La Population d'Alger Et Son Évolution Durant l'Époque Ottomane Un État Des Connaissances...

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BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Arabica. http://www.jstor.org La population d'Alger et son évolution durant l'époque ottomane: un état des connaissances controversé Author(s): Federico Cresti Source: Arabica, T. 52, Fasc. 4 (Oct., 2005), pp. 457-495 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4057603 Accessed: 14-04-2015 10:41 UTC REFERENCES Linked references are available on JSTOR for this article: http://www.jstor.org/stable/4057603?seq=1&cid=pdf-reference#references_tab_contents You may need to log in to JSTOR to access the linked references. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 41.229.59.253 on Tue, 14 Apr 2015 10:41:37 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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La population d'Alger et son évolution durant l'époque ottomane

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    La population d'Alger et son volution durant l'poque ottomane: un tat des connaissancescontrovers Author(s): Federico Cresti Source: Arabica, T. 52, Fasc. 4 (Oct., 2005), pp. 457-495Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/4057603Accessed: 14-04-2015 10:41 UTC

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  • LA POPULATION D'ALGER ET SON EVOLUTION DURANT L'EPOQUE OTTOMANE: UN ETAT DES

    CONNAISSANCES CONTROVERSE *

    PAR

    FEDERICO CRESTI (Centro per gli studi sul mondo islamico contemporaneo e l'Africa,

    Universite de Catane, Italie)

    LA population d'Alger A l'epoque ottomane est, parmi les 'sujets a debat' concernant l'histoire de la ville, l'un des plus controverses:

    en effet, au cours des dernieres decennies, differents chercheurs se sont penches sur ce theme, qui en lui meme est interessant pour tous ceux qui travaillent sur l'histoire urbaine de la periode ottomane, mais qui a aussi, du point de vue de l'histoire tout court, des implications plus generales concernant la place de l'agglomeration algeroise dans le cadre des villes mediterraneennes du XVIe au XjXe siecles, ainsi que du point de vue de l'importance, du 'poids', de la capitale de la regence otto- mane au sein meme de son territoire.

    Je reprends ici le theme d'une recherche entamee il y a longtemps: une partie des resultats de ce travail ont deja ete publies', mais l'espace est encore ouvert aux hypotheses et, a mon sens, tout n'a pas encore e dit sur ce sujet. Je tenterai donc, a cette occasion, d'approfondir les termes du debat, de preciser la situation des connaissances et d'ajou- ter quelques elements moins connus a ceux qui ont ete deja presentes et discutes par les diffTrents specialistes.

    * Texte de la communication presentee au colloque: "Alger. Lumieres sur la vile", Alger, 4-6 mai 2002.

    Cf. en particulier F. Cresti, < Quelques reflexions sur la population et la structure sociale d'Alger a la periode turque (XVIe-XIXe siecles) >>, in Cahziers de Tunisie, XXXIV, n. 137-138, 1986, pp. 151-164 ; Id., < Gli schiavi cristiani ad Algeri in etA ottomana: considerazioni sulle fonti e questioni storiografiche >>, in Quaderni storici, XXXVI, n. 107, 2/2001, pp. 415-435.

    ?D Koninklijke Brill NV, Leiden, 2005 Arabica, tome LII,4 Also available online - www.brill.nl

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    I1 faut rappeler, avant tout, quelques donnees geographiques et histo- riques qui constituent le cadre de toute autre consideration sur les sour- ces imprimees ou encore sur les documents d'archives. Avant tout, la dimension de la vile A 1'epoque qui nous interesse.

    Comme on le sait, apres la prise du pouvoir de Hayr al-Din 'Barberousse' et son acte d'allegeance au sultan de Constantinople (1518), la vile vit le renforcement de ses fortifications et 1'agrandissement de leur perimetre2: meme si le trace precis des murailles de l'al-6aza'ir des Banii Mazganna ne nous est pas connu, on sait que l'enceinte de la premiere periode ottomane delimita un espace plus etendu que celui de l'epoque precedente. En outre, Alger fut dotee de nouvelles struc- tures qui en ameliorerent le mouillage au cours des decennies suivan- tes, permettant ainsi un important essor economique, et en particulier le developpement de la course. A l'inte'rieur des murailles, la surface habitee atteignait 45 hectares au moins3. Rappelons aussi que cette sur-

    2 La chronique de cet episode relate que Hasan Aga, le successeur de Hayr al-Din au gouvernement d'Alger, fit reconstruire les murailles et reparer ses parties endomma- gees en les dotant de canons (R. Basset, Documents musulmans sur le siege d'Alger en 1541, Paris-Oran, 1890, pp. 20-21). Divers travaux d'amenagement des fortifications de la ville avaient eu lieu bien avant, si l'on croit A la Descnition de l'Afrique de Hasan al- Zayyati, alias Jean-Uon l'Africain (de passage a Alger au cours d'un de ses voyages en 1515), qui parle d'une refection des murailles avec les pierres de Tamendfust (Jean- Leon l'Africain, Description de l'Afrique, trad. de l'italien par A. Epaulard, Paris, 1981, p. 352). I1 est vrai que le texte de Jean-Leon ne precise pas l'epoque de cette recons- truction: j'ai moi-meme emis l'hypothese qu'il s'agissait de la periode zayyanide, au cours du XIVe siecle (F. Cresti, >, in Studi Magrebini [dorenavant SM], XII, 1980, p. 115).

    Par ailleurs, 'Arug avait dejA commence des travaux pour ameliorer les defenses de la forteresse de la vile ("la Casbah, qui etait alors le seul fort d'Alger") d'apres l'Epitome de los rgyes de Argel de Diego de Haedo (Histoire des Rois d'Alger, trad. de l'espagnol par H.-D. De Grammont, in Revue Afiicaine [dorenavant RA], XXIV, n. 139, 1880, p. 58). La fortification de la ville se poursuit tout au long du XVIe siecle, et plus episodique- ment au cours des sicles suivants.

    3 "Son developpement, mesure sur les remparts, est d'environ 3.000 m, sa superficie de 415.000 mc" (Archives du Service Historique de F'Armee de Terre, Vincennes, Genie, Algerie, art. 8, sec. 1, cart. 2, n. 1: Mbnoire sur la Place d'Alger par le Chef de Bataillon Collas, 1830 [dorenavant: Memoire Collas], p. 2). Selon Rozet la vile approche les 53 hectares (P. Rozet, Voyage dans la Rigence d'Alger, ou description du pays occupi par l'Armie franfaise en Afiique [.. .], 3 vol., Paris, 1833, passim). D'apres Lespes "la superficie de la ville turque [etait] sans la citadelle de la Casbah, de 41 hect. 1" (R. Lespes, Alger. Etude de Giographie et d'Histoire urbaines, Padis, 1930, p. 524, note 3). A. Raymond reprend le chiffre de Lespes dans une premiere etude (A. Raymond,

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    face ne connut pas de nouvel agrandissement remarquable au cours des siecles suivants. Non que le besoin de nouveaux espaces batis ne se soit jamais manifeste, mais pour des necessites d'ordre militaire: nous savons en effet que la ville avait commence A s'agrandir en direc- tion du sud, A partir de bab 'Azjn, avec la formation d'un faubourg qui fut detruit pour des raisons de defense strategique A l'epoque du pachalat de 'Arab Ahmad, en 15734.

    On considere generalement5 que l'accroissement de la population d'Alger a cette epoque resulte surtout de l'immigration de populations musulmanes ayant fui l'Espagne lors de la phase finale de la reconquista chretienne. Le phenomene avait surement commence avant l'arrivee des Turcs a Alger, mais il se serait accentue a l'epoque de la prise de la vile par 'Ariu et Hayr al-Din ou, en tout cas, au cours des deux premieres decennies du siecle. Diego de Haedo, qui se trouva a Alger autour de 1580 et qui publia son livre - un ouvrage fondamental pour la connaissance de la ville a cette epoque - au debut du siecle suivant, en parle en ces termes:

    La quatrieme categorie de Maures sont ceux qui, des royaumes de Grenade, Aragon, Valence et Catalogne sont venus ici, et y viennent continuellement par la voie de Marseille et autres ports de France ou ils s'embarquent facilement [ ...]. Ils se divisent en deux categories: les Mudeares sortis de Grenade et de l'Andalousie; et les Tagarins provenant des royaumes d'Aragon, de Valence et de la Catalogne. Ces maures sont blancs et bien proportionnes, comme tous ceux qui sont origi- naires d'Espagne. Ils exercent un grand nombre de professions diverses, sachant tous quelque meier. Les uns font des arquebuses, les autres de la poudre et du salpetre ; il y a parmi eux des serruriers, des charpentiers et des macons, des

    Grandes villes arabes a l'ipoque ottomane, Paris, 1985, p. 62). H. Klein affirme qu'elle attei- gnait 50 hectares 53 ares pour la ville proprement dite, auxquels iH fallait ajouter les 4 hectares 9 ares de l'Amiraute (H. Klein, Feuillets d'EI-Djeza&r, Alger, 1937, p. 30). Les chiffres de Klein sont repris par D. Lesbet, La Casbah d'Alger, Alger-Talence, 1985, pp. 35, 38. F. Benatia (Alger, agregat ou citi, Alger, 1980, p. 24) considre une etendue d'envi- ron 60 hectares pour la ville de 1830. T. Shuval affirme, de son cote, que la ville otto- mane dans sa plus grande dimension "s'etait etendue sur 54 hectares 62 ares, dont 1'espace bati occupait 46 hectares" (T. Shuval, La uile d'Alger vers la fin du XVIii siecle. Population et cadre urbain, Paris, 1998, p. 41). La difference entre 41,5 et 60 hectares envi- ron est tres importante il ne serait pas inutile de proceder a la verification des diffe- rents calculs pour definir avec preision le rapport entre 1'espace bati et 1'espace intra muros dans son ensemble.

    4 D'apres le temoignage de Haedo, qui parle d'un faubourg de 1.500 maisons. Cf. H.-D. De Grammont, Histoire d'Alger sous la domination turque (1515-1830), Paris,

    1887, passim ; R. Lespes, op. cit., pp. 105-106. I1 faut remarquer qu'a propos des immi- gres d'Espagne ces auteurs se basent surtout sur le temoignage de Haedo.

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    tailleurs, des cordonniers, des potiers de terre, etc., etc. Beaucoup ekvent des vers A soie et tiennent boutiques dans lesquelles ils vendent toutes sortes de merceries [...]. Ils s'habillent comme les Turcs [...]; il y a de ces Maures andalous envi- ron mile maisons A Alger6.

    I1 est interessant de remarquer que, bien qu'ils n'occupent que moins que la douzieme partie des maisons de la ville (qu'Haedo fait monter a 12.200 "grandes et petites"7), les Andalous forment d'apres Haedo entre le quart et la cinquieme partie de la population Maure8. Les sour- ces e'tudiees nous fournissent egalement diverses autres informations concernant l'emigration et la presence andalouse a Alger. En 1517, selon Haedo, une expedition armee sortie d'Alger sous le commande- ment de 'Aruig comptait dans ses rangs 500 morisques andalous9, mais nous ne savons pas s'ils appartenaient a des familles qui s'etaient trans- fere'es a Alger. I1 faut rappeler que les debuts de la carriere de 'Artiu et de son frere Hayr al-Din en Mediterranee occidentale les virent, entre autre, transborder sur les cotes africaines des musulmans d'Espagne qui desiraient quitter le pays. D'apres De Grammont (qui tire ce ren-

    6 D. de Haedo, Topographie et histoire gineirale d'Alger, trad. de 1'espagnol par Monnereau et A. Berbrugger, in RA, XIV, n. 84, 1870, p. 495.

    D. De Haedo, Topographie..., p. 431. Le nombre total de maisons propose par Haedo est le resultat d'un calcul apparemment facile, mais qui semble errone si l'on se refere aux donnees fournies dans le texte. La chose se complique encore du fait que pour certaines categories de la population, comme pour les Azuagos (zwdwa-s), on parle de "menages" et non pas de "maisons" ; pour les celibataires on ne parle pas de mai- sons, mais de casernes, et A plusieurs reprises on parle de familles qui vivent dans des cabanes ou des 'chambres A loyer', et dans un cas au moins de gourbis de paille ados- ses aux maisons A l'exterieur de la ville . . . En additionnant le nombre de maisons expli- citement attribuees par l'auteur A chacune des categories qu'il definit lui-meme, (4.100 pour les Maures, 7.600 pour les Turcs, 150 pour les Juifs) - et sauf erreur de ma part - on en arriverait A 11.850. Au total donc, selon Haedo, la population d'Alger ressorti- rait d'un calcul qui devrait prendre en compte les occupants de 11.850 maisons, 100 menages et 200 ou 300 (et parfois plus) celibataires, auxquels il faut ajouter "A peu pres 25.000") esclaves chretiens et un tres petit nombre de chretiens libres.

    8 Parmi les quatre classes qui forment les Maures, Haedo considere que "ceux qui sont nes dans la viyle, [...] Baldis" occupent environ 2.500 maisons, les Azuagos (zwdwa-s) comptent cent menages et deux ou trois cent celibataires, les "autres Kabyles" occupent environ six cents maisons, tandis que les Alarbes n'ont pas de residences dans la ville, puisqu'ils habitent "les porches des maisons" ou bien des gourbis de paille hors de bdb 'Azain (ibid., pp. 491-494).

    N. Saidouni,

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    seignement d"'auteurs Orientaux" qu'il ne nomme pas) "ils firent tra- verser la mer [... ] a plus de dix mille Mores"'O. Or, dans le Gazawdt 'Ariu wa tlayr al-Dzn - qui est probablement la source de reference de De Grammont - on trouve effectivement quelques episodes de ce genre: Hayr al-Din croisa (en 1512 ?) pendant trois mois dans les eaux espa- gnoles "afin de secourir ses freres et de prendre a son bord ceux qui pourraient s'arracher A la tyrannie des chretiens"", dont on ne cite pas le nombre ; quelques anntees plus tard les vaisseaux de Hayr al-Din se rendirent encore le long des cotes iberiques pour embarquer les musulmans qui voulaient se transferer en Afrique, et a cette occasion "ils en embarquerent un nombre considerable qui vinrent s'etablir a Alger" 12; par la suite, entre 1529 et 1535, la flotte algeroise effectua encore diverses traversees et "transporta a Alger soixante-dix mille ames". Ce dernier chiffre est enorme en termes absolus, et en tout cas, seule une portion relativement modeste des Andalous qui quitterent l'Espagne etablit sa residence a Alger, qui ne fut pas l'une des princi- pales villes d'accueil : la plupart de ceux qui detbarquerent dans la region s'etablirent dans l'interieur, ou allerent se fixer dans d'autres villes de la cote, telles que Sarsall, dont le Gazawat nous dit que Hayr al-Din l'avait edifiee en la peuplant de Maures d'Andalousie".

    Au-dela de ces renseignements imprecis, bien d'autres categories d'immigres grossirent la population de la ville, et, somme toute, l'apport des Andalous ne parait pas le plus important dans I'accroissement demo- graphique du XVIe siecle. En effet, toujours selon Haedo, c'etaient les Turcs qui A son epoque formaient le noyau le plus nombreux de la

    '1 H.-D. De Grammont, Histoire ... cit., p. 3. " Trad. J.M. Venture de Paradis, ed. par S. Rang et F. Denis, Fondation de la Regence

    d'Alger. Histoire des Barberousse, 2 tomes, Paris, 1837, I, 37. La traduction de Venture du Paradis a &e faite A partir d'un manuscrit arabe du XVIIIC, A son tour traduction de l'original turc du XVIe siecle et a ete jugee comme "une tres mauvaise traduction fran-

    caise d'une version arabe du XVIIIe siecle, qui en realite n'est qu'un resume pas tou- jours fidle" (Gallotta) ; une traduction italienne A partir d'un manuscrit en espagnol conserve A la Bibliotheque Communale de Palerme, a son tour traduction d'une copie du Gazawdt conservee A l'Escurial de Madrid, a ete publiee par E. Pelaez A la fin du XIXe sicle (in Archivio Storico Siciliano, 1880-1887, dont celle de G. Bonaffini, La vita e la storia di Ariadeno Barbarossa, Palerme, 1993, est une edition plus recente). Un retour A la source originale serait souhaitable: G. Gallotta a publie il y a quelques annees 1'edition critique d'un des manuscrits turcs du Gazawdt (, in SM, XIII, 1983), mais sa traduction manque encore.

    Fondation de le Regence. . ., I, 152. '3 Ibid., p. 282 ; trad. Pelaez (ed. Bonaffini) op. cit., p. 167: "Ariadeno avea edifi-

    cato il castello di Cherchelle ed avealo popolato di Mori Andalusi".

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    population locale. Rappelons que sous cette denomination l'auteur consi- dere d'une part ceux qui sont, "eux ou leurs peres, naturels de Turquie", et de l'autre ceux "qu'on peut appeler Turcs de profession", c'est-a- dire les nouveaux convertis, les chretiens (souvent des anciens esclaves) qui avaient renite leur foi et s'etaient fait musulmans. Haedo arrive jusqu'a affirmer que ceux-ci constituent la majorite de la population de la vile ("ceux-ci et leurs enfants sont par eux-memes plus nombreux que les autres habitants Maures, Turcs et Juifs, car il n'est pas une seule nation de la chreiente qui n'ait fourni A Alger son contingent de renegats"'4), et en effet, dans le chapitre qu'il leur consacre, il leur attri- bue six mille maisons, c'est-a-dire environ la moitie des habitations de la vile. Quant aux Turcs 'naturels', leur premier noyau avait ete cons- titue non seulement par la milice turque de 'Ariiu et Hayr al-Din, mais encore par les deux mille janissaires que le sultan Salim II avait envoyes a Alger apres son acte d'allegeance et par les volontaires turcs qui - a la meme occasion - avaient rejoint la ville: il s'agissait en tout d'environ quatre mile personnes'5. Toutes categories confondues, les Turcs de Haedo, avec 7.600 maisons au total, constituent la partie la plus importante de la population. Pour completer le tableau des cate- gories 'ethniques' enumerees par Haedo, il nous reste enfin a ajouter les Juifs, auxquels sont attribuees 150 maisons dans deux quartiers difflrents.

    Laissant de cote toute consideration concernant les valeurs absolues pour nous limiter a quelques remarques sur les valeurs relatives des chiffres proposes par Haedo, nous voyons que l'apport de populations arrivees de l'exterieur est absolument majoritaire par rapport a l'ensem- ble de la population algeroise autour de la fin du XVIe siecle. Plus encore, si l'on considere qu'avant la prise du pouvoir par les Turcs la population urbaine etait probablement constituee en grande majorite par la categorie haedienne des Baldis, auxquels nous pouvons ajouter celles des Azuagos et des "autres Kabyles", ainsi que les Juifs et un cer-

    14 Haedo, Topographie... p. 497. I1 faut faire probablement la part de 1'exageration dans cette affirmation: la presence d'un grand nombre de 'renegats' avait du impres- sionner de facon particuliere le religieux qu'etait Haedo. Sur la presence au sein de la milice de convertis A l'islam, A une epoque posterieure, cf. T. Shuval, op. cit., pp. 60- 62.

    15 Selon une evaluation couramment admise (cf. H.-D. De Grammont, op. cit., pp. 30-31), mais pas du tout suire: le Gazawdt, par exemple, ne fait aucune reference A I'arrivee A Alger de janissaires et d'autres troupes d'Anatolie. D'autres auteurs parlent de 2.000 janissaires et de 4.000 volontaires.

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 463

    tain nombre d'Andalous, on en arrive a conclure qu'au cours du XVIe si&cle la population de la ville aurait plus que triple: et cela grace A l'arrivee de populations immigrees favorisee par la nouvelle position de la ville dans le contexte de la Mediterranee et de l'affrontement entre la chretiente et l'islam le long de ses rivages.

    Si l'on considere en outre l'apport des esclaves chretiens, le texte de Haedo permettrait d'affirmer que la population aurait plus que qua- druple. Cette multiplication demographique par trois ou quatre en un siecle environ apparait comme un phenomene absolument inedit pour une ville 'd'ancien regime' du point de vue economique il correspond a la "prodigieuse croissance d'Alger", liee a l'essor de la course, evo- quee par Braudel'6. Ce phenomene pourrait d'autant mieux s'expliquer si l'on accepte l'hypothese qu'Alger n'occupait qu'un rang modeste parmi les villes du Maghreb central a l'epoque precedente. Or, que savons nous de sa population avant la domination ottomane ? Tres peu de choses: la remarque d'al-Idrisi, au XIIe siecle, qui la decrit comme une viyle "tres peuplee" au commerce florissant'7 ne nous apprend pas beaucoup, et le premier chiffre disponible date des premieres decen- nies du XVIe, lorsque Jean-Leon lui attribue 4.000 feux'8. Ce chiffre, difficile a evaluer difflremment'9, ne place certes pas Alger au premier

    16 "La course musulmane n'est pas moins prospere [ ...]. Ses centres sont nombreux, mais sa fortune se resume toute enti&re dans la prodigieuse croissance d'Alger" (F. Braudel, La Miditerranie et le monde mzditerranien a l'ipoque de Philippe II, Paris, 19666 (lere ed. Paris 1949), II, 203). Braudel parle d'une "premiere et prodigieuse fortune d'Alger", de 1560 A 1570, et d'une "seconde et toujours prodigieuse fortune d'Alger" de 1580 A 1620 (ibid., pp. 203-205).

    1' R. Dozy, M. De Goeje (ed. et trad.), Description de l'Afrique et de l'Espagne par Edrisi, Leyde, 1968 (r&pr. anastat. de l'edition de 1866), p. 65. D'autres geographes musul- mans A differentes epoques, tels que al-Bakri et Pir Re'is, emploient la meme locution dans leurs descriptions d'Alger.

    18 Jean-Leon l'Africain, op. cit., ibid. 9 Sans avoir l'ambition de trouver "des solutions au probleme irritant que pose

    l'interpr&tation de la notion de 'feu"' (A. Raymond, Signes urbains..., p. 192), nous sui- vons l'hypothese couramment admise qu'a un feu correspond un minimum de 4-5 per- sonnes. Reste la question relative A l'equivalence entre 'feu' et 'maison', et plus en general entre le 'feu' et l'unite d'habitation, c'est-A-dire au mode de logement qui a connu des variations plus ou moins importantes selon les epoques et les classes de la population.

    Loin de moi l'intention d'evaluer A "3 (!) individus par famille" (T. Shuval, op. cit., p. 43, note 25) la moyenne des composants des families juives d'Alger en 1725 a par- tir du temoignage de Laugier de Tassy: plus banalement (heas !) une erreur de typo- graphie a paru multiplier par trois les 5.000 maisons ou families qu'il attribue A Alger dans le tableau publie dans mes Qwelques reflexions..., p. 162.

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    rang des principales agglomerations du Maghreb central20. L'impor- tance demographique restreinte de la ville, encore dans le premieres decennies ottomanes, serait confirmee par Nicolas de Nicolay, le pre- mier visiteur europe'en qui nous a laisse une description d'Alger au XVIe siecle2': il y passe en 1551 et lui attribue une population de 3.000 feux, soit un quart de moins que Jean-Le&on.

    Ceci dit, si l'on admet - en suivant Haedo - la possibilite d'un accroissement tres important des habitants d'u principalement a l'apport de populations exterieures, turcs, renegats, esclaves, andalous, de trois a quatre fois en un siecle environ, on se trouve immediatement confron- tes a un probleme d'espace. L'agrandissement des murailles a la pre- miere epoque ottomane a-t-elle 'ete jusqu'a tripler ou meme quadrupler la surface de la vile intra muros? Certainement pas, meme si - nous l'avons vu - il est difficile d'evaluer avec precision l'extension de la vile preottomane.

    Si l'on se fie aux conclusions de Pasquali22 , qui par ailleurs base son analyse du developpement urbain d'Alger entre l'epoque berbere et I'epoque ottomane sur de nombreuses hypotheses liees a la geomor- phologie du site urbain et sur la similitude avec d'autres situations apparemment mieux connues, le nouvel espace acquis a l'interieur des murailles a l'epoque ottomane n'aurait ete que d'une dizaine d'hecta- res. Une autre possibilite serait d'imaginer les espaces batis concentres dans une zone assez reduite, et une grande partie de ses terrains en friche ou cultives23. Derniere possibilite: considerer que les murs de la vile preottomane delimitaient un perimetre bien plus restreint et qu'ils n'encerclaient que la partie reellement occupee par les constructions,

    20 Jean-Leon attribue 6.000 feux A Oran, 8.000 A Constantine et Bougie, et 12.000 A Tilimsan (qui d'apres lui en avait compte jusqu'A 16.000 A 1'epoque de sa plus grande prosperite): Alger serait alors la cinquieme ville de la region par ordre d'importance demographique.

    21 N. de Nicolay, Les quatre premiers livres des navigations orientales, Lyon, 1568, passim. 22 E. Pasquali, , in Documents Algeriens,

    serie culturelle, n. 75, 1955. Faute d'evidences materielles suffisantes, 1'hypothese de Pasquali concernant 1'extension de la vile berbere est A mon avis tres douteuse (cf. aussi E. Pasquali,

  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 465

    d'une vingtaine d'hectares tout au plus, dans la region la plus plate, le long de la mer. C'est cette hypothese qui me semble la plus plausible24.

    Quoi qu'il en soit, l'accroissement demographique de la vile resulte de l'occupation progressive de toute la surface englobee a l'interieur des nouvelles murailles25 et de l'ulterieure densification des espaces batis: une densification qui fut extreme et qui impressionna la plupart des visiteurs europeens du XVIe et XVIIe siecles. Toutefois, pour en reve- nir aux donnees fournies par Haedo, il serait surprenant que l'espace de la ville ait pu permettre la construction de plus de douze mile mai- sons et on peut conclure que ce chiffre est exagere26.

    Au cours du XVIle et du XVIIIe siecles les sources historiques ara- bes et turques ne contribuent pas beaucoup a notre connaissance de l'importance demographique d'Alger, alors que les sources europeen- nes nous fournissent une grande quantite d'informations: il s'agit par- fois de donnees qui ne se basent pas sur une connaissance directe de la vile (une partie de ces chiffres est propose'e par des auteurs d'oeu- vres de compilation) ou bien qui apparaissent exagerees par rapport a

    24 Toutefois, meme les documents fonciers examines par Devoulx, qui permettent d'affirmer avec certitude que les remparts ottomans couvraient une surface plus vaste que ceux de la ville precedente, ne permettent pas de trancher a ce propos (cf. A. Devoulx, >, in RA, n. 115, 1876, pp. 71-74). Si notre hypothese est juste, la qasaba al-qadima (d'apres le nom que don- nent les documents a la forteresse qui existait A l'epoque preottomane, et qui d'apres l'hypothese de Pasquali etait A l'interieur de l'enceinte) se serait alors trouvee isolee par rapport A l'habitat.

    25 Cf A. Devoulx, Alger..., p. 73. 26 Remarquons que Haedo est loin de considerer Alger comme une grande ville,

    puisqu'il affirme qu"'elle ne renferme que 12.200 maisons grandes et petites" (Topographia..., in RA, XIV, 1870, p. 431). Un terme de comparaison plus acceptable pourrait etre celui des 6.800 maisons recensees par le Genie militaire francais apres la conquete (cf. infra). Toutefois, nous ne connaissons pas precisement l'evolution de l'habitat alge- rois et de ses typologies au cours des deux siecles et demi qui separent les deux esti- mations: dans son article deja cite, S. Missoum affirme que le manque d'espace aurait engendre - vers la fin du XVIie siecle ? - une nouvelle typologie d'habitation, les "'alwi, casas de pequefias dimensiones, sin wast ad-ddr o patio, que se desarrollan en altura" (op. cit., p. 225. Sur ce type d'habitation, decrite sous les noms de olie ou oleah par T. Shaw, A Alger de 1720 A 1732 - qui semble les identifier avec la duwtra, l'un des types de logement preferes des soldats de la milice selon Shuval -, cf. aussi T. Shuval, op. cit., pp. 97-98). De son cote, Braudel parle de la viule qui se developpe au cours du XVIe siecle comme d"'une ville neuve, pouss&e A l'americaine" (F. Braudel, op. cit., II, 194). L'existence d'un habitat precaire (gourbis, cabanes, 'masures' . . .) dont les sour- ces portent temoignage de faSon sporadique, A l'exterieur et A l'interieur de la ville, est - elle aussi - difficile A evaluer, tout comme le nombre des 'chambres A loyer' citees par Haedo.

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  • 466 FEDERICO CRESTI

    son extension. C'est ainsi qu'a partir de la fin du XVIe et presque jusqu'a la fin du XVIIe siecle, plusieurs auteurs europeens affirment que le nombre de maisons est encore plus important que celui qui figu- rait dans les ecrits d'Haedo: on va des 13.500 environ deJean-Baptiste Gramaye, qui avait ete prisonnier 'a Alger en 1619, aux 15.000 du venitien Giovanni Battista Salvago et de Francois Pierre Dan, qui sejour- nerent ici quelques annees plus tard et dont les chiffres sont repris par force geographes et ecrivains dans leurs etudes sur Alger et le Maghreb a l'epoque ottomane27. Jean-Baptiste Gramaye, qui prend pour point de depart de son analyse le chiffre de 12.200 maisons avance par Haedo, nous informe que, d'apres ses calculs, la ville s'est enrichie au cours du dernier quart du XVIe et dans les deux premieres decennies du XVIIe siecle de 1.300 nouvelles demeures: ces maisons auraient ete en grande partie baties par les habitants du faubourg detruit en 1573 hors de murailles, tandis qu'une derniere vague d'Andalous, chasses d'Espagne en 1609, aurait trouve 'a s'abriter dans 300 nouvelles habi- tations ("casas vel domus", affirme Gramaye dans le latin de son texte, c'est-a-dire masures ou cabanes, et veritables maisons).

    A partir des dernieres decennies du XVIe et pendant plus d'un siecle les chiffres relatifs aux habitants attestes par les auteurs europeens paraissent s'envoler: 130.000 pour Lanfreducci et Bosio (1587), 150.000 pour Salvago (1625), selon qui la ville est "pleine comme un oeuf", et pour Tollot (1731), 117.000 environ pour Shaw (1738) - le chiffre de 100.000 etant le plus frequemment cite: douze auteurs europeens au moins le retiennent dans leurs ecrits. I1 faut toutefois remarquer que d'autres proposent des chiffres bien moindres : ainsi, Botero (1595), Davity (1625) et Coppin (1686) lui attribuent 80.000 habitants ; Lithgow (1615) descend a 30.000 ; Cano (autour de 1750) 50.000; environ 50.000 Venture de Paradis (1789) et Shaler (1815) ; moins de 50.000, Raynal (1788) ; 75.000-80.000, Dubois-Thainville (1809).

    La grande variabilite des estimations proposees par les auteurs euro- peens va de pair avec leur difficulte a fournir des chiffres qui ne soient

    27 Le chiffre de 15.000 maisons se retrouve chez Du Val (1665), Dapper (1668), Ogilby (1670), De La Croix (1688), Laugier de Tassy (1725), Palermo (1784) ; celui de 13.000 chez De Rocoles (1660). Sanson d'Abbeville (1656) et Auvry (1662) proposent quant a eux entre 12.000 et 15.000 maisons.

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 467

    pas uniquement le fruit d'appreciations tres subjectives, ou ne faisant que reprendre le temoignage d'autres auteurs consideres comme des autorites en la matiere. Apparemment, la connaissance des auteurs pre- cedents conjuguee avec la connaissance directe d'autres villes maghre- bines, qui pourrait etre un facteur d'appreciation plus ponderee, ne l'est pas toujours: par exemple, GrAberg, qui fut consul de Suede dans les pays barbaresques et qui ecrit a 1'epoque de la prise d'Alger par les troupes franSaises a partir d'une recherche bibliographique approfon- die, attribue a la ville au moins 70.000 habitants et environ 10.000 maisons, alors que la premiere enquete du Genie militaire apres la conquete franSaise estime a 24.200 le nombre des habitants et a envi- ron 6.80028 celui des maisons.

    La serie de donnees relatives aux sources disponibles, par ailleurs deja presque totalement publiees29, met en evidence d'un cote la varia- bilite que nous venons de souligner, de l'autre l'acceptation majoritaire, dans les sources europeennes, de chiffres egaux ou superieurs a 100.000 habitants, surtout jusqu'au debut du XVIIIe siecle.

    28 Memoire Collas, p. 2. Lespes (op. cit., p. 140) cite le chiffre de ce Memoire a par- tir d'une copie conservee par les memes archives ("art I, n. 11"), probablement dife- rente de celle que nous avons citee (cf. supra, note 3). Nous n'avons pas vu le docu- ment cite par Lespes, qui ne fait aucune reference aux donnees relatives A la population (cf. R. Lespes, op. cit., p. 140). Le recensement auquel Collas se refere a ete prescrit par le general Clauzel au mois d'octobre 1830 (cf. Aumerat, >, in RA, XLI, 1897, p. 321 ; cf. aussi Id., La propriili urbaine et le bureau de bien- faisance musulmane d'Alger, Alger, 1900, p. 7). N'ayant pas trouve jusqu'ici d'autres docu- ments originaux relatifs A ce recensement, je pense que le Memoire Collas reste le document le plus fiable A ce propos: quelques auteurs posterieurs (Aumerat, Klein..., qui en general ne citent pas leurs sources avec precision) donnent une vision quelque peu confuse des donnees de ce recensement, et proposent des chiffres variant entre 8.000 immeubles et 4.000 maisons. Lespes, quant A lui, cite telles queUes les 6.800 maisons du Minoire Collas.

    29 Cf. F. Cresti, Qyelques reflexions. . ., p. 155. Les dates de reference, pour les auteurs des ouvrages imprimes qui ont reside A Alger, est de preference celle de leur sejour et non pas celle de l'edition de leurs livres. Quelques donnees ont ete ajoutees ici: par exemple, celle relative A l'oeuvre deJoAo Mascarenhas, parue A Lisbonne en 1627, ainsi que le chiffre des habitants propose par le Memoire Collas en 1830.

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  • 468 FEDERICO CRESTI

    Tableau 1 - Population d'Alger a 1'epoque ottomane d'apres les sources

    1516 Hasan al-Zayyati/ 4.000 feux Jean-Uon 1'Africain

    1550 Nicolay 3.000 feux 1578-1581 Haedo - 12.200 maisons 1587 Lanfreducci et Bosio 130.000 1588 Sanuto - 4.000 feux 1595 Botero 80.000 1605 Savary de Breves 100.000 1615 Lithgow 30.000 1619 Gramaye - env. 13.500 maisons 162 1-1626 Mascarenhas 12.000 maisons 1625 Salvago 150.000 15.000 maisons 1634 Dan plus de 100.000 env. 15.000 maisons 1640-1642 Aranda 100.000 1656 Sanson d'Abbeville - 12/15.000 maisons 1660 Davity (ed. De Rocoles) env. 13.000 maisons 1662 Auvry 100.000 13/15.000 maisons 1665 Du Val - 15.000 maisons 1668 Dapper - env. 15.000 maisons 1670 Ogilby 100.000 15.000 maisons 1674-1675 Arvieux plus de 100.000 15.000 maisons 1683 Manesson-Mallet 100.000 1685 Laugier de Tassy 100.000

    (ed. 1725) 1686 Coppin env. 80.000 1688 De La Croix - 15.000 maisons 1700 Comelin plus de 100.000 1719 Gueudeville 100.000 1729 Vander Aa - env. 15.000 maisons 1731 Tollot 150.000 1738 Shaw env. 117.000 1750 env. Juan Cano 50.000 1784 Palermo (ed.) plus de 100.000 pas moins de 15.000 maisons 1785-1788 Von Rehbinder 80.000 1788 Raynal moins de 50.000 1789 Venture de Paradis env. 50.000 5.000 maisons 1808 Boutin 73.000 1809 Dubois-Thainville 75/80.000 1815 Shaler env. 50.000 env. 5.000 maisons 1815-1817 Pananti 100.000 1830 Graberg 70.000 env. 10.000 maisons 1830 Menotre Collas env. 24.200 6.800 maisons

    A partir des chiffres de ce tableau, la population de la vile serait res- tee assez stable au cours du XVIIe siecle: a l'exception de deux auteurs, les autres avancent un chiffre de 100.000 habitants ou plus. Or, une population de 100.000 habitants, ou plus, est-elle envisageable pour une ville de l'extension d'Alger a l'epoque ottomane ?

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 469

    Cette donnee a ete couramment admise par les historiens et par les geographes modernes jusqu'a il y a quelques decennies. Rene Lespes en particulier, dans une analyse publiee en 1929 sur la repartition de la population dans le quartier de la Casbah, qui a l'epoque coloniale correspondait grosso modo aux limites de la ville ottomane, ne s'etonnait pas au vu des densites rencontrees "que des auteurs du XVIIe siecle aient pu estimer sans exageration a 100.000 et plus le nombre des habi- tants d'Alger"30. Plus rtecemment, cette donne'e a ete remise en ques- tion par Andre Raymond dans ses etudes sur les villes arabes A l'epoque ottomane. On peut ainsi lire dans l'un de ses essais sur ce sujet:

    Beaucoup plus modeste [A la fin du XVIIIe siele] eait une ville comme Alger, dont la superficie etait de 46 hectares seulement et dont la population, estimee a 30.000 habitants en 1830, est generalement consideree comme tres inferieure au chiffre du XVIIe siecle [.. .]. C'est surtout pour Alger que le doute est permis: le chiffre de densite est remarquablement eeve, 646 habitants A l'hectare (pour 30.000 h en 1830), plus donc que dans la region de Qahira au Caire, ce qui peut s'expli- quer par la compression de la ville A l'interieur de ses murs, par la densite des construction et par le caractere vertical de leur architecture, enfin par l'existence de bagnes ou de casernes oui s'entassaient des milliers de Janissaires et de captifs chretiens. Mais il est evident que les chiffres donnes pour des periodes plus ancien- nes (100.000, ecrit-on communement, pour le XVIIe siecle) justifient le scepticisme le plus total: des densites de 2.000 habitants A l'hectare n'ont ete relevees qu'A l'epoque contemporaine, dans des villes comme Alger ou Le Caire, pour des rai- sons liees A la colonisation et A l'explosion demographique du XXV siecle3.

    La demarche comparative de Raymond montre que, meme en accep- tant le chiffre assez bas de 30.000 habitants, Alger aurait eu, avec plus de 650 habitants a l'hectare, une densite plus forte que celle des autres grandes villes du monde arabe a la fin du XVIIIe siecle plus forte que celle du Caire (d'environ 300 A 600, selon les diffkrentes zones urbai- nes), de Tunis (446), d'Alep (327), de Damas (288), de Mossoul (283) ou de Baghdad (265). Par ailleurs, Raymond considere que le chiffre propose par Venture de Paradis a la fin du XVIIIe siecle, 50.000 habi- tants, est le plus vraisemblable32.

    Effectivement, le temoignage de Venture de Paradis, qui resida a Alger de 1788 a 1790 et qui, de par sa position privilegiee au consulat

    30 R. Lespes, op. cit.; p. 524. Cf. aussi P. Boyer, >, in RA, XCVIII, 1954, pp. 320, 323.

    3 A. Raymond, Grandes villes arabes a l'ipoque ottomane, Paris, 1985, pp. 62-63. 32 T. Shuval (op. cit., pp. 41-44) reprend cette opinion a son compte. En acceptant

    I'estimation de Venture de Paradis, la vile aurait donc eu une densite a l'hectare de plus de 1.100 habitants dans les dernieres decennies du XVIIIe sicle.

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  • 470 FEDERICO CRESTI

    de France, pouvait avoir une vision claire des realites de la ville, grace egalement a sa connaissance profonde de l'arabe et du turc, parait tres pondere. Voila ce qu'il affirme a propos de la population algeroise:

    Alger a l'etendue qu'aurait en France une vile de vingt-cinq a trente mille ames, et je pense que l'on approcherait de sa vraie population en l'&valuant a cinquante mile ames, eu egard au nombre de femmes qui sont toujours enfermees et qui n'augmentent jamais la foule. Parmi ces 50.000 ames, on peut compter 6.000 Couloglis, 3.000 Turcs levantins, 7.000 Juifs, 2.000 esclaves et autres chretiens, et 32.000 Maures, parmi lesquels seront compris les gens de Biscara, qui font ici l'office que les Savoyards et les Auvergnats remplissent a Paris, les Zevawis, les Mozabis, les Gerbavis, etc.33

    Remarquons en passant qu'au cours de la deuxieme moitie du XVIjIe siecle, lorsque Venture de Paradis ecrit ses Notes-", la quasi totalite des sources europeennes a renonce aux evaluations de 100.000 habitants ou plus, et prend en consideration des chiffres inf6rieurs, qui varient entre 80.000 et moins de 50.000 habitants. Ainsi, en fin de compte, les chiffres avances par Venture de Paradis semblent tout a fait accep- tables, et si on les accepte, quelques reflexions s'imposent: "dans la mesure ous le parallelisme entre la croissance ou le declin de la popu- lation et le progres ou la decadence economiques semble pouvoir etre accepte comme un hypothese de travail"35, et comme le dernier quart du XVIjje siecle ne marque sufrement pas l'apogee de la richesse de la capitale de la regence, on peut avancer l'hypothese d'une impor- tance demographique plus grande a l'epoque de la plus forte prospe- rite economique d'Alger.

    Nous serions tentes de situer cette epoque au deuxieme quart du XVIe siecle, en prolongeant de quelques annees la periode proposee par Braudel3t: rien toutefois, aucun document, ne nous permet d'avan-

    J.M. Venture de Paradis, Alger au XVIII' siecle, ed. E. Fagnan, Alger, 1898 (qui reunit en volume le texte publie par Fagnan dans la Revue Africaine, au cours des annees 1895-1897), p. 3. Dans un autre passage, on trouve une remarque tres interessante, mais dont l'evaluation numerique paraft difficile: "On pourrait peut-etre juger de la population d'Alger par les moulins A farine qu'il y a dans la ville, moulins A meules tournees par des mules ou des chameaux ; il y en a vingt-cinq tenus par les Mozabis, qui font au plus trente mesures chacun par jour" (ibid.).

    34 Dans les recueils de manuscrits de Venture de Paradis conserves A Paris la partie consacree A Alger porte le titre de Notes sur Alger (cf. ed. Fagnan cit., p. 1). Une edi- tion plus recente des notes de Venture de Paradis a ete realise par J. Cuoq: Venture de Paradis, Tunis et Alger au Xv7IIi siscle, Paris, 1983.

    3 A. Raymond, Signes urbains..., p. 183. 36 On ressentirait encore, A cette epoque, les effets de la "seconde prodigieuse for-

    tune d'Alger" dont parle Braudel (pour qui Alger etait A son apogee entre 1580 et 1620, op. cit., II, 195). La moitie du siecle correspond entre autres A la fin de ce "trend

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 471

    cer des chiffres plausibles, s'appuyant sur des bases documentaires sfures, pour la population de cette epoque. Les cent mille habitants (et plus) proposes par les auteurs europeens qui visitent la ville dans ces annees- la (plus de 100.000 par Dan en 1634; 100.000 par De Aranda en 1640- 1642) ne semblent pas acceptables: non pas seulement par rapport au cadre physique lui-meme, comme le pensent certains des chercheurs dejA cites, mais surtout parce qu'ils repondent uniquement, et de facon assez evidente, au seul desir de frapper l'imagination du lecteur par une image exceptionnelle de la situation algeroise37.

    On pourrait situer vers la fin des annees mile six cent trente le tour- nant qui se produisit dans l'histoire de la ville et de sa fortune econo- mique, meme s'il ne se traduisit pas par une brusque inversion de la tendance detmographique a la hausse. I1 semble en effet possible d'avan- cer la date d'un evenement qui ne fut pas seulement symbolique: 1638 et la bataille de la Valone. Cet episode, qui opposait Turcs et Venitiens, voit la perte d'une partie importante de la flotte algeroise et de ses equipages et la liberation d'un nombre tres important d'esclaves chre- tiens qui ramaient dans ses galeres38. Les coufts occasionnes par la recons- titution de la flotte (qui, en 1644, subira encore des pertes lors de sa participation au siege de la Canee) vont de pair avec les changements 'technologiques' de la navigation: le systeme des galeres est graduel- lement mais definitivement abandonne apres la Valone. "La conserva- tion de troupeaux d'esclaves dans les bagnes n'a donc guere d'interet economique et l'on glisse facilement du concept 'd'esclave energie' au concept 'd'esclave marchandise"'39: cela, conjugue avec la necessite de

    seculaire" du "long XVIe siecle", ou 1650 constituerait un sommet, qui aurait entrain6 les economies mediterran&ennes dans leur ensemble (F. Braudel, op. cit., II, 214-217).

    La renommee de la puissance d'Alger est alors A son zenith: Salvago rappelle, dans son texte date de 1625, que selon une opinion courante la ville compte 300.000 habi- tants, qu'il reduit de la moitie apres maints calculs, quitte A affirmer qu'avec les mai- sons de la campagne environnante les habitants atteignent les 200.000 (G.B. Salvago, Africa ovvero Barbaria [...], ed. A. Sacerdoti, Padoue, 1937, p. 85).

    37 Cf. F. Cresti, Gli schiavi..., p. 422. 38 Cf. H.D. De Grammont, Histoire..., pp. 187-188. Les pertes algeroises, d'apres

    De Grammont, furent de seize galeres et de deux brigantins (presque la moitie des gale- res et le quart de la marine de guerre algeroise ? Cf. M. Belhamissi, Manrne et manins d'Alger 1518-1830, Alger, 1996, t. I, p. 94), de 1.500 morts et de 3.634 esclaves liberes (d'apres S. Bono, I corsari barbareschi, Turin, 1964, pp. 43-44, les pertes furent assez vite reparees). Cf. aussi P. Boyer,

  • 472 FEDERICO CRESTI

    renflouer les finances de la regence, fait que les rachats se multiplient au cours des decennies suivantes, et amene dans 1'ensemble a une nette pre'dominance des 'sorties' sur les 'entrees' des esclaves, c'est a dire a la diminution progressive du nombre de ces derniers.

    Au cours de ces memes annees, tremblements de terre (dont celui de 1639), famines et autres evenements tragiques frappent la popula- tion de la ville: au-dela de 1650 la crise demographique se fait e'vi- dente, qui touche negativement la population urbaine apres une serie d'epidemies meurtrieres40. La crise est aussi politique: c'est en effet I'epoque qui voit se succeder une serie de bouleversement institution- nels, jusqu'a 1671 et au debut de la periode des dey-s, mais aussi au- dela. La force militaire de la vile et sa securite meme sont remises en cause, en particulier lors des attaques et des bombardements de la flotte francaise au cours des annees '8041. Une plus grande stabilite politique

    'O Les epidemies etaient assez frequentes A Alger et se manifesterent tout le long du si&cle (cf. M.W. Dols, >, in tJESHO, XXII, 2-1979, passim et en part. pl. 4, p. 187), mais celles des annees 1654-1657 et de 1664 furent, d'apres les chroniques, parmi les plus terribles: une grande partie de la population (plus de la moitie, d'apres certains docu- ments de 1'epoque) aurait ete balayee au cours de ces deux pestilences (cf. H.-D. De Grammont, Histoire. . ., p. 203. Cf. aussi F. Cresti, >, in SM, XVI, 1984, p. 57 - trad. fr. Akger au Xviie siecle, Rome, 1996, p. 14 ; D. Panzac, La peste dans 1'empire ottoman (1750-1850), Louvain, 1985, pp. 218-219). On soulignera ici que les chroniques fournissent parfois des chiffres hyperboliques pour les deces A l'occasion des epidemies: le pretre Gianola, qui etait A cette epoque le chapelain des esclaves chretiens, affirme qu'au cours de dix mois de peste en 1690 et 1691 il mourut 40.000 Turcs et Maures, et 1.000 esclaves (Archives de la Congregation pour l'Evangelisation des peuples, anc. 'De Propaganda Fide' [dorenavant APF], Rome, SC-Barbaria, vol. 3, f. 29: lettre de G. Gianola d'Alger, 29.4.1691. Pour les references des documents APF cites infra, en particulier dans les tableaux 3 et 4, cf. F. Cresti, Documenti sul Maghreb dal XVII al XIX secolo, Perouse, 1988, passim). De son c6te, les documents consultes par De Grammont lui permettent d'affir- mer - sans commentaires - que l'epidemie qui eclata en 1698, et qui dura quatre ans, enleva de 25.000 A 45.000 personnes par an (H.-D. De Grammont, Histoire..., pp. 268-269): chiffres difficilement comprehensibles, A moins que De Grammont ne se refere implicitement A 1'ensemble du territoire de la regence.

    4' Les bombardements de 1682, 1683 et 1688 qui causerent beaucoup de degats aux edifices de la ville, ne paraissent pas avoir fait beaucoup de morts parmi la population qui s'eait "retiree a la campagne" (ibid., p. 256. Cf. aussi F, Cresti, , in SM, XVII, 1985, pp. 45-52). Du point de vue demogra- phique les bombardements de la ville n'eurent jamais de consequences tres importan- tes, meme si les documents evaluent les pertes de facon assez disparate: par exemple, lors de I'attaque de lord Exmouth le 28 aout 1816, pendant laquelle Alger essuya le plus grave bombardement de son histoire - puisque la flotte anglo-hollandaise avait pu arriver tres pres des murs de la ville -, les chiffres varient entre 300 et 2.000 tues (pour un resume des donnees, cf. D. Panzac, Les corsaires barbaresques. La fin d'une epopee 1800-

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 473

    s'affirme a partir de la deuxieme decennie du siecle suivant et durera grosso modo jusqu'a la fin du siecle: dans toute la Regence, la paix et le renouveau commercial qui caracterisent la longue periode du gou- vernement du dey Muhammad b. 'Utman (1766-1791) permettent a Andre Raymond d'affirmer que cette epoque "can be considered as a period of Algerian renaissance"42. La reprise de l'activite corsaire (et la reprise economique tout court) et les traites de paix avec une partie des puissances chretiennes amenent de nouvelles richesses a Alger: cependant, si la viyle voit d'un cote le nombre de ses esclaves augmen- ter, de l'autre elle est frappee par des disettes, des attaques navales et enfin par une serie d'epidemies qui au cours des dernieres annees du regne de Muhammad b. 'Utman mettent fin a cette parenthese.

    Pour resumer les traits principaux de l'evolution algeroise au cours du XVIIe et des trois premiers quarts du XVIIIe siecle, on pourrait dire que l'apport de population qui se realisa lors de l'expulsion des moriscos d'Espagne, dans les annees qui suivirent 1609, ainsi qu'une aug- mentation des residents engendree par la grande prosperite de la vile et l'afflux des esclaves, aurait porte la population a son maximum entre 1625 et 1638. Les espaces de la ville sont dcesormais satures, et un habi- tat dense s'y est developpe, forme par des constructions a deux etages OU plus43: il est possible que l'habitat precaire des derniers immigrants avait ete resorbe a cette epoque. La fin de l'age d'or economique et une periode de crise politique, ainsi que diverses calamites naturelles, auraient engendre une premiere chute demographique, de dimension imprecise, vers le milieu du XVIPe siecle: une tendance a la baisse, avec quelques episodes ponctuels de chute (en correspondance avec diffierentes calamites, tremblements de terre, epidemies etc.) se serait maintenue pendant presque un siecle, avec probablement un moment de reprise entre la moitie du siecle et 1787. A la fin de cette periode la population aurait atteint vraisemblablement les 50.000 ames.

    1820, Paris, 1999, pp. 240-241. Cf. aussi A. Temimi,

  • 474 FEDERICO CRESTI

    En ce qui concerne les pertes humaines dues aux tremblements de terre qui frapperent la ville au XVIle et XVImle siecle, les temoignages ne sont pas tres precis: en general les sources connues se bornent a decrire les degats materiels. C'est ainsi que nous trouvons une curieuse obser- vation des effets d'un tremblement de terre sur la hauteur des maisons de la ville dans un rapport de redemption du XVIIIe siecle: on y lit, a propos de la maison de l'ambassadeur franyais, qu'elle est "des plus belles de tout Alger: avant le dernier tremblement [du 3 f&vrier 1716] elle etoit a trois etages, elle n'en a plus a present que deux"44. Par la meme source nous savons que ce tremblement de terre, auquel d'autres secousses avaient fait suite jusqu'a la fin juin de la meme annee, avait gravement endommage tous les batiments de la ville, et que malgre les reparations plusieurs maisons etaient encore, sept ans apres,

    etayees ou a demi renversees. [Le seisme] fut si violent que la plupart des Bastides furent ruinees, et toute la ville auroit efi le meme sort, si les maisons qui sont ser- rees l'une contre l'autre ne s'etoient pas entresoutenues45.

    I1 est une crise demographique particulierement importante vers la fin du XVIIIe siecle qui nous est mieux connue que celles de la periode precedente grace aux sources et aux documents d'archives: il s'agit de la peste des annees 1787 et 1788. Alors que nous ne possedons que des evaluation tres problematiques sur les effets des epidemies prece- dentes, les sources documentaires permettent d'avoir une vision assez precise des pertes humaines causees par la peste de 1787-1788, et concordent sur des chiffres tres eleves. D'apres le temoignage du lettre algerois Ahmad al-Sarif al-Zahar, qui consacra a cet evenement quel- ques lignes de sa chronique ecrite quelques decennies plus tard, il mou- rut jusqu'a 500 personnes par jour pendant l'epidemie46. D'apres l'abbe Raynal, qui se trouvait a Alger a cette epoque, suivant le releve fait aux portes de la ville il mourut 14.334 musulmans, 1.774 juifs, 613 chretiens libres ou esclaves47. Le chiffre de 16.721 morts est confirme

    4 Comelin, de la Motte, Bernard, Voyage pour la ridemption des captifs aux royaumes d'Alger et de Tunis, fait en 1720 par les PP. [...], Paris, 1721, p. 14.

    45 Ibid. 46 Cit. par M. Belhamissi, >, in Archives

    .Nationales, n. 6, 1977, p. 41. 47 G.T. Raynal, Histoire philosophique et politique des itablissements et du commerce des Europiens

    dans I'Afrique septentrionale, 2 vol., Paris, 1826, 11, 112, cite par R. Lespes, op. cit., p. 139.

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 475

    par une lettre du consul De Kercy, qui ajoute cinq a six mille morts dans les jardins aux environs de la ville, tandis que Von Rehbinder - a Alger de 1785 a 1788 - parle de 15.829 victimes en cinq mois48. Voici enfin le temoignage de Venture de Paradis:

    L'an 1787 a et funeste pour Alger ; la peste y a fait un ravage affreux. Pendant quatre mois, tous les jours il mourait 200 et jusqu'A 240 musulmans, sans comp- ter les chreiiens et les juifs. L'annee 1788, la peste a repris, mais elle n'a pas et si cruelle. I1 est mort dans ces deux annees pres de 700 esclaves chretiens. La peste de 1787 doit avoir emporte le tiers des habitants49.

    Si l'on accepte l'evaluation de Venture de Paradis et les donnees des autres temoins, la population d'Alger d'avant la peste aurait compte un peu plus de 50.000 habitants, pour tomber par la suite a environ 35.000. Dans les annees qui vont de cet evenement a la prise d'Alger par les troupes fran?aises, la population se serait conservee globalement au meme niveau: aucune catastrophe naturelle, aucun fait epidemique majeur et une certaine continuite des facteurs economiques (A ce pro- pos, la presence des esclaves - voir ci-dessous -, qui se maintient assez constante jusqu'a 1816, et qui montre meme une assez forte tendance a la hausse entre 1800 et 1815, pourrait etre un indicateur interessant) ne viennent justifier au cours de cette periode l'hypothese d'une vile en tres fort declin, demographique aussi, generalement avancee par l'historiographie de la periode coloniale.

    Nous ne pouvons pas affirmer categoriquement la constance de la population entre la fin des grandes pestilences et 1830, puisque le mon- tant de la population d'Alger avant la conquete est lui aussi sujet a des estimations et hypotheses. La donnee la plus sufre est constituee par les 24.200 habitants attestes par la premiere enquete francaise dans un document des archives de Vincennes, le Mbnoire Collas deja cite. D'apres ce document,

    48 Ce passage de De Kercy est cite par M. Belhamissi, Une lettre..., p. 40. D'apres cette lettre, l'epidemie s'etait terminee vers la mi-aofit de 1787 et avait dure au moins sept mois. La temoignage de Von Rehbinder est cite par Lespes (op. cit., p. 139). De Grammont, quant A lui, parle de 17.048 victimes (op. cit., p. 339), sans par ailleurs citer sa source.

    49 J.M. Venture de Paradis, Alger. . ., p. 52, note 1. L'examen des inventaires apres deces fait par T. Shuval (op. cit., pp. 46-49) confirme

    la violence particuliere de cette epidemie: A partir "des differences que l'on trouve entre le nombre moyen d'inventaires et celui des ann6es de peste, le resultat s'eleve A 14.600 [morts], ce qui represente environ 29% du nombre maximal de la population de la vile" (ibid., p. 49).

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  • 476 FEDERICO CRESTI

    les recensements faits par ordre du General en Chef 1'etablissent ainsi: 10 Les Maures, melange d'anciens mauritaniens, restes dans le Pays a la suite des diver- ses invasions, d'Espagnols emigres et de Turcs au nombre de 16.800. 2? LesJuifs chasses d'Europe au 1 3e si&cle environ 5.200. 30 Les Negres libres, esclaves et domestiques des deux sexes 1.200. 40 Des Cabails et Arabes portefaix du Pays concurremment avec les Negres au nombre d'environ le nombre n'est pas connu). Environ 1.00050.

    En tout, environ 24.200 personnes, qui toutefois ne constituent pas l'ensemble de la population urbaine a la fin de l'epoque ottomane. En effet, avant et tout de suite apres l'entree des francais, le 5 juillet 1830, une partie des habitants qu'il est difficile de chiffrer abandonna la vile5'; en outre, les membres de la milice des janissaires (2.500 celibataires et 1.000 maries, d'apres les documents52) et leurs familles furent expulses avec d'autres Turcs par ordre de Bourmont53. Un miulier de familles et 2.500 celibataires: sfurement plus de 5.000, probablement au moins 7.000 personnes. Si l'on considere en outre ceux qui avaient fui la ville et les morts au cours des operations militaires, on peut affirmer que la ville depassait largement les 30.000 habitants a l'aube de la conquete coloniale. Divers autres documents semblent le confirmer: le premier, emanant de 1'entourage du commandant en chef de l'Armee d'Afrique, Bertrand Clauzel, qui avait ordonne le recensement susdit, affirme que la population algeroise "avant 1'entree des Fran?ais, s'elevait a pres de

    50 Menmoire Collas, p. 3. Dans le manuscrit, le chiffre relatif aux 'Negres' ("Environ 1.000") parait rajoute et le total n'est pas marque. Les observations de P. Rozet (op. cit., passim) sur "le premier denombrement, effectue au lendemain de notre arrivee", reprises aussi par Lespes (op. cit., p. 497), sont deroutantes. Rozet attribue, apres beau- coup de calculs et d'observations, 30.000 habitants a l'Alger d'avant l'occupation.

    5 Cf. H. Khodja, Ie Miroir, Paris, 1985, qui relate le depart par voie maritime de beaucoup de familles "pour se sauver dans les pays des Kabyles et a Bougie" avant l'occupation de la ville (p. 199). Ailleurs Hamdan Khodja parle de l'abandon de la vile par les proprietaires des maisons requisitionnees par I'arm& (p. 204) et par les classes riches (p. 195), apres l'occupation. La premiere edition du Miroir date de 1833. Selon Ch.-A. Julien (Histoire de l'Algerie contemporaine, Paris, 1964, I, 55) l'emigration aurait fait perdre a la ville une dizaine de milliers d'habitants, partis par la mer ou par la route de Constantine, dans les jours qui precederent l'entree des troupes francaises dans la ville.

    52 2.500 janissaires celibataires furent embarques pour Smyrne au cours du mois de juillet ; au cours du mois suivant, un milliers de janissaires maries partirent ou furent expulses avec leurs families (cf. G. Gautherot, La conquete d'Alger 1830, Paris, 1929, pp. 182-189: en vue des mesures d'expulsion 965 Turcs maries sont inscrits dans les regis- tres de la police a la fin du mois de juillet ; le 30 juillet "cinq cents et quelques Turcs paraissent avoir ete embarques, ainsi qu'un grand nombre de femmes et d'enfants"). D'autres auteurs parlent de 4.000 janissaires expulses (cf. R. Lespes, op. cit., p. 497).

    5 Cf. Menoire Collas, p. 3: "depuis l'expulsion des Turcs par les Francais, et l'emi- gration d'une partie des Maures, Pa population] a beaucoup diminue".

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 477

    40.000 ames"54, tandis que dans le rapport de la commission d'enquete envoyee a Alger trois ans apres la conquete, on affirme que "Alger avait avant le siege 35 a 45.000 ames"55.

    Dans une situation demographique du type 'ancien regime', ous l'on peut admettre que natalite et mortalite, au-dela des situations de crise aigue, conservaient la population de la ville a un niveau presque cons- tant, le facteur determinant dans la variation du chiffre de la popula- tion etait l'apport exterieur. Nous avons deja vu l'importance de l'immigration turque et andalouse pour 1'essor urbain de la premiere epoque ottomane, ainsi que celle des convertis chretiens, mais il nous est tres difficile, dans l'etat actuel de nos connaissances, d'evaluer l'un des apports determinants pour une juste appreciation de la population algeroise a l'etpoque la plus controversee: celui des esclaves pendant la periode la plus faste de la ville, entre la fin du XVe et dans le cou- rant de la premiere moitie du XVIe siecle.

    Le probleme ne se pose pas a partir de 1736 et jusqu'a la prise d'Alger par les troupes francaises: en effet, pour le dernier siecle de l'Alger ottomane les sources arabo-turques fournissent des indication tres precises. Voici les chiffres avances par le Defter-i teschrfat56, l'un des registres de l'administration ottomane etudies par Albert Devoulx, qui etait conservateur des archives arabes des domaines au cours des pre- mieres decennies de l'eipoque coloniale:

    54

  • 478 FEDERICO CRESTI

    Tableau 2 - Les esclaves chretiens A Alger, 1736-1816 (source: Tachrifat, p. 86)57

    1736 1.063 1757 1.561 1778 1.369 1737 931 1758 1.571 1779 1.481 1798 1.168 1738 705 1759 1.753 1780 1.494 1799 1.019 1739 569 1760 1.941 1781 1.586 1800 860 1740 412 1761 1.993 1782 1.532 1801 545 1741 499 1762 1.902 1783 1.507 1802 772 1742 530 1763 1.900 1784 1.520 1803 946 1743 582 1764 1.920 1785 1.372 1804 901 1744 739 1765 *1.904/1.944 1786 1.426 1805 1.022 1745 741 1766 2.004 1787 572 1806 1.228 1746 783 1767 2.062 1788 574 1807 1.267 1747 821 1768 1.131 1789 659 1808 1.422 1748 1.003 1769 1.226 1790 715 1809 1.545 1749 950 1770 1.323 1791 762 1810 1.357 1750 1.063 1771 1.320 1792 832 1811 1.345 1751 1.773 1772 1.190 1793 755 1812 1.475 1752 609 1773 1.326 1794 *779 1813 1.656 1753 632 1774 1.376 1794 *896 1814 1.525 1754 591 1775 1.373 1795 730 1815 1.450 1755 564 1776 1.468 1796 659 1816 1.016 1756 694 1777 1.501 1797 546

    * les dates indiquees ici sont celles de 1'ere chretienne: dans deux cas, le double chiffre est probablement lie A 1'ecart entre les calendriers hegirien et chreien.

    57 Nous possedons pour la meme p6riode quelques donnees tires d'auteurs et de sources europeennes, comme suit:

    Tableau 3 - Les esclaves chretiens A Alger d'apres les sources europeennes (1738-1830)

    1738 T. Shaw environ 2.000 1785 Von Rehbinder 2.000 1786-1787 Venture de Paradis 2.000 1788 Raynal 800 1788 Von Rehbinder 800 1788-1789 Venture de Paradis 500 1796 Alasia (APF) 700 1801 Vicherat (APE) 500 1805 Joussouy (APF) 1.200 1816 (in De Grammont) 1.642 liberes par lord Exmouth 1830 P.Rozet 122 liberes lors de la prise d'Alger

    par la France 1830 (in De Grammont) environ 150 " " "

    La confrontation entre les donnees des sources europeennes et les donnees du Tachnifat met en evidence une surestimation generale des premieres, mais aussi quelques estima- tions assez justes dans le cas de certains auteurs tels que les religieux (Alasia, Vicherat, Joussouy) charges de l'assistance aux esclaves par l'eglise romaine.

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 479

    En ce qui concerne la peiode qui va de 1787 A 1830, pour laquelle nous avons avance l'hypothese d'une population assez stable, comprise entre 30.000 et 40.000 habitants, le Tachrifat revele une incidence des esclaves sur le total de la population qui varie entre un minimum de 1,5 et un maximum de 4,7%, avec une moyenne d'environ 3%58. Pour une population d'environ 50.000 personnes autour de 1780, la moyenne d'environ 3% d'esclaves serait donc confirmee selon les chiffres du Tachrifat. La chute tres brusque de la presence des esclaves entre 1786 et 1787 (une diminution d'environ 60%, avec une perte d'une annee a l'autre de 854 esclaves, chiffre qui n'est pas tres loin des 700 envi- ron attestes par Venture de Paradis) est due, comme nous l'avons deja vu, aux effets de la grande epidemie qui avait sevi a l'epoque. L'inci- dence des esclaves sur le total de la population devient beaucoup plus restreinte a partir de 1816: a la suite de l'expedition de lord Exmouth qui signifie au gouvernement d'Alger la fin de l'esclavage decretee par le congres de Vienne et libere des chaines tous les chretiens, le pour- centage tombe A environ 0,5% de la population de la ville, avec la presence residuelle d'environ 150 esclaves en 1830.

    Qu'en 'tait-il pour la periode anterieure A 1736? Pour ce qui est des sources arabes et turques, seul le Gazawat four-

    nit quelques chiffres, mais il est difficile d'en evaluer la fiabilite. Une premiere information atteste la presence a Alger de 7.000 esclaves espa- gnols dont Hayr al-Din etouffa la revolte peu apres 15325 ; d'autres passages montrent que ce premier, mais important, noyau d'esclaves se serait forme non pas grace a la capture de chretiens lors des expedi- tions liees a la guerre de course, mais essentiellement a la suite des attaques espagnoles contre la vile. Le Gazawat cite en particulier 3.036 espagnols captures lors du naufrage de la flotte conduite par Hugo de Moncada en 1519 ; la capture d'autres soldats espagnols accourus trop tard - a bord d'une autre flotte - au secours du Penon, partiellement demoli par Hayr al-Din en 1529, aurait fourni a la ville 2.700 escla- ves au total60.

    58 La valeur moyenne (qui est - en tout cas - utile pour la comprehension du phe- nomene) ne doit pas en cacher la variabilite assez remarquable dans la periode consi- deree per le Tachrifat: en effet, cela va d'un minimum de 412 (en 1740) a un maximum de 2.062 esclaves (en 1767), 1'ecart etant de un A cinq.

    5 G. Gallotta, >, in El2, Leyde-Paris, 1978, IV, 1188. 60 Fondation de la regence ... 1, 111, 228, 291. Apres ceux qui suivirent le desastre de

    1'expedition de Charles V en 1541, les espagnols fournirent encore un grand

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  • 480 FEDERICO CRESTI

    Au-dela de ces renseignements, nous ne possedons pour cette periode que les donnees suivantes, extraites des sources europeennes:

    Tableau 4 - Les esclaves chreiens A Alger selon les sources europeennes (1578-1729)61

    1578-1581 Haedo presque 25.000 1587 Lanfreducci e Bosio 20.000 1598 Magini presque 15.000 1619 Gramaye plus de 35.000 1621-1626 Mascarenhas plus de 16.000 1625 Salvago 25.000 1634 Dan 25.000 1640 Aranda 30.000/40.000 1644 Herault 30.000/40.000 1660 Davity (ed. De Rocoles) 35.000 1662 Auvry (Miroir de la Charite) 30.000/40.000 dans toute la Regence

    plus de 12.000 a l'interieur de la ville 1665 Du Val plus de 40.000 1674 Arvieux 10.000/12.000 1676 The present State of Agiers 18.000 dont 9.000 franSais 1678 De Fercourt 20.000/30.000 1683 Manesson Mallet 35.000/40.000 1684 Petis de la Croix 35.000 dans le Royaume d'Alger 1693 Lorance (APF) 4.000 1696 Lorance (APF) 1.600 dans les Bagnes 1698 Lorance (APF) 2.600 1700 Comelin 8.000/10.000 1701 Lorance (APF) 3.000 1719 Gueudeville (Atlas) 4.000 1729 Fau 9.000/10.000 1729 Vander Aa plus de 5.000

    Les chiffres les plus importants (30.000, 35.000, 40.000 esclaves) avan- ces par une bonne partie des auteurs du XVIe sicle, en particulier pour la periode qui va de 1620 a 1680, ne me semblent pas receva- bles. Ils supposent en effet une proportion effarante d'esclaves par rap- port a 1'ensemble de la population: de 30 a 40% si l'on accepte le chiffre moyen de 100.000 habitants propose par les memes auteurs davantage encore si l'on ramene la population de la vile a son apogee

    nombre d'esclaves lors de leur expedition malheureuse contre Mostaganem en 1558: d'apres Haedo, on compta A cette occasion plus de 12.000 prisonniers. Braudel reprend le texte de Haedo et affirme que "A Alger toutes les maisons furent pleines de ces nou- veaux captifs" (op. cit., vol. II, p. 284).

    61 Cf. F. Cresti, Gli schiavi cristiani.. ., tab. 1, p. 425, qui integre Id., Quelques observations..., tab. 2, p. 159.

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  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 481

    a un chiffre plus bas. Quitte a admettre, en ce cas, qu'Alger n'aurait ete qu'une enorme prison62.

    Une approche comparative nous permet de constater qu'aucune des villes de la Mediterranee abritant des esclaves A la me me epoque et pour lesquelles on possede quelques series de donnees n'atteignit de pareils niveaux: pour Trapani, en Sicile, un rivelo de 1569 donne 15%; pour Civitavecchia certaines hypotheses ont ete avancees, d'apres les- quelles on arriverait a pres de 20% en 1601, 10% en 1622, 8% en 1642-1643 ; pour Genes, on estime cette proportion a 3% a la fin du XVIe siecle63. Pour Malte, >64, les estimations ne sont pas homo- genes, puisqu'elles se rWferent a l'ensemble de la population de l'ile elles donnent entre 4,3% et 5% en 1590, 3,5% maximum en 1632 (ce qui donnerait environ 9% du total de la population de la capitale, La Valletta, oiu les esclaves etaient concentres: cette cite, A l'epoque, comp- tait 22.000 Ames). Mais la encore la demarche comparative, si elle apporte des doutes salutaires, ne fournit aucune certitude.

    Pour en revenir aux sources europeennes, seuls les chiffres proposes par Yvon Lorance, vicaire apostolique a Alger de 1693 A 1705, bien qu'imprecis et purement indicatifs, nous semblent vraisemblables. En effet le vicaire s'occupait en particulier de l'assistance aux esclaves chre- tiens et devait par consequent etre en mesure d'evaluer leur nombre la diversite des chiffres qu'il propose au fil des annees nous laisse per- cevoir, en outre, une remarquable attention pour ce phenomene dans sa dimension quantitative65. Ces donne'es chiffre'es nous apprennent entre

    62 C'etait le cas autour de 1518, si l'on en croit le Gazawdt, oii on lit que les alge- rois craignaient une revolte des esclaves, qui depassaient par leur nombre les habitants de la ville: Hayr al-Din, d'apres la meme source, decida alors de batir trois prisons ou furent enfermes et enchain6s les esclaves les plus robustes (ed. Rang-Denis, I, 115- 116; ed. Bonaffini, p. 118).

    63 Cf. S. Bono, Schiavi musulmani nell'Italia modema, Naples, 1999, p. 24 et suiv. L'auteur considere le pourcentage de 36% avance pour Livourne en 1616 comme un "taux peu credible ou, en tout cas, absolument exceptionnel".

    54 M. Fontenay, >, in Qiaderni stonici, 107, 2001, p. 394.

    65 La diversite des chiffres de Lorance (4.000 au total en 1693, 1.600 "dans les bagnes" en 1696, 2.600 et 3.000 au total, respectivement en 1698 et en 1701) n'est pas extraordinaire. On est tout d'abord etonnes de n'y trouver aucun rebondissement de l'affaire de Tunis, qui selon De Grammont, amena A Alger "une grande quantite d'escla- ves" (Histoire..., p. 265): remarquons toutefois que Lorance decrit dans une lettre A Rome le triomphe des milices d'Alger A leur retour de Tunis, qu'elles avaient prise apres avoir defait l'armee du bey A la fin de 1694 (APF, SC, Barbaria, vol. 3, f. 251:

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    autre que vers la fin du XVIle siecle les esclaves qui residaient dans les bagnes (et qui etaient probablement - dans leur majorite - la pro- priete du bglik) representaient moins de la moitie du total des escla- ves. Si les chiffres de Lorance s'approchent de la realite, il est evident que ceux des autres auteurs europeens s'en eloignent lorsqu'ils propo- sent 20, 30, 35 voire 40.000 esclaves pour les annees immediatement precedentes. Aucun eve'nement connu au cours de la deuxieme moitie du XVIIe siecle ne permet de justifier une eventuelle chute tres brus- que du nombre des esclaves (celui-ci aurait diminue, a en croire les chiffres fournis par quelques observateurs europeens, de 15.000 a plus de 30.000 hommes au cours de trente ans environ!) ; ce nombre avait plus vraisemblablement suivi une courbe declinant progressivement a la suite de redemptions, attaques contre la viile et epidemies diffiren- tes, en tenant compte aussi du fait que l'activite corsaire n'avait pas ete interrompue durant cette periode66. Plus proches de la realite, peut- etre, les chiffres proposes par D'Arvieux (10.000/12.000 esclaves en 1674) et par Auvry dans son Miroir de la charit (plus de 12.000 a l'inte- rieur de la ville en 1662)67 si l'on suppose que le chiffre maximum d'esclaves a 'ete atteint grosso modo au moment de l'apogee demographi- que et eiconomique de la ville, entre 1625 et 1638 et, en tous cas, dans

    Lorance a PF, 2.3.1695), et que la "grande quantite" n'etait que ces 400 esclaves qui avaient auparavant appartenu au bey Mohammed (T. Bachrouch, Formation soczale bar- baresque et pouvoir a Tunis au X17ie siacle, Tunis, 1977, p. 198).

    66 Pour ce qui est des 'entrees', les chiffres de De Grammont (Histoire..., p. 247), qui parle de 300 esclaves captures dans des bateaux franSais en 1681 et de "plus de six mille matelots" anglais dans la periode 1668-1681 nous apparaissent suspects (autant qu'inverifiables, faute de citation des sources), surtout pour ce qui est des anglais. En outre, parmi les rares autres chiffres disponibles, nous savons qu'apres les attaques de la flotte fran?aise sous la conduite de Duquesne (1682 et 1683) et D'Estrees (1688) une premiere treve amena la liberation de tous les esclaves franSais, environ 500 (H.-D. De Grammont, Histoire..., pp. 250-251): il serait tres tentant d'appliquer A ce dernier cas la proportion de un a vingt entre les franSais et 1'ensemble des esclaves proposee par De Grammont (

  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 483

    les premieres decennies du xviie siecle, on peut imaginer qu'a cette epoque les esclaves etaient quelque peu plus nombreux (peut-etre quel- ques milliers de plus, dans les 15.000 ?)68.

    En ce qui concerne les juifs, une autre categorie de la population alge- roise pour laquelle nous possedons quelques donnees essentiellement tirees des sources europeennes, on avancera certaines reserves pour les evaluations les plus elevees, en particulier pour les 15.000 de Shaw, ainsi que pour les cinq mille maisons habitees par des familles juives proposees par Laugier de Tassy: ces deux chiffres sont invraisembla- bles. Seule donnee de reference a peu pres certaine, les 5.200 juifs recenses a la fin de 1830 comme nous l'avons deja vu, qui devrait cor- respondre A la population juive d'avant l'occupation franSaise ; les juifs ne quitterent d'ailleurs pas Alger apres cet evenement.

    Tableau 5 - Les Juifs d'Alger d'apres les sources

    1533-1536 Mtemoire Simancas (trad. De la Primaudaie) 300 familles 1578-1581 Haedo 150 maisons 1619 Gramaye plus de 8.000 1634 Dan 9.000-10.000 1660 Davity (ed. De Rocoles) plus de 8.000 1662 Auvry 8.000-9.000 1670 Ogilby 9.000-10.000 1674 D'Arvieux 10.000-12.000 1676 The Present State of Algiers 13.000 "native Jews" 1725 Laugier de Tassy 5.000 maisons ou familles 1738 Shaw 15.000 1742 Tollot 5.000 familles av. 1754 Ricaud (cit. Venture de Paradis) 7.000-8.000 1784 Palermo 5.000 familles 1789 Venture de Paradis 7.000 1808 Boutin 10.000-12.000 1826 Shaler 5.000 1830 Memoire Collas environ 5.200 1830 Rozet 5.000

    68 J'ai emis F'hypothese, dans un article precedent et a partir d'un raisonnement pure- ment statistique, d'une fourchette allant de 6.000 A 16.000 esclaves au maximum (cf. F. Cresti, Gli schiavi.. ., p. 431).

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    L'evolution de cette population est connue dans ses grandes lignes69. Elle s'etait formee, ou en tout cas agrandie, a partir de la fin du Xlile siecle grace a l'apport d'immigres provenant des Baleares ; au siecle suivant, mais encore plus apres l'edit de 1492 qui leur laissait le choix entre la conversion et l'exil, beaucoup de juifs etaient arrives d'Espagne. Jusqu'a l'etablissement du pouvoir ottoman, d'autres groupes encore etaient venus de difflrents pays d'Europe: Italie, Pays-Bas, France, Angleterre. Hayr al-Dfn favorisa leur etablissement permanent a Alger, et ils assumerent des lors un r6le important dans 1'economie de la ville, surtout grace au commerce et aux echanges engendres par l'activite corsaire. Alger connut une derniere vague d'immigration juive en pro- venance d'Europe au XVIIIe siecle, avec l'arrivee de diverses familles livournaises, qui assumerent bientot une tres grande importance politi- que et commerciale, en particulier lorsqu'ils obtinrent le monopole de l'exportation des cereales.

    Quoi qu'il en soit, l'epoque de leur prosperite dut se terminer en 1805, lors des saccages des biens juifs et des massacres qui firent suite a l'assassinat de Nephtali Busnach: d'apres les documents francais sur lesquels il base sa reconstruction, De Grammont nous informe qu'il y eut alors au moins cinquante juifs tues, tandis que deux cents autres trouverent refuge au consulat de France. "Un tres grand nombre de survivants", nous dit encore De Grammont, furent exiles tout de suite apres par le dey Mustapha70: il n'est pas possible de connaAitre la por- tee reelle de la baisse de la population juive d'Alger a cette occasion, mais si l'on s'en tient encore au temoignage de Venture de Paradis, qui estime leur nombre a 7.000 en 1789, et en supposant une certaine stabilite les annees suivantes, la diminution de cette population au cours des deux dernieres decennies de la cite ottomane aurait ete de 1.000 a 2.000 personnes environ.

    69 Cf. I. Bloch, Inscriptions tumulaires des anciens cimetieres israelites d'Alger, Paris, 1888; J. Hanoune, Aperfu sur les israelites algeriens et sur la communaute d'Alger, Alger, 1922; M. Eisenbeth,

  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 485

    Par ailleurs, deux auteurs au moins, Gramaye et Venture de Paradis, a distance de pres de deux siecles, citent une tres forte densite d'habi- tants dans les maisons juives: le premier parle de plus de 300 habi- tants dans une seule maison, tandis que le deuxieme leur attribue 180 maisons seulement dans toute la ville pour 7.000 personnes, avec une moyenne d'un peu moins de 40 habitants par maison71.

    En ce qui concerne les janissaires, pour lesquels les sources europeen- nes donnent des chiffres assez variables, les 11.897 effectifs recenses pour I'annee 1745 dans les registres de solde72 devraient constituer un chiffre sufr pour la moitie du XVIJle siecle: la distinction entre mili- taires 'combattants' (9.322) et 'hors rang' (2.575) qu'il a ete possible de faire a partir de l'analyse de ces documents, n'est pas utile ici, tandis que leur dimension globale apparait importante par rapport a d'autres situations connues73. I1 est difficile de dire si le nombre des janissaires de cette epoque avait ete depasse a des epoques pr&cedentes mais il est tres probable que la plus forte presence fut atteinte dans la pre- miere moitie du XVIIe sie'cle: les dates de construction des deux der- nieres casernes, connues sous les noms turcs de Odalar eski et Odalar yeni, baties respectivement en 1627-1628 et en 1637,74 semblent appuyer cette hypothese.

    La mortalite naturelle ou bien encore des evenements militaires pouvaient ouvrir de larges breches dans les rangs des janissaires * c'est ainsi que, d'apres un temoignage de 1754, les effectifs tombent a 4.000

    71 I.B. Gramaye, op. cit., p. 13 ; Venture de Paradis, op. cit., p. 3. 72 J. Deny, op. cit., p. 36. Cf. aussi F. Cresti, Quelques reMfexions..., p. 161. 73 Par exemple au Caire, oii dans la deuxieme moitii du XVIIe siecle on comptait

    6.461 janissaires sur un total de 15.916 militaires (cf. A. Raymond, Egyptiens et fran ais au Caire 1798-1801, IFAO, Le Caire, 1998, p. 9). I1 est vrai que la situation du Caire, caracterisee par une forte presence des milices mamelouques, etait assez particuliere dans le monde ottoman. Par ailleurs, dans l'un de ses premiers ecrits dedies aux villes arabes pendant la periode ottomane, A. Raymond affirme que les janissaires d'Alger "etaient peut-etre 20.000 au XVIIe et encore 10.000 au XVIIe siecle sur une popula- tion totale qui ne devait guere depasser 100.000 habitants" (A. Raymond, < La conquete ottomane et le developpement des grandes villes ottomanes. Le cas du Caire, de Damas et d'Alep ?, in ROMM, 27, 1979, p. 122).

    4 Cf. G. Colin, Corpus des inscrzptions arabes et turques de l'Algtrie, Paris, 1901, passim R. Meunier,

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    environ75. Une derniere donnee assez sure - et qui montre que les pertes de la milice n'avaient pas ete comblees par les nouveaux recru- tements - pourrait etre celle du recensement voulu par le dey Muhammad Hazna'- en 1815, qui revela la presence de 4.000 hommes, dont sept cents hors service76. Ces chiffres semblent confirmes par le nombre de janissaires qui se trouvaient a Alger et furent expulses de la vile apres l'occupation de 1830. Ils montreraient une tendance assez constante a la baisse des effectifs de la milice a partir de la moitie du XVIIIe sie- cle: ainsi, les 8.533 nouveaux recrutes entre 1801 et 182977 (300 envi- ron par an, en moyenne) ne permettaient-ils pas a Alger d'atteindre la puissance militaire de ses jours les plus glorieux.

    I1 se peut que la diminution du nombre de janissaires ait ete com- pensee par un recrutement plus important de milices locales, mais les sources dont on dispose a ce sujet restent assez imprecises et les don- nees qu'eiles proposent sont disparates ou tout a fait douteuses. Graberg, par exemple, affirme que la Regence pourrait disposer en cas de besoin d'au moins cent mille (voila, encore une fois, ce chifflre tant avance !) combattants, et estime que "la garnison de la capitale est composee actuellement [en 1830] de quatre a cinq mille Turcs et de dix mille colouli et Maures. II y a aussi [.. .] deux mile soldats a cheval. Depuis quelque temps le Dey a forme de nouveaux corps d'indigenes et d'escla- ves noirs de l'Afrique centrale"78*

    7 A. Sacerdoti, , in RA, XCVI, 1952, p. 87. Suite A cette chute on demanda au sultanat la per- mission de recruter 5.000 nouveaux janissaires en Anatolie. Cf. aussi T. Shuval, op. cit., pp. 64-65.

    76 H.-D. De Grammont, Histoire..., p. 374. Comme le note Deny (op. cit., pp. 19- 20) 1'existence des registres de solde connus, qui sont probablement les seuls restes de series plus nombreuses, fait douter de I'affirmation de De Grammont d'apres laquelle la mort du dey Muhammad Ijaznagi serait survenue "pour avoir ordonne le recense- ment de la Milice l'on sait que cette operation cause toujours aux Orientaux une sorte de terreur superstitieuse" (Histoire..., ibid.).

    77 M. Colombe,

  • UN ETAT DES CONNAISSANCES CONTROVERSE 487

    Tableau 6 - Militaires et janissaires A Alger selon les sources

    1536 Perez de Idiacayz 2.000 Turcs et 7 A 8.000 Maures Andalous

    1587 Lanfreducci et Bosio 25.000 soldats dont 6.000 janissaires 1605 De Breves 10.000 1615 Lithgow 6.000 1619 Gramaye 6.000 families de veterans 1621-1626 Mascarenhas 7 casernes de 500 A 600 hommes

    chacune 5 A 6.000 dans tous le territoire dont 1.000 A 1.500 A Alger

    1625 Salvago 10.000 1634 Dan milice de 22.000 hommes 1640-1642 De Aranda 12.000 1660 Davity (ed. De Rocoles) 6.000 families 1684 Etat prisent du Royaume 14.000 janissaires 1686 Darcy (Plan d'Alger) 10.000-14.000 hommes 1719 Gueudeville 12.000 1731 Tollot forces de l'ordre (en majorite A Alger)

    13.000-14.000 hommes 1745 Rigistres de solde 11.897 1754 Ricaud (cit. Venture de Paradis) 11.000-12.000 1754 Rosalem (ed. Sacerdoti) 4.000 1784 S. Palermo 3.000 1785 (av.) Venture 7.000-8.000 en tout dont 3.000 A Alger 1788 Raynal (cit. Lespes) 10.000 hommes dont 6.000 Turcs

    dans la Regence 1808 Boutin 10.000 (?) dans la Regence

    ("15.000 hommes dont 5.000 Maures dans toute la Regence") 1815 recenses par Muhammad Kaznaji (De Grammont)4.000 1830 Graberg di Hemso 4.500 "turchi, ostmanli" 1830 expulses lors de l'occupation franSaise 3.500

    Comme pour les esclaves, les chiffres les plus importants avances pour les militaires d'Alger posent le probleme de leur permanence 'a l'inte- rieur de la ville et de leur repartition dans les autres garnisons de la Regence: les documents europeens ne font frequemment pas de dis- tinction entre les janissaires de l'ensemble du territoire algerois et ceux de la capitale. Faute de documents plus precis, l'importance de cette repartition, qui a sans doute varie selon les epoques, nous echappe Mascarenhas, qui se trouva 'a Alger entre 1621 et 1626, affirme que seuls un tiers 'a un sixieme des janissaires en service resident dans la ville, tandis que les autres se repartissent dans les garnison 'a l'interieur du pays ; Venture de Paradis estime leur presence 'a Alger de 3.000

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    hommes sur le total de 7 A 8.000 "Turcs levantins" que compte la Regence79.

    Qu'est-il donc possible d'affirmer en definitive avec un minimum de certitude, pour ce qui concerne l'evolution de la population algeroise a l'epoque ottomane ? Nous proposons la synthese suivante

    a. A l'epoque pr&cedant la domination ottomane, Alger, bien que figu- rant parmi les villes les plus importantes du Maghreb central, pre- sentait une dimension physique et demographique relativement reduite. C'est la une constante generale (faible population) qui caracterise le territoire d'Alger pendant toute 1'epoque medievale et qui place la vile loin derriere les grandes metropoles maghrebines de Fes et de Tunis, mais aussi de Tilimsan et de Qusantlna.

    b. Le XVIe siecle voit le debut de l'essor qui amene rapidement Alger A occuper la premiere place, du point de vue politique, economi- que et demographique, parmi les villes du Maghreb central. Ce phe- nomene est dfu a des apports de population lies a des evenements lointains (comme la fuite ou l'expulsion des populations musulma- nes de la peninsule iberique), a des phe'nomenes politiques (la pro- gressive transformation d'Alger en capitale d'une province de l'empire ottoman et l'afflux d'une elite militaire turque assez nombreuse), et a des phenomenes economiques (le developpement d'un systeime de production et de distribution de la richesse fonde en grande partie sur l'activite corsaire). La course, mais aussi une serie d'affronte- ments victorieux contre les Espagnols pendant le XVIe siecle, ame- nent a Alger un flux important d'esclaves chretiens, dont une partie s'integre a la population urbaine et se convertit a l'islam.

    c. I1 est difficile d'evaluer, faute de donnees precises, l'attraction exer- cee par la ville a cette epoque de croissance sur les populations de l'interieur qui apparaissent dans l'ensemble comme assez minoritai- res a en croire les rares citations disponibles a cet egard.

    d. En termes de surface batie, la periode ottomane offre des ses debuts un cadre plus large a la population urbaine, avec la realisation d'une nouvelle enceinte au cours de la premiere partie du XVIe siecle.

    79 J. Mascarenhas, op. cit., p. 102 ; J.M. Venture de Paradis, op. cit., p. 3. T. Shuval (op. cit., p. 54) estime qu'environ un quart des janissaires se trouvaient "en permanence a 1'exterieur de la ville" au cours du XVIIIe siecle.

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