La Fécondité des Québécoises 1870-1970…tivement dans la sous-fécondité durant les années...
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L’une des différences frappantes entre le Québec de la fin du xixe siècle et celui des années 1970 est certainement la réduction spectaculaire de la taille des familles. Contrairement à une impres-sion largement répandue, cette évolution vers des familles de taille réduite ne s’est pas faite en quelques années seulement durant la Révolution tranquille. Ce changement s’est amorcé plusieurs décennies plus tôt pour basculer défini-tivement dans la sous-fécondité durant les années 1970, situation qui perdure encore de nos jours. Les auteurs du présent ouvrage ont cherché à comprendre le long chemin parcouru depuis la fin du xixe siècle par les femmes et les hommes québécois pour parvenir à maîtriser leur fécondité et choisir le nombre d’enfants qu’ils auront.
À première vue assez pointue, cette ques-tion peut en fait servir de révélateur à bien d’autres aspects de l’histoire sociale du Québec. Liée comme ailleurs à la montée du capitalisme industriel et à l’urbanisation, elle n’est pas étrangère aux valeurs culturelles, à l’appartenance religieuse ou ethnique des individus, et s’inscrit dans un contexte balisé par les interventions de l’État. À travers une meilleure connaissance du déclin de la fécondité et des facteurs ayant pu y conduire, c’est donc aussi l’histoire de la rencontre du Québec avec la modernité qui est abordée. Bien plus, cette question interpelle directement les hommes et les femmes dans ce qu’ils vivent de plus intime, soit leur sexualité, et les nombreux témoignages cités ici par les auteurs proposent une vision profondément humaine et attachante de l’évolution du rôle des hommes et des femmes dans le couple et la famille.
Danielle Gauvreau est professeure au Département de sociologie et d’anthropologie de l’université Concordia. Elle est spécialiste en histoire de la population québécoise.
Diane Gervais est professeure associée à l’UQTR. Elle est également membre du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ).
Peter Gossage est professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke.
Boréal
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eLa Fécondité des Québécoises 1870-1970
ISBN 978-2-7646-0533-2 Impr
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Danielle Gauvreau, Diane Gervais, Peter GossaGe
La Fécondité des Québécoises 1870-1970
D’une exception à l’autre
Extrait de la publication
Les Éditions du Boréal4447, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) H2J 2L2
www.editionsboreal.qc.ca
Extrait de la publication
LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
1870-1970
Extrait de la publication
Danielle Gauvreau, Diane GervaisPeter Gossage
LA FÉCONDITÉDES QUÉBÉCOISES
1870-1970
D’une exception à l’autre
Boréal
Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines,de concert avec le Programme d’aide à l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Les Éditions du Boréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour ses activités d’édition et remercient le Conseil des Arts du Canada pour son soutien financier.
Les Éditions du Boréal sont inscrites au Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée de la SODEC et bénéficient du Programme de crédit d’impôtpour l’édition de livres du gouvernement du Québec.
Illustrations de la couverture : haut, enfants de Joseph-Eudore Lemay, 1911, BAnQC-SHS-P90/3725 ;médaillon, Mme Pitre Desbiens et ses enfants, 1916, BAnQC-SHS-P90/8723 ; bas, Le Magazine Maclean,décembre 1962 ; verso, Ovide Bossé — petits enfants, 1908, BAnQC-SHS-P90/67440 (Fonds J. E. Lemay,Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives du Saguenay–Lac-Saint-Jean).
© Les Éditions du Boréal 2007
Dépôt légal : 4e trimestre 2007
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Diffusion au Canada : DimediaDiffusion et distribution en Europe : Volumen
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Gauvreau, Danielle, 1955-
La Fécondité des Québécoises, 1870-1970 : d’une exception à l’autre
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 978-2-7646-0533-2
1. Fécondité humaine – Québec (Province) – Histoire. 2. Démographie de la famille – Québec (Pro-vince). 3. Famille – Dimension – Québec (Province). 4. Québec (Province) – Population – Histoire. I. Ger-vais, Diane, 1945- . II. Gossage, Peter, 1956- . III. Titre.
hb940.q4g38 2007 304.6’3209714 c2007-942100-8
Extrait de la publication
À nos mères, Gertrude Lortie-GauvreauRolande Collerette-Gervais
et Audrey Evelyn O’Rourke Gossage
Extrait de la publication
Introduction
On dira que nous ne sommes pas les seuls à subir un déclin
de natalité. Sans doute, mais le phénomène a frappé ici plus
fort qu’ailleurs. Dès qu’il se met en branle, le balancier s’en
donne à cœur joie chez nous : à l’époque où tout le monde
avait beaucoup d’enfants, nous en avions encore plus que
les autres. Maintenant que les autres en ont moins, nous
poussons la trajectoire plus loin et en faisons encore moins
que la plupart d’entre eux.
LUCIEN BOUCHARD, Cri d’alarme !,
conférence sur la dénatalité publiée
dans La Presse, le 4 décembre 2003, p. A-20.
Le Québec des années 1970 diffère à bien des égards du Québec dela fin du XIXe siècle. L’une des différences frappantes est certaine-
ment la réduction spectaculaire de la taille des familles, passée d’envi-ron six enfants à trois enfants durant cette période. Contrairement àune impression largement répandue, cette évolution vers des famillesde taille réduite ne s’est pas faite en quelques années seulement durantla Révolution tranquille. Ce changement s’est amorcé plusieurs décen-nies plus tôt pour basculer définitivement dans la sous-fécondité durantles années 1970, une situation qui perdure encore de nos jours. Les
auteurs du présent ouvrage ont cherché à comprendre le long cheminparcouru depuis la fin du XIXe siècle par les femmes et les hommes qué-bécois pour parvenir à maîtriser leur fécondité et à choisir le nombred’enfants qu’ils auront.
À première vue assez pointue, cette question peut en fait servir derévélateur pour bien d’autres aspects de l’histoire sociale du Québec.Liée comme ailleurs à la montée du capitalisme industriel et à l’urba-nisation, elle n’est pas étrangère aux valeurs culturelles, à l’appartenancereligieuse ou ethnique des individus, et elle s’inscrit dans un contextebalisé par les interventions de l’État. Bien plus, elle interpelle directe-ment les hommes et les femmes dans ce qu’ils vivent de plus intime, soitleur sexualité. À travers une meilleure connaissance du déclin de lafécondité et des facteurs ayant pu y conduire, c’est donc aussi l’histoirede la rencontre du Québec avec la modernité qui est abordée ; celle aussides représentations religieuses et de la transformation des rapportsentretenus avec la religion catholique par la majorité de la population ;c’est également l’histoire des sexes et de l’évolution du rôle des femmeset des hommes dans le couple et la famille, pour ne nommer quequelques aspects centraux.
Cette étude, fruit d’une dizaine d’années de recherche interdiscipli-naire, trouve son origine dans un constat et une conviction. Le constat,d’abord, que tout n’a pas été dit sur le déclin de la fécondité québécoise,même si plusieurs spécialistes, depuis les pionniers Enid Charles et Jacques Henripin, se sont penchés avant nous sur cette question.La conviction, ensuite, qu’il y a toujours place, à l’échelle québécoisecomme à celle des populations en général, pour approfondir notreconnaissance du phénomène de la transition de la fécondité, ainsinommé par les démographes, qui a constitué une véritable révolutiondes modes de reproduction des populations.
Au Québec, la situation de surfécondité par rapport au Canadaanglais a davantage attiré l’attention que la tendance à la baisse, plustimide mais néanmoins réelle. Alimenté par ces incessantes comparai-sons, notre imaginaire collectif a fait une grande place aux légendairesfamilles nombreuses en les attribuant le plus souvent à l’influence del’Église catholique ou au retard économique du Québec. Mais qu’en est-
10 LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
il exactement ? Nous sommes persuadés que la baisse de la fécondité etle parcours singulier qu’elle a emprunté constituent des élémentsimportants de notre histoire qui méritent qu’on s’y attarde pour mieuxles comprendre. Cela d’autant plus que de nouvelles sources sont dis-ponibles pour le réexamen de cette question et que les témoins des der-nières étapes de cette évolution sont toujours là pour en rendre compte,en raison justement de son caractère plus tardif qu’ailleurs. Ce livreprend donc appui sur de nouveaux matériaux pour mieux décrire etcomprendre un siècle d’évolution de la fécondité au Québec.
De manière plus générale, notre étude s’inscrit dans un contexte oùles spécialistes de l’étude des populations ne disposent pas d’une théo-rie unique et éprouvée permettant d’expliquer ce qui enclenche et nour-rit le déclin de la fécondité dans une société donnée. Plusieurs explica-tions ont été proposées, que des travaux renouvellent sans cesse. Lesquestions abordées dans cet ouvrage participent donc aussi de cerenouvellement théorique visant à mieux comprendre les fondementset les modalités de la transition de la fécondité. En raison de sa popula-tion contrastée sur les plans ethnique, religieux et linguistique, le Qué-bec offre un poste d’observation privilégié à qui cherche une meilleurearticulation entre différentes explications du déclin de la fécondité. L’ac-cès à des témoins de la dernière étape de cette transition rend cettesituation encore plus prometteuse.
Cet ouvrage est issu de la collaboration de trois chercheurs prove-nant d’horizons disciplinaires différents : une spécialiste de la démo-graphie historique (Danielle Gauvreau), une ethnologue (Diane Ger-vais) et un spécialiste de l’histoire sociale du Québec (Peter Gossage).Au cours des dernières années, nous avons travaillé de concert afin decomprendre, chacun à partir d’un angle spécifique, les méandres decette quête de maîtrise de leur fécondité par les Québécoises et les Qué-bécois. La facture de l’ouvrage traduit ces efforts collectifs. Il regroupedes analyses statistiques et l’étude de discours publics variés pour toutela période couverte ainsi que l’analyse des témoignages des acteurs dela période allant des années 1930 à 1970. Comme les compétences dechacun des auteurs le laissent présager, Diane Gervais, s’appuyant surun croisement de sources orales et écrites, a assumé la responsabilité des
INTRODUCTION 11
trois derniers chapitres. Peter Gossage s’est chargé de l’analyse des dis-cours publics (chapitre 2), en plus de participer à l’analyse des donnéesstatistiques les plus anciennes (chapitre 3). Finalement, Danielle Gau-vreau a été responsable de toutes les analyses statistiques de même quede la coordination générale de l’ouvrage. Malgré l’étroite collaborationentre les auteurs, il est possible que la multiplicité et la diversité desapproches laissent apparaître des différences d’interprétation dans letraitement de certaines questions. Nous laissons aux lecteurs le soin de juger de la cohérence de l’ensemble.
Décider de la structure définitive de cet ouvrage ne fut pas choseaisée. Plusieurs trames furent envisagées, dans le respect, bien sûr, dudéroulement chronologique des principales étapes de la transition.Finalement, nous avons choisi de faciliter la tâche au lecteur moins férude statistiques en livrant d’abord les résultats de notre analyse des dis-cours publics sur les thèmes de la famille et de la limitation des nais-sances (chapitre 2). Ce chapitre, qui couvre pratiquement l’ensemble dela période couverte par notre étude, pose des balises essentielles pour lacompréhension du contexte dans lequel évoluaient les individus et sefaçonnaient leurs comportements de fécondité. Il s’appuie sur l’analysede sources originales pour la période antérieure à 1920 et propose unesynthèse des études publiées jusqu’en 1960. La transformation des dis-cours y est relatée, qui met en évidence le caractère spécifique de lasociété québécoise, mais aussi son appartenance à un monde occiden-tal secoué par les bouleversements économiques et les crises politiques.
L’analyse fondée sur des sources primaires se poursuit avec les résul-tats de la partie statistique de ce travail. Deux chapitres traitent tour àtour de périodes qui se distinguent par la nature des données permet-tant d’appréhender les comportements de fécondité : les recensementsde 1871 et de 1901 pour la période de l’amorce du déclin, puis des don-nées rétrospectives d’enquêtes et de recensements pour la période allantde 1930 à 1970 environ. Dans le premier de ces chapitres (chapitre 3),les signes d’un déclin de la fécondité apparaissent au tournant duXXe siècle, mais tous les groupes sociaux ne sont pas également affec-tés, notamment en fonction de caractéristiques comme la religion, lalangue, l’habitat ou la profession. Au chapitre suivant (chapitre 4), les
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Extrait de la publication
niveaux de fécondité des premières décennies du XXe siècle sont d’aborddécrits et analysés à partir des études disponibles. De nouvelles analysesmenées sur les données rétrospectives de l’Enquête de fécondité duQuébec de 1971 et du recensement de 1971 permettent ensuite de tra-cer un portrait plus détaillé de ces étapes de la transition de la féconditéau Québec. On y voit, là aussi, des écarts importants entre diversgroupes, mais aussi des différences significatives au sein même de lamajorité francophone et catholique. L’évolution vers une généralisa-tion de la volonté contraceptive devient alors évidente, particulièrementdans ce dernier groupe, tout comme l’est la montée des tensions à cet égard.
À partir d’approches différentes mais complémentaires, les troischapitres suivants couvrent la même période s’étendant de 1930 à 1970.Dans un premier temps, l’approche ethnographique permet une incur-sion fascinante dans le vécu des acteurs de ces phénomènes (chapitres 5et 6). Afin d’approfondir notre compréhension des comportements misau jour au moyen des statistiques, une centaine d’entrevues ont été réalisées, certaines avec des femmes et des hommes ayant eu leursenfants au cours des décennies 1930-1960, d’autres avec des prêtres etdes médecins ayant exercé durant ces mêmes années. La majorité de cesacteurs sont des catholiques francophones provenant de la régionmontréalaise, là où les aspirations à une famille réduite étaient vrai-semblablement les plus accentuées. Ce matériau très riche livre une his-toire poignante des efforts réalisés pour avoir moins d’enfants tout enrestant fidèle à la morale catholique. Alors que, pour certains, la tâche apu se révéler plus facile (chapitre 5), elle constitua pour d’autres unevéritable épreuve à surmonter (chapitre 6). Plus généralement, cette his-toire révèle que toutes les catégories d’acteurs durent faire face d’unemanière ou d’une autre à des tensions et à des contradictions impor-tantes qui en amenèrent plus d’un à adopter des stratégies de contour-nement des normes pour le moins étonnantes.
Couplée à l’analyse de sources écrites, l’analyse ethnographique permet, dans un dernier chapitre (chapitre 7), d’explorer la décennie des années 1960, celle où les niveaux de fécondité basculèrent défini-tivement sur la pente de la sous-fécondité. Durant cette période, les
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tensions entre les couples catholiques canadiens-français et l’Église écla-tèrent au grand jour dans un fracas médiatique assourdissant. Cettepériode est aussi celle où ces tensions se dénouèrent définitivement dansle sillage de l’arrivée de la pilule anticonceptionnelle, des tergiversationsde l’Église au temps de Vatican II et de la montée d’une nouvelle géné-ration d’intervenants sociaux laïques. L’analyse des témoignages desmédecins et des prêtres ainsi que celle des circonstances ayant entouréla mise en place de services de planification familiale permettent demieux comprendre certains mécanismes à l’origine du déclin précipitéde la fécondité à partir des années 1960. Après un siècle d’une surfé-condité quasi exceptionnelle, voilà que le Québec entrait dans une phaseinverse lui conférant à nouveau une place d’exception.
Nous présentons dans un premier chapitre les balises théoriques denotre démarche et la place de celle-ci dans les écrits sur l’histoire de lapopulation du Québec, donnant un aperçu des explications existantesdu déclin de la fécondité et ciblant particulièrement celles utilisées dansnotre travail. Une vue d’ensemble de l’évolution du régime démogra-phique du Québec y est également tracée afin de comprendre les condi-tions générales dans lesquelles se reproduit la population durant cettepériode : niveaux de mortalité, mobilité géographique ou même pro-pension à se marier. Cette vue d’ensemble servira de toile de fond pourappréhender l’évolution de la fécondité, qui n’est pas sans lien avec celled’autres phénomènes comme la mortalité des enfants ou les modalitésdu mariage. Finalement, un survol des études ayant porté sur la fécon-dité au Québec vient compléter le portrait général tracé dans ce premierchapitre.
* * *
De nombreuses dettes de toutes sortes ont été accumulées au coursdes dix années où s’est déroulée cette recherche. Sur le plan financierd’abord, ce travail a bénéficié de l’appui indispensable du Conseil derecherches en sciences humaines du Canada, grâce à deux subventions
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Extrait de la publication
consécutives sur des thèmes connexes. La fondation Hannah pourl’étude de l’histoire de la médecine a accordé son soutien financier ausegment de la recherche concernant les médecins. Nos établissementsrespectifs, soit l’université Concordia et l’Université de Sherbrooke, demême que l’Institut interuniversitaire de recherches sur les populations(IREP) ont été les autres bailleurs de fonds de cette recherche. Enfin, leprésent ouvrage a été publié grâce à une subvention du Programmed’aide à l’édition savante de la Fédération canadienne des scienceshumaines du Canada.
À de nombreuses occasions, nous avons pu compter sur la généro-sité de personnes et d’organismes qui nous ont assistés dans notre tra-vail. Nous remercions nos collègues de l’Université de Montréal, DenyseBaillargeon (histoire) ainsi qu’Évelyne Lapierre-Adamcyk, Paul-MarieHuot et Nicole Marcil-Gratton (tous trois du département de démo-graphie), pour avoir partagé avec nous des données colligées plusieursannées avant que notre projet ne prenne forme. Nos collègues GordonDarroch et Michael Ornstein, de l’université York (sociologie), ont faitde même pour leur échantillon du recensement de 1871. L’organismeSeréna nous a ouvert ses portes et ses archives pour nous aider à mieuxcomprendre cette part essentielle de notre histoire. Le Collège desmédecins, l’Évêché de Montréal et le personnel de plusieurs résidencespour personnes âgées ont grandement facilité nos démarches pourcontacter des témoins des années 1930 à 1970. Nos remerciements lesplus sincères vont d’ailleurs à ces témoins qui ont accepté de nous livrerune part intime d’eux-mêmes, parfois douloureuse, et sans qui plu-sieurs questions n’auraient pu trouver de piste de réponse.
Une recherche repose rarement sur ses seuls chercheurs princi-paux et celle-ci ne fait pas exception. Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans le travail assidu de plusieurs excellents assistants de recherchequi nous ont habilement secondés tout au long de notre travail : à l’uni-versité Concordia, ce sont Marie-Odile Magnan-Mackay, Morva-rid Saidi, Stefania Traglia, Sylvie Gravel, Richard Duranceau, YasamanSanjari et Didier Charles ; à l’Université de Sherbrooke, il s’agit de JulienBréard, Catherine Laforce, Nathalie Marceau, Liette Côté, Réjean Côté, Carolyne Blanchard et Antoine Guillemette. Nous les remercions
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chaleureusement : leur travail, mais aussi leur enthousiasme pour ceprojet, nous a grandement aidés à mener le travail à terme.
Finalement, cette recherche a bénéficié tout au long des dernièresannées de nombreux échanges formels et moins formels avec des col-lègues d’ici et d’ailleurs. Nous les remercions, surtout les collègues duProjet de recherches sur les familles canadiennes avec qui ces échangesont été particulièrement nombreux et enrichissants.
16 LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
Extrait de la publication
C H A P I T R E 1
Comprendre le déclin de la fécondité
Avant d’amorcer l’analyse proprement dite de l’évolution de lafécondité au Québec au cours du siècle s’étendant de 1870 à 1970,
il importe de faire le tour d’un certain nombre de questions préalables.La première concerne les explications généralement acceptées du déclinde la fécondité dans le monde occidental, dont nous verrons bientôtqu’elles ne font pas l’unanimité. Les deux autres nous ramènent à l’ex-périence spécifique du Québec : d’abord pour poser les balises d’unrégime démographique en mouvement tout au long de la période étu-diée, puis pour proposer un bilan des études déjà réalisées sur la ques-tion du déclin de la fécondité et en tirer les acquis pour notre propretravail.
Une documentation vaste et variée
Il n’existe pas d’explication simple ou universelle du déclin de la fécon-dité qui a touché, à des degrés variés, toutes les sociétés du monde occi-dental à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Nos connaissancessur le sujet sont pourtant vastes et la diversité des modèles avancés pourcomprendre cette évolution est impressionnante. Le survol proposé ici vise à situer les éléments du cadre théorique privilégié dans notreétude. Chronologique dans une large mesure, ce bilan aborde tour à
tour différentes catégories d’explications, pas toujours mutuellementexclusives, qui vont de considérations démographiques, matérielles etculturelles à des questions de rapports de genre et de génération.
La transition démographique
La transition d’un régime de fécondité élevée à un régime de féconditéplus faible ne pouvait pas passer inaperçue auprès des spécialistescontemporains de l’évolution des sociétés. Les premières thèses sur latransition de la fécondité apparaissent à la fin des années 1920 dans lestravaux de Warren Thompson (1929). Elles sont suivies de la formula-tion de la théorie de la transition démographique, notamment par FrankNotestein en 1945. Dans sa forme classique, le schéma de la transitiondémographique décrit les trois phases de transformation d’une situa-tion où dominent les familles nombreuses et où la vie est fragile en rai-son des niveaux de mortalité et d’épidémies fréquentes, à une situationoù les couples ont moins d’enfants et où ceux-ci jouissent d’une espé-rance de vie de plus en plus longue. La première phase d’équilibre rela-tif entre mortalité et fécondité élevées se trouve rompue par une chutede la mortalité qui entraîne, dans une seconde phase, une croissancerapide de la population. La troisième phase se caractérise par le déclinde la fécondité qui, en ralentissant la croissance de la population, conduità un nouvel état d’équilibre : les niveaux de mortalité et de fécondité sontalors faibles et la fécondité est plus souvent sujette à des soubresauts.
La chute de la mortalité joue un rôle central dans ce modèle, qui futformulé, il faut le préciser, à une époque où les systèmes d’enregistre-ment des données d’état civil permettaient difficilement d’effectuertoutes les vérifications nécessaires. Logique à première vue, cette expli-cation a souvent été critiquée, d’abord parce qu’il est difficile d’imagi-ner une correspondance quasi mécanique entre des phénomènesdémographiques vécus à l’échelle des familles et présentant un fortdegré de variabilité. L’existence d’une composante familiale de la mor-talité infantile ainsi que les niveaux de fertilité variables d’un couple àl’autre contribuent en effet à masquer le lien causal entre chute de lamortalité et chute de la fécondité, et ce lien ne saurait donc se manifes-
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Extrait de la publication
ter qu’à long terme et de manière relativement indirecte (Goldscheider,1971, p. 149). Un autre élément de critique résulte de l’épreuve des faits,puisque la séquence proposée ne correspond pas à l’expérience concrètedans plusieurs pays (Chesnais, 1986 ; Festy, 1970).
D’autres éléments du régime démographique, cet agencement spé-cifique des conditions permettant à une population de se reproduire,sont susceptibles de jouer un rôle dans les situations où les couplespourraient décider d’avoir moins d’enfants (Davis, 1963). Commel’avait suggéré le révérend Thomas Malthus au début du XIXe siècle etcomme l’a démontré l’expérience de pays européens telle l’Irlande,l’augmentation du célibat définitif et le retard de l’âge au mariageconstituent d’autres mécanismes d’ajustement à la baisse de la capacitéreproductive d’une population donnée. Moins répandues dans lessociétés neuves comme le Canada et les États-Unis, ces pratiques n’ensont pas moins susceptibles de créer des écarts dans le rythme de repro-duction de divers groupes lorsque les femmes s’y marient selon descalendriers différenciés. Absente du schéma classique de la transitiondémographique, la migration constitue un autre élément essentiel per-mettant de comprendre l’expérience concrète de la transition de lafécondité en de nombreux endroits (Moch, 1992) : à l’échelle interna-tionale d’abord, parce que les migrations en provenance des pays d’Eu-rope vers les Amériques ou l’Australie ont constitué une formidablesoupape durant la période de croissance soutenue des populationseuropéennes ; à l’échelle interne ensuite, en raison de l’urbanisation quia drainé vers les villes une part non négligeable des populations rurales.Dans les pays du Nouveau Monde, il faut encore ajouter à cela la possi-bilité, pendant de nombreuses années, de migrer vers de nouveauxfronts pionniers. Tous ces mouvements pouvaient en quelque sorteconstituer des solutions de rechange à la limitation des naissances, et lerégime démographique dans son ensemble doit être pris en comptedans les tentatives d’explication de la transition de la fécondité.
Après la Seconde Guerre mondiale et dans la foulée de la décoloni-sation survenue à la fin des années 1950, la théorie de la transitiondémographique revêt une importance nouvelle lorsque des tentativessont faites pour l’appliquer aux pays en voie de développement. Perçue
COMPRENDRE LE DÉCLIN DE LA FÉCONDITÉ 19
Extrait de la publication
par plusieurs comme un modèle général, un passage obligé de tout« progrès » démographique, la théorie de la transition démographiquene colle pas toujours bien à l’expérience de ces pays qui connaissentalors une chute relativement rapide de leur mortalité, résultat entreautres des connaissances médicales produites dans les pays industriali-sés et importées dans les pays en développement. En l’absence d’unvéritable développement social et économique, la baisse de la féconditétarde souvent à venir, ce qui prolonge la période de croissance soutenuede la population (seconde phase), une situation jugée inquiétante parplusieurs. S’ensuit un débat sur le thème « population et développe-ment », marqué entre autres par l’opposition entre les tenants d’uneinterprétation fondée sur les facteurs socioéconomiques et les partisansd’une explication axée sur le changement des valeurs et la diffusiond’idées nouvelles relatives à la contraception. En résumé, les premiersinsistent sur le fait qu’un certain seuil de développement économiquedoit être atteint pour qu’une baisse significative de la fécondité puissese produire (développement » fécondité), tandis que les seconds accor-dent une relative autonomie à la démographie, voire un effet d’entraî-nement, la fécondité pouvant décliner à la suite d’un changement devaleurs et de mentalités (population » développement).
Explications matérielles ou culturelles ?
Les décennies 1960 et 1970 représentent probablement l’apogée de cedébat à propos de la transition de la fécondité1, souvent résumé dansl’opposition des termes « adaptation ou diffusion ». D’un côté, le terme« adaptation » renvoie à un ensemble d’explications mettant l’accent surl’adaptation des couples aux nouvelles conditions socioéconomiquestandis que, de l’autre, les explications axées sur la « diffusion » situentplutôt le moteur de la transition dans l’apparition et la diffusion denouvelles valeurs. Le débat des décennies 1960 et 1970 se déroule surdeux fronts, l’un contemporain, dans le cadre des pays en développe-ment, et l’autre historique, dans le cadre des pays développés. La suiteimmédiate contribue à donner un regain à la thèse de la diffusion, etcela, de deux façons différentes.
20 LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
Extrait de la publication
Table des matières
INTRODUCTION 9
CHAPITRE 1 • COMPRENDRE LE DÉCLIN DE LA FÉCONDITÉ 17
Une documentation vaste et variée 17
La transition démographique 18
Explications matérielles ou culturelles ? 20
Acteurs sociaux et relations de pouvoir 26
Conséquences pour l’analyse 28
Fécondité et régimes démographiques au Québec 30
L’exception québécoise 31
Le mariage : frein ou encouragement à une fécondité élevée ? 35
Un lourd tribut payé à la mortalité 36
Migrations et urbanisation 37
Aperçu des études antérieures 40
CHAPITRE 2 • AU-DELÀ DE LA REVANCHE DES BERCEAUX :
LES DISCOURS PUBLICS EN MATIÈRE DE PROCRÉATION, 1870-1960 45
Avant 1920 : un discours nataliste omniprésent 49
La gloire de la famille nombreuse 49
Les premiers cris d’alarme 55
La Grande Guerre et la logique populationniste 61
Une voix dissidente : Le Pays 66
De 1920 à 1960 : le problème de la famille nombreuse 71
Un discours intransigeant mais adaptatif 72
Pour la régulation des naissances : un discours discret 83
La guerre et l’après-guerre 94
CHAPITRE 3 • LES DÉBUTS DE LA TRANSITION :
QU’EN DISENT LES RECENSEMENTS ? 107
Mesurer la fécondité au moyen des recensements
de 1871 et de 1901 109
L’amorce d’une transition 117
Comparaison des modèles pour 1871 et 1901 124
Conclusion 134
CHAPITRE 4 • ASPIRATIONS ET COMPORTEMENTS DE FÉCONDITÉ
AU XXe SIÈCLE : LA MONTÉE DES TENSIONS 135
Avant la Seconde Guerre mondiale 136
Vers le point de non-retour 143
Conclusion 154
CHAPITRE 5 • L’ART DE VIVRE AVEC LES MÉTHODES RYTHMIQUES,
1930-1970 157
Dura lex sed lex 159
La pastorale conjugale au Québec 165
Témoignages de pasteurs 169
344 LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
Extrait de la publication
Rigorisme et confiance dans une Église inspirée de l’Esprit saint 171
Être pasteur avant d’être moraliste 173
Les récits de vie conjugale 176
« Le désir, c’était beau ! » 180
« On était conditionnés » 184
La spiritualité conjugale 186
Personnalisme et sublimation du désir 190
CHAPITRE 6 • L’ÉPREUVE DE LA MORALE CONJUGALE 193
Récits de vie conjugale 195
Les Martin ou le prix de la conformité religieuse 196
Distance et accommodement chez les Trudeau 202
Pour Jules, point de salut 206
Vous avez dit « Art de vivre » ? 211
Contraception et morale 214
Ogino : une simple question de morale ? 215
Transgressions ou remèdes à la continence 220
Sexualité, contraception et structure de pouvoir dans le couple 224
La sexualité : domaine masculin et démission féminine 225
La méthode Ogino : une responsabilité partagée ? 231
La contraception d’arrêt : une prise en charge masculine 233
Un modèle de pratiques conjugales 235
CHAPITRE 7 • LES ANNÉES 1960 : DE L’INTERDIT AU DROIT 239
Fracas médiatique autour du problème de l’heure 240
Témoignages d’un milieu médical surpris en défaut d’assistance 246
Le concile Vatican II et la morale conjugale 249
TABLE DES MATIÈRES 345
Inquiétudes des clercs sur le bien-fondé de la morale 252
L’après-Humanae vitæ dans le monde clérical 254
Les pionniers de la planification familiale 260
Mil neuf cent cinquante-cinq, Seréna
et la « régulation des naissances » 261
Mil neuf cent soixante-quatre, création de l’Association
pour la planification familiale de Montréal 262
Lever l’obstacle juridique 263
Mil neuf cent soixante-sept, création du Centre
de planification familiale du Québec 265
Conclusion 266
CONCLUSION 269
ANNEXE A • LES RECENSEMENTS DE 1871 ET DE 1901 : VÉRIFICATIONS
PRÉALABLES À L’ANALYSE DE LA FÉCONDITÉ 277
ANNEXE B • ENQUÊTES ORALES 281
NOTES 303
BIBLIOGRAPHIE 323
LISTE DES TABLEAUX 339
LISTE DES FIGURES 341
346 LA FÉCONDITÉ DES QUÉBÉCOISES
Extrait de la publication
MISE EN PAGES ET TYPOGRAPHIE :LES ÉDITIONS DU BORÉAL
ACHEVÉ D,IMPRIMER EN OCTOBRE 2007SUR LES PRESSES DE MARQUIS IMPRIMEUR
À CAP-SAINT-IGNACE (QUÉBEC).
Imprimé sur du papier 100 % postconsommation,traité sans chlore.
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