La patate cadeau ou la «vraie» histoire de la poutine râpée€¦ · Le Mi’kmaq s’approche...

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DIANE CARMEL LÉGER BOUTON D’OR ACADIE Illustrations de TAMARA THIÉBAUX-HEIKALO OU la « vraie » histoire de la poutine râpée

Transcript of La patate cadeau ou la «vraie» histoire de la poutine râpée€¦ · Le Mi’kmaq s’approche...

  • DIANE CARMEL LÉGER

    BOUTON D’OR ACADIE

    Illustrations deTAMARA THIÉBAUX-HEIKALO

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    OU la « vraie » histoire de la poutine râpée

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    OU la « vraie » histoire de la poutine râpée

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    On trouvera à la fin du livre un lexique de mots anciens et d’expressions acadiennes utilisés dans le récit.

    Il est suivi d’un lexique qui reprend les mots allemands écrits en italique dans le texte.

  • 3BOUTON D’OR ACADIE

    UN CONTE DE

    DIANE CARMEL LÉGER ILLUSTRÉ PAR

    TAMARA ThIÉbAUx-hEIkALO

    OU la « vraie » histoire de la poutine râpée

  • 4

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    En hommage au père Clément Cormier, c.s.c.,

    fondateur de l’Université de Moncton,

    et à sa grande curiosité envers

    l’origine de la poutine râpée.

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    Pour ses activités d’édition, Bouton d’or Acadie reconnaît l’aide financière de la Direction des arts du Nouveau-Brunswick, du Conseil des arts du Canada et du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.

    Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays.

    Titre : La patate cadeau ou la « vraie » histoire de la poutine râpéeTexte : Diane Carmel Léger

    Illustrations : Tamara Thiébaux-Heikalo Direction littéraire : Marie Cadieux Stagiaire : Sébastien Lord-Émard

    Révision : Réjean Ouellette Conception graphique : Lisa Lévesque

    ISBN Papier : 978-2-89682-028-3 ISBN PDF : 978-2-89682-029-0 ISBN ePub : 978-2-89682-030-6 Dépôt légal : 1er trimestre 2014

    Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du Québec

    Impression : Friesens

    Distributeur : PrologueTéléphone : (450) 434-0306 / 1 800 363-2864Télécopieur : (450) 434-2627 / 1 800 361-8088

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    Distributeur en Europe : Librairie du Québec/DNM Téléphone : 01.43.54.49.15Télécopieur : 01.43.54.39.15

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    Courriel : [email protected] : www.boutondoracadie.com

    www.avoslivres.ca

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    MONCKTONTOWNSHIP

    HILLSBOROTOWNSHIP

    Village- des-Piau

    Le vieux verger

    La vieillechapelle

    Ruisseau Nacadie

    ( Halls Creek)

    Vers la baiede Fundy

    Rivière Petcoudiac

    Rivière M

    emram

    kouke

    Le

    Coude

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    C’est la barre du jour, par un froid matin d’avril. Dans leur première et rudimentaire

    cabane, tous les membres de la famille Treitz

    dorment, sauf Christian, le plus jeune. Il écoute son

    père, sa mère, ses deux frères et sa sœur tousser dans

    leur sommeil.

    Depuis leur arrivée au bord de la rivière Petcoudiac,

    les Treitz et les sept autres familles allemandes avec

    lesquelles ils ont émigré n’ont connu que la maladie

    et la faim. Les outils, le grain et les autres provisions

    qu’on leur a promis avant de quitter la Pennsylvanie

    n’ont jamais été livrés.

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    Le ventre de Christian gargouille. « Pour man-

    ger, il nous reste seulement des vieux navets. Il nous

    faut de la viande. Tout le monde est malade, alors

    c’est moi qui dois chasser pour nourrir ma famille »,

    décide Christian en se levant silencieusement pour

    ne pas réveiller les autres. Le garçon de huit ans re-

    garde les mousquets de son père et d’Abraham, son

    frère aîné. « Si seulement Vater me faisait confiance

    avec un mousquet, pense-t-il. Ach, Jacob a tué un

    porc-épic avec un gourdin et il est à peine plus grand

    que moi... » Christian happe le gourdin et part tran-

    quillement.

    Sur le sentier boisé, Christian cherche des excré-

    ments ou des pistes dans les plaques de neige, qui le

    conduiraient vers un animal. Il passe près des ruines

    calcinées de la chapelle acadienne où son père a dé-

    niché des pierres pour construire leur foyer. Rendu

    près du vieux cimetière, Christian n’a toujours pas vu

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    de traces d’animaux. Il se dirige alors vers le marais.

    Épuisé, Christian s’assoit sur un arbre échoué en

    face de la rivière. Son estomac se remet à gargouiller

    tellement fort qu’il a peur que le bruit n’alerte les

    bêtes. Dans la lumière matinale, il scrute le marais

    givré, mais ne voit rien. Il entend des oiseaux et re-

    père les goélands qui survolent la rivière. Ces oiseaux

    suivent toujours le mascaret, qui annonce la marée

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    montante. Le petit garçon entend la vague bruyante

    qui apparaît au détour de la rivière et regarde passer

    le mascaret qui fait augmenter sensiblement le ni-

    veau de l’eau. « Quelle étrange rivière ! » songe-t-il.

    Après un bout de temps, transi de froid, Chris-

    tian retourne vers chez lui, les mains vides. Frustré et

    affamé, il gronde. « On dirait qu’il va encore neiger.

    Pourtant, c’est le mois d’avril. Il n’y a pas de prin-

    temps du tout ici, ce n’est pas comme en Pennsylva-

    nie... »

    Soudain, une masse noire apparaît à l’orée du

    bois. Un ours ! Christian se jette par terre et rampe

    pour se cacher derrière la digue.

    « J’aurais dû prendre un des mousquets ! se re-

    proche-t-il. La viande de cet ours pourrait nous nour-

    rir tout un mois. » Christian tente un regard furtif

    par-dessus la digue. « Un ours qui porte un arc et un

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    carquois de flèches ! » L’homme-ours prend le sentier

    qui mène au logis des Treitz.

    « Il veut attaquer ma famille ! » se dit Christian.

    Tremblant, il suit de loin la menace qui disparaît

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    dans le tournant du sentier. L’inconnu s’arrête devant

    les croix du cimetière, baisse la tête et semble prier.

    Caché derrière des épinettes, Christian ne peut plus

    retenir sa toux.

    — Kwé ! réagit l’homme.

    Un Indien ! Apeuré, Christian s’enfuit. Mais voi-

    là qu’il recommence à tousser si violemment qu’il ne

    peut plus courir. Le Mi’kmaq s’approche dangereu-

    sement et rattrape Christian, terrifié.

    — Acadien ? demande-t-il doucement.

    Christian n’arrive pas à répondre. L’homme lui

    tapote le dos, comme le fait Frau Treitz pour soula-

    ger son plus jeune fils. Lorsqu’il cesse enfin de tous-

    ser, Christian dévisage le Mi’kmaq. À son étonne-

    ment, il fait face à un regard bleu pétillant.

    — Français ?

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    Christian devine ce que l’homme vient de de-

    mander. Il secoue la tête que non.

    — You’re English. Don’t fret, I won’t hurt you.

    — Nein ! German, from Pennsylvania, répond

    Christian, qui reprend son souffle.

    Timidement, il ose :

    — And you, sir ?

    — Acadien, répond l’homme en anglais égale-

    ment. On nous appelle aussi les « Français neutres ».

    — Mon père nous a dit que vous êtes tous partis !

    — Presque tous. Mais ma famille, comme bien

    d’autres, s’est cachée dans la forêt pendant plusieurs

    années. Dieu merci, petit à petit, on arrive à se rebâ-

    tir dans les alentours.

    — Ici ? s’inquiète Christian.

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    — Non, point ici.

    Christian est soulagé. Si les Treitz devaient repar-

    tir, où iraient-ils vivre, sa famille et lui ?

    — Toi, ça fait une bonne élan que t’as point

    mangé à ta faim. Tiens, évente-moi ça ! dit l’homme

    en sortant un petit sac de sa poche.

    Christian prend le sachet, l’ouvre, le renifle et

    sourit.

    — Ça sent bon.

    — Goûtes-y. C’est du sucre d’érable.

    Le jeune Allemand hésite.

    — Tu te méfies de moi, hein ? Regarde...

    L’Acadien prend un morceau de sucre et le mange.

    — Tu vois ?

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    Aussitôt que Christian

    referme sa bouche sur le

    bout de sucre, il écarquille

    les yeux puis mâche goulû-

    ment. Il lèche ses lèvres

    avec plaisir.

    — Köstlich,

    dit-il.

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    — C’est fait avec du sirop d’érable. Moi, je suis

    fou de la douceur. Ma femme a pour son dire que si je

    pouvais, je mettrais du sucre sur tout ce que je mange.

    C’est quasiment vrai. Garde ce sac pour toi et ta

    famille. Je peux vous apprendre comment en faire.

    Inquiète-toi point, le printemps s’en vient à grands

    pas. Un beau gros jardin, ça va vous engraisser comme

    il faut.

    — Ma mère dit que nos patates à planter sont

    pourries.

    — Oh ! Ça, c’est de valeur. Je reviendrai avec

    des patates à germons. Elles vont bien pousser. Vous

    aurez des patates en masse et des grosses bedaines

    comme la mienne.

    L’Acadien rit de bon cœur en se frottant le ventre.

    Tout à coup… crac ! une branche casse derrière lui et

    force l’Acadien à se retourner. Il fait face à la pointe

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    d’un mousquet braqué droit sur lui.

    — Nein ! s’écrie Christian.

    — Weg ! Verschwinde ! Allez-vous-en ou je tire !

    hurle Abraham, le fils aîné des Treitz, tenant son fu-

    sil pointé sur l’homme.

    — Calme-toi, jeune homme, dit l’Acadien. Je

    suis point ici pour…

    — Allez-vous-en ou je tire ! répète Abraham, le

    visage tout rouge.

    — Nein ! crie Christian. Il m’a donné du sucre !

    — Könnte giftig sein ! Redonne-le-lui ! ordonne le

    grand frère.

    Tête basse, Christian tend le sac de sucre d’érable

    à l’homme.

    — Mon frère veut me protéger.

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    — Je comprends, dit l’Acadien.

    Sans broncher, fier, Abraham garde son mous-

    quet en joue jusqu’à ce que l’étranger s’éloigne. Puis,

    Christian rentre tristement au logis avec son frère,

    sentant qu’il vient de perdre un ami.

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    Quelques semaines plus tard, Christian retrouve

    le sourire quand, à sa grande joie, il trouve un sac

    attaché à la branche d’un arbre sur le sentier menant

    au cimetière. Dans le sac, il découvre des patates à

    planter, bien saines, pleines de germons. Son nouvel

    ami ne l’a pas oublié ! Mais se reverront-ils un jour ?

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    Printemps