La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissance française ?

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Monsieur Laurent Caussat Madame Françoise Dumontier Monsieur Jean-Paul Laurent La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissance française ? In: Economie et statistique, N°207, Février 1988. pp. 3-14. Citer ce document / Cite this document : Caussat Laurent, Dumontier Françoise, Laurent Jean-Paul. La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissance française ?. In: Economie et statistique, N°207, Février 1988. pp. 3-14. doi : 10.3406/estat.1988.5168 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1988_num_207_1_5168

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Monsieur Laurent CaussatMadame Françoise DumontierMonsieur Jean-Paul Laurent

La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissancefrançaise ?In: Economie et statistique, N°207, Février 1988. pp. 3-14.

Citer ce document / Cite this document :

Caussat Laurent, Dumontier Françoise, Laurent Jean-Paul. La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissancefrançaise ?. In: Economie et statistique, N°207, Février 1988. pp. 3-14.

doi : 10.3406/estat.1988.5168

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1988_num_207_1_5168

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RésuméDeux projections à l'horizon 2000 construites à l'aide du modèle MINI-DMS-ÉNERGIE permettent demieux cerner les relations entre facture énergétique, contrainte extérieure et croissance. Dans lapremière, dite «coopérative», le prix du pétrole progresse sensiblement, du fait de la reprise de lacroissance mondiale entraînant un accroissement des tensions sur les marchés des matièrespremières. Sur le plan interne, la croissance est soutenue en raison d'une part de l'environnementinternational, d'autre part de la répartition des revenus qui favorise dans un premier temps l'effortd'investissement. Dans la deuxième projection, le prix du pétrole est, à l'horizon 2000, plus proche deson niveau actuel, mais le niveau d'activité des principaux pays industrialisés est plus réduit.Conjuguées avec une répartition des revenus alors moins favorable aux entreprises, ces hypothèsesentraînent un rythme plus modéré de la croissance française. En définitive, un scénario coopératif decroissance mondiale plus soutenue est compatible avec un prix du pétrole plus élevé, une croissanceplus forte en France, et une amélioration du solde extérieur.

AbstractAre oil expenditures likely to hinder French economic growth ? - Two projections for the turn of thecentury, which were created by the MINI-DMS-ENERGIE model, make it possible to define moreprecisely the relationships between energy expenditures, the cost of imports and economic growth.According to the first projection, which is called « the cooperative forescast », the price of oil will riseappreciably due to the recovery of world economy which will, in turn, intensify the firmness of the marketfor raw materials. At home, economic growth will steadily progress because of, first, the internationalclimate, and secondly, the distribution of income which, at the beginning, will be favourable towardinvestment. According to the second position, the price of oil at the turn of the century will remain closerto what is is now, but the level of economic activity of the major industrialized countries will be lower.Combined with a distribution of income that will be less favourable to firms, this projection predicts aslower French economic growth rate. All things considered, a scenario based on « the cooperativeforecast » calls for a steadier world economic growth which is compatible with higher oil prices andincreased French growth without altering the balance of payments.

ResumenLa presión petrolear constituye un obstáculo para el crecimiento en Francia? - Dos proyecciones parael horizonte del ano 2000 llevadas a cabo por intermedio del modelo MINI-DMS-ENERGIE permitendelimitar las relaciones existentes entre factura energética, presión externa y crecimiento. En la primerproyección, llamada « cooperativa », el precio del petróleo registra una progresión sensible debido aldespegue del crecimiento mundial que acarrea un acrecentamiento de las tensiones en los mercadosde materias primas. En el piano interno, el crecimiento está sostenido por el entorno internacional y porla distribución de los ingresos que favorece, en primer lugar, el esfuerzo de inversion. En la segundaproyección, el precio del petróleo en el horizonte del año 2000 se aproxima mes al actual pero el nivelde actividad de los principales paises industrializados es mes reducido. Conjugadas con una reparticiónde los ingresos, aún menos favorables a las empresas, estas hipótesis acarrean un ritmo decrecimiento mes moderado en Francia. En definitiva, un escenario «cooperativo» de desarrolloeconómico mundial mes sostenido es compatible con un precio más elevado del pétrôleo y uncrecimiento más importante en Francia, sin entranar una degradación del saldo exterior.

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HORIZON 2000

La contrainte pétrolière

est-elle un obstacle

à la croissance française ?

par Laurent Caussat, Françoise Dumontier et Jean-Paul Laurent*

Deux projections à l'horizon 2000 construites à l'aide du modèle MINI-DMS-ÉNERGIE permettent de mieux cerner les relations entre facture énergétique, contrainte extérieure et croissance. Dans la première, dite « coopérative », le prix du pétrole progresse sensiblement, du fait de la reprise de la croissance mondiale entraînant un accroissement des tensions sur les marchés des matières premières. Sur le plan interne, la croissance est soutenue en raison d'une part de l'environnement international, d'autre part de la répartition des revenus qui favorise dans un premier temps l'effort d'investissement. Dans la deuxième projection, le prix du pétrole est, à l'horizon 2000, plus proche de son niveau actuel, mais le niveau d'activité des principaux pays industrialisés est plus réduit. Conjuguées avec une répartition des revenus alors moins favorable aux entreprises, ces hypothèses entraînent un rythme plus modéré de la croissance française. En définitive, un scénario coopératif avec une croissance mondiale soutenue est compatible avec un prix du pétrole plus élevé, une croissance plus forte en France, et une amélioration du solde extérieur.

Pétrole plus cher, donc croissance plus faible : depuis 1973 et jusqu'en 1985, cette proposition pouvait passer pour vraie. Une arithmétique simple semblait même à l'œuvre dans les évolutions macroéconomiques récentes: un prix élevé du pétrole alourdirait la facture énergétique, tendant à dégrader le solde des paiements courants ; si on admet que la croissance est limitée par le respect de l'équilibre des paiements courants, l'évolution des prix du pétrole et celle de l'activité économique varieraient alors en sens inverse. Pourtant, les conséquences de la baisse accentuée du prix du pétrole en 1986 n'ont pas confirmé cette intuition: l'expansion de l'économie française est restée modérée, quand le relâchement de la facture énergétique, de l'ordre de 90 milliards de francs, aurait pu laisser prévoir une reprise plus sensible [1]. A l'horizon 1992, l'hypothèse que le

prix réel du pétrole se maintiendra à son niveau actuel ne permet pas non plus de supposer que la croissance va s'accélérer notablement [2].

Sans doute la moindre sensibilité actuelle de la croissance française au prix du pétrole est-elle, pour partie, imputable au changement du contexte énergétique national résultant des effets de-15 ans de politique énergétique (voir annexe). Mais l'explication est insuffisante. Deux projections macroéconomiques à l'horizon 2000, effectuées à l'aide du modèle MINI-DMS-ÉNERGIE (encadré p. 4), montrent en effet qu'à long terme également la relation entre prix mondial du pétrole et croissance française peut s'inverser.

* Service des Programmes de la direction des Synthèses économiques de l'INSEE. Les nombres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.

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LE MODÈLE

Construit en 1981, le modèle MINI-DMS-ÉNERGIE a été utilisé pour la première fois de manière opérationnelle lors des travaux du Groupe Long Terme-Énergie en 1982-1983, préparatoires au IXe Plan. Il est maintenant utilisé comme outil d'évaluation macroéconomique des stratégies énergétiques dans le cadre d'un club d'utilisateurs regroupant les différents représentants de l'administration et du monde de l'énergie. Ce souci de rendre compte des interactions énergie-économie explique sa structure : une partie macroéconomique (adaptée du modèle MINI-DMS) et une partie énergétique qui assure la représentation de l'offre et de la demande d'énergie et produit des bilans énergétiques complets. La cohérence de ces deux parties est assurée par un module de valorisation des équilibres en unités physiques qui permet de retrouver les agrégats énergétiques de la comptabilité nationale [3; 4; 5J. Principales caractéristiques — 800 variables endogènes (dont 200 macroéconomiques). — 400 variables exogènes (dont 100 macroéconomiques). -Logiciel: TROLL. — Cinq agents économiques : ménages, entreprises, administrations, institutions financières et reste du monde. Les entreprises sont à leur tour réparties en trois sous-secteurs : industrie manufacturière, énergie, autres secteurs. — Cinq produits énergétiques : charbon, électricité, gaz, produits pétroliers et énergies nouvelles et renouvelables. Le modèle distingue de plus des usages spécifiques de l'énergie (pétrochimie, sidérurgie, chimie). — Variables exogènes : démographie et coefficients techniques, environnement international (demande et inflation mondiales) variables institutionnelles (durée du travail) et de politique économique (impôts, dépenses publiques, etc.), prix internationaux de l'énergie et partage des consommations d'énergie par produits. Principes essentiels de modélisation — Macroéconomie : dynamique de demande (keynésienne) à court terme, « d'offre à moyen terme. — Énergie : pour la demande, l'approche retenue, dite « technico-écono- mique», détermine la consommation d'énergie à travers l'évolution de parcs d'équipement (logements, automobiles) ou du niveau d'activité affectés de taux d'utilisation et de consommations unitaires. Pour l'offre, on adapte des modèles de production d'électricité et de raffinage développés respectivement à EDF et à l'Institut Français du Pétrole (IFP).

A long terme, la situation de l'économie mondiale détermine le prix du pétrole et non l'inverse

Les forts mouvements du prix du pétrole depuis 1973 semblent trouver leur origine dans des événements de politique internationale: guerre du Kippour en 1973, changements politiques en Iran en 1979, refus de l'Arabie Saoudite à partir de 1985 de supporter l'essentiel des conséquences de la politique de maintien des prix décidée par l'OPEP. Par contre, en moyenne et longue période, les déterminants économiques jouent un rôle

de premier plan. Deux facteurs sont essentiels : l'équilibre global entre offre et demande mondiale de pétrole et la part du cartel de producteurs (l'OPEP) [6J.

D'une part, en effet, la production de pétrole hors OPEP, contrairement à une idée reçue, apparaît assez indépendante des mouvements du prix du pétrole, et suit plutôt une évolution tendancielle (graphique I). L'équilibre du, marché pétrolier mondial se réalise donc par la confrontation entre production des pays de l'OPEP et demande adressée à l'OPEP. En particulier, le prix du pétrole- brut paraît lié, avec des décalages, au taux d'utilisation des capacités de production de l'OPEP (graphique II).

D'autre part, on peut considérer que les capacités de production de l'OPEP sont données. Il semble en effet que ces capacités de production peuvent être utilisées de manière rentable dès lors que le prix du pétrole excède quatre dollars [7]. Dans ces conditions, il est raisonnable de supposer leur relative inélasticité au prix du pétrole. La demande mondiale de pétrole a donc un rôle déterminant dans la formation du prix du pétrole brut. Les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et le contre-choc pétrolier de 1986 peuvent ainsi être largement liés aux renforcements, puis au relâchement des tensions sur les capacités de production de l'OPEP, à la suite des mouvements de la demande mondiale.

Deux scénarios

Les deux scénarios retenus ici s'inspirent d'une étude I récente menée au CEPII, qui propose des configurations globales et cohérentes de l'environnement international [8]. Dans le premier scénario, la croissance mondiale relativement forte stimulerait la demande mondiale de pétrole, dont le prix remonterait au cours de la décennie 1990 jusqu'à 28,50 $ (de 1986) en l'an 2000. Dans le second scénario, la croissance mondiale serait plus faible, et avec elle les tensions sur le marché pétrolier, d'où une remontée plus modérée des prix: 24,10 $ (de 1986) en 2000. Dans les deux scénarios, le prix réel du pétrole augmenterait donc, comme cela est naturellement le cas pour une ressource rare non reproductible.-

La croissance mondiale serait ainsi le facteur déterminant des évolutions sur le marché pétrolier. Selon l'étude du CEPII, cette croissance dépendrait en premier lieu du mode de résorption des déséquilibres des balances des paiements courants des grands pays industrialisés: déficit américain, excédents allemand et japonais.

Dans le scénario 1, ou «coopératif», l'ajustement se ferait par les volumes et supposerait une coordination des politiques macroéconomiques entre les États-Unis, l'Europe et le Japon. La politique économique serait alors plutôt restrictive aux États-Unis et expansionniste au Japon et en Europe, ces dernières zones jouant un rôle moteur pour la croissance mondiale. La résorption du déficit extérieur américain serait facilitée par une croissance plus rapide des partenaires commerciaux des

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Graphique I

Structure de l'offre et de la demande mondiales de pétrole

Millions de tonnes 3000 t

2500

2 000 -

1 500 -

1 000 ■

500 -

1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985

I I Variations de stocks

Demande adressée à I'OPEP

^^H Production hors OPEP

Source : [6] (voir bibliographie).

Graphique II

Taux d'utilisation des capacités de production de I'OPEP et prix réel du baril de pétrole brut

Taux d'utilisation (%) P"* du pétrole ( $ de 1986/baril) 100

80 ■

60

40 ■ 1970 1974 1978 1982 1986

Sources : — taux d'utilisation : [6] (biblio.) — prix du pé trole : INSEE

1. Le prix du pétrole est le cours officiel de I' «Arabe léger» jusqu'en 1985, le prix «spot» du «Mer du Nord» ensuite.

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Tableau 1

Hypothèses retenues pour /es principaux indicateurs de /'environnement Taux de croissance international annuels moyens en %

Indicateur du PIB (1) des principaux partenaires commerciaux Prix du PIB des principaux partenaires commerciaux Demande mondiale de produits manufacturés s'adressant à la France Taux de change du dollar contre le mark Prix du pétrole en dollars (1986)

SCÉNARIO 1 («coopératif»)

1995/1990

3,3

3,6

6,8 ,

-2,6

5,7

2000/1995

3,4

3,6

7,4

-2,6

5,7

SCÉNARIO 2 (« non coopératif»)

1995/1990

2,7

2,9

5,5

-3,9

4,0

2000/1995

2,7

2,9

5,3

-3,9

4,0 1 . Produit intérieur brut.

Tableau 2

Principaux indicateurs macroéconomiques

Indicateur du PIB des principaux tenaires commerciaux PIB marchand Importations Consommation des ménages Formation brute de capital fixe dont : - entreprises -administrations Exportations Prix du PIB marchand

Capacité de cement de la Nation Capacité de cement des trations

SCÉNARIO 1 («coopératif»)

1995/1990 2000/1995

SCÉNARIO 2 (« non coopératif»)

1995/1990 2000/1995 Taux de croissance annuels moyens ( %)

3,3 3,3 7,4

3,3

4,4 5,8 1,3 6,9 3,2

3,4 3,7 7,3

3,7

4,3 4,5 1,7 7,0 3,2

2,7 2,8 6,2

3,0

3,0 3,8 0,8 6,0 2,6

2,7 2,7 5,4

3,0

2,2 2,2 2,7 5,3 2,9

Variation entre le début et la fin de la période (en proportion du PIB marchand

+ 0,1

+ 0,7

+ 0,2

+ 1,4

+ 0,2

+ 1,3

,en %)

-0,2

+ 0,1

États-Unis. Une certaine reprise de la croissance serait alors possible, sans toutefois engendrer de tensions inflationnistes (tableau 1).

Dans le scénario alternatif (scénario 2 ou « non coopératif»), les ajustements se feraient plutôt par les taux de change, le dollar se dépréciant plus rapidement par rapport au mark et au yen que dans le scénario précédent.

Ceci serait lié à une moindre coordination des politiques économiques : les pays à excédent de balance des paiements courants ne pratiquant pas des politiques expansionnistes, le redressement du solde extérieur américain passerait par une amélioration de la compétitivité-prix. Dans ce scénario, du point de vue de la croissance, l'Europe et le Japon seraient davantage pénalisés que les États-Unis, en conséquence des politiques menées et de la réévaluation de leurs monnaies. Pour les mêmes raisons, l'inflation y serait moindre. Au total, la croissance mondiale serait ralentie.

Les deux scénarios retenus privilégient des évolutions tendancielles excluant toute rupture sur le plan international, comme une crise de l'endettement international, une chute brutale du taux de change du dollar, une nouvelle crise pétrolière. Par ailleurs, ils peuvent paraître relativement peu contrastés, en comparaison des hypothèses retenues dans d'autres travaux récents [9]. Mais ces scénarios n'ont pas d'objectif prévisionnel à l'horizon 2000 : ils visent seulement à mettre en évidence des mécanismes distincts. Les projections ne se distinguant qu'à partir de 1990, les commentaires ne porteront que sur la période 1990-2000.

Une dynamique industrielle-

Dans le scénario «coopératif», le rythme annuel de la croissance française s'établirait à 3,7% environ en fin de période, dépassant de 0,3% en l'an 2000 celui de la croissance étrangère (tableau 2).

L'évolution favorable de l'activité intérieure dans le scénario 1 tient en premier lieu à l'intensité de la croissance mondiale. Celle-ci stimule les exportations (+7% par an entre 1990 et 2000), qui ne sont par ailleurs que faiblement affectées par les variations de la compétitivité-prix des produits français. En effet, on a supposé que les variations du taux de change du franc compensent exactement l'écart entre les rythmes moyens d'inflation national et étranger. Ce dynamisme des exportations contribue à relancer la demande finale et par conséquent l'investissement du fait de l'effet « accélérateur».

De 1990 à 1995, la croissance s'accompagne d'une forte progression de la productivité du travail : en effet, de par son fort contenu en exportations, cette croissance concerne surtout les branches d'activité fortement exposées à la concurrence internationale. En outre, en période d'accélération de la croissance, la productivité du travail augmente en raison des ajustements retardés de l'emploi au niveau d'activité. Cette évolution favorable de la productivité permet une progression notable du pouvoir d'achat des salaires. En effet, par hypothèse, on restitue partiellement les gains de productivité aux salariés : le pouvoir d'achat des salaires augmenterait à un rythme inférieur de 0,5 % à celui de la productivité du travail (tableau 3). Le partage de la valeur ajoutée se déplace donc en faveur des profits et compense la progression des coûts en énergie des entreprises. Accé-

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lérateur et profits concourent donc tous deux à un effort d'investissement important. Au-delà de 1995, cet investissement initial permet de détendre les capacités de production. Ceci rend possible une progression des salaires réels au-delà de la productivité du travail, sans reprise des tensions inflationnistes. Si les profits sont alors pénalisés par la montée des coûts salariaux, le renforcement de l'effet accélérateur, du fait du dynamisme persistant des exportations, accompagné à présent d'une reprise de la demande intérieure, maintient le rythme de l'investissement à un niveau élevé: 5% environ par an entre 1990 et 2000. En outre, en moyenne sur l'ensemble de la décennie 1990, productivité du travail et salaires réels progressent à des rythmes très voisins.

Enfin, comme la croissance repose dans ce scénario sur les exportations et l'investissement, elle se caractérise par un fort contenu industriel. Ainsi, l'industrie manufacturière croît à un rythme annuel moyen de 4% entre 1990 et 2000, contre 3,5% pour le PIB marchand.

... ou une offre bridée?

Dans le scénario alternatif, la croissance de l'économie ne serait que de 2,7 % par an à la fin de la décennie 1990, coïncidant strictement avec celle de nos principaux partenaires. En effet, à l'environnement international moins dynamique correspond, par opposition, une série d'évolutions moins favorables. En premier lieu, les exportations ne soutiennent pas autant la croissance, et l'effet accélérateur sur l'investissement s'en trouve réduit. Le pétrole moins cher diminue certes les consommations intermédiaires d'énergie, ce qui est favorable aux profits. Mais, cet effet serait compensé, et au-delà, par l'hypothèse faite d'une rigidité à la baisse de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée, lorsque la croissance se ralentit. En définitive, les deux déterminants de l'investissement productif (accélérateur et profits) exercent ici une influence plus faible. Le rythme de croissance de la formation brute de capital fixe des entreprises se situe à deux points environ en-dessous du rythme du scénario précédent (3,8% en moyenne par an de 1990 à 1995, 2,2 % ensuite).

L'effort réduit d'investissement entraîne des tensions croissantes sur les capacités de production industrielles. De ce fait, la croissance de l'économie française ne peut que coïncider strictement avec celle de nos principaux partenaires. En outre, elle est moins industrielle: la valeur ajoutée de l'industrie croît à un rythme annuel moyen de 2,6% entre 1990 et l'an 2000, soit une évolution en ligne avec celle du PIB marchand. Les contributions des composantes de la demande intérieure se sont en effet modifiées : exportations et investissement sont moins dynamiques que dans le scénario 1 ; en revanche, la consommation des ménages, au contenu industriel moins marqué, est moins touchée, du fait de l'hypothèse de rigidité des salaires réels qui exerce ici un effet stabilisateur sur le pouvoir d'achat du revenu disponible

Tableau 3

Des salaires réels à la consommation des ménages

Taux de croissance annuels moyens en %

Productivité horaire du travail Salaires horaires (en pouvoir d'achat) Masse salariale (en pouvoir d'achat) Revenus non riaux, transferts (en pouvoir d'achat) Revenu disponible des ménages (en pouvoir d'achat) Consommation des ménages (en pouvoir d'achat)

SCÉNARIO 1 («coopératif»)

1995/1990

3,2

2,7

2,9

3,7

3,3

3,3

2000/1995

2,8

3,4

4,1

3,5

3,8

3,7

SCÉNARIO 2 (« non coopératif»)

1995/1990

2,9

2,8

2,7

3,5

3,1

3,1

2000/1995

2,7

2,7

2,5

3,7

3,1

3,0

des ménages. Mais cet effet reste limité : dans la deuxième partie de la décennie 1990, des capacités de production insuffisantes interdisent, au contraire du scénario précédent, que les salaires réels progressent au- delà des gains de productivité.

En outre, les dépenses des administrations tendent à prendre le relais des investissements et des exportations défaillants. C'est là le résultat d'une hypothèse sur la réaction des administrations publiques à la modération spontanée de la croissance dans ce scénario : elles ne répercutent que partiellement sur la valeur de leurs dépenses courantes et d'investissement la moindre progression de leurs recettes dans ce scénario. Leur capacité de financement se dégrade alors. Cependant, cette hypothèse fragilise le scénario, dans la mesure où elle conduit à accentuer la divergence entre notre politique budgétaire et celles, plus restrictives, de nos principaux partenaires.

Avec un pétrole plus cher, la facture énergétique augmente-

La croissance forte avec un pétrole cher ne se réalise- t-elle pas au prix d'une dégradation du solde extérieur? Il n'en est rien dans cette projection. La contrainte extérieure se desserre dans le scénario 1 (la capacité de financement de la Nation augmente au total de 0,3 % en proportion du PIB tout au long de la décennie 1990), alors même que la facture énergétique y est supérieure de 36 milliards en l'an 2000 par rapport à celle du scénario 2.

La facture énergétique réagit à la variation du prix du pétrole importé entre les deux scénarios (+ 16,7% en 2000) avec une élasticité légèrement inférieure à 1 (elle augmente de + 14,3%). On est donc proche d'un pur effet mécanique des prix, la réaction des volumes importés apparaissant relativement modeste.

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LA FACTURE ÉNERGÉTIQUE : <« EFFET VOLUME » ET « EFFET PRIX »

Le prix du pétrole est plus élevé dans le premier scénario que dans le second. On peut décomposer la différence de facture énergétique en l'an 2000 entre les deux scénarios retenus en << effet volume » et « effet prix » (tableau 4). L'effet direct des prix représenterait ainsi 29 milliards de francs de différence entre le premier et le second scénario, soit environ 80 % de l'effet total. Il correspond à la variation de la facture énergétique strictement imputable aux variations des prix des énergies à niveau de consommation inchangé. Cet effet ne repose pas sur la seule hausse du prix du pétrole, puisque cette dernière entraîne celle du prix du gaz naturel en raison des clauses d'indexation dans les grands contrats d'approvisionnement gazier. En revanche, les prix du charbon varient faiblement entre les deux scénarios. L'effet «volume» est plus complexe et correspond à l'accroissement d'importation d'énergie en unités physiques. Il se monte globalement à 6,5 milliards de francs. Pour expliquer ce montant, il faut détailler les modifications de l'offre et de la demande d'énergie entre les deux scénarios. Considérons tout d'abord la consommation totale d'énergie par les ménages et les entreprises. Elle augmente de 8,8 millions de tonnes - équivalent pétrole (Mtep) dans le scénario I par rapport au scénario 2. Trois éléments, jouant de manière diverse, déterminent cette augmentation : - la plus forte croissance y contribue à hauteur d'environ 15,7 Mtep; - le scénario 1 favorise relativement l'industrie manufacturière, qui se caractérise par une intensité énergétique légèrement plus forte que les autres branches, d'où une augmentation de consommation d'environ 0,7 Mtep; - enfin, la hausse du prix de l'énergie entraîne, dans l'économie considérée dans son ensemble, une substitution d'autres biens à l'énergie, expliquant une réduction de consommation de 7,6 Mtep. II reste à passer de la consommation finale globale d'énergie aux importations. Deux éléments sont à prendre en considération.

- Tout d'abord, le partage entre énergies importées (charbon, gaz et pétrole) et nationale (électricité) influe sur la facture énergétique (tableau 5). Dans le scénario 1, le prix plus élevé du pétrole encourage la consommation d'électricité au détriment des combustibles : celle-ci est supposée gagner près de 11 points de part de marché entre 1985 et 2000, essentiellement au détriment du pétrole (graphique III). La consommation d'électricité augmente donc par rapport au scénario 2 de 8,9 Mtep, alors que la consommation de combustibles baisse de 0,4 Mtep. Il convient toutefois d'observer que la concurrence entre énergies ne joue que dans les usages énergétiques qui ne sont pas tributaires d'une seule source d'énergie. Ainsi dans l'industrie, branche particulièrement favorisée dans le scénario «coopératif», plus de la moitié de la consommation d'énergie est réalisée dans des usages spécifiques où la concurrence entre énergies est impossible (pétrochimie, chimie, électricité spécifique, etc.).

- En second lieu, la consommation de la branche énergie doit être prise en compte (tableau 5). Elle concerne le raffinage, qui est relativement moins mis à contribution dans le scénario 1, mais surtout la production d'électricité. Une hypothèse importante doit être mentionnée: on a maintenu constants dans /es deux scénarios le parc de centra/es électriques et sa structure entre centra/es hydrauliques, nucléaires et thermiques classiques. Compte tenu des délais d'investissement, ces grandeurs sont en effet déjà connues jusqu'en 1995. L'accroissement de consommation d'électricité dans le scénario 1 requiert donc un recours accru aux centra/es thermiques classiques, d'où des consommations supplémentaires de combustibles de ces centra/es de 4,8 Mtep environ.

Au total, l'augmentation des importations de combustibles est de 4,4 Mtep, qui correspondent aux 6,5 milliards représentant l'effet volume total.

Un calcul simple, fondé sur la décomposition par produits de la facture énergétique, que permet le modèle MINI-DMS-ÉNER- GIE, rend possible la dissociation des effets-prix et des effets- volume (voir encadré et tableau 4). La hausse relative des prix du pétrole expliquerait les deux tiers de l'effet total (23,6 milliards de francs, dont 19,8 pour le pétrole brut et 3,8 pour les produits raffinés). Elle est compensée partiellement par 1,6 milliards dus à la réduction du volume de pétrole brut importé. Le prix du gaz naturel connaîtrait également une augmentation, puisque les règles de formation des prix dans les grands contrats gaziers retiennent un principe d'indexation partielle sur le prix du pétrole brut. Cette variation de prix contribuerait à hauteur de 6 milliards de francs, renforcée par un effet-volume de 2,9 milliards. La contribution du charbon à la variation de la facture énergétique est presque exclusivement le fait de la hausse des volumes importés (+ 5,3 milliards de francs). L'électricité enfin exerce une influence négligeable (- 0,4 milliard de francs), due uniquement à la variation de son prix.

Il n'est pas paradoxal qu'effet-prix et effet-volume soient de même signe. En effet, le niveau de la consommation d'énergie (et donc des importations) est plus élevé dans le scénario 1 du fait de la plus forte croissance, et sa structure est différente du fait de l'intensité

industrielle de la croissance (tableau 5 et encadré p. 02). Pourtant, si on s'efforce de se ramener dans les deux scénarios à des niveaux de consommation d'énergie constants, la diminution de la consommation de combustibles, que l'on était en droit d'attendre du fait de la hausse de leurs prix relatifs, reste limitée. Cela tient à une hypothèse importante : le parc de centrales électriques est supposé inchangé dans les deux scénarios, de sorte que dans le scénario 1, où la demande d"électricité est plus forte, l'appareil de production d'électricité doit recourir relativement plus aux centrales thermiques classiques, ce qui constitue une source importante d'importation de combustibles.

... mais la contrainte extérieure se desserre

Malgré une forte sensibilité de la facture énergétique au prix du pétrole, les 36 milliards supplémentaires sont largement compensés par les excédents croissants des échanges des autres produits (+ 78,2 milliards). A elle

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Tableau 4 Tableau 5

Décomposition par produit, en l'an 2000, de la variation de facture énergétique entre les deux scénarios*

Charbon Gaz Pétrole brut Produits raffinés Électricité ENSEMBLE 1 . Millions de tonnes -

Effet volume quantités physiques concernées en Mtep (1)

+ 3,5 + 1,7 -0,8

0 0

+ 4,4

effet en milliards

de F courants

+ 5,3 + 2,9 -1,6

0 0

+ 6,5 équivalent pétrole.

Effet prix (milliards

de F courants)

-0,1 + 6,0 + 19,8 + 3,8 -0,4

+ 29,1

Effet total (milliards

de F courants)

+ 5,2 + 8,9 + 18,2 + 3,8 -0,4

+ 35,6

* Scénario 7 - scénario 2. Méthode de calcul : - i (i = 1,..., 5) est un indice associé à chacun des cinq produits; — Pi1 et p? sont les prix des produits à l'importation et à l'exportation (supposés identiques) dans les scénarios 1 et 2; - Mj1 et Mj2 sont les importations nettes de chacun des produits dans les deux scénarios en unités physiques; — F1 et F2 sont les factures énergétiques dans les deux scénarios. On a :

F1 =^2 M,' P,i i= 1

/- 1

F1-F2 = i= 7

effet volume

/- 1 effet prix

(Mj1 - M,2) est l'effet volume associé au produit i (en millions de Tep). (Mj1 - M,-2) P,1 est l'effet volume associé au produit i (en milliards de francs). (P, ' - P,2) Mj2 est l'effet prix associé au produit i.

Bilans énergétiques comparés des deux scénarios

En millions de tonnes équivalent pétrole*

Énergie primaire (1) Production + importations nettes - variations de stocks et divers ■ consommation primaire Transformations et pertes (2) Consommation finale d'énergie (3) dont: -industrie -transports - résidentiel -tertiaire - IAA-BTP (4) -non ventilé

1985 S1=S2

84,6 107,6 -5,2 197,3 15,5

181,8 59,0 36,2 48,3 23,7 10,2 4,4

1990 S1=S2

104,3 101,6 -6,1 212,0 13,4

198,5 63,8 40,3 54,1 25,1 10,7 4,6

20 S1

129,6 111,8 -6,1 247,5 17,1

230,3 78,0 46,1 58,0 30,4 13,2 4,6

00 S2

124,1 106,9 -6,1 237,2 15,6

221,5 70,8 46,5 57,7 29,1 12,8 4,6

1. Énergie primaire: c'est l'énergie qui est consommée sans avoir fait l'objet au préalable d'une transformation par le système énergétique national. La production comprend donc la houille, le pétrole brut, le gaz naturel, l'électricité d'origine hydraulique et nucléaire et les énergies nouvelles et renouvelables. Les importations nettes et les variations de stocks concernent en revanche tous les produits, qu'ils soient ou non de source primaire. 2. Transformations et pertes: ce poste regroupe trois rubriques: -le solde des opérations de transformation d'énergie (cokéfaction,

agglomération, raffinage, production de gaz industriels, production d'électricité dans les centrales thermiques)

- les pertes dans les réseaux (électricité et gaz) - la consommation interne de la branche énergie. 3. Consommation finale d'énergie: c'est la consommation d'énergie

parles agents non énergétiques (ménages et entreprises). 4. Industries agricoles et alimentaires, Bâtiment et travaux publics,

agriculture.

* Le système d'équivalence adopté pour l'agrégation des quantités physiques en tonnes équivalent-pétrole est celui recommandé par l'Observatoire de l'Énergie [10].

Tableau 6

Écarts sur divers soldes extérieurs entre les deux scénarios* En millions de francs courants

Capacité de financement de la Nation Balance commerciale : - produits manufacturés -agro-alimentaire -énergie -autres

1995

- 0,7 + 1,4 - 2,5 + 7,4 -12,6 + 9,0

2000

+ 32,0 + 42,3 + 29,9 + 21,7 -36,0 + 26,6

* Scénario 1 - scénario 2.

seule, la variation du solde des échanges de produits manufacturés se hisse presque à la hauteur de celle de la facture énergétique en l'an 2000 (+ 29,9 milliards). Si on lui ajoute le solde agro-alimentaire (+ 21,7 milliards), l'excédent est largement atteint (tableau 6).

Ce résultat est dû pour partie à l'environnement international qui, dans le scénario 1, est favorable au

développement des exportations dont la composante industrielle est prépondérante. La régulation interne joue également un rôle important, puisque l'effort d'investissement consenti dans la première partie de la décennie 1990, grâce à un partage de la valeur ajoutée temporairement plus favorable aux entreprises, permet un développement des capacités de production indus-

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Graphique III

Structure de la consommation finale d'énergie (scénario 1)

Année 1985 Année 2000

Premier chiffre : millions de tonnes-équivalent pétrole Second chiffre : poids en %

Légende : C : Charbon G .Gaz N : Energies nouvelles et renouvelables E : Electricité P : Produits pétroliers

trielle. De ce fait, les importations de produits manufacturés progressent moins vite, et les exportations croissent plus vite que la demande mondiale. Ces deux effets conduisent à un taux de couverture en volume des échanges industriels en légère augmentation. En revanche, le niveau plus élevé des prix du pétrole explique que les termes de l'échange globaux tendent à se dégrader. Finalement, il résulte de ce double effet une stabilité du taux de couverture en valeur au cours de la période (103 en l'an 2000).

Si la variation relative de la facture énergétique est comparable à celle du prix du pétrole, sa variation absolue est inférieure à celle du reste de la balance commerciale. Depuis le premier choc pétrolier, les comportements de demande d'énergie se sont en effet modifiés durablement, tant en ce qui concerne le niveau global de consommation que son partage entre combustibles, essentiellement importés, et électricité nationale. La tendance à la pénétration de l'électricité dans tous les secteurs où elle concurrence les autres énergies est commune aux deux scénarios (graphique III). Dans ces conditions, malgré l'avantage relatif aux combustibles dans le scénario 2, le mouvement entamé depuis une quinzaine d'années vers une plus grande indépendance énergétique n'est pas entravé. Grâce au développement de la production d'électricité d'origine nucléaire, le taux d'indépendance énergétique dépassera en tout état de cause 52 % en l'an 2000. La maîtrise des mouvements de la capacité de financement de la Nation passe donc en premier lieu par celle du solde industriel.

La dynamique de l'investissement est donc centrale dans le processus de croissance et dans le desserrement de la contrainte extérieure. Par opposition, la variation du prix de pétrole exerce une influence réduite et partielle : un prix modéré de l'énergie limite les coûts des entreprises et soutient les profits, déterminant important de l'investissement. Mais, dans les scénarios présentés, la baisse des prix du pétrole s'insère à long terme dans un environnement international défavorable limitant la croissance française. Deux effets négatifs en découlent sur l'investissement: directement, du fait de l'insuffisance des débouchés; indirectement, par la répartition des revenus moins favorables aux entreprises, en raison de l'hypothèse de rigidité à la baisse des salaires réels qui contrarie l'effet favorable sur les profits dû à la baisse du prix du pétrole. Cette rigidité est cependant conjecturale : elle va d'ailleurs à rencontre des formalisations habituelles dans lesquelles un accroissement du chômage tend à déplacer la répartition des revenus en faveur des entreprises.

Dans le modèle MINI-DMS-ÉNERGIE, les débouchés et la rentabilité jouent sur l'investissement avec des sensibilités indépendantes du contexte économique. Mais on peut envisager un comportement d'investissement plus sensible à l'environnement économique. La régulation interne du partage salaires-profits peut alors avoir un impact un peu différent de celui indiqué par le modèle. Ainsi, dans un contexte économique mondial récessif associé à un bas prix du pétrole, la limitation de l'investissement vient en premier lieu de la contrainte

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sur les débouchés. L'hypothèse de rigidité à la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée peut alors avoir des effets sur l'investissement moins défavorables que ne l'indiquerait le modèle. A l'opposé, dans une hypothèse de hausse du prix du pétrole, l'environnement international et la croissance nationale sont alors mieux orientés, et l'investissement est surtout limité par la rentabilité. Un partage des revenus favorable aux entreprises aura alors des conséquences encore plus favorables sur l'investissement que celles qui apparaissent dans la projection associée au scénario «coopératif». □

BIBLIOGRAPHIE

[1] L BLOCH, A. KADJAR, P. RALLE : « Un exercice de simulation : l'économie française en 1986 sans la baisse du dollar, ni celle du prix du pétrole », Économie et Statistique, n° 201, juillet-août 1987.

[2] Équipe DMS : «1992: une exigence de compétitivité pour l'économie française», Économie et Statistique, n° 205, décembre 1987.

[3] J.L BRILLET, C. PLATEAU, F. MOUTTET, J.P. MORAND: «MINI-DMS-ÉNERGIE: modèle des interactions économie- énergie », Archives et documents, n° 74, avril 1983.

[4] J.L. BRILLET, C. D'HOSE, F. MOUTTET, J.P. MORAND: «Énergie et Économie: le modèle MINI-DMS-ÉNERGIE», Économie et Statistique, n° 146, juillet-août 1982.

[5] C. PLATEAU : « Les dividendes des politiques énergétiques à l'horizon 2000», Économie et Statistique, n° 161, décembre 1983.

[6] P. CRIQUI, N. KOUSNETZOFF: «Énergie 1995: après les chocs »,éd. Economica, 1987.

[71 «Réflexions sur les prix du pétrole dans le long terme», la Documentation française, collection Études, 1987.

[8] C. BISMUT, E. KREMP, J. PISANI-FERRY: «Deux scénarios de résorption des déséquilibres de paiements entre pays industrialisés », Économie prospective internationale, CEPII, n° 29, premier trimestre 1987.

[9] «Les perspectives énergétiques de la France à l'horizon 2000», Observatoire de l'Énergie, Ministère de l'Industrie, avril 1987.

[10] « Les nouveaux bilans énergétiques », Économie et Statistique, n° 164, mars 1984.

ANNUAIRE

STATISTIQUE

DELiT

FRANCE

1987

l'activité économique d'hier et d'aujourd'hui pour fonder les prévisions de demain.

Le changement de base (base 100 en 1980) pour: • le commerce extérieur, • la production industrielle, • les comptes nationaux,

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Téléphone : F Ci-joint, la somme de

□ mandat D chèque bancaire □ chèque postal à l'ordre de l'INSEE.

OQ

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ANNEXE

Quinze ans de politique énergétique française

A la veille du premier choc pétrolier de 1973, la situation énergétique de la France était celle d'un pays fortement dépendant de l'extérieur pour ses approvison- nements. La production nationale ne satisfaisait les besoins intérieurs en énergie primaire qu'à hauteur de 22%. En outre, cette dépendance était largement le fait du pétrole qui représentait près de 68% de la consom

mation d'énergie primaire. Une telle structure de bilan énergétique rendait l'économie nationale particulièrement vulnérable à des mouvements soudains des prix internationaux de l'énergie.

De fait, le quadruplement du prix du pétrole brut en 1973, suivi d'un nouveaudoublement en 1979, accompagné de mouvements de même sens du prix du gaz naturel importé et, dans une moindre mesure, du charbon, provoquait une détérioration immédiate de la facture énergétique (graphiques A et B). Par voie de conséquence, le solde de la balance commerciale se dégradait.

Le changement brutal de contexte énergétique appelait des ajustements immédiats de l'offre et de la demande nationales d'énergie. Trois éléments essentiels caractérisent ces ajustements. Le premier est le lancement et le développement de la production d'électricité d'origine nucléaire (l'uranium étant une matière première produite nationalement à hauteur de la moitié des besoins nationaux). Ainsi, la puissance installée dans les centrales nucléaires est passée de trois giga- watts en 1973 à près de 45 gigawatts en 1986. En second lieu, l'économie et l'utilisation rationnelle de l'énergie ont été encouragées. L'Agence pour les Économies d'Énergie (devenue en 1982 l'Agence Française pour la Maîtrise de l'Énergie) a été créée en 1974. De 1976 à 1985, l'effort d'investissement consenti dans le domaine des économies d'énergie dans l'industrie s'est ainsi monté à 45 milliards de francs constants (de 1987). Enfin, un dispositif tarifaire et fiscal a été mis en place. Il vise à pénaliser la consommation intérieure de produits pétroliers (essentiellement les carburants, le fuel domestique, mais aussi le fuel lourd) au moyen de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP). Outre la limitation des importations pétrolières, cette mesure encourage la production d'électricité d'origine nucléaire dans des conditions convenables de compétitivité avec les énergies concurrentes, compte tenu des efforts considérables d'investissement requis. Le produit de cette taxe est ainsi passé de 18 milliards de francs en 1973 à près de 100 milliards de francs en 1987.

Des résultats appréciables

La consommation d'énergie primaire s'est globalement stabilisée entre 1980 et 1985, alors que les principaux agrégats macroéconomiques, tel le PIB marchand, croissaient encore légèrement (graphique C). L'intensité énergétique de la croissance française a donc nettement diminué. En outre, le bilan en énergie primaire de la France s'est considérablement modifié. L'électricité représente en 1985 presque 30% des approvisionnements en énergie primaire, tandis que la part revenant au pétrole est ramenée aux alentours de 43%. La part de l'énergie nationale progresse donc au détriment de l'énergie importée. En 1985, le taux d'indépendance énergétique s'élève à 42,8%. La facture énergétique s'en ressent naturellement, puisqu'elle tend à se stabiliser au milieu des années 1980.

Les bouleversements intervenus en 1986 ont sérieusement modifié le paysage énergétique en France. La baisse importante du prix mondial du pétrole en 1986 (15 $ le baril en moyenne contre 28 $ en 1985), conjuguée à la dépréciation du dollar (6,93 F en 1986 contre 8,99 F en 1985), a conduit à une réduction de 58% du prix moyen des importations françaises de pétrole brut exprimé en monnaie nationale et a entraîné la division par deux de la facture énergétique qui revient ainsi à 90 milliards de francs environ. Pourtant les conséquences en sont restées limitées sur l'économie française: la croissance est restée plus faible en France qu'à l'étranger (2,0 % contre une moyenne de 2,4 % pour les principaux pays membres de l'OCDE), l'emploi a stagné, la balance commerciale a à peine atteint l'équilibre (1).

Selon une simulation effectuée à l'aide du modèle METRIC (2), en l'absence des baisses observées sur le prix du pétrole et du dollar, la croissance en 1986 n'aurait été inférieure que de 0,4 point à son rythme effectif; le besoin de financement de la Nation aurait augmenté de 56 milliards par rapport à son niveau observé, alors que la facture énergétique aurait renchéri de 75 milliards de francs (3).

7. Rapport sur les Comptes de la Nation de l'année 1986, Les Collections de l'INSEE, série C, n° 142-143, juin 1987. 2. Voir fi J, en bibliographie, page précédente. 3. Il s'agit d'un écart entre le résultat de la simulation et les données observés en 1986, et non pas de la variation entre 1985 et 1986.

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Page 13: La contrainte pétrolière est-elle un obstacle à la croissance française ?

Graphique A Prix des énergies importées en dollars Dollars par tonne - équivalent pétrole 300

250 -

200

150 -

100 -

50 -

0 - 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986

Graphique B Facture énergétique Milliards de francs 200

180

1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986

Pétrole brut | | Gaz naturel

Houille Autres produits

13

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Graphique C

Structure de la consommation d'énergie primaire

Millions de tonnes- équivalent pétrole

200

150

100

50 -

1973 1985

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