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N°11 NOVEMBRE 2011 Palimpsestes La Méditerranée en 2030 Les voies d’un avenir meilleur Frédéric Blanc, délégué général, Femise Philippe Fargues, directeur, Migration Policy Centre au Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen Giambattista Salinari, assistant de recherche, Robert Schuman Centre for Advanced Studies, Institut universitaire européen Houda Ben Jannet Allal, directrice stratégie, Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (OME) Vincent Dollé, directeur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM/IAMM) Coordonné par Cécile Jolly, analyste, Centre d’analyse stratégique (CAS) La Méditerranée en 2030 Synthèse de l’ouvrage Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030 réalisé avec le consortium Méditerranée 2030. PLANET OBSERVER/HOA-QUI

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Palimpsestes

La Méditerranée en 2030

Les voies d’un avenir meilleur

Frédéric Blanc, délégué général, Femise

Philippe Fargues, directeur, Migration PolicyCentre au Robert Schuman Centrefor Advanced Studies, Institut universitaireeuropéen

Giambattista Salinari, assistant de recherche,Robert Schuman Centre for Advanced Studies,Institut universitaire européen

Houda Ben Jannet Allal, directrice stratégie,Observatoire Méditerranéen de l’Énergie (OME)

Vincent Dollé, directeur de l’Institutagronomique méditerranéen de Montpellierdu Centre international des hautes étudesagronomiques méditerranéennes(CIHEAM/IAMM)

Coordonné par Cécile Jolly, analyste, Centre d’analyse stratégique (CAS)

La Méditerranée en 2030

Synthèse de l’ouvrage Demain, la Méditerranée. Scénarios et projections à 2030 réalisé avec le consortium Méditerranée 2030.

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Palimpsestes n° 11 La Méditerranée en 2030

e bassin méditerranéen a développéun tissu de relations économiques,institution nelles et humaines qui lui confèreune dimension régionale certaine. L’irruption

des révoltes arabes est venue rappeler que cettedynamique pouvait aussi prendre la forme d’uneconvergence politique. Structurellement néanmoins,l’intégration méditerranéenne reste d’ampleurtrès variable selon les pays et les sous-régions quicomposent cet ensemble. L’Union européenney occupe une place centrale pour tous les riverains,soit qu’ils en soient membres ou destinés à larejoindre, soit qu’ils aient noué des accords et desrelations économiques privilégiés avec elle. De fait,si l’Europe latine, les pays de l’Adriatique (Balkansoccidentaux), le Proche-Orient et le Maghreb sesituent dans une continuité géographique, leurhétérogénéité économique, institutionnelleet socio-culturelle est patente. LaMéditerranée est en devenir et fait l’objetd’un investissement politique et privé. Lesmotivations sont variées, économiques,politiques, citoyennes, sociales, écologiqueset culturelles, à l’image des pays et despopulations qui la compose. Mais cesinitiatives tendent toutes à tisser plussolidement ce que l’histoire a fait et défait,à accélérer les dynamiques de revenu de larégion, à accroître sa place face aux grandsblocs économiques mondiaux.

Cet ensemble est soumis à de grandesincertitudes sur son avenir qu’il soit national oucollectif : la crise la plus profonde qu’ait connuel’Europe depuis les années 1930 atteintaujourd’hui non seulement les ressorts de sonrebond mais met en question sa propreconstruction (en particulier la gouvernanceéconomique de la zone euro). Cette criseéconomique et institutionnelle touche égalementen retour les pays de l’Adriatique promis à uneintégration que les incertitudes communautaires etles soubresauts de la crise grecque handicapent. Lesrévoltes arabes produisent un puissant élanréformateur mais entraînent les pays dans unephase de transition nécessairement longue quin’exclut pas les retours en arrière ou plongecertains États dans une phase de réaction avec desimpacts en termes de stabilité et de croissanceéconomique à plus ou moins court terme.

Enfin, bien évidemment, l’intégration régionalepâtit elle-même de ces incertitudes. Incertitudes

sur le niveau de la croissance du premier partenaireéconomiques des États de la région – l’Unioneuropéenne ; incertitudes sur l’ampleur desréformes économiques et politiques au Nordcomme au Sud ; incertitudes sur la volonté desÉtats riverains de la Méditerranée d’avoir un destincommun, l’Europe peinant à conserver sasolidarité ancienne et sa force d’attraction, lasolidarité arabe retrouvant une certaine forcepar la vertu des aspirations démocratiques etredevenant le centre d’une attention nonseulement euro-méditerranéenne mais interna -tionale. Alors que les turbulences qui agitent l’UEet la Méditerranée arabe semblent focaliserl’attention sur le court terme, revenir auxtendances structurelles et envisager les ressortsd’une croissance euro-méditerranéenne et d’une

intégration régionale sur la longue durée estune manière de réduire les incertitudes.

à première vue, le diagnostic n’est pasimmédia tement favorable à l’intégrationméditer ranéenne. La convergence desrevenus peine à se réaliser entre les paysdu Bassin méditerranéen ; les échangescommerciaux et de capitaux y ont moinsprogressé qu’avec les autres zonesdu commerce mondial (pays émergents).La croissance des flux d’investissement enprovenance des pays du Golfe a orienté

davantage les pays arabes méditerranéens vers ledéveloppe ment de l’immobilier,des télécommunications et, dans une moindremesure, des services financiers. La diversificationdes échanges de biens et de capitaux pourraitconstituer une opportunité si elle s’accompagnaitd’une montée en gamme et de niveautechnologique permettant des gains de productivitéfavorables à la croissance et à l’emploi. Or, forceest de constater que la dynamique centrifuge del’Europe n’a pas conduit à un flux d’investissementmajeur (les investissements directs étrangersstagnant autour de 2 %) autorisant des transfertstechnologiques significatifs ni à une co-traitanceindustrielle comparable à celle organisée avecles pays d’Europe de l’Est ou au sein de l’Asieémergente.

Si les économies des pays du Sud et de l’Estde la Méditerranée (Psem) ont bénéficié de ladynamique passée de la croissance mondiale tiréepar les pays émergents, leur croissance reste faible,

LUne région en devenir

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Les économiesdes Psem ontbénéficié dela croissancemondiale tiréepar les paysémergents.Néanmoinsleur leurcroissancereste faible.

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Les mêmes aspirationspourtant les complémentarités régionales sontpatentes. La Méditerranée est d’abord un espace oùles préférences collectives des individus convergentdu fait de l’importance des migrations, où la circu-lation des idées et des hommes va de pair avec uneplus grande homogénéité des modes de vie et desaspirations. Cette convergence s’est manifestée dansles vingt dernières années, notamment au Sud et àl’Est de la Méditerranée : par une montée de l’indi-vidualisme, qui a modifié le rapport à autrui avec unemoindre emprise de la famille élargie et une défianceà l’égard des institutions, victimes de la même dés-affiliation qu’en Europe ; par des comportements defécondité proches de ceux prévalant en Europe ; pardes aspirations à la liberté et au bien-être qui se sontd’abord traduites par un désir d’émigrer, singulière-ment parmi les jeunes générations. Cette conver-gence des aspirations s’illustre aujourd’hui dans la

revendication issue des révoltes arabes d’une plusgrande liberté d’expression et de participation maisaussi d’une distribution plus égalitaire des fruits dela croissance. En ce sens, les révoltes arabes remet-tent en cause aussi bien l’idée d’un choc des civili-sations (S. Huntington) que les formes de clienté-lisme et de paternalisme qui ont toujours prévalu.L’un des enjeux majeurs de l’avenir réside dans lacapacité des régimes réformés, qu’ils soient révolu-tionnaires ou non, à accroître la participation au sys-tème économique et politique et à organiser une cir-culation des élites par l’établissement d’unecompétition politique. Il réside aussi dans la capa-cité de l’Europe à accompagner ce mouvement en sefondant sur des convergences réelles dans le respectdes différences. Car les révolutions arabes témoi-gnent aussi d’une réconciliation des peuples avecleurs aspirations et d’une demande de dignité (cemot arabe de karama courait sur toutes les lèvres de

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Des complémentarités régionales à exploiter

comparée à celle des zonesgéogra phiques les plus dyna -miques du monde. L’Europe estégalement entrée dans une zoned’étiage due à son ralentisse -ment démogra phique et àla faiblesse de ses gains deproductivité. En 2030, l’Indeet la Chine compteront troismilliards d’habitants et 25 %du pib mondial, contre 12 %aujourd’hui et seulement 3 %en 1990. Ce décentre ment del’économie mondiale présente des opportunitésinédites de marché, de convergence mondiale desrevenus et de sortie de la pauvreté, mais fait aussicourir un risque de marginalisation des régionsmoins dynamiques. La Méditerranée pourrait ainsiêtre confrontée à un affaiblissement de sa capacitéd’influence sur des régulations internationales quipèseront sur sa destinée du fait de l’extraversioncroissante des économies. Le règlement de la sortiede crise, emmené par le couple Chine-Amérique,témoigne du recul de la multipolarité. Cettedomination des États continents et des marchés

émergents pourrait imposer à la région méditerra -néenne un modèle social plus inégalitaire et moinsprotecteur dans une course à l’attractivité, mainte -nant au Sud des conditions de travail dégradéeset accentuant au Nord la dualité des marchésdu travail et le spectre des délocalisations. Car sila puissance économique des pays émergents seraen 2030 équivalente à celle des pays avancés, leurrevenu par habitant n’aura pas connu la mêmeprogres sion : ils seront globalement riches maisindividuellement pauvres, prolongeant la miseen concurrence de la main-d’œuvre mondiale.

Le Caire,29 janvier 2011.

Manifestation pourdemander le départ

du présidentHosni Moubarak.

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la Tunisie à l’Égypte en passant par la Libye) qui neva pas sans une légitime fierté et la revendicationd’un traitement plus équitable, y compris par les par-tenaires européens. Cette transformation majeureimpose à l’Europe de renforcer la dimension parte-nariale de sa politique vis-à-vis de la région maisaussi de respecter davantage les différences cultu-relles. Comme l’Europe a construit une union desnations, la Méditerranée devrait être celle des cul-tures, un rendez-vous des civilisations(1).

Une population active plus nombreuse et plus qualifiée dans les Psem

corrélativement, il existe une complémentaritédes forces vives, entre une Europe vieillissante, dontle déclin programmé des actifs affecte la croissancepotentielle, et une rive sud et est méditerranéenneoù les jeunes entrants sur le marché du travail sontnombreux, de surcroît plus qualifiés que par le passéétant donné l’investissement dans l’éducation (entre20 et 60 % de la population y détiendra, selon lespays, un niveau secondaire ou supérieur en 2030).En 2030, les actifs potentiels seront situés à 40 %sur les rives sud et est de la Méditerranée contre60 % en Europe (y compris les Balkans occidentaux),le rapport étant de 30 à 70 % aujourd’hui. Dans lemonde de demain, l’unité de compte politiquementviable sera le milliard d’habitants. L’UE27, dans sesfrontières actuelles, stagnerait autour de 500 mil-lions, l’Euro-Méditerranée permettrait de constituerun pôle approchant cette cible.

Une dynamique d’emploi incertaine

si les actifs seront au Sud demain plus encorequ’aujourd’hui, la dynamique d’emploi est incer-taine. Maintenir le taux de création d’emploi enEurope (1,3 %) aboutirait à un déficit de main-d’œu-vre de 40 millions en 2030, même en allongeant ladurée d’activité. Symétriquement, le maintien destaux de création d’emploi des Psem (2 %) est insuf-fisant à 2030 pour réduire substantiellement les tauxde chômage et d’inactivité formels très élevés de larégion (avec une part importante d’économie de sub-sistance informelle). Si les suppléments des uns neviennent pas mécaniquement compenser lescarences des autres, tant en raison du cloisonnementdes marchés du travail que des politiques migratoiresrestrictives, deux facteurs plaident en faveur d’une

plus grande mobilité au sein de la région, encoura-geant une division internationale du travail pluséquitable : cette mobilité peut pallier la faiblesse de lamobilité intra-européenne, et combler les déficitssectoriels de main-d’œuvre (services à la personne,hôtellerie, restauration, btp) ; elle peut égalementrenforcer l’adaptation des qualifications des travail-leurs du Sud et des Balkans aux besoins de l’écono-mie et encourager une migration plus circulaire, audétriment d’une migration d’installation et d’unefuite des cerveaux.

Des ressources naturelles qui se raréfient

les complémentarités de dotations naturellesplaident également en faveur d’une plus grande inté-gration régionale. Cette complémentarité est évi-demment énergétique non seulement du fait desénergies fossiles, mais peut-être surtout par la dis-position naturelle en ressources renouvelables desPsem (pour exemple, le potentiel solaire est consi-dérable ; la vitesse du vent s’échelonne sur la rive suddu Bassin entre 6 et 11 m/s). Elle peut aussi être agri-cole entre une Europe plus céréalière et carnée, auxterres arables et aux ressources en eau relativementabondantes, où l’emploi agricole est devenu margi-nal, et un Sud où l’activité rurale reste conséquenteet dont la production méditerranéenne est menacéepar le stress hydrique, l’urbanisation rampante etl’impact du changement climatique. Paradoxale-ment, si la diète méditerranéenne est valorisée enEurope, la consommation sud et est méditerra-néenne est essentiellement céréalière. Ces complé-mentarités de consommation et de dotations natu-relles seront renforcées en 2030, au Sud par unehausse de la population et du revenu augmentant laconsommation céréalière, au Nord par les exigencesaccrues en matière diététique (obésité) orientant lespréférences alimentaires vers les fruits et légumes.Là encore, les dotations des uns ne viendront pasmécaniquement nourrir les besoins des autres dansun marché mondialisé, où les puissances émer-gentes alimentent le marché et tentent de se procu-rer des ressources naturelles raréfiées.

Passer d’une logique d’offre à une logiquede demande efficiente

la complémentarité ne saurait se limiter à unecomplémentarité commerciale asymétrique, le Sudétant pourvoyeur de ressources naturelles et debiens primaires à faible valeur ajoutée, le Nord de

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4(1) Le rendez-vous des civilisations, Y. Courbage, E. Todd (2007).

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biens sophistiqués plus chers. Les dotations natu-relles sont elles-mêmes non seulement sources demalédiction mais aussi en raréfaction, ce qui ren-force certes leur avantage comparatif à court termemais impose une transition qui en 2030 sera trèslargement entamée. Quelle que soit la disponibilitéou non de ressources naturelles, très variables selonles pays, la logique d’offre doit céder le pas à unelogique de demande efficiente. C’est vrai en matièreénergétique et environnementale où la solution à lararéfaction des ressources (eau, énergie) et à la sécu-rité environnementale réside autant sinon plus dansles économies à réaliser (baisse de l’intensitéénergétique, maîtrise de la demande en eau)que dans les progrès technologiques et lesalternatives aux énergies fossiles. Enmatière agricole, la poursuite d’une logiqued’offre aboutirait au Sud à la disparitiond’une agriculture vivrière posant un redou-table défi rural, social et environnemental ;au Nord à la poursuite d’une intensificationagricole défavorable à l’emploi, au dévelop-pement rural et à l’équilibre écologique.

Passer d’une logique d’offre à une logiquede demande signifie surtout favoriser la création demarchés solvables et non de maintenir les économiesen rattrapage par rapport à l’Europe dans une sous-traitance appauvrissante, mue par les seuls différen-tiels de salaire. Il ne s’agit pas seulement dans cetteperspective de faire jouer à ces économies le rôle deplateforme low cost à destination du marché commu-nautaire, par ailleurs déjà rempli par la Turquie et laCroatie, dans une moindre mesure par le Maghreb,mais de valoriser l’argument de la proximité commegage de qualité (en particulier sanitaire ou environ-nementale) et de réactivité. L’augmentation tendan-cielle des prix du transport à moyen terme (faiblesubstituabilité au pétrole) et de son impact environ-

nemental, la résurgence chronique d’accidentssanitaires liés à l’importation de produits à bascoût, la variabilité accrue de la demande et laconvergence des modes de consommation de partet d’autre de la Méditerranée valident cette hypo-thèse. Le resserrement sur une base régionale desarbitrages de localisation pourrait ainsi conduireprogressivement à une réduction des différentielsde salaire et des conditions de travail. La plusgrande mobilité de la main-d’œuvre constitueraitun facteur adjuvant de la résorption tendancielledes inégalités salariales, renforçant l’acceptabilitésociale de l’offshoring et de l’outsourcing méditer-ranéen.

Davantage de complémentarité entre bienset services

dans ce contexte, le renouvellement de l’organi-sation productive régionale passe aussi par les ser-vices dont tous les pays sont bien dotés. Il ne s’agitpas seulement de valoriser les avantages compara-tifs de chacun, reposant sur une Europe spécialiséedans les services à haute valeur ajoutée et sur despays de Sud et de l’Est de la Méditerranée spécialisésdans les services supports (tourisme, transport, télé-

communications, avec une progression sen-sible des services médicaux et financiers) maisde prendre en compte une complémentaritéaccrue entre services et biens qui peut per-mettre une intégration régionale plus pro-fonde et plus harmonieuse. Il n’est pas de ser-vice sans bien, comme en témoigne l’essorconcomitant dans la téléphonie mobile debiens physiques et de services associés.

De la même manière, à l’agroalimentaireet à l’énergie sont associés les services detransport et de distribution. Ce sont les ser-

vices qui procurent déjà la plus forte valeur ajoutéeaux biens dont la production standardisée est peuchère et considérablement fragmentée au niveauinternational. Au-delà, les échanges de servicesencouragent une harmonisation des normes qui,avec la libéralisation commerciale multilatérale,deviennent les premiers obstacles au commerce. Ilsimposent une circulation des hommes via la presta-tion de services ou la liberté d’établissement qui favo-risent la convergence des compétences et des rému-nérations. Ils permettent, à terme, d’envisager unmode de développement moins axé sur la détentionde produits physiques et autorisant une moindreconsommation de ressources naturelles.

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Prendre encompte unecomplémen -tarité accrueentre serviceset biens peutpermettre uneintégrationrégionale plusharmonieuse.

Chargement de conteneurs de fruits et légumes surle port du Havre. À l’agroalimentaire sont associésdes services de transport et de distributionqui procurent une plus forte valeur ajoutée.

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les économies méditerranéennes sont confron-tées à une crise politique et sociale d’une ampleurinégalée, sur fond de protestation contre la crised’austérité imposée aux populations en Europe, etde révolution dans les pays arabes où les populationss’opposent autant à l’autoritarisme politique qu’à ladistribution inégalitaire des richesses. La solidaritéeuropéenne est mise à mal par l’ampleur de la crisede l’endettement de certains pays, mettant en doutela capacité communautaire à adopter une réponsecoordonnée et fissurant le consensus communau-taire. L’hypothèse d’un éclatement de la zone euro,désormais évoquée, fait renaître le spectre d’une divi-sion et d’une marginalisation de certaines nationsmais, dans le même temps, l’interdépendance trèsforte des économies européennes pourrait, à l’in-verse, pousser à un approfondissement d’uneintégration européenne restée en pannedepuis les derniers élargissements.

Sur l’autre rive de la Méditerranée, lemonde arabe est en proie à un puissant mou-vement de révolte qui atteint même lesrivages israéliens. Si la contagion est certaine,impliquant des réformes, y compris dans lespays qui n’ont pas renversé leurs dirigeants, àl’instar du Maroc, l’impact à long terme de cestransitions est incertain. Elles peuventconduire à une instabilité de moyen terme, soit queles révolutions et les réformes s’accompagnent desoubresauts, soit que la répression comme en Syrieplonge certains pays dans une confrontation internepotentiellement durable. Elles sont également sus-ceptibles de ne modifier qu’à la marge les équilibrespolitiques et économiques, maintenant les avantagesacquis sans véritable circulation des élites. Elles peu-vent, au contraire, produire un formidable mouve-ment de réforme permettant l’émergence d’une nou-velle élite économique et politique, libérant lesénergies productives et faisant participer un plusgrand nombre à une nouvelle dynamique de crois-sance, sur le modèle turc.

La similarité des slogans de la rue tunisienne àla rue madrilène et israélienne montre qu’une cer-taine forme de continuum existe entre les peuplesde cette aire régionale et que leur destin n’est pasimperméable. Car les pays de la région ont des défisà relever dont la solution est en partie commune etqui gagneraient à être envisagés de manière plus par-tenariale.

Palimpsestes n° 11 La Méditerranée en 2030

Améliorer les gains de productivité

en premier lieu, et c’est l’un des ressorts majeursdes révoltes arabes, les économies méditerranéennesne créent pas assez d’emplois. L’orientation rentièredes économies sud et est méditerranéennes où seconjuguent faiblesse de l’entrepreneuriat et de l’in-novation, prédominance du secteur public sur le sec-teur privé, poids du secteur informel (qui pèse entre20 et 30 % du pib non agricole en Algérie, au Marocou en Égypte, selon l’ocde), explique leurs faibles per-formances en termes d’emploi. En Europe, à la findu rattrapage du gap technologique avec les États-Unis, est venue s’ajouter la baisse de la populationactive que l’investissement seul ne saurait compenser.Au total, la dynamique des gains de productivité sera

essentielle pour la croissance de demain auNord comme au Sud. Ces gains de producti-vité seront obtenus par trois facteurs fonda-mentaux : une amélioration sensible du capi-tal humain (au Sud) et une plus grand facilitéde circulation de la main-d’œuvre ; une ratio-nalisation de l’organisation productive ; unaccroissement des performances technolo-giques et de l’innovation. Dans ces troisdomaines, les fondements d’une coopérationdéjà existante mériteraient d’être renforcés,

permettant d’accélérer les transferts de technologieet de savoir-faire.

Une plus grande sobriété énergétique

les économies méditerranéennes doivent égale-ment s’adapter à une plus grande sobriété énergé-tique et une préservation des ressources naturelles.Il s’agit pour les économies productrices d’hydro-carbures d’organiser l’après pétrole (en dehors de laLibye, les pics de production pétrolière et gazièredevraient être atteints en 2020-25) et pour les paysimportateurs de desserrer les contraintes liées aupoids important de l’énergie dans leur croissance.Tous ont intérêt à diminuer leur intensité énergé-tique et à favoriser une économie plus respectueusede l’environnement. Si rien n’est fait, même entenant compte des progrès réalisés et des projets encours pour valoriser les énergies renouvelables, lademande énergétique sera telle au Sud et à l’Est dela Méditerranée qu’elle anéantira les efforts réalisésen Europe pour lutter contre le changement clima-6

Des défis communs à relever

La dynamiquedes gains deproductivitéseraessentiellepour lacroissance auNord commeau Sud.

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tique. Si les effets du changementclimatique devraient être plussévères en Méditerranée qu’enmoyenne dans le monde, les paysdu Maghreb, du Proche-Orient etde l’Adriatique auront moins lesmoyens de s’en prémunir (effetrevenu), alors même qu’ils aurontpeu contribué au réchauffementde la planète (leurs émissions degaz à effet de serre, bien qu’enhausse continue, sont bien endeçà des moyennes européennes).

Ces effets négatifs viendronts’ajouter à des conditions agro-climatiques déjà diffi-ciles au Sud et à l’Est de la Méditerranée (une pres-sion sur les ressources en eau dépassant les 100 %selon le Plan Bleu ; un taux d’exploitation des terresarables qui atteindrait plus de 80 % en 2030 selon lafao ; une urbanisation qui à cet horizon aura pro-gressé de 60 % selon les Nations unies).Dans ce contexte, un développement plussoutenable impose des transferts technolo-giques et de compétences aujourd’hui essen-tiellement européens, pour valoriser les éco-activités et la rationalisation de l’utilisationdes ressources naturelles. Les éco-technolo-gies constituent aujourd’hui des opportuni-tés de marché et elles pourraient trouver uneapplication en Méditerranée, en particulierdans des pays où il s’agit de créer de nou-velles installations plutôt que d’en réhabili-ter d’anciennes. Leurs coûts, encore souventsupérieurs à ceux des technologies moinssobres, nécessitent néanmoins des incitationspubliques dont le poids financier pourrait être par-tagé dans un cadre régional afin de rétablir une formed’équité environnementale.

Réguler les échanges et sécuriserles approvisionnements

ajoutée à la dégradation prévisible des condi-tions agro-climatiques en Méditerranée, la crise ali-mentaire de 2008 a remis au premier plan la ques-tion agricole et rurale. Les révoltes arabes, enparticulier la révolution tunisienne, sont venues rap-peler les inégalités territoriales de développement, quiaffectent essentiellement les régions rurales. Dans cecontexte, les États ont à repenser les politiques agri-coles et la sécurité alimentaire, à tenter de réguler leséchanges et à sécuriser les approvisionnements.

L’arrêt en 2015 de la densification rurale au Sud et àl’Est de la Méditerranée et la réforme de la pac euro-péenne d’ici à 2013 peuvent constituer une opportu-nité à saisir pour des restructurations agricoles dansun cadre euro-méditerranéen, visant à assurer lasanté alimentaire des populations, à renforcer des sys-

tèmes agricoles produisant emplois et revenuslocaux, et à conditionner l’agriculture intensiveà une gestion plus respectueuse de l’environ-nement. La gestion de la qualité pourrait l’em-porter sur celle des quantités, avec une labelli-sation des productions méditerranéennes, dontles services rendus en termes de santé, de qua-lité nutritionnelle et environnementale, deproximité et de culture, pourraient être collec-tivement valorisés. Une telle évolution permet-trait d’accroître la valeur ajoutée des produc-tions méditerranéennes, d’accélérer lesinvestissements agricoles Nord-Sud, la profes-sionnalisation des filières et la qualification des

agriculteurs. Cette orientation plus méditerranéennede la politique agricole pourrait être compensée parune contribution des productions céréalières à uneforme de stabilisation des cours et de garantie desapprovisionnements, par la constitution de stocks desécurité et une contractualisation Nord-Sud.

Des migrants plus qualifiés

dernier défi commun, les migrations méditerra-néennes sont amenées à se poursuivre à court etmoyen terme mais elles s’atténueront à plus longterme (au terme de la projection en 2030). Dans lesvingt prochaines années, les facteurs poussant à lamigration en provenance des Psem et des Balkans semaintiendront (différentiel démographique et derevenu entre les deux rives ; phase d’émergence éco-nomique favorable à la migration des classes

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La Méditerranée en 2030

Avec unelabellisationdes produc -tions agricolesméditer ra -néennes,la gestionde la qualitépourraitl’emportersur celle desquantités.

Plaine céréalière en Algérie.La crise alimentaire de 2008

a remis au premier planla question agricole et rurale

en Méditerranée.

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moyennes en risque de déclassement ; crises poli-tiques) mais certains fondamentaux, du fait d’unetransition démographique précoce (Tunisie, Turquie)ou déjà achevée (Croatie, Serbie), iront dans le sensd’une transition migratoire et d’une atténuation del’émigration au profit des mobilités. Les facteursattractifs des migrations au Nord de la Méditerranéepersisteront également (ralentissement démogra-phique et pénurie de main-d’œuvre en Europe ; crois-sance du revenu et volonté d’attirer la main-d’œuvretrès qualifiée) et ils s’accentueront au Sud devenuterre d’immigration en raison de la hausse de sonniveau de vie et du ralentissement de la croissance desa population active. La nature des flux migratoiresaura dans le même temps évolué : les migrants médi-terranéens seront plus éduqués que par le passé, le

passage par la migration n’étant qu’une étape dansun parcours destiné à accroître ses compétences etses qualifications (expérience, acquisition dediplômes), autorisant des allers-retours. Cette migra-tion qualifiante ne sera néanmoins facilitée que si cer-tains prérequis sont remplis en termes de portabilitédes droits et de reconnaissance des qualifications. Àcette condition, une politique de mobilité méditerra-néenne pourrait valoriser un potentiel migratoiresans dégrader la situation des pays de départ (braindrain). Elle anticiperait une évolution de long termeoù les pays du Sud et de l’Est méditerranéens serontmoins des apporteurs de main-d’œuvre peu qualifiéeque des pays eux-mêmes récipiendaires de migrantsvenant de leur proximité, comme en a témoignél’exode libyen en Tunisie.

ces complémentarités et défisde long terme laissent néanmoinssubsister de nombreuses incerti-tudes, tant sur le rythme des évo-lutions anticipées que sur le rôlede l’intégration régionale et duvolontarisme politique pour y faireface. Pour borner ces incertitudespolitiques autant qu’économiqueset sociales, trois scénarios ont étéélaborés, dont les impacts sur lacroissance, l’emploi, les migra-tions, l’énergie et l’agriculture ontété analysés et quantifiés.

Le premier scénario prolonge les tendances pas-sées d’insertion disparate des pays de la région dansune économie mondiale tirée par les émergents,accentuées par des stratégies de déflation compéti-tive (modération salariale et politiques monétairesrestrictives) et par une transition politique réussiedans les pays déjà en rattrapage avec l’Europe. Ledeuxième scénario envisage un approfondissementde la crise économique de l’Europe latine et unetransition heurtée dans la Méditerranée arabe,conduisant à un ralentissement de l’Europe médi-terranéenne et de l’Afrique du Nord et à un blocagedes réponses institutionnelles. Le troisième scéna-rio, très volontariste et coopératif, simule l’extensiond’une partie des mécanismes de solidarité euro-péenne à l’ensemble de la Méditerranée, autorisant

une dynamique de convergencesans précédent de cette région.

Ces scénarios tentent de tracerdes évolutions probables et diffé-renciées, sans pour l’heure tracerun scénario du décrochage totalméditerranéen ou de pleine conver-gence dans la mesure où l’hétéro-généité des pays de la région tantdans leurs spécialisations produc-tives, leur contexte démogra-phique, leur évolution politique ouleur ancrage institutionnel semblealler à l’encontre d’une dynamique

totalement cohérente. Les écarts de croissance dansles différents scénarios ont été maintenus dans unefourchette raisonnable (GRAPHIQUE I).

Le scénario des divergencesméditerranéennes

la poursuite des tendances passées (taux de crois-sance en Europe inférieurs à 2 % par an, avoisinantles 3-4 % au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dansles Balkans) n’est pas favorable à une convergenceméditerranéenne. Le basculement de la dynamiquede l’économie mondiale vers l’Asie pourrait jouerdans le sens d’une accentuation des divergences avecdes gagnants et des perdants au niveau national etrégional. Dans ce scénario, la croissance, tirée par celle

Palimpsestes n° 11 La Méditerranée en 2030

8

Les scénarios possibles pour l’avenir

GRAPHIQUE I Taux de croissancedu PIB dans les trois scénarios(2010-2030)

UE-27 Psem Balkans5 %

4 %

3 %

2 %

1 %

Crise Divergence Convergence

SOURCE : CAS – IPEMED, 2011

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des pays émergents, renforce la compétitivité au détri-ment du pouvoir d’achat et de la demande intérieure.La concurrence internationale incline les pays à peserà la baisse sur les coûts internes, par une politiquemonétaire restrictive et une modération salariale, pourrestaurer leur compétitivité. Les spécialisations indus-trielles des Balkans et du Sud de la Méditerranée s’ap-prochent de celles des pays d’Europe de l’Est, ces éco-nomies devenant la nouvelle plateforme low cost del’Europe communautaire et place avancée dela pénétration du marché communautairepour les émergents. Cette dynamique de lacroissance mondiale, plus que méditerra-néenne, avantage les économies les plus com-pétitives qui ont déjà connu un phénomènede rattrapage : la Croatie, la Serbie et la Tur-quie, dans une moindre mesure la Tunisie etles autres pays balkaniques, s’approchent durevenu par habitant du Portugal et creusentl’écart avec les autres pays du Maghreb (Algé-rie, Égypte) et du Proche-Orient (Liban, Jor-danie) bénéficiant d’une moindre dynamiquede croissance (GRAPHIQUE II). La révolte arabe n’a, danscette perspective, entraîné de dynamique positive quedans le premier pays en révolution, la Tunisie, les dis-positions rentières et le maintien du clientélismeayant prévalu dans les autres pays de la Méditerranéearabe. En Europe, le potentiel de croissance de laGrèce et du Portugal est également affaibli par des dif-

ficultés de balance des paiements et les déficitspublics, accroissant des divergences non seulementintra-méditerranéennes mais également intra-euro-péennes. Le processus euro-méditerranéen progresseen termes de libéralisation commerciale et agricole,mais la libéralisation des services se limite à certainesprestations sans aller jusqu’à la liberté d’établisse-ment, renforçant une sélectivité de la main-d’œuvreen fonction des niveaux de qualification. Les échangesintra-régionaux progressent à un rythme moins élevéque celui avec le reste du monde, tandis que le com-merce sous-régional (arabe ou maghrébin) reste fai-ble, comparable à ce qu’il est aujourd’hui.

La productivité du travail augmente plus vigou-reusement dans les pays d’Europe fortement touchés

par la crise financière (Espagne, Grèce, Ita-lie, Portugal). Elle se maintient à sa tendancedans le reste de l’Europe, les pays de l’Adria-tique et ceux du Sud et de l’Est de la Médi-terranée. Les taux d’activité et d’emploi s’élè-vent mais ils restent faibles du fait de lacourse à la compétitivité, la productivité setraduisant par une forte substitution capi-tal/travail. Ils sont surtout très inégalementrépartis dans l’ensemble de la Méditerranée,accentuant la divergence méditerranéenne :les taux de chômage décroissent mais res-tent élevés au Sud et à l’Est de la Méditerra-

née et dans les Balkans occidentaux (entre 9 et 10 %)(TABLEAU I). L’Europe parvient à compenser partielle-ment ses pertes d’activité par une migration facilitéeessentiellement pour les travailleurs qualifiés (cartebleue européenne) et par le biais d’un allongementsensible de la durée d’activité (réforme des retraites).La dualité des marchés du travail reste forte au Nord

Palimpsestes n° 11

9

La Méditerranée en 2030

TABLEAU I Emploi (2007-2030) (milliers)

Les Psem bénéficient d’une embellie sur les marchés du travail. Ils approchent le niveau 2007 de l’UE

Emplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux decréés Nbre annuel active d’activité chômage*

47 098 2,15 % 133 036 121 909 12 113 141 327 48,5 % 9,1 %2 050

L’EU27 bénéficie d’un apport d’actifs qui limite la baisse des actifsEmplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux de

créés Nbre annuel active d’activité chômage*48 250 0,87 % 283 710 267 219 16 490 148 717 65,6 % 5,8 %

2 100Les Balkans convergent rapidement

Emplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux decréés Nbre annuel active d’activité chômage*2 536 1,4 % 11 466 9 360 1 105 9 243 53,1 % 10,6 %

110* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compteni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.

Source : Femise, 2011

Albanie

Algérie

Bosnie

Croatie

Chypre

Egypte

France

Grèce

Israël

Italie

Jordanie

Liban

Libye

Macédoine

Malte

Mauritanie

Maroc

Portugal

Serbie

Slovénie

Espagne

Syrie

Tunisie

Turquie

10 20 30 40

20092030

GRAPHIQUE I I PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat)

Scénario des divergences méditerranéennes

Source : CAS –Ipemed, 2011.

SCÉNARIODES DIVERGENCES

Le basculementde l’économiemondiale versl’Asie peutaccentuerles divergencesavec desgagnants etdes perdants.

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comme au Sud, aggravant les inégalités entre uneélite mondialisée bien insérée dans les échangesmondiaux et des travailleurs peu qualifiés soumis àune flexibilité accrue au Nord, à des conditions detravail et de rémunération dégradées au Sud. Lepoids du secteur informel reste en particulier trèsprégnant au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dansles pays de l’Adriatique, même s’il régresse un peuen raison de la baisse de l’emploi rural, qui repré-sente une partie significative des emplois informels,et de la dynamique des activités tournées vers l’ex-portation. On observe la même tendance pour l’em-ploi informel non agricole dans les Psem (hors Mau-ritanie) qui passera de 43,5 % de l’emploi total dansles années 2000 selon l’ocde à 40,5 % dans lesannées 2020, avec des différences notables selon lespays, l’informalité se réduisant davantagedans les pays ayant connu une forte crois-sance de l’emploi informel après lesréformes libérales dans les années 1990(Égypte, Algérie) et continuant à croître dansceux où il a progressé dans les annéesd’avant crise (Turquie, Maroc).

La pression migratoire est alimentée parles perdants de la modernisation-mondialisa-tion, en particulier les jeunes diplômés. Lamigration qualifiée est facilitée mais celle desnon qualifiés demeure très restrictive et tem-poraire sous couvert de migration circulaire.La migration est également géographiquement sélec-tive : un flux migratoire s’établit essentiellement entrel’UE et les pays en rattrapage, qui eux-mêmes attirentde plus en plus de migrants venus des pays voisins(Afrique sub-saharienne, cei, Asie). Les remises demigrants continuent de jouer un rôle stabilisateuressentiel pour les économies de la Méditerranée noneuropéenne. Les politiques migratoires communau-taires restent fortement nationales empêchant la cir-culation des travailleurs migrants et l’acquisition decompétences transférables : la migration qualifiantedemeure l’exception.

Dans ce contexte, la mer Méditerranée accentuesa place de transit de l’économie-monde, avec desimpacts plus aigus en termes de pollution, de pertede biodiversité et d’artificialisation des côtes. Un telscénario contribue à accroître fortement la dualisa-tion des économies et des territoires (marginalisa-tion des intérieurs, développement du littoral), ledéveloppement des filières d’exportation en matièreindustrielle et agricole se faisant au détriment desproductions à destination des marchés intérieurs. Lahausse de la demande énergétique et alimentaire et

l’urbanisation accentuent les pressions environne-mentales au Sud et à l’Est de la Méditerranée. Lapression sur les ressources en eau devient insoute-nable et la contribution au changement climatiquepréoccupante. La stabilisation des émissions de co2

en Europe est, en effet, plus que compensée par lahausse au Sud, induite par l’augmentation de lapopulation, de son niveau de vie et par la composi-tion sectorielle de la croissance. Si le différentiel deconsommation d’énergie par habitant (inférieure de30 % au Sud) demeure entre les deux rives en 2030,la dépendance aux énergies fossiles du Sud et de l’Estde la Méditerranée, en raison d’une plus faible pro-gression des énergies renouvelables et de l’efficacitéénergétique qu’en Europe, implique une croissancetrès forte de leurs émissions de co2 (de près de

100 %), même rapportées au nombre d’ha-bitants.

En matière agricole, les gains de produc-tivité et la pression foncière sur les terresagricoles font disparaître les culturesvivrières. Les zones rurales n’attirent quepeu d’activités au bénéfice des zones litto-rales, aggravant l’exode rural au Sud et laconcentration agricole au Nord. La part del’agriculture dans le pib décroît fortementsauf en Turquie au profit des grandes exploi-tations destinées à l’export. Le déclin euro-méditerranéen de l’agriculture s’accom-

pagne d’une forte pénétration des fournisseurs dureste du monde (viande, céréales), tandis que les pro-ductions strictement méditerranéennes (fruits etlégumes, huile d’olive, vin) qui n’ont pas été labelli-sées sont fortement concurrencées par des prove-nances lointaines (Chili, Australie, Brésil, Chine).

Le scénario de crise de la Méditerranée

la crise de 2008 pourrait contribuer à assombrirdavantage ce tableau. Les pays de l’Europe du Sudsont aujourd’hui les plus fragilisés par la crise. Ilssont confrontés à une dynamique de la dettepublique très défavorable, l’augmentation de l’en-dettement entraînant une hausse des primes derisque, qui alourdit la charge d’intérêt tout en obé-rant la croissance. L’assainissement des financespubliques (baisse des transferts publics et alourdis-sement de la charge fiscale) est susceptible de peserencore davantage sur la croissance de la demande etentraver durablement la reprise, avec une progres-sion du revenu en niveau et en tendance plus faibleque par le passé. Dès lors, la crise de l’Europe latine

Palimpsestes n° 11 La Méditerranée en 2030

SCÉNARIO DE CRISE

Avec la crise de2008, on assisteà une marginali -sa tion des paysméditerranéensavec uneprogressiondu revenu plusfaible quepar le passé.

10

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conduit à un retrait des échanges et des investisse-ments chez les voisins des Balkans et du Sud de laMéditerranée. L’Afrique du Nord, fortement handi-capée par ce retrait (en raison d’une forte dépen-dance commerciale avec l’Europe méditerranéenne),souffre de surcroît d’une instabilité durable liée àune transition politique heurtée tandis que le Mach-rek, la Turquie et les Balkans parviennent à limiterles effets de la crise en raison des transferts de capi-taux originaires d’Europe du Nord et des pays émer-gents qui trouvent à s’investir dans une zone à faiblecoût et à fort rendement. Une forme de convergenceméditerranéenne par le bas s’opère ainsi, l’ensem-ble des pays en rattrapage avec l’Europe s’approchantdes niveaux de revenu de la Méditerranée euro-péenne (le revenu par habitant de la Turquie et de laSerbie atteignant 80 % de celui du Portugal en2030), mais au prix d’une divergence européenneconséquente (GRAPHIQUE III). Les effets d’hystérèses dela crise sont concentrés sur l’Europe latine quiconnaît un décrochage durable de sa croissance etune faiblesse persistante de ses gains de producti-vité tandis que le reste de l’Europe reste arrimé à lacroissance des émergents. Dans ce scénario, l’Alle-magne dépasse la France en revenu par tête, le pibpar habitant de la Slovénie est supérieur à celui del’Espagne.

Ce contexte de crise est défavorable à l’intégra-tion institutionnelle euro-méditerranéenne etmenace la cohésion européenne. L’Euro-méditerra-née ne progresse pas (pas de libéralisations supplé-mentaires) et les élargissements prévus sont repous-sés sine die. L’upm est en mal de projets et lalibéralisation des services est entravée par les craintesde dumping social. Le commerce sous-régional souf-fre de l’instabilité de la Méditerranée arabe et sa partdans les échanges, pourtant faible, s’amenuiseencore.

Les pays du Sud de l’Europe sont victimes d’uneffet d’hystérèse de la crise, déqualifiant la main-d’œuvre avec une perte définitive de capital humainqui se traduit par une stagnation voire un recul dutaux d’emploi alors qu’ils sont relativement stablespour l’Europe du Nord et de l’Est. Les économies del’Europe latine créent moins d’emplois qu’au Nord,les taux d’activité y sont plus faibles (53,5 % contre62,5 % en moyenne), et le taux de chômage plusélevé (7,7 % contre 6,4 %) (TABLEAU II). Les pays duMaghreb subissent plus fortement que ceux duMachrek et de l’Adriatique les effets de la crise de laMéditerranée européenne et d’une instabilité quis’installe. Ils voient leur taux d’emploi progresserplus faiblement qu’en tendance. Au Sud, les tauxd’activité restent donc généralement inférieurs à50 %, reculant en moyenne de quelques points. Lechômage officiel est stabilisé autour des 12 %, maisl’essentiel de l’activité reste informelle. L’emploiinformel non agricole se maintient aux niveaux desannées 2000, le Maroc atteignant des taux d’infor-malité proches de ceux d’Amérique latine (plus de65 %) tandis que l’Algérie et l’Égypte restent auxalentours de 40 %. Avec seulement 1,2 million

Palimpsestes n° 11

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La Méditerranée en 2030

Albanie

Algérie

Bosnie

Croatie

Chypre

Egypte

France

Grèce

Israël

Italie

Jordanie

Liban

Libye

Macédoine

Malte

Mauritanie

Maroc

Portugal

Serbie

Slovénie

Espagne

Syrie

Tunisie

Turquie

10 20 30 40

20092030

GRAPHIQUE III PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat)

TABLEAU II Emploi (2007-2030) (milliers)

Les Psem peinent à maintenir l’équilibre du marché du travail pourtant socialement insatisfaisant

Emplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux decréés Nbre annuel active d’activité chômage*

28 600 1,42 % 117 322 103 411 13 804 157 040 42,8 % 11,8 %1 240

L’EU27 peine à exprimer son potentiel et se continentaliseEmplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux de

créés Nbre annuel active d’activité chômage*34 292 0,63 % 270 480 253 261 17 219 161 948 62,5 % 6,4 %

1 490 Stabilisation des Balkans

Emplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux decréés Nbre annuel active d’activité chômage*1 957 1,10 % 9 947 8 781 1 166 9 762 50,5 % 11,7 %

80* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.

Source : Femise, 2011.

Source : CAS –Ipemed, 2011.

Scénario de crise de la Méditerranée

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d’emplois créés en rythme moyen annuel, les indi-cateurs sociaux, au mieux, stagnent. Les clivagespréexistants s’aggravent et, face à cette dynamiquepauvre en emplois, les tensions sociales persistent.

Dans ce contexte, la pression migratoire resteforte et est tirée par les conflits et l’instabilité poli-tique qui accompagne des transitions difficiles. Enretour, la crise de la Méditerranée européenneincline au maintien de fortes restrictions migratoires(en termes de circulation et de reconnaissance desqualifications). Le solde migratoire des pays euro-péens reste sur sa tendance (scénario médian desNations unies) : la baisse de la population active estatténuée par la réforme des retraites et la faiblessede la croissance les rend moins attractifs pour lesmigrants.

Alors que la demande des émergents continue àpeser à la hausse sur le cours de l’énergie et desbiens alimentaires, cette inflation importée n’est pasle signe d’une surchauffe de l’activité mais vientrogner encore le revenu des ménages dans uncontexte économique déprimé (stagflation). L’atoniede la croissance ne suffit pas à limiter les impactsenvironnementaux négatifs de la consommationénergétique en raison des faibles progrès de l’effica-cité énergétique (Méditerranée arabe et Balkans) etde l’absence de développement des énergies renou-velables avec un maintien de la part des énergies fos-siles. Si les émissions de co2 baissent de 10 % envingt ans du fait de la crise en Europe, elles aug-mentent fortement dans les pays du Sud et de l’Estde la Méditerranée.

En matière agricole, la dualité entre une agricul-ture intensive destinée à l’exportation et une agri-culture vivrière sous équipée persiste en l’absencede gains de productivité. Les conflits d’usage pour laressource en eau s’intensifient. La dépendance ali-mentaire et la pauvreté rurale vont de pair et accen-tuent les déséquilibres sociaux, aboutissant à un cer-cle vicieux d’instabilité.

Le scénario de la convergenceméditerranéenne

entre la divergence et la marginalisation, laMéditerranée peut connaître un autre destin, sousréserve d’une action politique volontariste et partagéepar l’ensemble de ses riverains dans un contexte demultipolarité dans les régulations internationales.Une croissance globalement plus forte et plus richeen emplois nécessite de valoriser l’intégration dessystèmes de production en tirant partie des complé-mentarités régionales et d’étendre à l’ensemble dela Méditerranée certaines modalités de redistribu-tion et de protection sociale. Dans un système régio-nalement intégré (établissement au niveau régionaldes quatre libertés mises en place dans l’UE, accès aumarché intérieur européen et harmonisation desnormes autorisant un système de préférence régio-nale), accompagné d’une redistribution géogra-phique de la production et d’un partage de la valeurajoutée permis par l’ouverture de certaines coopéra-tions renforcées aux pays sud et est méditerranéens,les ressorts internes de la croissance pourraient per-mettre un accroissement de la productivité et del’emploi dans tous les pays. Un tel scénario supposeque la transition politique de la Méditerranée arabenon seulement ait libéré les énergies au Sud maisqu’elle ait permis une convergence plus forte avecl’Europe, un rapprochement fondé non pas unique-ment sur des intérêts économiques mais sur unecommunauté politique et de valeurs.

Ce scénario profondément coopératif permet àl’ensemble de la zone méditerranéenne de bénéficierde gains de productivité globale des facteurs et de sou-tenir sa compétitivité à un coût social bien plus fai-ble que dans le scénario des divergences méditerra-néennes. Une dynamique de convergence régionalese met alors en place. Le rattrapage de productivitéest permis par une diffusion technologique par imi-tation facilitée par les transferts de savoir-faire et decapitaux. Une croissance plus équitable en termes de

Palimpsestes n° 11 La Méditerranée en 2030

12

Le portd’Istanbul.

Selon lescénario de

convergence,la Turquie

devient uneplaque

tournante ducommerce

euro-méditer -ranéen.

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redistribution des richesses permet au Sud et à l’Estde la Méditerranée et aux Balkans le développementd’une demande intérieure dont bénéficient l’Europelatine, et avec elle, bien que dans une moindremesure, l’ensemble de l’Europe. Cette dynamiqueaccroît considérablement le commerce sous-régional,offrant désormais des opportunités de mar-chés émergents et profonds. Les pays del’Adriatique, emmenés par la Croatie et laSerbie, tirent la Bosnie, la Macédoine et l’Al-banie. Le commerce sous-régional auProche-Orient et au Maghreb se développed’autant plus qu’aux relations plus appro-fondies avec les voisins méditerranéens eteuropéens viennent s’ajouter les échangescroisés avec le Golfe. La Turquie devient uneinterface indispensable et une plaque tour-nante du commerce euro-méditerranéen.

Tous les pays de la région (à l’exception de laMauritanie) atteignent alors des revenus par têtesupérieurs à 10 000 dollars en 2030. La Slovénieatteint les niveaux de revenu de l’Espagne en 2030,la Croatie frôle ceux du Portugal. L’Égypte et le Maroctriplent leur pib par tête et prennent le train de laconvergence. La Turquie et la Serbie dépassent les25 000 dollars par habitant (GRAPHIQUE IV).

Les taux d’activité des Psem et des Balkans se rap-prochent beaucoup de ceux de l’Europe où la migra-

tion est venue pallier les pénuries de main-d’œuvreet alimenter les marchés de consommation. Au Sud,le marché informel recule fortement (de près de dixpoints en moyenne, la Turquie et la Tunisie avoisi-nant une proportion d’emploi informel dans l’em-ploi total proche de celle des pays en transition d’Eu-rope de l’Est, soit 22 %), les taux de chômage passentsous la barre des 9 % et plus de 2,6 millions d’em-plois sont créés chaque année, favorisant la stabilitésociale (TABLEAU III). L’Europe se rapproche du pleinemploi mais les tensions sur le recrutement sontnéanmoins allégées par une immigration plus facile.L’immigration soutient également une forteconsommation interne et les cotisations payées parles actifs immigrés permettent de limiter l’allonge-

ment de la durée d’activité (recul modéré del’âge de la retraite).

Les perspectives d’emploi offertes dansles pays du Sud et de l’Est de la Méditerranéeet dans les Balkans deviennent suffisantespour limiter l’exode des cerveaux. Pour lesmigrants, la question du retour devient per-tinente et les formes de migration plus cir-culaires et plus qualifiantes. Les pays du Sudet de l’Est de la Méditerranée et ceux del’Adriatique profitent de ces retours, à l’ins-

tar de la Corée des années 60, ce qui insuffle unedynamique économique cumulative. Au-delà, laCroatie, la Serbie, la Turquie, la Tunisie et l’Algérieachèvent leur transition migratoire en 2030 : ilsdeviennent des pays d’accueil net de migrants et nonplus des pays de départ (GRAPHIQUE V). Le solde migra-toire de l’Europe du Sud s’accroît mais en prove-nance d’autres pays que la Méditerranée.

En matière énergétique, le scénario de conver-gence permet une progression plus importante del’efficacité énergétique et un développement signifi-

Palimpsestes n° 11

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La Méditerranée en 2030

GRAPHIQUE IV PIB par habitant (2009-2030) (milliers de dollars, parité de pouvoir d’achat)

Albanie

Algérie

Bosnie

Croatie

Chypre

Egypte

France

Grèce

Israël

Italie

Jordanie

Liban

Libye

Macédoine

Malte

Mauritanie

Maroc

Portugal

Serbie

Slovénie

Espagne

Syrie

Tunisie

Turquie

10 20 30 40 50

20092030

TABLEAU III Emploi (2007-2030) (milliers)

PsemEmplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux de

créés Nbre annuel active d’activité chômage*59 846 2,6 % 145 886 134 657 11 229 128 477 53,2 % 7,7 %

2 600UE27

Emplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux decréés Nbre annuel active d’activité chômage*

67 088 1,2 % 303 019 286 057 16 961 129 409 70,1 % 5,6 %2 920

BalkansEmplois Taux annuel Pop. Emplois Chômeurs Inactifs Taux Taux de

créés Nbre annuel active d’activité chômage*2 895 1,5 % 10 601 9 719 882 9 107 53,8 % 8,3 %

130* C’est le nombre de personnes qui ont travaillé dans le secteur formel et qui ne le peuvent plus. Ce taux ne tient pas compte ni du chômage déguisé lié au sous-emploi ni des conditions d’inscription des chômeurs. Il est donc probablement sous-estimé.

Source : Femise, 2011.

Source : CAS –Ipemed, 2011.

Scénario de la convergence méditerranéenne

SCÉNARIO DELA CONVERGENCE

Une dynamiquede convergencese met en placeavec un accrois -sement dela productivitéet de l’emploi.

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catif des énergies renouvelables grâce à une coopé-ration régionale et des transferts de technologie.16 % de la demande énergétique à l’horizon 2030provient de ces énergies (24 % dans l’Europe latine,Balkans compris, mais seulement 8 % dans lesPsem) contre 12 % dans le scénario de crise et 10 %dans le scénario de divergence. Des mesures d’effi-cacité énergétique sont mises en place non seule-ment dans les pays de l’UE mais aussi au Sud : cam-pagne de prévention, création de label efficacitéénergétique, efficacité énergétique dans les bâtiments,etc. Le scénario de convergence représente pour larégion 14 % de richesse supplémentaire accumuléeavec 5 % d’énergie en moins par rapport au scénariode divergence, ce qui est loin d’être négligeable. Ilen va de même des émissions de co2. Alors que lescénario de crise et celui de la divergence sont quasisimilaires en termes d’intensité carbone, le scénariode convergence permet de réduire de 20 % cetteintensité, avec, rappelons-le, un niveau de richesseplus élevé. Autre effet positif, la dépendance éner-gétique est atténuée dans ce scénario et l’inflationénergétique partiellement jugulée. En dépit desefforts réalisés, l’impact de la croissance sur le chan-gement climatique reste néanmoins préoccupant :à partir de 2020, les émissions de co2 des Psemdépassent celles des pays du Nord de la Méditerranée(pnm), alors même que la consommation énergé-tique par habitant y demeure inférieure (GRAPHIQUE VI).

Dans le contexte d’une accélération de l’indus-trialisation et du développement des Psem et des Bal-kans, la part de l’agriculture dans le pib décroît forte-ment. L’exode rural est néanmoins contenu en raisondu développement d’activités rurales non agricoles

(tourisme, immobilier) et d’une chaîne de transfor-mation agro-alimentaire permettant la création d’em-plois industriels et de services (transports, distribu-tion, qualité). L’accès aux moyens d’investissement, lamise en place de capacités de stockage, de méca-nismes d’alerte et la mise à disposition de semencespermettent également de moderniser l’agriculturevivrière et de limiter l’impact négatif de la volatilitédes prix. La labellisation de productions méditerra-néennes assure enfin une compétitivité agricoleassise sur la qualité.

Une alternative au scénario de convergence

le scénario de convergence et de rattrapage desniveaux de revenus du Sud et de l’Est de la Méditer-ranée, dans une moindre mesure des pays de l’Adria-tique, pourrait être emmené non pas par une volontéeuropéenne plus marquée mais par une croissanceendogène de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient.Le vent de réforme qui souffle au Sud et une partici-pation d’un plus grand nombre au processus pro-ductif libérerait des dynamiques économiques natio-nales et autoriserait également une intégrationrégionale démultipliant les effets d’anticipation, decréation de commerce et d’économies d’échellecomme autant d’externalités positives de l’intégrationrégionale. Une libéralisation commerciale à l’échelledu Great Arab Free Trade Agreement (Gafta) (paysarabes incluant les États du Conseil de coopérationdu Golfe – ccg) ou amplifiant les accords d’Agadir(impliquant l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, la Tuni-sie et les Territoires palestiniens) pourrait dès lors secoupler à la mise en place de projets communs, en

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Tunisie

GRAPHIQUE V Projections du taux net de migrationdans le Maghreb (1965-2030)

Source : Giambattista Salinari – CARIM, 2010

La ligne bleue fait référence aux séries temporelles originales des Nations unies surles taux nets de migration. La ligne rouge décrit les valeurs théoriques des taux netsde migration prévus par notre modèle. La ligne verticale en pointillés indique la limiteentre les taux nets de migration estimés par les Nations unies et ceux projetés.

GRAPHIQUE VI Évolution de la demande d’énergieprimaire à l’horizon 2030

Crise

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1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030Source : OME-Ipemed, 2011.

Dans les paysdu Nord de laMéditerranée(Mtep)

Dans les Psem (Mtep)

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matière agricole, énergétique, touristique ou de santé.Des financements communs d’investissements aminima en Afrique du Nord, a maxima incluant lespays du Golfe, permettraient d’utiliser la mannepétrolière et gazière à des fins de développe-ment régional. Une institutionnalisation surune base régionale, sous-régionale (Maghreb,Proche-Orient) ou à géométrie variable ras-semblant dans un premier temps un petitnombre d’États, permettrait à la région d’as-seoir des positions communes dans les négo-ciations internationales, en particulier cellesavec l’Europe. Alors même que la libéralisa-tion commerciale arabe a d’ores et déjàconduit à une hausse du commerce intra-régional de près de 30 %(2), une intégrationprofonde impliquant une harmonisation desnormes et des investissements régionaux aurait unimpact encore plus important.

Cette dynamique économique au Sud pourraitprendre deux formes en ce qui concerne la relationavec l’Union européenne. Elle pourrait avoir un effet

d’entraînement sur les économies des États mem-bres et vraisemblablement encourager leur volon-tarisme politique à l’égard de la région. L’Unioneuropéenne pourrait, ainsi, participer à des projets

cofinancés au niveau régional et accélérerle rythme des négociations pour un accèsau marché intérieur voire pour l’adhésiondans le cas des pays candidats. Le renfor-cement de certaines relations bilatéralesNord-Sud irait dans le même sens, renou-velant sans doute les principes des négo-ciations euro-méditerranéennes et lesaxant davantage sur les investissements.Mais cette dynamique économique au Sudpourrait également provoquer un éloigne-ment relatif entre une rive sud intégréed’un côté et, de l’autre, l’UE.

Ce scénario, peu probable fin 2010, a gagné enprobabilité à la faveur des révolutions arabes. Il n’apas été analysé en détail par le consortium Méditer-ranée 2030 dans le présent document et pourra fairel’objet d’analyses ultérieures.

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La Méditerranée en 2030

atteindre des performances régionales conver- gentes, plus égalitaires socialement et territoriale-ment, nécessite une intégration des systèmes de pro-duction et ne peut pas être obtenu par les seuleslibéralisations commerciales dont les impacts sontlimités dans une économie mondialisée. La libérali-sation des services peut constituer un facteur de crois-sance plus vigoureuse et une alternative à la migra-tion mais elle ne saurait renforcer la dynamiqued’échanges et d’emploi sans une harmonisation desnormes. À défaut, cette libéralisation restera limitéeet son potentiel de création de revenu également. Au-delà, dynamiser les ressorts internes de la croissancene peut faire l’économie d’une réhabilitation des sys-tèmes de protection sociale, garants d’une consom-mation soutenue, et de soutiens publics pour per-mettre aux hommes et aux biens d’affronter laconcurrence mondiale exacerbée. De ce point de vue,la mise en place d’un écosystème méditerranéen est lacondition de son autonomie et de sa croissance. Dèslors, certaines recommandations axées sur les grandsdéfis et les grands facteurs de convergence méditer-ranéenne peuvent être proposées :

1. Investir dans le capital humain en favorisant lamobilité (autoriser la migration temporaire pour desservices contractualisés et des projets co-financés parl’upm) et la qualification des personnes (créationd’un socle de base commun ; réseau euro-méditer-ranéen de formation professionnelle et de recon-naissance-accréditation des compétences et desdiplômes, ErasmusMed…).

2. Accélérer les transferts de savoirs, de compé-tences et de technologies i) en favorisant l’émer-gence de pôles de compétitivité (clusters) et derecherche euro-méditerranéens sur des secteursporteurs ou riches en emplois (technologies de l’in-formation et de la communication pour les services,techniques agricoles et d’efficacité énergétique,etc.) ; ii) en resserrant les arbitrages de localisationsur une base régionale : de ce point de vue, la miseen place d’un système de préférences régionalesallant au-delà du libre-échange et fondée sur des cri-tères de qualité sociale, sanitaire et environnemen-tale contribuerait à accélérer les transferts de capi-taux et de savoir-faire.

Neuf recommandations pour favoriser la convergence

La dynamiqueéconomique auSud peut avoirun effet d’entraî -n e ment sur leséconomies desÉtats membresou provoquerun éloignemententre les deuxrives.

(2) Selon J. Abidi et N. Péridy.

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3. Créer un espace institutionnel commun accom-pagné de transferts financiers, un statut avancé béné-ficiant de fonds s’inspirant de la philosophe del’adhésion au marché intérieur (signifiant l’établis-sement progressif des quatre libertés de circulationdes biens, des capitaux, des services et des per-sonnes), et approfondir les discussions sur le pro-cessus d’adhésion des pays candidats à l’Union euro-péenne.

4. Engager un processus de certification méditerra-néenne couvrant les services et l’agriculture dans unpremier temps, avec un label méditerranéen garan-tissant une qualité sanitaire (mise en place d’uneagence sanitaire) et environnementale en matièreagricole et un niveau de compétence et de qualitépour les prestations de services.

5. Sélectionner les projets de l’upm (co-finance-ment) sur leur potentiel de création d’emplois et/oude sobriété énergétique.

6. Créer un fonds méditerranéen environnementalvisant, d’une part, à renforcer la capacité d’adapta-tion au changement climatique des pays sud et estméditerranéens et des Balkans, d’autre part, à finan-

cer les projets d’infrastructures de transport d’éner-gies renouvelables et de transport collectif alternatifau mode routier, les projets de développement pro-pre réduisant les gaz à effet de serre, les projets derationalisation de la demande en eau et d’efficacitéénergétique en particulier dans le bâtiment.

7. Mettre en place une banque méditerranéenned’investissement, fondée sur les mêmes principesque la bei, et conçue pour favoriser le financementdes pme, acteurs clés en matière de création derichesse et d’emplois.

8. Intensifier les réseaux de transports au Sud de laméditerranée en vue de favoriser la fluidité deséchanges commerciaux Sud-Sud, avec une attentionparticulière au transport multimodal permettant unemeilleure optimisation du coût de la logistique.

9. Élaborer une politique commune de sécurité ali-mentaire (dispositifs mutualisés d’assurance desrisques agricoles ; constitution de stocks de sécuritéet élaboration de mécanismes d’intervention d’ur-gence) et de développement rural (infrastructuresmatérielles et immatérielles des filières ; formationsmanagériales et technologiques).

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Les Ipemed Palimpsestes, working papers, sont des éléments de réflexion et de débat en prise avec l’actualité euro-méditerranéenne.

L’Institut de prospective économique du monde méditerranéen, IPEMED, est une association reconnue d’intérêt général, créée en 2006. Think tank promoteur de la région méditerra néenne, il a pour mission de rapprocher par l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée.

Il est indépendant des pouvoirs politiques dont il ne reçoit aucun financement. IPEMED est présidé par Radhi Meddeb et dirigé par Jean-Louis Guigou. Conseiller scientifique: Pierre Beckouche. Communication : Véronique Stéphan. www.ipemed.coop

Réalisation : Macarena Nuño, Patricia Jezequel, Alain de Pommereau. Imprimerie Mouquet ISSN 2116-6897

En 2009, Ipemed a engagé, en partenariatavec les organismes d’étude euro-méditerra -néens (Carim, CIHEAM, Femise, OME), un vasteprocessus de prospective qui a pour butd’associer, au sein du consortium Méditerranée2030, des instituts de prospective publics etprivés du pourtour méditerranéen (15 paysreprésentés) en vue d’élaborer une vision

commune de la Méditerranée en 2030. Il s’agit d’une démarche scientifiqueet économique : élaborer des diagnosticset des projections partagés dans les domainesde l’énergie, de l’agriculture, de l’eau,de l’environnement, de la démographie,des migrations. Mais surtout, d’une démarchepolitique et pédagogique : faire naître

des collaborations sur le long terme entreles responsables en charge de la prospective,diffuser la méthodologie de la prospectiveau sein de la région et être un outil d’aideà la décision. Les travaux du consortium sont animés etcoordonnés par Cécile Jolly, analyste au CAS etpar Macarena Nuño, chef de projet à Ipemed.

Méditerranée 20302030“ ”prospective

Méditerranée 2030 : une démarche de prospective à l’échelle de la Méditerranée