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La gestion de la fraude dans les organisations Retour critique des acteurs de finance de marché après la crise Emmanuel Laffort 1 Résumé Il y a peu, les fraudes en finance de marché ont occupé le devant de la scène sous l'effet conjugué de la crise financière et des mésaventures de certaines organisations financières. Ces faits sont récents pour nous, observateurs extérieurs, mais peut-être sont- ils déjà anciens et internalisés pour les professionnels des marchés financiers. Cette recherche, basée sur des entretiens avec des acteurs professionnels du domaine, gérants, contrôleurs et intermédiaires, explore les changements imputables à la crise et à la fraude et retranscrit le ressenti de ces acteurs concernant leur environnement de travail. Elle contribue à la compréhension du phénomène et permet de savoir dans quelle mesure ces changements sont le signe d'une évolution profonde de la profession ou d'un mouvement classique et limité de réaction face à une crise. En d'autres termes, les marchés financiers ont-ils fondamentalement changé ou des crises de cette importance et pour les mêmes motifs sont-elles toujours à craindre ? Les moyens mis en œuvre pour combattre la fraude correspondent-ils à un mouvement sincère susceptible d’avoir un impact profond sur l’industrie de la gestion financière ou s’agit-il d’opérations a minima, destinées à couvrir les aspects réglementaires et dont la visée principale — outre les aspects légaux — est de rassurer clients et prospects ? En posant ces questions, cette recherche a pour objet de capturer le sentiment de professionnels des marchés financiers concernant l’efficacité des mesures prises, de confronter leurs positions et d’alerter les parties prenantes au cas où il semblerait, ainsi qu’ils le suggèrent, que ces mesures, comme lors des précédentes crises, soient de peu de secours pour un futur apaisé. Notre enquête suggère une perception partagée par la profession de l’inefficacité des mesures prises. Cet avis d’experts doit alerter les institutions afin de les sensibiliser à ce qui pourrait être un véritable manque de maîtrise des phénomènes en jeu. Enfin, nous proposons et discutons certaines pistes d’améliorations proposées par ces professionnels. Mots clés : Finance de marché, Fraude, Risque opérationnel, Crise Remerciements : Cette recherche n’aurait pu se faire sans la participation active de professionnels de la finance de marché. La conservation de leur anonymat a garanti une liberté de ton et d’échange d’information riche d’enseignements. Qu’ils soient très chaleureusement remerciés pour leur implication. 1 Consultant, Chercheur associé au Centre de Recherches en Gestion de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. emmanuel.laffort [@] univ-pau.fr

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La gestion de la fraude dans les organisations Retour critique des acteurs de finance de marché après la crise

Emmanuel Laffort1

Résumé Il y a peu, les fraudes en finance de marché ont occupé le devant de la scène sous l'effet conjugué de la crise financière et des mésaventures de certaines organisations financières. Ces faits sont récents pour nous, observateurs extérieurs, mais peut-être sont-ils déjà anciens et internalisés pour les professionnels des marchés financiers. Cette recherche, basée sur des entretiens avec des acteurs professionnels du domaine, gérants, contrôleurs et intermédiaires, explore les changements imputables à la crise et à la fraude et retranscrit le ressenti de ces acteurs concernant leur environnement de travail. Elle contribue à la compréhension du phénomène et permet de savoir dans quelle mesure ces changements sont le signe d'une évolution profonde de la profession ou d'un mouvement classique et limité de réaction face à une crise. En d'autres termes, les marchés financiers ont-ils fondamentalement changé ou des crises de cette importance et pour les mêmes motifs sont-elles toujours à craindre ? Les moyens mis en œuvre pour combattre la fraude correspondent-ils à un mouvement sincère susceptible d’avoir un impact profond sur l’industrie de la gestion financière ou s’agit-il d’opérations a minima, destinées à couvrir les aspects réglementaires et dont la visée principale — outre les aspects légaux — est de rassurer clients et prospects ? En posant ces questions, cette recherche a pour objet de capturer le sentiment de professionnels des marchés financiers concernant l’efficacité des mesures prises, de confronter leurs positions et d’alerter les parties prenantes au cas où il semblerait, ainsi qu’ils le suggèrent, que ces mesures, comme lors des précédentes crises, soient de peu de secours pour un futur apaisé. Notre enquête suggère une perception partagée par la profession de l’inefficacité des mesures prises. Cet avis d’experts doit alerter les institutions afin de les sensibiliser à ce qui pourrait être un véritable manque de maîtrise des phénomènes en jeu. Enfin, nous proposons et discutons certaines pistes d’améliorations proposées par ces professionnels. Mots clés : Finance de marché, Fraude, Risque opérationnel, Crise

Remerciements : Cette recherche n’aurait pu se faire sans la participation active de professionnels de la finance de marché. La conservation de leur anonymat a garanti une liberté de ton et d’échange d’information riche d’enseignements. Qu’ils soient très chaleureusement remerciés pour leur implication.

1 Consultant, Chercheur associé au Centre de Recherches en Gestion de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. emmanuel.laffort [@] univ-pau.fr

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Introduction La fraude est une affaire grave qui nécessite d’être combattue avec la plus grande fermeté. Pour insister sur ce point, le gouverneur en second de la Banque Centrale d’Inde, Rama Gandhi (2015) commença une conférence sur la fraude en Inde en citant Frederick William Robertson : « There are three things in the world that deserve no mercy – hypocrisy, fraud, and tyranny2 ». Pourtant, les fraudes en finance de marché occupent régulièrement le devant de la scène, aujourd’hui, sous l'effet conjugué de la crise financière et des mésaventures de certaines organisations financières comme Société Générale/Jérôme Kerviel (2008, €4.9 milliards), CNCE/Boris Picano-Nacci (2008, €750 millions), Goldman Sachs/Fabrice Tourre et Morgan Stanley/Howie Hubler qui ont profité malhonnêtement du marché opaque des CDO avant la crise de 2007/2008, de nombreuses grandes banques mondiales dans ce qui est devenu le Liborgate (2005 à 2009, portant sur €350.000 milliards), UBS/Kweku Adoboli (2011, $2.3 milliards), JP Morgan/Bruno Iksil (2012, €5.6 milliards)… Le danger que font porter les fraudes sur l’économie n’est plus un objet de débat à tel point que les régulateurs infligent une double peine aux organisations négligentes. Non seulement ces dernières font les frais de la fraude, mais elles sont également soumises à des amendes substantielles lorsqu’il est manifeste qu’elles n’ont pas mis en œuvre les moyens nécessaires pour mesurer et réduire ce risque. Le département de la justice des États-Unis réclame $14 milliards à Deutsche Bank3 qui viennent s’ajouter aux amendes (payées) par Morgan Stanley ($2.6 milliards), JP Morgan ($13 milliards) et Bank of America ($16.6 milliards) (Poullennec, 2015). En France, l’AMF a condamné Société Générale à payer €2.5 millions (Lambert, 2012). Il est d’ailleurs très instructif de lire les documents émanant de la Commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution. On y voit dans le détail que le manquement aux obligations de moyens est sévèrement réprimé (ACPR, 2011). Selon une étude récente de Longitude Research (2016), 19% des banques interrogées ont fait l’objet d’une amende et cette amende a dépassé le milliard d’euros pour 20% d’entre elles. Certains vont même plus loin, comme la Banque Centrale américaine (la Federal Reserve ou plus communément Fed) qui conduit annuellement des tests quantitatifs et qualitatifs sur les principales banques présentes sur le sol américain. Si les résultats de ces tests sont négatifs, la Fed peut soumettre la distribution de dividendes à accord préalable et peut aller jusqu’à interdire aux banques défaillantes d’exercer (Federal Reserve, 2016). Pour la Fed, les aspects qualitatifs sont prégnants, les procédures sont évaluées à la loupe et peuvent même faire échouer les tests de robustesse, quand bien même les tests quantitatifs s’avèrent très robustes (ibid.). Il semble que ce chemin pris par les autorités américaines n’ait pas été aussi clairement emprunté par ses homologues européens qui proposent au contraire des calculateurs, quantitatifs, impuissants à rendre compte de la robustesse ou non des processus (BCBS, 2016a ; 2016b ; 2016c). L’ACFE (2016) (Association of Certified Fraud Examiners4), dans son rapport de 2016 relevait que, selon les agents antifraude agrées, la fraude en entreprise coûte en moyenne et par année 5% des revenus annuels des entreprises. Selon Carassus et Cormier (2003) la 2 « Il y a trois choses au monde qui ne méritent aucune pitié — l’hypocrisie, la fraude et la tyrannie », notre traduction 3 Ce montant sera très probablement revu fortement à la baisse puisqu’il s’agit d’un chiffre brut, avant négociations… 4 Association qui délivre un diplôme reconnu d’agent anti-fraude

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chambre de commerce américaine estime le coût pour l’économie américaine à $100 milliards par an. Le coût de la fraude au Royaume-Uni est estimé annuellement à £14 milliards, soit £230 par habitant (Wright, 2007). Pour rapporter ce chiffre à un autre, explicite au lectorat français, c’est 30% de plus que le trou annuel de la Sécurité Sociale en France. On comprend alors que la fraude soit considérée comme un mal à combattre avec la plus grande détermination… Ces chiffres donnent à réfléchir, et s’ils ne concernent pas que le secteur de la finance de marché, la mise en perspective est tout autant étourdissante. Selon la Fédération Mondiale des Bourses5, sur l’année 2015 il y a eu près de 18 000 milliards d’équivalents dollars d’échanges sur les marchés obligataires et 114 000 milliards d’équivalents dollars échangés sur les marchés actions. Les encours mondiaux sous gestion (c’est-à-dire la somme des montants confiés à des gérants) représentent 70 000 milliards d’équivalents dollars, autant que l’ensemble des capitalisations des bourses mondiales6 et une projection l’estime à 100 000 milliards d’ici 2020 (PwC, 2014). Pour rapporter ces montants à des éléments connus, le PIB de la Chine est proche de 9 000 milliards de dollars, celui de la France de 2 000… C’est donc peu dire que les sommes brassées sont colossales et on comprend que les montants détournés par la fraude puissent atteindre des sommets. Tout ceci vaut bien un chapitre… Nous subissons des crises financières qui impactent notre quotidien. Chacune s’accompagne d’un cortège de mesures visant sinon à en supprimer les causes du moins à les réduire. Or, selon nombre d’auteurs (par exemple, Akerlof et Shiller, 2013 ; Barberis et Thaler, 2003 ; Galbraith, 1993 ; Kahneman, 2013 ; Kindleberger et Aliber, 2005 ; Lacoste, 2009 ; Taleb, 2012), il y a toutes les chances pour que, une fois la crise passée, les rapports redeviennent ceux qu’ils étaient auparavant. Ils relèvent avec une belle unanimité que « les marchés n’ont pas de mémoire » et donc qu’on oublie — de plus en plus vite d’ailleurs, car les crises sont de plus en plus rapprochées — les moments de crises pour se jeter dans le moment présent. L’objet de ce travail est de collecter l’avis des professionnels des marchés financiers sur les mesures actuelles pour combattre le risque de fraude. Son originalité tient au fait que la parole leur est donnée et qu’ils ont l’opportunité de commenter leur activité plutôt que de laisser ce soin à des tiers, aussi avertis soient-ils. Ces experts suggèrent que les mesures prises n’ont pas changé en profondeur le fonctionnement des marchés financiers et que les déviances à l’œuvre dans la formation des crises financières ont toutes les chances de se reproduire. Ce chapitre doit donc interpeller les institutions — régulateurs, normalisateurs et autres agents économiques — et les sensibiliser à ce qui pourrait être un véritable manque de maîtrise et de compréhension des phénomènes en jeu. Après avoir présenté la méthodologie utilisée, ce chapitre poursuit en explorant les grands thèmes relevés par les professionnels interviewés que nous commentons pour les rapprocher de l’actualité ou des travaux académiques. Ils sont présentés du plus général au plus spécifique et portent respectivement sur a) leur appréhension du risque opérationnel, a) leur acception de la notion de fraude et c) leur point de vue critique sur les moyens de lutte contre la fraude. Nous proposons une synthèse et une discussion de ces quatre points dans la partie suivante partie dont nous tirons des conclusions saillantes.

1 Méthodologie

La question du comportement des marchés financiers est très largement débattue par des

5 World Federation of Exchanges, http://www.world-exchanges.org/ 6 Qui, selon la même source, a varié selon les mois de 2015 de 64 à 75 000 milliards d’équivalents dollars

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chercheurs de différents horizons — économistes, sociologues, psychologues, mathématiciens, journalistes… — qui, lorsqu’ils s’emparent du sujet de la crise mettent souvent en cause les opérateurs eux-mêmes. Même si certains travaux questionnent le rôle des institutions (en particulier les auteurs cités en introduction) il nous a semblé nécessaire de laisser les opérateurs eux-mêmes évoquer leur métier. Ayant été gérant de portefeuilles, nous disposons d’un accès privilégié à ces professionnels et c’est une grande originalité de ce travail puisque nous avons pu les interroger sur leurs perceptions des changements institutionnels et organisationnels imputables aux mesures prises pour se prémunir des risques opérationnels et particulièrement du risque de fraude. Cette approche, qualitative, repose donc sur la compréhension des phénomènes de fraude en finance de marché et la perception de leurs effets par les individus sélectionnés. Nous analysons ensuite ces perceptions en les confrontant à des travaux académiques. Ce chapitre a ensuite été relu par chacun des experts afin qu’ils puissent vérifier que rien de ce qui a été écrit ne travestissait ou n’instrumentalisait leur pensée. Notre recherche s’est en priorité adressée à des opérateurs des marchés financiers ayant une expérience professionnelle forte et diversifiée leur permettant de jeter un regard critique sur ces sujets. Nous avons procédé par enquêtes auprès des personnes interviewées en leur proposant de porter un regard critique sur certains points, livrés à titre indicatif. Les réponses ont fait l’objet d’allers et de retours nourris qui ont permis à chacun de s’exprimer avec liberté et sincérité. Nous avons sollicité un responsable de gestion pour compte de tiers, un gérant pour compte de tiers et un intermédiaire7. Le métier de gérant pour compte de tiers ou d’asset-manager consiste à gérer pour autrui un portefeuille d’actifs en tentant d’en obtenir la meilleure performance possible sans prendre plus de risque que ce qui est attribué au portefeuille. Un gérant travaille pour une société de gestion. Le métier d’intermédiaire (ou de courtier) ou broker consiste à mettre en relation deux individus aux intérêts antagonistes, l’un par exemple vendeur d’un titre, l’autre souhaitant l’acheter. Un intermédiaire travaille pour une société d’intermédiation. Le modèle économique d’une société de gestion est basé sur l’argent qui lui est confié (les encours gérés) puisque les portefeuilles prélèvent aux clients des frais de gestion (en général) exprimés en pourcentage des encours gérés. Le modèle économique d’une société d’intermédiation est basé sur la transaction, puisque, pour prix de son service, elle va se rémunérer sur la différence entre le prix auquel elle va acheter le titre et celui auquel elle va le revendre. Pour résumer et toutes choses égales par ailleurs, une société de gestion va chercher à augmenter ses encours et une société d’intermédiation va chercher à multiplier ses clients pour augmenter ses transactions. La matière fournie par ces professionnels excédait largement le format de ce chapitre, il en conserve néanmoins l’essence sans en travestir les idées. Chacun a pu relire ce travail et faire part de ses critiques qui ont été prises en compte.

2 Le risque opérationnel : un risque à gérer comme les autres ? Les économistes différencient risque, incertitude et danger, même si des courants de pensée bien différents en proposent des acceptions qui peuvent parfois s’opposer ou se confondre. Selon Moureau et Rivaud-Danset (2004, p. 102), la fraude fait bien partie des dangers au sens que donnent les économistes : « L’économiste réserve le qualificatif de risque à l’ensemble des aléas avérés et prévisibles. L’autre ensemble regroupe les dangers purement hypothétiques dont l'occurrence et l'amplitude sont indéterminées scientifiquement ». Cette position est partagée par « Interviewé 1 » pour lequel :

7 cf. leur CV simplifié en annexe.

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On peut associer deux composantes à la notion de « risque » : le danger et l’incertitude. Si la seconde ne produit pas toujours des effets négatifs (elle n’est que le reflet de l’absence de connaissance du futur), c’est bien la composante « danger », que l’asset-manager cherchera à éliminer. […] Parmi l’ensemble des risques opérationnels du métier de gérant pour compte de tiers, la fraude est pour moi celui pour lequel le curseur “danger” est le plus élevé.

On peut également comprendre la notion de « danger » soulevée par « Interviewé 1 » comme le propose l’approche macro sociologique de Luhmann (2005) qui distingue le risque du danger par le fait que le risque renvoie aux conséquences possibles de sa propre action alors que le danger renvoie aux conséquences d’une action dont nous sommes étrangers. Ainsi, en osant cette double lecture, « Interviewé 1 » considère que la fraude fait porter un danger sur autrui (et sur le système par-delà autrui) et que ce danger est d’autant plus inquiétant qu’il est indéterminé. Le gérant gère « son » risque, le risque qu’il prend et en retour duquel il attend une performance, mais n’a pas conscience de pouvoir agir contre le risque de fraude.

2.1 La gestion pour compte de tiers : l’art de la gestion du risque L’industrie de la finance de marché est soumise à un ensemble de risques bien identifiés, l’AMF en dénombre quatre dans son règlement général (Livre III, art. 313-53-3 AMF, 2016), le risque de marché, le risque opérationnel, le risque de liquidité et le risque de contrepartie. Les risques de marché et de crédit sont connus des professionnels et ont fait depuis longtemps l’objet de modélisations puisqu’ils constituent la contrepartie d’une espérance de gain et font partie intrinsèque du métier de gérant. Les risques de liquidité ou de contrepartie sont des risques de deuxième ordre, car ils ne portent pas sur l’évolution de l’actif, mais sur les conditions auxquelles l’actif pourra s’échanger. Ils ne sont en général pas contrepartie d’une espérance de gain et se matérialisent avec brutalité — mais pas uniquement — lors de l’éclatement des bulles spéculatives. Jusqu’à récemment, le risque opérationnel a été ignoré et ce n’est qu’à partir de 1998 qu’il a fait l’objet d’une tentative de définition par le Comité de Bâle (BCBS, 1998)… Cependant, et c’est assez iconoclaste pour être souligné, le fait que le risque opérationnel n’est contrepartie d’aucun gain est remis en cause par les gérants du panel. Pour l’un, toutes les compagnies ne sont pas logées à la même enseigne et, si la société de gestion pour compte de tiers est tenue d’indemniser en cas de fraude avérée, il n’en va pas de même pour tous. Pour « Interviewé 3 » en effet,

Une société de gestion n’est pas exposée de la même manière qu’un établissement financier aux risques opérationnels et de fraude. Contrairement à l’établissement financier qui engage ses fonds propres dans les activités de marché et qui subit en conséquence les impacts financiers positifs ou négatifs de tout fait opérationnel, la société de gestion est amenée à indemniser les clients seulement dans le cas de pertes liées à des erreurs manifestes.

« Interviewé 1 » en a une perception différente, pour lui, le fait d’éliminer le risque opérationnel nuirait à la performance :

Ces risques [opérationnels] inhérents à la profession sont indissociables de l’activité. Tout comme vouloir réduire à zéro le risque d’un investissement financier quelconque n’amène aucun rendement, supprimer complètement les risques opérationnels ne fait que rendre illusoire la recherche de performance et donc la rémunération du gérant, de la société d'asset-management.

Il suggère en cela que le professionnel a besoin d’un espace discrétionnaire au sein duquel il peut exercer son activité dans de bonnes conditions tant pour son employeur que pour lui-même. Ceci renvoie au développement de la notion d’ « appropriation »

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suivant les travaux Michel de Certeau (1990) pour lequel cet espace est nécessaire à l’individu pour lui permettre d’inventer des ruses afin de se « [réapproprier] l’espace organisé par les techniques de la production socioculturelle », ce qui permet aussi à l’individu de se constituer en tant que tel (Jouët, 2000), et qui peut déboucher sur des innovations (Akrich, 2006) profitables à l’entreprise (de Vaujany, 2008). Comme les autres risques (de marché, de crédit, de liquidité et de contrepartie) s’il ne faut pas supprimer ce risque, il convient cependant de le connaître pour le maîtriser :

Plutôt que d’éliminer les risques, il est préférable de chercher à les identifier, à les mesurer, les maitriser et tenter d’en réduire les inconvénients le mieux possible.

C’est effectivement ce qu’il convient de faire pour (Taleb, 2013) qui propose une alternative plus radicale. Face à des événements graves, certains, mais imprévisibles (les cygnes noirs), Taleb préconise le recours à la notion d’« antifragilité » en replacement de celle de maîtrise du risque : l’organisation sera plus forte s’il elle se rend capable de faire face à l’inattendu plutôt que de tenter — inévitablement vainement — de le prévoir. L’originalité de la position de « Interviewé 1 » est cependant de considérer les risques opérationnels comme les autres risques et de les gérer comme tels :

Il nous faut en quelque sorte "transgresser" le positionnement défini, sortir de la simple exécution […] Notre métier consiste à chercher la limite de cette "transgression" TOUT EN EN MAÎTRISANT8 les risques [opérationnels].

Selon Babeau et Chanlat (2008), cette transgression est non seulement nécessaire, mais normale au sein des organisations. Il y a cependant un aspect délicat : puisque la limite devient alors subjective, qui va décider du moment où les risques sont trop importants ? Où se situe la frontière avec la fraude ? Peu importe, semble répondre « Interviewé 1 » puisque ces risques doivent être gérés comme les autres, la responsabilité est rendue aux institutions et les opérateurs s’en déchargent.

3 La fraude, une notion multiforme

Rappelons que la fraude nécessite d’être combattue avec la plus grande fermeté, ainsi que le dénonce Frederick William Robertson, mais la combattre est affaire délicate, car elle a un contour flou. Pour Power (2013), la notion de fraude est fuyante et appartient au discours populaire, elle peut être comprise comme « un crime non violent résultant directement ou non en un vol d’actifs au travers d’une large variété de moyens de détournement (p. 526, notre traduction) ». Il se réfère au concept de « dispositif » foucaldien pour montrer que le risque de fraude est issu d’un tel « dispositif » historique qui tire sa source du fait que les auditeurs réussirent à sortir la responsabilité de la détection de la fraude de leur giron pour le reporter dans celui des organisations elles-mêmes. Charge donc aux organisations de s’en prémunir. Saisies de cette nouvelle responsabilité, elles ont créé une fonction de gestionnaire du risque de fraude. Ce glissement a conduit les auditeurs à traiter le risque de fraude plus ou moins comme le risque d’erreur (Power, 2013, p. 534). C’est d’ailleurs tout à fait ainsi que le perçoit « Interviewé 1 », c’est aussi ainsi que le voit le marché, puisque maintenant ce risque de fraude est assurable (Foerster et Voegli, 2016), la compagnie d’assurance Zurich Insurance Group (ZIG) émettant des obligations pour le compte d’une banque dont elle en revend une partie au marché. Cela n’est pas sans rappeler la mécanique à l’œuvre dans la crise des subprimes… Dace à ce flou, « Interviewé 1 », préfère fournir sa définition de la fraude :

Je définis la fraude comme un acte ou une suite d’actes volontaires traduisant une 8 Toutes les citations sont incorporées telles qu’elles ont été écrites. Les accentuations (italiques, gras, majuscules…) sont le fait de leur auteur.

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altération de la réalité avec comme objectif une tromperie.

3.1 La fraude et la norme

À propos de la fraude, « Interviewé 1 » évoque un système qui « contrevient aux règles, aux normes de place ». Bien que règles et normes n’aient pas la même force normative, leur différence n’est pas discriminante pour ce qui est de la conduite des gérants de portefeuilles. C’est une position clairement assumée pour « Interviewé 1 » qui fait référence à plusieurs reprises aux « règles et normes » :

Je mets les 2 dans le même sac, même si je les différencie. Nous, asset-managers français, sommes en effet sous la coupe d'une double lame : nous devons nous conformer aux règles édictées par le législateur (les directives européennes, les différents codes monétaire et financier, du commerce, les règlements AMF9...). Nous devons également adopter les normes que l'association professionnelle nous impose. En effet l'AFG10 a fait adopter par l'AMF comme Normes de Place, ce qui n'était alors que des normes internes à son association. Désormais ces Normes de Place (exemple : les méthodes de calcul des performances) s'imposent à tous, adhérent de L'AFG ou pas ! Pas de méprise sur ce que j'en pense: ces normes apportent de la clarté et de la transparence. On peut en revanche s'étonner du poids impressionnant du catalogue de textes qui régentent notre activité. Pour terminer sur le sujet, l'AFG publie également des recommandations... qui, elles, ne sont ni contraignantes ni opposables.

Or la norme est source d’équivocité et de polémique (Roth, 2016), car elle existe non seulement pour proposer une rectification d’une règle incomplète ou devenue obsolète pouvant ainsi, dans certains cas, contrevenir à cette règle, mais elle peut également rentrer en conflit avec d’autres systèmes de normes. L’environnement du gérant de portefeuilles illustre ce cas de figure : il doit avoir une meilleure performance que ses pairs, grâce à cela, ses portefeuilles seront recommandés par les analystes et il collectera, son encours augmentera. Il satisfera alors aux exigences de son employeur puisque c’est le modèle économique de la société de gestion. D’autre part, pour être meilleur que ses pairs il doit prendre plus de risque qu’eux, plus de risque que ce qui est autorisé explicitement par son employeur. C’est ainsi que les gérants de portefeuilles comprennent qu’il leur est implicitement demandé de prendre plus de risques que ce qui leur est explicitement autorisé (Laffort, 2013)… Pour reprendre la typologie proposée par Roth (2016) cela met en jeu la dimension existentielle des systèmes de normes pour laquelle le travail consiste en une action donnant une cohérence à un ensemble de normes pas forcément juxtaposables. Cette vision de la norme et de la règle est un facteur supplémentaire en faveur de la transgression et Roth rejoint de Certeau : travailler consiste à prendre des libertés avec la norme, c’est aussi ce que reconnaît « Interviewé 1 » lorsqu’il avoue transgresser les contraintes imposées en « [cherchant] les limites de cette “transgression” ». On doit se poser la question du domaine de validité de cette distance d’avec la norme. Il est sans doute plus important si le risque que la transgression fait porter est un « risque d’erreur » (gérable, sans portée systémique, intrinsèque à l’activité, sans danger au sens de Luhmann, etc.), que dans le cas contraire…

3.2 Les différents types de fraudes : une typologie ouverte Il existe bien différents types de fraudes. Le Comité de Bâle (BCBS, 2003) distingue la 9 Autorité des Marchés Financiers, organisme de tutelle de la gestion pour compte de tiers, http://www.amf-france.org 10 Association Française de le Gestion financière, organisation professionnelle de la gestion pour compte de tiers. http://www.afg.asso.fr/index.php/fr

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fraude interne — réalisée par un employé au sein de l’organisation — et la fraude externe — qui touche l’organisation par une malveillance provenant d’éléments situés en dehors de l’organisation. Cascarino (2013) adopte une classification différente et partage les fraudes entre fraudes contre les individus (comme une chaîne de Ponzi) et fraudes contre l’organisation (à l’assurance par exemple). La fraude dont il est question ici est une fraude interne, mais pas particulièrement tournée contre l’organisation puisque l’organisation peut être gagnante (Dillian, 2011). Il semble en revanche nécessaire d’opérer une distinction supplémentaire entre fraude individuelle et fraude collective ainsi que nous y enjoint « Interviewé 1 » :

Dans le domaine de l’asset-management, la fraude peut être individuelle ou collective. La fraude individuelle est la forme la plus simple. Elle ne concerne qu’un individu. Elle est souvent consciente et aboutit très souvent à la découverte suivie de la sanction. Pour la fraude collective et nous entrons ici dans des modes opératoires plus complexes, qui impliquent une chaine d’individus pas forcément conscients d’avoir franchi la ligne rouge. Un système est mis en place qui contrevient aux règles, aux normes de place.

Même quand la fraude est individuelle, la question de la responsabilité de l’employeur est soulevée. En prenant le cas de l’affaire Kerviel, « Interviewé 1 » précise que bien qu’il s’agisse de prime abord d’une fraude individuelle, l’ensemble de la gestion pour compte de tiers a été profondément affecté tant il lui semble évident que Jérôme Kerviel n’est pas seul coupable :

Comment considérer autrement que comme une parodie la condamnation d’un seul individu dans ce qui ne semble être pour un professionnel averti qu’un système frauduleux de prise de risques sous-évalués et de positions volontairement mal valorisées que seule une structure organisée a pu sciemment tolérer, si ce n’est mettre en place ? Il semblerait qu’au-delà du risque de réputation d’une grande banque, le risque de réputation d’une place entière nécessite parfois la présentation d’un bouc émissaire individuel.

« Interviewé 1 » suggère que les institutions mettent en place des fusibles permettant de les dédouaner de toute action instrumentale et de ne plaider coupable que de négligence. Il semble que cette frontière entre fraude individuelle et collective soit de plus en plus fine et certains États, comme le Royaume-Uni sous l’impulsion de Theresa May s’apprêtent à prendre des mesures coercitives contre les employeurs ayant des collaborateurs fraudeurs (Gibb, 2016). Le fait que l’institution prévoirait des boucs-émissaires pour les cas de fraude rejoint également cette position que la fraude n’est jamais vraiment individuelle : le bouc-émissaire est donné comme victime expiatoire et permet de satisfaire la vindicte populaire, évitant ainsi d’approfondir la question. L’accusé sacrifié en commun par la foule est toujours en partie coupable et le mécanisme victimaire peut alors fonctionner. C’est d’ailleurs une des équations de la difficile question de la lutte contre la fraude, car elle s’ajoute à la technicité croissante des produits sous l’impulsion d’experts créatifs (Méric, 2011). Pour « Interviewé 1 »,

[Cette] activité est complexe et requiert la mise en œuvre de compétences très techniques, les processus deviennent si précis qu'il est parfois difficile d'en détecter les éléments déviants de la norme. Dit autrement, le diable se cache dans les détails. Par ailleurs, la finance de marché se prête très facilement à la subtilité, les montages sont complexes, les produits difficilement reproductibles et donc comparables.

La fraude se situe également du côté de la société de gestion pour « Interviewé 3 » qui se demande s’il ne faudrait pas prêter attention aux frais prélevés au client qui peuvent être particulièrement inadaptés selon la situation :

Une situation qui mérite une considération particulière, qui a mon sens s’approche de la situation de fraude, est le ratio taux de frais de gestion que la société de gestion applique au client par rapport au retour estimé sur l’investissement. C’est un sujet d’autant plus

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d’actualité que nous sommes dans un univers de rendements obligataires bas (voire négatifs !).

En effet, un portefeuille constitué par exemple de titres monétaires aura une performance proche de celle du marché monétaire. Or les taux de référence sur ce marché sont aujourd’hui négatifs11 ce qui impliquerait que non seulement le client de la société de gestion aurait une perte en capital sur un produit monétaire (des taux négatifs impliquent que le prêteur paye pour le droit de prêter de l’argent), mais également que cette perte serait accentuée par des frais supplémentaires. Étant donné que la notion de fraude n’est encadrée par aucune définition, cette inquiétude est donc légitime mais, une fois encore déplace la responsabilité de la lutte contre la fraude : les opérationnels ne sont plus concernés et il revient à l’organisation elle-même d’y apporter une réponse.

3.3 La fraude et son contexte L’environnement de la gestion d’actifs évolue sans cesse et ce sont ces évolutions qui rendent possibles les prises de positions « risquées », c’est-à-dire pour lesquelles il y a un risque de perdre de l’argent ou une opportunité d’en gagner selon l’évolution de cours de l’actif acheté ou vendu (c’est le « risque de marché »). Une part du métier de gérant d’actifs consiste donc à déterminer une valeur cible pour un actif donné en fonction d’un certain nombre d’hypothèses. Cette valeur permet de prendre des positions à l’achat ou à la vente sur cet actif selon que sa valorisation (son « cours ») se trouve en dessous ou au-dessus de cette valeur cible. Un enjeu crucial de ce métier est donc la détermination du prix. Or, nous dit « Interviewé 1 », l’environnement actuel rend cette partie très délicate sur les obligations, car les taux sont très bas :

Le niveau très faible, voire négatif, des taux d’intérêt au moment où ces lignes sont écrites [sept. 2016] est bien entendu de nature à rendre plus complexe encore la recherche du prix.

Dans le cas des instruments de gré à gré comme les obligations (pour lesquelles le cours d’échange est la résultante d’une négociation entre l’acheteur et le vendeur), la robustesse de l’accord autour d’un prix tient à plusieurs facteurs dont deux sont déterminants : la transparence des hypothèses et du mode de calcul puisque chacune des deux parties a tous les éléments en main pour les critiquer si nécessaire et trouver un accord et la « liquidité » du marché. Cette liquidité est la propension qu’a le marché à absorber d’importants ordres de vente ou d’achat sans que les prix bougent. Un effet de l’absence de liquidité (l’illiquidité) est particulièrement visible lors de l’éclatement des bulles spéculatives (comme la crise récente des subprimes) puisque tout le monde veut vendre au même moment et personne ne souhaite acheter. Or selon « Interviewé 1 », la situation ressemble à bien des égards à celle qui prévalait avant l’éclatement de la crise des subprimes :

Je fais référence aux CDO à l'époque [2007/2008], mais aussi à une bonne partie des titres de dettes Crédit aujourd'hui. Le marché a été inondé de cash à un point tel que si les “liquidités” [le cash] sont présentes, LA liquidité a disparu. Il est bien difficile parfois de valoriser certains titres autrement que sur des modèles. Et nous savons ce que peuvent donner parfois les modèles...

Les CDO, instruments incriminés lors de la crise des subprimes, étaient valorisés par leurs promoteurs selon des modèles au mieux imparfaits et au pire instrumentalisés (Lewis, 2010).

11 https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-taux-interbancaires.html par exemple sur le marche européen (15 septembre 2016)

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Comme nous l’avons vu, pour « Interviewé 3 » également cet environnement de taux exceptionnellement bas est un problème, mais c’est un point qui concerne la société de gestion qui doit se poser la question du niveau des frais à appliquer à ses clients. « Interviewé 2 » porte un regard plus tranché sur cette question d’environnement. La précarité du métier, nous dit-il, conduit les brokers à chercher à réaliser des gains dès et tant que c’est possible. Les intermédiaires se sentant menacés dans leur emploi tentent avant tout de réaliser les opérations les plus rémunératrices. Ils sont donc toujours tentés par plus d’audace et, pour éviter les inévitables débordements auxquels cela conduirait, cette audace doit être contenue par des règles institutionnelles claires :

[…] je crois que le broker (et ses patrons) agit dans l'instant et n'a pas le souci de “construire” son avenir. La précarité de ce job joue directement sur la mentalité de ceux qui le font et c'est là le drame ! Ne sachant pas de quoi demain sera fait, le broker essaye de prendre le plus possible, tout de suite, comme un enfant le ferait. Et comme à un enfant, il lui faut des limites que le régulateur doit fixer !

Pour les gérants, puisque les taux sont exceptionnellement bas (voire, encore plus exceptionnellement négatifs), l’environnement est exceptionnel. Kahneman (2013) montre comment nous privilégions un système de pensée intuitif, peu coûteux cognitivement (qu’il appelle “system 1”) au détriment d’un système de pensée complexe mobilisant plus de ressources cognitives (“system 2”). Or ce système immédiat et intuitif est trompeur dans des environnements changeants. Ou plus exactement, selon Gary Klein et Kahneman (2013, p. 242-243), l’intuition peut-être fiable sous certaines conditions « si l'environnement est régulier et que le professionnel a la possibilité́ d'apprendre de ces régularités, alors la machine associative reconnaîtra des situations et génèrera rapidement des prédictions valables. On peut croire ses propres intuitions si ces conditions sont remplies (notre traduction) ». Dans le cas contraire, c’est-à-dire « dans un environnement moins régulier, on invoque les heuristiques de jugement. “System 1” est à l'œuvre. La réponse est produite rapidement et peut-être suffisamment plausible pour que “system 2” ne soit pas mobilisé (notre traduction) ». En d’autres termes et même si les raisons qu’ils avancent sont différentes, les gérants reconnaissent que ce nouvel environnement est porteur d’un danger de fraude et c’est corroboré de façon plus générale par les conclusions de Kahneman et Klein, « Interviewé 1 » en fait même un facteur favorisant le risque systémique :

En l’absence de prix de marché clairement affichés, « Compagnie A » travaille à la mise en œuvre d’un processus d’évaluation de ces actifs clair et unique. Pourtant, il me semble nécessaire de souligner combien toute méthodologie de ce type comporte un certain nombre de partis pris, de choix préalables, voire de postulats qu’il est toujours possible de contester. Sur ce sujet, plutôt que de réfuter les choix des sociétés de gestion, l’AMF s’est prononcé sur la persistance dans le temps des méthodes utilisées. Cependant, il ne faut pas exclure le risque qu’un jour l’ensemble des acteurs de la place soit confronté à la caractérisation par le régulateur d’une fraude « industrielle », généralisée. L'ensemble de la place utilise les mêmes modèles, les mêmes méthodes, même si certains sont précurseurs ils sont rapidement rejoints. Or cela se fait parfois, et surtout en ce moment, sans véritable marché, sans confrontation permettant une saine valorisation. Il n'est donc pas exclu que l'on se réveille un jour devant la matérialisation d'un risque systémique ET la caractérisation par le régulateur d'une fraude (généralisée) sur les valorisations.

Une solution qui permettrait d’avoir un recours moins systématique à des modèles tous plus ou moins semblable serait de disposer d’un lieu anonyme et public où les instruments seraient cotés et pourraient s’échanger automatiquement. Si c’est bien déjà le cas pour certaines classes d’actifs — comme pour les actions —, ce n’est le cas pour aucun instrument de gré à gré (puisque, comme son nom l’indique, les termes de

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l’échange sont issus d’une négociation entre les partenaires), or le problème pointé du doigt concerne ces derniers, et plus particulièrement ceux pour lesquelles la valorisation est délicate. Le journal Le Monde (Gatinois, 2010) rapportait que Mme Lagarde, directrice du FMI, appellait de ses vœux une chambre d’enregistrement permettant de centraliser les ordres afin de simplifier le fonctionnement de la Bourse. Pour « Interviewé 1 », il s’agit plus d’une mesure de sauvegarde que d’un effet de simplification :

Plusieurs projets ont failli voir le jour ces dernières années, permettant au travers de plateformes de trading de « marquer au marché » chaque instrument négocié par une société de gestion, légitimant ainsi la valorisation. Faudra-t-il attendre que l’AMF sanctionne sévèrement un acteur sur ce type de fraude pour qu’un tel projet aboutisse ?

4 Des moyens de la lutte contre la fraude et de leur efficacité

De l’avis unanime, les modalités de lutte contre la fraude ont été considérablement renforcées. Elles ont obéi à une disposition réglementaire de l’AMF (Livre III, art. 313-29 AMF, 2016) en créant une fonction de RCCI (Responsable de la Conformité et du Contrôle Interne). Ces RCCI sont des acteurs clefs du dispositif de conformité et de contrôle interne. Les organisations allouent des moyens significatifs pour réduire le risque opérationnel et les personnes interrogées constatent bien que les contrôles se sont renforcés. Malgré cela, tout n’est pas parfait et « Interviewé 2 » porte un regard critique sur ces contrôles et déplore que les processus d’attribution des limites soient lourds et que les équipes qui en sont chargées soient sous-équipées :

[…] toutes les vérifications nécessaires à l'ouverture d'un nouveau compte sont chronophages et demandent du personnel et je suis persuadé que mon actuel employeur a tort de ne pas consacrer plus de budget dans ces emplois !

et relève des incohérences dans leur mise en œuvre : […] certains détails me font dire qu'elles n'ont pas été clairement réfléchies et, malgré mes très nombreuses remarques, certaines aberrations demeurent : je travaille sur un marché de taux et la politique “d'écart de cours” pratiquée par ma société surveille la différence entre le prix d'achat et le prix de vente sans tenir compte de la maturité de l'obligation traitée12

Peu importe d’ailleurs puisqu’il semble que la société « Compagnie B » n’ait pas complètement formalisé ce processus :

Au final, notre grande question est de savoir quel écart de taux sera toléré par l'AMF en fonction de la maturité, de la liquidité, de la notation de l'obligation traitée ainsi que « l'état de stress » du marché. Je ne crois pas qu'une règle précise existe, alors on navigue un peu à vue.

Il y a cependant des différences notables. « Interviewé 1 » note en particulier que la starisation du gérant est combattue avec détermination :

« Compagnie A » a renoncé à la starisation de ses gérants, […] met en avant le collectif et ne communique que très rarement sur ses gérants.

L’intérêt du métier de gérant semble donc avoir diminué puisque les rémunérations sont de moins en moins individuelles, mais en contrepartie l’activité est moins clivante puisqu’ils ont des positions moins funambules (Tuckett, 2011). En cas d’inégalité perçue

12 Le prix d’une obligation peut aussi se lire en taux de rendement. On comprend aisément qu’une différence de taux de rendement de 1 point (de 4% à 5% par exemple) aura une incidence qui sera fonction de sa maturité résiduelle puisque ce point supplémentaire sera — avec une approximation ne portant pas à conséquence pour le propos — distribué sur tous les coupons jusqu’à expiration de l’obligation.

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entre rémunération et effort, les individus ajusteront leurs efforts en fonction de la rémunération attendue (Ouchi, 1979) et cet ajustement se fera au détriment de l’organisation. C’est d’ailleurs ce que relève « Interviewé 1 » :

Les gérants sont les premiers bénéficiaires, mais aussi les premières victimes de ce lissage, qui ne pousse pas à la recherche d'une trop grande surperformance puisqu'elle ne sera jamais rémunérée à la hauteur des attentes.

« Interviewé 3 » fait également le constat que l’équipe de gestion a pris plus d’importance qu’auparavant puisque l’organisation « permet aussi la diminution du poids de l’individu en faveur du poids de l’équipe ». Chez « Interviewé 3 », le phénomène de starisation est également combattu :

[…] sur des activités plus spécialisées (comme, par exemple, les stratégies devant délivrer de la performance absolue, sans référence associée) des contrôles ad hoc sont mis en place. Il s’agit généralement des contrôles qualitatifs qui sont plus coûteux. Ceci dit, l’organisation vise au maximum l’élimination de ces activités qui obligent la société de gestion à dépendre d’un nombre limité de spécialistes [important coût du contrôle, starisation, augmentation du risque d’image]

Cela rejoint le point de Méric (2011) pour lesquels les experts, créatifs, « sont une source majeure de risque opérationnel ». On retrouve cette volonté de prudence chez « Compagnie A » ainsi que le relate « Interviewé 1 » :

[…] la tentation existe alors d’éliminer tous les risques : « Compagnie A » est régulièrement tentée de restreindre son champ d’action afin de réduire la menace de s’engager dans une activité possiblement frauduleuse. La lutte contre l’éventuelle fraude devient alors un prétexte pour la non-décision, l’inaction.

Si, pour les sociétés de gestion de portefeuilles les choses paraissent aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de ce phénomène de starisation, il en va tout autrement chez le broker. « Interviewé 2 » déplore que le phénomène de starisation n’ait pas évolué. Le modèle économique de la société d’intermédiation étant basé sur une multiplication des clients, la star n’est pas l’opérateur, mais le chargé de clientèle qui est élevé au rang d’idole :

On reste dans “l'idolâtrie” du chargé de clientèle, les autres éléments de la chaîne sont beaucoup moins bien considérés.

Les personnes interrogées comprennent bien que les contrôles doivent être plus précis, en particulier depuis la crise (« Interviewé 2 » : « La crise financière a amené un renforcement considérable de la surveillance à laquelle nous sommes soumis » ; « Interviewé 3 » : « Cette organisation a accompagné l’évolution de la réglementation. La crise de 2008 a accéléré sa mise en place »), mais doutent de la qualité des contrôles et pointent des effets de bords négatifs que « Interviewé 1 » exprime ainsi :

Le premier défaut de l’organisation de « Compagnie A » est probablement inhérent à tous les acteurs de l’asset-management. L’obligation de moyen que l’on impose aux sociétés de gestion sur l’activité de maitrise des risques et de lutte contre les fraudes incite les sociétés de gestion à montrer avant tout qu’elles CONTRÔLENT… et pas qu’elles contrôlent BIEN. Il en résulte une frénésie de points de contrôle.

Chez « Interviewé 2 » le RCCI a mis en place des processus exclusivement quantitatifs : [Le RCCI] surveille attentivement toutes nos transactions. Il surveille en particulier la taille traitée, le rating (la qualité des titres traités), l'écart de cours (entre le prix payé et le prix vendu pour vérifier qu’il n’y a pas de manipulation) et les limites accordées à chacune des contreparties. […] De fait, je pense que mes employeurs souhaitent “laver plus blanc que blanc” et la peur panique des organismes de contrôle les pousse à la plus grande des prudences.

Ce qui, selon « Interviewé 1 » conduit à des situations indésirables :

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[Cet multiplication des contrôles a] des effets pervers : [cela] repousse l’intérêt des opérationnels (gérants et responsables) qui ne vont s’attarder sur le risque identifié que lorsqu’il aura été détecté à plusieurs reprises. Il sera parfois trop tard pour l’éliminer. Cette approche quantitative du risque gagnerait à se voir adjoindre une démarche qualitative certes plus difficile à mettre en œuvre. Le corollaire au « tout quantitatif » est la confusion entre ce qui est important et ce qui est bénin. Chaque point négatif, chaque risque est apprécié de manière identique, qu’il nécessite un simple ajustement de position ou qu’il résulte d’une déviation aux normes de place assimilable à une fraude.

Ce sentiment est relayé par « Interviewé 2 » qui considère que les mesures mises en places sont un frein à l’activité :

Nous, les opérateurs, avons la possibilité d'intervenir dans le processus en envoyant un mail au “service clientèle” et au besoin, à la Direction pour accélérer les choses, mais le problème reste le même, sous-staffé ou mal organisé ce fameux service est d'une affligeante lenteur et globalement assez incompétent !

« Interviewé 2 » est également très critique, mais sur un autre plan. Selon lui, les mesures prises ont un effet bénéfique, mais limité à une majorité silencieuse. Les individus peu exposés sont mieux contrôlés, mais rien n’a vraiment changé pour les autres :

La stricte surveillance, tant chez les clients que chez nous, influence très largement le comportement de la majorité d'entre nous. Les notes de frais sont généralement moins délirantes qu'elles ont pu l'être par le passé ! Toutefois, pour certains « gros » clients, je sais que rien n'a changé, bien au contraire… mais là encore, il faut que cela soit discret.

“Rien n’a vraiment changé, bien au contraire” dénoncerait-il même. Cet ensemble de mesures ressemblerait à un écran de fumée derrière lequel certains brokers cacheraient plus facilement leurs indélicatesses. Ces entorses seraient même tolérées par la Direction de l’entreprise :

Toutefois, j'ai pu remarquer que la promesse d'une rémunération très fructueuse incite fréquemment la direction générale à accepter sans trop de problèmes certains écarts exceptionnels du moment que l'autorisation a été demandée à temps, car, je le rappelle, la procédure de contrôle interne est très rigoureuse et toute transaction qui “sortirait de la règle”, donne lieu à une demande de justification dès le lendemain.

Il s’agit, encore, de la place à part occupée par quelques individus, “stars” au sein de leur institution :

Malgré toute cette bonne volonté, je réalise que certains éléments “stars” ne sont pas vraiment soumis aux mêmes contraintes. D'aucuns se permettent de négocier de leur domicile, sur leur téléphone portable (ce qui est strictement interdit, car toute transaction doit être enregistrée et doit donc se faire sur un terminal spécifique)13 ou de ramener des notes de frais astronomiques peu justifiables… […] De tout cela se dégage le sentiment que, quelle que soit la structure, on fait avec les moyens du bord pour “draguer” le client ! Chacun place sa vertu où ça l'arrange…

Sur cet aspect, laissons plus longuement la parole à « Interviewé 2 » Pour en terminer et revenir à l'aspect starisation de certains, j'ai parfois le sentiment d'assister aux mêmes dérives que lors de mes débuts, dans les années 90. [suivent des exemples édifiants]. Tout ça pour dire qu'en voyant le “loup de Wall Street”14 j'ai eu comme un sentiment de déjà vu… Pour conclure, je sais, même si je n'ai pas de preuves, que certains de mes collègues se permettent certains de ces délires lorsqu'ils vont voir des clients à Londres. La direction a décidé de fermer les yeux de peur que ces très gros producteurs ne décident de céder aux appels de la concurrence…

13 Cf. art. 315-64-1 du règlement général de l’(AMF, 2016) 14 Film de Martin Scorsese sorti en décembre 2013

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4.1 Sanctions et réputations

L’entrée “Sanction” du « Trésor de la Langue Française15 » présente les définitions suivantes : « Peine ou récompense prévue pour assurer l'observation d'une loi, l'exécution d'une mesure réglementaire, d'un contrat » ou encore « Toute punition infligée pour réprimer une faute, un manquement, une transgression » ou plus généralement « Peine ou récompense en relation avec une interdiction ou une injonction, liée à un mérite ou un défaut ». La sanction n’est donc pas uniquement une peine, même si son acception la plus courante est bien celle-ci… Peut-on se passer d’une sanction en cas de fraude ? Il ne semble pas selon Sutherland, Cressey, et Luckenbill (1992, p. 7334, 7893). Dans un tout autre registre, celui portant sur l’honnêteté du chercheur en management, Cossette (cité par Saives, 2008, p. 254) parvient aux mêmes conclusions, tout en questionnant la sanction : « En bref, prévenir, surveiller et punir. Mais comment punir ? La sévérité des sanctions est discutable et discutée ». Mais mettre en place des sanctions nécessite un certain courage politique : « Tout n’est pas rose, mais avant de voir rouge, il faut surtout éviter de se fermer les yeux » (Cossette dans Saives, 2008, p. 255). Il faudrait sortir du politiquement correct et affronter la vérité, véritable gageure comme le soulignent Manent et Thiel (2014, p. 62) puisque « En Europe, le politiquement correct n’est pas qu’une façon de penser — c’est devenu un mode de gouvernement !». Piketty (2013, p. 12883) d’ailleurs reconnaît et salue le courage des États-Unis lors de l’adoption de la loi contre l’évasion fiscale en ce qu’elle a eu « le mérite de formuler le débat en termes de sanctions concrètes et d’aller au-delà des grands discours inutiles ». La sanction existe quand elle punit. Elle punit les fauteurs, et maintenant, comme on l’a vu avec Theresa May (Gibb, 2016) elle punit également leur employeur, considérés donc comme fauteurs, et elle punit aussi l’entreprise elle-même dont la réputation s’entache d’un scandale.

5 Discussion

La lecture des avis des opérateurs sur ces différents thèmes laisse une impression en demi-teinte. Ces spécialistes des risques portent un regard critique sur leur activité, reconnaissent que les mesures prises par les autorités de tutelle sont nécessaires, mais y trouvent des effets secondaires négatifs et, plus important que tout, doutent de leur efficacité. Revenons à la citation de William Robertson, la fraude comme un de maux principaux de la société. La confiance est le propre de la coopération et la coopération à grande échelle permet à l’homme de (re)bâtir la société dans laquelle il vit. Cette perspective est corroborée par des champs divers comme l’histoire (Harari, 2015), la sociologie (Beck, 2008 ; Le Velly, 2012 ; Luhmann, 2006), la physique (Prigogine, 2009 ; Roddier, 2012), l’économie (Orléan, 2013), la philosophie (Dupuy, 2012 ; Sennett, 2014)… Dans cette perspective, la fraude est bien un mal absolu puisqu’elle vient saper la coopération en introduisant de la méfiance et interdit donc la société telle que nous la connaissons. Ce que reconnaît la Fed (Federal Reserve, 2016) : « […] la perte de confiance dans la stabilité financière d’un holding bancaire d’importance systémique ne met pas seulement en péril le holding lui-même, mais nuit à l’ensemble du système financier (notre traduction) ». Or nous sommes dépendants de notre système financier, nous ne saurons plus vivre sans. Comme la fraude met tout ceci en danger elle doit être combattue avec l’énergie la plus ferme16. Cela confère à ce risque une place à part parmi l’ensemble des 15 http://atilf.atilf.fr/ 16 On peut considérer que le système financier d’aujourd’hui n’est pas bon et souhaiter le changer, mais

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risques et c’est pour ça que Power (2013) s’inquiète que le risque de fraude soit banalisé et géré de plus en plus comme le risque d’erreur. Dans son rapport final, le groupe de travail gouvernemental du Royaume-Uni concernant la lutte contre la fraude à l’assurance redoute ainsi de passer d’une société basée sur la confiance à une société fondée sur le doute et la vérification (IFT, 2016, p. 14). Power a d’ailleurs raison de s’inquiéter, le risque opérationnel se gère de plus en plus comme les autres risques. Les limites sont « transgressées » à dessein et cette transgression est nécessaire aux gérants de portefeuilles. Par ailleurs, ainsi que les titrisations de ZIG le montrent, on spécule sur ce risque, les banques le transfèrent pour alléger leur bilan et diminuer leur besoin en fonds propres, ce risque est disséminé. Tout ceci présente bien des analogies avec les mécanismes qui ont été tant incriminés lors de la crise des subprimes. De ce point de vue, on ne peut qu’être d’accord avec les experts : il semble que nous soyons prêts à reproduire nos erreurs… Face à l’effet sinon limité du moins insatisfaisant des mesures prises, nous sommes invités à explorer des moyens de contrôle alternatifs. C’est ce que suggère Weick (2001b), pour lequel, compte tenu de propriétés des nouvelles technologies, le contrôle ne peut plus se faire par les voies classiques. D’autres formes de contrôle (par exemple incorporant des hypothèses psychosociales) devraient avoir plus d’impact. Ce sont les contrôles des prémisses de la décision (Weick, 2001b). Pathak (2005) arrive aux mêmes conclusions en nous offrant une lecture des systèmes de sécurité selon deux grandes catégories. Soit ils sont adaptables, dynamiques, évolutifs et doivent alors être basés sur les individus, soit ils sont statiques, rigides et faciles à contourner dès qu’on en connaît les limites et sont fondés sur les technologies. Ainsi, conclut Pathak, la solution est de ne plus arbitrer entre solutions technologiques et humaines, mais de confier les rênes aux hommes en les dotant des moyens technologiques adéquats. Jacquinot (2013) propose de combattre la fraude par un management bienveillant qui déplacerait les besoins des collaborateurs les rendant moins vulnérables à la tentation et contribuerait à éveiller leur conscience. Il monopolise pour cela la théorie de l’intendance, opposée à celle de l’agence en ce qu’elle prend comme partie de considérer que les intérêts d’un principal et des agents sont généralement alignés et qu’ils s’accomplissent mieux dans la coopération que dans l’affrontement. C’est également dans une perspective dirigée vers la confiance que Vélez, Sánchez, et Álvarez-Dardet (2008) concluent que les systèmes de contrôle ont leur place, y compris dans des organisations ne connaissant pas la fraude dès lors qu’il s’agit de systèmes souples qui contribuent à conserver la confiance existante. Ces contrôles sont moins intrusifs, plus cognitifs, plus reliés au langage et à l’engagement personnel. Les façons dont les contrôles de troisième ordre affectent les comportements sont subtiles et généralement sous-estimées par les managers qui préfèrent considérer le contrôle matériel que représentent les ordres tangibles, les règles, la surveillance… Si ces contrôles sont plus subtils, ils ont autant d’effets (Weick, 2001a, p. 77). Ce type de contrôle est d’autant plus important que la production ne peut pas être enfermée dans une routine et que les technologies sont très présentes (l’aspect stochastique étant alors prégnant) (Weick, 2001b, p. 170). Les opérateurs qui font l’objet de ce travail ont une activité qui ne peut pas être routinisée et sont de très gros consommateurs de ressources technologiques ; à ce double titre, le contrôle des prémisses de la décision s’impose. On l’a vu, les opérateurs n’ont pas conscience qu’ils peuvent

cela nécessite une réflexion préalable et peu de choses seraient pire qu’une faillite de ce système sans en avoir anticipé les conséquences. La violence sociale due à la crise de 1929 en est un bon exemple.

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agir contre le risque de fraude, pourtant ils sont des vecteurs essentiels de la lutte contre ce risque, encore faut-il que les institutions les investissent de cette mission et leur donnent les moyens nécessaires. Une démarche de cette nature est présentée par Laffort et Cargnello-Charles (2013). Les sociétés de gestion ont une obligation de moyens, l’article 313-54 du règlement général de l’AMF est sans ambigüité à ce propos (AMF, 2016) : « La société de gestion utilise en permanence des moyens, notamment matériels, financiers et humains adaptés et suffisants. » et c’est ce dont rendent bien compte les personnes interrogées. Mais elles n’ont pas — ou du moins pas encore — d’obligation de résultat. Pourtant, il semblerait que la dynamique des contrôles aille vers une telle exigence, en effet, les autorités de tutelle portent une attention particulière aux erreurs opérationnelles. L’amende record de 14 milliards de dollars réclamée le 16 septembre 2016 par le département de la justice américaine à Deutsche Bank pour sa responsabilité dans la crise des subprimes, soit 8 ans après les faits, en est un exemple. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas un cas isolé et les principales banques mondiales ont fait l’objet de sanctions ou sont sous surveillance (Poullennec, 2015). Il semble donc que la logique s’inverse, il n’est plus question de savoir si les moyens mis en œuvre sont suffisants, mais de se demander ex post et au cas par cas, si l’organisation aurait pu éviter la faute.

Conclusion

Il faut s’étonner de la force des propos de « Interviewé 2 » à propos des dérives passées et actuelles. Il faut s’étonner, non pas de ce qu’il nous dit, mais que rien n’ait à ce point vraiment bougé ! Malheureusement il faut prendre très au sérieux cet avertissement qui est corroboré par l’avis que porte un ex rogue trader, Adoboli, en réponse à une interview télévisée réalisée par The Independent (Chapman et Adoboli, 2016) : « rien n’a changé dans le comportement des banques ». L’effort à faire est sans doute plus important dans la finance que n’importe où ailleurs, c’est ce qui expliquerait le peu de progrès réalisés. D’après Dyck, Morse, et Zingales (2013, Table 6) l’industrie de la finance serait moins vertueuse que les autres et les financiers, tous secteurs confondus, seraient également plus enclins à frauder que leurs collègues d’autres départements. Cette remarque rejoint celle de Lamarque (2009) pour lequel les comportements managériaux dans les établissements financiers soutiennent les conduites à risque ainsi que les conclusions de Cohn, Fehr, et Maréchal (2014, p. 86) suggérant que la culture dominante dans l'industrie bancaire abaisse le seuil d'honnêteté. Il y a plus de 30 ans, Granovetter (1985) a proposé une explication des marchés concurrentiels tiraillés entre deux conceptions de l’individu. L’une considère, avec Hobbes (1651, p. 1844), que la force et la fraude sont des éléments essentiels pour l’homme dans sa lutte quotidienne. Cette conception trouve un écho naturel en finance de marché où la théorie dominante privilégie la conception de l’homo œconomicus, individu rationnel à la recherche de son propre profit. D’un autre côté, pour certains, la recherche de l'intérêt économique personnel n'est pas une “passion” incontrôlable, mais une activité civilisée et courtoise. Selon Granovetter (ibid., p.488), « Ces acceptions implicites, mais largement répandues offrent un exemple saisissant de la façon dont les conceptions sous- et sur-socialisées se complémentent : dans un marché concurrentiel, les acteurs atomisés internalisent ces standards comportementaux normatifs pour rendre possibles les transactions. Ces dernières années, la survenance d'imperfections ayant causé des pertes irrécupérables dues à un petit nombre de participants de ces marchés concurrentiels a miné cette confiance. En de telles occasions, la discipline présumée de ces marchés ne peut pas être invoquée pour modérer la tromperie, ainsi réapparaît la question classique de la pérennité de la vie économique dans un environnement sujet à la défiance et à la

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tromperie (notre traduction) ». Quelle actualité dans ces phrases ! Granovetter nous propose alors de considérer que les acteurs ont des intentions “encastrées” dans un système concret et vivant de relations historiques et sociales. Les individus agissent en fonction de la force des réseaux relationnels bâtis entre les individus eux-mêmes, entre les individus et les organisations et entre les organisations elles-mêmes. La question de la difficulté de la lutte contre la fraude trouve ici un nouvel éclairage, pour lutter efficacement il faut donc lutter sur chacun de ces trois fronts, et rebâtir des réseaux de relations sociales nécessaires aux comportements sains. Face à la difficulté — reconnue — de combattre efficacement la fraude et au risque qu’elle fait porter les initiatives se multiplient depuis quelques années. C’est ainsi que s’est créée l’ACFE, Association of Certified Fraud Examiners qui existe dans plusieurs pays et qui propose des formations dédiées à la recherche de la fraude17. Avec ces initiatives, se développe le métier de consultant forensic, auditeur multi-spécialiste dont une des activités essentielles est de débusquer les problèmes liés à la fraude (Brody, Melendy, et Perri, 2012 ; Davis, Farrell, et Ogilby, 2013). Dans un autre registre, « Interviewé 1 » propose une solution institutionnelle :

J’ai fait mention des commissaires aux comptes. La question peut se poser de leur donner des missions plus larges que la simple validation des comptes des portefeuilles d’actifs. S’il est vrai que certaines de leurs missions vont déjà au-delà de cette certification, il serait envisageable de faire des CaC de véritables auditeurs externes avec pour mission de valider les processus, d’agréer la conformité des règles mises en place... [Il y a cependant deux problèmes : la rémunération et la dépendance qui lie le CaC au portefeuille et] la consanguinité. Ils sont trop peu nombreux à se partager le marché énorme des OPC. Comme il est peu probable que l'organisation de la profession change, on retrouvera toujours les 4 ou 5 acteurs majeurs, pourquoi ne pas leur donner une mission d'ordre public : le régulateur est le donneur d'ordre et le payeur, ils valident les comptes des OPC au nom du régulateur, leur rémunération est financée par un impôt levé par l’AMF auprès des OPC, cet impôt remplacerait les charges de CaC, le CaC de chaque OPC serait alors désigné par le régulateur.

Dans cette solution-là, l’organisation aurait une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête. Puisque le CaC serait mandaté par l’AMF, il lui rapporterait directement et l’organisation n’aurait pas la possibilité de réparer et dissimuler la fraude, comme il arrive généralement lorsqu’elle est d’ampleur limitée. En ce cas, ce serait probablement une incitation très forte à dépasser les contrôles faillibles tels qu’ils sont communément réalisés. « Interviewé 1 » propose également une solution organisationnelle :

Enfin, et pour rebondir sur un sujet d’actualité, on peut poser la question des « lanceurs d’alertes ». Les règles de place et autres règlements intérieurs incitent aujourd’hui le salarié à s’adresser au déontologue de son employeur quand il veut évoquer une éventuelle fraude. Cette situation n’est évidemment pas satisfaisante, car la dépendance du salarié envers son employeur est souvent trop forte.

Le whistleblowing ou l’alerte professionnelle est un dispositif institutionnalisé aux États-Unis en 2002 par la loi Sarbanes-Oxley et est autorisé par la CNIL depuis novembre 2005. Il implique la mise en place d’une organisation spécifique ainsi qu’un engagement de conformité́ aux conditions de la CNIL (2016). Malgré ce dispositif, « Interviewé 1 » suggère que ce qui est mis en place n’incite pas à l’utiliser. L’étude de Dyck, Morse, et Zingales (2010) éclaire ce point de vue. Elle relève que dans 82 % des cas où la fraude a été dénoncée par un employé identifié, celui-ci a indiqué avoir été licencié ou avoir subi des pressions. La plupart des individus ont avoué qu'ils ne le referaient pas si le cas se représentait. Bien avant cette étude, Kets de Vries (1995, p. 94) indiquait déjà que le

17 http://www.acfe-france.fr pour la France

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dénonciateur potentiel ne prenait pas le risque de dénoncer. Ces solutions sont très intéressantes et doivent être approfondies, ainsi que toutes autres solutions qui permettraient de mettre en place des schémas de lutte différents de ceux qui existent, des schémas qui auraient pour effet de faire prendre conscience que la fraude n’est pas une affaire individuelle, ni même sociale, mais sociétale. En conclusion, le constat n’est malgré tout pas accablant. Le changement n’est pas pour maintenant puisque, comme nous l’avons vu avec Granovetter, il faut d’abord défaire puis reconstruire des réseaux qui se sont constitués au cours du temps. Les initiatives des régulateurs et des autorités de tutelles sont très significatives et le changement qui s’opère vers une obligation de résultat nous paraît révélateur d’une volonté marquée d’éveiller les consciences en responsabilisant les organisations et leurs dirigeants et en infligeant de lourdes amendes. Mais elles s’éveillent lentement ce qui laisse craindre d’autres crises… Nous avons interrogé trois experts et il est évident que leur opinion ne peut représenter celui de la profession tout entière. Malgré cela, la force et la précision de ce qu’ils décrivent incitent à prendre ce travail avec tout le sérieux requis.

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Annexe – À propos des contributeurs anonymes

« Interviewé 1 » travaille (dans la société « Compagnie A ») depuis près de 30 ans dans l’industrie de l’asset-management (gestion d’actifs pour compte de tiers). Il exerce depuis 25 ans le métier de gérant de taux et a été confronté à ce titre à l’évolution des marchés financiers et aux profondes mutations des métiers de l’asset-management. Dans un rôle pivot au sein d’une équipe resserrée chez « Compagnie A », société de gestion d’un groupe bancaire français, « Interviewé 1 » a participé à l’écriture de processus et à la mise en place d’une organisation à taille humaine, capable de répondre aux exigences de maitrise des risques du métier d’asset-manager (gérant d’actifs pour compte de tiers ou gérant de portefeuilles). « Interviewé 2 » travaille (dans la société « Compagnie B ») en tant que broker (intermédiaire) depuis la fin des années 1980. Le métier de broker consiste à proposer à ses clients, le plus souvent des asset-managers ou des traders, des investissements en lien avec leurs intérêts. Il doit donc bâtir une relation assez étroite avec ses clients afin de connaître, voire d’anticiper leurs intérêts. Son activité consiste à assurer une intermédiation entre différents acteurs sur le marché des obligations et il est en contact avec des gérants de portefeuilles d'assurances, des gérants de hedge funds, des prop-traders (proprietary-traders, opérateurs qui traitent pour leur employeur, sur leurs fonds propres) et des market-makers (teneurs de marché). Aujourd’hui, après avoir multiplié ses expériences, « Interviewé 2 » travaille dans une société de taille modeste. Après avoir été trader sur les produits dérivés de taux et de change, « Interviewé 3 » exerce le métier de gérant de portefeuilles depuis la fin des années 1990 dans une des principales structures de gestion d’actifs en France, la société « Compagnie C ». Son expérience de plus de 20 ans sur les marchés financiers l’a amené à travailler sur différents types d’actifs, certains très techniques, ce qui lui permet de porter un regard large et profond sur sa profession. Décharge de responsabilité - Les opinions qui ont été données reflètent les idées des personnes interviewées, leurs expériences et leur perception de la problématique de la fraude. En aucun cas elle n’engage leur employeur.