LA RENTE PÉTROLIÈRE

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LA RENTE PÉTROLIÈRE Eléments pour une interprétation théorique de la structure des prix

des produits de l'Industrie pétrolière internationale

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ÉNERGIE ET SOCIÉTÉ Collection publiée sous la responsabilité

de l'Institut Economique et Juridique de l'Energie de Grenoble Equipe de Recherche du C.N.R.S.

LA RENTE PÉTROLIÈRE Eléments pour une Interprétation Théorique

de la Structure des Prix des Produits de l'Industrie Pétrolière Internationale

Jean-Pierre ANGELIER

ÉDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 15, quai Anatole-France — 75700 PARIS

1976

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COLLECTION PUBLIÉE SOUS LA RESPONSABILITÉ DE L'INSTITUT ÉCONOMIQUE ET JURIDIQUE DE L'ÉNERGIE DE GRENOBLE

ÉQUIPE DE RECHERCHE DU C.N.R.S.

A paraître

Jacques Girod - Les modèles énergétiques dans le monde

© Centre National de la Recherche Scientifique • Paris, 1976

ISBN 2-222-02025-5 I SS N 0338 - 6 1 2 0

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Cette publication est le texte remanié d'une thèse de 3ème cycle faite à l'Institut Économique et Juridique de l'Énergie de Grenoble, sous la direction du Professeur Jean-Marie Chevalier. Je tiens à exprimer toute ma gratitude au Professeur Chevalier, pour la chance et le plaisir que j'ai eus de travailler sous sa direction, et pour la façon amicale dont il m'a fait partager sa passion pour l'économie et la politique pétrolières. Tous mes remerciements également au Professeur Yves Mainguy qui a bien voulu me faire part, à travers des rapports profondé- ment humains, de sa très vaste expérience pratique du monde pétrolier. Ma reconnaissance va aussi à Monsieur Jean-Marie Martin, direc- teur de l'I.E.J.E., sans qui cette publication n'aurait pas vu le jour.

J.-P. A.

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INTRODUCTION :

LA "DYNAMIQUE DE L'INÉGALITÉ" DANS L'INDUSTRIE PÉTROLIERE INTERNATIONALE : LA RENTE PÉTROLIERE,

MOTEUR DE L'INDUSTRIE PÉTROLIERE INTERNATIONALE

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Il n'est pas besoin d'être économiste pour réaliser l'importance du rôle joué par le pétrole dans notre vie quotidienne.

Le pétrole est présent dans la plupart des activités économiques, activités de production et activités de consommation.

Mais si le pétrole est omniprésent du fait de son utilisation physique, il est présent, également, du fait de l'importance des informations économiques et politiques qui s'y rattachent.

Chaque jour, la radio, le journal, la télévision, nous soumettent des faits se rapportant, plus ou moins directement, à l'activité pétrolière. Et le nombre impression- nant de ces informations, leur caractère souvent contradictoire, rend difficile une com- préhension globale de cette activité.

La tâche à laquelle doit s'atteler l'économiste pétrolier est, dès lors, de relati- viser l'importance de ces faits, de les analyser, de leur rendre leur cohérence, de façon à resituer ces données dans un schéma théorique d'explication de l'activité pétrolière.

C'est ce travail que nous avons essayé d'entreprendre ici, en adoptant la théorie forgée par F. PERROUX, théorie que l'on pourrait qualifier de dynamique de l'inégalité.

"Le monde évolue de façon telle que les insuffisances de notre connaissance se paient assez cher dans l'action. Habitués à penser l'économie en termes d'échanges purs entre égaux, nous sommes contraints de résoudre des problèmes concrets qui, manifeste- ment, sont d'un autre caractère. C'est sans doute en des domaines où s'accuse le plus nette- ment le décalage entre nos théories et nos expériences. Nous essayons vainement de maîtri- ser des expériences neuves au moyen de théories élaborées sur expériences anciennes et ré- volues. Maintes circonstances conduiraient aujourd'hui à penser, si l'on avait quelque goût pour les généralisations rapides, qu'il est aussi opportun de concevoir le monde économi- que comme un ensemble de rapports patents ou dissimulés entre dominants et dominés que comme un ensemble de rapports entre égaux" (1 ).

Ces rapports entre dominants et dominés ont modelé l'activité pétrolière, depuis sa naissance économique, en 1859, jusqu'à nos jours ; et c'est à travers leur analyse que peut être compris le fonctionnement de l'Industrie Pétrolière Internationale.

Cette analyse du fonctionnement de l'Industrie Pétrolière Internationale, nous la mènerons à travers l'étude de la formation et de l'inégale appropriation de la Rente Pétro- lière, la Rente Pétrolière constituant l'élément moteur de l'Industrie Pétrolière Internationale

Mais l'activité pétrolière a déjà donné lieu à de nombreuses études, et il convient de resituer la méthode que nous adoptons par rapport à ces travaux antérieurs.

(1) F. PERROUX : "L'Économie du XXème Siècle" - Paris, PUF, 1964, p. 27.

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Si nous proposons une nouvelle méthode d'analyse, c'est que ces études ne nous semblent pas convenir à l'analyse du fonctionnement de l'Industrie Pétrolière Inter- nationale, pour différentes raisons.

Certains auteurs nous présentent une description de l'activité pétrolière. Mais l'exposé des faits, l'exposé des techniques, aussi intéressant soit-il, n'est malheureusement pas complété d'une analyse.

Il en est ainsi, par exemple, des ouvrages historiques de G. W. STOCKING, ou de D. DURAND. D'autres ouvrages, tels ceux de J. FLANDRIN et J. CHAPELLE, ou de M. MAINGUY, nous proposent les connaissances de base de l'activité pétrolière, ses caracté- ristiques techniques. Mais encore une fois, ces ouvrages ne présentent d'intérêt que par leur caractère descriptif (1 ).

D'autres travaux se basent sur une méthode d'analyse qui ne nous paraît pas satisfaisante.

Ainsi, les ouvrages de M. LAUDRAIN, de J. B. DIRLAM, adoptent une analyse en termes de structure de marché, analyse qui consiste en l'étude de l'évolution de la locali- sation et de l'importance respective des centres de production et de consommation.

Une telle méthode, partagée par M. G. De CHAZEAU et A. E. KAHN, qui l'élargissent à l'étude de la structure de l'appareil productif, fait référence à un modèle plus ou moins explicite d'équilibre de l'offre et de la demande sur le marché, ce qui a pour consé- quence de négliger totalement l'étude de la sphère de la production, alors que tous les phéno- mènes qu'ils étudient prennent naissance dans cette sphère de production.

Il en est ainsi, également, des ouvrages de P. H. FRANKEL et de J. MASSERON, qui font référence, sans aucune réserve, à un modèle d'équilibre de l'offre et de la demande. L'ouvrage de MASSERON présente toutefois un intérêt certain de par son côté descriptif, intérêt que l'on ne trouve pas chez FRANKEL (2).

(1) - G. W. STOCKING : "Middle East Oil ; A Study in Political and Économic Controversy". Vanderbilt University Press, Allen Lane, Penguin Press, 1970. - D. DURAND : "La Politique Pétrolière Internationale". Paris, PUF, "Que Sais-Je ? 1970. - J. FLANDRIN et J. CHAPELLE : "Le Pétrole". Paris, Technip, 1961. - M. MAINGUY Recherche et Production des Hydrocarbures ; Éléments de Technique à l'Usage des Elèves en Science Economique". - Paris, Mouton, 1965.

(2) - M. LAUDRAIN : "Le Prix du Pétrole brut ;Structures d'un Marché". - Paris, Génin, 1958. - J. B. DIRLAM : "The Petroleum Industry". in : W. ADAMS : "The Structure of American Industry". New-York, The Mc Millan C°, 3e éd. - M. G. De CHAZEAU et A. E. KAHN : "Integration and Competition in the Petroleum Industry". New Haven, Yale University Press, 1959. - P. H. FRANKEL : "L'Économie Pétrolière ; Structure d'un Marché". - Paris, Médicis, 1948. - J. MASSERON : "L'Économie des Hydrocarbures". - Paris, Technip, 1969.

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Une analyse en termes de stratégies comparées nous est proposée par des auteurs tels que H. J. FRANK, ou T. RIFAI. Encore une fois, cette méthode néglige l'étude de la sphère de la production, processus qui est pourtant à la base de l'activité pétrolière, et qu'il nous semble nécessaire de privilégier (1).

Proche de cette analyse, une étude des rapports de force dans lesquels sont placés les différents acteurs de l'industrie pétrolière est développée par M. TANZER, J. E. HARTSHORN, Z. MIKDASHI. Cette méthode présente les mêmes inconvénients : elle se développe aux dépens de l'analyse économique de la production (2).

D'autres études nous paraissent beaucoup plus intéressantes, mais, malheu- reusement, trop fragmentaires.

Ainsi, les travaux de E. T. PENROSE et P. R. ODELL, ou encore, de M. BYE, se basent sur l'étude de la grande firme internationale, ou de la Grande Unité Interterri- toriale. Cette méthode, si elle met bien en relief le comportement du Capital Pétrolier, est impuissante à analyser les rapports unissant les différentes firmes pétrolières entre elles, et encore plus à analyser les rapports qui existent entre ces firmes et les autres agents engagés dans l'industrie : États Pétroliers et États Consommateurs (3).

Les études de M. A. ADELMAN, P. G. BRADLEY, C. A. NORMAN, sont des analyses remarquables de "cette très difficile question du coût du pétrole brut" (4). Toute- fois, cette méthode d'analyse porte sur le seul niveau recherche-extraction, qui n'est pas re- placé dans la globalité du processus de production de l'Industrie Pétrolière Internationale (5).

Deux auteurs, enfin, nous paraissent apporter une contribution fondamentale à la compréhension du fonctionnement de l'activité pétrolière : M. A. ADELMAN, et J. M. CHEVALIER (6).

(1) - H. J. FRANK : "Crude Oil Prices in the Middle East ; A Study in Oligopolistic Price Behavior". New-York, Praeger, 1967.

- T. RIFAI : "Les Prix du Pétrole ; Économie de Marché ou Stratégie de Puissance". - Paris, Technip, 1974. (2) - M. TANZER : "The Political Économy of International Oil and the Underdevelopped Countries".

London, Temple Smith, 1970. - J. E. HARTSHORN : "Oil Companies and Governments ; An Account of the International Oil Industry

in its Political Environment". - London, Faber and Faber, 1962. - Z. MIKDASHI : "The Community of Oil-Exporting Countries ; A Study in Governmental Co-Operation".

London, Allen & Unwin, 1972. (3) - E. T. PENROSE & P.R. ODELL : "The Large International Firm in Developping Countries ;the Inter-

national Petroleum Industry". - London, Allen & Unwin, 1968. - M. BYE : "L'Autofinancement de la Grande Unité Interterritoriale et les Dimensions Temporelles de

son Plan". Cahiers de l'ISEA, "Economies et Sociétés", n° 9, sept. 1968. (4) - Selon l'expression de Y. MAINGUY : "L'Économie Pétrolière vue par Z. Mikdashi, par M. Adelman et

par J. M. Chevalier". (p. 441). Revue Française de l'Énergie, n° 262, avril 1974. (5) - P. G. BRADLEY : "The Economics of Crude Petroleum Production". Amsterdam, North Holland

Publishing C°, 1967. - M. A. ADELMAN :"Signifieance of Shifts in World Oil Supplies, with Special Reference to Alaska" ;

P. G. BRADLEY : "Exploration Models and Petroleum Production Economics" ; - C. A. NORMAN : "Economic Analysis of Prudhoe Bay Oil Field". in : "Alaskan Oil : Cost and Supply", M. A. ADELMAN ed., New-York, Praeger, 1971.

(6) - M. A. ADELMAN : "The World Petroleum Market". - Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972.

- J. M. CHEVALIER : "Le Nouvel Enjeu Pétrolier". - Paris, Calmann-Lévy, 1973.

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Ces deux contributions sont complémentaires : le terme de coût auquel se réfère CHEVALIER, dans son hypothèse du passage d'une phase de coûts décroissants à une phase de coûts croissants, peut être précisé par l'outil analytique proposé par ADELMAN : le "Maximum Economic Finding Cost". L'étude de l'équilibre du marché dans le long terme, présentée par ADELMAN, étude trop économiste, est complétée de façon heureuse par CHEVALIER, dans son étude des rapports de force opposant les dif- férents agents économiques et politiques engagés dans l'industrie pétrolière, dans son étude de l'enjeu de cette industrie : le "Surplus Pétrolier".

Mais cette notion de surplus pétrolier, telle qu'elle est définie par CHEVALIER, est un instrument théorique forgé pour l'analyse du secteur de l'énergie ; le contenu de cette notion est donc trop large pour permettre l'analyse de la seule Industrie Pétrolière In- ternationale.

A côté de ces nombreuses études, inégales en intérêt, portant sur le fonctionne- ment de l'activité pétrolière, nous entreprendrons de forger ici une autre méthode qui nous semble mieux convenir à l'analyse du fonctionnement de l'Industrie Pétrolière Internationale.

La particularité de l'Industrie Pétrolière Internationale est de donner naissance à des rentes dont le montant est considérable. Le fonctionnement interne de cette industrie, et son mode d'articulation avec les autres sphères de l'activité économique, donnent naissan- ce à des rentes très importantes, à des rentes permanentes, à des rentes qui contribuent à l'équilibre dynamique de cette industrie. Ce qui la différencie de la plupart des autres indus- tries, dans lesquelles les rentes sont soit faibles, soit inexistantes, ou encore, n'apparaissent qu'en liaison avec des phénomènes conjoncturels.

Nous nous proposons de privilégier l'analyse de cette particularité de l'industrie pétrolière, en faisant ressortir le rôle moteur que joue la rente pétrolière dans le fonctionne- ment, la croissance et la transformation de cette industrie.

C'est en ce sens que nous parlerons de dynamique de l'inégalité, dans la création et l'appropriation de la rente pétrolière par les différents agents engagés dans l'Industrie Pé- trolière Internationale.

Ce sont les rapports entre agents dominants et agents dominés qui permettent la mise en œuvre des mécanismes de création-appropriation de la rente pétrolière.

Ces rapports et ces mécanismes traduisent les situations d'inégalité dans lesquels sont placés les différents agents de l'industrie pétrolière.

Et ces inégalités apparaissent sous la forme de coûts différents, certes, mais aussi, et de façon indissociable, sous la forme de quantités différentes (1). C'est par l'évolution liée de ces deux variables, coûts et quantités, que nous pourrons analyser la création-appropria- tion de la rente pétrolière, et, ce qui en découle, l'évolution des rapports entre agents domi- nants et agents dominés.

(1) "La firme dominante exerce sur d'autres firmes des actions asymétriques et irréversibles, ... par le prix, ... par les flux". cf. F. PERROUX : "Le Capitalisme". - Paris, PUF, "Que Sais-Je ? 1969 (p. 32, n.1). Et le fait de la firme peut être généralisé à tout agent économique, producteur ou non.

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Mais considérer la rente pétrolière comme l'élément moteur de l'activité pétrolière peut paraître étonnant : s'agirait-il de revenir en arrière, de ne pas reconnai- tre ce qui, désormais, est admis de tous, à savoir que le profit est l'élément moteur de toute industrie régie par des rapports de production capitalistes ? Pas du tout.

Tout d'abord, la rente a la même nature que le profit : c'est de la plus- value extorquée par le Capital, et réalisée lors de la vente des marchandises. Mais si le profit du Capital Pétrolier est de la plus-value extorquée par celui-ci lors de la mise en œuvre du procès de production de l'industrie pétrolière, et réalisée lors de la vente des produits raffinés, la rente pétrolière, quant à elle, est constituée par de la plus-value provenant d'autres sphères de production que l'industrie pétrolière, et réalisée lors de la vente des produits pétroliers.

D'autre part, la rente pétrolière qui échoit au Capital Pétrolier représente pour lui des surprofits. Et des surprofits considérables. D'où la nécessité de mettre en relief le rôle joué par cette partie du profit qui excède le profit moyen.

Mais la rente pétrolière n'est pas constituée uniquement des surprofits du Capital Pétrolier. Elle comprend également le revenu des agents non-producteurs engagés dans l'activité pétrolière : les États Pétroliers, et les États Consommateurs. Ces revenus, États Pétroliers et États Consommateurs peuvent en bénéficier du fait du pouvoir de mo- nopole dont ils disposent, soit au niveau de la propriété des gisements, soit au niveau du marché des produits raffinés.

Et il convient dès maintenant de caractériser ces deux formes de revenus pé- troliers des agents non-producteurs.

Le revenu des États Pétroliers est déterminé par le prix de production "général" des hydrocarbures, en ce sens qu'il ne contribue pas à former ce prix, mais dépend de lui (1).

En revanche, le revenu pétrolier des États Consommateurs est déterminé indé- pendamment du prix de production "général" des hydrocarbures, et, s'ajoutant à ce dernier, contribue à former le prix de marché des produits pétroliers.

Le montant des revenus pétroliers des États Consommateurs ne dépend pas des rapports de production ni des rapports de propriété qui régissent l'industrie pétrolière ; il est déterminé uniquement par les rapports de force politiques rencontrés au sein même des États Consommateurs.

Dès lors, la prise en compte des revenus pétroliers des États Consommateurs dans le montant de la rente pétrolière nécessiterait une étude des formations économiques et sociales rencontrées dans ces États, étude qui relève d'une préoccupation tout autre que la nôtre.

(1) En fait, en ce qui concerne l'économie pétrolière, il convient de parler de "prix de reproduction", de préférence à la notion de "prix de production". Nous développerons plus loin cette première notion, de façon à mettre en évidence son intérêt dans l'analyse de l'activité pétrolière.

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Pour cela, nous limiterons notre analyse au niveau des rapports dans lesquels sont placés Capital Pétrolier et États Pétroliers, sans pour autant négliger l'influence des États Consommateurs dans la détermination de ces rapports.

Nous caractériserons encore le niveau d'analyse que nous retenons en donnant le primat à l'étude de la sphère de la production, et non pas à la sphère de la circulation, ce qui contribue encore à justifier les limites que nous apportons à notre analyse de la rente pétrolière.

En effet, c'est le procès de production qui est à la base de toute activité écono- mique. C'est la mise en œuvre du procès de production de l'industrie pétrolière par le Capital Pétrolier qui va permettre la création de la rente pétrolière, et les conditions de mise en œuvre de ce procès de production détermineront, en dernière instance, le montant absolu de la rente pétrolière, ainsi que les parts relatives de cette rente qui seront prélevées par le Capital Pétro- lier et par les États Pétroliers.

Ainsi, la rente pétrolière, moteur de l'Industrie Pétrolière Internationale, est l'outil qui va nous permettre d'analyser le mode d'articulation existant entre les agents éco- nomiques entrant en conflit au sein de l'Industrie Pétrolière Internationale, Capital Pétrolier et États Pétroliers, du fait de la création et du partage de cette rente pétrolière.

Et, d'autre part, c'est aussi la rente pétrolière qui va nous permettre d'analyser le mode d'articulation existant entre l'industrie pétrolière et les autres sphères de l'activité économique, du fait de l'origine, de la provenance de cette rente pétrolière.

Dans notre analyse, nous serons amenés à utiliser fréquement les catégories éco- nomiques d'Industrie Pétrolière Internationale, de Capital Pétrolier, et d ' Pétrolier.

Ces termes présentent pour nous un contenu précis qu'il convient dès mainte- nant de préciser.

Par Industrie Pétrolière Internationale (IPI), nous entendons l'ensemble des capi- taux engagés dans des activités de recherche, extraction, transport, raffinage, distribution des hydrocarbures, quelle que soit l'origine, privée ou publique, de ces capitaux, quel que soit leur champ d'activité, national ou international.

Le caractère unitaire de l'Industrie Pétrolière Internationale (IPI) tient au fait que le taux de profit obtenu par celui qui engage des capitaux dans cette industrie n'a de signi- fication que par référence à l'ensemble des activités pétrolières, ce qui interdit d'appréhender les niveaux recherche-extraction, transport, raffinage, commercialisation, comme des industries distinctes ; ce qui interdit également de concevoir des industries "nationales" des hydrocarbures.

Le Capital Pétrolier correspondra à cette partie des capitaux engagés dans l'IPI qui jouent un rôle actif dans cette industrie, à ces capitaux dont la mise en place contribue à faire évoluer les mécanismes de fonctionnement de l'IPI.

Ainsi, le capital des petits producteurs américains ne fait pas partie du Capital Pétrolier ; ni le capital des États Pétroliers, dans la mesure où ce capital, engagé dans des so- ciétés pétrolières étrangères, ne leur permet pas de contrôler la stratégie de ces sociétés, d'in- fluer sur cette stratégie.

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En revanche, le capital des "Majors" fait partie du Capital Pétrolier, et le capital des "Indépendants" s'intègre au Capital Pétrolier, dans la mesure où l'intérêt dominant de ce dernier groupe converge avec celui des Majors, et dans la mesure où les antagonismes opposant ces deux catégories d'acteurs apparaissent comme secondaires.

La notion d'État Pétrolier sera retenue, de préférence à celle de "Pays Pro- ducteurs de Pétrole", qui lui est couramment assimilée. Nous retiendrons la première de ces deux notions, pour deux raisons.

Le terme d'État revêt un contenu de classe, contenu que n'a pas le terme de pays. Nous dirons dès lors que l'État représente les intérêts d'une classe dirigeante, pro- priétaires fonciers ou/et entrepreneurs capitalistes (ou toute autre catégorie de classe qui gère une économie en fonction de ses intérêts), alors que le terme de pays entraîne une assimilation entre les intérêts de la classe dirigeante et ceux du peuple. C'est pour éviter une telle assimilation que nous retiendrons la notion d'État.

Ainsi, le terme de "Pétrolier" se rapportera, dans l'État considéré, à la classe qui assied ses pouvoirs économique et politique sur la production du pétrole.

D'autre part, le terme de pays producteur est trompeur, en ce sens qu'il mène à assimiler, de façon abusive, les pays qui possèdent des gisements et les exploitent effec- tivement, aux pays qui, propriétaires de gisements, en laissant l'exploitation à des agents économiques étrangers. En d'autres termes, pour reprendre l'expression du professeur E. TEILHAC, le pétrole est localisé géographiquement et économiquement dans un État producteur de pétrole, alors qu'il n'est localisé que géographiquement dans un État pétro- lier.

C'est donc par opposition à un pays producteur de pétrole que nous définirons un État Pétrolier.

Après avoir présenté la méthode d'analyse que nous adoptons, après avoir pré- cisé le cadre d'application de cette méthode, et le contenu précis des catégories économi- ques que nous serons amenés à utiliser, nous présenterons la démarche que nous allons sui- vre.

Dans une première partie, nous nous attacherons à développer le cadre et les instruments d'analyse que nous avons retenus, et à montrer leur intérêt et leur portée, pour aboutir à la mise en évidence de la rente pétrolière, sous ses différentes formes.

Notre méthode d'analyse ainsi explicitée, nous l'utiliserons dans une deuxième partie pour démonter les mécanismes mis en place par le Capital Pétrolier, mécanismes qui permettent à ce dernier de créer et s'approprier la rente pétrolière.

Enfin, dans une troisième partie, nous entreprendrons d'analyser la façon dont les États Pétroliers cherchent, non pas à enrayer ou à modifier les mécanismes de création- appropriation de la rente pétrolière mis en place par le Capital Pétrolier, mais à les faire fonctionner à leur avantage.

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CHAPITRE I

ANALYSE DE LA FORMATION DU PRIX DES PRODUITS DE L'INDUSTRIE PÉTROLIERE INTERNATIONALE

ET MISE EN ÉVIDENCE DE LA RENTE PÉTROLIERE

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Nous présenterons ici le support théorique de notre étude. Nous partirons de la notion d'industrie, notion qui tire son intérêt du fait que l'industrie est le niveau où se détermine le taux de profit, taux qui joue un rôle déterminant dans le mode de production capitaliste, en tant que moteur de l'activité économique ; c'est à R. BORRELLY que nous devons la mise en évidence et l'analyse de cette notion d'industrie (1).

Alors que le taux de profit des firmes n'est qu'un instrument de financement, le taux de profit de l'industrie (réalisé ou anticipé) est un instrument de décision, en ce sens que c'est en fonction du niveau qu'il atteint que les capitaux seront investis, dans l'industrie considérée, dans la mesure où aucun obstacle ne s'y oppose.

A quel niveau se fixe le taux de profit ? "Le taux de profit se trouve déterminé au moment même où se fixent les prix

qui s'imposent à la firme, au niveau du marché du produit considéré ou au niveau du mar- ché ou de l'industrie à laquelle elle appartient" (2).

En d'autres termes, le prix de marché, unique (dans un cadre géographique donné) pour l'ensemble des produits de l'industrie, s'impose à toute firme engagée dans cette industrie.

Et c'est ce prix de marché qui détermine les taux de profit des différentes fir- mes, taux qui ne sont que des variations autour du taux de profit de l'industrie.

Il s'agit ici de s'interroger sur la formation du prix de marché des produits pétro- liers : quels sont les éléments constitutifs de ce prix, quel est leur montant absolu et relatif dans ce prix ?

Pour apporter quelques éléments de réponse à ces questions, nous adopterons la démarche suivante : tout d'abord, nous présenterons la catégorie économique d'industrie, et les particularités de l'Industrie Pétrolière Internationale.

De là, nous étudierons la formation du prix de production des produits pétro- liers (coût de production + taux "général" de profit).

Nous essayerons alors d'expliquer la différence qui apparaît entre ce prix de production et le prix de marché, en montrant, tout d'abord, que dans l'IPI, comme dans toutes les industries extractives, ce n'est pas le prix de production qui est pris en compte par l'entrepreneur capitaliste, mais le prix de reproduction ; et nous donnerons une défini- tion à ce prix de reproduction.

Mais surtout, nous essayerons d'expliquer cet écart prix de reproduction - prix de marché par les éléments de rente qui apparaissent à tous les niveaux du processus de production - circulation de l'IPI. Et pour cela, nous nous arrêterons sur la théorie de la rente foncière, telle qu'elle a été développée par les Auteurs Classiques.

Et à l'aide de cette théorie, nous proposerons une interprétation à la structure des prix des produits de l'IPI.

(1) R. BORRELLY : "Les Disparités Sectorielles des Taux de Profit". Grenoble, Thèse de Sciences Econo- miques, 1972. (2) Ibidem, p. 26.

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1 - LA CATÉGORIE ÉCONOMIQUE D'INDUSTRIE : L'INDUSTRIE PÉTROLIERE INTERNATIONALE

L'identification de l'industrie Pétrolière Internationale présente de nombreu- ses difficultés.

Certains auteurs, tel P. G. BRADLEY, parlent d'industrie pétrolière en se référant uniquement au niveau recherche-extraction du brut.

D'autres, tel J. L. ENOS, confèrent au raffinage le statut théorique d'indus- trie (1).

Mais le plus souvent, il est fait référence à l'industrie pétrolière comme à l'en- semble des activités qui contribuent à transformer et à transporter les hydrocarbures "de- puis le puits jusqu'à la pompe".

C'est cette dernière conception qui semble la plus justifiée ; c'est celle que nous retiendrons, en essayant de faire ressortir le caractère unitaire des différents niveaux d'opération qui composent cette industrie.

Nous emprunterons à R. BORRELLY sa définition de l'industrie : "Chaque industrie est le regroupement conscient ou inconscient des produc-

teurs qui obtiennent un même produit à partir de processus de production comparables"(2). A partir de cette définition, on voit que trois éléments, dans leur interdépen-

dance, donnent une signification à la notion d'industrie. On retrouve les mêmes éléments, sous d'autres termes, chez M. CHATELUS : "On appelle opérations productives la succession des opérations effectuées sur

l'input initial pour obtenir un produit final donné. La notion (d'opération productive) est donc essentiellement élaborée par rapport au produit. En partant d'une définition précise de la nature du produit à obtenir, on envisage l'ensemble des activités successives nécessaires à l'élaboration de ce produit. Les opérations productives conduisant à un bien donné peu- vent être réalisées par une ou plusieurs firmes ..." (3).

Ainsi, les trois éléments un produit, des processus de production comparables, des producteurs, donnent une signification à la notion d'industrie.

Voyons ce que sont ces éléments dans l'Industrie Pétrolière Internationale.

(1) P. G. BRADLEY : "The Economics of Crude Petroleum Production", op. cit. J. L. ENOS : "Petroleum Progress and Profits. A History of Process Innovation". Cambridge, The MIT Press, 1962.

(2) R. BORRELLY : thèse citée (p. 101-102). (3) M. CHATELUS : "Production et Structure du Capital". - Paris, Cujas, 1967, p. 73.

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ISBN 2-222-02025-5

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