La dimension rythmique et percussive dans les musiques électroniques populaires dansantes....
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La dimension rythmique et percussive dans les musiques électroniques populaires dansantes.Par Augustin Lafont, sous la direction de Martin Laliberté.
Mémoire de recherche de Master 1 Musique et informatique musicale. Université Paris-Est-Marne-la-Vallée UFR Lettres, Arts, Communication et Technologies.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Mémoire de recherche non soutenu Master 1 Musique et Informatique Musicale
Université Paris-Est-Marne-La-Vallée UFR Lettres, Arts, Communication et Technologies
Juillet 2016 !Couverture : Arthur Hun / arthurhun.com ©
Remerciements 4
Avant-propos 5
Introduction 9
1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et de quelle
façon s’est-elle intéressée au rythme ? 17
2. Le rythme d’un point de vue compositionnel 36
3. L’appréhension par l’auditeur et le danseur : quelle influence peuvent avoir le rythme et les
percussions de la musique de club sur nos oreilles et sur notre corps ? 57
Conclusion 73
Annexes 78
Bibliographie 80
Discographie 86
Remerciements
! Je tiens à remercier particulièrement Martin Laliberté pour le suivi qu’il a effectué tout au
long de la rédaction de ce mémoire et pour le grand intérêt qu’il a pu y porter.
! Je voudrais également remercier Salomé Coq pour son aide précieuse et ses conseils et
Sarah Ackerer pour les relectures.
!
!4
Avant-propos
! L’objectif de ce mémoire est de rapporter et d’expliquer des phénomènes, des théories, et
des pensées à propos de la musique électronique populaire destinée au club et à la danse et à
l’aspect rythmique - et plus particulièrement l’aspect percussif - de cette dernière. Dans « A
framework for discuss- ing tonality in electronic dance music », Rene Wooler et Andrew R. Brown
considèrent que le rythme ayant une importance majeure dans ce type de musique, les musicologues
ont beaucoup laissé de côté l’analyse de la tonalité . Pour ma part, c’est précisément parce que le 1
rythme est l’élément sur lequel se focalise la musique de club que j’ai eu envie de m’y attarder afin
de comprendre pourquoi.
!Dans Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, l’historienne et anthropologue
Nicole Loraux a choisit de convoquer la psychanalyse afin d’atteindre « l’objet en sa spécificité » . 2
Elle explique plus loin :
!Il se pourrait - c’est un risque auquel s’expose quiconque travaille aux frontières - que ni les historiens ni les psychanalystes n’y trouvent finalement leur compte. Ceux-ci parce qu’ils préfèrent les hellénistes prudemment cantonnés dans leur territoire et leur laissant ainsi le pónos glorieux de l’interprétation ; ceux-là, parce qu’ils se méfient de tout travail qui doive 3
passer par des constructions, exigeant du chercheur qu’il intervienne dans sa recherche avec tout ce qu’il est - et d’abord ses propres choix . 4
!Nicole Loraux choisit donc, au risque de ne pas adopter une démarche classique d’historienne, de
travailler « aux frontières » de plusieurs disciplines afin de mieux répondre à son sujet. En somme,
deux choix sont possibles quand il s’agit de réaliser un travail de recherche : soit passer par la
microspécialisation, c’est-à-dire étudier son sujet à travers le champ d’une seule discipline (ce qui
correspond à la volonté d’expliquer), soit le fait de croiser les disciplines (ce qui correspond à la
volonté de comprendre). Cela implique parfois d’accepter de faire de l’anachronisme (Nicole
Loraux par exemple utilise la psychanalyse pour étudier la société grecque antique alors que celle-ci
se situe 2000 ans avant Freud) . En somme, croiser les disciplines permet d’interpréter alors que la 5
!5
! WOOLER, Rene, BROWN, Andrew R., A framework for discuss- ing tonality in electronic dance music, Proceedings 1
of the Sound : Space - The Australasian Computer Music Conference, Sydney, 2008, ACMA, pp. 91-95.! LORAUX, Nicole, Les Expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, NRF Essais, 1989, p. 2
25.! Dans le glossaire du même ouvrage, Nicole Loraux définit le pónos comme « le travail comme épreuve, à la fois 3
exploit et peine ».! LORAUX, Nicole, Op. cit. p. 25.4! cf. les travaux de l’ANHIMA (Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques) dont les chercheurs adoptent beaucoup 5
cette démarche.
microspécialisation permet seulement d’expliquer. Si j’avais choisi d’avoir une approche de
musicologue uniquement (ce que je ne suis pas), mon analyse aurait été bien moins pertinente que si
elle avait été menée par de « vrais » musicologues et j’aurais pris le risque de passer à côté de mon
sujet qui englobe d’autres problématiques (sociales et sociologiques, philosophiques, scientifiques,
etc.). J’ai donc fait le choix de la transdisciplinarité (dans une certaine mesure, la majeure partie de
mon analyse étant musicologique), afin d’être libre de parler de plus de choses et d’avoir différents
angles d’analyse.
! La musique électronique populaire dansante étant un secteur d’initiés, il convient de définir
une partie du vocabulaire utilisé par ces derniers. Ainsi, un compositeur sera appelé producteur dans
la mesure ou il cumule composition et travail du son (mixage des différentes sources sonores entre
elles et effets). Le producteur travaille la plupart du temps dans son propre studio de musique : le
home-studio . Les morceaux de musique électronique de club sont d’une double utilité : en plus 6
d’être une oeuvre musicale à part entière, ils sont des outils utilisés par les D.J - qui sont, pour la 7
plupart, eux-mêmes producteurs - pour faire danser des auditeurs (dans des clubs le plus souvent 8
mais aussi dans divers endroits : en extérieur, dans des rave, des bars, des centres culturels, des
salles de spectacle, etc.). Ces morceaux sont donc destinés en premier lieu à être entendus à fort
volume, mixés entre deux autres morceaux : leurs structures sont donc pensées par rapport à cet 9
aspect de diffusion et leurs durées sont souvent supérieures à celles des standards pop (dont on situe
en général la moyenne à 3 minutes pour un morceau). Ces performances réalisées par les D.J sont
appelées des dj-set, et durent généralement plusieurs heures (si un concert dure rarement plus de 10
deux heures, c’est en général un minimum pour un dj-set).
!La plupart des morceaux sont publiés sous forme d’E.P (Extended Play), c’est à dire des disques
microsillons (ou vinyles) d’une quinzaine de minutes maximum comptant, en général, entre deux 11
et cinq morceaux (on parle aussi de single ou de maxi) . Malgré la persistance de ce format 12 13
!6
! Dont nous développerons la notion infra (2.1).6! Le D.J (disc-jockey) est celui qui diffuse des morceaux de musique dans le but de faire danser une foule.7! Il n’est donc pas rare que les D.J jouent des morceaux de leurs amis producteurs avant leur sortie officielle . On parle 8
alors d’unreleased. Si l’unreleased est sous la forme d’un disque vinyle, on parle de dubplate.! Dans un second temps, on peut bien entendu les écouter de façon isolée.9! Parfois une nuit (les dj-sets ayant lieu la plupart du temps la nuit) ou bien une journée entière.10! Bien qu’il puisse sembler obsolète aujourd’hui, le disque vinyle est resté présent dans le milieu du deejaying pour sa 11
dimension culturelle et traditionnelle, et pour sa propension à être collectionné.! Il arrive que certaines sorties ne comportent qu’un seul morceau. On parle alors d’un single-sided dans le cas d’un 12
disque vinyle car une seule face est gravée.! Les maxis (pour maxi 45 tours) désignent des singles gravés sur de grands disques de 12 pouces. C’est un format 13
prisé par les D.J car il permet une dynamique et un volume sonore plus élevé qu’avec des disques de 7 pouces (qui à l’origine sont utilisés pour les singles).
physique dans la musique électronique, les morceaux sont en général disponibles à la vente au
format digital (on applique néanmoins la terminologie précitée à la musique numérique). Les
producteurs publient également des albums ou L.P (Long Play), mais le plus souvent pour explorer
d’autres territoires musicaux (pour éviter de se cantonner à l’aspect fonctionnel propre à la musique
de club qui, sur une plus longue durée, peut être rébarbatif pour l’auditeur). Ainsi la majorité des
musiques de club sortent sur des formats courts, et souvent en vinyle (mais également en digital).
Un morceau peut être accompagné d’un remix, c’est-à-dire d’un travail de recomposition du
morceau original à partir des pistes séparées. Le remix, souvent effectué par un autre producteur,
peut tout aussi bien être réalisé par le compositeur original. Il existe, pour ce genre de cas, de
nombreuses variantes sémantiques du mot remix comme alternate mix, V.I.P . Un edit est un remix 14
mais à partir du master original (et non des pistes séparées comme c’est le cas pour le remix). Par
ailleurs, il n’est pas rare que le nom du morceau soit accompagné d’un qualificatif écrit entre
parenthèses. Par exemple : (club mix), (instrumental mix), (vocal dub), etc. Cette vision de la
composition musicale, à l’origine purement pragmatique (le but est d’informer le D.J sur la nature
du morceau : une version sans voix, plus dansante ou au contraire plus atmosphérique, etc.), est
devenue avec le temps un véritable élément esthétique de la musique électronique.
!Un morceau de musique électronique de club possède un certain nombre d’éléments rythmiques et
percussifs, qui, le plus souvent, sont des évolutions des différents éléments de la batterie acoustique
utilisée dans la musique populaire. On retrouve le kick (la grosse caisse de la batterie jouée à la 15
pédale), le hi-hat (la cymbale charleston) , la snare (la caisse claire), mais aussi d’autres éléments 16
comme le clap qui est une substitution de la snare, les cymbales, etc. Ces éléments ne sont pas
nécessairement fidèles à l’empreinte acoustique de la batterie, l’idée étant qu’ils en utilisent
simplement les fonctions rythmiques (entre autres). Ils sont ensuite agencés en figures rythmiques
(des patterns) qui se répètent dans le temps. Ces patterns se combinent entre eux et cette 17
association constitue d’autres patterns (un pattern de kick associé à un pattern de clap forme un
troisième pattern). Ces sons de percussions peuvent être de différentes natures : issus d’une boîte à
rythmes ou bien d’un synthétiseur, issus d’un sample - c’est-à-dire provenant d’une source sonore
!7
! « Variation in Production ». Souvent utilisé dans les disques anglais. Il faut noter qu’ici, le terme production peut 14
référer à la fois à l’aspect mixage et traitement du son et à l’aspect composition.! dont nous parlerons plus en précision infra (3.2).15! terme archaïque conservé dans le langage francophone.16! Nous privilégierons ce terme par rapport à ses équivalents que sont motif et figure dans la mesure où c’est le terme 17
utilisé par les producteurs eux-mêmes et par les anglo-saxons en général.
extérieure que le producteur a échantillonné à l’aide d’un sampler - ou bien enregistrés 18
directement à l’aide d’un microphone par le producteur . 19
!Les morceaux de musique électronique suivent une logique de tension/résolution basée sur les
timbres et possèdent un (parfois plus) point culminant appelé drop (du verbe anglais to drop :
lâcher) qui est précédé d’une montée généralement assez longue. Le drop correspond au point
précis où toute la tension qui s’est accumulée se résout, le plus souvent avec la reprise du kick. Ce
moment est très apprécié des danseurs qui retrouvent leurs points de repères. Par ailleurs, les
morceaux de musique de club présentent indéniablement une dimension de groove . Le terme de 20
groove fait partie de ces notions difficilement définissables dans la mesure où ils sont issus de
l’argot des musiciens. Nous l’utiliserons moins comme un nom que comme le qualificatif d’une
musique provoquant l’envie de se mouvoir grâce à un rythme assimilé (par le compositeur et/ou les
musiciens-interprètes) et souligné. Le groove est la plupart du temps affilié aux musiques afro-
américaines et à la répétition de motifs rythmiques focalisés sur le premier temps de la mesure.
!Enfin, la musique électronique de club possède un certain nombre de codes visuels, parmi lesquels
un goût prononcé pour le mystérieux et l’anonymat : producteurs qui se cachent derrière des
masques, utilisation de différents alias , pressage de disques vinyles à très peu d’exemplaires et 21
souvent en white label - c’est-à-dire sans pochette, avec un macaron vierge ou alors comportant très
peu d’informations, souvent écrites à la main ou à l’aide d’un tampon. Comme l’explique le
musicologue Jean-Yves Bras, ces caractéristiques témoignent de la nécessité pour cette musique de
passer outre les « contraintes commerciales de la grande distribution. (…) cet anonymat va de pair
avec une nouvelle éthique où l’argent n’a plus sa place, où le sens de la propriété n’existe pas :
chacun peut échantillonner le son de l’autre et la musique est un bien commun que l’on partage
dans la fête » . 22
! Cet ensemble de règles tacites contribue à la sémantique de la musique de club et permet au
consommateur de savoir, avant même de l’avoir écouté, qu’un disque en fait partie.
!8
! la traduction de sample est « échantillon ».18! L’utilisation de microphones est néanmoins assez rare dans cette musique : les premiers producteurs étant peu 19
fortunés, ils se contentaient du minimum de matériel. Aujourd’hui, ce sont des habitudes qui sont restées.! Nous développerons particulièrement cette notion dans le chapitre 2.20! pseudonyme, nom de scène.21! BRAS Jean-Yves, Les courants musicaux du XXe siècle ou la musique dans tous ses états, Genève, Editions papillon, 22
2007 [2003], p. 255.
Introduction
! La grande difficulté posée par la question du rythme - en général, pas seulement en musique
- est que celui-ci est tributaire de la notion de temps. Or, le temps est une notion polysémique, très
largement utilisée au quotidien sans que personne ne soit pourtant capable de le définir
correctement. Dans une conférence donnée à l’École polytechnique en 2006, le physicien Etienne
Klein déclare :
!je vous mets au défi de trouver une définition du temps qui ne présuppose pas l’idée du temps. Or comme vous le savez, définir c’est rapporter un concept à un autre concept plus fondamental. Il n’existe pas de concept plus fondamental que le mot temps . 23
!Il poursuit :
!le temps a pour fonction principale de faire qu’il y ait sans cesse du présent (…) le temps est la seule chose qui ne passe pas et pourtant on dit que le temps passe. Cela veut dire que là, nous commettons une erreur assez classique qui consiste à confondre l’objet et sa fonction. La fonction du temps c’est de faire passer la réalité et cette fonction ne cessant pas, le temps ne passe pas . 24
!En effet, le temps n’agit que comme un repère par lequel il nous est possible de dissocier des
évènements qui ont déjà eu lieu d’avec des événements qui n’existent pas encore. Entre les deux,
l’instant présent est constamment réaffirmé par ce qu’on appelle le temps. Le rythme, quant à lui,
est une façon qu’a l’homme de mesurer le temps, de l’appréhender, et donc d’une certaine manière
de le rendre concret.
! A l’occasion des dix-huitièmes entretiens de la Garenne-Lemot en 2014, le philologue et
latiniste Jackie Pigeaud a invité des écrivains, historiens d’art, et philosophes, à se questionner sur
le rythme. Il est intéressant de voir qu’à l’instar du temps, c’est un terme polysémique que l’on
retrouve dans des contextes aussi nombreux que divers.
!!!
!9
! « Que savons-nous du temps ? », conférence donnée par Etienne Klein à l’École polytechnique, 11 mai 2006, la 23
diffusion des savoirs de l'école normale supérieure [en ligne], 24 mars 2013 [consulté le 30 Mai 2016], Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=NDYIdBMLQR0! Ibid.24
Pour la philosophe Chakè Matossian, le rythme c’est avant tout une organisation :
!Le rythme donne forme à ce qui est aléatoire, il peut rassurer en offrant des repères à ce qui reste transformable, momentané, fuyant et qui est aussi ce qui nous angoisse existentiellement . 25
!Le rythme serait donc un pourvoyeur de repères. L’historien et philosophe Bernardino Fantini
considère deux éléments, pour lui indissociables du rythme : la présence d’un battement (ou d’une
pulsation) et sa répétition périodique . Pour lui, on retrouve ces deux composantes (et donc du 26 27
rythme) dans les cycles cosmiques, les phénomènes naturels (rythme des saisons, des phases
lunaires, etc.), la nature géométrique des formes que l’on retrouve chez les êtres vivants, le rythme
qui organise les sociétés et les civilisations . En revanche, il invite à ne pas confondre périodicité et 28
rythme (l’alternance du jour avec la nuit constitue un phénomène périodique mais pas
nécessairement un rythme). Comme il l’explique, le rythme n’est donc pas : « une répétition, mais
c’est la répétition de la différence à l’intérieur d’une entité complexe perçue comme un tout » . Il 29
est la caractéristique d’un « phénomène périodique induit par la perception de la répétition avec
variation d’une structure organisée » . En d’autres termes, bien que le rythme apporte une stabilité, 30
une régularité et une organisation dans le temps, et qu’il peut être résumé à une ossature de base que
l’auteur nomme « cellule génératrice » , il se doit de varier et de rester « en mouvement » . Il faut 31 32
noter que cette vision du rythme est strictement occidentale : souvent dans la musique africaine par
exemple, les musiciens raisonnent en terme de figures et de formules polyrythmiques et la plupart
du temps, la pulsation « est tue » . Elle peut être existante mais elle n’est pas exprimée et est alors 33
totalement intégrée par les musiciens qui préfèrent donner « de la vivacité à la périphérie » . 34
! Le rythme doit donc présenter à la fois un battement répété périodiquement, et une structure
sujette à évoluer. Mais qu’en est-il du rythme en musique?
!
!10
! MATOSSIAN, Chakè, « La navette et la bouse de vache ou l’artiste en tarentule » in PIGEAUD, Jackie, dir, Le 25
Rythme : XVIIIes entretiens de La Garenne Lemot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 118.! qui rappelle le tactus médieval, cette battue qui permettait « l’indépendance rythmique et métrique de plusieurs voies 26
simultanées » SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps, Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 41-42.! FANTINI, Bernardino, « Rythmes corporels, rythmes psychologiques, rythmes culturels. » in PIGEAUD, Jackie, dir, 27
Op. cit., pp. 208-209. ! Ibid. pp. 208-212.28! Ibid. p. 213.29! Ibid. p. 214.30! Ibid. p. 215.31! Ibid.32! SCHNEIDER, Corinne, « La pulsation en question » in ACCAOUI, Christian et al. Op. cit., pp. 41-42.33! Ibid.34
Christian Accaoui et Matthieu Favrot définissent le rythme comme suit :
!(…) le rythme de la musique occidentale est le produit de cinq éléments (la pulsation, le tempo, les durées, la mesure, la cellule rythmique), qu’il ne présente pas systématiquement ces cinq éléments (la mesure, par exemple, est un phénomène récent et assez éphémère) et qu’il n’est donc a fortiori assimilable à aucun de ces cinq éléments en particulier. En une seconde approche, nous considérerons dans le rythme l’énergie qu’il implique : il n’est plus alors défini comme agencement - statique - de proportions numériques mais comme distribution - dynamique - de l’énergie dans le temps . 35
!Ils définissent ensuite ces cinq éléments que sont : la pulsation, le tempo, les durées, la mesure, et la
cellule rythmique :
! La pulsation n’est pas le rythme mais elle y contribue. Elle est même au fondement d’une définition générale du rythme, comme retour à intervalles sensiblement égaux, d’un repère constant. Elle est présente en poésie comme en musique : c’est l’ictus latin, « coup », « battement », « choc », substantif verbal de ico ou icio, « frapper ». (…) ! Le tempo est le mouvement dans lequel s’exécute une oeuvre musicale. On peut jouer une valse plus ou moins vite et, selon le tempo choisi, on dira qu’elle a un rythme plus ou moins entraînant. Comme la pulsation, le tempo n’est pas le rythme, mais il y contribue. (…) ! Les durées ou valeurs de notes sont proportionnelles les unes aux autres selon des rapports rationnels simples : une blanche vaut deux noires, une noire pointée vaut trois croches. Le système traditionnel des durées est issu de la notation de l’ars nova, qui au XIVe siècle divise une valeur extrêmement longue, la maxime, en trois temps (division parfaite) ou en deux (division imparfaite), eux-mêmes subdivisés par trois ou par deux. (…) ! La mesure reproduit le phénomène de la pulsation, le retour à intervalles sensiblement égaux, mais sur une échelle plus grande : 123/123/123. Le désir de régularité et de symétrie ainsi que la musique à danser ont beaucoup contribué au XVIIe siècle à généraliser son emploi, la nécessaire répétition des pas impliquant un retour régulier des mêmes structures rythmiques. La pulsation délimite donc le temps qui peut être divisé en 2 (mesure binaire) ou 3 (mesure ternaire), les temps sont répartis entre forts et faibles pour former les mesures (à 2, 3 ou 4 temps), lesquelles se regroupent en carrures plus ou moins régulières. (…) 36
!Cet ensemble de règles qui structurent la notion de rythme fait partie de ce que Geneviève Mathon
et Eric Dufour appellent la « métrification du rythme » c’est-à-dire l’organisation de plus en plus 37
rigide du rythme en musique, qui interdit les écarts trop prononcés par rapport à la norme (la
!11
! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, « Rythme », in ACCAOUI, Christian, dir, Eléments d’esthétique 35
musicale : notions, formes et styles en musique, Paris, Actes Sud / Cité de la musique, 2011, p. 585.! Ibid., pp. 585-586.36! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. « Le rythme musical » in ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps, 37
Paris, Cité de la Musique, 2008, pp. 74-75.
pulsation, la barre de mesure, la carrure, etc.). Cette tendance est particulièrement présente dans les
musiques de danse qui nécessitent des repères clairs et réguliers . 38
! Il est fréquent que soit confondu le rythme (qui peut être le rythme d’une mélodie par
exemple) avec la section rythmique, c’est-à-dire ce qui ne s’occupe que du rythme. Dans son article
« Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer », Pierre Henry Frangne
raconte :
!Aussi l’un et l’autre [Schloezer et Mallarmé] critiquent-ils la fausse séparation de l’élément rythmique d’avec l’élément mélodique (…) ainsi que la dégradation que le monde moderne de plus en plus mécanisé fait subir aux rythmes musicaux et poétiques ramenés à des battements qui exagèrent l’importance accordée aux rapports d’intensité. Car c’est bien cette réduction qui dissocie le rythme de la mélodie et fait du rythme un domaine autonome de moins en moins musical (…) . 39
!L’autonomie du rythme est pourtant un paradigme de composition dans la musique populaire : de 40
la batterie au sampler, le rythme se détache de toute mélodie pour devenir le garant du temps
musical pour les autres instruments. Cette particularité de traiter le rythme comme un élément à part
a développé ce que nous pourrions appeler la fonction percussive : un ensemble de percussions -
c’est-à-dire des sons, le plus souvent inharmoniques avec une attaque très courte - qui se
comportent comme des indicateurs de la structure rythmique en rappelant régulièrement un certain
nombre de données musicales comme la mesure, la pulsation, les temps forts ou les temps faibles.
En général, les percussions sont des sons très brefs mais certaines exceptions comme les cymbales
ont une résonance assez longue. Les percussions font partie de ce que Martin Laliberté nomme
l’archétype de la percussion, qui, par opposition à l’archétype vocal, ne cherche pas la pureté et la
clarté du discours tonal mais favorise l’inharmonicité et l’aspect brut du son . Comme nous le 41
verrons, la boîte à rythme, ou le sampler sont des mutations de la fonction percussive de la batterie
à travers de nouveaux gestes de composition. Ainsi le kick est une ré-interprétation de la fonction de
la grosse caisse, le hi-hat ou les snares, des ré-inteprétations du charleston et de la caisse claire . 42
!12
! Toujours dans le sens rythmique occidental : dans certaines musiques d’Afrique, les structures complexes de la 38
polyrythmie sont des supports de danse.! FRANGNE, Pierre Henry, Dialectique et rythme de l’oeuvre musicale selon Boris de Schloezer, in PIGEAUD, 39
Jackie, dir, Op. cit., p. 275.! Le terme « musique populaire » faisant débat chez les musicologues, nous le considèrerons comme étant tout ce qui 40
n’est ni musique savante, ni musique folkorique. Nous utiliserons ce terme dans une acception moderne, faisant ainsi référence à une musique principalement afro-américaine, née au XXe siècle et dont les oeuvres sont fixées sur un support d’écoute.! LALIBERTE, Martin, Aux origines des « nouvelles technologies musicales » : virtuosités et archétypes, Actes de 41
colloques, Musiques, arts et technologies : pour une approche critique Montpellier-Barcelone, décembre 2000.! Voir supra Avant propos.42
Bien entendu, il est important de rappeler que la fonction percussive, bien qu’elle soit essentielle
dans la conception d’un morceau destiné à la danse, n’est pas le seul élément constituant la structure
rythmique. Des éléments mélodiques comme le chant, un synthétiseur, ou une basse (qui forme avec
la batterie ce qu’on appelle la section rythmique en jazz) peuvent jouer un rôle rythmique tout aussi
important dans la dance-music. Il est même rare que les éléments percussifs soient les seuls
pourvoyeurs de groove dans un morceau : la bassline est bien souvent utilisée conjointement avec 43
eux ; un lead peut être utilisé de façon très rythmique en plus de la 44
mélodie qu’il apporte ; etc. Un sample vocal peut également être utilisé à
des fins rythmiques comme le fait le producteur anglais Todd Edwards,
qui découpe ses samples de manière à combiner des micro-fragments pour
créer un groove. On peut retrouver ce type de collage dans son morceau
« Love Inside » par exemple . Il faut donc garder en tête que bien que 45
nos analyses se focalisent uniquement sur l’aspect percussif du rythme, ce
dernier n’est pas le seul garant du rythme et de la mécanique du groove.
! Il n’existe que rarement de définitions faisant le consensus quand il s’agit de musique
populaire et ce probablement car il s’agit d’une musique qui ne se théorise pas. Dans notre cas, nous
pourrions définir la musique électronique populaire de danse comme un large ensemble de sous-
genres musicaux qui on tous en commun le fait que leurs morceaux utilisent l’électronique comme
moyen de production (par le biais des outils issus de l’informatique musicale dans les années 1980)
et comme esthétique (utilisation de l’électronique pour créer des sonorités et des couleurs
particulières sans essayer de reproduire une source naturelle ou réaliste) et soient diffusés, entre
autre, dans des espaces dédiés à la danse (club, rave et free parties, bars, salles de concert, etc.).
Cette diffusion intervient dans le cadre d’un D.J set c’est-à-dire d’une performance effectuée par un
D.J consistant à enchaîner dans un flux continu, des morceaux de musique, en les synchronisant au
niveau du tempo dans le but de faire danser un public. Il est important de noter que nous ne
traiterons pas des danses codifiées issues des musiques afro-américaines comme le voguing, le
waacking, ou encore le juke mais uniquement du fait de se mouvoir de façon instinctive sur de la 46
!13
! ligne de basse.43! un synthétiseur qui a une fonction de soliste.44! Todd Edwards, « Love Inside », Love Inside, Nu Trend Music, NU001, Inconnu (Angleterre), 2012. 45
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LZ3caqdcB-E [consulté le 3 Mai 2016]! Danses apparues dans les clubs gays américains durant les années 1970 (sauf le juke qui est une danse urbaine bien 46
plus tardive mais qui est liée à la musique électronique populaire). Ces danses sont codifiées et les danseurs s’affrontent en faisant démonstration de leurs compétences devant un public.
fig. 1 : Todd Edwards, « Love Inside »
musique sans avoir appris des pas de danse spécifiques au préalable. En effet, l’idée est de
s’intéresser au potentiel dansant « naturel » de ces musiques et non à l’aspect chorégraphique de la
danse qui caractérise, notamment, les danses précitées.
!Nous conjuguerons donc la dimension percussive, c’est-à-dire les percussions, et la dimension
rythmique, soit leur organisation dans le temps (à travers les notions de pulsation, tempo, durée, et
mesure) dans le contexte de la musique électronique populaire destinée à la danse et aux clubs.
Cette musique représentant un spectre qui s’étend de 1983 environ à aujourd’hui, nous nous
efforcerons d’adopter une approche globalisante en essayant de se focaliser sur les points communs
de ces nombreux sous-genres.
! Il s’agira donc de se demander dans quelle mesure les musiques électroniques populaires
dansantes, issues à la fois des nouveaux outils de l'informatique musicale des années 1980 et de la
musique afro-américaine, offrent un rôle de premier plan à la problématique du rythme et des
percussions, comment ceux-ci sont organisés par le compositeur et appréhendés par les auditeurs et
danseurs.
! Dans le premier chapitre nous nous efforcerons de faire un rappel culturel sur la naissance
de cette musique et sur la façon dont elle s’est intéressée au rythme et à la danse pour mieux
préciser le contexte de notre étude. Nous montrerons comment l’électronique s’est invité dans la
composition musicale dans la deuxième moitié du XXe siècle à travers la musique savante et la
musique populaire et quelles sont les principales distinctions entre ces deux écoles, notamment au
niveau du rythme. Nous verrons ensuite que le rythme est au coeur de la musique électronique
populaire car il conditionne les sous-genres de celle-ci et qu’il génère deux approches musicales :
celle du corps et de la danse (qui nous intéresse), et celle qui correspond à une écoute plus calme et
attentive. Nous engloberons enfin la notion de timbre qui joue un rôle très important car celui-ci
figure le rythme et qu’il est déterminant dans l’usage des percussions et dans l’identité de certaines
machines phares de cette musique. Nous convoquerons notamment les travaux de Mathias Kilian
Hanf , Guillaume Kosmicki , Kodwo Eshun et al. pour ce qui est de l’histoire, et les ouvrages de 47 48 49
!14
! HANF, Mathias Kilian, Detroit Techno: Transfer of the Soul through the Machine, Saarbrücken, VDM Verlag Dr. 47
Müller, 2010.! KOSMICKI, Guillaume, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dancefloors, Marseille, Le mot et le reste, 48
2009.! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Modulations : une 49
histoire de la musique électronique, Paris, Allia, 2004.
Pierre Boulez , Geneviève Mathon et Eric Dufour , Louis Chretiennot ou encore Makis 50 51 52
Solomos pour la partie musicologie et analyse. Le chapitre deux étudiera l’approche 53
compositionnelle du façonnement rythmique et percussif. Nous verrons dans un premier temps que
la musique de club est née des progrès du numérique et de la démocratisation de boîtes à rythmes et
de synthétiseurs qui, grâce à des coûts peu élevés, furent à l’origine d’un nouveau geste musical.
Nous étudierons en détail et à travers un certain nombre d’exemples la structure rythmique et
percussive des morceaux écrits pour le dancefloor et nous en dégagerons certaines logiques 54
d’écriture. Nous distinguerons les patterns de base - qui forment le squelette rythmique - des
percussions ornementales et définirons des notions comme break, drop, etc. Nous verrons enfin que
grâce aux technologies utilisées par les producteurs, il existe deux techniques d’écriture du rythme
dans la musique électronique populaire dansante, qu’elles correspondent à deux conceptions
différentes du groove et que celles-ci peuvent se compléter. Nous nous appuierons principalement
sur les analyses de Hans Zeiner-Henriksen (notamment sa thèse The « PoumTchack » Pattern :
Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music) et sur 55
l’ouvrage dirigé par Anne Danielsen : Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction . Enfin, 56
nous nous intéresserons dans le troisième et dernier chapitre à la réception de cette musique par
l’auditeur et le danseur. Nous montrerons à quels principes cognitifs le rythme des musiques de club
fait appel dans un premier temps, puis nous verrons l’importance du kick dans le mécanisme de la
danse. Enfin nous étudierons le contexte principal de réception de cette musique, à savoir le club, et
en quoi il influe sur notre appréhension de ces musiques. Nous citerons, entre autres, les travaux de
Michael Thaut , Kristoffer Carlsen et Maria Witek portant sur les relations entre rythme et 57 58
cerveau, les ouvrages de Gilbert Rouget , Georges Lapassade , Astrid Fontaine et Caroline 59 60
Fontana pour l’aspect sociologie, et d’autres sources de nature musicologique déjà citées. 61
!15
! BOULEZ, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1987 [1963].50! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit.51! CHRETIENNOT, Louis, Le Chant des moteurs : du bruit en musique, Paris, L’Harmattan, 2008.52! SOLOMOS, Makis, De la musique au son : l’émergence du son dans la musique des XXe - XXIe siècles, Rennes, 53
Presses universitaires de Rennes, 2013.! La piste de danse.54! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 55
Movement in Electronic Dance Music, Thèse de doctorat : Musicologie, Department of Musicology Faculty of Humanities, University of Oslo, Juin 2010.! DANIELSEN, Anne, dir, Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction, Farnham, Ashgate, 2010.56! THAUT, Michael H. Rhythm, music, and the brain : Scientific Foundations and Clinical Applications, New York/57
Londres, Routledge, 2005.! CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., « Simultaneous Rhythmic Events with Different Schematic Affiliations : 58
Microtiming and Dynamic Attending in Tow Contemporary R&B Grooves » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit.! ROUGET, Gilbert, La musique et la transe: esquisse d'une théorie générale des relations de la musique et de la 59
possession, Paris, Gallimard, [1980], Réed. revue et augmentée, 1990.! LAPASSADE, Georges, La Transe, Paris, PUF, «Que sais-je ?», 1990.60! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Raver, Paris, Anthropos, 1996.61
Nous utiliserons un large éventail d’exemples musicaux pour illustrer nos propos en
essayant de diversifier au maximum les époques et les genres. Le grand problème de la musique
populaire est qu’il n’existe que le support même de l’oeuvre (contrairement à la musique classique
occidentale qui est traditionnellement liée à la partition), ce qui développe une certaine opacité pour
l’analyse. Nous transcrirons néanmoins certains patterns rythmiques afin de pouvoir les visualiser,
en utilisant des captures d’écran issues du séquenceur d’un logiciel de musique assistée par
ordinateur (M.A.O), ce qui est bien plus cohérent qu’une partition compte tenu du contexte. Pour
chaque morceau analysé ou simplement évoqué seront précisées toutes les informations nécessaires
quant à sa sortie en note de bas de page (nom du disque, label, pays, etc.), ainsi qu’un lien pour
pouvoir l’écouter . Par ailleurs, j’y adjoindrai une image flashcode dans le texte afin d’atteindre 62
directement le lien. À propos des citations d’ouvrages anglo-saxons : conscient que depuis quelques
années la recherche musicologique tend à ne plus traduire les citations initialement écrites en
anglais (l’anglais étant la langue la plus répandue dans le champs de la musique populaire, et
utilisant de nombreux termes résistants mal à l’épreuve de la traduction), j’ai néanmoins fait le
choix de traduire les extraits que j’utiliserai dans ce mémoire dans un souci de lisibilité (et dans la
mesure où l’interprétation d’une citation constitue, déjà, une trahison de la citation originale) .63
!16
! j’utiliserai la nomenclature suivante pour la citation de morceaux de musique : Artiste, « Morceau », Album, Label, 62
Référence catalogue, ville (ou pays), année. J’y adjoindrai un lien pour écouter le morceau en ligne. Les minutages que j’utilise dans mon analyse sont les mêmes que sur le lien.! Certains mots seront néanmoins conservés en anglais dans la citation quand il apparaîtra inutile ou bien trop 63
compliqué de les traduire. La citation originale sera toujours présente en note de bas de page.
1. Contexte historique et culturel : Comment la musique électronique est née et
de quelle façon s’est-elle intéressée au rythme ?
! Il s’agira dans un premier temps d’exposer brièvement la naissance de cette musique, la
façon dont elle se distingue des musiques électroniques savantes, et son approche particulière du
rythme . Il conviendra ensuite de distinguer les musiques électroniques populaires dansantes d’avec
les non-dansantes, puis d’analyser la manière dont le rythme conditionne la classification des sous-
genres. Enfin, la dernière partie de ce chapitre sera consacrée à la place du timbre dans le rythme
des morceaux de dance-music.
!1.1 Naissance d’une musique électronique populaire
! S’il est difficile aujourd’hui d’écrire une histoire de la musique électronique, c’est en partie
à cause du fait que le terme « électronique » recouvre à lui seul un ensemble d’écoles, d’esthétiques
et de mouvements très différents. Si en 2016, établir une délimitation entre musique électronique
savante et musique électronique populaire peut sembler superflu, on remarque tout de même que 64
les acteurs et le public de ces deux scènes tout comme leurs réseaux de distribution sont très
différents ; la philosophie n’est souvent pas la même non plus. On considère le plus souvent que
l’utilisation de l’électronique à des fins musicales est née avec les expérimentations de Pierre
Schaeffer (que l’on assimile plutôt à l’école savante) et les collages sonores qu’il réalise à partir de
sons bruts (des sons de boîtes métalliques ou encore de train) à la fin des années 1940 et que l’on 65
regroupe sous le nom de musique concrète . François Delalande discerne quatre écoles de 66
musiques savantes utilisant l’électronique : 67
!- La musique concrète : représentée par les français Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Elle consiste
à réarranger et recomposer des bruits sortis de leur contexte initial (des objets sonores) pour en
faire de la musique.
!
!17
! Les musiques mixtes comme le rock ou le jazz ne font pas partie de la musique électronique populaire car une partie 64
des instruments est acoustique, même si ces derniers sont amplifiés.! respectivement Étude n° 5 Pathétique ou Étude aux casseroles et Étude n° 1 Étude aux chemins de fer, toutes deux 65
extraites de Cinq études de bruits (1948).! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 11-23.66! DELALANDE, François, Le Paradigme électroacoustique, in NATTIEZ Jean-Jacques, dir, Musiques, une 67
encyclopédie pour le XXIème siècle, vol. 1 : Musiques du XXème siècle, Arles, Paris, Actes Sud/Cité de la Musique, 2003, pp. 534-535.
- La musique électronique : contrairement à la musique concrète française, la musique
électronique, née sous l’impulsion de Herbert Eimert, Robert Bayer et Werner Meyer Eppler
(rejoints par Karlheinz Stockhausen) dans un studio de Cologne au début des années 1950,
utilise des sons générés électroniquement qui sont ensuite assemblés, mixés, et couchés sur
bande magnétique.
!- La musique électroacoustique : mot valise utilisé à partir du milieu des années 1950 pour
désigner à la fois les pratiques concrètes et électroniques dans la musique savante qui
commençaient à se mélanger à cette période. Au sens d’aujourd’hui, une oeuvre
électroacoustique est une oeuvre qui utilise l’électronique au sens large (concret et/ou
électronique) et qui est fixée sous la forme d’un signal analogique ou numérique et destinée à
être entendue sur des haut-parleurs. Néanmoins, le terme électroacoustique fait débat : on peut le
définir plus largement comme une musique utilisant l’électronique à des fins de production (que
ce soit pour l’enregistrement ou la diffusion) ou bien à des fins musicales (un ou plusieurs
instruments électroniques ou bien l’utilisation musicale d’éléments électroniques, le tout au sein
d’un ensemble acoustique ou non) . 68
!- La musique acousmatique : à la différence de la musique électroacoustique qui est le plus
souvent jouée sur scène et écrite sur partition, la musique acousmatique est entièrement réalisée
en studio, quelles que soient les techniques qu’elle utilise (sons concrets manipulés, synthèse
sonore, etc.). C’est « l’écoute d’une source cachée ». Elle est très proche, philosophiquement, de 69
la musique électronique populaire qui est composée en home-studio et, de façon plus générale, 70
à la musique populaire, dans cette non-utilisation de la partition. En toute rigueur, on devrait dire
« musique électroacoustique acousmatique » qui est un cas particulier de l’autre.
!En prenant l’exemple de la house, Bastien Gallet montre que la musique électronique populaire n’a
rien à voir avec la musique électronique des années 1950 qu’il évoque en ces termes :
!Une musique de sons, captés par des microphones ou produits par des générateurs de fréquence, manipulés, combinés, montés pour faire œuvre. Une œuvre qui était notée sur partition et qui est
!18
! BOESWILLWALD, André-Pierre « Musique contemporaine - Les musiques électro-acoustiques », Encyclopædia 68
Universalis [en ligne], sd, [consulté le 25 mai 2016], Disponible à l’adresse : http://www.universalis.fr/encyclopedie/musique-contemporaine-les-musiques-electro-acoustiques/! DELALANDE, François, Op. cit., p. 535.69! voir infra chapitre 270
aujourd’hui fixée sur bande magnétique. La musique n’a pas cessé de s’écrire, seul le support a changé. On enregistre des sons comme on inscrivait des signes sur des portées. Il n’y a que les DJ et leurs descendants à avoir renoncé à l’écriture (il s’agit à vrai dire moins d’un renoncement que d’un pur et simple oubli). Ce qu’ils composent ne sont ni des sons ni des notes, mais des gestes et des machines : des gestes qui redeviennent concrets et des machines qui se mettent à ressembler à des instruments . 71
!La grande différence selon Bastien Gallet, c’est la présence d’une partition ou non. Pourtant, Jean-
Claude Risset a composé des oeuvres (Computer Suite from Little Boy en 1968 notamment) qui
n’existent qu’à travers leur support d’enregistrement. La musique acousmatique, elle non plus,
n’utilise pas la partition - tout en faisant partie de la musique savante.
!Pour Louis Chretiennot, on trouve une différence au niveau de la conception du rythme :
!Alors que dans les musiques afro-américaines, on demande au corps de s’investir tout entier dans le rythme et sa mouvance, dans les conservatoires, on apprend aux jeunes musiciens à ne pas taper du pied pour acquérir une conception dite « intérieure » du rythme, très labile et fluctuante, entièrement dévouée à la logique de débit de la phrase musicale, le tempo devant accélérer ou ralentir en fonction de la diction de cette phrase. Un cardiologue conclurait à une arythmie chronique mais organisée. De ce point de vue, une des grandes acquisitions du XXe siècle, c’est la victoire de la conception isochronique du rythme des musiques populaires sur le rubato généralisé à tout l’orchestre de l’interprétation classique. Elle implique que le public soit connaisseur pour qu’il perçoive le swing ou le groove . 72
!En effet, le groove a une place de premier choix dans la musique électronique populaire dansante,
car, en plus de s’inscrire dans le continuum des musiques afro-américaines (à l’instar du blues, du
jazz, ou de la funk et du disco, cette musique est née dans les milieux noirs pendant un contexte
socio-économique difficile, en l’occurrence : la pauvreté et le chômage ) elle a pour premier 73
objectif de faire danser et se doit donc de « groover ».
! On peut donc différencier ces deux grands courants de musique électronique en les
caractérisant comme suit : la musique électronique savante comme une évolution de la musique
classique occidentale et la musique électronique populaire comme une évolution de la musique
afro-américaine, toutes les deux à travers le prisme de la technologie. Cependant, il y a comme
toujours, des exceptions. La musique minimaliste américaine (incarnée entre autres par Steve Reich,
!19
! GALLET, Bastien, Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture, Volume ! [En ligne], 1 : 1 | 2002, mis 71
en ligne le 15 mai 2004, consulté le 29 décembre 2015. URL : http://volume.revues.org/2493! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., pp. 86-87.72! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., pp. 147-148.73
La Monte Young, ou encore Philip Glass) a, selon Ben Neill, réintroduit « la pulsation et les
structures répétitives dans la complexité abstraite du sérialisme des années 1950 et des
compositions basées sur la chance » Selon sa propre formule, « Art music became physical 74
again » . Ainsi, la musique minimaliste, bien que considérée comme étant savante, est très proche 75
de la musique populaire dans sa conception.
!Avant de devenir un genre à part entière, la musique électronique populaire n’était donc qu’une
sorte d’évolution électronique du disco (dans le cas de la house de Chicago) ou une hybridation de
funk américain avec le krautrock allemand (dans le cas de la techno de Detroit). Au terme de
quelques années, ces deux écoles arrivent en Europe, et notamment en Angleterre qui générera ses
propres scènes à partir de la musique électronique américaine (la musique dite balearic, typique des
rave, puis l’acid house, la jungle, le UK garage, le dubstep, le broken beat, etc.) . Une scène 76
importante naît également en Allemagne (techno minimale notamment) ainsi qu’en France où la ré-
interprétation de la Chicago house à la française prendra le nom de french touch. Bien sûr, cette
musique s’est exportée dans bien d’autres pays, mais de façon beaucoup plus anonyme.
Parallèlement à l’évolution de cette musique de club s’est développée une musique assez différente
rythmiquement (car moins focalisée sur la danse et le fait de se mouvoir) à travers des genres parmi
lesquels le downtempo, le trip hop, l’ambient, ou l’electronica . 77
! On peut tout de même constater que les musiques électroniques, savantes comme populaires,
ont en commun ce travail du timbre : grâce à la technologie, la palette sonore s’élargit
considérablement et permet aux compositeurs, tout comme aux producteurs, de lorgner vers le futur.
Un cas probant de ce désir d’innover par le son est celui de la scène de Detroit au milieu des années
1980 où les musiciens Derrick May, Juan Atkins, et Kevin Saunderson, (et plus tard Jeff Mills et
Mad Mike avec le label/collectif Underground Resistance) inventèrent une musique futuriste
!20
! « Minimalism changed art music radically in the late 1960s and early 1970s, largely by reintroducing the beat and 74
repetitive structures into the abstract complexity of 1950s serialism and chance-based works. » NEILL, Ben, Pleasure Beats: Rhythm and the Aesthetics of Current Electronic Music, Leonardo Music Journal 12, The MIT Press: pp. 3-6 [en ligne], 2002, [consulté le 19 Février 2016], Disponible à l’adresse : http://www.jstor.org/stable/1513341 ! « La musique savante redevint physique » NEILL, Ben, Op. cit.75! dans sa série d’essais du même nom, Simon Reynolds considère l’existence d’un « hardcore continuum » dans la 76
musique électronique anglaise, c’est-à-dire d’un certain fil conducteur proprement anglais dans l’évolution des genres et dont les deux principales caractéristiques sont : un goût prononcé pour les basses-fréquences (directement héritée de la culture jamaïquaine des sound-systems) et une tendance à s’écarter du classique four-to-the-floor de la techno et de la house pour des structures rythmiques plus « breakés ». (voir 1.2)! il est fréquent que cette branche de la musique électronique populaire (que nous nommerons « musique électronique 77
de salon » à partir de 1.2) soit elle-même appelée electronica. D’une manière générale, ces genres se recoupent les uns avec les autres.
inspirée par la mécanisation de la société et l’ère de la machine : la techno. Plus encore que la 78
house de Chicago, la techno de Detroit est innovante de par ses textures et ses sonorités
synthétiques directement inspirées de la « ville-usine » de Detroit . 79
!Malgré cette envie commune - propre aux branches populaires et savantes de la musique
électronique - d’écrire la musique de demain, ce qui fait la particularité de la musique électronique
populaire est sans doute son (r)apport au rythme et au percussif qui a, presque toujours, la primauté
sur le reste.
!1.2 Comment le rythme conditionne-t-il les sous-genres de musique électronique ?
! Il est aisé, quand on observe l’aspect rythmique des musiques électroniques populaires, d’en
dégager deux écoles principales. La première se préoccupe davantage du corps, elle se destine avant
tout aux clubs et adopte, la plupart du temps, une structure rythmique minimaliste : il faut éviter de
surcharger l’espace rythmique et percussif afin de favoriser le mécanisme de la danse. La seconde
école ne s’impose pas la règle du club et adopte une plus grande liberté compositionnelle,
notamment à travers le rythme. Elle s’adresse au cerveau plutôt qu’au corps et s’inscrit dans une
écoute attentive et dans un environnement calme. Cette musique électronique « de salon » essaie de
casser les codes en utilisant des patterns rythmiques complexes, voire déstructurés ou en détournant
l’utilisation habituelle d’un élément sonore. Dans son essai Mouvement Techno et transit culturel , 80
Philippe Birgy analyse un morceau d’Aphex Twin : « Bucephalus Bouncing
Ball » qui, jusque dans son titre et ses allitérations en ‘b’, simule l’effet 81
produit par une balle qui rebondit sur le sol. Dans ce morceau, Aphex Twin
s’amuse à détourner le rôle du kick. Celui-ci - qui dans un schéma classique
doit marquer la mesure, la pulsation - intervient à des intervalles de plus en
plus réguliers (à partir de 3:03) au point de jouer le rôle d’un instrument
mélodique . Plus le tempo accélère, plus l’agrégat de kicks ressemble à une
!21
! HANF, Mathias Kilian, Op. cit., p. 29.78! Ibid., p. 30.79! BIRGY, Philippe, Mouvement Techno et transit culturel, Paris, L’Harmattan, 2001.80! Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball », Come to Daddy, Warp Records, WAP94, Sheffield, 1997. 81
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=uIeA2ct5Sew [consulté le 15 Avril 2016]
fig. 2 : Aphex Twin, « Bucephalus Bouncing Ball »
note tenue (vers 3:20). Ce morceau défie nos préjugés musicaux en modifiant la fonction que l’on 82
attribue à tel ou tel élément musical . 83
! Cependant, cette délimitation est loin d’être arbitraire et, comme souvent, les limites sont
poreuses. Ainsi, de nombreux sous-genres, artistes, et disques n’appartiennent ni à la première, ni à
la deuxième catégorie (ou plutôt appartiennent aux deux en même temps). La jungle est, par
exemple, assez hybride car si elle se destine bien aux clubs et à la danse, elle utilise une signature
rythmique assez complexe faite d’accélérations et de décélérations. La base de ce sous-genre (mais
qu’on retrouve également beaucoup dans le hip-hop) est l’utilisation d’un sample rythmique tiré
d’un morceau du groupe de funk The Winstons : Amen Brother : le fameux « Amen Breaks ». Il est
d’usage, dans la jungle, de jouer avec ce sample en modifiant sa vitesse et en le découpant.
Dans Penser la musique aujourd’hui, Pierre Boulez propose lui aussi de délimiter la
musique en deux catégories - lorsqu’il s’agit du temps musical . D’une part il y a le temps pulsé 84
(ou temps strié) dans lequel la pulsation (l’unité la plus petite) y est constamment rappelée, et
d’autre part, le temps amorphe (ou temps lisse) dans lequel les durées sont imperceptibles . Si on 85
reprend notre classification, la première catégorie qui concerne les musiques destinées au club et à
la danse est l’exemple le plus probant de temps strié dans la mesure où les éléments rythmiques sont
mis en avant et où la pulsation, incarnée par le kick, revient sans cesse, martelant des repères
réguliers pour l’auditeur. Dans leur article Le rythme musical, Eric Dufour et Geneviève Mathon
expliquent :
!le temps strié implique une orientation, c’est-à-dire qu’il possède une organisation téléologique - ce qui se produit dans un temps strié est donc prévisible : on peut l’anticiper en fonction de ce qui est passé et conservé par la mémoire . 86
!Effectivement, les musiques de club ont une structure rythmique souvent prévisible. Une fois que
l’on a entendu quelques patterns, on peut anticiper la façon dont ils vont évoluer, quels éléments
vont venir s’ajouter, etc. - et c’est en cernant l’espace rythmique que l’on peut facilement
appréhender le fait de danser. Mais comme nous le verrons plus loin, les producteurs de musique
!22
! voir la notion d’entretien par itération de la typomorphologie Schaefferienne in CHION, Michel, Guide des objets 82
sonores, Paris, Buchet/Chastel, 1983, p. 172.! BIRGY, Philippe, Op. cit., pp. 182-183.83! BOULEZ, Pierre, Op. cit., p. 99.84! Ibid., pp. 99-100.85! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève, Op. cit., p. 78.86
club, conscients de cette mécanique de l’anticipation, jouent sur nos attentes et nos prévisions.
Cependant, comme le rappellent Eric Dufour et Geneviève Mathon, une oeuvre n’est jamais une
pure et simple répétition. Ainsi : « le temps absolument strié n’existe pas (…) En ce sens, l’oeuvre
musicale, c’est toujours à la fois du temps lisse et du temps strié » . 87
! Nous nous intéresserons donc aux musiques appartenant plutôt à la première catégorie de
notre classification : les musiques électroniques dites « de club », que l’on range plutôt dans un
cadre rythmique « strié » ou « pulsé » selon les termes de Pierre Boulez. Par ailleurs, il est bien
évident que cette classification n’a de sens que du point de vue compositionnel. Les musiques de
club, si elles se destinent plutôt à cet environnement, ne sont pas limitées à celui-ci. Ainsi, il est tout
à fait possible d’apprécier un morceau de techno ou de bass music, taillé pour le dancefloor, dans
son salon ou bien au casque, tout comme il est possible de danser sur de l’electronica ou, en tout
cas, de l’apprécier à fort volume par le biais d’un DJ. En d’autres termes, cette classification ne
cherche pas à être despotique mais plutôt à apporter des repères. Cette musique « de club » se
caractérise par des patterns percussifs de facture assez simple, le plus souvent dans des mesures
binaires en 4/4, et dont le kick (élément percussif riche en basse fréquences, associé au coup de
pédale de grosse caisse de la batterie acoustique) revient régulièrement pour marquer le début de la
mesure. L’exemple ultime (et de loin le plus commun) du pattern club est ce qu’appelle Hans
Zeiner-Henriksen le « poumtchack pattern » dans sa thèse du même nom. Le « poum » traduit
l’impact du kick sur chaque temps de la mesure, et le « tchack » représente le hi-hat (ou 88
charleston) entre chaque kick . Cette structure simple héritée du disco procure une assise parfaite 89
pour la danse, de par son alternance entre mouvements descendants (downward) et mouvements
ascendants (upward) du son, provoqués respectivement par le kick et le hi-hat . Le poumtchack 90
rappelle le doum tak des musiques arabo-andalouses et, d’une manière générale, la musique
populaire qui utilise souvent cette alternance où, un son percussif va avec un autre (dans le
rock’n’roll par exemple, c’est l’alternance de la grosse caisse (sur les temps 1 et 3 : les temps
faibles) et de la caisse claire (sur les temps 2 et 4 : les temps forts). De nombreux morceaux utilisent
le poumtchack. Le disco a d’abord popularisé ce pattern dans les années 1970 avant que celui-ci ne
!23
! Ibid. p. 79.87! on pourrait penser qu’il s’agit là de la caisse claire mais c’est bien du hi-hat dont parle l’auteur.88! Voir représentation graphique du poumtchack pattern infra 1.3.89! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 90
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit. p. 3
soit repris par les musiciens de Chicago et de Detroit la décennie suivante. Les morceaux suivants,
produits entre 1977 et 1997, utilisent ce pattern :
!First Choice, « Let No Man Put Asunder » (1977) 91
!!!!!!
!!!
!!!Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party » (1979) 92
!!!!!!!
!!
!!!!
!24
! First Choice, « Let No Man Put Asunder », Delusions, Gold Mind Records, GZS-7501, New-York, 1977. Disponible 91
à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=CZh66xyAgGk [consulté le 30 Avril 2016].! Erwin Bouterse and his Rhythm Cosmos, « Disco Party », Disco Party / Champagne and Wine, Ali Records, Inconnu, 92
Inconnu, 1979. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=btWcdy6pEfg [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 3 : First Choice, « Let No M a n P u t Asunder »
fig. 4 : Erwin Bouterse and his R h y t h m C o s m o s , « Disco Party »
Gino Soccio, « Try it Out » (1981) 93
!!!!!!!!
Chemise, « She Can’t Love You » (1982) 94
!!!!!!!!!
!!Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) » (1992) 95
!!!!!!!!
!25
! Gino Soccio, « Try it Out », Closer, Celebration, CEL 2080, Scarborough (Canada), 1981. Disponible à l’adresse : 93
https://www.youtube.com/watch?v=uY7Uhlh1IuA [consulté le 30 Avril 2016].! Chemise, « She Can’t Love You », She Can’t Love You, Emergency Records, EMDS 6528, New-York, 1982. 94
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=sKoBpDM9S8c [consulté le 30 Avril 2016].! Chez Damier, « Can You Feel It (M.K. Dub) », Can You Feel It, KMS, KMS 035, Detroit, 1992. Disponible à 95
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4-VChzurHjU [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 5 : Gino Soccio, « Try it Out »
fig. 6 : Chemise, « S h e C a n ’ t Love you »
f i g . 7 : C h e z Damier, « Can You F e e l I t ( M . K . Dub) »
Kamar, « I Need You (Mad Vocal) » (1993) 96
!!!!!!!!
!!D-HA, « Happy’s Theme » (1994) 97
!!!!!!!!
Jeff Mills, « The Bells » (1997) 98
!!!!!!!!!!
!26
! Kamar, « I Need You (Mad Vocal) », I Need You, Madhouse Records, Inc., KCT 1004, New-York, 1993. Disponible à 96
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=n1t5yLt8EBI [consulté le 30 Avril 2016].! D-HA, « Happy’s Theme », Happy Trax Vol. V, Happy Records, HR 1011, Detroit, 1994. Disponible à l’adresse : 97
https://www.youtube.com/watch?v=xncJG02Gozo [consulté le 30 Avril 2016].! Jeff Mills, « The Bells », Kat Moda EP, Purpose Maker, PM-002, Chicago, 1997. Disponible à l’adresse : https://98
www.youtube.com/watch?v=DwpedKWwS3w [consulté le 30 Avril 2016].
fig. 8 : Kamar, « I Need You (Mad Vocal) »
fig. 9 : D-HA, « Happy’s Theme »
fig. 10 : Jeff Mills, « The Bells »
Cependant, les musiques qui s’écartent de ce genre de structure peuvent tout de même
appartenir à la catégorie des musiques « de club ». Des sous-genres anglais comme la UK bass, le
dubstep ou le broken beat, sont davantage « breakés » c’est à dire qu’ils s’écartent du classique
« four-to-the-floor » (un kick sur chacun des quatre temps de la mesure) pour proposer des patterns
rythmiquement plus variés. Malgré tout, ils appartiennent plutôt à la catégorie de musique de club
car leur structures sont suffisamment simples, minimalistes et répétitives pour apporter des points
de repères au danseur. De plus, l’omniprésence, voire l’omnipotence du kick - condition sine qua 99
non à la musique écrite pour le dancefloor - y est respectée. Certains auteurs (Anne Honning et
al. , Mark J. Butler ) font la distinction - quand il s’agit de musique de club - entre les genres 100 101
‘four-to-the-floor et les genres ‘breakbeat-driven’ dont nous venons de parler. Ici nous
considèrerons ces deux catégories comme appartenant à un même tout et tenterons de les analyser
en même temps dans la mesure ou elles possèdent plus de points communs que de divergences.
Comme nous l’avons vu précédemment , l’orientation club d’un disque est également signalée par 102
l’esthétique dans lequel il s’intègre (le label, le visuel de la pochette et/ou du macaron, etc.).
! Le tempo ou BPM (Beat Per Minute), joue également un rôle majeur dans le façonnement
des sous-genres. En effet, les musiques électroniques (du moins, celles qui nous intéressent) sont
produites, entre autres, dans le but d’être mixées ensemble. C’est pourquoi il y a une telle
fragmentation des sous-genres en musique électronique. Comme l’explique Martin Laliberté :
!Ces découpages sont souvent assez artificiels par rapport aux pratiques musicales réelles, mais ils imposent aux artistes de faire des choix stylistiques très tranchés : tel style de musique fonctionne à 132 battements par minute et pas autrement. Une telle intransigeance stylistique provoque surtout beaucoup d’uniformisation des micro-styles musicaux . 103
!En effet, difficile de faire de la techno à plus de 140 bpm ou bien de se considérer comme un
producteur de jungle ou de drum’n’bass en restant timidement autour des 100 bpm. Ainsi, dans la
grande majorité des cas, chaque sous-genre de musique électronique implique un tempo moyen
!27
! voir infra 3.2.99! HONINGH, Anne, et al., Perception of Timbre and Rhythm Similarity in Electronic Dance Music, Journal of New 100
Music Research [en ligne], mise en ligne le 10 Novembre 2015, [consulté le 9 Février 2016], DOI: 10.1080/09298215.2015.1107102, Disponible à l’adresse : http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09298215.2015.1107102! BUTLER, Mark J., Unlocking the Groove: Rhythm, Meter, and Musical Design in Electronic Dance Music, Thèse de 101
doctorat : Philosophie, School of Music, Indiana University, May 2003, p. 86.! voir Avant propos.102! LALIBERTE, Martin, « ¿ Musique, danse, théâtre, savant, populaire ? Cyclique 2, un spectacle de Velma à 103
l’Arsenic.», in Arsenic no 3, Lausanne, Théâtre de l’Arsenic, R. Freda (éd.), 2001, p. 26-73.
donné (en général, l’amplitude entre le tempo minimum et maximum pour un genre est d’une
quinzaine de bpm. La house par exemple se situe entre 115 et 130 bpm environ : au delà de cette
délimitation, il est difficile de considérer qu’on est encore dans un cadre house). Contrairement à la
musique classique occidentale, où le tempo correspond à l’expression d’un sentiment , le bpm des 104
musiques de club permet surtout un regroupement en sous-genres.
! On peut donc établir une classification de ces sous-genres de musique électronique selon
qu’ils utilisent une structure rythmique et percussive complexe ou non. Cette classification, loin
d’être exhaustive, nous permettra néanmoins de mieux nous retrouver dans cette myriade de
scènes. On remarque deux choses, en observant ces tableaux. D’une part, beaucoup plus de 105
genres se destinent au club. On peut donc en déduire que la musique électronique populaire s’est
principalement focalisée sur la danse et la diffusion à fort volume. D’autre part, on remarque que si
l’impulsion originale vient des États-unis, l’Europe a, à partir des années 1990, vu émerger de
nombreux courants jusqu’à aujourd’hui . 106
! Ainsi, le rythme semble occuper une place très importante dans la musique électronique
populaire puisqu’il la fragmente en deux groupes (possédant chacune une vision différente de celui-
ci), ainsi qu’en une importante quantité de genres différents (même si le rythme n’est pas l’unique
facteur de ce découpage). Mais il est peu pertinent de parler de rythme sans évoquer le son qui
l’incarne, surtout dans une musique qui prône la recherche sonore comme principe esthétique . 107
!1.3 Une musique de sons : l’importance du timbre
! La musique de club met l’accent sur des structures rythmiques évolutives, généralement peu
complexes - ou du moins évitant la surcharge pour mieux viser l’efficacité - et souvent binaires.
Cependant, cette signature rythmique n’existe qu’une fois qu’elle est matérialisée par le timbre. On
peut même, par extension, englober la notion de timbre dans notre définition du rythme. Selon
Makis Solomos, le timbre est : « ce qui n’est ni la hauteur, ni la durée, ni l’intensité, etc. le timbre
!28
! ACCAOUI, Christian, FAVROT, Matthieu, Op. cit., p. 186.104! voir Annexe A.1 et A.2. J’ai essayé dans ce tableau de faire cohabiter les sous-genres les plus anciens et les plus 105
légitimes (house, techno, jungle, UK garage, etc.) avec des sous-genres plus jeunes (UK bass, dubstep, footwork, etc.) et de les regrouper par quinquennat d’apparition. ! Bien entendu, il existe de nombreux autres sous-genres et ces tableaux correspondent à une lecture personnelle parmi 106
d’autres de l’évolution de cette musique.! voir supra 1.1107
est « cet attribut de la sensation auditive grâce auquel un auditeur peut juger que deux sons
présentés de la même manière et possédant la même intensité et la même hauteur sont
différents » . 108 109
!Par exemple, le timbre est ce qui différencie une note de violon de la même note jouée au piano à la
même intensité. Dans notre cas, c’est-à-dire l’étude de la dimension rythmique et percussive des
musiques électroniques de club, il est fréquent que les éléments sonores soient des sons complexes
ne présentant pas de hauteur définie. Qu’en est-il alors du timbre? Pour Guillaume Kosmicki, la
musique électronique utilise, comme dans la musique classique occidentale, des procédés de tension
et de résolution, mais au lieu de les appliquer aux hauteurs de note, elle les applique aux timbres et
au rythme . Ainsi, les timbres s’additionnent, se soustraient, dialoguent les uns avec les autres ; les 110
éléments apparaissent ou disparaissent, créant, ou supprimant ainsi des points de repères pour le
danseur. Cette mécanique de construction/déconstruction des timbres entre eux crée une sorte de
« magma sonore » qui évolue sur un principe de tensions et de résolutions. C’est également le 111
postulat de Louis Chretiennot qui explique dans Le Chant des Machines :
!Ici, l’important, c’est le timbre, c’est-à-dire non pas seulement le timbre harmonique du son, mais plus généralement l’ensemble des caractéristiques qui forgent son identité : son attaque, son allure, son grain, en un mot les éléments qui lui donnent une marque de fabrique unique et reconnaissable. Avec le rythme et les jeux hypnotiques qu’autorisent l’isochronie et la contramétricité, le timbre est l’autre versant de cette musique. La conjonction de ces éléments permet d’espérer la découverte de nouvelles matières sonores, et nous autorise à rêver d’une alternance de rugosité et de douceur sonore, d’empilement de timbres pour des textures complexes et larges, d’une plus grande plasticité du son, pour une jouissance musicale enfin provoquée par l’aspect et l’harmonie des matières sonores plutôt que par le jeu des hauteurs . 112
! Le timbre est donc une dimension fondamentale de la musique électronique qui est une
« musique de sons ». De plus, c’est grâce au timbre que s’incarne le rythme qui n’est au départ
qu’une information abstraite, une loi . Il faut noter que l’importance de l’aspect sonique et timbral 113
dans la musique n’est pas seulement l’apanage de la musique électronique mais de la musique
populaire en général.
!
!29
! L’auteur cite ici la définition de l’American Standards Association, rapportée par Albert S. Bregman dans Auditory 108
Scene Analysis. The perceptual Organization of Sound, Cambridge (Massachussetts), MIT, 1990, p.92.! SOLOMOS, Makis, Op. cit., p. 23.109! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., p. 282.110! Ibid., p. 284.111! CHRETIENNOT, Louis, Op. cit., p. 196.112! DUFOUR, Eric, MATHON, Geneviève. Op. cit., p. 89.113
En effet, en musique populaire, le support est l’oeuvre comme l’explique Hans Zeiner-Henriksen :
!Les enregistrements en musique populaire, par ailleurs, sont typiquement considérés comme étant « la musique », et non des versions mutables ou bien des interprétations d’une partition immuable. En fait, la plupart des musiques pop n’existent que sous forme d’enregistrement, ne laissant rien d’autre à analyser aux universitaires . 114
!Ainsi, la référence est la même pour tout le monde quand il s’agit d’analyser une oeuvre de musique
populaire et c’est ce qui rend l’aspect du son si important (contrairement à la partition en musique
classique qui incarne l’oeuvre et représente ce que Makis Solomos appelle « l’audition
intérieure ») . Pour illustrer cette importance du timbre, nous allons comparer trois morceaux de 115
musique électronique utilisant un même pattern rythmique : le poumtchack dont nous avons parlé
supra et qui est le pattern phare et probablement le plus utilisé en techno et en house (surtout dans
les débuts). Voici une représentation (voir fig. 11) de ce pattern issue d’un logiciel de musique
assistée par ordinateur (M.A.O) :
!
!!!
!30
! « Recordings in popular music, on the other hand, are typically considered “the music,” not mutable versions or 114
interpretations of an immutable score. In fact, most pop compositions only exist as recorded material, leaving little else with which the scholar can work. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 202.! SOLOMOS, Makis, Op. cit., pp. 10-11.115
fig. 11 : visualisation du poumtchack pattern.
La première ligne correspond au kick que l’on retrouve sur chaque temps. La deuxième ligne
correspond au hi-hat que revient entre chaque kick. Les morceaux de notre exemple utilisent ce
pattern comme structure de base et y rajoutent des éléments (un clap sur les deuxième et quatrième
temps, un autre hi-hat qui vient enrichir le premier, etc.). Etudions donc le timbre de ce pattern dans
chacun de nos exemples :
!Karenn, « Studio 3 » (2012) 116
!!!!!!
!!Il s’agit d’un morceau de techno du duo anglais Karenn, très rugueux et industriel. Les textures sont
assez organiques et semblent avoir été fortement traitées, avec de la saturation notamment. Ce
travail du timbre confère au pattern rythmique un aspect « lo-fi », « sale », « industriel »
correspondant à un type d’esthétique techno. La modulation d’un bruit blanc en plus des
percussions participe à cette sensation globale.
!NY Stomp, « The NY House Trak » (2012) 117
!!!!!!!
!31
! Karenn, « Studio 3 », Untitled (Various), Bleep, BLPGRN001, Londres, 2012. Disponible à l’adresse : https://116
www.youtube.com/watch?v=0y_qx92u64w [consulté le 10 Avril 2016]. Un various dans le vocabulaire des DJ’s est un disque sur lequel figure différents artistes. Un split (comme c’est le cas ici) est un disque ne comportant que deux artistes différents.! NY Stomp, « The NY House Trak », Can You Feel It? E.P., Illusion Recordings, ILL003, UK, 2012 Disponible à 117
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=wov5N7aTQNE [consulté le 10 Avril 2016].
fig. 12 : Karenn, « Studio 3 »
fig. 13 : NY Stomp, « The NY House Trak »
« The NY House Trak » est un morceau de house du producteur allemand Gerd sous son alias NY
Stomp qui évoque, dans son titre mais aussi dans le morceau lui-même, la House de New York et du
New Jersey du milieu des années 1980, représentée par des producteurs comme Little Louie Vega et
Kenny Dope Gonzales (Masters at Work), Tony Humphries ou encore Kerri Chandler. Le
poumtchack que l’on entend bien à partir de 0:15 est accompagné d’un clap sur les deuxième et
quatrième temps et de hi-hats supplémentaires. Très différent de celui que l’on retrouve dans le
morceau de Karenn, il est moins saturé, beaucoup plus « rond » et surtout, très synthétique. C’est
une programmation de Roland TR-909 typique de la house précitée.
!Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) » (2014) 118
!!!!!!!!!
Il s’agit d’un remix du producteur anglais Asusu sur le maxi Decay Versions Pt. 1 de Efdemin. On
entend clairement le poumtchack à partir de 1:01. Le kick est beaucoup plus étouffé que dans les
autres morceaux et avec une attaque moins rapide, ce qui est plus approprié étant donné le caractère
plus introspectif de ce morceau par rapport aux autres exemples. Le hi-hat, lui, est sur-mixé par 119
rapport au reste.
!!!!!!
!32
! Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) », Decay Versions Pt. 1, Dial, DIAL67, Berlin, 2014. 118
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=4xPWmUF2zYk [consulté le 10 Avril 2016].! se dit d’un élément qui est fort dans le mixage.119
fig. 14 : Efdemin, « Some Kind Of Up And Down Yes (Asusu Remix) »
C’est Life, « New Years Eve 2013 », (2015) 120
!!!!!!!!
Dans ce morceau de C’est Life (alias du producteur canadien Jack J) initialement sorti sur la
mixtape « The Babylon Nightclub Demos and Dubs » en 2012, on retrouve le poumtchack pattern à
partir de 2:47. Ici, le producteur utilise des samples de batterie acoustique , beaucoup moins 121
agressifs mais qui n’en restent cependant pas moins dansants.
! A travers ces exemples, nous avons donc vu qu’avec un même pattern rythmique de base
(outre les légères différences de bpm), on peut réaliser des textures sonores et des sensations
d’écoutes très différentes de par les sources que l’on utilise pour le kick et le hi-hat (quelle boîte à
rythme? quel sample? etc.) et la façon dont on les traite (niveaux sonores et effets). Ainsi, il n’est
pas rare que les connaisseurs qualifient la programmation rythmique (ou bien un élément rythmique
en particulier) de tel ou tel morceau comme étant « agressive », « sale » ou bien « sensuelle »,
« envoûtante », etc. Par ailleurs, la forte fragmentation des sous-genres en musique électronique fait
que l’on peut également associer l’aspect timbral du rythme d’un morceau donné à un genre
(techno, jungle, UK garage, etc.), à une scène (Detroit, Chicago, Berlin, Londres, Bristol, etc.), ou
encore à un label, car chacun d’entre eux à son propre son et sa propre esthétique.
! La musique électronique - genre par essence issu de la technologie - s’est naturellement
développée autour de machines phares qui ont forgé son identité sonore. Pour ce qui est du
percussif, on peut citer les boîtes à rythmes Roland, notamment la TR-808 (1982) et la TR-909
(1984) que l’on retrouve dans pléthore de productions house et techno hier comme
!33
! C’est Life, « New Years Eve 2013 », Vibe 3 Disc 3 (Various), Future Times, FT032, Washington DC, 2015. 120
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=cm5nzo-PiTI [consulté le 10 Avril 2016].! Selon la description de ladite mixtape, il aurait utilisé des samples provenant d’un kit de la marque Pearl. La mixtape 121
est disponible à l’adresse : https://soundcloud.com/jackjutson/the-babylon-nightclub-demos
fig. 15 : C’est L i f e , « N e w Years Eve 2013 »
aujourd’hui (même si depuis l’apparition des samplers, il n’est plus nécessaire de posséder ces 122
machines pour en utiliser les sons et beaucoup de logiciels de production musicale intègrent leurs
propres émulations de ces célèbres boîtes à rythmes). D’autres modèles Roland issus de la série
« Rhythm Composer » ont également été massivement utilisés comme la TR-707 (1985) en disco et
dans ses genres dérivés (italo-disco, Hi-NRG, etc.) mais aussi en house. Il arrive qu’une machine
soit fortement assimilée à une scène en particulier. La Boss DR660 ou la RZ-1 de Casio, par
exemple, ont beaucoup été utilisées par les producteurs de ghetto-house , un genre apparu dans les 123
années 1980 à Chicago. Si les deux derniers exemples sont plus confidentiels, la sur-représentation
des boîtes à rythmes Roland dans la musique électronique témoigne d’un certain fétichisme qui est
né peu à peu dans le milieu des producteurs. Si les boîtes à rythmes Roland ont bien pour objectif de
reproduire la fonction de certains éléments rythmiques de la batterie (avec des sons pour marquer
les temps forts, des sons pour marquer les temps faibles, des sons pour marquer les demi-temps, les
quarts de temps, etc.) elle n’essaient, en aucun cas de les reproduire fidèlement (comme c’était le
cas pour la LinnDrum par exemple). En effet, comme le rappelle Philippe Birgy en prenant
l’exemple du sampler : « c’est l’impression volatile d’un son, l’idée que l’on s’en fait qui sont
toujours véhiculées par les systèmes de synthèse imitatifs, et non pas l’empreinte tangible et fidèle
de ce son » . C’est donc bien la fonction percussive qui importe ici et non la reproduction à 124
l’identique d’une percussion acoustique. La musique électronique accorde bien de l’importance au
timbre mais est complètement libérée d’un quelconque mimétisme : le son peut être complètement
synthétique et ne ressembler à aucune percussion acoustique du moment qu’il remplit une fonction
percussive.
! Le timbre est donc la partie visible du rythme et le rythme, la loi qui organise le timbre au
niveau temporel. Comme le précise Anne Danielsen dans l’introduction de l’ouvrage Musical
Rhythm in the Age of Digital Reproduction, on a trop souvent identifié le rythme et le son comme
étant deux choses différentes alors que ce sont les deux faces d’une même pièce, surtout dans la 125
musique populaire afro-américaine. Ainsi, ce qui nous intéresse n’est pas le rythme au sens strict
mais le rythme et son incarnation sonore : le timbre (qui sont probablement les deux éléments les
!34
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 122
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 76-78.! Ten of the best hardware drum machines, Attack Magazine [en ligne], 2014, [consulté le 4 Mai 2016], Disponible à 123
l’adresse : https://www.attackmagazine.com/reviews/the-best/ten-of-the-best-hardware-drum-machines/! BIRGY, Philippe, Op. cit., p. 184.124! DANIELSEN, Anne, Introduction : Rhythm in the Age of Digital Reproduction, in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit., 125
p. 10.
plus importants de ces musiques) . Nous continuerons néanmoins d’utiliser par moments le mot 126
rythme pour englober toute cette définition, au même titre que nous utilisons régulièrement
« musique électronique » pour « musique électronique populaire destiné à la danse et au club ».
! Nous avons donc vu dans cette première partie que cette musique a toujours, à ses débuts
comme aujourd’hui, mis l’accent sur la dimension rythmique, principalement pour faciliter la
danse : au début des années 1980, le DJ Frankie Knuckles ajoutait une boîte à rythme à ses platines
afin de donner plus d’énergie aux productions disco en insistant notamment sur le kick à chaque
temps de la mesure. Ainsi, les percussions donnent des repères aux danseurs. Par ailleurs, la 127
répétition et la durée (des morceaux qui font rarement moins de 6 minutes tout comme des soirées
qui durent en général toute la nuit) font perdre à l’auditeur la notion de temps et favorisent l’évasion
et la transe comme nous le verrons dans le dernier chapitre. Mais avant d’étudier la réception de
cette musique, intéressons-nous à l’aspect compositionnel : comment le musicien façonne-t-il le
rythme dans un morceau de musique électronique?
!!
!35
! HONINGH, Anne, et al., Op. cit.126! ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG, Rob, Op. cit., p. 102.127
2. Le rythme d’un point de vue compositionnel
Lorsque l’on étudie un aspect de la musique comme le rythme, on peut l’aborder en suivant
deux angles d’attaques différents mais complémentaires : le point de vue du compositeur et le point
de vue de l’auditeur. Dans notre cas, l’étude de l’aspect compositionnel nous permettra de montrer
que la manière qu’ont les producteurs de musique de club de composer et de mixer leurs morceaux
est directement liée au matériel qu’ils utilisent. Nous verrons tout d’abord que les débuts de cette
musique correspondent aux innovations technologiques de l’époque et ont donné lieu à une
nouvelle approche de la composition de musique populaire. Nous analyserons ensuite comment les
producteurs façonnent les figures rythmiques et organisent la structure de leurs morceaux. Enfin,
nous confronterons deux conceptions de l’écriture rythmique : la conception isochronique et ultra
rigoureuse rendue possible par la précision des machines et la conception naturaliste qui consiste à
reproduire le geste imprécis de l’interprétation humaine grâce aux machines.
!2.1 : Naissance d’un geste compositionnel à travers les progrès technologiques
! Selon Simon Zagorski-Thomas, la grande révolution des années 1980 pour la musique
populaire fut celle des débuts du MIDI et de l’avènement des machines en général. Le MIDI 128
(pour Musical Instrument Digital Interface ou Interface numérique pour instrument de musique) est
un protocole, un langage, permettant « le contrôle en temps réel de machines de musique » . 129
Comme le précise Curtis Road :
!L’information MIDI est emballée en petits messages envoyés d’une machine à l’autre. Par exemple, un message peut spécifier les temps de départ et de fin d’une note de musique, sa hauteur, et son amplitude initiale. Un autre type de message, transmis à intervalles réguliers, transporte les impulsions d’une horloge maître, ce qui rend possible la synchronisation de plusieurs instruments MIDI sur un séquenceur qui émet ces messages . 130
.
Le MIDI permet ainsi, à travers un langage commun, de contrôler et de faire fonctionner ensemble
un certain nombre d’instruments de musique électroniques. Mais avant de voir se développer des
home-studio constitués uniquement de machines, le MIDI a progressivement fait son introduction
dans la musique populaire à travers le disco.
!36
! ZAGORSKI-THOMAS, Simon, « Real and Unreal Performances : The Interaction of Recording Technology and 128
Rock Drum Kit Performance » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit., pp. 199-200.! ROADS, Curtis, L'audionumérique, Musique et informatique, Paris, Dunod, 2007, p. 265.129! Ibid.130
Simon Zagorski-Thomas explique :
!Jusque là, les batteurs avaient tendance à être les garants du rythme dans un groupe, mais à mesure que les séquenceurs sont devenus la norme, ils ont dû apprendre à se synchroniser à une piste de click. Combiné au développement de l’échantillonnage et des batteries électroniques, cela devait permettre différentes combinaisons, entre batteries acoustiques et batteries programmées . 131
!La part industrielle et mécanique, déjà présente dans le disco, s’est donc considérablement accrue,
d’une part en exploitant le principe du click (un signal métronomique continu envoyé dans le casque
des musiciens pour être ensemble) qui apporte plus de rigueur et de précision qu’un batteur et
surtout qui ne se décale jamais dans le temps, et d’autre part en introduisant des sonorités
électroniques dans la production. Un bon exemple de cette transition est le producteur français
Cerrone, qui joue de la batterie dans ses disques mais utilise également des boîtes à rythmes et se
plaît à mélanger des percussions traditionnelles comme les congas avec les sons synthétiques
rendus possible par le développement du MIDI.
! Au milieu des années 1980 naît la house à Chicago dans cette dynamique de développement
de la machine au sein de la composition musicale. Au départ, les boîtes à rythmes étaient utilisées
par les D.J de Chicago en soutien aux morceaux qu’ils jouaient au public (à l’initiative de Frankie 132
Knuckles comme nous l’avons vu précédemment). Peu à peu, elles font leur apparition dans la
composition : à l’époque les boîtes à rythmes Roland comme la TR-808 étaient plutôt bon marché et
leur grand succès permit, peu à peu, de créer une nouvelle façon de faire de la musique : un geste 133
compositionnel assisté par la machine. Le potentiel de la boîte à rythme à cette époque est double :
permettre à de jeunes musiciens qui n’ont pas les moyens d’enregistrer une vraie batterie de pouvoir
facilement façonner des rythmes, et apporter de nouvelles sonorités dans la musique populaire. Le
noyau central de cet ensemble de machines que constitue le home-studio est la Digital Audio
Workstation ou D.A.W que Teleff Kvifte définit comme :
!Un ensemble logiciel qui inclut une variété d’options pour enregistrer et modifier du son (musical), faire du montage en utilisant différents types de notation musicale, et contrôler des
!37
! « Up to this point drummers had tended to be the arbiters of time in a band, but as sequenced music became the norm 131
they had to learn to synchronize themselves to a click track. This combined with the development of sampling and electronic drums to allow for various combinations of sequenced and performed drums. » ZAGORSKI-THOMAS, Simon, Op. cit., pp. 199-200.! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 132
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70! Ibid.133
modules de production sonore (des ‘soft-synths’) qui peuvent être joués en ‘temps réel’ ou utilisés pour traduire une information en son . 134
!En fait, une D.A.W est un logiciel à l’intérieur duquel on peut intégrer d’autres unités (instruments
physiques et/ou virtuels, effets, plug-ins , etc.) et qui permet d’organiser et de traiter chaque 135
élément (instrument et/ou sample) pour créer le morceau final. Par extension, la D.A.W désigne
souvent l’ensemble du home-studio, c’est-à-dire la D.A.W à proprement parler et les machines que
le producteur y associe. Elle permet ainsi de faire des morceaux en totale autarcie, sans passer par
l’intermédiaire d’un ingénieur du son pour le mixage puisque le producteur est à la fois
compositeur, arrangeur, et mixeur de sa musique. Pour Hans Zeiker-Henriksen : « ces innovations
technologiques (samplers, synthétiseurs digitaux avec différents systèmes de traitement du signal,
etc.) et la transition des éléments analogiques traditionnels vers des logiciels digitaux accompagnés
par les prix réduits et les capacités exacerbées des ordinateurs - ont rendu la production musicale
accessible à de nombreuses personnes » . 136
! Aujourd’hui, les home-studios des producteurs sont très variables. Comme l’expliquent Nick
Collins, Margaret Schedel et Scott Wilson dans leur ouvrage Electronic Music, les progrès
technologiques ont beaucoup fait évoluer les habitudes de production vers 1996 en généralisant
l’usage de l’ordinateur et en développant les instruments virtuels grâce à la synthèse sonore en
temps réel et en haute qualité . Désormais, on peut facilement se contenter d’une D.A.W, 137
d’instruments virtuels (notamment des V.S.T) et de plug-ins . Cependant, les machines 138 139
continuent d’être utilisées aujourd’hui. D’aucuns affirment que certaines d’entre elles ne peuvent
être égalées par la synthèse sonore - même si ce postulat est discutable -, d’autres les trouvent plus
ergonomiques, d’autres encore y portent simplement un regard affectif de collectionneur. Toujours
!38
! « a software package that includes a variety of options for recording and modifying (musical) sound, editing using 134
several kinds of music notation, and controlling sound-producing modules (‘soft-synths’) that can be played in ‘real time’ or used to translate notational information into sound. » KVIFTE, Tellef, « Composing a Performance : The Analogue Experience in the Age of Digital (Re)Production » in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit. p. 213.! Un plug-in est un module d’extension que l’on peut rajouter au logiciel hébergeur (une sorte de logiciel dans le 135
logiciel). Dans le domaine du son, cela regroupe les modules d’effet et de traitement sonore (EQ, reverb, delay, etc.) et les instruments virtuels.! « New technical innovations (samplers, digital synthesizers with various signal processing systems, and so on) and 136
the transitions from traditional analogue units to computer-based digital software – accompanied by the reduced prices and increased capabilities of home computers – have made music production accessible to numerous individuals. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 69-70.! COLLINS, Nick, SCHEDEL, Margaret & WILSON, Scott, Electronic Music, New York, Cambridge University 137
Press, 2013, p. 73.! V.S.T (Virtual System Technology) est un protocole et format d’instruments virtuels. Par abus de langage, on parle 138
souvent de V.S.T pour désigner l’ensemble des instruments virtuels, peut importe leur format (Audio Units, AAX,…) ! module que l’on peut rajouter à la D.A.W pour accroitre les possibilités de traitement sonore.139
est-il que les types d’organisation de home-studio (ce qu’on appelle des set-up dans la sémantique
des producteurs) en musique électronique sont très variables et vont du tout virtuel au tout
analogique en passant par un mélange des deux. Il n’est pas rare que les producteurs utilisent
également des microphones pour enregistrer des voix ou bien des sons concrets. Il leur arrivent
également d’introduire dans leur studio des guitares, basses, ou batteries mais ces pratiques restent
assez limitées dans la mesure où le rôle de ces instruments est joué la plupart du temps par des
synthétiseurs, boîtes à rythmes et autres samplers. Tous ces nouveaux outils issus de l’informatique
musicale ont permis de simplifier le processus de création en supprimant de nombreux
intermédiaires : directeurs musicaux, ingénieurs du son et assistants, musiciens interprètes, etc. et en
développant le principe du home-studio qui permet de composer et de réaliser, « à domicile », des
morceaux prêts à l’emploi (si on exclut la partie mastering et pressage). Par ailleurs, c’est avec ces
nouveaux paradigmes de composition musicale que sont nées de nouvelles façon de concevoir le
rythme : l’isochronie, c’est-à-dire le fait que les intervalles temporels sont toujours exactement les
mêmes (puisque l’interprétation n’est plus confiée à un homme mais à une machine) ; la notion de
pattern rythmique que le producteur conçoit et programme à l’avance et qu’il peut ensuite lancer en
live, au moment de l’enregistrement ; ou encore les nouvelles sonorités apportées par les boîtes à
rythmes qui vont forger une identité timbrale inédite aux percussions et au rythme dans la musique
électronique.
! Après avoir étudié les méthodes de travail des producteurs, il s’agit de s’intéresser à la façon
dont ils construisent la structure rythmique.
!2.2 L’élaboration d’une structure rythmique
! Dans leur essai sociologique Raver, Astrid Fontaine et Caroline Fontana se basent sur les
termes utilisés par les fêtards eux-mêmes qui évoquent la structure des morceaux de musique
électronique comme : « un ensemble de "boucles", de "spirales", de "montées" et de
"descentes" » . Le mot boucle est très important. D’une part parce que la musique électronique 140
repose énormément sur la répétition, d’autre part parce que c’est par la combinaison de plusieurs
boucles rythmiques les unes avec les autres que se construit l’identité rythmique et le groove dans
un morceau.
!39! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Op. cit., p. 37.140
C’est ce qu’explique Hans Zeiner-Henriksen :
!Un morceau de dance-music commence souvent avec une section qui monte en puissance jusqu’à atteindre un certain groove dans lequel le beat de base interagit avec différents autres patterns. Alors que certains de ces patterns ou éléments rythmiques peuvent être étroitement liés et, d’une multitude de façons, soutenir le beat de base, d’autres patterns sont plus indépendants . 141
!En effet, cette musique ayant pour principal objet de faire danser son auditeur, il lui faut une
structure minimaliste, un squelette rythmique de base permettant la danse et sur lequel vont venir se
greffer des éléments ornementaux qui n’ont pas d’utilité proprement fonctionnelle quant à la danse
mais qui enrichissent le pattern de base et diversifient l’espace sonore. On peut donc dissocier les
éléments percussifs en deux groupes :
!Le premier groupe concerne les patterns de base : le kick est souvent le moteur rythmique du
morceau mais il est rarement seul. En général il y a un pattern récurrent, regroupant un ou plusieurs
éléments percussifs (le trio kick - hi-hat - snare est peut-être la combinaison la plus répandue) qui
est le fondement rythmique de tout le morceau. Le poumtchack de Zeiner-Henriksen en est un
exemple probant (en house et techno par exemple). Des sous-genres comme la trance ou le
hardcore et ses dérivés se basent souvent sur le poumtchack mais à des tempi beaucoup plus élevés.
Certains sous-genres ont des exigences rythmiques très précises. Le footwork (ou juke), un genre
musical et une danse nés à Chicago à la fin des années 2000, utilise des mesures en 4/4 à des tempi
assez élevés (au moins 140 bpm) mais ne place pas les kicks (qui sont souvent six au lieu des quatre
habituels) systématiquement sur le temps de façon à introduire une illusion ternaire dans une carrure
binaire. (voir fig. 16).
!40
! « An electronic dance music track often starts out with a build-up section that leads to a more complete groove where 141
the basic beat interacts with several other patterns. While some of these patterns or rhythmic elements may be closely connected to and in various ways supportive of the basic beat, other patterns are more independent. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 184.
fig. 16 : pattern de kick de footwork
Cette armature rythmique constitue la base de la plupart des morceaux de footwork. Sa
singularité la rend facilement identifiable par rapport à d’autres genres aux tempi semblables mais à
la structure rythmique plus classique. Le dubstep, lui, utilise souvent un effet rythmique hérité du
reggae jamaïquain qui consiste à placer une unique snare sur le troisième temps de la mesure (au 142
lieu des deuxième et quatrième temps souvent utilisées en house et techno). Cette particularité
rythmique rend immédiatement reconnaissable un pattern dubstep (bien que cela ne soit pas
systématique) et crée une ambiguïté du niveau de la pulsation, que ce soit à la blanche ou à la noire.
D’une manière générale, les musiques breakées anglaises utilisent ce même principe de jeu avec les
métriques binaires et ternaires. Cependant, elles n’ont pas véritablement de modèles de patterns
précis mais le kick doit « tourner autour » du four-on-floor.
!Le producteur peut ensuite faire évoluer cette base principale en modifiant sa structure : Hans
Zeiner-Henriksen illustre cette technique en invoquant le principe de l’anacrouse en analyse
musicale. Les anacrouses sont l’ajout d’une ou plusieurs notes avant le premier temps d’une phrase
musicale. Dans le cas du poumtchack, l’auteur parle de pick-ups soit l’ajout d’un ou plusieurs
downbeat ou upbeat, avant le début de la mesure (et donc à la fin de la mesure précedente). Cela
permet à la fois de diversifier et d’enrichir le pattern de base, de provisoirement perturber l’auditeur,
et de mettre l’accent sur l’élément qui suit le pick-up.
!R.I.P Productions, « I’ve Been Misled » (1996) 143
!!!!!!!!
!41
! Cet effet rythmique vient du One Drop, un riff de batterie popularisé par le batteur de Bob Marley & the Wailers 142
Carlton Barrett.! R.I.P Productions, « I’ve Been Misled », Ripe 'n' Ready EP, Ice Cream Records, FLAKE002, Londres, 1996. 143
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=F6AZulzRNBo [consulté le 10 Mai 2016].
fig. 17 : R.I.P Productions, « I’ve Been Misled »
Dans ce morceau de UK garage de 1996, le kick à peine introduit (à 0:30) est répété une fois de trop
par rapport au poumtchack classique (sur lequel le morceau se base). Il y a donc, sur chacune des
deux mesures qui constituent le pattern, cinq downbeats au lieu de quatre (voir. fig. 18).
!On peut également dans la même logique, surprendre l’auditeur en choisissant d’anticiper ou de
retarder la reprise du kick (au moment du drop par exemple) comme dans l’exemple suivant : 144
!Delroy Edwards, « Bells » (2013) 145
!!!!!!!!!
!Dans ce morceau, le producteur de Los Angeles Delroy Edwards choisit de retarder la reprise du
kick. De 2:38 à 3:24 environ, il supprime le kick créant une tension censée être résolue, au moment
du drop, par la réintroduction du kick. Vers 3:24, le kick revient sur un deuxième temps,
déstabilisant ainsi l’auditeur, qui ne l’entendant pas sur le premier temps de la mesure s’attendait
!42
! voir supra Avant-propos144! Delroy Edwards, « Bells », For Club Use Only, L.I.E.S. (Long Island Electrical Systems), LIES015, New York, 145
2013. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=_4EPVcW80a0 [consulté le 23 Avril 2016].
fig. 18 : pattern de kick dans « I’ve Been Misled » de R.I.P Productions
fig. 19 : Delroy Edwards, « Bells »
probablement à l’entendre beaucoup plus tard . Le producteur utilise le même procédé - mais 146 147
en anticipant cette fois d’un temps la reprise du kick - sur le morceau « White Owl » paru la 148
même année sur le maxi éponyme.
!On peut retrouver le même procédé pour n’importe quel élément percussif
- pas seulement le downbeat ou le upbeat - et pas uniquement avant le
début d’une mesure mais à l’intérieur de celle-ci. Ainsi, il faut sans doute
élargir la notion d’anacrouse (ou pick-up). Dès lors qu’un élément
percussif a une place récurrente dans la mesure, et donc une fonction
rythmique donnée, et que cette fonction est détournée par une
suppression ou un rajout de cet élément, il y a une légère variation dans la
répétition. C’est une façon pour les producteurs de jouer sur nos attentes et sur notre culture
musicale en détournant les canons du genre. On peut également parachever ce genre de procédé par
l’utilisation d’un effet comme le delay : l’élément n’est pas répété à proprement parler mais le delay
répète son empreinte sonore une fois, deux fois, etc.
!Willie Burns, « I Wanna Love You » (2014) 149
!!!!!!!!
Ce morceau est un bon exemple de ce procédé. La structure de base est un motif de kick house
classique (sur chaque temps d’une mesure 4/4), occasionnellement un hi-hat entre chaque kick (id
est un poumtchack), ainsi qu’un jeu de claps/snares (avec la snare sur le deuxième temps et sur la
!43
! Cette absence du kick au sein d’un cycle où il devrait être présent à chaque temps de la mesure rappelle la notion de 146
temps mort dans la musique indienne, c’est-à-dire un temps de silence pour tous les instruments. Néanmoins, il faut prendre en compte le fait que dans notre exemple, le kick a déjà été complètement supprimé et que l’auditeur attend le drop.! La sensation de déstabilisation provient également du fait que le premier temps est le temps de changement 147
harmonique.! Delroy Edwards, « White Owl », White Owl, L.I.E.S. (Long Island Electrical Systems), LIES024, New York, 2013. 148
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=QV30EJVpuXY [consulté le 04 Mai 2016].! Willie Burns, « I Wanna Love You », Hot Haus Recs, HOTSHIT012, Londres, 2014. Disponible à l’adresse : https://149
www.youtube.com/watch?v=rsLvYyCLyaI [consulté le 23 Mai 2016].
fig. 20 : Delroy Edwards,
« White Owl »
fig. 21 : Willie Burns, « I Wanna Love You »
troisième double du troisième temps de la mesure et le clap sur la quatrième double du deuxième
temps et sur le quatrième temps). qui correspondent aux deux lignes du milieu sur la représentation
ci-dessous (voir fig. 22, les éléments en rouge foncé) :
!!Ce pattern de claps/snares est la particularité rythmique du morceau. On l’entend à partir de 0:14.
À 1:57 (puis de nouveau à 3:04), Willie Burns s’amuse à détourner ce motif en doublant chaque
occurrence du clap et du snare (à la manière d’un effet de delay très court) et à les changer de place.
Cela revêt le morceau d’un ton ironique, comme si le producteur s’amusait à nous surprendre.
!Il existe donc, dans la majorité des morceaux de club, une structure rythmique et percussive de
base, souvent héritée des fonctions percussives des éléments de la batterie, qui permet à l’auditeur
de danser. Cette structure peut être décomposée en patterns pour chaque élément (un pattern de
kick, un pattern de clap, etc.) qui apparaissent et disparaissent et se complètent les uns les autres. Le
producteur peut introduire des variations dans ces patterns en rajoutant, et/ou supprimant un
élément percussif (mais ces variations doivent rester ponctuelles par rapport au pattern original sans
quoi si elles sont trop récurrentes, elles auront tendance à devenir un nouveau pattern). À cette
structure de base évolutive et changeante, viennent se greffer des percussions ornementales.
!Le deuxième groupe regroupe les percussions ornementales qui n’ont pas une fonction essentielle
dans la structure rythmique mais permettent d’enrichir l’espace timbral. Elles n’ont pas de fonction
de substitution comme le kick ou le hi-hat. Elles peuvent former des patterns qui se répètent dans le
temps : généralement assez discrets et sous-mixés , ils ne font pas évoluer le discours musical 150
!44! se dit d’un élément qui n’est pas très fort dans le mixage.150
fig. 22 : pattern de base dans « I wanna love you » de Willie Burns.
mais permettent une diversification rythmique et une complexification du groove. En voici deux
exemples :
Pender Street Steppers, « The Glass City » (2015) 151
!!!!!!!!
À partir de 2:49, on retrouve un pattern de guiro en bois que l’on peut considérer comme étant
ornemental car le morceau est rythmiquement conduit par le kick, le tambourin et le clap.
!Hidden Spheres, « Waiting » (2015) 152
!!!!!!!!!!
On constate deux patterns ornementaux dans ce morceau : le pattern de djembé dès le début du
morceau (qui semble pourtant avoir une place importante mais qui se retrouve fortement sous-mixé
par la suite) et le pattern de cloche à partir de 2:05. Leur potentiel rythmique est fortement mis en
retrait derrière le kick, le clap, le hi-hat et leur intérêt dans le morceau tient plus de la couleur et du
timbre. Le pattern qui entre à 2:22 (et qui correspond à la fonction percussive de la cymbale ride)
peut également être considéré comme ornemental dans la mesure où il ne fait que souligner celui du
!45
! Pender Street Steppers, « The Glass City », The Glass City / Golden Garden, Mood Hut, MH008, Vancouver, 2015. 151
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=YYfb7vernAI [consulté le 28 Mai 2016].! Hidden Spheres, « Waiting », Waiting EP, Distant Hawaii, HAWAII001, Londres, 2015. Disponible à l’adresse : 152
https://www.youtube.com/watch?v=3Y4KnPV5iBY [consulté le 28 Mai 2016].
fig. 23 : Pender Street Steppers, « The Glass City »
fig. 24 : Hidden S p h e r e s , « Waiting »
hi-hat. Mais cette mise en valeur donne plus d’importance au hi-hat (c’est-à-dire au upbeat) et peut
donc amener le danseur à se focaliser sur ce point de repère.
! Ces percussions ornementales peuvent également être des éléments ponctuels comme un
coup de cymbale en début de mesure par exemple (c’est ce que Mark J. Butler appelle les sons
« articulatifs » car ils permettent souvent de faire le lien entre deux parties ou d’introduire un
changement dans le morceau) . Ces éléments n’ont pas non plus une importance capitale pour la 153
danse, cependant ils peuvent accentuer un drop ou un début de mesure ou de cycle en surchargeant
l’espace sonore à un moment donné. Encore une fois, la frontière entre ce qui relève de l’ornement
et ce qui constitue le véritable squelette rythmique d’un morceau n’est pas toujours évidente : un
élément ponctuel (si on le retrouve plusieurs fois dans le morceau) ou un pattern ornemental peut
tout à fait devenir un élément de repère suffisant pour l’auditeur et/ou le danseur.
! Maintenant que nous avons vu comment le producteur envisage la structure rythmique à
l’échelle de la mesure, intéressons-nous à la façon dont il la fait évoluer à plus petite échelle.
Comme le rappelle Guillaume Kosmicki : « Chacune des productions possède des breaks suivis de
climax, c’est-à-dire des passages de forte intensité concluant de longues montées » . Il décrit plus 154
loin la respiration des productions techno : « Empilement et disparitions successives, montée de la
tension et relâchement » . Ainsi, la plupart des morceaux de musique électronique possèdent, un 155
ou plusieurs moments de climax appelées drops (dont nous avons déjà parlé précédemment et qui
est défini dans l’avant-propos). Le drop coïncide en général avec une certaine euphorie de la part
des danseurs qui retrouvent les repères nécessaires à la danse . Il arrive que certains morceaux ne 156
« droppent » jamais, c’est à dire qu’ils instaurent une tension sans la
résoudre. Un bon moyen de parachever ce genre de sensation est de faire
un morceau sans kick (tout en donnant l’impression à l’auditeur que le
kick va arriver à un moment donné en introduisant d’autres éléments
rythmiques - snares, claps, hi-hats, etc.). C’est le cas du morceau
« Zone » d’Elgato sorti en 2012 : Un vocal accompagné d’un sub se 157 158
répète inlassablement pendant que se construisent autour des structures
!46
! BUTLER, Mark J., Op. cit., p. 227.153! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., p. 82.154! Ibid., p. 283.155! Voir infra Chapitre 3, notamment 3.2.156! Elgato, « Zone », Zone / Luv Zombie, Hessle Audio, HES020, Londres, 2012. Disponible à l’adresse : https://157
www.youtube.com/watch?v=daWgpI1bZb4 [consulté le 23 Avril 2016]! Une très basse fréquence.158
fig. 25 : Elgato, « Zone »
rythmiques (hi-hats, snares, et rythmes produits par des synthétiseurs). A part le va-et-vient des
éléments percussifs, le morceau n’évolue pas et maintient une tension. L’utiliser comme une
transition vers un autre morceau dans le cadre d’un dj-set permettrait de répondre à cette tension
avec l’arrivée d’un kick par exemple.
! On retrouve, comme dans beaucoup de musiques populaires, des ponts (ou breaks) c’est-à-
dire de courts passages de transition d’une partie à une autre . Souvent, dans les chansons, le pont 159
désigne les passages qui vont relier les couplets avec le refrain. Comme de telles choses n’existent
pas dans la musique de club, on peut désigner le pont comme un passage de césure dans le flux
dansant. Ainsi, il coïncide souvent avec le retrait d’une, de plusieurs, voire de la totalité des
percussions. Comme nous le verrons plus loin, le pont est souvent associé au retrait temporaire du
kick (pendant 2 ou 4 mesures par exemple) et se comporte ainsi comme un « mini-drop » (Mark J.
Butler considère néanmoins que le retrait du kick doit durer au moins 4 mesures pour devenir un
break) . 160
! En résumé, la structure rythmique et percussive de la musique électronique de club est
généralement bâtie autour d’une structure de base composée de plusieurs patterns qui
n’apparaissent pas forcément toujours ensemble (ils peuvent apparaître et disparaître
progressivement, se combiner, se soustraire les uns aux autres) mais qui constituent le coeur
rythmique du morceau et permettent de donner des repères aux danseurs. Cette structure de base
peut connaître quelques variations mais elle doit rester cohérente, en tant que squelette rythmique.
Des percussions ornementales viennent enrichir cette base sous forme de patterns ou bien
d’éléments ponctuels et articulatifs (cymbale, bruit d’explosion, etc.). Enfin, à l’échelle du morceau,
les morceaux de musique de club ne suivent pas automatiquement une structure définie (à l’instar
du classique couplet/refrain de la musique populaire) mais opèrent presque toujours la formation
progressive d’une tension rythmique résolue au moment du drop. De brefs moments de césure
appelés ponts (ou breaks) viennent également enrichir le discours rythmique. Il faut également noter
que l’introduction de nouveaux éléments (qu’ils soient rythmiques ou non) et les changements de
parties s’opèrent, généralement, en début d’une mesure multiple de quatre ou huit (toutes les 4, 8,
!47
! Les notions de break et pont sont sujettes à débat et il n’existe pas de réelle définition. Du moins, celle-ci varie selon 159
le contexte (musique classique occidentale, rock, etc.).! BUTLER, Mark J., Op. cit., p. 107.160
16, 32, etc. mesures) car les morceaux présentent souvent des métriques en 4/4 et cela permet aux 161
danseurs de mieux se repérer. Analysons maintenant deux autres exemples :
!Truncate, « Breakdown » (2014) 162
!!!!!!!
!Dans ce morceau de Truncate sorti en 2014 sur le label allemand 50Weapons, le pattern de base est
une figure breakée jouée en alternance par un clap (éventuellement une snare à partir de 1:45 et
parfois le clap et la snare en même temps) puis par un kick. Cette alternance clap/kick (voir fig. 27)
qui commence dès le début du morceau est éventuellement agrémentée d’un pattern ornemental de
hi-hats sur chaque double croche (à partir de 1:45 par exemple). Cette figure clap/kick, de par sa
continuelle répétition introduit une tension et l’auditeur se demande comment elle va se résoudre.
Finalement à 3:00, la tension est résolue par le drop. Après un retrait total des percussions pendant 8
mesures, on retrouve un pattern de kick « droit » sur chaque temps de la mesure. C’est une façon
pour le producteur de revenir à une structure de club très classique et de redonner des repères à son
auditoire . La figure rythmique initiale revient ensuite de 4:00 jusqu’à la fin du morceau. 163
!
!48
! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., p. 283.161! Truncate, « Breakdown », Pressurize EP, 50Weapons, 50WEAPONS033, Berlin, 2014. Disponible à l’adresse : 162
https://www.youtube.com/watch?v=MyMcNdgF7Y0 [consulté le 15 Avril 2016].! De la même manière qu’un compositeur, après des incursions dissonantes, reviendrait à une cadence parfaite.163
fig. 26 : Truncate, « Breakdown »
fig. 27 : pattern de base du morceau de Truncate.
Italojohnson, « Untitled A1 » (2014) 164
!!!!!!!
!Ce morceau du trio allemand consiste en un pattern rythmique de base qui constitue le coeur du
morceau (voir fig. 29). La dimension rythmique et percussive est très importante dans ce morceau
car il est autrement très pauvre au niveau mélodique et harmonique (les seuls autres éléments sont
un sample vocal, une basse et des effets de synthétiseurs). Il n’y a pas réellement de percussions
ornementales dans le morceau mais certains éléments du pattern apparaissent et disparaissent au fur
et à mesure : les hi-hats par exemple (hi-hat ouvert et hi-hat fermé) n’apparaissent qu’à 0:30, la 165
cymbale ride entre à 1:24, reste 4 mesures puis disparaît (et revient ainsi ponctuellement à diverses
reprises durant le morceau) , le kick disparaît à 3:04 pour revenir, au moment du drop à 3:42. Le 166
seul élément qui se répète durant tout le morceau est le pattern de toms. Le pattern de base ne
présente presque aucune variation durant le morceau excepté quatre mesures avant le drop (à 3:36)
où le hi-hat ouvert n’apparaît plus uniquement sur le premier contretemps mais aussi sur le
troisième (pendant deux mesures), puis sur chaque contretemps (pendant trois mesures, se
superposant ainsi au hi-hat fermé), à nouveau sur les premiers et troisièmes contretemps (pendant
deux mesures), avant de revenir au pattern initial à 3:46. Cette variation donne l’impression d’une
accélération jusqu’au drop puis d’une décélération.
!
!!!
!49
! Italojohnson, « Untitled A1 », Untitled, ItaloJohnson, ITJ 08, Berlin, 2014. Disponible à l’adresse : https://164
www.youtube.com/watch?v=7ua8j3lhOII [consulté le 15 Avril 2016].! hi-hat open et hi-hat closed sur l’image.165! On pourrait presque la classer comme percussion ornementale mais sa récurrence dans le morceau lui donne tout de 166
même un rôle important.
f i g . 2 8 : I t a lo johnson , « Untitled A1 »
!! Intéressons-nous à présent à la programmation rythmique et aux différentes façons pour un
producteur de concevoir un groove.
!2.3 Une musique de groove : isochronie totale ou non ?
! La musique électronique est une musique programmée par l’homme pour être exécutée par
des machines. Maria Witek et Kristoffer Carlsen assimilent la relation entre ce qui est écrit (sur une
partition, un logiciel, un séquenceur, etc.) et ce qui est joué (par un musicien ou une machine et
donc à travers une interprétation) à la relation entre figure et gesture : le geste est une incarnation
d’une figure donnée et cette incarnation n’est jamais parfaitement fidèle (les auteurs élargissent
simplement la relation entre partition et interprétation) . Grâce aux développements de 167
l’informatique musicale dans les années 1980, la précision devient métronomique, robotique. Par
ailleurs, ces progrès technologiques permettent, à l’inverse, de générer artificiellement de
l’imprécision afin de se rapprocher d’une interprétation humaine, et donc imparfaite. On considère,
en général, deux facteurs quand il s’agit de répéter un élément rythmique dans le temps :
!- un facteur horizontal : est-ce que notre élément va se répéter de façon régulière, c’est-à-dire avec
le même écart temporel, à chaque fois? Ou bien y aura-t-il de légers décalages microrythmiques?
Dans le premier cas on parle d’isochronie du rythme c’est-à-dire d’une répétition d’intervalles
parfaitement identiques (c’est le cas d’un métronome ou d’une montre). Sur une partition de
!50! CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., Op. cit., p. 53.167
fig. 29 : pattern de base dans le morceau « Untitled A1 » de Italojohnson.
musique (sauf en rubato) il y a isochronie mais dès lors que l’on joue cette partition, celle-ci
disparaît avec l’interprétation. En revanche, une machine peut générer des rythmes isochrones.
!- un facteur vertical : est-ce que notre élément va se répéter avec la même intensité sonore? Ou 168
bien constaterons-nous des écarts de dynamique selon les occurrences? Pour reprendre ce même
exemple de la partition, une répétition de notes, sans indication de changement de nuances, est
supposée être exécutée sans variation d’intensité. Cependant, l’homme est incapable d’une telle
prouesse et chaque note présentera des différences - infimes soient-elles - de volume.
!Dans l’introduction de Musical Rhythm in the Age of Digital Reproduction, Anne Danielsen se
demande « ce qu’il advient du son et du rythme des musiques populaires afro-américaines qui se
focalisent sur le groove quand ces mêmes grooves commencent à être créés et interprétés par des
machines » . En effet comme nous l’avons vu, la musique électronique s’inscrit dans la continuité 169
de la musique afro-américaine - une musique centrée sur le corps et la danse - mais à l’ère de la
technologie. Le but de la musique électronique est de générer chez l’auditeur un mouvement.
!Dès lors, le producteur a le choix entre : une isochronie parfaite du rythme (dans les logiciels, on
peut facilement remarquer cette régularité en constatant l’alignement des blocs sur la grille du 170
séquenceur) et une dynamique sonore absolument régulière dans la répétition des éléments
rythmiques, ou bien l’introduction artificielle d’erreurs, de faussetés temporelles et dynamiques
dans la structure rythmique. Ce « groove artificiel » peut être atteint par divers moyens :
!- en jouant soi-même en live : par le biais d’un clavier MIDI ou d’un séquenceur comportant des
pads pour jouer (comme les MPC). L’interprétation n’est donc plus confiée à la machine mais on
reste tout de même dans un contexte de musique électronique de par l’utilisation de la synthèse
sonore.
!- en utilisant les fonctions de certaines machines ou de plug-ins qui permettent de générer des
décalages temporels ou dynamiques. Il existe la fonction « swing » qui introduit des décalages au
niveau de la subdivision rythmique de la pulsation mais aussi d’autres fonctions qui peuvent
!51
! Il ne faut pas confondre cette notion de verticalité avec la hauteur de note : ici la métaphore convoquée est celle de 168
l’enregistrement numérisé sous forme de forme d’onde. La verticalité fait donc référence à l’intensité sonore.! DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 1.169! On parle de grid dans les logiciels.170
porter le nom de « groove » ou bien « random » et dont le fonctionnement n’est pas forcément
explicité : il peut s’agir d’un procédé de « swing » couplé à une fonction générant de l’aléatoire
(random en anglais) au niveau du rythme ou de la vélocité par exemple.
- en décalant soi-même, à la main, les éléments sur la grille du logiciel et en modifiant la vélocité
ou bien le volume à chaque occurrence. La précision des axes temporels permet en effet aux
producteurs de déplacer les évènements rythmiques avec une précision de l’ordre de la
milliseconde . Cette option n’est donc possible que dans le cas où on utilise une D.A.W. 171
! Dans une interview donné au webzine Fact Mag , le producteur Floating Points s’exprime 172
sur le fait que la musique électronique est une musique « quantifiée » : il déclare, de son côté, ne
jamais utiliser la fonction quantize dans sa D.A.W (id est la fonction qui permet d’aligner
automatiquement les évènements musicaux sur les temps de la mesure) et utiliser un clavier MIDI
pour jouer en live ses percussions (et éventuellement décaler les évènement MIDI à la main a
posteriori) . Par rapport aux fonctions swing des boîtes à rythme, il rajoute : 173
!Les gens me disent, « Comment peux-tu faire ça? Les 808 ont un swing incroyable intégré. » Je leur réponds toujours, « Oui, mais ça n’est pas mon swing, c’est celui de Roland. » Tu n’a aucune emprise là dessus ! Pourquoi je devrai laisser ce mec Roland faire ce que je peux faire moi même ? . 174
!C’est également l’avis du producteur de UK garage Todd Edwards qui déclarait dans Deuce
Magazine en 2002 : « Ne laisse pas l’ordinateur le quantifier, bouge le toi-même (…) ça le fera
sonner comme si tu jouais d’un instrument en live » . Si un producteur n’a pas forcément 175
d’emprise sur les fonctions permettant de générer du groove (ou swing), il est indéniable qu’elles
permettent de contourner l’isochronie en introduisant de l’interprétation à un pattern, à l’origine,
immuable. Cependant, passé un certain point, le manque de régularité et de mise en place rythmique
pourra se faire sentir : les auditeurs ont un seuil de tolérance au-delà duquel un décalage
microrythmique ne sera plus considéré comme un effet de style vecteur de groove mais comme une
!52
! DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 1.171! Interview Floating Points, Fact Mag, [en ligne], 16 Octobre 2015, [consulté le 6 Mai 2016], Disponible à l’adresse : 172
http://www.factmag.com/2015/10/16/floating-points-interview/! Ibid.173! « People say to me, “How can you do that? The 808 has an incredible swing to it.” I always say, “Yeah, but that’s not 174
my swing, that’s Roland’s.” You don’t have control over that! Why should I let this guy Roland do it when I can do it myself? » Interview Floating Points, Op. cit.! « don’t just let the computer quantise it, move it yourself (…) it makes it sound like you’re playing a live 175
instrument » HARKINS, Paul, « Microsampling : From Akufen’s Microhouse to Todd Edwards and the Sound of UK Garage. » in DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 192.
erreur d’interprétation (on parle de « pain » dans l’argot des musiciens). Comme l’explique
Kristoffer Yddal Bjerke ce seuil de tolérance aux décalages microrythmiques varie selon le genre de
musique : plus un morceau a un aspect « live », plus la tolérance est grande, et inversement . 176
!Anne Danielsen explique que le groove et les relations microrythmiques dans un pattern existent
déjà avant même son interprétation (par des musiciens ou des machines). C’est-à-dire que le terme
groove renvoie à la fois au nom : un pattern possédant, déjà, un potentiel dansant, et au verbe : to
groove (groover), soit le potentiel dansant de l’interprétation. En d’autres termes, il y a à la fois une
façon d’écrire de la musique, et une façon de l’interpréter, qui relèvent toutes deux du groove. Mais
ces deux aspects se conjuguent généralement ensemble et selon la formulation de l’auteure : « It has
to groove to be a groove » . Ainsi, comme elle le précise : « le potentiel de groove des musiques 177
rythmiques est souvent proportionnel à leur capacité de nous donner envie de danser » . Il n’y a 178
donc pas forcément de lien entre le groove et l’interprétation (et les décalages microrythmiques et
dynamiques qui en résultent) puisqu’une musique qui « groove » n’est rien d’autre qu’une musique
qui nous donne envie de nous mouvoir, de danser. Mais alors, quid des musiques parfaitement
isochrones?
!Pour Hans Zeiner-Henriksen, groove et isochronie ne sont pas antinomiques :
!Il est indéniable qu’un enregistrement live de musiciens préserve des relations de groove (…) Mais il est certain aussi que les techniques de production musicale comme l’enregistrement, l’overdub, la quantification, le montage, et l’utilisation de boîtes à rythmes, séquenceurs et autres types d’équipement de musique électronique sont des outils pour la réalisation de grooves, en tout cas quand ils sont utilisés d’une façon à préserver ce « groove ». (…) L’idéal de performance qui est de jouer le plus « juste » possible grâce au « click track » est né dans de 179
nombreux genres pop durant les années 1970, particulièrement autour du disco. Dans les années 1980, les séquenceurs et les boîtes à rythmes ont maximisé cette « justesse » en créant des 180
attentes qui allaient bientôt entourer la musique électronique de danse et ses mouvements. L’utilisation d’équipement électronique est particulièrement efficace pour produire cette précision temporelle qui semble appropriée à ce genre de musique. Mais ces mêmes équipements sont également utilisés dans des genres divergents possédant différents idéaux de « justesse ». En fin de compte, alors que les déviations à partir d’une régularité rigide sont
!53
! BJERKE, Kristoffer Yddal, Timbral Relationships and Microrhythmic Tension : Shaping the Groove Experience 176
Through Sound, in DANIELSEN, Anne, dir, Op. cit., pp. 100-101.! DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 12.177! « the groove qualities of rhythmic music are often related to the music’s perceived ability to make one’s body 178
move. » DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 11. ! tight dans le texte.179! tightness dans le texte.180
certainement centrales dans beaucoup de genres de musiques associés à la notion de groove je ne les vois pas comme un pré-requis ou une comme une qualité universelle propre au groove . 181
!Il ajoute également :
!Toutefois, une base rythmique d’une « précision machinique » demeure un idéal dans la plupart des musiques électroniques de danse. Le contretemps du hi-hat peut être anticipé de quelques 182
millisecondes, ou les anacrouses retardées pour qu’elles atteignent l’endroit idéal (contrairement à l’endroit attendu), mais généralement, de telles déviations seront peu nombreuses et peu prononcées, surtout en comparaison avec les autres genres de musique populaire, où, par exemple, un retard ou une caisse claire manifestement en retard ou en avance dans le « backbeat pattern » définit tout un style . 183 184
!En effet, les morceaux de musique électronique dansante se composent la plupart du temps de
boucles rythmiques qui s’entremêlent et celles-ci doivent être clairement identifiées au niveau du
rythme afin d’éviter le chaos et de ne pas perdre les danseurs . Si le besoin se fait ressentir, le 185
producteur peut néanmoins introduire des décalages, des déviations par rapport à l’immuabilité de
la machine.
!Un producteur peut donc être amené à utiliser ces outils pour créer, artificiellement, du groove sans
que rien ne l’y oblige. Il faut rappeler que la musique électronique est née autour de producteurs qui
n’étaient pas nécessairement musiciens de formation et la méthode de composition est souvent
empirique : on programme quelques rythmes jusqu’à trouver le groove parfait . Qu’il y ait 186
!54
! « A recording of live musicians undeniably preserves groove relations, But surely music production techniques like 181
multitrack recording, overdubbing, quantization, editing, and the use of drum machines, sequencers, and other types of electronic music equipment are also tools for the production of grooves, at least when they are used in a “groove”-preserving manner. This leads to the second question. The performance ideal of playing as “tight” as possible according to the studio’s « click track » arose in many pop genres during the 1970’s, especially around disco music. During the 1980’s, sequencers and drum machines maximized this “tightness” while creating the expectations later to surround electronic dance music and its body movement. The use of electronic equipment is especially efficient for producing the machine-precise timing that is seen as appropriate for this genre. But the very same equipment and techniques are also used in divergent genres with very different ideals of “tightness.” Ultimately, while deviations from rigid regularity are certainly central to many genres of groove-based music, I do not see them as a prerequisite or universal quality of a groove. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 154.! upbeat dans le texte.182! en anglais dans le texte.183! « Nevertheless, a “machine-precise” rhythmic foundation remains an ideal in much electronic dance music. The 184
upbeat hi-hat sound might be moved a few milliseconds early,or pick-ups might be nudged forward to find the “perfect” spot for them (as opposed to the obvious spot), but generally, such deviations will be few and small, especially compared to other popular music genres, where, for example, an obviously early or late snare drum in the “backbeat pattern” defines a whole style » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 152-153.! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., « Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic 185
Dance Music » in DANIELSEN, Anne, Op. cit., pp. 138-139. ! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 186
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 152-153.
isochronie ou non, cela n’a pas tellement d’importance du moment que « le groove groove ». Selon
Tellef Kvifte, la musique électronique brouille les pistes entre composition et interprétation et cette
tendance s’est accentuée avec le développement des D.A.W qui permettent d’avoir un contrôle très
poussé à la fois sur le côté mécanique et précis du rythme et sur les déviations de celui-ci . Le UK 187
garage est un bon exemple de genre qui utilise à la fois l’isochronie et les décalages
microrythmiques. Par exemple, certains producteurs utilisent les fonctions « swing » mais
uniquement sur les hi-hats (sur les doubles croches) en laissant les autres éléments comme le kick 188
et les claps « droits ». La combinaison des deux produit un groove typique du UK garage et de son
descendant, le 2-step. C’est ce qu’explique Paul Harkins dans son article « Microsampling : From
Akufen’s Microhouse to Todd Edwards and the Sound of UK Garage. » :
!Les tentatives d’Edwards d’imiter la programmation rythmique de Kenny ‘Dope’ Gonzalez, qui, avec Todd Terry, était l’un des rares producteurs à fusionner des éléments des genres house et hip-hop, conduisirent à des patterns rythmiques qui étaient swingués plutôt que droits . (…) 189 190
en utilisant le clavier échantillonneur Ensoniq EPS, Edwards profita de sa quantification au triolet de double croche pour créer ce qu’il appelle un ‘bumpy swing’, qui est très différent des résultats habituels de la quantification. (…) ses formes de swing imparfait est ce qui a rendu son son si rafraîchissant pour les oreilles, hanches et jambes des producteurs et ravers de UK garage . 191
!Par ailleurs, Anne Danielsen rappelle que le timbre a également son rôle à jouer dans l’analyse d’un
pattern rythmique et que, décalages microrythmiques ou non, il sera de toute façon toujours difficile
pour les musicologues de s’accorder sur le moment où l’évènement rythmique a lieu . En effet, il 192
faut considérer le temps d’attaque d’une percussion, c’est-à-dire le temps que met cette percussion à
atteindre son niveau sonore maximal. En effet, si on place une percussion avec une attaque longue
exactement sur le temps où elle est censée se situer, il est possible que l’on ait la sensation qu’elle
arrive tard (et un autre évènement arrivant juste après sera par conséquent perçu comme « en 193
avance »). Certains musicologues font coïncider l’évènement rythmique avec le point d’attaque
!55
! KVIFTE, Tellef, Op. cit., p. 214.187! COLLINS, Nick, SCHEDEL, Margaret & WILSON, Scott, Op. cit., p. 115.188! « swung » dans le texte.189! « straight » dans le texte.190! « The attempts of Edwards to imitate the drum programming of Kenny ‘Dope’ Gonzalez, who, along with Todd 191
Terry, was one of the few producers to merge elements from the genres of house and hip-hop, resulted in rhythmical patterns that were swung rather than straight. A specific digital sampler was responsible for its approach of microtiming. Using the Ensoniq EPS sampling keyboard, Edwards took advantage of its 16 triplet-quantizing feature to create what he calls a ‘bumpy swing’, which is quite different to the usual results of quantization. (…) his form of imperfect swing is what made his sound so refreshing to the ears, hips and feet of UK garage ravers and producers. » HARKINS, Paul, Op. cit., p. 191.! DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 9.192! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., « Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic 193
Dance Music » Op. cit., pp. 138-139.
(celui où l’amplitude sonore est au maximum). On mesure donc les intervalles microrythmiques en
allant d’un point d’attaque à un autre plutôt qu’en prenant le début de l’évènement sonore afin
d’être plus proche de la perception réelle du début de l’évènement : on parle alors de I.O.I (inter-
onset intervals) . Mais chaque type de percussion selon sa source et le traitement qu’il subit (un 194
compresseur par exemple modifie l’attaque d’un son) aura une attaque spécifique. Ainsi, un groove
s’installe naturellement dans un pattern de par ces temps d’attaques très différents d’une percussion
à l’autre qui induisent des décalages microrythmiques par rapport à une grille imaginaire. ! Selon Zeiner-Henriksen, il y a en tout cas une tendance chez les producteurs à utiliser plutôt
l’isochronie que les décalages, car il y a beaucoup de patterns différents en même temps et qu’il
faut maintenir un certain ordre et une certaine clarté . De plus, cette musique étant généralement 195
perçue comme mécanique et robotique, l’isochronie n’est pas réellement un obstacle puisqu’il
correspond à cette esthétique singulière. Mais alors comment une succession de patterns
rythmiques, le plus souvent immuables (ou du moins donnant l’impression de l’être), peut-elle
véhiculer une réaction physiologique chez l’auditeur qui se manifeste par un besoin irrémédiable de
danser et pourquoi assimile-t-on souvent cette musique à la sensualité, la sexualité ou encore aux
rites primitifs quand bien même celle-ci est l’apanage des machines et donc de quelque chose de
très froid et pragmatique dans l’imaginaire collectif ?
!!!
!
!56
! DANIELSEN, Anne, Op. cit., p. 9.194! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., « Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic 195
Dance Music » Op. cit., pp. 138-139.
3. L’appréhension par l’auditeur et le danseur : quelle influence peuvent avoir le
rythme et les percussions de la musique de club sur nos oreilles et sur notre
corps ?
! Il apparaît donc que culturellement, la musique électronique est une musique qui est vouée à
être entendue mixée avec d’autres morceaux par un D.J (ou bien exécutée en live) devant un public
et à fort volume. Que ce soit dans un club ou en extérieur, un certain nombre d’éléments entoure la
diffusion de cette musique : le volume sonore qui a un effet direct sur notre corps, les lumières, le
fait de faire partie d’une foule, etc. En nous basant, entre autres, sur les travaux de Michael Thaut,
Kristoffer Carlsen et Maria Witek, nous verrons dans un premier temps comment le rythme interagit
avec notre cerveau et comment la musique électronique - musique particulièrement rythmocentrée -
représente un modèle idéal pour l’analyse de tels phénomènes. Nous nous attarderons ensuite sur la
fonction du kick et le rôle particulièrement important qu’il joue dans cette musique pour les
danseurs. Nous montrerons enfin que le club - et tous ses dérivés - est un dispositif rendant possible
la transe, en partie grâce au rythme et aux percussions. !3.1 Répétitions, attentes : l’appréhension cognitive du rythme
! Des analyses ont tenté de déterminer comment le rythme pouvait avoir une influence sur
notre cerveau. La particularité de la musique électronique populaire dansante est sans doute sa
propension à la répétition. Or il se trouve que les motifs répétitifs en musique populaire semblent
être particulièrement appréciés par les auditeurs (à condition que ces motifs présentent
suffisamment de variation dans leur répétition) . Nous allons, pour commencer, montrer que le 196
cerveau a tendance, à l’écoute d’un rythme donné qui se répète, à se « synchroniser » à celui-ci.
Kristoffer Carlsen et Maria Witek expliquent dans leur article « Simultaneous Rhythmic Events
with Different Schematic Affiliations : Microtiming and Dynamic Attending in Two Contemporary
R&B Grooves » les mécanismes d’entraînement et de synchronie entre le rythme et le cerveau à
travers la théorie du dynamic attending, initialement proposée par Mari Riess Jones en 1989.
!!
!57
! GLORIA, Chin Jin Yu, LOO FUNG Ying, An Analysis of Repetitive Motifs and Their Listening Duration in 196
Selected Western Popular Songs from 2000 to 2013, Procedia - Social and Behavioral Sciences [en ligne], mise en ligne le 1er Mai 2015, [consulté le 10 Février 2016], Disponible à l’adresse : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877042815022090
Comme les auteurs le stipulent :
!Cela propose que la perception du rythme ressemble au processus par lequel deux, ou plus, générateurs de rythmes (ou de pulsation) indépendants atteignent un niveau de synchronie. L’entraînement, ainsi, est défini comme le processus par lequel deux, ou plus, oscillations périodiques entrent en contact et s’adaptent en phase et en période pour atteindre un niveau de synchronie . 197 198
!Ce qu’il se passe, c’est qu’une oscillation dans notre cerveau (l’oscillation interne) est entraînée par
une oscillation externe (via un motif rythmique ou un morceau de musique présentant un rythme
ostensible) et s’y synchronise au niveau de la phase, de la période, et de l’attentional pulse , c’est-199
à-dire du moment de la période où l’on peut s’attendre à un changement - le premier temps dans une
mesure en 4/4 par exemple. Car en effet, une fois synchronisé, le cerveau attend un développement
de l’oscillation externe, et le moment où le changement est le plus susceptible d’arriver, est appelé
attentional pulse car le niveau d’attention est le plus élevé. Par exemple, dans le cas de la musique
électronique, l’auditeur s’attend à des changements toutes les 4, 8, 16, ou 32 mesures sur le premier
temps. Les auteurs considèrent qu’il peut y avoir un entraînement simple ou un entraînement qu’ils
appellent bidirectional coupling et qui implique plusieurs oscillations externes. Par exemple, si un
kick se répète sur chaque temps d’une mesure à 4 temps, il y a un premier entraînement et une
première synchronie. Si on ajoute à ce motif rythmique un clap sur les temps 2 et 4, il y a un
deuxième entraînement et une deuxième synchronie et donc un bidirectional coupling. De plus, le
motif du clap opère sur une durée deux fois plus longue que le kick (puisqu’il n’advient que deux
fois dans la mesure). Il y a donc deux niveaux de synchronie. Pour Zeiner-Henriksen, l’alternance
du kick avec le hi-hat dans le poumtchack (soit l’alternance downbeat et upbeat) est une
combinaison idéale pour focaliser l’attention du danseur car elle possède un grand nombre de points
de repères très stables et réguliers (l’attention du danseur est accrue à chaque « pic » soit 8 fois 200
par mesure).
! Dans Rhythm, music, and the brain : Scientific Foundations and Clinical Applications,
Michael H. Thaut considère que le rythme érige une syntaxe qui permet d’organiser les évènements
!58
! « It proposes that rhythm perception resembles the process by which two or more self-sustaining generators of 197
rhythm (or pulse) achieve a degree of synchrony. Entrainment, then is defined as the process by which two or more independent oscillating periodicities come into contact and adapt in phase and period to achieve a degree of synchrony. » CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., Op. cit., pp. 53-56.! cf. supra introduction : les rythmes biologiques dont parle Bernardino Fantini.198! CARLSEN, Kristoffer, WITEK, Maria A.G., Op. cit., pp. 53-56.199! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 200
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 122-125.
musicaux au niveau temporel . En se référant notamment à la théorie de la Gestalt (ou psychologie 201
de la forme) qui soutient que le cerveau, devant la complexité des formes qui nous entourent, a
tendance à considérer un ensemble plutôt qu’une somme d’éléments, l’auteur explique que le
rythme nous donne des points de repères dans la masse de stimuli sonores que représente un
morceau de musique, et permet d’en faciliter la compréhension grâce à l’apport d’une structure . Il 202
poursuit en affirmant que le rythme, « en tant que phénomène cyclique et périodique - crée de
l’anticipation et de la prévisibilité » . Il poursuit : « Des violations temporaires des attentes et des 203
prévisions (par exemple, dans des structures compositionnelles en musique) ont le potentiel et la
possibilité d’augmenter l’excitation, qui est liée à la recherche d’une résolution significative à la
tension musicale » . Ainsi, le cerveau a tendance à chercher des points de repères quand il écoute 204
de la musique, et le rythme fournit une partie de ces repères, notamment en encadrant la
composition grâce aux mesures, à la pulsation, aux temps forts et aux temps faibles. On peut en
déduire que cette théorie s’applique surtout au temps strié qui, comme nous l’avons vu, rappelle
constamment la métrique du morceau, et donc, aux musiques de club.
! Les évènements qui permettent d’organiser la structure rythmique sont appelés des « beats »
par l’auteur (que nous pouvons assimiler à la notion de percussion que nous avons définie dans
l’introduction puisque ce dernier en donne une définition similaire : des évènements musicaux très
courts - avec une attaque rapide - incarnant des repères temporels et qui peuvent coïncider - comme
le kick - ou non, avec la pulsation) . Ces beats sont intimement liés à la pulsation qui les sous-205
tend : ainsi, ils peuvent être perçus comme étant offbeat, c’est-à-dire non alignés au quadrillage
rythmique (ils peuvent être en arrière ou en avant et donner ainsi l’impression de traîner ou bien
d’accélérer), ou bien onbeat, c’est-à-dire en respectant le principe d’isochronie . La complexité 206 207
rythmique de la musique occidentale est rendue possible grâce à cette organisation autour de la
répétition de mesures identiques et de la pulsation (contrairement aux musique non occidentales,
dont la complexité rythmique peut évoluer de façon beaucoup plus dense et irrégulière). Cette
organisation nous procure un cadre et donc des attentes qui peuvent être comblées ou non . En 208
!59
! THAUT, Michael H. Op. cit., p. 6.201! Ibid., pp. 5-6.202! « as cyclical, periodic phenomenon - creates anticipation and predictability. » Ibid.203! « Temporary violations of expectations or predictions (e.g., in compositional structures in music) have potential and 204
opportunity for arousal increments that are related to the search for a meaningful resolution of the musical tension. » Ibid.! Ibid., pp. 8-9.205! Ibid.206! Voir supra 2.3207! THAUT, Michael H. Op. cit., pp. 13-17.208
somme, c’est grâce à un squelette rythmique régulier et répétitif que peuvent s’articuler des motifs
plus complexes, et la musique de club en est un exemple probant. Il apparaît donc que la musique
électronique populaire dansante, bien que puisant des influences dans les musiques non occidentales
et étant une musique de métissages, est une musique appartenant pleinement à la tradition
occidentale.
! Par ailleurs, chaque percussion, chaque beat de ce cadre rythmique et percussif va être
organisé par le cerveau en groupes en fonction de leur proximité fréquentielle . Rappelons qu’une 209
fréquence en acoustique est l’unité qui désigne le nombre d’oscillations d’une onde sonore par
seconde. La fréquence correspond ainsi à la hauteur d’un son. Ainsi, selon la théorie d’Albert
Bregman, le cerveau a tendance à opérer des regroupements de sources sonores qu’il appelle flux
auditifs (auditory stream). Kristoffer Yddal Bjerke explique :
!Pour Bregman, un ‘flux auditif’ est l’unité perceptuelle qui représente un seul évènement’, alors que le son est la cause physique de ce flux. Si un groupe de sons avec des hautes fréquences se développe au dessus d’un autre avec des basses fréquences, on l’organise en deux flux du moment que la distance fréquentielle entre eux est grande et que l’intervalle temporel entre les sons est court. Inversement, plus les intervalles de tons sont grands et plus la distance fréquentielle est petite, plus il y a de chances pour qu’on les regroupe au sein d’un même flux. (…) Bregman propose que le timbre affecte aussi le groupement afin que des sons ayant un timbre similaire (groupement par similarité) soient regroupés en un même flux auditif . 210
Ainsi, si la différence entre deux sons est suffisamment faible et qu’il y a regroupement, on parle de
« fusion ». Si, à l’inverse, la différence est trop importante et qu’il n’y a pas regroupement on parle
alors de « fission ». Si la différence est intermédiaire, le cerveau a tendance à passer l’élément
sonore d’un à plusieurs flux. On parle alors de « Bistability » . On peut donc appliquer cette 211
théorie aux éléments percussifs de la musique de club. On aura ainsi tendance à regrouper les hi-
hats et cymbales ensemble de par leur proximité fréquentielle. De la même façon, une basse sub
sera souvent associée au kick. Par ailleurs, des éléments comme les toms, les congas (ou n’importe
!60
! BJERKE, Kristoffer Yddal, Op. cit., p. 86.209! « For Bregman, an ‘auditory stream’ is ‘the perceptual unit that represents a single happening’, while sound is the 210
physical cause of the stream. If one set of sounds with high frequencies is developing above another with low frequencies, we organize them into two streams as long as the distance in frequency between them is large and the time intervals between the sounds are short. Conversely, the longer the intervals between the tones and the shorter the distance in frequency between the lines, the more likely are we to group them as one single stream. (…) Bregman proposes that timbre affects grouping so that sounds with a similar timbre (grouping by similarity) will be grouped as one auditory stream. » Ibid.! MOORE, Brian C. J., GOCKEL, Edwig E., Properties of auditory stream formation, Philosophical Transactions of 211
the Royal Society B: Biological Sciences, Vol. 367 [en ligne], 5 Avril 2012, [consulté le 17 Mai 2016], DOI: 10.1098/rstb.2011.0355, Disponible à l’adresse : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3282308/#__abstractid1072369title
quel ensemble de percussions) peuvent également être groupés dans un même flux en raison de leur
proximité au niveau du timbre mais aussi, comme le précise Bjerke, en raison du fait que l’on a
tendance à regrouper des sons dans un même flux si on a l’habitude de les savoir ensemble (il prend
l’exemple de la basse et du kick qui jouent souvent en tandem) . 212
! Enfin, toute cette influence cognitive du rythme procure également un plaisir certain au
cerveau. Comme disait le philosophe allemand Leibniz : « musica est exercitium arithmeticae 213
occultum nescientis se numerare animi » (La musique est un exercice arithmétique caché de l’âme,
laquelle ne sait pas qu’elle est en train de compter) . C’est également le propos de Michael H. 214
Thaut qui déclare :
!C’est une conclusion évidente que de dire que le cerveau prend beaucoup de plaisir à percevoir et produire ces formes sonores, ordonnées temporellement, au sein de la simultanéité et de l’aspect séquentiel propre à la syntaxe musicale du rythme et de la polyphonie . 215
!En effet, le cerveau prend plaisir à entendre des motifs rythmiques, à les assimiler, à les entendre
s’imbriquer les uns avec les autres et se résoudre car il peut anticiper ces mouvements. Et quand le
cerveau est dupé car une tension ne se résout pas, ou bien qu’elle se résout différemment, ou bien
pas au moment prévu, il éprouve un certain plaisir à s’être fait surprendre. Toujours dans le même
ouvrage, Michael H. Thaut rappelle l’importance de la pulsation dans le discours musical
occidental. Selon lui, la pulsation, en tant que quadrillage isochrone du morceau, permet d’organiser
le rythme, même si ce dernier est extrêmement complexe . Mais il n’a cependant pas besoin d’être 216
figuré par des évènements musicaux. Pourtant, la musique électronique se sert souvent de la
pulsation pour guider les danseurs ; elle le fait en soulignant cette pulsation avec un élément
rythmique capital dans la musique écrite pour les clubs : l’héritier de la fonction percussive du coup
de pédale de grosse caisse de batterie, à savoir le kick . 217
!!
!61
! BJERKE, Kristoffer Yddal, Op. cit., pp. 100-101212! FANTINI, Bernardino, Op. cit., p. 224. 213! Ibid. 214! « It is an obvious conclusion that the brain takes great delight in perceiving and producing these times-ordered sound 215
shapes within the simultaneity and sequentiality of music’s syntax of rhythm and polyphony » THAUT, Michael H. Op. cit., p. 47.! Ibid., pp. 7-8.216! Comme nous l’avons vu supra, le kick n’est pas systématiquement présent sur chaque occurence de la pulsation (du 217
moins pas dans tous les styles de musique électronique). Cependant, même quand il adopte une structure breakée, il est presque toujours capitale dans un morceau de dance-music.
3.2 Une Musique pulsée : de l’importance du kick
! A l’origine simple garant musical du rythme, la fonction percussive de la musique populaire
est, avec la musique électronique, passée au premier plan : à la fois dans l’esthétique (mise en avant
dans le mix) et dans la philosophie (il y a une recherche, une quête, du groove ultime, et ce groove
passe principalement par les percussions et par le reste de la section rythmique). On peut conclure
ainsi à une transfiguration de la fonction de la batterie. Et au sein de cet ensemble percussif, règne
un élément : le kick. Pour le morceau « Love to Love You Baby » de Donna Summer sorti en 1975,
le producteur d’italo-disco Giorgio Moroder décida d’élever le kick au centre du mix en le mettant
plus fort que d’habitude . Henriksen explique cette décision par le fait que Moroder voulait 218
« aider » les danseurs :
!Moroder confirme l’importance du motif effectué par la grosse caisse pour les danseurs - cela leur donne une pulsation sans ambiguïté pour qu’ils puissent danser ‘autour’ des autres patterns musicaux sans perdre le beat de base. Dans son contexte culturel approprié, le pattern four-to-the-floor appelle à des réponses spécifiques à la fois sur la piste de danse et en dehors de celle-ci, et le hochement de tête, le fait de taper du pied, le haut du corps qui rebondit, et d’autres mouvements ondulatoires du corps représentent les premières étapes d’une forme d’écoute participative de la musique qui mène directement à l’envie irrépressible de danser . 219
! L’objectif est ainsi de mettre la danse au coeur de la production musicale, en mettant en
avant les percussions et notamment le kick qui, au départ, souligne purement et simplement la
pulsation, c’est-à-dire chaque temps de la mesure (Emmanuel Grynszpan parle de répétition
régulière de la pulsation ou RRP) : on peut ainsi parler d’explicitation de la pulsation. Le danseur 220
peut également prendre des repères sur d’autres éléments (comme nous l’avons vu, dans le
poumtchack, il y a par exemple une alternance systématique entre le kick et le hi-hat ce qui procure
de nombreux repères rythmiques), cependant le kick a une certain primauté par rapport aux autres
éléments percussifs. Comme nous l’avons vu, le kick représente la fonction de substitution du coup
de pédale de pied de grosse caisse en musique populaire. Il est important de noter que dans les
!62
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 218
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 91.! « Moroder affirms the importance of the bass drum pattern for dancers - it give them an unambiguous pulse so that 219
they can dance ‘around’ the music’s other rhythmic patterns without losing the basic beat. In its proper cultural contexte, the four-to-the-floor pattern invites specific responses both on and off the dance floor, and head-nodding, foot-taping, upper-body bouncing, and other undulating body movements patterns represent the first steps in a form of ‘participatory’ music listening that leads directly to the urge of dance. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 122.! GRYNSZPAN, Emmanuel, « Naissance et mutations d’une pulsation », in MABILLON-BONFILS, Béatrice, dir., La 220
fête techno : tout seul et tous ensemble, Paris, Les éditions Autrement, 2004, Collection Mutations No. 231, p. 47.
genres les plus breakés, même si le kick n’est pas forcément autant lié à la pulsation que dans la
house ou la techno, et qu’il semble « tourner autour » d’elle, on peut tout de même lui appliquer les
caractéristiques que nous allons évoquer dans la mesure où il conserve cet aspect itératif et cyclique.
Le kick est un élément sonore de courte durée avec une attaque rapide et précise - qui ne traîne pas.
Il est par ailleurs très riche en basses fréquences. On pourrait penser qu’il n’a pas véritablement de
hauteur de note définie car il est juste censé marquer la pulsation. Cependant, une boîte à rythme
comme la célèbre TR-909 de Roland propose des kicks avec une hauteur tonale descendante que
l’on peut accentuer ou diminuer . Selon Henriksen, ce mouvement descendant de la hauteur est 221
très largement utilisé pour le kick en dance-music et, couplé à une attaque
très courte, il facilite les mouvements de danse . En fait, toutes les 222
percussions acoustiques à peau se comportent de cette façon : une
hauteur tonale qui monte très vite pendant l’attaque puis redescend un
peu plus lentement pendant la résonance . Néanmoins, un kick peut ne 223
pas comporter de hauteur de note marquée et peut même être remplacé
par n’importe quel son riche en basses fréquences, du moment qu’il
remplit bien la fonction de substitution de celui-ci. Il arrive que soit
confondu le son de basse avec le son du kick - en raison de la théorie des flux auditifs de Bregman
(auditory stream) . Par ailleurs, dans un genre comme le dubstep, le kick, même s’il est présent, 224
peut jouer un rôle moins important - ou de même importance - que la basse sub. Dans « Voodoo » 225
et « Mud » de Loefah, deux morceaux typiques de dubstep anglais des années 2000, la basse sub 226
joue en tandem avec le kick. Si elle n’est pas brève comme le kick et
qu’elle ne semble pas avoir de fonction dansante à première vue, sa place
centrale dans le mix et sa forte teneur en basses fréquences en fait
l’élément principal du morceau et son retrait est probablement plus
déstabilisant pour les danseurs que le retrait du kick (qui est beaucoup
plus discret dans le mix et pauvre en basses fréquences). Ainsi, le sub
joue en quelque sorte le rôle du kick dans son aspect omnipotent . 227
!63
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 221
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., p. 213.! Ibid., p. 212.222! il s’agit donc, dans le cas des kicks de la TR-909, d’un procédé de naturalisme en quelque sorte (même si d’une 223
manière générale, le timbre de ces kicks ne ressemble en rien à ceux des percussions acoustiques).! voir supra 3.1224! Loefah, « Voodoo », Voodoo, Six6six, SIX001, Altrincham, 2006. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/225
watch?v=nZ-be_2ZLnQ [consulté le 15 Juin 2016].! Loefah, « Mud », Mud / Rufage, DMZ, DMZ009, Londres, 2006 Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/226
watch?v=AYoPaVV-qk8 [consulté le 15 juin 2016].! voir infra.227
fig. 30 : Loefah, « Voodoo »
fig. 31 : Loefah, « Mud »
Guillaume Kosmicki souligne l’importance du kick (qu’il appelle beat dans cet extrait) et 228
met en évidence, en plus de son caractère pragmatique de soutien aux danseurs, sa dimension
philosophique :
!Le beat a un grain particulier à chaque morceau : sec, léger, massif, épais, résonnant, pâteux, rugueux, grave, saturé, clair, etc. Il donne aussi en grande partie sa couleur au morceau. Sa symbolique est double, organique par son effet de battement de coeur, mais aussi très mécanique, implacable dans sa régularité (quand elle est contrariée, elle procure d’ailleurs une tension). Machine et humanité s’y trouvent ainsi réunies, propulsant le danseur dans une boucle industrielle avec une composante néanmoins presque organique . 229
! En effet, le kick exprime bien ce paradoxe machine/organique caractéristique de la musique
électronique : sa texture souvent très synthétique et sa répétition robotique, propre à cette musique
que Gino Stefani définit comme : « un instant sonore continuellement réaffirmé ou un retour
incessant au même point : une circularité immobile, une pulsation concentrique » , semblent ne 230
pas être en conflit avec la dimension chaleureuse émanant d’un groupe de personnes qui prennent
plaisir à être réunies pour danser.
! Un aspect transcendant semble être conféré au kick qui est omniprésent dans presque chaque
production destinée au club. De plus, comme le précise Guillaume Kosmicki, il existe une pratique
liée à la gestion du kick qui consiste à le retirer ponctuellement pour le ré-introduire après (cette
technique - qui peut être initialement présente dans les compositions ou bien reproduite en live par
le D.J en coupant les basses fréquences par l’intermédiaire d’un filtre - est probablement née avec le
genre) : 231
!(…) le retrait du beat (le break), élément fondamental dans toutes les productions, accentue la tension (la montée) et précède un climax qui arrive lors de son retour. On perd alors le repère qui unit tous les éléments entre eux, le coeur du morceau. La danse se fait plus difficile. (…) La reprise du beat produit alors une explosion qui fait éclater la tension contenue (et qui s’accompagne alors la plupart du temps des cris de joie des danseurs, rajoutant encore à l’effet du disque). C’est le climax, qui achève la montée . 232
!
!64
! Beat signifie en anglais pulsation. Kosmicki confond donc ici la fonction musicale du kick (qui est de tenir la 228
pulsation, le beat) et l’instrument qui permet d’incarner cette fonction (le kick).! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., pp. 282-283.229! STEFANI Gino, RAVE, TECHNO, TRANSE, in NATTIEZ Jean-Jacques, dir, Op. cit., pp. 856-857. 230! La plupart des premières productions house et techno de Chicago et Detroit dans les années 1980 intègrent ce 231
principe.! KOSMICKI Guillaume, Op. cit., pp. 284-285.232
Via sa conjonction quasi systématique avec le climax (ou drop), le kick est omnipotent en ce qu’il
conditionne la dynamique de tension/détente et l’attitude des danseurs. Comme le souligne
Emmanuel Grynszpan : « L’absence de la pulsation rappelle alors à l’auditeur son importance. (…)
On se rappelle son existence précisément lorsqu’elle vient à disparaître parce qu’on l’a
complètement intériorisée » . De plus, on constate que même les ponts (ou breaks) se caractérisent 233
généralement par le retrait du kick (entre autres). D’une certaine manière, le kick articule les
différentes parties d’un morceau, qui n’a pas réellement commencé tant que le kick n’est pas entré
en jeu et n’est pas totalement fini tant que le kick ne s’est pas arrêté.
! On peut supposer que cette toute puissance du kick ne tient pas uniquement de son rôle
essentiel dans l’élaboration du langage de cette musique, mais également de la nature transcendante
et rituelle des percussions en général. Le percussionniste et enseignant Tom Klöwer affirme que les
rythmes et les sons ont toujours été au coeur des rites, qu’ils soient voués à la guérison ou à la
purification . Il poursuit en évoquant les rythmes chamaniques qui selon lui diffèrent de la 234
musique traditionnelle africaine et de ses structures polyrythmiques par des motifs très
monotones , à l’instar du kick des musiques électroniques. Dans son ouvrage La musique et la 235
transe: esquisse d'une théorie générale des relations de la musique et de la possession, l’ethno-
musicologue français Gilbert Rouget rapporte les propos de Rodney Needham sur la symbolique 236
du tambour :
!Parti de réflexions sur le chamane battant son tambour pour établir le contact avec les esprits, Needham en vient peu à peu à constater que « pratiquement partout on a recours à la percussion pour communiquer avec l’autre monde ». Le problème est donc, selon lui, de mettre en relation le concept d’existence spirituelle avec cet « appel affectif et non culturel de la percussion ». Pourquoi non culturel? parce que d’une société à l’autre les moyens utilisés pout cet appel changent, parce qu’ici c’est le tambour, là c’est le gong, ailleurs ce sont les battements de mains. L’impact, écrit-il, ne tient donc ni au rythme, ni à la mélodie, ni à la répétition d’une certaine note ou d’une certaine résonance, mais à la percussion elle-même. Après avoir observé qu’il est incontestable que les ondes sonores ont des effets nerveux et organiques sur les êtres humains, indépendamment de la formation culturelle de ceux-ci . 237
!Ainsi, le kick pourrait correspondre à cette fonction protéiforme que Rodney Needham nomme
« appel affectif et non culturel de la percussion » car il a une influence sur le cerveau et le corps du
!65
! GRYNSZPAN, Emmanuel, Op. cit., p. 49.233! KLÖWER, Töm, Percussions et rythmes du Monde : Découverte et méthode pratique, trad. fr. par Marie Odille 234
Hermand, La Haye, Binkey Kok Publications BV, 2003 [1996], p. 12.! Ibid., p. 23.235! dans un article intitulé « Percussion and transition » paru dans Man en 1967.236! ROUGET, Gilbert, Op. cit., p. 315.237
danseur et/ou de l’auditeur, que celui-ci ait une formation musicale ou non (même si par certains
aspects, on pourrait considérer la musique électronique comme une niche ou comme un milieu
élitiste , il est indéniable qu’en tant que vecteur de fête et de danse, elle a une dimension 238
largement populaire). Cette fonction du tambour ne vaut pas uniquement pour le kick mais pour
toutes les percussions pouvant survenir dans une production électronique de club. Cependant, elle
est particulièrement appropriée au kick qui est en général au dessous des autres.
! Le kick semble donc être à la fois un repère rythmique fortement appuyé afin de faciliter la
danse, un élément associé à la mécanique de tension/détente des timbres, et un symbole à
connotation spirituelle permettant une sorte d’évasion, une façon de « communiquer avec l’autre
monde » selon la formule de Needham . 239
!3.3 Le club : un dispositif de transe centré autour du rythme et de la danse
! La plupart des ouvrages sociologiques sur la musique électronique s’attarde principalement
sur l’explosion du mouvement rave et des free parties en Europe dans les années 1990.
Aujourd’hui, aller en club est une pratique sociale qui est rentrée dans les moeurs. Chaque weekend,
de nombreux D.J (célèbres ou non) remplissent les boîtes de nuit du monde entier et le clubbing
n’est plus une activité prohibée comme elle a pu l’être il y a une vingtaine d’années. Cependant,
l’analyse du « mouvement rave » reste pertinente aujourd’hui et peut tout à fait s’appliquer au club
car on retrouve les grands préceptes de cette pratique, à savoir le principe du deejaying, la diffusion
à haut volume sonore, et la présence d’un public venu pour danser.
! Si, comme nous l’avons vu, le rythme a une influence sur notre cerveau , notre cerveau a 240
une influence sur notre corps. Un certain nombre d’éléments propre au dispositif qu’est le club
provoque l’envie de danser :
!- l’alternance, très utilisée dans la dance-music, de downbeats (correspondants à un flux auditif de
fréquences graves) avec des upbeats (correspondants à un flux auditif de fréquences aiguës)
!66
! La persistance du support vinyle, le désir d’anonymat de certains artistes, ou le souhait de la plupart des labels de 238
rester indépendant en ne signant que des producteurs peu connus en sont quelques exemples.! ROUGET, Gilbert, Op. cit., p. 315.239! voir supra 3.1240
facilite la danse en incitant les danseurs à effectuer des mouvements « vers le bas » puis « vers le
haut » et en donnant des points de repères regroupés selon leur fréquence. 241
!- le processus de « Motor mimetic ». Il s’agit d’une théorie introduite par Rolf Inge Godøy, Egil
Haga, et Alexander Refsum Jensenius dans leur article Playing “Air Instruments”: Mimicry of
Sound-producing Gestures by Novices and Experts qui suggère que le fait de voir quelqu’un faire
un geste nous incite à effectuer le geste à notre tour . Dans le contexte d’un club, cela signifie 242
que la danse est, en un sens, contagieuse.
!- Le fait que cette musique, fondamentalement dansante, soit en plus diffusée à un volume sonore
élevé rend les danseurs plus attentifs et réceptifs : dans la mesure où il est difficile de discuter
dans un club, il est plus facile de se laisser aller à la danse. De plus, les éléments rythmiques et
percussifs étant déjà mis en avant dans le mixage, ils sont particulièrement présents du fait de ce
haut volume.
! Des sociologues et musicologues ont montré que certains contextes de diffusion de la
musique électronique de danse étaient en fait des dispositifs de transe (selon la définition de George
Lapassade) : Gino Stefani à propos de la rave , ou encore Guillaume Kosmicki à propos des free-243
parties . Aujourd’hui, le mouvement rave et free étant plus marginal, on peut se demander si le 244
club est un dispositif de transe. Le club représente un espace de surstimulation sensorielle (l’ouïe 245
avec la musique, les personnes qui parlent, qui rient et crient ; la vue avec les jeux de lumières, les
personnes qui dansent et leurs tenues ; le toucher et l’odorat dus à la foule). Cette surstimulation est
favorable aux états modifiés de conscience (EMC) d’après Astrid Fontaine et Caroline Fontana . 246
!!!
!67
! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., The “PoumTchak” Pattern: Correspondences Between Rhythm, Sound, and 241
Movement in Electronic Dance Music, Op. cit., pp. 116-117.! ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic 242
Dance Music, Op. cit., p. 127.! STEFANI Gino, Op. cit., p. 857.243! KOSMICKI, Guillaume, Transe, musique, liberté, autogestion, Cahiers d’ethnomusicologie [en ligne], 2008, mis en 244
ligne le 17 janvier 2012, [consulté le 20 mai 2016], Disponible à l’adresse : http://ethnomusicologie.revues.org/1185! « In a dance club our senses are overwhelmed with information : music, lights, dancing and moving individuals, 245
outfits, voices, laughter, and so on. Yet certain things stand out, including, as mentioned above, the bass drum. » ZEINER-HENRIKSEN, Hans T., « Moved by the Groove : Bass Drum Sounds and Body Movements in Electronic Dance Music » Op. cit., p. 123.! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Op. cit., p. 28.246
Un EMC est, selon la définition qu’en donne Georges Lapassade :
!un changement qualitatif de la conscience ordinaire, de la perception de l’espace et du temps, de l’image du corps et de l’identité personnelle. Ce changement suppose une rupture, produite par une induction, au terme de laquelle le sujet entre dans un « état second » . 247
!Georges Lapassade différencie les EMC qui peuvent être spontanés (rêves lucides, somnambulisme,
…) ou induits (hypnose, drogue,…), d’avec la transe . Pour lui, les EMC sont des « transes à l’état 248
potentiel » mais qui ne sont pas encore des « transes effectives » . Les EMC deviennent des 249
transes effectives si une société choisit de « cultiver tel ou tel de ces états » . Astrid Fontaine et 250
Caroline Fontana appliquent ce raisonnement aux rave :
!Parce que les raves, malgré les oppositions persistantes, sont aujourd’hui organisées de façon régulière, parce que tout est mis en oeuvre dans l’organisation de ces fêtes pour que les ravers puissent échapper à leur conditionnement culturel et social ordinaire et faire l’expérience d’états de conscience non ordinaire, elles peuvent s’apparenter à des rituels de transe . 251
!En effet, les rave et les free parties, tout comme les clubs, sont des espaces liés à une pratique
socio-culturelle bien définie : les participants se réunissent (presque toujours la nuit) pour danser et
écouter de la musique à haut volume sonore, diffusée par un D.J qui enchaîne des morceaux sans
discontinuité. Il y a donc une sorte de cultivation de cette pratique qui, née il y a une trentaine
d’années, continue de se pratiquer et s’est très largement étendue en dehors des Etats-Unis.
! Pascal Bussy considère que certains facteurs favorisent la mise en transe d’un sujet dans un
contexte musical :
!- la présence d’un entremetteur, sorcier, prêtre ou chaman, qui va réguler, et canaliser l’entrée
(ou l’idée d’entrer) en communion avec les esprits. - la puissance mélodique. - l’impact du rythme, souvent avec un côté tribal. - la répétition de cette mélodie et / ou de ce rythme, qui peut aller très loin, jusqu’à une sorte
d’« infini ». - la force du chant ou de la voix. - la notion de durée du morceau.
!68
! LAPASSADE, Georges, Op. cit, p. 5.247! Ibid., p. 9.248! Ibid.249! Ibid.250! FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Op. cit., p. 21.251
- le contexte autour de la musique (lieu, cadre, aspect théâtral, costumes, public, lumière, odeur…).
- le sentiment que l’on participe à un rituel. - la conviction que tout cela peut amener à un état « second » . 252
!On remarque que le club réunit la quasi-totalité de ces facteurs : l’entremetteur représenté par le D.J
qui est chargé de maintenir cet état de transe par le prisme de la musique, l’aspect répétitif de cette
musique comme nous l’avons vu précédemment, le contexte « théâtral » (provoqué par les jeux de
lumières, les couleurs, le haut volume sonore, la présence d’un public, etc). Enfin on retrouve
également le « sentiment que l’on participe à un rituel » et « la conviction que tout cela peut amener
à un état "second" » dans la mesure où les danseurs savent pourquoi ils vont en club, en maîtrisent,
en général, les codes sociaux, et savent quels effets ils peuvent être amenés à ressentir : ils acceptent
en somme d’être soumis à des EMC. De plus, on associe souvent les musiques électroniques de
danse et le club à l’ingestion de drogues - qu’elles soient de nature excitante et/ou psychotrope. Si
cet élément n’est pas obligatoire pour le déclenchement de la transe, il peut permettre d’en
accentuer les effets inducteurs cités supra.
! On peut donc considérer que le club est un dispositif inducteur de transe car il réunit un
ensemble de facteurs rendant favorables des EMC (qui sont des transes potentielles), et que ces
EMC peuvent devenir des transes effectives dans la mesure où elles sont cultivées, entretenues, et
institutionnalisées autour d’une pratique sociale (le fait d’« aller en club »). Par ailleurs, le dispositif
de transe que représente le club est centré autour du rythme et de la percussion, d’une part parce que
lesdites percussions sont mises en avant dans le mix (notamment le kick proéminent) et que la 253
diffusion musicale à fort volume les rend particulièrement présentes, et d’autre part parce qu’elles
sont nécessaires, en tant que points de repères pour entretenir la danse (qui bien qu’étant une
conséquence de la transe, « entretient » cette transe). La danse est donc à la fois cause et
conséquence de la transe : on se met à danser pour certaines raisons (le processus de motor-mimetic,
les structures rythmiques propres aux musiques électroniques de danse, la surstimulation
sensorielle, etc.) et le fait de danser nous fait rentrer dans une dynamique de transe.
!
!69
! BUSSY, Pascal, La notion de transe dans les musiques actuelles : Le Jeu de l’Ouïe, programme d’éducation 252
culturelle et artistique de l’ATM [en ligne], 6 Décembre 2013, [consulté le 19 Mai 2016], Disponible à l’adresse : http://www.jeudelouie.com/fileadmin/visuels/JDLO/conf%C3%A9rence_saison_2011/2013/La_Transe_05-12-13_-_couleur.pdf! voir supra 3.2.253
Pour revenir à cette mise en avant du rythme et des percussions, il faut noter que l’on
retrouve une utilisation assez récurrente de percussions ou de timbres rappelant des sonorités
percussives traditionnelles dans les musiques de club. En effet, les producteurs tirent souvent une
grande influence des musiques traditionnelles (africaines, aborigènes, asiatiques, etc.) et de leurs
sons de percussions . Voici quelques morceaux qui intègrent ce genre d’éléments : 254
!Genius of Time, « Djungel Jam » (2014) 255
!!!!!!!!!!!!!!Swag, « Metroride (One Way Trip) » (2001) 256
!!!!!!!
!!!!!
!70
! Nous parlons bien ici de sonorités et non de structure rythmique. La musique africaine par exemple utilise souvent la 254
répétition de séquences polyrythmiques, ce qui est bien loin de la simplicité des structures rythmiques « club ».! Genius of Time, « Djungel Jam », Juno Jam EP, Running Black, RB048, Lorsch (Allemagne), 2014. Disponible à 255
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=xBEFKv3SKRY [consulté le 1 Juin 2016].! Swag, « Metroride (One Way Trip) », Diversions Part One, Version, Version 04, Sheffield, 2001. Disponible à 256
l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=dW1dlGY0nvQ [consulté le 1 Juin 2016].
fig. 32 : Genius of Time, « Djungel Jam »
fig. 33 : Swag, « Metroride (One Way Trip) »
Pev, « Aztec Chant » (2013) 257
!!!!!!!!!!!Gunnar Haslam, « Gragnano » (2013) 258
! !!!!!!!!!
Cette utilisation de sons de « tambours » dans un contexte de transe n’est pas anodin : comme
l’explique Gilbert Rouget :
!Le caractère si souvent percutant, violent et brutal des sons qu’on en tire et l’emploi si souvent dramatique ou obsédant qu’on en fait lui confèrent incontestablement un impact émotionnel particulièrement fort. Sa sonorité peut être une véritable agression et ses vibrations peuvent avoir un impact presque palpable. (…) le tambour est vu comme l’instrument par excellence de la frénésie. Si, pour parler comme Jean-Jacques Rousseau, il y a un instrument capable d’« ébranler nos nerfs », c’est bien, pourrait-on croire, celui-là. En outre, il est par excellence l’instrument du rythme et par conséquent de la danse. On conçoit qu’emportés par leur imagination certains l’aient cru apte à jeter physiquement et comme mécaniquement les gens hors d’eux mêmes . 259
!Ainsi, le tambour - et par extension, les percussions - semble avoir un pouvoir asservissant sur les
auditeurs grâce à ses sonorités (même si l’ouvrage de Rouget a été écrit à une période où l’on était
!71
! Pev, « Aztec Chant », Aztec Chant, Livity Sound, LIVITY005, Bristol, 2013. Disponible à l’adresse : https://257
www.youtube.com/watch?v=oAixPFgn_YU [consulté le 1 Juin 2016].! Gunnar Haslam, « Gragnano », Mimesiak, L.I.E.S. (Long Island Electrical Systems), LIES026, New York, 2013. 258
Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=YQvrrKsNjSE [consulté le 1 Juin 2016].! ROUGET, Gilbert, Op. cit., p. 315.259
f ig . 34 : Pev, « Aztec Chant »
fig. 35 : Gunnar Haslam, « Gragnano »
beaucoup moins habitué à ce genre de sons et que le propos peut aujourd’hui sembler un peu
désuet). On peut également expliquer ce choix esthétique par l’envie d’exacerber le sentiment
d’évasion que semble susciter le dispositif du club en intégrant des éléments exotiques. Ces
sonorités évoquant des époques et/ou des contrées lointaines, couplées aux structures répétitives,
mécaniques et fondamentalement dansantes de la dance-music occidentale provoquent une collision
culturelle et sonore intéressante pour l’auditeur/danseur. Certains producteurs vont même emprunter
des éléments à des musiques ayant un lien direct avec la transe (les musiques chamaniques ou bien
certaines musiques traditionnelles par exemple). Si cet emprunt relève d’une citation complètement
biaisée (l’utilisation d’un son, d’un instrument ou bien d’un sample d’un type de musique ne
véhicule qu’une très petite partie de l’identité de cette musique), le propos original n’est pas
entièrement trahi dans la mesure où il est replacé dans un contexte certes différent mais à la
recherche d’ un même but qui est la transe. Comme l’écrit Pascal Bussy : « La transe, portée par une
onde de choc vieille comme le monde, réapparaît alors, vibrante de tous ses pouvoirs, et vient
enluminer notre quotidien musical » . 260
!
!72! BUSSY, Pascal, Op. cit.260
Conclusion
! Nous avons donc vu dans le premier chapitre que la musique électronique de club, depuis
ses débuts et jusqu’à aujourd’hui, mettait particulièrement l’accent sur le rythme de par sa filiation
avec les musiques afro-américaines (notamment la funk et le disco) et son rattachement à la
nécessité de faire danser, et que ce rythme permettait de dissocier des sous-genres et des scènes.
Nous avons également montré qu’une des nouveautés de ces musiques par rapport au rythme était
leur rapport au son (qui rappelons-le, incarne le rythme) dont le spectre s’est considérablement
accru avec les nouvelles possibilités de l’électronique.
!Dans le deuxième chapitre, consacré à l’approche compositionnelle du rythme et des percussions,
nous avons évoqué cette révolution technologique portée par la norme MIDI, les boîtes à rythmes et
la synthèse sonore et la façon dont elle a engendré une génération de musiciens et de nouvelles
méthodes de composition et de création sonore. Nous avons ensuite étudié ces méthodes singulières
de composition pour enfin évoquer deux conceptions de l’écriture rythmique : la stylisation qui
consiste à appliquer un isochronisme ultra rigoureux et une forte régularité de la dynamique sonore
rendus possible par la précision des machines, et la conception naturaliste qui consiste à reproduire
le geste imprécis de l’interprétation humaine par le biais des machines.
!Enfin, le chapitre trois portait sur la façon dont cette approche du rythme et des percussions pouvait
avoir une influence sur nos oreilles et sur nos corps en tant qu’auditeurs et danseurs. Nous avons
donc étudié l’appréhension cognitive du rythme (à la fois psychologique et neurologique), puis nous
nous sommes particulièrement intéressés au kick et à la façon dont les morceaux de musique
électroniques pouvaient reposer sur lui. Enfin nous avons montré que la dimension rythmique et
percussive de ces musiques, dans un contexte comme le club, pouvait induire des EMC, qui elles-
mêmes pouvaient conduire à des états de transe. En substance, nous avons vu à travers ce mémoire
que la musique électronique de danse, grâce à certaines techniques et certains outils, mettait le
rythme au premier plan en l’explicitant et donnait la part belle aux percussions pour figurer ce
rythme, le tout dans le but de provoquer une envie de danser et de favoriser un plaisir euphorique
chez l’auditeur et le danseur.
! Aujourd’hui, les possibilités de création sonore sont fortement accrues grâce aux
développements technologiques récents (notamment la puissance des D.A.W et des plug-ins actuels !73
qui est incomparable aux machines utilisées par les producteurs il y a 25 ans). On peut, à partir de
n’importe quelle source sonore, mettre en place un rythme percussif. Dans un tutoriel vidéo intitulé
« Farewell, Samplepack. Part 1 » , le producteur allemand Erdbeerschnitzel explique comment, à 261
partir de sources aléatoires, on peut créer des éléments percussifs qui joueront des rôles définis
(kick, hi-hat, et clap en l’occurrence) au sein d’un pattern typiquement house. Cette vidéo démontre
qu’une signature rythmique réalisée avec d’autres sources sonores que celles habituellement
utilisées (les boîtes à rythmes Roland par exemple) nous permet quand même d’assimiler un genre.
A l’évidence, un exercice identique appliqué à un pattern jungle évoquera la jungle à l’auditeur. Le
pattern rythmique serait-il plus important que le timbre dans l’esthétique rythmique électronique?
Peut-être. Toujours est-il que le timbre semble évoluer au fil des années dans la sphère des musiques
club, même si les producteurs ont tendance à continuer d’utiliser les mêmes boîtes à rythmes et les
mêmes synthétiseurs des années 1980 (ce qui correspond davantage à un fétichisme et à une
muséification de cette musique qu’à un manque de volonté d’innover de la part des producteurs). 262
Mais le timbre progresse tout de même (et par conséquent le timbre des percussions). Il suffit de
comparer les premiers disques de house américains du milieu des années 1980 (où le mixage était
souvent approximatif) avec un genre comme la minimal techno qui, une dizaine d’années plus tard,
faisait la part belle au design sonore, aux textures et à des sonorités particulièrement lisses pour
observer cette évolution. En revanche, beaucoup de structures rythmiques traversent les décennies
et on se retrouve aujourd’hui avec des patterns que les clubbers des années 1980/1990 pouvaient
déjà entendre à l’époque. La glitch-music est un bon exemple de musique qui innove au niveau des
timbres tout en gardant des structures rythmiques classiques : en réorganisant des sonorités
d’anomalies numériques en patterns rythmiques clairs, le producteur rend « la rugosité agréable » 263
et fait évoluer les sonorités de la musique populaire en décontextualisant des sons . 264
! Ainsi, de nombreux patterns (le poumtchack pattern notamment) et principes rythmiques
typiques du club (structures en 4/4, alternances de downbeats et de upbeats, importance du kick et
de sa répétition, clap ou snare sur les temps 2 et 4 de la mesure, etc.) perdurent dans la musique
électronique. Le kick sur chaque temps d’une mesure en 4/4 par exemple est devenu un paradigme
!74
! Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=uloy6OVQ438 [consulté le 3 Mai 2016]261! Très vite, la house a commencé à se citer elle-même (en témoigne les nombreux morceaux, dès la fin des années 262
1980, utilisant le mot « house » : « House nation », « U Ain’t Really House », etc.). On retrouve ce même procédé avec la techno. ! ZAREEI, Mo H., KAPUR, Ajay, & CARNEGIE, Dale A., Noise on the grid : Rhythmic Pulse in Experimental and 263
Electronic Noise Music : International Computer Music Conference, Perth, Australia, August 2013.! La démarche des producteurs de glitch peut rappeler la notion de « son organisé » chez Varèse.264
incontournable et fondamental de la mythologie de la dance-music, et ce probablement car il
correspond à un idéal de régularité et d’immuabilité. En 2012 dans l’émission 28 Minutes, l’auteur
et compositeur Alexandre Astier expliquait :
!J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de physiologique. Ecouter de la musique c’est s’imposer une régularité. (…) Si l’homme, par exemple, fabrique des maisons qui sont carrées alors qu’il n’y a rien de carré dans la nature ou s‘il aime les choses qui se répètent, qui sont régulières… je pense que c’est une part de nous même et que la musique n’est qu’une autre démonstration de cela, c’est-à-dire organiser des choses régulières qui nous imposent leur rythme . 265
!Ce besoin de régularité est une possible réponse à la pérennité de certaines figures rythmiques qui
auraient atteint un idéal d’hyper-régularité et d’hyper-métricité, appréciées dans un contexte de
danse. On peut néanmoins se demander comment l’écriture rythmique de la musique électronique
de club pourrait évoluer à l’avenir en se posant notamment la question suivante : comment sortir du
carcan des structures classiques sans tomber dans la complexité de l’electronica ? En bref, 266
comment cette musique rythmocentrée pourrait-elle évoluer dans l’avenir ? Car il faut garder à
l’idée que la dance-music est soumise à des contraintes :
!- La contrainte de faire danser et donc ne pas perdre l’auditoire, et par conséquent de garder les
principes de simplicité et de répétition de cette musique quand il s’agit du rythme . 267
!- La contrainte du deejaying : chaque morceau est voué à être enchaîné avec un autre morceau.
Ainsi, l’espace sonore de ces morceaux est censé ne pas être surchargé et il faut adopter des
figures rythmiques données afin de faciliter les enchaînements.
!Difficile alors de faire évoluer le discours rythmique avec de tels impératifs. On peut néanmoins
noter certaines initiatives depuis quelques années :
!- La marque Native Instruments tente actuellement de lancer un nouveau format de musique
destiné aux D.J, Stems, qui englobe plusieurs pistes séparées à la manière d’un multipiste (une
!75
! « 28 minutes du 27 avril 2012 : pourquoi la musique est-elle indispensable à l’homme? » , extrait de l’émission 28 265
Minutes, 27 Avril 2012, Arte [en ligne], 1er Mai 2012 [consulté le 12 Novembre 2015], Disponible à l’adresse : http://www.dailymotion.com/video/xqiffs_28-minutes-du-27-avril-2012-pourquoi-la-musique-est-elle-indispensable-a-l-homme_webcam! On peut citer à titre d’exemple les producteurs Venetian Snares et Aphex Twin.266! Même si, comme nous l’avons vu dans l’introduction, la conception qu’un rythme simplifié est idéal pour la danse 267
est purement occidentale.
piste de voix, une piste de percussions, une piste de basse, une piste de mélodie). Actuellement
testé par Kerri Chandler et Carl Cox entre autres, ce format, qui n’aurait pas nécessairement une
grande influence sur la composition rythmique, pourrait néanmoins introduire une nouvelle
approche plus créatrice du deejaying en permettant de mixer uniquement les percussions d’un
morceau avec les éléments mélodiques et harmoniques d’un autre morceau - sans passer par des
filtres comme les D.J ont l’habitude de le faire - et de fluidifier le flux dansant.
!- Avec internet, le brassage des genres est devenu assez important et certains labels des années
2010 ont réussi à faire le pont entre différents genres, créant ainsi des collisions rythmiques
intéressantes (des labels comme Night Slugs ou Body High qui mélangent la techno avec des
genres plus confidentiels comme la grime, la baltimore club, ou encore la baile funk ; la scène uk
bass représentée par des labels comme Hessle Audio, Livity Sound, Swamp81 ou encore
Hemlock Recordings qui intègre un certains nombre d’éléments issus de la tradition électronique
anglaise (dubstep, jungle, uk garage, etc.) dans des productions techno modernes; d’autres scènes
électroniques qui intègrent les rythmes et la culture hip-hop dans la musique de club (les 268
labels européens Pelican Fly, Marble, LuckyMe, B.YRSLF Division, etc.) . 269
! La musique de club s’est très largement émancipée depuis les années 1980 et est aujourd’hui
reconnue, étudiée, et enseignée dans les milieux musicologiques traditionnels. Depuis quelques
années déjà, elle a fait l’objet de nombreux mémoires, thèses, essais, et ouvrages à vocation tantôt
musicologique, tantôt historique, éventuellement des travaux sociologiques, et beaucoup de
vulgarisation et d’articles de presse. À travers les nombreux sous-genres et scènes qui la composent,
cette musique est rythmiquement riche, et étant tournée vers la modernité et l’expérimentation, elle
essaie constamment de faire évoluer son son. En bref, bien que résolument empirique dans sa
conception, et fonctionnelle dans son discours dansant assumé, la musique de club réussit à faire en
sorte que se tutoient le public - qui peut être amateur et néophyte - et le musicologue. Néanmoins,
on pourrait espérer un certain renouveau rythmique en raison de certaines figures qui, bien
qu’efficaces, tendent à devenir redondantes et correspondent souvent à un confort d’écriture pour
les producteurs de cette musique. Si les initiatives précédemment citées restent minoritaires et
confidentielles (car évoluant dans des sphères très indépendantes), elles démontrent une volonté
!76
! Le hip-hop a toujours été une musique jouée dans les clubs, mais ici, il s’agit de démarches d’hybridation de rythmes 268
hip-hop (et de ses dérivés) avec des rythmes de musiques électroniques comme la techno par exemple.! Les labels déjà cités Night Slugs et Body High en sont également de bon exemples.269
claire de la musique de club de repousser les limites de son format et de rester une musique
défricheuse et culturellement ouverte sans perdre à l’esprit l’importance du rythme, des percussions,
et de leur application dans un contexte de danse.
!!!!!
!77
Annexes
A.1 Evolution des genres de musique électronique populaire « de club »
!!!
Etats-Unis Angleterre France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, etc.
1975 - Disco (depuis 1972 environ) !! !!!- Italo-disco (Italie)
1980 !- Hi-NRG !!!!- House (Chicago House)
1985 - Techno (Detroit Techno) / Deep House / Miami Bass !
- Garage House (ou US Garage)
- Acid House !
!!!!!- Acid House
!!!- New Beat (Belgique) !!
1990 - Baltimore Club / Jersey Club
- Techno Minimale - Ghetto House (ou Booty House)
- Hardcore / Rave Hardcore / Balearic Beat !
- Jungle !- Drum’n’Bass (depuis 1994)
- Trance (Allemagne) - Techno Minimale - Hardcore (et dérivés :
Happy Hardcore, Gabber, etc.)
1995 !- UK Garage / 2-Step - Broken Beat
- French Touch (France) - Breakcore (Allemagne,
Belgique, Pays-Bas)
2000 !- Dubstep - Grime
2005 !- Footwork (ou Juke)
- UK Funky
Depuis 2010 - UK Bass - Post Dubstep
!78
A.2 Evolution des genres de musique électronique populaire « de salon »
!!!!
Etats-Unis Angleterre France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, etc.
1975 - Ambient ! !! !!
1980 - Synth-pop - Synth-pop !!!- Trip Hop
- Synth-pop
1985
1990 !!!!- Electronica
!!!!- Electronica (ou IDM en
Angleterre)
1995
2000
2005
depuis 2010
!79
Bibliographie
Ouvrages
ACCAOUI, Christian et al. Musique et temps, Paris, Cité de la Musique, 2008. 270
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Paris, Actes Sud / Cité de la musique, 2011.
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!BOULEZ, Pierre, Penser la musique aujourd’hui, Paris, Gallimard, Collection Tel, 1987 [1963]
BRAS, Jean-Yves, Les courants musicaux du XXe siècle ou la musique dans tous ses états, Genève,
Editions papillon, 2007 [2003].
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!CHRETIENNOT, Louis, Le Chant des moteurs : du bruit en musique, Paris, L’Harmattan, 2008.
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Cambridge University Press, 2013.
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!ESHUN, Kodwo ; TOOP, David ; REYNOLDS, Simon ; SHAPIRO, Peter ; YOUNG,
Rob, Modulations : une histoire de la musique électronique, Paris, Allia, 2004.
!FONTAINE, Astrid ; FONTANA, Caroline, Raver, Paris, Anthropos, 1996.
!HANF, Mathias Kilian, Detroit Techno: Transfer of the Soul through the Machine, Saarbrücken,
VDM Verlag Dr. Müller, 2010.
!80
! Pour les ouvrages collectifs sous la direction d’un auteur, voir le détail du ou des article(s) cités dans la partie 270
« Articles ».
KLÖWER, Töm, Percussions et rythmes du Monde : Découverte et méthode pratique, trad. fr. par
Marie Odille Hermand, La Haye, Binkey Kok Publications BV, 2003 [1996].
!KOSMICKI, Guillaume, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dancefloors, Marseille, Le
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!LAPASSADE, Georges, La Transe, Paris, PUF, «Que sais-je ?», 1990.
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!ROADS, Curtis, L'audionumérique, Musique et informatique, Paris, Dunod, 2007.
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