pu être mieux exécutés et ma dernière pirouette n’a pas été effectuée de la meilleure façon. Je n’arrive pas encore à me pardon-ner mes erreurs. Cela viendra peut-être avec l’expérience, comme quand Carolina Kostner sourit même après une chute aux championnats du monde ».

Toutberidze est d’accord avec son élève. « Elle doit encore tra-vailler certains aspects. Ioulia s’est énervée au milieu du pro-gramme. Mais c’est normal, ce n’est quand même pas une pou-pée mécanique. Nous tirerons

Evgeni Plushenko étreint « le petit génie » après la victoire.

SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE

dévolus à deux bâtiments de Météo France. Le projet prévoit une voie de passage privée mais ouverte le jour au public, un dé-gagement d’une partie du Palais de l’Alma, mitoyen, jusqu’à pré-sent dissimulé à la vue, et des espaces verts. Jean-Michel Wil-motte a beaucoup insisté sur

cette ouverture et le caractère aéré du projet en rendant hom-mage aux Russes d’avoir accep-té de ne pas construire sur toute la surface à laquelle ils avaient droit (8 000 mètres carrés). « Peu de promoteurs acceptent de faire ça aujourd’hui », a reconnu M. Wilmotte.

Les fresques intérieures sont de la compétence de l’ Église or-thodoxe russe. Il semble qu’elles seront peintes dans l’esprit de l’époque des célèbres artistes An-drei Roublev ou Théophane le Grec. M. Kojine a précisé que des écoles russes ont retrouvé le savoir-faire de l’époque et a lais-

sé entendre qu’une école de Saint-Pétersbourg lui paraissait la mieux placée.

Au printemps 2010, en pleine année croisée France-Russie, la Russie avait remporté l’appel d’offres pour acquérir ce terrain situé dans un des plus beaux quartiers de Paris. Le prix d’achat tournerait officieuse-ment autour de 60 millions d’eu-ros. Un appel à projets avait été lancé très rapidement et 10 can-didats ont été présentés au pu-blic et à un jury, comprenant des Russes et des Français, des re-présentants de l’ Église ortho-doxe russe et de la Mairie de Paris. En mars 2011, le jury avait voté en faveur de l’architecte es-pagnol Manuel Nunez Yanows-ky. Ce dernier, en équipe avec des architectes russes et fran-çais, proposait une église recou-verte d’une « canopée » en verre. Mais en janvier 2012, alors que la Russie déposait une demande de permis de construire à la Pré-fecture, le maire de Paris Ber-trand Delanoé s’y opposa et fi t des déclarations hostiles aux plans de l’architecte Nunez, le

traitant de « pastiche » et reje-tant l’idée de canopée.

En novembre 2012, la Russie retira son projet. Un groupe de travail franco-russe fut consti-tué. Le cabinet J-M Wilmotte, qui était arrivé second au concours et qui venait alors de remporter le projet du Grand Moscou en Russie tout en ayant l’habitude de travailler à Paris, avec la Mairie et d’autres par-tenaires, se vit confi er la tâche de proposer un nouveau projet. Il aurait aussi l’avantage d’évi-ter certains écueils techniques auxquels se heurtait le projet Nunez.

Le Patriarche Cyrille a donné sa bénédiction aux plans, et même fait quelques suggestions, selon l’ambassadeur Alexandre Orlov. M. Wilmotte s’est dit « très impressionné par l’entrevue lu-mineuse avec le patriarche ».

La première pierre devrait être posée le 6 juin, à l’occasion de la commémoration du débarque-ment, ou le 12, pour la fête na-tionale russe de la Constitution post-soviétique qui a vingt ans cette année.

SON PALMARÈS

Ioulia Lipnitskaïa est désormais championne olympique dans les épreuves par équipes, cham-pionne d’Europe 2014, cham-pionne du monde junior 2012 et vice-championne du monde 2013, ainsi que médaillée d’argent en fi-nale du Grand Prix 2013-14. Pour son programme libre, elle a reçu à Sotchi la note de 141,51 points, deuxième résultat de l’histoire derrière Kim Yu-na (150,06).Elle occupe la troisième place du

classement de l’Union internatio-nale de patinage (ISU) en date de janvier 2014.Lipnitskaïa a elle-même choi-si les thèmes de ses numéros.Programme court : « Ne otre-kaïoutsia lioubia » (Mark Minkov). Programme libre : « La liste de Schindler » (John Williams).Certains metteurs en scène ont refusé de réaliser « La liste de Schindler » avant qu’Ilia Aver-boukh, médaillée d’argent aux Jeux de Salt Lake City en danse sur glace, ne donne son accord. Son emploi du temps chargé a même obligé Ioulia Lipnitskaïa à travailler sur ces mises en scène la nuit.

NÉE : LE 5 JUIN 1998

ENTRAÎNEUR : ETERI

TOUTBERIDZE

naise Mao Asada, médaillée d’argent aux Jeux d’hiver 2010 et deux fois championne du monde (2008 et 2010), que la Russe a déjà vaincues au tour-noi par équipes. Sans oublier la Coréenne Kim Yu-na, cham-pionne olympique à Vancouver et deux fois championne du

monde, ou encore la Russe Ade-lina Sotnikova, présente sur le podium du championnat d’Eu-rope 2014 aux côtés de Lipnits-kaïa.

Elles ne bénéfi cieront proba-blement pas du même soutien du public. « On m’a prévenue plusieurs fois que les spectateurs

feraient beaucoup de bruit et qu’on n’entendrait même pas la musique. Dès l’échauffement, partout et tout le temps. J’étais normalement prête pour de telles conditions. Mais je ne pen-sais pas que ce serait si bruyant. Dieu soit loué, cela m’a aidée, explique Ioulia. L’important est

que j’étais bien préparée et que je me sentais bien sur la glace : elle glissait bien, me poussait et était peu friable. J’essaierai de continuer sur cette voie. Je ne pourrai me considérer comme une championne olympique qu’à la fin de toutes les compéti-tions ».

PHO

TOSH

OT/

VO

STO

CK-

PHO

TOR

EUTE

RS

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

(2)

Page 4: La Russie d'Aujourd'hui

04LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Économie

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Deux Russes et un Français ont

eu l’idée de mettre sur le

marché d’anciennes recettes

d’alcools russes totalement

oubliés depuis la révolution

bolchevique.

Une renaissance qui passe par un alambic français

Marché des spiritueux Une riche tradition de « boissons haut de gamme » se cache derrière la vodka

La vodka est à la mode partout dans le monde. On en produit partout, même en France (son-gez à Grey Goose, la plus oné-reuse au monde). Mais derrière cette forêt de vodkas aux arômes somme toute limités, se cache une riche tradition gustative en train d’être redécouverte. Pour ceux qui ont le sentiment que la vodka est un alcool brut auquel on a « oublié » d’ajouter une fra-grance, Viche Pitia pourrait être une révélation. La marque, dont le nom veut dire en russe « bois-son supérieure » ou « boisson haut de gamme », offre une ligne de spiritueux franco-russe qui a l’ambition de recréer le riche

voir s’arroge un monopole sur la distillation. La plupart des re-cettes sont perdues. Mais voilà qu’un groupe de trois amis pas-sionnés décide de ressusciter cette tradition en fouillant dans les ar-chives, pour en faire un projet commercialement viable.

« Maison de la Vodka », la so-ciété qui produit Viche Pitia, est fondée en 2010 par trois per-sonnes aux profi ls complémen-taires : Igor Shein, ancien acadé-micien et expert en alcools, Konstantin Lapitsky, propriétaire d’une chaîne de boutiques de vin à Krasnoïarsk et Pierre Solignac, un homme d’affaires français tra-vaillant dans la distribution de vins et d’alcool (spiritueux). Ce dernier confi e à La Russie d’Au-jourd’hui pourquoi Viche Pitia est distillé en France. « Nous vou-lions au départ distiller en Rus-sie, mais la législation russe ne permet pas d’utiliser les alambics dont nous avons besoin. Nous avons rapidement compris que le seul endroit possible était la région de Cognac. Comme la loi française interdit de distiller dans le même alambic de l’alcool de seigle (Viche Pitia) et de l’alcool de raisin (Cognac) – les mélanges d’alcools –, nous avons dû acqué-rir notre propre alambic sur me-sure de 2000 litres ».

Les bouteilles de Viche Pitia sont déjà commercialisées depuis plusieurs mois en Russie à un prix approchant les 100 euros pour la bouteille de 70cl et au-tour de 45 euros en France pour la bouteille de 50cl. « Nous nous positionnons comme une boisson gastronomique, qui se situe au niveau des whiskies haut de gamme ». Un produit de niche pour lequel les entrepreneurs voient une demande mondiale. « Notre marché principal reste la Russie, mais nous comptons aussi entrer sur le marché nord- américain », explique Pierre So-lignac en dégustant une n°7 (cumin) au Café Pouchkine de Moscou. « Pour l’instant, nous avons démarré ce projet en au-tofinancement, mais le ticket d’entrée aux États-Unis requiert des investissements très impor-tants », souligne-t-il en ajoutant chercher éventuellement un qua-trième partenaire pour la Mai-son de la Vodka. Confronté à un spiritueux aussi accrocheur, pas facile de trouver un investisseur sobre !

TIMOUR GANEEVLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Les contrats de parrainage de

clubs sportifs étrangers par des

entreprises russes se multi-

plient. La formule est générale-

ment gagnante et tout le monde

y retrouve son compte.

Une bonne image à l’export grâce au sportCommunication Les entreprises russes parient sur le mécénat de grandes marques sportives étrangères pour se faire mieux connaître

Gazprom et le FC Schalke 04 (Allemagne)En plus des effigies des footbal-leurs du club de la ville, tous les transports en commun de Gelsenkirchen arborent le logo de Gazprom. L’accord entre Gaz-prom et le club remonte à 2006. Lors des cinq premières années, près de 100 millions d’euros ont été investis par le groupe russe, qui va fi nancer le club rhénan à hauteur de 16 millions d’euros par an jusqu’à 2017.

C’est logique : l’Allemagne est un très grand consommateur de gaz russe et Schalke 04 est l’un des clubs les plus populaires du championnat allemand. La stra-tégie de l’entreprise a bien fonc-tionné. Selon l’agence de rela-tions publiques Edelman, seulement 16% des Allemands faisaient confi ance à l’entreprise russe au moment de son arrivée, contre 39% en 2013.

Lukoil et la ville de Philadelphie (États-Unis)La compagnie pétrolière Lukoil

Aeroflot et le club Manchester United (Royaume-Uni)En 2013, le grand club anglais (qui compte de nombreux sup-porteurs en Russie) fi t savoir qu’il se séparait de l’un ses sponsors officiels, Turkish Airlines, au pro-fi t du transporteur russe Aero-fl ot. Le contrat, signé pour une durée de cinq ans, prévoit le ver-sement de près de 30 millions d’euros de la part de la compa-gnie russe. Toutefois, les footbal-leurs du club ne seront pas tenus de voyager uniquement sur Ae-rofl ot. Cette dernière aura seu-lement le rôle de consultante chargée d’organiser des vols charters pour les matches et de transporter les Mancuniens en Russie, si une telle occasion se présente.

L’un des appareils d’Aerofl ot est désormais peint aux couleurs de Manchester United. Il est en-visagé d’installer une maquette de l’avion Sukhoi Superjet, sym-bole du renouveau aéronautique russe, dans l’enceinte du stade Old Trafford.

Le monde de la Formule 1 a ac-cueilli un nouveau sponsor russe. L’entreprise YotaPhone, qui four-nit les smartphones de la même marque, est devenue le partenaire de l’écurie britannique « Lotus ». L’accord semble logique car cette saison la Russie organisera son premier Grand Prix lors de l’étape qui aura lieu sur le cir-cuit de Sotchi. Ni l’écurie, ni l’en-treprise n’ont dévoilé la somme investie par le sponsor, bien que selon des sources au sein de l’in-dustrie, cette dernière s’élèverait à près de 7 millions d’euros.

YotaPhone n’est pas la pre-mière entreprise russe à s’être lancée dans le parrainage spor-tif auprès de formations étran-gères.

a depuis longtemps fait du par-rainage sportif l’un des éléments de sa communication mondiale. Aux États-Unis, Lukoil a déci-dé de se concentrer sur la ville de Philadelphie. La compagnie gazière a ainsi pris sous son aile trois clubs locaux : les Flyers (hockey), les Phillies (base-ball) et les Eagles (football américain).

Tout a démarré avec l’achat de 2 000 stations-service Getty et Mobil par Lukoil en 2005. Pour améliorer sa visibilité, Lukoil est devenu sponsor des célèbres équipes de Philadelphie.

La clientèle des stations ser-vice Lukoil a explosé ces der-nières années et l’entreprise jouit à présent d’une réelle populari-

té auprès des supporteurs. Lu-koil a aussi divisé par deux le prix des billets pour les matches à domicile.

Kaspersky Lab et FerrariAprès la signature d’un contrat publicitaire avec l’acteur Jacky Chan, l’entreprise informatique russe Kaspersky Lab s’est sen-tie pousser des ailes. En 2010, le groupe s’engage avec l’écurie Fer-rari. Kaspersky Lab a choisi de soutenir toute l’écurie, et pas seu-lement un pilote. « Si nous avi-ons choisi de parrainer un pilote russe, notre logo serait unique-ment apparu sur sa combinai-son, alors qu’en parrainant Fer-rari, nous bénéficions d’une meilleure visibilité », précise le PDG de l’entreprise, Evguéni Kaspersky.

L’un de ces avantages est l’ac-cès à la zone VIP de l’écurie ita-lienne. Selon M.Kaspersky, en quelques années de partenariat avec Ferrari, cette zone très de-mandée a vu défi ler près de 3 000 invités de l’entreprise.

Gazprom : 16 millions d’euros annuels au FC Schalke 04.

EN BREF

Le groupe ernergétique russe a déposé son dossier dans un appel d’offres portant sur l’achat de deux centrales élec-trothermiques en France. Les actifs sont mis en vente par la compagnie énergétique autri-chienne Verbund. L’entreprise recherche des acheteurs pour sa centrale de 420 mégawatts à Pont-sur-Sambre et pour une autre centrale à Toules. Les deux unités ont été construites dans les années 2009-2012.

Verbund a investi 650 mil-lions d’euros dans ses centrales électrothermiques en France. Les usines, équipées de cycles combinés, se sont fortement dé-préciées en raison de la vogue pour le charbon, dont le prix est devenu attractif. L’acquisi-tion par Gazprom de centrales fonctionnant au gaz lui permet de garantir un volume d’expor-tations stable.

Le géant gazier pourrait ac-quérir ces centrales en parte-nariat avec le négociant suisse Vitol. En novembre dernier, le dirigeant de Gazprom Alekseï Miller et le patron de Vitol Yann Taylor ont discuté de leurs pos-sibilités de coopération en France et en Grande-Bretagne.

Gazprom

convoite une

centrale française

distillation de la vodka, stipu-lant entre autres que seuls les nobles avaient le droit de pos-séder des alambics. À cette époque, chaque famille aristo-cratique se targuait de produire son propre alcool, tandis que le peuple buvait (et boit encore) un tord-boyaux appelé « Samogon ». Naturellement, chaque famille rivalisait pour distiller la bois-son la plus originale et la plus savoureuse. Des alambics à re-passe en cuivre étaient alors em-ployés, et non des alambics à co-lonne, comme ceux utilisés aujourd’hui pour les vodkas. Cette manière de procéder a com-plètement disparu en Russie alors qu’elle est toujours en usage en France. Cette grande diver-sité subit une première tentative de standardisation de la vodka par l’État russe en 1863, avant d’être éradiquée par les Bolche-viques en 1917, alors que le pou-

larussiedaujourdhui.fr/12337

Viche Pitia se veut une boisson gastronomique et renvendique des origines historiques datant du XVIIIème siècle

EN CHIFFRES

20 marchés d’expor-tations pour la marque Viche Pi-

tia en deux années de démarches. La Russie devrait rester le marché principal.

1765 Catherine II signe un dé-cret régle-

mentant sévèrement la distilla-tion. Seuls les aristocrates avaient désormais le privilège de pouvoir produire leur propre alcool.

paysage gustatif pré-révolution-naire.

Deux « parfums » sont déjà dans les rayons des épiceries de luxe (et à la carte de quelques grands restaurants) : le n°30 « lait et citron » (43%) et le n°7 « cumin » (58%). Attention ! Il ne s’agit pas d’une de ces innom-brables vodkas parfumées où l’on a glissé dans la bouteille une herbe à bison, une queue de lé-zard ou une larme de tsarine… La production de Viche Pitia pos-sède un caractère artisanal : l’al-cool résulte d’une macération, puis d’une distillation dans un alambic dédié. Rien à voir avec les productions industrielles sur les étagères des supérettes.

Viche Pitia se veut une bois-son gastronomique dont l’origine remonte au XVIIIème siècle. Re-tour sur la petite histoire des spi-ritueux en Russie s’impose.

En 1765, la tsarine Catherine II promulgue un décret défi nissant les conditions idoines pour la

Christophe Gauville, maître de

chais de la distillerie, devant

l’alambic spécialement réalisé

pour la marque Viche Pitia.

AFFAIRES À SUIVRE

LA FOIRE DE L’IMMOBILIER

DU 11 AU 14 MARS, PALAIS DES FESTIVALS, CANNES

Le MIPIM (Le Marché internatio-nal des professionnels de l’im-mobilier) réunit les acteurs de tous les secteurs de l’immobi-lier professionnel depuis 25 ans. La Russie sera représentée par une délégation de haut niveau et plusieurs entreprises dans ce domaine. Le stand russe bénéfi-ciera de l’appui du Ministère du développement régional.

› www.mipim.com

TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITELARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EMM

AN

UEL G

RYN

SZPAN

AP

Page 5: La Russie d'Aujourd'hui

05LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Régions

GEORGI MANAEVLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Cette adresse de St-Pétersbourg

est connue pour les écrivains et

musiciens russes qui l’ont choi-

sie pour résidence, de Dovlatov

à Brodsky en passant par les

stars du rock underground.

La rue Rubinstein, quartier des  artistes

Insolite Au détour d’un lieu de mémoire culturelle vivante de Saint-Pétersbourg

La rue Rubinstein est une voie de Saint-Pétersbourg adjacente à l’Avenue Nevsky, en plein cœur de la ville historique. Il y a plus d’un siècle, c’était un quartier chic où vécut Anton Rubinstein, com-positeur et professeur de Piotr Tchaïkovski. La rue porte son nom depuis 1929 .

Boulgakov l’inspiréLe bâtiment le plus notoire de la rue Rubinstein est la « Maison de Tolstoï », une vaste résidence dotée de trois cours intérieures, construite au début du XXème siècle et qui a appartenu au comte Mikhaïl Tolstoï, un parent éloi-gné du célèbre écrivain. Grigori Raspoutine a également fréquen-té la demeure : il se rendait à des réunions secrètes dans les appar-tements du prince Andronikov . L’un des plus fameux personnages de la littérature russe, Woland (le diable en personne, dans le roman Le maître et Marguerite de Boul-gakov), a aussi vécu à cet endroit. Boulgakov s’est en fait inspiré de Dmitri Pozdneev, un érudit, qui hébergea un temps l’écrivain dans son appartement à Saint-Péters-bourg.

La « larme du socialisme »Parmi les jolies maisons de la ville datant du XIXème siècle, un édi-fice de type constructiviste en ruine attire l’attention ; situé au numéro 7 de la rue Rubinstein et baptisé « La maison de la joie » par ses fondateurs, il fut construit en 1932 grâce aux fonds collec-tés par de jeunes écrivains et in-génieurs idéalistes, désireux de s’affranchir de leur ancien mode de vie au profi t d’une existence communautaire. Ces petits ap-

partements à l’espace inhabituel n’avaient ni cuisine ni salle de bain : les douches et la cantine étaient partagées. Le bâtiment possédait également une halte-garderie, une librairie et un salon de coiffure, soit tout le nécessaire pour permettre aux jeunes intel-lectuels de se libérer des tâches domestiques. « C’était une mai-son bruyante, chaleureuse et joyeuse, les portes des apparte-ments n’étaient jamais fermées à clé, si bien que les voisins de pa-lier se rendaient régulièrement visite. Le soir, à la cantine, les acteurs de théâtre se laissaient aller après une pièce ; on lisait à voix haute, on improvisait des sketches et on dansait », se remé-more l’un des locataires. Mais les appartements étaient vraiment minuscules, et les murs si fi ns qu’il était possible d’entendre tout se qui se disait derrière la cloison voisine. Mais les conditions de vie allaient se détériorer : le rêve uto-pique d’une vie sans corvée s’est vite effrité. La maison fut rebap-tisée, non sans ironie, « La larme

1. La vue sur l’une des façades des vieilles maisons où habitait Sergueï Dovlatov ; 2. Le panneau apposé sur l’immeuble où « L’écrivain Sergueï Dovlatov habitait [ici] de 1944

jusqu’à 1975 » ; 3. La « Maison de Tolstoï ».

Mais qui était Anton Rubinstein ?

Anton Rubinstein (sans lien de pa-renté avec son homonyme polo-nais, Arthur Rubinstein), pianiste, compositeur et chef d’orchestre russe, est né en 1829 en Transnis-trie (Moldavie) et mort en 1894 à Peterhof. Très tôt sa mère lui enseigna le piano et à l’âge de 9 ans, il fut l’élève du célèbre pia-

niste français Alexandre Villoin. Ses concerts eurent un grand suc-cès à Paris où il rencontra Franz Liszt et Frédéric Chopin. Anton Rubinstein, compositeur proli-fique, forma plusieurs élèves dont le plus célèbre, Piotr Tchaïkovski, allait devenir l’un des musiciens russes les plus joués.

du socialisme ». À la fi n des an-nées 30, de nombreux locataires sont jetés en prison, notamment la poétesse Olga Bergholz. Deux ans plus tard, elle y retourne, alors que le siège de Léningrad com-mence. Bergholz y écrit une phrase restée célèbre : « Personne n’est oublié, rien n’est oublié », qui deviendra la devise de com-mémoration des soldats tombés durant la Seconde Guerre mon-diale.

Les pantoufles de Dovlatov et les valises de ReinParmi les habitants de la rue Ru-binstein, on retiendra également Evgueni Rein, ami et professeur de Joseph Brodsky. Rein rencontre Brodsky pour la première fois à la fi n des années 50 dans des cir-constances qu’il relate ainsi : « Il est venu me voir et m’a lu des poèmes que j’ai vraiment aimés. Nous sommes devenus amis. Bien-tôt, j’ai eu ma chambre dans la rue Rubinstein, au 19. Nous nous rencontrions quotidiennement ».

Socialiste engagé, Rein avait

pour amis de nombreux écrivains dans le Saint-Pétersbourg de l’époque. Parmi eux, Sergueï Do-vlatov, qui vivait lui aussi dans la rue Rubinstein. Rein se sou-vient : « Sergueï me rendait vi-site chaque jour. En pantoufl es et en robe de chambre, même par mauvais temps » ; s’ensuivaient de longues nuits de discussions sur la vie et la littérature. Dovla-tov a vécu au numéro 23 jusqu’à son émigration aux États-Unis.

Désormais, dans la cour de l’immeuble de Dovlatov, s’élève une peinture murale représentant une machine à écrire géante, de-venue l’un des symboles de sa prose, et dans son ancienne chambre, le parquet porte encore les stigmates de l’écrivain, des taches de vin, traces précieuses que les locataires actuels ché-rissent et entretiennent.

M. Trololo et les RockersLes fenêtres de la Maison de Tols-toï donnent sur un petit jardin public, qui tient son nom du chan-teur défunt Edward Khil, égale-

ment connu sous le pseudonyme de « M. Trololo ». Khil, qui a lui aussi vécu dans cette maison, était bien plus qu’une simple célébri-té ayant acquis sa popularité sur Internet. Sa carrière d’artiste ex-ceptionnel a duré cinq ans, du-rant lesquels il était connu et re-connu de tous. Khil était par ailleurs très avenant et sociable . Même dans sa vieillesse, le chan-teur a gardé la même énergie. Au début des années 80, les résidents de la rue Rubinstein ont remar-qué un nombre croissant de roc-kers pèlerins et de musiciens ama-teurs envahissant les lieux. En 1981, le premier club de rock russe officiel ouvrait ses portes au 13 de la rue Rubinstein. À cette époque, c’était le seul endroit de Saint-Pétersbourg où les jeunes musiciens pouvaient jouer du rock en toute légalité. Ce n’est que plus tard qu’une commission du parti communiste approuvera officiel-lement ce genre musical. Le club de rock a notamment permis à des groupes mythiques comme Akvarium ou Kino de démarrer.

5IMMEUBLES DE LA RUERUBINSTEIN

1  Immeuble n° 7. Construit en 1932 à l’angle de la rue Rubinstein et de la ruelle

Grafski. La bâtiment, de style constructivisme précoce, est l’une des premières concrétisations du concept de communalité de la vie quotidienne.

2  Immeuble n° 13. Construit en 1864, reconstruit en 1888 et 1913. A successi-

vement hébergé l’assemblée des peintres, la rédaction de la revue du ministère de l’Éducation, une école secondaire et le club rock de Leningrad. Aujourd’hui, c’est un théâtre musical pour enfants.

3  Immeuble n° 15-17. An-cienne propriété de M. Tolstoï, construite en

1910-1912 dans un style « moderne nordique ».

4  Immeuble n° 18. Le Pe-tit théâtre dramatique est installé dans la partie

droite et jouxte (à gauche) la mai-son de rapport de I. Jeverjeev.

5  Immeuble n° 23. Construit en 1911-1912 . Les Efremov (la famille de l’écrivain

Ivan Efremov) ont vécu ici. Ser-gueï Dovlatov y a habité dans les années 1960-70.

DOMBAÏ, IAKOUTSK et dʼautres aventures hivernales…

À lire sur notre site dans la rubrique Tourisme

>> larussiedaujourdhui.fr/tourisme

larussiedaujourdhui.fr/27545larussiedaujourdhui.fr/27345

larussiedaujourdhui.fr/27819

1

2

3

PHO

TOX

PRES

S (3

)

LOR

I/LEGIO

N M

EDIA

Page 6: La Russie d'Aujourd'hui

06LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Opinions

L’UKRAINE RAPPROCHE LA RUSSIE ET L'UE

À LA RECHERCHE DES SOURCES DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Vladimir

TchijovAMBASSADEUR

Jaques

SapirÉCONOMISTE

Non, le titre n'est ni une faute de frappe, ni un so-phisme. Son affirmation n'est paradoxale qu'en

surface. Elle semble difficile à prouver : la décision ukrainienne de suspendre les préparatifs pour la signature de l'Accord d'asso-ciation avec l'Union européenne a soulevé une vague d'émotions chez certains hommes politiques et experts. Sur fond de Sommet du Partenariat oriental à Vilnius, les thèses sur le jeu géopolitique « à somme nulle » et la pression russe à l'égard de l'Ukraine ont attisé les tensions. L'impact né-gatif du « facteur ukrainien » sur les relations entre la Russie et l'UE paraissait évident, conclu-sion qui s'est affirmée dans l'es-prit de nombreux analystes.

Cependant, cette logique « de fer » est fallacieuse et dange-reuse, car elle est potentiellement source de confl it. Pour le com-prendre, il suffit de considérer calmement un ensemble de faits. Les réalités sont telles que les relations Russie-UE, Ukraine-UE et Russie-Ukraine com-portent un caractère stratégique et partenarial à long terme, in-dépendant des fl uctuations po-litiques conjoncturelles. Elles

Alors que la Russie est sous les feux de la rampe, avec les Jeux Olym-piques de Sotchi, un cer-

tain nombre de problèmes éco-nomiques restent en suspens. Une nouvelle politique économique va devoir s’imposer en Russie tant pour ses équilibres politiques in-ternes que pour lui permettre d’occuper le rang international que sa diplomatie a contribué à lui donner. Les facteurs interna-tionaux tirant vers le bas la crois-sance économique, et en particu-lier la situation européenne, vont perdurer de nombreux mois. Or, la Russie ne peut se permettre aujourd’hui une trop longue pé-riode de stagnation. Certes, les Investissements directs étrangers ont connu une hausse importante ces derniers mois. Mais cela ne suffira pas à redonner à la crois-sance économique la vigueur qu’elle a connue même si ces in-vestissements constituent un bon indicateur de l’attractivité éco-nomique.

La Russie doit donc trouver en elle-même les sources d’une crois-sance forte, en coopération avec ses partenaires, tant asiatiques qu’européens. Elle doit pour cela cesser de fétichiser la stabilité de son taux de change. Il semble bien

CE SUPPLÉMENT DE HUIT PAGES EST ÉDITÉ ET PUBLIÉ PAR ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), QUI ASSUME L’ENTIÈRE RESPONSABILITÉ DU CONTENU. SITE INTERNET WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EMAIL [email protected] TÉL. +7 (495) 775 3114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125 993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), PAVEL GOLUB : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, MARIA AFONINA : RÉDACTRICE EN CHEF DE LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, DIMITRI DE KOCHKO : CONSEILLER DE LA RÉDACTION, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR

ARTISTIQUE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREI ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP ([email protected]) OU EILEEN LE MUET ([email protected]). MARIA TCHOBANOV : REPRÉSENTANTE À PARIS ([email protected], 07 60 29 80 33 ). © COPYRIGHT 2014, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS.ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À

[email protected] OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 775 3114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINION” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ARTISTES. LES LETTRES DESTINÉES À ÊTRE PUBLIÉES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES PAR COURRIEL À [email protected] OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS.LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE.

sont précieuses car elles ré-pondent aux intérêts de nos peuples. Le développement de ces relations est béné-fi que pour tous.

L'Union européenne est le premier partenaire de la Russie et repré-sente la moitié de notre commerce extérieur. Nous avons tout intérêt à por-ter notre collaboration à un autre niveau  : grâce à la suppression de l’obstacle des visas, la promotion du com-merce et des investisse-ments, l'intensifi cation des contacts politiques. Nous espérons que cette tâche, q u i exige de grands efforts et de la patience, rencontrera un soutien approprié de la part de nos par-tenaires européens. Dans ces conditions, nous comprenons et soutenons pleinement l'intérêt de l'Ukraine, comme d'autres pays, à approfondir la coopéra-tion avec l'Union européenne. Défi nir ses modalités, son for-mat et ses caractéristiques est le droit souverain du peuple ukrai-nien et de son gouvernement dé-mocratiquement élu.

L'intensité, l'étendue et la pro-fondeur des relations entre la Russie et l'Ukraine (en matière de contacts humains, de coopé-ration industrielle, de commerce,

notamment dans le cadre de la zone de libre-échange établie au sein de la Communauté d’États indépendants (CEI) n'ont pas be-soin de preuves particulières. Bien entendu, nous souhaitons poursuivre le développement de cette collaboration. La restric-tion des liens mutuellement pro-fi tables qui ont été établis por-terait un préjudice grave à nos projets communs et affecterait l'économie des deux pays et le bien-être de leurs citoyens.

La perspective de signer l'Ac-cord d'association entre l'UE et l'Ukraine, avec sa zone de libre-échange « approfondie et uni-verselle » n'a, malheureusement,

pas donné lieu à une avancée si-gnificative dans le cadre du triangle UE-Ukraine-Russie. Au contraire, la question s'est ré-duite à une politisation de la si-tuation, à des tentatives de contraindre Kiev à faire un faux choix « entre Moscou et l'Eu-rope » et à la critique du choix souverain de l'Ukraine en faveur d'une analyse exhaustive des conditions de l'Accord et des consultations supplémentaires avec l'Union, éventuellement avec la participation russe.

Les Ukrainiens, tout comme nous, doivent se faire une idée claire sur les conséquences pra-tiques de la signature de l'Ac-

cord, notamment en ce qui concerne nos projets communs et les relations industrielles existantes. Il faut prendre en compte l'effet des modifi ca-tions des conditions préféren-

tielles applicables à tous les membres de la zone de libre-échange de la C E I , y c o m p r i s l'Ukraine : avec la si-gnature de l'Accord, il

serait impossible de maintenir ces conditions.

Et le problème n'est pas politique, mais purement économique. Les consé-

quences de l'abandon par l'Ukraine des conditions

préférentielles de la CEI au pro-fi t du régime de la nation la plus favorisée (et il ne s’agit pas de mesures de rétorsion, encore moins de sanctions) doivent être mûrement réfl échies.

Aussi, la seule solution natu-relle et positive serait de lancer un dialogue trilatéral entre l'Ukraine, la Russie et l'Union européenne permettant de mener une discussion honnête, substan-tielle et respectueuse sur toutes les questions qui se posent. La proposition de Kiev allant dans ce sens a hélas été rejetée par les instances européennes, visible-ment sans consultation préalable avec les pays membres. La pos-sibilité d’utiliser le « facteur

ukrainien » comme élément uni-fi cateur qui permettrait de défi -nir les modalités de notre colla-boration commune n’a pas encore été exploitée. Néanmoins, la Russie, comme l’Ukraine, est prête pour un tel travail. La balle est dans le camp de l’Europe.

Par ailleurs, Moscou croit for-tement que la région aux fron-tières de la Russie et de l'Union est un facteur positif dans nos relations avec l'UE. La « feuille de route  » adoptée en 2005 concernant l'espace de sécurité extérieure entre la Russie et l’UE réunit les processus d’in-tégration régionale, idée promue dans le cadre de l’initiative du président russe de créer un es-pace économique et humanitaire allant de Lisbonne à Vladivos-tok. Je suis convaincu que l'ave-nir appartient aux efforts com-muns méticuleux d'associer les processus d'intégration euro-péenne et eurasienne qui ne se contredisent pas, mais se com-plètent. D'autant que le projet eurasien est parfaitement trans-parent, car fondé sur les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et largement inspiré par l’expérience de l’Union européenne.

Vladimir Tchijov est Ambassa-deur de Russie auprès de l’Union européenne.

que cela soit ce qui se passe de-puis le début du mois de janvier 2014. Signe de l’inquiétude que provoquent actuellement les mar-chés émergents chez les acteurs, on a constaté une chute du rouble par rapport au dollar.

Mais cette chute sera aussi bé-néfi que pour la Russie, dont l’éco-nomie peut retrouver une com-pétitivité qui avait été érodée par une lente hausse du taux de change réel. L’arbitrage se fera donc entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Au-jourd’hui, c’est bien la politique monétaire qui offre le plus de pos-sibilités d’aménagements. La Banque centrale de Russie a an-noncé sa décision de cesser d’in-tervenir sur le marché des changes et de passer à une politique dite de ciblage de l’infl ation. Il reste à voir quelle sera la politique de la Banque centrale durant cet hiver et le printemps prochain. La politique de ciblage de l’in-fl ation n’est pas adaptée à la si-tuation de la Russie. La Banque centrale indique cependant de telles marges de fl uctuations par rapport à son objectif d’infl ation (5% pour 2014 avec +/- 1,5% de variation) que l’on peut y voir une politique délibérée. Il est clair au-jourd’hui que la Banque centrale a décidé de laisser le rouble se déprécier de 15% à 20% afi n de rétablir la compétitivité de l’in-dustrie russe, ce qui confirme

notre analyse antérieure sur le taux de change réel.

Le modèle de développement russe, qui est actuellement très largement extraverti, doit aussi céder la place à un modèle plus autocentré, sur la Russie et sur les pays qui l’entourent. Cela im-plique de donner un véritable contenu de coopérations indus-trielles à l’Union douanière qui se met en place, mais aussi de

défi nir une vraie politique par rapport à l’Ukraine, dont on sait les tensions que provoque ce pays aujourd’hui entre l’Union euro-péenne et la Russie. En réalité, l’avenir économique de l’Ukraine semble bien devoir s’écrire dans un partenariat avec la Russie. L’industrie, et globalement l’éco-nomie ukrainienne représente en-core un large segment de l’indus-trie russe. Si l’on regarde les perspectives de ces prochaines années, la situation économique de l’Union européenne ne se com-pare pas aux possibilités et aux potentialités du marché de l’Union douanière. Cette dernière

peut devenir rapidement une zone de forte croissance. L’intérêt bien compris de l’Ukraine serait donc de se rapprocher de la Russie, et l’intérêt bien compris de l’UE se-rait d’en prendre acte.

Enfi n, les formes de l’intégra-tion internationale de l’économie russe doivent évoluer. Dans ce do-maine aussi une logique de coo-pération industrielle doit se subs-tituer à la logique de fournisseur de matières premières qui a do-miné jusqu’alors.

Ceci, cependant, pose un pro-blème à de nombreux pays – dont la France – sans que l’on com-prenne très bien pourquoi. Pour-quoi voit-on des opérations qui pourraient être fructueuses tant pour l’industrie française que pour l’industrie russe être frei-nées, voire bloquées, tant par la frilosité des banques que par les mauvaises manières de l’admi-nistration ? Les arguments avan-cés (la crainte de blanchiment de capitaux) sont futiles et dérisoires quand on regarde la liste des par-tenaires russes. En fait, la Russie ne semble pas ici faire exception dans l’ensemble des pays émer-gents, d’après Alexandre Ivlev, le Directeur de l’agence Ernst & Young pour la Russie. Il y a une russophobie instinctive des mi-lieux bancaires et de Bercy, rus-sophobie qui ne repose sur rien de concret qui soit avouable. Il est donc particulièrement impor-tant que se mettent en place des logiques d’investissements croi-sés, que des entreprises russes puissent enfi n librement investir en France et réciproquement des entreprises françaises en Russie. La part des investissements di-rects n’a en effet cessé de monter depuis l’an dernier.

Jaques Sapir est le Directeur d’études à l’EHESS.

La baisse du rouble aura un effet bénéfique sur la compétitivité de l’économie russe

LE COURRIER DES LECTEURS, LES OPINIONS OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” PUBLIÉS DANS CE SUPPLÉMENT REPRÉSENTENT DIVERS POINTS DE VUE ET NE REFLÈTENT PAS NÉCESSAIREMENT LA POSITION DE LA RÉDACTION DE LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI OU DE ROSSIYSKAYA GAZETA.

MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : [email protected]

IORSH

Page 7: La Russie d'Aujourd'hui

07LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Culture

QUESTIONS & RÉPONSES

« Une leçon de vie pour nos contemporains déprimés »

traduction de l’Iconostase, lorsque le petit-fi ls de Florensky m’a fait connaître le chercheur qui en pré-parait l’édition scientifi que à par-tir du texte que Florensky avait dicté et corrigé. Plus tard, j’ai tel-lement aimé Le Sel de la terre (la vie du starets Isidore) que j’ai dé-cidé de traduire. Je l’ai fait avec passion. Le texte est resté dans mes classeurs, je puise dans ceux de l’éditeur… ce qui m’a permis d’améliorer l’édition par des ré-férences nouvelles. Quant aux Lettres de Solovki parues en russe en 1998 il s’est écoulé trente an-nées entre l’établissement du texte russe et sa publication en russe.

En décernant le 8ème prix Rus-sophonie à Françoise Lhoest, le jury récompense l’œuvre de toute une vie et la passion d’une tra-ductrice pour le génie de Paul Flo-rensky, « le Pascal russe ».

Quand avez-vous commencé à tra-

duire et pourquoi ?

Les choses se sont enchaînées na-turellement à partir des années 1970. J’ai été amenée à traduire des petits textes, puis on m’a de-mandé de m’informer sur les sé-mioticiens russes, jusqu’à la pré-paration du recueil de Lotman et Ouspensky, Sémiotique historique de la culture russe, qui m’a de-mandé 13 ans de travail – beau-coup de textes d’Ouspensky n’étaient pas encore rédigés.

Vous vous intéressez à Florensky

depuis longtemps ; comment l’avez-

vous découvert ?

Grâce à mon professeur, Nikita Struve, qui avait publié dans sa revue Vestnik, des chapitres des Souvenirs d’enfance. Plus tard, on m’a reparlé de Florensky et j’ai commencé à rassembler les textes accessibles en Occident. Juste-ment, la Perspective inversée était publiée par les soins de Lotman et Ouspensky, presque sans cou-pures ! J’étais prête à boucler ma

DARIA MOUDROLIOUBOVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La Galerie de l’Exil à Paris

expose les sculptures cubistes

du célèbre créateur de l’affiche

du Cuirassé Potemkine

d’Eisenstein, partagé entre l’art

et le modèle soviétique.

Les deux vies du sculpteur Anton Lavinsky

Art Redécouverte d’un artiste russe dont les œuvres cubistes avaient disparu de la circulation depuis plus de huit décennies

En apercevant la sculpture à tra-vers les vitres de la galerie, on la prendrait pour un bronze : couleur, facture, surface – de prime abord, l’erreur est inévi-table ! Mais cette pièce est en plâtre. D’autres sont en terre-cuite, marbre ou ciment armé : formes anguleuses aux lignes droites et pleines, équilibre par-fait. Cubistes. Des classiques au-jourd’hui, mais qui, en 1925, ne faisaient pas l’unanimité, à tel point que leur créateur les avait détruites, enfl ammé qu’il était par un discours entendu dans le cercle d’une revue futuriste. Depuis 2008, certaines de ses sculptures miraculeusement sau-vées en France ont une à une refait surface dans des maisons de vente aux enchères. Combien en reste-t-il de méconnues ? Et comment Lavinsky en est-il venu à détruire les autres ?

Tout avait pourtant si bien commencé. Après la Révolution de 1917, une nouvelle ère artis-tique est décrétée : le « construc-tivisme », une esthétique utili-sant des techniques industrielles et la géométrisation de l’espace. De nombreux artistes « futu-

ristes » s’engouffrent dans la brèche ; le système d’enseigne-ment des Beaux-Arts est bou-leversé. Anton Lavinsky en sera l’un des premiers réformateurs.

En 1920, presque simulta-nément avec la création de l’école de Bauhaus à Weimar, un décret de Lénine crée l’institut VKhUTEMAS [Atelier supérieur d’art et de technique, ndlr] qui est appelé à préparer les artistes aux besoins de l’in-dustrie. Lavinsky prend la tête du département de la sculpture et y invente, avec Rodchenko et Vesnin, une nouvelle méthode d’enseignement où l’architecture et la sculpture viennent s’enri-chir mutuellement. De ces ate-liers, façonnés à la manière de ceux de la Renaissance où chaque maître enseignait son propre style à des apprentis, sortiront les premiers objets « design », promesses d’un nou-

Que nous apporte l’œuvre de Flo-

rensky aujourd’hui ?

Paul Florensky, que l’on appe-lait le « Pascal russe », que l’on comparait à Léonard de Vinci ou Jean Pic de la Mirandole, a payé de sa vie le fait d’être lui-même un génie ; pire : un prêtre qui entendait le rester—au plus fort de la persécution contre les chré-tiens de toute l’histoire de l’hu-manité—et qui l’est resté jusqu’à son dernier souffle.

C’est une personnalité excep-tionnelle, essentiellement par sa recherche de la beauté. Son té-moignage est fabuleux ! Celui d’un grand insomniaque dont le cerveau bouillonne d’idées en per-manence !

Au goulag, il monte de toutes pièces une usine avec des maté-riaux de rebut, travaille à 200% de la norme et obtient des bre-vets d’inventeur !

Par amour pour sa femme et ses enfants, il a l’héroïsme de ne rien dire ou presque sur ses conditions de vie. Quelle pré-cieuse leçon de vie pour nos contemporains déprimés ou en quête de sens !

Que vous apporte ce prix ?

Il est l’occasion de rendre hom-mage. À la petite-fi lle de Florens-

ky qui, au tout début de cette grande aventure, m’a emmenée sur la grande île de Solovki. Ta-tiana Vassilievna Florenskaya est morte bien avant la sortie de ce livre que l’éditeur, Dimitrijevic, n’a pas vu non plus, lui qui a publié à l’Âge d’homme tous ces ouvrages, des sémioticiens à Flo-rensky.

Aux Solovki, j’ai rencontré des gens merveilleux qui ont choisi d’y vivre et d’y travailler, restau-rateurs, historiens, historiens de l’art qui s’attachent à reconsti-tuer le puzzle de la vie et de la détention des prisonniers. Cela suppose d’entrer dans une vie passablement ascétique : les So-lovki sont loin de tout, et c’est bien pour cela que les saints Zos-sime, Sabbas, Germain et leurs successeurs ont choisi d’y vivre. C’est aussi aux Solovki que vécut Philippe Kolytchev, qui créa tous ces canaux d’un lac à un autre, fi t tous ces travaux d’ingénieur avant de devenir métropolite de Moscou, le seul qui eut le cran de dénoncer la folle impiété d’Ivan le Terrible entrant à che-val dans la cathédrale du Krem-lin. Il le paya de sa vie !

Propos recueillis parChtistine Mestre

veau monde où un simple me-nuisier allait devenir « desi-gner  ». Mais ce monde des « objets nouveaux » dans lequel nous vivons encore n’est pas né sans sacrifi ces. L’art, même voué à l’industrie, dérange les com-munistes. N’est-il pas un « ana-chronisme de l’époque bour-geoise » ?

Elizaveta Lavinsky, la femme du sculpteur, se souvient : « Com-bien de jeunes talentueux ont abandonné l’art, se limitant à l’illustration ! (…) Et s’ils ont quitté l’art, ce n’est point parce qu’ils ne l’aimaient pas, mais à cause de cette foi fanatique dans le fait que l’art doit mourir, que le prolétariat n’en a guère besoin (…) Je terminais à l’époque mes études à la faculté de la sculp-ture et devais devenir apprentie chez un maître. Mais (…) j’ai dû tout abandonner et m’inscrire dans un atelier d’architecture, sans en ressentir la moindre vo-cation. (…) Aujourd’hui (1948) j’en suis sûre, c’était la plus grande erreur de ma vie. Deman-

dez aux autres, la moitié d’entre eux diront la même chose. (…) je ne vivais pas de l’art, mais la création artistique est devenue pour nous tous une activité an-tisoviétique. Comme la religion, l’art est devenu prohibé ».

Lavinsky était sans doute peu adapté à l’époque : idéaliste, il abandonne la sculpture, se lance dans le travail du bois, réalise des décors de théâtre, des af-fi ches, puis retourne à l’archi-tecture, son métier d’origine. Mais dès qu’une poignée d’étu-diants refusent d’étudier auprès de ce « faiseur de tabourets », il perd tout intérêt pour la disci-pline et ne crée guère que des kiosques à journaux, des tri-bunes pour les parades… Sui-veur ? Influençable ? Suscep-tible ? Pourtant, ses sculptures révèlent un caractère authen-tique, privé, affirmé. Réalisées dans un cadre intime, les sculp-tures de Lavinsky mettent en scène la femme et le couple : seul domaine préservé dans un monde des années 1920 déjà très orwellien. Il ne le restera pas longtemps : le nouvel idéal du couple libre, promu dans l’Union soviétique, est poussé jusqu’au paroxysme dans l’histoire qui lie Lavinsky à Mayakovsky, avec qui il travaille en tant qu’illustra-teur et décorateur. Mayakovsky vit à l’époque avec Ossip et Lilia Brik : cette dernière ne pouvant avoir d’enfants, c’est la femme de Lavinsky qui aurait donné naissance au fi ls de Mayakovs-ky… De quoi pousser Lavinsky à détruire, quelques années plus tard, des sculptures devenues in-congrues ?

Après un voyage à Cologne en 1928 pour diriger, avec El Lissitsky, la réalisation du pa-villon soviétique pour une grande exposition sur la presse, Lavinsky n’a plus jamais quitté l’URSS. Il survécut à la fi n du cubisme, des revues futuristes et des ateliers, puis au suicide de Mayakovsky en 1930. Vivant de commandes de l’État, il resta à Moscou jusqu’à sa mort en 1968. Toutes ses archives ont été jetées et sont hélas perdues.

1. L’affiche du film Le Culrassé Potemkine de Sergueï Eisens-

tein ; 2 et 3. Deux lithographies colorées de Lavinsky ; 4. Sculp-

ture en terre cuite (sans titre).

1

2

3

4

• UN HÉROS DE NOTRE TEMPS, MIKHAÏL LERMONTOV

• LES ÉCRIVAINS ET LEURS ÉPOUSES : UNIS DANS L̓ AMOUR, LE TRAVAIL ET LA MORT

• LÉON TOLSTOÏ SE SERAIT INTÉRESSÉ À INTERNET

larussiedaujourdhui.fr/lire_la_russie

Dans la rubrique

LIRE LA RUSSIE

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

SER

VIC

E D

E PR

ESSE

FIN

EAR

TIM

AG

ES /

VO

STO

CK

PH

OTO

(3)

Page 8: La Russie d'Aujourd'hui

08LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

EDITION DE ROSSIYSKAYA GAZETA

DISTRIBUÉE AVEC LE FIGARO Magazine

À L’AFFICHELES FRÈRES KARAMAZOV

DU 5 MARS AU 13 AVRILTHÊÀTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS, PARIS

Le Théâtre de l’Épée de Bois pré-sente un spectacle adapté du ro-man de Fedor Dostoievski, sur un texte traduit par André Markowicz. Adaptation et dramaturgie par Iris Aguettant, Cécile Maudet, Olivier Fenoy, Bastien Ossart, mise en scène d’Olivier Fenoy et de Cécile Maudet. › epeedebois.com

DESTINATION RUSSIE

DU 19 FÉVRIER AU 28 MARSNANTES, BOUGUENAIS, ORVAULT

TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITELARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

« Un autre regard sur Tchekhov », chœur et théâtre (entrée libre), « La dernière fête » (tableaux chantants) et « La nostalgie de l’avenir » (théâtre) sont au pro-gramme de théâtre, de musique et de cinéma russes en pays nan-tais. À noter le festival de cinéma russe salle du Katorza à Nantes du 21 au 23 mars et celui de musique « Le printemps russe » (classique, jazz et traditionnelle) à l’Odyssée. › infos-russes.com/regions/destination-

russie-2

LE CIEL ÉTAIT SI BAS

JUSQU’AU 4 MAILA MAISON DE LA PHOTOGRAPHIE ROBERT DOISNEAU, GENTILLY

Gérald Assouline, photographe et sociologue, est un homme de terrain. Depuis 1999, il parcourt les territoires de l’ex-Bloc sovié-tique qui s’étendent de l’Estonie à l’Ukraine en passant par la Pologne et la Biélorussie. Chacun de ses voyages est une occasion de sai-sir la transformation des villes et la

conversion des mentalités. Cultivant l’art de l’errance et son riche lot de découvertes et de rencontres, Assouline photographie à rebours, s’intéresse davantage au ressen-ti qu’aux détails perçus, capte des atmosphères plutôt que des pay-sages, obtient des sentiments sous l’apparence de portraits. Son appa-reil révèle les souvenirs et raconte l’exacte réalité des lieux et des per-sonnes qu’il fréquente . › maisondelaphotographie-rober-

tdoisneau.fr

INNA FEDOROVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Proposant un voyage imaginaire

en Asie Centrale, le défilé de la

jeune couturière russe fut

remarqué par le gotha mondial

lors de la récente Semaine de la

mode de Paris. Qui est Ulyana ?

La « poupée russe » a fière allure

Haute couture Très remarquée à l’étranger, Ulyana Sergeenko repense et intègre harmonieusement les traditions de son pays

La marque Ulyana Sergeenko est née il n’y a pas si longtemps. Le premier défi lé a eu lieu en 2011. Partageant aujourd’hui les podiums avec Chanel et Balenciaga, Ulyana est quali-fi ée de Russian Lady, de pou-pée russe, d’icône du style à la russe.

La jeune fille ambitieuse devenue « la Sergeenko » Épouse du millionnaire Danil Khatchatourov, l’ambitieuse jeune fille de la ville ka-zakhe d’Oust-Kamenogorsk a vite mené une vie sociale active en se rendant à toutes sortes de manifes-tations dans le milieu de la mode. C’est là qu’elle s’est épa-nouie en créant des vête-ments hors du commun fort éloi-gnés de la mode classique, des tenues bien pensées et harmo-nieuses qui, alliés à sa person-nalité qui ne passe pas inaper-çue en public, lui ont valu dans le monde de la mode d’être dé-sormais connue comme « La Sergeenko ».

Ses « looks » caractéristiques, faits de somptueuses jupes tom-

bant jusqu’aux chevilles, de chastes chemisiers arrivant jusqu’à la gorge, des lèvres écar-lates et des foulards noués vers l’arrière sont à l’honneur des re-vues de mode. Une combinai-son insolite de modestie et de sexualité. C’est en grande par-tie grâce à cette nouvelle hé-roïne nationale que l’Occident est actuellement soulevé par une vague d’intérêt pour les styles « à la russe » et « russe rétro ».

Débuts de la marqueLa majeure partie de ses te-nues sont cousues sur com-mande ou habilement styli-sées à l’aide d’éléments décoratifs. C’est ainsi qu’a débuté l’histoire de la marque Ulyana Sergeenko, qui ne cesse de gagner en popularité dans le monde en-tier. À l’heure actuelle, fi -gurent parmi ses clients Lady Gaga, Sarah Jessica Parker, Anna Dello Russo, Carine Roitfeld, Natalia Vodianova, Mi-roslava Douma, ainsi que d’autres célébrités.

Ulyana s’est toujours efforcée de s’entourer d’articles de premier choix. « J’ai toujours été intéressée par la

mode ; enfant, je rêvais toujours que je porterais de la haute couture… Je n’avais ja-mais envisagé que les choses se

passeraient de telle façon que la haute couture serait en quelque sorte associée à mon nom, que mon souhait devien-drait réalité : c’est tellement in-croyable… ».

En Russie, l’attitude envers Ulyana est ambivalente. Pour les uns, c’est une femme intelligente et hautement compétente qui, de par son talent, sa témérité et son originalité, mérite sa renommée. Pour d’autres, qui ne sont sans doute pas à l’abri d’une certaine jalousie, elle est une « épouse de Roublevskoe » typique (en deux mots : une épouse entretenue par un mari richissme, qui peut se faire fi nancer tous ses caprices).

Les experts étrangers s’inté-ressent avant tout à ses compé-tences professionnelles, et ils ne sont pas tous du même avis. Une partie d’entre eux jugent ses dé-fi lés trop théâtraux, et les pièces surabondantes et primitives. D’autres admirent l’originalité de ses collections et la capacité d’Ulyana Sergeenko à repenser harmonieusement les traditions de son pays.

La première collection de la marque se voulait, d’après la créatrice, « une illustration de la Vogue soviétique des années 50 » (si tant est qu’une telle chose ait existé). Des silhouettes rétro, des robes longues et étroites, des manteaux de four-rure, des chandails et des sacs en forme de bourses ont favo-rablement impressionné l’en-

semble des spectateurs du pre-mier défi lé, des blogueurs aux acheteurs.

Toujours plus d’audaceLa deuxième collection était en-core plus audacieuse. Les tenues évoquant l’esthétique soviétique ont été agrémentées de longues robes paysannes bouffantes, de chapeaux de paille et de bodys érotiques intégrant des éléments en chiffon. Dès lors, robes lon-gues, foulards, couleurs élabo-rées et délicates plus le « goût russe » éternel sont devenus la carte de visite de la marque.

Aujourd’hui, les stars russes ainsi que des célébrités étran-gères comme Dita Von Teese ne sont plus les seules à s’afficher en portant les tenues d’Ulyana Sergeenko. La chanteuse Beyonce est récemment appa-rue dans le nouveau clip vidéo « Haunted » vêtue d’un body en velours aux jabots blancs issus de la collection Automme-Hi-ver d’Ulyana. Dans un autre clip vidéo, « Jealous », Beyonce ar-borait déjà une pèlerine en den-telle Ulyana Sergeenko sur la-quelle ont travaillé quinze maîtres-artisans de Vologda.

La mystérieuse « Poupée russe » a remporté des succès conséquents en l’espace de quelques années. Ulyana conti-nue d’enchanter le monde de la mode avec ses fi gures originales qui restent, de l’avis général, la meilleure publicité de sa marque.

Lisez tous les jours sur larussiedaujourdhui.fret sur vos plateformes préférées

SUIVEZ

Recevez les meilleurs articles concernant la Russie directement dans votre boîte mail

LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR/SUBSCRIBE

/larussiedaujourdhui /larussie

Partagez votre opinion

La femme voyageur de la

collection printemps-été 2014

(à gauche) et la femme russe

actualisée, automne-hiver 2013.

GETTY IMAGES/FOTOBANK (5)