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  • ditions Gallimard, 1970.

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  • Peu de phnomnes se manifestent avec autant d'vi-dence dans le monde vivant que la formation du semblablepar le semblable. Trs vite, l'enfant s'aperoit que le chiennat du chien, et le bl du bl. Trs tt, l'homme a suinterprter et exploiter la permanence des formes tra-vers les gnrations. Cultiver des plantes, lever des ani-maux, les amliorer pour les rendre comestibles ou domes-tiques, c'est dj avoir acquis une longue exprience. C'estdj se faire une certaine ide de l'hrdit pour la ruti-liser son profit. Car, pour obtenir de bonnes rcoltes, ilne suffit pas d'attendre la pleine lune ou de sacrifier auxdieux avant d'ensemencer. Il faut encore savoir choisirses varits. Il en tait un peu des fermiers de la prhistoirecomme de ce hros voltairien qui se faisait fort d'anantirses ennemis grce un mlange judicieux de prires, d'in-cantations et d'arsenic. C'est peut-tre dans le mondevivant qu'il a t le plus difficile de sparer l'arsenic del'incantation. Mme une fois tablies les vertus de lamthode scientifique dans le monde physique, ceux quitudiaient le monde vivant ont encore, pendant plu-sieurs gnrations, pens l'origine des tres en fonction decroyances, d'anecdotes, de superstitions. Une exprimen-tation relativement simple suffit faire justice de la gn-ration spontane et des hybridations impossibles. Pourtantjusqu'au xixe sicle ont persist, sous une forme ou sousune autre, certains aspects des vieux mythes par quoi sefondait l'origine de l'homme, des btes et de la terre.

    L'hrdit se dcrit aujourd'hui en termes d'information,de messages, de code. La reproduction d'un organisme estdevenue celle des molcules qui le constituent. Non que

    Voyez-vous cet uf? C'eslavec cela qu'on renverse louiesles coles de thologie et tousles temples de la ferre.

    DIDEROT

    Entretien avec d'Alembert.

    INTRODUCTION

    Le programme

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  • La logique du vivant

    chaque espce chimique possde l'aptitude produire descopies d'elle-mme. Mais parce que la structure des macro-molcules est dtermine jusque dans le dtail par dessquences de quatre radicaux chimiques contenus dans lepatrimoine gntique. Ce qui est transmis de gnrationen gnration, ce sont les instructions spcifiant lesstructures molculaires. Ce sont les plans d'architecturedu futur organisme. Ce sont aussi les moyens de mettreces plans excution et de coordonner les activits dusystme. Chaque uf contient donc, dans les chromosomesreus de ses parents, tout son propre avenir,les tapes deson dveloppement, la forme et les proprits de l'tre quien mergera. L'organisme devient ainsi la ralisation d'unprogramme prescrit par l'hrdit. A l'intention d'unePsych s'est substitue la traduction d'un message. L'trevivant reprsente bien l'excution d'un dessein, mais qu'au-cune intelligence n'a conu. Il tend vers un but, maisqu'aucune volont n'a choisi. Ce but, c'est de prparer unprogramme identique pour la gnration suivante. C'est dese reproduire.

    Un organisme n'est jamais qu'une transition, une tapeentre ce qui fut et ce qui sera. La reproduction en constitue la fois l'origine et la fin, la cause et le but. Avec le conceptde programme appliqu l'hrdit, disparaissent cer-taines des contradictions que la biologie avait rsumespar une srie d'oppositions finalit et mcanisme, nces-sit et contingence, stabilit et variation. Dans l'ide deprogramme viennent se fondre deux notions que l'intui-tion avait associes aux tres vivants la mmoire et le

    projet. Par mmoire s'entend le souvenir des parents quel'hrdit trace dans l'enfant. Par projet, le plan qui dirigedans le dtail la formation d'un organisme. Autour de cesdeux thmes ont tourn bien des controverses. D'abordavec l'hrdit des caractres acquis. Que le milieu enseignel'hrdit, cela reprsente une confusion, intuitivementnaturelle, entre deux sortes de mmoire, gntique et ner-veuse. C'est l une vieille histoire puisque la Bible en faitdj mention. Pour viter de nouveaux malentendus avecson beau-pre, Jacob cherche constituer des troupeauxde moutons faciles reconnatre par les taches et les mou-chetures de la robe. Il prend des baguettes d'arbre, lescorce de bandes claires et les place l o s'accouplent lesbtes en venant boire. Elles s'accouplrent donc devantles baguettes et mirent bas des petits tachets et mou-chets. A travers les sicles, les expriences de ce genre

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  • Le programme

    se sont rptes l'infini, sans toujours atteindre unpareil succs. Pour la biologie moderne, ce qui caractrisenotamment les tres vivants, c'est leur aptitude conser-ver l'exprience passe et la transmettre. Les deux pointsde rupture de l'volution, l'mergence du vivant d'abord,celle de la pense et du langage plus tard, correspondentchacun l'apparition d'un mcanisme de mmoire, celuide l'hrdit, celui du cerveau. Entre les deux systmesse manifestent certaines analogies. D'abord parce qu'ilsont tous deux t slectionns pour accumuler l'expriencepasse et pour la transmettre. Aussi parce que l'informa-tion enregistre ne se perptue que dans la mesure o elleest reproduite chaque gnration. Mais il s'agit de deuxsystmes diffrents, tant dans leur nature que dans lalogique de leurs oprations. Par la souplesse de ses mca-nismes, la mmoire nerveuse se prte particulirement bien la transmission des caractres acquis. Par sa rigidit,celle de l'hrdit s'y oppose.

    Le programme gntique, en effet, est constitu par lacombinatoire d'lments essentiellement invariants. Par'sastructure mme, le message de l'hrdit ne permet pas lamoindre intervention concerte du dehors. Chimiques oumcaniques, tous les phnomnes qui contribuent lavariation des organismes et des populations se produisenten toute ignorance de leurs effets. Ils surviennent sans liai-son aucune avec les besoins de l'organisme pour s'adapter.A une mutation, il y a des causes qui modifient unradical chimique, cassent un chromosome, inversent unsegment d'acide nuclique. Mais en aucun cas il ne peuty avoir de corrlation entre la cause et l'effet de la muta-tion. Et cette contingence ne se limite pas aux seulesmutations. Elle s'applique chacune des tapes par quoise constitue le patrimoine gntique d'un individu, lasgrgation des chromosomes, leur recombinaison, auchoix des gamtes qui participent la fcondation et mme,dans une large mesure, celui des partenaires sexuels.Dans aucun de ces phnomnes il n'y a la moindre liaisonentre un fait particulier et son rsultat. Pour chaque indi-vidu le programme rsulte d'une cascade d'vnements,tous contingents. La nature mme du code gntiqueempche tout changement dlibr du programme sousl'effet de son action ou du milieu. Elle interdit touteinfluence sur le message des produits de son expression.Le programme ne reoit pas les leons de l'exprience.

    Quant au projet, c'est encore une notion que l'intuition

  • La logique du vivani

    a depuis longtemps associe l'organisme. Tant que lemonde vivant reprsentait, pour ainsi dire, un systme rgulation externe, tant qu'il tait gr du dehors par unpouvoir souverain, ni l'origine, ni la finalit des tresvivants ne soulevaient de difficults. Elles restaient confon-dues avec celles de l'univers. Mais, aprs la constitutiond'une physique au dbut du xvne sicle, l'tude des tresvivants s'est trouve place devant une contradiction. Etdepuis lors, l'opposition n'a fait que crotre entre, d'unct, l'interprtation mcaniste de l'organisme et, del'autre, l'vidente finalit de certains phnomnes commele dveloppement d'un uf en adulte ou le comportementd'un animal. C'est ce contraste que rsume ainsi ClaudeBernard En admettant que les phnomnes vitaux serattachent des manifestations physico-chimiques, ce quiest vrai, la question dans son ensemble n'est pas claircieplpur cela; car ce n'est pas une rencontre fortuite de ph-nqmnes physico-chimiques qui construit chaque tre surun, plan et suivant un dessin fixs et prvus d'avance.Les phnomnes vitaux ont bien leurs conditions physico-chimiques rigoureusement dtermines; mais en mmetemps, ils se subordonnent et se succdent dans un enchat-nement et suivant une loi fixs d'avance ils se rptentternellement, avec ordre, rgularit, constance, et s'har-monisent, en vue d'un rsultat qui est l'organisation etl'accroissement de l'individu, animal ou vgtal. Il y acomme un dessin prtabli de chaque tre et de chaqueorgane, en sorte que si, considr isolment, chaque ph-nomne de l'conomie est tributaire des forces gnralesde la nature, pris dans ses rapports avec les autres, il rvleun lien spcial, il semble dirig par quelque guide invisibledans la route qu'il suit et amen dans la place qu'il occupe1.Il n'y a pas un mot changer aujourd'hui ces lignes.Pas une expression que la biologie moderne ne reprenne son compte. Simplement, avec la description de l'hr-dit comme un programme chiffr dans une squence deradicaux chimiques, la contradiction a disparu.

    Dans un tre vivant, tout est agenc en vue de la repro-duction. Une bactrie, une amibe, une fougre, de queldestin peuvent-elles rver sinon de former deux bactries,deux amibes, plusieurs fougres? Il n'y a d'tres vivantsaujourd'hui sur la terre que dans la mesure o d'autrestres se sont reproduits avec acharnement depuis deux

    1. Leons aur les phnomnes de la vie, 1878, 1. 1,p. 50-51.

  • Le programme

    milliards d'annes ou plus. Qu'on imagine un monde encoresans habitants. On conoit que puissent s'y organiser dessystmes possdant certaines proprits du vivant, commele pouvoir de ragir certains stimulus, d'assimiler, de res-pirer, de crotre mme; mais non de se reproduire. Va-t-onqualifier de vivants de tels systmes? Chacun d'eux repr-sente le fruit d'une longue et pnible laboration. Chaquenaissance constitue un vnement unique, sans lendemain.Chaque fois, c'est un recommencement. Toujours lamerci de quelque cataclysme local, de telles organisationsne peuvent avoir d'existence qu'phmre. En outre, leurstructure se trouve d'emble rigidement fixe, sans possi-bilit de changement. merge-t-il, au contraire, un sys-tme capable de se reproduire, mme mal, mme lente-ment, mme au prix fort, celui-l sans aucun doute estvivant. Il va se rpandre l o les conditions le lui per-mettent. Plus il se dissmine, plus il se trouve l'abri dequelque catastrophe. Une fois acheve la longue prioded'incubation, cette organisation se perptue par la rp-tition d'vnements identiques. Le premier pas est faitune fois pour toutes. Mais, pour un tel systme, la repro-duction qui constitue la cause mme de l'existence devientaussi la fin. Il est condamn se reproduire ou dispa-ratre. Et l'on sait des tres qui se sont succd, immuablespendant un nombre norme de gnrations. On connat-des plantes annuelles chez qui rien n'a chang pendantdes millions d'annes, donc travers au moins autant decycles successifs. La Limule des plages est reste identique ce que montrent les fossiles du secondaire. C'est dire quependant tout ce temps le programme n'a pas vari, quechaque gnration a ponctuellement jou son rle quiconsistait reproduire exactement le programme pour lagnration suivante.

    Mais si, de surcrot, survient dans le systme un vne-ment qui se trouve amliorerle programme et faciliter,d'une manire ou d'une autre, la reproduction de certainsdescendants, ceux-ci tout naturellement hritent le pou-voir de se multiplier mieux. La finalit du programmetransforme ainsi certains changements de programme enfacteurs d'adaptation. Car la variabilit est une qualitinhrente la nature mme du vivant, la structure duprogramme, la manire dont il est recopi chaque gn-ration. Les modifications du programme surviennent l'aveugle. C'est aprs coup seulement qu'intervient untriage par le fait mme que tout organisme qui apparat

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  • La logique du vivant

    est aussitt mis l'preuve de la reproduction. La fameuse lutte pour la vie ne reprsente en fin de compte qu'unconcours pour la descendance. Concours sans fin car ilrecommence chaque gnration. Dans cette comptitionternelle, il n'y a jamais qu'un seul critre, la fcondit.L'emportent automatiquement les plus prolifiques tra-vers une partie subtile entre les populations et leur milieu.A force de tirer toujours vers ceux qui ont le plus de des-cendants, la reproduction finit par faire driver les popu-lations dans des voies bien prcises. La slection naturellen'exprime que la rgulation impose la multiplicationdes organismes par ce qui les entoure. Si le monde vivantvolue l'encontre du monde inanim, s'il se dirige nonpas vers le dsordre, mais vers un ordre croissant, c'estgrce cette exigence impose aux tres vivants de sereproduire toujours plus, toujours mieux. Par la ncessitde la reproduction, cela mme qui conduirait immanqua-blement un systme inerte la dsagrgation devient,chez le vivant, source de nouveaut et de diversit.

    La notion de programme permet d'tablir une distinc-tion nette entre les deux domaines d'ordre que tente d'ins-taurer la biologie dans le monde vivant. Contrairement ce qu'on imagine souvent, la biologie n'est pas une scienceunifie. L'htrognit des objets, la divergence des int-rts, la varit des techniques, tout cela concourt multi-plier les disciplines. Aux extrmits de l'ventail, on dis-tingue deux grandes tendances, deux attitudes qui finissentpar s'opposer radicalement. La premire de ces attitudespeut tre qualifie d'intgriste ou d'volutionniste. Pourelle, non seulement l'organisme n'est pas dissociable enses constituants, mais il y a souvent intrt le regardercomme l'lment d'un systme d'ordre suprieur, groupe,espce, population, famille cologique. Cette biologie s'in-tresse aux collectivits, aux comportements, aux relationsque les organismes entretiennent entre eux ou avec leurmilieu. Elle cherche dans les fossiles la trace de l'mergencedes formes qui vivent actuellement. Impressionne parl'incroyable diversit des tres, elle analyse la structuredu monde vivant, cherche la cause des caractres existants,dcrit le mcanisme des adaptations. Son but, c'est deprciser les forces et les chemins qui ont conduit les sys-tmes vivants la faune et la flore d'aujourd'hui. Pourle biologiste intgriste, l'organe et la fonction n'ont d'in-trt qu'au sein d'un tout constitu, non pas seulementpar l'organisme, mais par l'espce avec son cortge de

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  • Le programme

    sexualit, de proies, d'ennemis, de communication, de rites.Le biologiste intgriste refuse de considrer que loules lesproprits d'un tre vivant, son comportement, ses per-formances peuvent s'expliquer par ses seules structuresmolculaires. Pour lui, la biologie ne peut se rduire laphysique et la chimie. Non qu'il veuille invoquer l'in-connaissable d'une force vitale. Mais parce que, tousles niveaux, l'intgration donne aux systmes des propri-ts que n'ont pas leurs lments. Le tout n'est pas seule-ment la somme des parties.

    A l'autre ple de la biologie se manifeste l'attitude oppo-se qu'on peut appeler tomiste ou rductionniste. Pourelle, l'organisme est bien un tout, mais qu'il faut expliquerpar les seules proprits des parties. Elle s'intresse l'organe, aux tissus, la cellule, aux molcules. La biologietomiste cherche rendre compte des fonctions par lesseules structures. Sensible l'unit de composition et defonctionnement qu'elle observe derrire la diversit destres vivants, elle voit dans les performances de l'orga-nisme l'expression de ses ractions chimiques. Pour le bio-logiste tomiste, il s'agit d'isoler les constituants d'un trevivant et de trouver les conditions qui lui permettent deles tudier dans un tube essai. En variant ces conditions,en rptant les expriences, en prcisant chaque paramtre,ce biologiste tente de matriser le systme et d'en liminerles variables. Son espoir, c'est de dcomposer la complexitaussi loin que possible pour analyser les lments avecl'idal de puret et de certitude que reprsentent les exp-riences de la physique et de la chimie. Pour lui, il n'estaucun caractre de l'organisme qui ne puisse, en fin decompte, tre dcrit en termes de molcules et de leursinteractions. Certes, il n'est pas question de nier les phno-mnes d'intgration et d'mergence. Sans aucun doute, letout peut avoir des proprits dont sont dpourvus lesconstituants. Mais ces proprits rsultent de la structuremme de ces constituants et de leur agencement.

    On voit combien diffrent ces deux attitudes. Entre lesdeux, il n'y a pas seulement une diffrence de mthodeet d'objectif, mais aussi de langage, de schmas concep-tuels et par l mme d'explications causales dont est justi-fiable le monde vivant. L'une s'occupe des causes lointainesqui font intervenir l'histoire de la terre et des tres vivantspendant des millions de gnrations. L'autre, au contraire,des causes immdiates qui mettent en jeu les constituantsde } 'organisme, son fonctionnement, les ractions ce qui

  • La logique du vivant

    l'entoure. Bien des controverses et des malentendus, surla finalit des tres vivants notamment, sont dus uneconfusion entre ces deux attitudes de la biologie. Chacuned'elles vise instaurer un ordre dans le monde vivant.Pour l'une, il s'agit de l'ordre par quoi se lient les tres,s'tablissent les filiations, se dessinent les spciations. Pourl'autre, de l'ordre entre les structures par quoi se dter-minent les fonctions, se coordonnent les activits, s'intgrel'organisme. La premire considre les tres vivants commeles lments d'un vaste systme qui englobe toute la terre.La seconde s'intresse au systme que forme chaque trevivant. L'une cherche tablir un ordre parmi les orga-nismes. L'autre au sein de l'organisme. Les deux ordresviennent s'articuler au niveau de l'hrdit qui constitue,pour ainsi dire, l'ordre de l'ordre biologique. Si les espcessont stables, c'est que le programme est scrupuleusementrecopi, signe par signe, d'une gnration l'autre. Sielles varient, c'est que de temps autre le programme semodifie. D'un ct, il s'agit donc d'analyser la structuredu programme, sa logique, son excution. De l'autre, ilimporte de rechercher l'histoire des programmes, leurdrive, les lois qui rgissent leurs changements traversles gnrations en fonction des systmes cologiques. Maisdans tous les cas, c'est la finalit de la reproduction quijustifie aussi bien la structure des systmes vivant actuel-lement que leur histoire. Le moindre organisme, la moindrecellule, la moindre molcule de protine est le rsultatd'une exprimentation qui s'est poursuivie sans relchependant deux milliards d'annes. Quelle signification pour-rait bien avoir un mcanisme rglant la production d'unmtabolite par une cellule, sinon une conomie de synthseet d'nergie? Ou l'effet d'une hormone sur le comportementd'un poisson, sinon de lui faire protger sa descendance?C'est des fins prcises qu'une molcule d'hmoglobinechange de conformation suivant la tension d'oxygne;qu'une cellule de la surrnale produit de la cortisone; quel'il de la grenouille repre les formes bougeant devantlui; que la souris fuit devant le chat; qu'un oiseau mlese pavane devant sa femelle. Dans tous les cas, il s'agitd'une proprit qui confre l'organisme un avantagedans la comptition pour la descendance. Ajuster unerponse au milieu, un ennemi en puissance, un ventuelpartenaire sexuel, c'est trs exactement s'adapter. Dansla slection naturelle, un programme gntique qui imposel'automatisme de telles ractions est assur de l'emporter

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  • Le programme

    sur celui qui ne les possde pas. Comme est assur del'emporter un programme permettant l'apprentissage etl'adaptation du comportement par divers systmes dergulation. Dans tous les cas, c'est la reproduction quifonctionne comme oprateur principal du monde vivant.D'une part, elle constitue un but pour chaque organisme.De l'autre, elle oriente l'histoire sans but des organismes.Longtemps le biologiste s'est trouv devant la tlologiecomme auprs d'une femme dont il ne peut se passer,mais en compagnie de qui il ne veut pas tre vu en public.A cette liaison cache, le concept de programme donnemaintenant un statut lgal.

    La biologie moderne a l'ambition d'interprter les pro-prits de l'organisme par la structure des molcules quile constituent. En ce sens, elle correspond un nouvelge du mcanisme. Le programme reprsente un modleemprunt aux calculatrices lectroniques. Il assimile1 lematriel gntique d'un uf la bande magntique d'unordinateur. Il voque une srie d'oprations effectuer,la rigidit de leur succession dans le temps, le dessein quiles sous-tend. En fait, les deux sortes de programmesdiffrent bien des gards. D'abord par leurs proprits.L'un se modifie volont, l'autre non dans un programmemagntique, l'information s'ajoute ou s'efface en fonctiondes rsultats obtenus; la structure nuclique au contrairen'est pas accessible l'exprience acquise et reste inva-riante travers les gnrations. Les deux programmesdiffrent aussi par leur rle et par les relations qu'ils entre-tiennent avec les organes d'excution. Les instructions dela machine ne portent pas sur ses structures physiques ousur les pices qui la composent. Celles de l'organisme, aucontraire, dterminent la production de ses propres consti-tuants, c'est--dire des organes chargs d'excuter le pro-gramme. Mme si l'on construisait une machine capablede se reproduire, elle ne formerait que des copies de cequ'elle est elle-mme au moment de les produire. Toutemachine s'use la longue. Peu peu les filles deviendraientncessairement un peu moins parfaites que les mres. Enquelques gnrations, le systme driverait chaque foisun peu plus vers le dsordre statistique. La ligne seraitvoue la mort. Reproduire un tre vivant, au contraire,ce n'est pas recopier le parent tel qu'il est au moment dela procration. C'est crer un nouvel tre. C'est mettre enroute, partir d'un tat initial, une srie d'vnementsqui conduisent l'tat des parents. Chaque gnration

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  • La logique du vivant

    repart, non de zro, mais du minimum vital, c'est--direde la cellule. Dans le programme sont contenues les op-rations qui parcourent chaque fois le cycle tout entier,conduisent chaque individu de la jeunesse la mort. Enoutre, tout n'est pas fix avec rigidit par le programmegntique. Bien souvent, celui-ci ne fait qu'tablir deslimites l'action du milieu, ou mme donner l'organismela capacit de ragir, le pouvoir d'acqurir un supplmentd'information non inne. Des phnomnes tels que la rg-nration ou les modifications induites par le milieu chezl'individu montrent bien une certaine souplesse dans l'ex-pression du programme. A mesure que se compliquent lesorganismes et que s'accrot l'importance de leur systmenerveux, les instructions gntiques leur confrent despotentialits nouvelles, comme la capacit de se souvenirou d'apprendre. Mais le programme intervient jusque dansces phnomnes. Il se manifeste dans l'apprentissage, parexemple, pour dterminer ce qui peut tre appris et quanddoit avoir lieu l'apprentissage au cours de la vie. Ou dansla mmoire, pour limiter la nature des souvenirs, leurnombre, leur dure. La rigidit du programme varie doncselon les oprations. Certaines instructions sont excutes la lettre. D'autres se traduisent par des capacits ou despotentialits. Mais en fin de compte, c'est le programmelui-mme qui fixe son degr de souplesse et la gamme desvariations possibles.

    Il est question ici d'hrdit et de reproduction. Il estquestion des transformations qui ont progressivementmodifi la manire de considrer la nature des tres vivants,leur structure, leur permanence au fil des gnrations. Pourun biologiste, il y a deux faons d'envisager l'histoire desa science. On peut tout d'abord y voir la succession desides et leur gnalogie. On cherche alors le fil qui a guidla pense jusqu'aux thories en fonction aujourd'hui. Cettehistoire se fait pour ainsi dire rebours, par extrapolationdu prsent vers le pass. De proche en proche, on choisitla devancire de l'hypothse en cours, puis la devancirede la devancire et ainsi de suite. Dans cette manire defaire, les ides acquirent une indpendance. Elles secomportent un peu comme des tres vivants. Elles naissent,elles engendrent, elles meurent. Ayant valeur d'explica-tion, elles ont pouvoir d'infection et d'invasion. Il y aalors une volution des ides soumise, tantt une slec-

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  • Le programme

    tion naturelle qui se fonde sur un critre d'interprtationthorique, donc de rutilisation pratique, tantt la seuletlologie de la raison. Selon cette faon de voir, la gn-ration spontane, par exemple, commence s'estomperavec les expriences de Francisco Redi. Elle perd encoredu terrain avec celles de Spallanzani. Elle disparat dfi-nitivement avec celles de Pasteur. Mais on ne comprendpas alors pourquoi il faut attendre que Pasteur rpte,mme en les perfectionnant, les travaux de Spallanzanipour en tirer les mmes conclusions. Ni pourquoi Needhamfait exactement la mme chose que Spallanzani, trouvedes rsultats inverses, en tire des conclusions opposes.De mme avec la thorie de l'volution. On peut voirdans Lamarck le prcurseur de Darwin, dans Buffon celuide Lamarck, dans Benot de Maillet celui de Buffon etainsi de suite. Mais on se demande alors pourquoi au dbutdu xixe sicle, ceux mmes qui, comme Goethe, ErasmeDarwin ou Geoffroy Saint-Hilaire guettaient les argumentsen faveur du transformisme ngligent peu prs totale-ment les ides de Lamarck.

    Il y a une autre manire d'envisager l'histoire de labiologie. C'est de rechercher comment les objets sont deve-nus accessibles l'analyse, permettant ainsi de nouveauxdomaines de se constituer en sciences. Il s'agit alors deprciser la nature de ces objets, l'attitude de ceux qui lestudient, leur manire d'observer, les obstacles que dressedevant eux leur culture. L'importance d'un concept semesure sa valeur opratoire, au rle qu'il joue pourdiriger l'observation et l'exprience. Il n'y a plus alorsune filiation plus ou moins linaire d'ides qui s'engendrentl'une l'autre. Il y a un domaine que la pense s'efforced'explorer; o elle cherche instaurer un ordre; o elletente de constituer un monde de relations abstraites enaccord, non seulement avec les observations et les tech-niques, mais aussi avec les pratiques, les valeurs, les inter-prtations en vigueur. Les ides jadis rpudies prennentsouvent autant d'importance que celles o cherche sereconnatre la science d'aujourd'hui et les obstacles autantque les chemins ouverts. La connaissance fonctionne ici deux niveaux. Chaque poque se caractrise par le champdu possible que dfinissent, non seulement les thories oules croyances en cours, mais la nature mme des objetsaccessibles l'analyse, l'quipement pour les tudier, lafaon de les observer et d'en parler. C'est seulement l'intrieur de cette zone que peut voluer la logique. C'est

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  • La logique du vivanl

    dans les limites ainsi fixes que manuvrent les ides,qu'elles s'essaient, qu'elles s'opposent. Parmi tous les non-cs possibles, il s'agit alors de choisir celui qui intgre auplus prs les rsultats de l'analyse. L intervient l'individu.Mais dans cette discussion sans fin entre ce qui est et cequi peut tre, dans la recherche d'une fissure par quoi servle une autre forme de possible, la marge laisse l'in-dividu reste parfois fort troite. Et l'importance de cedernier dcrot d'autant plus qu'augmente le nombre deceux qui pratiquent la science. Bien souvent, si une obser-vation n'est pas faite ici aujourd'hui, elle le sera l demain.On se demandera longtemps ce que serait devenue la pen-se scientifique si Newton avait t cueilleur de pommes,Darwin capitaine au long cours et Einstein ce. plombierqu'il disait lui-mme regretter de n'avoir pas t. Au pis,il y aurait probablement eu quelques annes de retardpour la gravitation ou la relativit. Pas mme cela pourl'volution qu'nonait Wallace en mme temps que Dar-win. Quand une attitude se manifeste trop tt, commecelle de Mendel, personne n'en tient compte. Quand elledevient possible pour le petit nombre des spcialistes,alors on la retrouve en plusieurs endroits la fois. Mais,en revanche, une fois acceptes, les thories de la sciencecontribuent plus que les autres rorganiser le domainedu possible, modifier la manire de considrer les choses, faire apparatre des relations ou des objets nouveaux;bref, changer l'ordre en vigueur.

    Cette faon d'envisager l'volution d'une science commela biologie diffre profondment de la prcdente. Il nes'agit plus de retrouver la voie royale des ides; de retra-cer la dmarche assure d'un progrs vers ce qui apparatmaintenant comme la solution; d'utiliser les valeurs ration-nelles en cours aujourd'hui pour interprter le pass et ychercher la prfiguration du prsent. Il est question aucontraire de reprer les tapes du savoir, d'en prciser lestransformations, de dceler les conditions qui permettentaux objets et aux interprtations d'entrer dans le champdu possible. L'limination de la gnration spontane n'estplus alors une opration presque linaire qui conduit deRedi Pasteur en passant par Spallanzani. Darwin n'estplus simplement le fils de Lamarck et le petit-fils de Buffon.La disparition de la gnration spontane et l'apparitiond'une thorie de l'volution deviennent des produits dumilieu du xixe sicle dans son ensemble. Elles font inter-venir le concept de vie et celui d'histoire dans la connais-

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