La bombe Howard Zinn La bombe… · 978-2-89596-837-5 (pdf) Ouvrage publié avec le concours du...

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D’Hiroshima à l’Irak, en passant par la guerre du Vietnam,les bombardements aériens sont au cœur de la stratégiemilitaire américaine. Des analystes ont réfuté l’utilitéstratégique de cette pratique, en montrant qu’elle relèvedavantage de la «passion technologique» que de la « rai-son militaire». Selon Howard Zinn, cette critique est rece -vable, mais trop courte. Il faut, soutient-il dans cet essai,condamner les bombardements intensifs en raison desatrocités qu’ils infligent à des centaines de milliers d’êtreshumains, pour la plupart des civils. Quiconque saisit l’hor-reur des tapis de bombes, des bombes incendiaires et de labombe atomique comprendra que rien ne les justifie… pasmême une «guerre juste».

Howard Zinn parle d’expérience. Pendant la SecondeGuerre mondiale, il a participé de plein gré à des bom-bardements, dont celui de la ville de Royan, en France. Il accueillit avec joie le bombardement atomique d’Hiroshimaparce qu’il mettait fin à la guerre. Dans La bombe, il raconte comment la prise de conscience des conséquencesde ces événements a fait de lui un farouche opposant à lapolitique militaire américaine.

Howard Zinn (1922-2010) a grandi à Brooklyn dans lesquartiers pauvres d’immigrés. Il a été professeur de science politique à l’université de Boston pendant plus de40 ans. Historien des résistances et de l’incidence desmouvements populaires sur la société américaine, il estl'auteur de nombreux livres, dont Une histoire populairedes États-Unis de 1492 à nos jours (Lux/Agone) et La men-talité américaine : au-delà de Barack Obama (Lux).

La bombe

Collection « Mémoire des Amériques »

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Howard Zinn

La bombeDe l’inutilité des bombardements aériens

Traduit de l’anglais par Nicolas Calvé

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Extrait de la publication

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“la-bombe_final_ED” — 2011/6/14 — 19:13 — page 1#1 i

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Traduit de l’anglais parNicolas Calvé


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La collection « Mémoire des Amériques » est dirigée par DavidLedoyen.

Dans la même collection :– Norman Bethune, Politique de la passion. Lettres, créations et

écrits– Frederick Douglass, Mémoires d’un esclave– Benjamin Franklin, Avis nécessaire à ceux qui veulent devenir

riches– John Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal– Lahontan, Dialogues avec un Sauvage– Roy MacLaren, Derrière les lignes ennemies– Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, führer canadien

Photo de la couverture : Popperfoto© Popperfoto / Getty Image

© Lux Éditeur, 2011 pour la présente éditionwww.luxediteur.com

© Howard Zinn Revocable Trust, 2010Titre original : The Bomb (City Lights Books)

Dépôt légal : 2e trimestre 2011Bibliothèque et Archives CanadaBibliothèque et Archives nationales du Québec

ISBN 978-2-89596-120-8 978-2-89596-637-1 (epub) 978-2-89596-837-5 (pdf)

Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada,du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québecet de la sodec. Nous reconnaissons l’aide financière dugouvernement du Canada par l’entremise du Programmed’aide au développement de l’industrie de l’édition (padié)pour nos activités d’édition.


www.luxediteur.com

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préfacel’historien rebelle

Bien avant qu’il ne connaisse la célébrité, HowardZinn, intellectuel et historien de premier plan

et fidèle allié des mouvements pour la paix et lajustice sociale, était une personnalité très respectéedes militants et des enseignants. S’inscrivant dans latradition contestataire des mouvements abolition-niste, suffragiste, syndical et pacifiste, ses travauxont eu un effet considérable sur le cadre juridiqueet la conscience politique aux États-Unis. Tant sonenseignement et ses écrits que son militantismereposaient sur une analyse critique du pouvoir et deses structures. Son envergure comme personnagepublic et autorité morale n’a fait que s’accroître aufil des ans, à un tel point que Zinn devint vraimentcélèbre, non pas en tant que vedette, mais plutôt entant qu’intellectuel incontournable ayant sa placedans la culture populaire américaine, à l’instar d’unNoam Chomsky ou d’un Carl Sagan. Les référencesà Zinn faites en 1997 par Matt Damon dans son


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film Good Will Hunting 1 ont sans doute contribué àce que Zinn, grâce à son chef-d’œuvre Une histoirepopulaire des États-Unis 2, fasse son entrée dans laculture de masse. Ce film a certainement contribuéà faire connaître le livre. Peu de temps après, l’édi-tion originale d’Une histoire populaire écoulait sonmillionième exemplaire, et on ne s’étonnait plus devoir Howard et ses livres évoqués dans les grandsmédias, même dans des émissions de télévision aussiimprobables que Les Simpson et Les Soprano 3.

Howard et moi avons fait connaissance en 1990par l’entremise de notre ami David Barsamian, del’émission Alternative Radio. En janvier de cetteannée-là, j’avais lancé avec des amis la maison d’édi-tion Open Media 4, qui allait publier quelques moisplus tard la transcription d’un discours pacifistede Zinn intitulé « Power, History, and Warfare ». Ils’agissait du premier d’une longue série de livres et

1. Gus Van Sant, Good Will Hunting, scénario de MattDamon et Ben Affleck, États-Unis, 1997, 126 minutes.

2. Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de1492 à nos jours, trad. F. Cotton, Montréal/Marseille, Lux/Agone,2002.

3. Dans le 11e épisode de la 19e saison des Simpson, intitulé« Bac et métal » au Québec et « Les Années 1990 » en France, onpeut voir une Marge Simpson plus jeune tenant un exemplaired’Une histoire populaire des États-Unis. Le troisième épisode de laquatrième saison des Soprano, intitulé « Indiens contre Italiens »et ayant pour trame le Colombus Day, comporte une référenceau chef-d’œuvre de Zinn.

4. C’est chez Open Media, désormais intégrée en tant quecollection à la maison d’édition City Lights Books, que l’éditionaméricaine du livre que vous tenez entre les mains a été publiée.[NdT]


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d’opuscules de Howard que j’allais avoir le privilègede publier.

J’ai beaucoup appris en travaillant avec Howard.Nous faisions presque toujours coïncider la parutionde nos projets communs avec des interventions poli-tiques. Par exemple, le deuxième titre de Zinn publiépar la maison s’intitulait Colombus, the Indians, andHuman Progress : 1492-1992. Paru en mai 1992, cetopuscule avait pour but d’appuyer les Autochtonesdans leur opposition aux célébrations en grandepompe du 500e anniversaire de la « découverte »de l’Amérique. Plutôt que de chanter les louangesde Christophe Colomb, Howard voulait sensibiliserl’opinion publique à la cupidité et à la cruauté del’explorateur génois par une mise en relief de sa vraiemission, la recherche d’or, ainsi que des exactionsque lui et ses hommes ont fait subir à d’innom-brables Autochtones pour s’en emparer. Le texte seterminait ainsi :

En repensant l’histoire, il ne faut pas se limiterà observer le passé : il faut aussi porter son regardsur le présent, en adoptant le point de vue de ceuxqui n’ont jamais profité des avantages de la préten-due civilisation. Cette tâche simple revêt une grandeimportance. Elle est même essentielle, en ce siècle quis’achève, si l’on souhaite que le prochain se dérouleautrement, si l’on refuse que celui-ci soit américain,occidental, blanc ou masculin, ou qu’il soit celui dequelque nation ou groupe que ce soit, si l’on veutplutôt voir naître le siècle de l’humanité 1.

1. Howard Zinn, Columbus, the Indians, and HumanProgress : 1492-1992, Westfield (NJ), Open Media, 1992.


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La parution du troisième titre de Zinn chez OpenMedia fut aussi planifiée en fonction de l’actua-lité : il s’agissait de faire contrepoids aux discoursentourant le 50e anniversaire du bombardement ato-mique du Japon par les Américains. À l’époque, laréflexion sur les interventions des États-Unis pen-dant la Seconde Guerre mondiale dégoulinait debons sentiments : cette « guerre juste », menée par« la plus grande génération », était commémorée sansle moindre esprit critique, comme dans cette expo-sition du musée de l’aviation et de l’astronautiquede l’institut Smithsonian où trônait le fuselage del’Enola Gay accompagné de films d’archives mon-trant son équipage réjoui. C’est pour condamner lesbombardements d’Hiroshima et de Nagasaki et criti-quer l’idée même d’une « guerre juste » que Howard aécrit Hiroshima : Breaking the Silence, d’abord publiéen juin 1995, puis reproduit ici.

Les impressions et réflexions de Howard sur lebombardement atomique du Japon ont toujoursété mues par un sentiment d’urgence. À maintesreprises, il s’est prononcé contre le caractère immo-ral de cette opération, contre la folie des armesnucléaires et les conséquences inévitables de leurutilisation : le massacre et la mutilation aveugles degens ordinaires. Même après que des milliers d’exem-plaires se furent écoulés et que le dernier eut trouvépreneur depuis longtemps, Hiroshima : Breaking theSilence gardait toute son importance pour son auteur.Au terme du travail éditorial ayant mené à la paru-tion chez City Lights de son ouvrage de 2006 intitulé

Reproduit dans Failure to Quit, Cambridge (MA), South EndPress, 2002.


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A Power Governments Cannot Suppress, nous dis-cutâmes de la commémoration du 65e anniversairedes bombardements qui allait avoir lieu à l’été 2010.Howard souhaitait que nous réimprimions son textesur Hiroshima. Nous choisîmes plutôt de faire unnouveau livre en l’adjoignant à un article qu’il avaitrédigé à propos du bombardement au napalm dela ville française de Royan, mission de combat àlaquelle il avait pris part en avril 1945. Nous déci-dâmes de l’intituler The Bomb ; Howard allait rédigerun nouvel avant-propos. En décembre 2009, soit unmois avant son décès à Los Angeles, Howard mele faisait parvenir par courriel. Le livre était prêt :un autre petit geste de rébellion contre l’histoireofficielle et les arguments servis pour justifier laguerre.

Howard aimait bien les petits gestes de rébellion,car il considérait qu’ils pouvaient être la source dechangements plus importants. Comme historien, lefait d’avoir accordé une attention particulière auxgens ordinaires plutôt qu’aux riches et aux puissantsconstitue son acte de rébellion et d’incitation à lacontestation le plus important. À ses yeux, refuserl’injustice demandait de participer à l’histoire popu-laire en marche. Résister, prendre la parole, contesterles discours officiels, publier des analyses dissidentes,manifester et désobéir étaient pour lui des droitsinaliénables. Plus il tissait de liens dans la rébellion,plus il était heureux 1.

Au moment où j’écris ces lignes, c’est-à-dire enavril 2010, le président Barack Obama publie la plus

1. Ces quelques lignes sont tirées de « Teacher, Friend,and Compañero – Howard Zinn », panégyrique que

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récente mise à jour de la doctrine nucléaire des États-Unis, la « Nuclear Posture Review ». Outre l’annonced’un plan de réduction de l’arsenal nucléaire vieillis-sant et de vagues références à l’élimination probablede celui-ci dans un avenir indéfini se situant bien au-delà de la fin de son mandat, le commandant en chefdes forces armées réaffirme la volonté de Washingtonde maintenir un stock d’armes nucléaires ainsi queson droit de les utiliser, dans certaines circonstances,contre les populations d’autres pays. Bien que, dansun éditorial, le New York Times ait réagi en écrivantque « quiconque est sain d’esprit ne peut conce-voir que les États-Unis puissent de nouveau avoirrecours à une arme nucléaire 1 », aucun débat publicn’a cours sur l’aberration que constitue le maintiendu stockage d’un tel arsenal. Je crois que Howard,s’il vivait toujours, serait d’accord avec l’auteur ano-nyme de cet éditorial et soutiendrait qu’Obama n’estpas tout à fait sain d’esprit. Il reprendrait sans douteces propos, extraits de ce livre :

Un tel raisonnement vient légitimer le cerclevicieux de la violence et de la vengeance, du ter-rorisme et du contre-terrorisme, dans lequel notreépoque est enlisée. On ne peut y répliquer qu’en affir-mant : « Plus jamais de guerres, de bombardementset de représailles ! Il faut. . . non, nous devons briser cecercle vicieux au plus tôt ! »

j’ai écrit quelques jours après la mort de Zinn en jan-vier 2010, publié sur Znet, www.zcommunications.org/teacher-friend-and-companero-howard-zinn-by-greg-ruggiero.

1. « M. Obama’s Nuclear Policy », éditorial, The New YorkTimes, 6 avril 2010, www.nytimes.com/2010/04/07/opinion/07wed1.html?hpw.


www.zcommunications.org/teacher-friend-and-companero-howard-zinn-by-greg-ruggiero

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www.nytimes.com/2010/04/07/opinion/07wed1.html?hpw

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Réfuter l’argument de la stratégie, comme jel’ai fait avec d’autres historiens en soulignant qu’iln’y avait aucune nécessité militaire de larguer labombe, ne suffit pas. Il faut aborder l’enjeu moralsans détour : peut-on justifier les atrocités que lesbombardements massifs caractéristiques des guerresmodernes infligent à des centaines de milliers d’êtreshumains par des « nécessités » d’ordre militaire, stra-tégique ou politique ?

Si, comme je le crois, la réponse est non, com-ment pourrions-nous nous libérer de cette tendance àrester les bras croisés (qui d’ailleurs fut aussi le lot desJaponais et des Allemands) pendant que des atrocitéssont commises en notre nom ?

J’espère que ce livre saura contribuer au débatpublic sur le sujet, et que celui-ci, dans l’esprit deHoward, débouchera sur des gestes de rébellion, desplus simples aux plus audacieux.

Greg Ruggiero

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avant-propos

Le 8 mai 1945, en ce jour où la guerre prenaitfin en Europe, nous, membres de l’équipage

du bombardier B-17 dont j’étais, quittions notrebase aérienne d’Est-Anglie pour la ville voisine deNorwich, où l’on célébrait la victoire dans l’euphorie.Plongée dans le noir depuis cinq ans, la cité scintillaitdésormais de tous ses feux. Nous avions l’impres-sion que toute la population, hommes, femmeset enfants, était descendue dans les rues, dansant,criant, pleurant de joie, partageant bière et fish andchips, s’étreignant.

En juillet, nous rentrions au pays en traversantl’Atlantique à bord du même bombardier qua-drimoteur duquel nous avions lâché des bombessur l’Allemagne, la Tchécoslovaquie, la Hongrieet la France. On nous accordait une permissionde 30 jours pour revoir nos proches avant d’êtreenvoyés dans le Pacifique pour entreprendre d’autresbombardements, cette fois contre le Japon.

Ma femme Roslyn et moi avions décidé deprendre ces vacances à la campagne. Marchantvers la gare routière d’où un autocar allait nousamener dans le nord de l’État de New York, nous


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passâmes devant un kiosque où étaient empilésdes journaux dont la manchette en très gros carac-tères se lisait ainsi : « Bombe atomique larguée surHiroshima. » Je me souviens de notre réaction : nousétions contents. Nous ne savions pas ce qu’était unebombe atomique, mais il s’agissait manifestementd’un événement d’envergure, laissant présager lafin de la guerre contre le Japon. Si tel était le cas, jen’irais pas dans le Pacifique et rentrerais vite à lamaison, cette fois pour de bon.

Je n’avais alors aucune idée des ravages provo-qués par cette bombe sur la population d’Hiroshima.C’était une abstraction, un gros titre, un bom-bardement de plus, comparable à ceux que nousavions effectués en Europe, mais à plus grandeéchelle, semblait-il. Aujourd’hui encore, la plupartdes Américains ne savent rien de l’implacable réalitédes bombardements aériens : opérations militairesaccomplies sans émotion, manchettes ou statistiquesdont on prend vite connaissance pour aussitôt lesoublier. . .

Il en va d’ailleurs ainsi pour ceux qui larguentdes bombes, comme ce bombardier que j’étais, ins-tallé sous la verrière en plexiglas d’un B-17, les yeuxrivés au viseur, observant les éclats de lumière fusantdes cibles touchées, mais ne voyant nul être humainet ne percevant aucun cri, à l’abri du sang et totale-ment inconscient de la possibilité que, en dessous,des enfants soient en train de mourir, de deveniraveugles, de perdre un bras ou une jambe.

Il est vrai que je larguais mes bombes d’unealtitude de 9 000 mètres, tandis que les bombardiersà réaction d’aujourd’hui volent plus près du sol et


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sont munis d’ordinateurs hautement sophistiquésleur permettant d’atteindre leurs cibles avec une plusgrande précision. L’opération n’en est pas moinsimpersonnelle, car même le soldat qui procède à des« frappes chirurgicales » ne voit aucun être humain.Il a beau pouvoir faire ce qui m’eût été impossiblependant la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-direviser une maison ou une voiture en particulier, iln’a pas la moindre idée de qui s’y trouve : on lui asimplement transmis un renseignement indiquantque des « présumés terroristes » se cachent dans l’uneou l’autre.

Les médias n’ont de cesse de marteler les termes« présumé terroriste » ou « membre présumé d’Al-Qaïda », ce qui signifie que les agences de rensei-gnement ne connaissent pas avec certitude l’identitédes personnes bombardées et que nous, Américains,sommes disposés à justifier le fait de liquider un« suspect » en Irak, en Afghanistan ou au Pakistan,acte que nous jugerions pourtant inacceptable s’ilavait lieu dans le cadre d’une opération policière àNew York ou à San Francisco. Cela sous-entend –honte à nous ! – que la vie des autres a moins d’im-portance que celle des nôtres.

C’est ainsi que, en Afghanistan, les invités d’unenoce ont péri lors d’un bombardement qui visaitdes « présumés terroristes ». Immédiatement aprèsl’élection de Barack Obama, on a envoyé des dronesPredator lancer des missiles sur le Pakistan. Lorsd’une deuxième frappe, rapportait Jane Mayer dansle New Yoker, on a visé par erreur le domicile d’unchef de tribu favorable au gouvernement (sur la basede « renseignements »). « L’explosion a provoqué la


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mort de toute la famille du chef, y compris de troisenfants dont l’un était âgé de cinq ans 1. »

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’équipe-ment militaire n’était pas aussi perfectionné, mais lerésultat était le même : la mort d’innocents. Les sol-dats d’aujourd’hui sont dans la même situation quecelle qui était la mienne : ils suivent les ordres sansposer de questions, inconscients des conséquenceshumaines des bombardements.

Ce n’est pas avant d’avoir été démobilisé que jefis une prise de conscience bouleversante, en lisant lerécit des interviews menées par John Hersey auprèsde survivants du bombardement d’Hiroshima. Ceux-ci y relataient leur expérience sans en omettre lesdétails les plus explicites et terrifiants : « Certainsavaient les sourcils brûlés, et la peau pendait de leurvisage et de leurs mains. D’autres, à cause de la dou-leur, avaient les bras levés comme s’ils soutenaientune charge avec leurs mains 2. »

L’article de Hersey me fit réfléchir à mes propresmissions, où je bombardais des villes avec insou-ciance, sans me préoccuper de ce que pouvaient vivreles gens au sol. Je méditai particulièrement sur madernière mission.

Cette opération s’est déroulée trois semainesavant la fin de la guerre en Europe, à un moment oùtous savaient cette dernière pratiquement terminée.

1. Jane Meyer, « The Predator War. What are the Risks of thecia’s Covert Drone Program ? », The New Yorker, 26 octobre2009.

2. John Hersey, « Hiroshima, 6 août 1945 », Le Monde diplo-matique, août 2005, p. 2. Traduction de « Hiroshima », The NewYorker, 31 août 1946.


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Sur notre base aérienne d’Est-Anglie, les équipagescroyaient qu’on ne les enverrait plus en Europe conti-nentale. De toute évidence, il n’était plus nécessairede poursuivre les bombardements, pas même aunom d’une prétendue « nécessité militaire ».

Nous fûmes tout de même tirés de nos sacsde couchage, sortis de nos baraquements en tôleondulée puis embarqués dans des camions vers lessalles de briefing et les aires de trafic. Il était envi-ron trois heures du matin, heure habituelle du leverles jours de mission : pour un départ à l’aube, troisheures étaient nécessaires à la transmission des ren-seignements, au petit-déjeuner et à la vérification del’équipement.

Pendant le briefing, on nous expliqua que nousdevions bombarder une garnison allemande station-née près de Royan, lieu de villégiature de la côteatlantique française situé non loin de Bordeaux. LesAllemands n’avaient pas lancé d’attaque : ils ne fai-saient qu’attendre tranquillement la fin de la guerre.Nous allions les anéantir.

À l’été 1966, j’ai séjourné à Royan, dont la biblio-thèque municipale m’a permis de trouver la plusgrande partie des documents sur lesquels se fondel’essai composant la deuxième partie de ce livre.

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cet ouvrage a été imprimé en avril 2011 surles presses des ateliers des imprimeriestranscontinental pour le compte de lux,éditeur à l’enseigne d’un chien d’or delégende dessiné par robert lapalme

Il a été composé avec LATEX, logiciel libre,par Sébastien Mengin – www.edilibre.net

La révision du texte et la correctiondes épreuves ont été réalisées

par Thomas Déri et Marie-Eve Lamy

Lux Éditeurc.p. 129, succ. de Lorimier

Montréal, Qc H2H 1V0

Diffusion et distributionAu Canada : Flammarion

En Europe : Harmonia Mundi

Imprimé au Québecsur papier recyclé 100% postconsommation


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Howard Zinn parle d’expérience. Pendant la SecondeGuerre mondiale, il a participé de plein gré à des bom-bardements, dont celui de la ville de Royan, en France. Il accueillit avec joie le bombardement atomique d’Hiroshimaparce qu’il mettait fin à la guerre. Dans La bombe, il raconte comment la prise de conscience des conséquencesde ces événements a fait de lui un farouche opposant à lapolitique militaire américaine.

Howard Zinn (1922-2010) a grandi à Brooklyn dans lesquartiers pauvres d’immigrés. Il a été professeur de science politique à l’université de Boston pendant plus de40 ans. Historien des résistances et de l’incidence desmouvements populaires sur la société américaine, il estl'auteur de nombreux livres, dont Une histoire populairedes États-Unis de 1492 à nos jours (Lux/Agone) et La men-talité américaine : au-delà de Barack Obama (Lux).

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