La Princesse de Montpensier

Le rendez-vous nocturne

dans la nouvelle de Mme de Lafayette…

• Une des plus longues séquences de la nouvelle

• On assiste à la fois à l’expédition de Guise qui souhaite revoir Mme de Montpensier

• La nouvelliste retranscrit les hésitations de son héroïne à qui Chabannes fournit un moyen de réaliser son désir

• Une scène qui réunit Chabannes, Guise et Montpensier et marque l’apogée d’une crise qui conduira l’héroïne à la mort.

Une « terrible aventure » ( p.78) qui se décline en plusieurs temps.

• 1-Les préparatifs de ce rendez-vous : expédition de Guise, entrevue de Guise et Chabannes ( lettres ); Chabannes sert d’intermédiaire auprès de la princesse qui hésite et le voyage des deux hommes jusqu’à Champigny ( « joie » d’un côté et « désespoir » et « rage de l’autre).

• 2-Arrivée à Champigny et entrevue entre Guise et la princesse ( Chabannes est prié de servir de témoin ). Chabannes répond « si haut »

• 3-Montpensier heurte à la porte et Chabannes décide de se sacrifier

• 4-Confrontation des 4 personnages dans la chambre de la princesse

• 5-Les conséquences : Chabannes est congédié, le prince « se retira de la chambre avec une douleur mortelle » ; on voit Guise « qui était sorti heureusement du parc » et la princesse « ne revenait pas de son évanouissement »

Problématique

En quoi cette longue séquence conduit-elle le lecteur du retour du romanesque à l’acmé tragique?

I-Un nouvel épisode marqué par le romanesque

1-Une aventure romanesque

La Princesse de Montpensier pp 70-71

L’amour et l’oisiveté mirent dans l’esprit du duc de Guise un si violent désir de voir la princesse de Montpensier que, sans considérer ce qu’il hasardait pour elle et pour lui, il feignit un voyage, et, laissant tout son train dans une petite ville, il prit avec lui ce seul gentilhomme, qui avait déjà fait plusieurs voyages à Champigny et s’y en alla en poste. Comme il n’avait d’autre adresse que celui du comte de Chabannes, il lui fit écrire un billet par ce même gentilhomme qui le priait de le venir trouver en un lieu qu’il lui marquait. Le comte de Chabannes croient seulement que c’était pour recevoir des lettres du duc de Guise, alla trouver le gentilhomme, mais il fut étrangement surpris quand il vit le duc de Guise , et n’en fut pas moins affligé. Ce duc, occupé de son dessein, ne prit non plus garde à l’embarras du comte que la princesse de Montpensier avait fait à son silence lorsqu’elle lui avait conté son amour, et il se mit à lui exagérer sa passion et à lui faire comprendre qu’il mourrait infailliblement s’il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir.

1-Une aventure romanesque

• Les préparatifs de l’entrevue ont tout d’une « chose de roman » :

• Guise « feignit un voyage » : comme Anjou dans la scène de la rivière, il invente.

• l’aspect romanesque vient également de son voyage incognito : « il s’y en alla en poste » soit « par la voiture du courrier ordinaire » soit un moyen de transport destiné aux roturiers et non à un seigneur de haut rang comme Guise.

• l’aspect romanesque est également mis en avant par l’usage des lettres qu’il « fit écrire » là encore par discrétion.

• L’usage de la périphrase « en un lieu qu’il lui marquait » insiste sur le caractère secret de l’aventure.

• En outre le terme « aventure » refait son apparition p 74 « une pareille aventure eût donné de l’emportement..; » « éclaircissez-moi d’une aventure que je ne peux croire » p 76; p 78 « une terrible aventure »

• Et tout comme dans l’épisode de la rivière, une notation vient interroger sur la vraisemblance de l’ensemble. ici c’est Montpensier : « Que vois-je, lui dit-il, est-ce une illusion ou une vérité ? » p 76. Cette fois, le commentaire procède du personnage et non de l’instance narrative.

2-Le retour d’une topographie hautement symbolique.

« Enfin ils arrivèrent au parc de Champigny et laissèrent leurs chevaux à l’écuyer du duc de Guise et, passant par des brèches qui étaient aux murailles, ils virent dans le parterre. Le comte de Chabannes, au milieu de son désespoir, avait conservé quelque rayon d’espérance que la princesse de Montpensier aurait fait revenir sa raison et qu’elle se serait résolue à ne point recevoir le duc de Guise. Quand il vit ce petit pont abaissé, ce fut alors qu’il ne put douter de rien. » p 73.

La critique a souligné le fait que Mme de LF manifestait dans l’évocation de Champigny une connaissance des lieux avant que l’architecture n’en ait été modifiée par Richelieu : il y aurait donc un effet réaliste.

• Mais le « retour du paysage » accompagne le retour du romanesque. On note la présence du « parc », du « parterre » ( jardin composé de plates-bandes )

• Les brèches, les murailles représentent les obstacles dressés sur le chemin de l’amant en même temps qu’ils dessinent la figure de la transgression qui va de pair avec le motif du « soir », de la nuit. A l’intérieur « l’antichambre », la « porte du passage » esquissent un espace complexe qui dessine la progression de l’amant.

• Le « petit pont » abaissé :

• est d’abord la manifestation concrète de l’acceptation du rendez-vous par Madame de Montpellier

• et il devient ensuite pour l’époux un signe avant-coureur de la trahison

II-Mais la séquence romanesque bascule dans l’acmè tragique.

1-Une exaspération des passions

• Tous les personnages ou presque semblent dominés par leurs passions

• Chez Guise il s’agit d’une passion qu’il exagère auprès de Chabannes pour mieux parvenir à ses fins : « il se mit à lui exagérer sa passion et à lui faire comprendre qu’il mourrait infailliblement s’il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir. »

• d’ailleurs c’est « L’amour et l’oisiveté » p 70 qui l’encouragent à cette aventure. L’alliance de mots jette le soupçon sur la sincérité de Guise.

• Chabannes, quant à lui, paraît abandonner la posture de l’homme raisonnable qu’il a incarné jusque là :

• « Le comte de Chabannes reprit le chemin de Champigny, combattu de ses propres sentiments avec une violence qui lui ôtait quelquefois toute sorte de connaissance » p 71

• p 71 « trouble » « violente agitation »

• p 73 « le comte s’abandonnait à un désespoir et à une rage qui le poussa mille fois à donner de son épée au travers du corps de son rival. »

• p 74 « il fut tout près de se porter aux dernières extrémités »

En ce qui concerne Madame de Montpensier :

• p 71 « elle fit un grand cri »

• p 72 « elle se trouva dans une extrémité épouvantable » en envisageant une action contraire à sa vertu.

Quant à Montpensier, la découverte de la trahison de sa femme déchaîne sa fureur :

• p 74 « l’excès de rage et de la fureur »

• p 77 c’est « un homme emporté de rage »

Madame de LF y insiste : « jamais peut-être la fortune n’a mis trois personnes en des états si violents » p 75

2-Une scène théâtrale où dominent les registres tragique et pathétique

• Madame de LF économe en paroles au début de la nouvelle recourt au discours direct dans cette scène finale. L’auteure donne enfin une voix au prince de Montpensier silencieux jusque là.

• Le registre pathétique est privilégié :

• CL de la douleur « douleur mortelle » « désespoir »

• usage des phrases exclamatives et des interrogations rhétoriques

• La mort constitue apparemment une menace

• Montpensier « Il faut que je me venge »

• Chabannes la réclame «vous me donnerez la seule chose qui puisse m’être agréable »

• et pourtant la voix narrative en signale l’impossibilité : ( un des éléments qui peuvent expliquer que H. Coulet voie la scène comme tragi-comique)

• « et la princesse, craignant un malheur, qui ne pouvait pourtant arriver, le prince n’ayant point d’arme, se leva pour se mettre entre deux »

• Mais le climat tragique vient aussi des réactions qui submergent les personnages :

• en effet, il y a une sorte de sidération qui les saisit : « Chabannes » est « comme immobile » et Montpensier « demeura immobile lui-même »

• la sidération se manifeste également par l’impossibilité de parler : p 75 Montpensier est d’abord « hors d’état de parler » p 76 « la princesse n’était pas capable de répondre » et « le comte de Chabannes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler »

• enfin la scène repose sur une méprise : Chabannes se substitue à Guise dans un dernier sacrifice.

3-Enfin, le pathétique vient de ce que Montpensier est confronté à une double trahison.

• « Est-il possible qu’un homme que j’ai aimé si chèrement choisisse ma femme entre toutes les femmes du monde pour la séduire ? Et vous, madame, dit-il à la princesse en se tournant de son côté, n’était-ce point assez de m’ôter votre coeur et mon honneur sans m’ôter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs ? » p 76

• « ne pouvant soutenir la vue de ces deux personnes qui lui donnaient des mouvements si opposés »

• les personnages sont voués à une sorte d’épuisement :

• la princesse s’évanouit

• Montpensier « se laissa tomber sur le lit de sa femme »

• et Chabannes « pénétré de repentir » « sortit brusquement de la chambre » ;

• Tous ces éléments nous donnent l’impression d’avoir affaire à une sortie de scène.

• En somme l’épisode est celui d’une catastrophe qui va précipiter l’ensemble des personnages dans le chaos : mort de Chabannes , trahison de Guise, mort de la princesse. L’image du « chaos » est utilisé p 75. à propos de Montpensier « ce chaos où il venait de tomber » : image de la chute.

• L’ampleur de la catastrophe est relayée et amplifiée par la relation avec le contexte historique et la nuit de la Saint-Barthélémy. Le chaos règne sur la petite et la grande Histoire.

• la mort de Chabannes est ainsi « enveloppée dans la ruine des Huguenots » p 79

• Montpensier est finalement content de la vengeance que lui offre la mort de son maître.

• « Le duc de Guise , occupé du désir de venger la mort de son père, et peu après joyeux de l’avoir vengée » p 79 : la notation désigne clairement Guise comme l’un des instigateurs du massacre.

• Et en cela, reprise de l’effet produit par la première phrase de la nouvelle qui alliait les désordres de la guerre et l’empire des passions.

Et chez Bertrand Tavernier ?

I-Le réalisateur paraît privilégier la tension dramatique sur la théâtralité

tragique.

1-Il réduit considérablement la scène pathétique et tragique de la nouvelle.

• Absence d’exacerbation des passions dans la scène réunissant Chabannes, Marie et son mari

• Economie dans le dialogue et les mouvements : Tavernier maintient un certain effet de sidération sensible dans les postures statiques alors que tout le reste de la séquence est plutôt caractérisé par le mouvement.

• Jeu de champs contre-champs qui marque le choc et la sidération des personnages.

2-En revanche, il développe considérablement l’arrivée de Guise

• Un film de cape et d’épée ?

• Insistance sur le climat nocturne et dangereux : la rencontre de Guise et Chabannes dans la cour de l’hôtel de Montpensier.

• jeu sur le motif des dagues qui menacent alternativement Chabannes et Guise puis de nouveau Chabannes

• Série de menaces dans le dialogue : la résolution de Chabannes est conditionnée par le « Elle mourra » prononcé par Guise.

• La tension dramatique est également accentuée par le traitement de l’espace : espace-labyrinthe ( portes, murs, colonnes) et jeux d’ombres et de lumières

• Tension dramatique maintenue par le croisement de trois espaces : celui où évolue Guise, dans le château mais hors de la chambre, la chambre de Mme de Montpensier et la chambre de Montpensier alerté par les cris dans la nuit.

3-Une scène tragique

• Le sacrifice de Chabannes et sa condamnation à la solitude

• gros plan sur le chien qui apparaît comme la première victime de cette nuit.

• Les coups frappés sur la porte par Montpensier résonnent comme des coups de théâtre

Le sacrifice de Chabannes le voue à l’exil et à la solitude

Tavernier filme le personnage en extérieur en demi-ensemble, jetant un dernier regard vers la fenêtre de Marie.

II-Une « leçon » différente : Bertrand Tavernier change le « sens » et la

fonction de cette scène.

1-Une montée en puissance de la passion amoureuse.

• Le double aveu de Guise :

• il persuade Chabannes de « changer de camp » en déclarant son amour pour la princesse

• il renouvelle sa déclaration d’amour à Marie de Montpensier

« Ce que je veux, elle le veut; si je meurs, elle mourra. »

« J’ai renoncé à Marguerite. C’est toi que j’aime, Marie. »

La découverte de l’amour par Psyché.

Jalouse de la beauté de Psyché, Vénus ordonne à Cupidon de la faire tomber amoureuse de l’homme le plus méprisable qu’il trouverait. Alors qu’il exécute la requête, Cupidon se blesse accidentellement avec l’une de ses flèches. Désormais épris de Psyché, il l’a fait enlever et mener à son palais. Souhaitant garder son identité secrète, Cupidon ne rend visite à Psyché qu’une fois la nuit venue et lui fait promettre de ne jamais chercher à voir son visage.

2-L’amour « sans feuille de vigne »

• Phénomène d’écho créé par la mise en scène : on voit à nouveau Marie préparée pour la nuit ( écho à la scène où elle est préparée pour sa nuit de noces)

3-Mais une scène dont Tavernier change le sens : une étape vers l’émancipation.

• La scène de Tavernier se fait le témoin des hésitations de Marie. Pourtant, dans l’économie du montage, cette découverte de l’amour coïncide avec une émancipation.

• Raccord cut avec une scène de jour en plongée dont on comprend ensuite que c’est le regard de Montpensier regardant la voiture préparée pour le départ de sa femme.

• mais cette scène est l’affirmation d’une émancipation :

• Montpensier réclame des lettres: Marie réplique qu’elle lui écrira toujours la même.

• Elle refuse le voyage en voiture et revendique son désir de solitude.

• la scène est suivie de la folle chevauchée de Marie vers Mont sur Brac.

Quel plan proposer pour examiner le traitement de cet épisode dans les deux

oeuvres ?

I-Un traitement différents dans la forme

• 1-Mme de Lafayette multiplie les effets de théâtralité

• insertion de discours direct

• insertion de notation sur les mouvements des personnages qui ressemblent à des didascalies.

• phrases à fortes expressivité

• exacerbation des passions chez tous les personnages.

• 2-Tavernier au contraire cherche à éviter la théâtralité:

• la scène dans la chambre est très courte

• les personnages y sont statiques

• la part du discours direct y est réduite et elle ne sert pas l’expression des sentiments : injonction de Montpensier à se battre à laquelle Chabannes répond par son statut de maire d’armes

• il a joué au contraire sur la dramatisation dans la scène nocturne qui met en opposition en extérieur Guise et Chabannes avec une série de plans rapprochés sur la dague qui change de côté et les discours menaçants.

• il dramatise également l’arrivée de Guise jusqu’à la chambre ( jeu de clair-obscur, espace labyrinthique) et montage alterné avec l’attente de Marie, les soupçons de Montpensier.

II-Un traitement différent quant aux enjeux de cette scène

• 1-Madame de Lafayette en fait une scène de tragédie qui préfigure la chute finale de l’héroïne:

• une méprise tragique : le sacrifice de Chabannes.

• motif de la chute et de la catastrophe

• discours direct de Montpensier qui le fait apparaître comme un homme doublement trahi par sa femme et son ami

• omniprésence du lexique de la mort

• effets pathétiques : évanouissement, sidération de Mme de Montpensier et Chabannes. Omniprésence du lexique de la souffrance.

• Les effets tragiques : la princesse tombe malade, Chabannes est chassé

• 2-Pour Tavernier , même s’il y a des éléments tragiques, c’est pour Marie la découverte de l’amour.

• éléments tragiques :

• gros plan: la mort du chien dans une flaque de sang

• plan en plongée montrant Chabannes quittant le château et puis dernier regard par la fenêtre. Jeu du montage alterné : Guise rejoint la princesse. La faveur de l’un contraste avec la défaveur et la disgrâce de l’autre.

• scène de « cape et d’épée » entre Guise et Chabannes : la mort menace .

• C’est la découverte de l’amour pour Marie :

• plan en plongée : la préparation de Marie fait écho à la cérémonie où on la préparait avant le mariage.

• arrière plan symbolique : la tapisserie montrant Psyché découvrent l’amour.

• l’amour « sans feuille de vigne » selon B.Tavernier : scène d’amour effective, plan rapprochés, effusion des corps, rougeurs, abandon de Marie etc.

• C’est cette découverte de l’amour qui participe à son émancipation : dans la séquence suivante, elle tourne le dos à son mari, et refuse de partir en voiture. Séquence de la folle chevauchée.

• 3-Reste que l’on peut s’interroger sur l’aspect tragique de cette séquence même chez Mme de LF : Henri Coulet parle, on s’en rappelle de « tragi-comédie » :

• intervention du narrateur qui signale que Montpensier n’a pas d’arme : la menace de mort est donc invalidée.

• la scène reprend un thème de comédie : celui de la précaution inutile (cf L’Ecole des femmes créée en 1662) : le mari prend la précaution d’éloigner sa femme à Champigny / ou dans sa chambre à l’tôtel de Montpensier chez Tavernier. C’est pourtant le lieu de la séquestration qui devient celui de la trahison.

• C’est Chabannes lui-même qui précipite sa chute dans la nouvelle en poussant des cris ( à la différence du film : les soupçons apparaissent autour du chien)

• Le lecteur contemporain voit également la théâtralité dans la nouvelle comme exagérée et il est influencé par ce qu’il considère comme un thème de vaudeville (cf les pièces de Feydeau L’Hôtel du libre échange 1894 avec la multiplication des trios femme-mari-amante/amant)

• Enfin on peut comprendre l’interrogation de Montpensier « Est-ce une illusion ou une vérité ? » la possibilité d’une mise en question de la vraisemblance de la scène au même titre que la « chose de roman » signalée par le narrateur ( et non le personnage) dans la scène de la rivière.