LA GELINOTTE DES BOIS - hainard.ch · L'envol au départ du sol est assez bruyant, les ailes...

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LA GELINOTTE DES BOIS Bonsa bonasia (L.) Synonymes : Gelinotte des coudriers. Tetrastes bonasia Allemand : Haselhuhn. Anglais : Hazel-Grouse. Italien : Francolino di monte. Mâle adulte nuptial : tête brun roux aux plumes barrées de brun noir, avec petite huppe, sourcil nu rouge vif, petite tache blanche devant l'oeil et bande blanche en arrière bavette noire cernée d'une bordure blanchâtre; dessus du corps gris beige tacheté de fauve, de blanc et de brun, devenant gris cendré roussâtre au bas du dos et aux sus-caudales (celles-ci barrées de brun avec raies médianes noires); tectrices du dessous brun roux avec bord blanc et chevron subterminal noirâtre, le roux vif dominant en haut de la poitrine et aux flancs, le blanc ailleurs; épaulette blanche de la base du cou au haut du dos; rémiges primaires brunes tachetées de beige au vexille externe, secondaires brun gris lavées de brunâtre, internes marquées de noir, de fauve et pointillées de brun; couvertures sus-alaires tachetées de brun noir et de larmes blanches, scapulaires plus rousses; 14 rectrices brun gris vermiculé de brun noir, avec large barre noire avant l'extrémité blanchâtre; jambes fourrées de brun gris pâle. Bec noir, doigts gris brun, iris brun foncé. Mue partielle en mai-juin : gorge mêlée de blanc ou blanc jaunâtre barrée de gris. Mue complète de juin à octobre. Femelle : huppe très courte, gorge brun jaunâtre pâle, barre caudale plus étroite; teintes plus ternes. Jeune : gorge blanchâtre, pas de taches blanches scapulaires; pour le reste comme la femelle. Mue complète jusqu'en novembre, dès lors en livrée adulte. - Dimensions: aile 167-185 mm (M.) ou 157-180 (f.); queue 114- 13 mm; bec (du front) 10-11 mm; tarse 35-37 mm. Longueur env. 38-41 cm. Envergure 54-58 cm. Poids d'automne 315-490 g (m.) ou 315-465 g (f.), en moyenne environ 410 et 400 g; plus faible au printemps. Dans les taillis encore nus, quelques dernières taches de neige; partout les chatons des noisetiers répandent leur pollen doré; déjà les fleurs du premier printemps s'annoncent : primevères chiffonnées par le gel, nivéoles en clochettes, étoiles roses des dents-de-chien. Au tournant du sentier, un essor froufroutant s'est éloigné au sein des hautes broussailles : serait- ce la Gelinotte ? Mais en voici une autre, une petite poule brune qui, après quelques enjambées, a pris l'envol et sur ses ailes arquées se perd à son tour entre les branches. Rencontre brève et décevante: à peine avons-nous vu la queue typique de l'espèce... Mais le promeneur ne peut guère s'attendre à mieux, car des années de recherche et de patience sont nécessaires pour en apprendre davantage sur le furtif gallinacé des bois. Identification Quand le hasard et la circonspection permettent enfin d'observer un instant cet oiseau si discret, c'est un régal d'apprécier la rondeur élégante de ses formes, son plumage aux couleurs d'écorces et de feuilles mortes, tout chamarré de roux, de brun, de gris et de blanc, sa huppe que la moindre émotion hérisse en pointe sur sa tête. Si la femelle a la gorge blanchâtre et des teintes moins vives, la huppe plus courte, le mâle se distingue d'emblée à sa face et à sa bavette noires que cerne un ourlet blanc et que la mue oblitère quelque peu durant l'été; il a aussi la tête plus large, une coloration plus chaude où ressortent des tons de rouille vive et des taches blanches plus contrastées. En tout temps, la queue grise avec barre terminale noire, bien arrondie à l'envol, prévient une confusion avec un autre gallinacé; la taille est celle d'une grosse perdrix allongée, toujours inférieure à celle d'un vrai Tétras. La queue en route, le coq de Gelinotte parade en marchant, Jura, 13 mai 1931 1

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LA GELINOTTE DES BOISBonsa bonasia (L.)

Synonymes : Gelinotte des coudriers. Tetrastes bonasia

Allemand : Haselhuhn. Anglais : Hazel-Grouse. Italien : Francolino di monte.

Mâle adulte nuptial : tête brun roux aux plumes barrées de brun noir, avec petite huppe, sourcil nu rouge vif, petite tache blanche devant l'oeil et bande blanche en arrière bavette noire cernée d'une bordure blanchâtre; dessus du corps gris beige tacheté de fauve, de blanc et de brun, devenant gris cendré roussâtre au bas du dos et aux sus-caudales (celles-ci barrées de brun avec raies médianes noires); tectrices du dessous brun roux avec bord blanc et chevron subterminal noirâtre, le roux vif dominant en haut de la poitrine et aux flancs, le blanc ailleurs; épaulette blanche de la base du cou au haut du dos; rémiges primaires brunes tachetées de beige au vexille externe, secondaires brun gris lavées de brunâtre, internes marquées de noir, de fauve et pointillées de brun; couvertures sus-alaires tachetées de brun noir et de larmes blanches, scapulaires plus rousses; 14 rectrices brun gris vermiculé de brun noir, avec large barre noire avant l'extrémité blanchâtre; jambes fourrées de brun gris pâle. Bec noir, doigts gris brun, iris brun foncé. Mue partielle en mai-juin : gorge mêlée de blanc ou blanc jaunâtre barrée de gris. Mue complète de juin à octobre.Femelle : huppe très courte, gorge brun jaunâtre pâle, barre caudale plus étroite; teintes plus ternes.Jeune : gorge blanchâtre, pas de taches blanches scapulaires; pour le reste comme la femelle. Mue complète jusqu'en novembre, dès lors en livrée adulte. - Dimensions: aile 167-185 mm (M.) ou 157-180 (f.); queue 114-13 mm; bec (du front) 10-11 mm; tarse 35-37 mm. Longueur env. 38-41 cm. Envergure 54-58 cm. Poids d'automne 315-490 g (m.) ou 315-465 g (f.), en moyenne environ 410 et 400 g; plus faible au printemps.

Dans les taillis encore nus, quelques dernières taches de neige; partout les chatons des noisetiers répandent leur pollen doré; déjà les fleurs du premier printemps s'annoncent : primevères chiffonnées par le gel, nivéoles en clochettes, étoiles roses des dents-de-chien. Au tournant du sentier, un essor froufroutant s'est éloigné au sein des hautes broussailles : serait-ce la Gelinotte ? Mais en voici une autre, une petite poule brune qui, après quelques enjambées, a pris l'envol et sur ses ailes arquées se perd à son tour entre les branches. Rencontre brève et décevante: à peine avons-nous vu la queue typique de l'espèce... Mais le promeneur ne peut guère s'attendre à mieux, car des années de recherche et de patience sont nécessaires pour en apprendre davantage sur le furtif gallinacé des bois.

Identification

Quand le hasard et la circonspection permettent enfin d'observer un instant cet oiseau si discret, c'est un régal d'apprécier la rondeur élégante de ses formes, son plumage aux couleurs d'écorces et de feuilles mortes, tout chamarré de roux, de brun, de gris et de blanc, sa huppe que la moindre émotion hérisse en pointe sur sa tête. Si la femelle a la gorge blanchâtre et des teintes moins vives, la huppe plus courte, le mâle se distingue d'emblée à sa face et à sa bavette noires que cerne un ourlet blanc et que la mue oblitère quelque peu durant l'été; il a aussi la tête plus large, une coloration plus chaude où ressortent des tons de rouille vive et des taches blanches plus contrastées. En tout temps, la queue grise avec barre terminale noire,

bien arrondie à l'envol, prévient une confusion avec un autre gallinacé; la taille est celle d'une grosse perdrix allongée, toujours inférieure à celle d'un vrai Tétras.

La queue en route, le coq de Gelinotte parade en marchant, Jura, 13 mai 1931

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Activités

La vie de la Gelinotte se déroule à couvert, dans l'étage inférieur des bois et des taillis. Discrète à l'extrême, silencieuse le plus souvent, elle se déplace avec lenteur, marchant à petits pas mesurés et levant assez haut les pattes, la queue animée de tressaillements légers. Sur une neige molle, les empreintes de ses trois doigts s'inscrivent très proches les unes des autres, en piste rectiligne. De longues haltes attentives renforcent encore cette impression de nonchalance, qui augmente d'ailleurs l'effet protecteur de son plumage. Mais à la moindre alerte, la Gelinotte dresse le cou et soulève la huppe, prête à fuir. Elle se dérobe volontiers en piétant; d'une course agile, un peu dandinée, elle se glisse parmi les fourrés, escalade des rocailles, non sans intercaler de brèves haltes d'inspection et de courtes envolées, presque des bonds.

La Gelinotte court légèrement dans le sous-bois, sur la neige, Gryon ,3 avril 1943

Les ramures lui sont aussi familières que le sol: grâce aux peignes cornés de ses doigts, qui s'accrochent aux écorces rugueuses, elle grimpe le long de troncs assez raides et parvient sans peine à évoluer jusque dans les rameaux fins qu'elle préfère. HAINARD l'a vue monter à longs pas lents, alternant les prises toujours tournées en dedans, et le corps suivant chaque mouvement. C'est là-haut qu'elle va chercher les bourgeons et les inflorescences des arbres, puis leurs fruits. Elle y passe le plus clair de son temps en hiver, évoluant sans hâte, sautant et voletant de branche en branche. C'est toujours sur le rameau souple d'un arbuste ou d'un baliveau, à quelques mètres du sol, qu'elle choisit son perchoir nocturne, ce qui la met à l'abri de la martre1. De jour, je l'ai vue se percher près du tronc, à mi-hauteur d'un sapin. Mais elle demeure à couvert, évite de s'exposer au sommet des arbres, de survoler les bois et les clairières, et si elle fréquente volontiers les lisières, les sentiers et les bords des chemins forestiers, elle veille à ne pas s'écarter de ses refuges. Ici et là, elle fréquente des bains de poussière et des fourmilières, s'ébroue à l'occasion sous la pluie, se repose aussi dans les fourrés de jeunes conifères et s'y abrite par mauvais temps.

Une ouïe très fine et une vue non moins excellente assurent sa vigilance. L'apparition d'un Autour la fige à terre, et c'est souvent sa réaction à l'approche d'un danger, si elle ne s'est pas éclipsée en silence au premier bruit perçu.

1 En Finlande, les Gelinottes dorment aussi dans la neige, de préférence sous l'abri que forment les basses branches des épicéas; par grand froid, elles s'enfoncent dans la neige jusqu'à disparaître et peuvent passer non seulement la nuit, mais la journée entière dans ce refuge invisible, utilisé une fois seulement, en général (Pynnönen). Parfois aussi, l'oiseau ne laisse sortir que la tête. De telles cachettes ont été aussi observées dans le Jura, dans les Alpes et dans les Balkans (cf BURNIER, etc. NO 1970); il est probable que la Gelinotte se laisse aussi recouvrir peu à peu pendant une chute de neige. Dimensions d'un gîte: 20-30 cm de diamètre. On trouve aussi en sous-bois, parfois en terrain découvert, des amas de fientes dans les creux de la neige.

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L'envol au départ du sol est assez bruyant, les ailes courtes et arrondies produisant une vibration rapide, froufroutées, qui sert probablement de signal d'alarme et qui est moins sonore chez la femelle; toutefois l'essor peut ne faire aucun bruit, notamment dans les arbres. Habile à se faufiler entre les branchages, le vol souple et coupé de courtes planées ne mène jamais bien loin, -soit que l'oiseau aille se percher pour observer sans bouger, soit qu'il continue en piétant, avec des hochements nerveux de la queue.

A l'exception de la période estivale, où l'on rencontre de petites compagnies de jeunes, la Gelinotte vit seule ou plutôt par couples, qui ne sortent guère d'un territoire assez restreint, mais connu dans ses moindres détails. La visibilité y étant fort limitée, c'est la voix qui lui sert de liaison.

A l'envol, la Gelinotte étale sa queue grise barrée de noir.Koprivnica, Yougoslavie, 29 octobre 1961

Voix

Discrète, elle rappelle davantage celle d'une mésange ou d'un roitelet qu'une voix de Gallinacé, aussi faut-il avoir l'oreille avertie pour la repérer en forêt. Les deux sexes signalent leur présence par une courte strophe grêle et suraiguë, dont le rythme atténue la monotonie. Celle du mâle a été transcrite de diverses manières, ce qui suppose des différences régionales et individuelles. Au Vuache près de Genève, j'ai noté tsiih-tihtittittittituih, soit un sifflet initial appuyé suivi d'une répétition sautillante et d'une finale un peu infléchie.... en Finlande PYNNÖNEN transcrit en deux syllabes longues et trois brèves: tih-thi-tititi. En général, la première note est longue et le motif dure 2 secondes et demie, mais sa portée est faible, 100 à 150 m au plus. Le chanteur, branché ou à terre, huppe levée et cou rentré, les ailes un peu détachées et frémissantes, ouvre le bec à chaque son. La femelle s'exprime dans le même style, par un chant plus bref et moins aigu tie-tie-tihtiti qui répond à celui du mâle. La signification territoriale de ces émissions est évidente, puisque ce sont surtout les mâles qui viennent au rappel, mais elles jouent aussi un rôle nuptial et permettent aux sexes de se trouver et de garder le contact. C'est en septembre-octobre, avant la chute des feuilles, que l'activité vocale atteint sa plus grande fréquence, puis de mars à mai avant les pariades ; entretemps, elle est irrégulière et de faible intensité. Débutant avant l'aube, elle se relâche beaucoup au milieu de la journée.

Le reste du répertoire a une variété remarquable. On peut distinguer entre autres les trilles rapides et sonores strr-strr-strr ou it-sitt du mâle irrité, ses séries de pch-ïh, des pitt-pitt-pitt anxieux, un rrèh d'alarme, les tsitsitsirrr roulés à l'envol, des sifflements ténus, voire un gazouillis... J'ai noté de la poule une roulade liquide pri-tettettettett... quand ses poussins sont en danger, des sifflements aigus pour les rappeler, tandis qu'ils pépient.

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Alimentation

La Gelinotte se nourrit avant tout de végétaux, trouvant en toutes saisons ses ressources dans le milieu forestier. Les arbres feuillus, peupliers, bouleaux, aunes, saules, noisetiers, érables, charmes, chênes et autres, selon l'habitat, lui dispensent au gré des saisons leurs bourgeons, pousses, feuilles et inflorescences ; elle se régale surtout des chatons, en particulier du noisetier et du bouleau, et au besoin casse les extrémités tendres des rameaux. Dans les sous-bois, un grand nombre de plantes lui offrent feuilles, fleurs et tiges, puis leurs graines qu'elle picore aussi à terre1. A cette provende s'ajoutent les petits fruits charnus ou secs, même les faînes du hêtre, les glands et les samares, ces éléments jouant un rôle capital de juillet à novembre surtout. En fin d'été, j'ai rencontré des groupes familiaux parmi les framboisiers et les ronces, sur les sorbiers et les sureaux rouges. En somme, la Gelinotte glane un peu de tout, sans dédaigner les baies et feuilles de gui, voire les champignons, et elle raffole des galles des feuilles, d'après COUTURIER. Durant toute la belle saison, de menues bestioles et larves varient ce régime : coléoptères, fourmis, diptères, papillons et chenilles, araignées, etc. Elle déterre aussi les lombrics et gratte dans les fourmilières pour dégager les nymphes essentielles à l'alimentation des poussins. L'hiver venu, force lui est de se contenter des dernières baies et graines, de se rabattre sur les mousses et les nourritures ligneuses, bourgeons et ramilles, parfois aiguilles de conifères.

Gelinotte sur le bois mort, Les Bayard, 6.5.1976

1 En France, COUTURIER relève sa prédilection pour les graines du mélampyre des bois, mais note qu'elle a peu de goût pour les airelles et myrtilles. Dans le Nord cependant, celles-ci sont très recherchées, de même que les baies de camarine et d'églantier, ce que confirment les analyses de DONAUROW (in DEMENTIEV & GLADKOV), de SALO, etc. L'oiseau se bourre des aliments qu'il trouve en abondance : HEIM DE BALSAC a dénombré dans le jabot d'une femelle examinée en mars, en Lorraine, non moins de 260 bourgeons floraux de charme et 200 bourgeons de feuilles d'églantier, entre autres. Ailleurs, l'alisier et le sorbier peuvent jouer un rôle important.

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Habitat

Sylvicole par excellence, la Gelinotte a des exigences précises quant à la structure de son biotope. Ni les basses broussailles, ni les hautes futaies dépourvues de sous-bois ne lui conviennent, mais bien plutôt les boisements dont l'étage inférieur est dense du sol jusqu'à quelques mètres de hauteur. Ce milieu fermé doit être assez varié dans le détail, avec des secteurs riches en nourriture et en refuges. Que ce soit sur des terrains plats ou sur de fortes déclivités, elle affectionne les accidents du relief : affleurements rocheux, blocs de pierre moussus, ravines et combes. Elle aime aussi la fraîcheur, le voisinage de mares et de ruisseaux, sans doute davantage pour la végétation variée qui les entoure que pour l'eau ; cela n'exclut pas qu'elle habite également des versants secs, exposés au soleil, où abondent les fourmilières, mais où l'eau fait défaut. Enfin, on trouve en général dans son territoire de petites surfaces nues où elle peut se baigner de sable et de poussière, ou picorer de menues graines, par exemple sur des chemins et des sentiers. Ces éléments étant réunis, au moins en partie, l'espèce se rencontre aussi bien dans les massifs purs de feuillus que dans les formations mêlées de conifères ; les forêts de résineux ne sont adoptées que si elles présentent au moins quelques arbres à feuilles caduques, des groupes de petits sapins, des arbrisseaux à baies et une strate herbacée suffisante. Ses habitats ordinaires sont donc des taillis de 10 à 20 ans, des taillis sous futaie, des forêts de type primitif ou peu exploitées, des demi-futaies jardinées avec des éclaircies et une abondante régénération naturelle. Dans le sud de son aire, la chênaie à charme domine ; dans le Nord, c'est la taïga de bouleaux et d'épicéas, ou bien l'aunaie humide. L'altitude semble assez indifférente : la Gelinotte peut vivre très bas, à 100 m en Haute-Saône ou presque au niveau de la mer en Scandinavie, tandis qu'elle s'élève à près de 2000 m dans les Alpes1. Toutefois, c'est entre 600 et 1600 m que sa fréquence est la plus grande, en raison de la nature et de l'étendue des boisements. Ce n'est donc pas un oiseau d'essence montagnarde.

Les exigences de la Gelinotte tendent à la localiser, aussi la densité du peuplement est-elle rarement uniforme sur de vastes surfaces. Peut-être le voisinage de plusieurs couples est-il un stimulant, ce qui expliquerait des concentrations en certains secteurs, alors que d'autres sont presque inhabités.

L'étendue normale du territoire, qui est limitée par la portée du chant et par les habitudes casanières, varierait selon la structure du biotope entre 3 et 20 hectares2. Ajoutons que des fluctuations naturelles des effectifs sont sensibles dans le Nord de l'Europe, en corrélation avec celles des autres Tétraonidés. Très sensible aux modifications de son milieu, la Gelinotte ne supporte ni les coupes rases, ni l'essartage des sous-bois ; elle fuit aussi les lieux dérangés par les promeneurs et campeurs, s'écarte des routes fréquentées et en général de toute source de bruit et de perturbation, -ce qui n'est pas sans influencer son abondance.

1 J'ai surpris des nichées vers 1700 au Val Ferret en Valais, d'autres en ont signalé à 1800 m dans les Grisons. COUTURIER a vu la Gelinotte à 2100 en Dauphiné, mais elle ne nichait probablement pas si haut.

2 COUTURIER cite même pour le Jura I couple pour près d'un hectare, par exception localisée, les densités variant dans l'Est de la France jusqu'à I pour 400 ha. Une bonne moyenne se situe en Suisse à 20-50 ha par paire, à 40 ha en Allemagne, à 25-50 ha en Finlande, où PYNNÖNEN a trouvé jusqu'à 24 mâles par km2 en automne.

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Reproduction

Chez la Gelinotte, une monogamie stricte s'accorde au comportement territorial. En automne déjà, dès le début de septembre, le mâle chante et le couple se forme, mais selon PYNNÖNEN, ses liens se relâchent en hiver, la poule étant assez erratique, tandis que le coq reste très fidèle à son domaine toute l'année. Avec la renaissance printanière du chant, ils se retrouvent entre mi-mars et le début de mai. Pendant ces deux périodes, le mâle se signale aussi par des battements d'ailes bruyants, soit qu'il exécute sur place un bond d'un mètre ou plus, soit qu'il reste à terre, le corps dressé ; on l'entend à une centaine de mètres de distance. Toute comme la strophe aiguë, c'est avant tout un signal territorial. A l'audition d'un rival, le coq s'approche excité, en poussant son cri de colère, huppe hérissée et queue en roue. Les avertissements acoustiques suffisent en général à prévenir les bagarres, quoique des poursuites et des rixes à coups d'ailes ne soient pas exclues. Lors de la parade nuptiale, très difficile à voir et seulement au printemps, le mâle marche vers la poule à pas lents, dressant la huppe et bombant la poitrine, gonflant ses rosettes sourcilières rouges ; il traîne ses ailes frémissantes, relève à demi l'éventail étalé de sa queue et tourne ainsi posément autour de la femelle, en silence. De temps en temps, celle-ci fait pivoter sa tête d'un demi-tour, et son courtisan, cessant sa ronde, agit de même, ce qui prélude à l'accouplement, toujours à terre.

La poule fécondée choisit pour nicher un emplacement abrité, dans un boisement clair. Elle s'adosse de préférence à une souche, à un arbre ou à un petit rocher, de façon à être protégée en arrière tout en jouissant de l'écran d'un rameau ou d'un surplomb et souvent de la lumière du levant. D'autres fois, elle s'installe sous une branche basse, sous un tronc abattu, parmi les myrtilles ou les fougères, l'essentiel étant d'avoir un couvert, d'être cachée. Ayant gratté le sol et creusé une cuvette d'environ 15 cm de diamètres et 5 cm de profondeur, elle y dépose ses oeufs sans autre, se bornant à couvrir les premiers avec quelques feuilles mortes, pendant plusieurs jours. PYNNÖNEN, relatant ce fait, note que ce matériel est ensuite arrangé sous la ponte comme litière isolante, mais que cet instinct ne se manifeste plus après l'apparition du 7e oeuf1.

En haut : Femelle couvant au pied d'un jeune épicéa, bien camoufée par son plumage brun tacheté, Anniviers, Valais, mai 1963 (R.-P. Bille)

En bas : Les oeufs semés de taches brunâtres sur une litière mêlée de plumes,Jura vaudois, mai 1955 (R.-P. Bille) in

Pendant la couvaison, la femelle s'absente deux fois par jour et s'éloigne parfois plus d'une heure pour se nourrir. A part ces sorties, elle demeure pendant plus de trois semaines dans une immobilité absolue, presque invisible grâce à son camouflage. On peut s'approcher d'elle de très près sans qu'elle quitte ses oeufs ; toutefois, si un mouvement brusque l'effraye et qu'elle s'envole directement du nid, elle est encline à l'abandonner. C'est l'époque où elle est le plus exposée aux carnassiers.

1 Dans le Nord, on a signalé parfois le nid dans une vieille aire de rapace, à plusieurs mètres de hauteur dans un arbre, et même dans une niche de rocher ; en Suisse, HUBER en a vu un à découvert dans une futaie d'épicéas dépourvue de tout sous-bois. -Ponte dès le 7 avril en Suisse, dès le 10 en France, d'habitude vers la fin de ce mois ou au début de mai, parfois jusqu'en juin. Normalement 7 à 12 oeufs, en moyenne 8 (3-19), déposés à intervalles d'un ou 2 jours. Oeufs crème roussâtre, finement pointillés de brun jaunâtre, avec ou sans quelques petites taches brunes arrondies. Dimensions moyennes : 40 x 29 mm (36,1-45,4 x 27-31,4 mm). Poids frais 18-19 g. -Incubation par la femelle, dès l'avant-dernier ou le dernier, de 15 jours (22-27). -Poussin en duvet brun roux chaud dessus ; bonnet roux, côtés de la tête jaunâtres avec bandeau noir, dessous gris jaunâtre.

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Si tout va bien, l'éclosion quasi simultanée libère une petite troupe de poussins remuants et pépiants, qui ne restent que peu d'heures au nid avant de s'en éloigner sous la conduite de leur mère, par étapes de dix à vingt mètres. Courir, grimper, sauter, se faufiler dans la végétation, monter sur une butte, escalader une souche, picorer d'abord sur les plantes, puis à terre... c'est une activité qui fatigue vite. Aussi, à intervalles d'une dizaine de minutes, la poule rappelle son monde et le rassemble sous ses ailes. Elle recherche des lieux ensoleillés où abonde la minuscule vie animale essentielle à la croissance juvénile : moucherons, chenilles, araignées et surtout fourmis. La pluie et le froid exigent d'elle une sollicitude accrue, en particulier pendant les dix premiers jours de dépendance absolue. Passé ce stade, dès que la pousse des rémiges permet aux petits de courtes envolées, ils ont de moins en moins besoin de la chaleur maternelle et prennent bientôt l'habitude de se brancher pour la nuit. En quelques heures, la famille peut maintenant couvrir des centaines de mètres, bien que l'allure des jeunes devienne aussi pondérée de celle de l'adulte ; mais la poule reste toujours sur le qui-vive. Plusieurs fois, entre mai et juillet, j'ai surpris en forêt des familles de Gelinottes, mon apparition provoquant brusquement le cri d'alarme et la débandade explosive des poussins roux. En un clin d'oeil, leurs pépiements cessent et ils ont disparu à terre ou dans les arbres ; dans des cachettes où ils restent introuvables, cois et silencieux, ils se figent durant des heures s'il le faut, jusqu'au signal de délivrance. Au contraire, leur mère s'ingénie à détourner l'attention : elle se traîne, se perche bien en vue et ne cesse de lancer sa roulade inquiète pîh-tettettettett... en agitant ses ailes pendantes.

A gauche : la femelle couve - à droite : après 25 jours, l'éclosionen bas: en position figée pour passer inaperçue

Photo Claude LE PENNEC, sur les traces de l'esprit sauvage, Serge Reverchon Publication

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Le coq paraît ignorer le nid et le début de l'élevage, bien qu'il ne quitte pas les alentours. Après sa mue partielle, dépourvu de sa bavette noire, il arrive cependant qu'il se rapproche de la famille et l'accompagne, participant même à sa défense. A un mois, les jeunes Gelinottes ressemblent beaucoup aux adultes, sauf par la taille inférieure, et commencent d'être indépendantes. Leur compagnie étend peu à peu son rayon d'action hors du territoire natal. Enfin, à 80-90 jours, un tournant décisif intervient : la mue fait ressortir leurs caractères sexuels et leur insociabilité ; les oiseaux se séparent définitivement à la recherche d'un domaine et d'un compagnon. Selon les régions, cet événement se produit entre mi-août et mi-septembre, déclenchant partout une activité vocale intense.

Dispersion

La dispersion automnale suscite en même temps des mouvements assez prononcés en septembre-octobre, qui peuvent déborder largement sur des régions où l'espèce ne niche pas. Des oiseaux isolés, dont la fréquence fait croire à des "invasions" locales, sont parfois signalés dans les bois de plaine et les lieux cultivés, jusque près des villages. Il arrive même que l'un s'égare et se jette dans une maison, probablement en fuite panique devant un prédateur. Avant l'hiver, tout rentre dans l'ordre. Sauf accident, la Gelinotte adulte -dès sa première année- se cantonne pour la vie dans un secteur limité ; c'est vrai surtout pour le mâle, très sédentaire. En effet, même en Finlande, les distances couvertes par des jeunes bagués n'excèdent guère 3 km, le maximum étant de 10 km. Par exception, dans le Nord, des déplacements massifs à plus grande distance ont été signalés, mais leurs causes restent obscures.

Gelinotte, jeune mâle. La tache noire de la gorge est encore marronKoprivnica, Bosnie, 28 octobre 1961 in Croquis de terrain

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Conservation

Ce gallinacé de la taïga eurasienne se maintient encore assez bien en Europe centrale. Refoulé dans les forêts montagnardes où l'exploitation modérée n'altère pas la diversité de la végétation, il ne paraît pas menacé par la prédation, ni par la chasse ordinaire. Depuis toujours, sa fécondité compense les pertes dues à l'Autour, au Renard, à la Martre ou au Sanglier destructeur de couvées. En revanche, la chasse à l'appeau, maintenant prohibée, s'avère très néfaste quand elle est pratiquée par des spécialistes sans scrupules ; en France, COUTURIER cite des "tableaux" de 10 à 40 captures en un jour, de 60 à 150 en une année... auxquelles s'ajoutent les prises au lacet des braconniers ; cela explique bien des disparitions locales. La sensibilité de l'espèce aux altérations de son milieu devrait être mieux prise en considération par les responsables des travaux forestiers, surtout lorsqu'ils ont tendance à transformer des peuplements naturels primitifs en formations artificielles uniformes ; les percées de voies carrossables sont aussi défavorables en introduisant des perturbations bruyantes et un parcours excessif dans les forêts, alors assez vite désertées par la Gelinotte.

Distribution

La Gelinotte des bois habite la zone forestière eurasiatique, de l'atlantique au Pacifique, où elle atteint les îles de Sakhaline et Hokkaïdo.

En France, l'espèce est confinée dans l'Est : forêts des Ardennes, de lorraine (sporadique), des massifs vosgiens, jurassiens et des Alpes, où la limite Sud est atteinte en Drôme et Basses-Alpes ; on la trouve encore en Haute-Saône mais elle s'est raréfiée en Haute-Marne et Côte d'Or. Sa présence serait possible dans les monts du Forez et des Cévennes ; on n'en a aucun indice récent dans le Massif Central, ni dans les Pyrénées, où elle a existé jadis.

En Belgique, elle subsiste dans les Ardennes où resteraient quelque 200 couples selon LIPPENS & WILLE. La Gelinotte était jadis plus répandue dans les reliefs boisés d'Allemagne, où elle s'est raréfiée et a même disparu de vastes régions. Elle est connue dans les îles Britanniques, mais 3 apparitions sont citées dans les Pays-Bas.

En Suisse, on rencontre la Gelinotte dans le Jura et les Alpes, y compris dans le nord du Tessin (là en liaison avec le Val d'Ossola et les Alpes italiennes plus à l'est), puis dans quelques massifs boisés du Plateau.

Mâle en plumage nuptial devant ; femelle perchée en haut à gauchePaul Barruel

Texte tiré de Grands échassiers gallinacés râles d'Europe de Paul Géroudet, Ed. Delachaux & Niestlé 1978Dessins et Gravure de Robert Hainard

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