ITW Irene Khan - l'Hebdo 28 mai 2009

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interview de la secrétaire générale d'Amnesty International Irene Khan par Michel Beuret de l'hebdomadaire suisse romand l'Hebdo.

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dante soit menée. L’actuel blocus de Gaza est déplorable et la situation en Cisjordanie reste très mauvaise également. La liberté de mouvement y est presque nulle. Dans ce genre de situation, on ne peut s’attendre à un processus de paix.

Vous l’avez dit, votre conviction est que la croissance économi-que dépend de la stabilité sociale. Pensez-vous que cette idée est entendue par les lea-ders des pays de l’OCDE?Non, pas assez. Ce que l’on voit pour l’instant c’est qu’ils fabri-

quent un paquet d’aide pour redémarrer l’économie telle qu’elle était avant. Nous disons, nous, que cette crise est une opportunité pour les gouverne-ments d’adopter un regard plus critique sur le système. Par le passé, l’Etat s’était retiré du

monde financier et l’on a vu ce que l’auto-régulation a donné. L’Etat s’était aussi retiré d’autres sec-teurs: privatisation de la sécurité, de l’éduca-tion, de la santé. Cela n’est pas un problème en soi. Le problème émerge lorsque les gens n’ont plus accès aux soins, à l’éduca-tion ou à une eau salubre par exemple. Ces dernières années, on a coupé dans le filet social et les droits humains ont été sacrifiés au mar-

ché. A présent l’Etat est obligé de repenser son rôle et la crise devrait l’encourager à investir de manière similaire à l’écono-mie, dans le secteur des droits de l’homme. S’il ne le fait pas, le fossé social va se creuser et l’on verra apparaître des trous noirs dans lesquels tout progrès va disparaître: racisme, xénopho-bie, discrimination, violence envers les femmes, proliféra-tion de la violence comme on l’a vu l’an passé en Afrique du Sud.

Comment mettre ces idées en pratique? Il faut une mobilisation plus forte de l’opinion publique, comme celle qui a eu lieu lors du G20 à Londres. Ceux qui sont descendus dans la rue n’étaient pas des manifestants antimon-dialisation classiques, mais des gens qui ont pris conscience que nous vivons dans une économie mondialisée fondée sur un sys-tème de croissance très fragile

pour protéger les droits humains. Ceci implique que les gens ordinaires doivent faire savoir à leurs gouvernements qu’ils veulent un nouveau sys-tème. C’est dans ce but qu’Am-nesty International lance aujourd’hui sa campagne pour la dignité (Demand Dignity Campaign), centrée sur le thème de la pauvreté et les droits de l’homme.

L’un des premiers droits de l’homme est d’avoir un toit. Vous êtes née au Bangladesh, un pays menacé par la montée des eaux. Le rapport 2009 dit peu de chose sur les réfugiés climatiques. N’est-ce pas encore un enjeu? Si, cela est devenu un enjeu et la communauté internationale des droits de l’homme commence à le réaliser. Les conflits au Dar-four et en Somalie reposent tous deux sur des écosystèmes fragi-les. Les causes de ces conflits sont liées à la désertification, à la lutte pour la terre. On verra de plus en plus ce genre de situa-tion. L’impact climatique va aussi provoquer des déplace-ments de personnes et les pro-blèmes de droits humains qui vont avec, parfois insoupçonnés. En certains endroits par exem-ple, les femmes devront s’aven-turer plus loin pour trouver de l’eau ou du bois et s’exposer davantage à des zones d’insécu-rité. C’est pourquoi, à Amnesty, nous parlons aujourd’hui avec d’autres organisations et menons campagne avec elles pour le Global Climate Change Action. Dans le domaine de la société civile, les agendas com-mencent, on le voit, à s’intégrer mutuellement. Les gens qui tra-vaillent dans le développement, l’environnement, les droits de l’homme, savent qu’ils doivent avoir une vue intégrée pour trou-ver des solutions aujourd’hui. On ne peut plus travailler chacun dans son coin.√

ProPos recueillis Par michel beuret

l a secrétaire générale d’Am-nesty International était

invitée à Genève au Forum sur la sécurité internationale, du 18 au 20 mai. Avec la publication du Rapport 2009 démarre la campagne mondiale «Exigeons la dignité».

Le rapport 2009 d’Amnesty International débute par l’Afri-que. La situation des droits de l’homme sur ce continent est-elle pire qu’ailleurs?En fait, l’Afrique arrive en pre-mier pour des raisons alphabé-tiques mais le hasard fait que ce continent est celui qui concen-tre les plus gros problèmes de droits humains, bien qu’il soit riche en ressources naturelles. Il est remarquable que les pays dont le sous-sol est le plus riche sont aussi ceux où les popula-tions vivent le plus pauvrement, comme la République démocra-tique du Congo (RDC), le Sou-dan, la Guinée équatoriale ou l’Angola. Dans tous ces pays, le gap en matière de droits humains est immense, aggravé par des guerres oubliées, comme en RDC, au Darfour ou en Soma-lie, un pays qui est entré dans l’actualité avec les pirates, mais où la situation à l’intérieur est désespérée.

Que pensez-vous de la réponse des pays développés à la crise somalienne? Elle n’est pas adéquate. La pres-sion n’est pas assez forte et sur-tout ce n’est pas la bonne. On le voit bien, les raisons économi-ques et les facteurs politiques priment sur les droits de l’homme. Or les problèmes ne sont pas sur l’eau, mais sur terre, enracinés dans une faible gou-vernance, des abus de pouvoir et la corruption.

La lecture du rapport est assez déprimante. Diriez-vous que globalement, la situation empire sur le plan des droits de l’homme ou y a-t-il de bonnes nouvelles?Oui, il y a de bonnes nouvelles aussi. En matière de lutte contre l’impunité, on a vu s’ouvrir le premier procès touchant à la

RDC devant la Cour pénale internationale. Au Sierra Leone il y a eu aussi un tribunal spécial. Pour les Africains, c’est une bonne nouvelle que justice soit rendue. On voit aussi reculer la peine de mort, même si 78% des exécutions ont lieu dans les pays

du G20. Des progrès ont aussi été faits pour renforcer le contrôle des «armes légères». Malgré tout, les problèmes res-tent bien plus importants. Et le risque que nous voyons à Amnesty est que la crise écono-mique aggrave encore le déni de droits économiques et sociaux, qu’elle ne détourne l’attention des gouvernements de la ques-tion des droits de l’homme. Cer-tains pouvoirs sont devenus très sensibles avec la crise et répri-ment plus durement encore les manifestations.

Cette année, justement, marque les 20 ans du massacre de Tia-nan men. Quel est le message d’Amnesty à Pékin?Ce que nous disons au Gouver-nement chinois est que la Chine est perçue comme une puissance montante, en effet, et de ce fait,

en tant que leader mondial, elle doit montrer de la cré-dibilité et de la légitimité. Et cela viendra lorsque la Chine souscrira

elle aussi aux valeurs mondiales de défense des droits humains dans sa politique étrangère. Je pense que la Chine n’est pas imperméable à ces valeurs. L’autre point sur lequel je veux insister est que les affaires cher-chent la stabilité. Et cette stabi-

lité ne peut venir que là où la justice et les droits de l’homme sont respectés. En ce sens, les droits de l’homme sont bons pour les affaires. Et c’est un autre argument que nous donnons aux Chinois qui investissent aujourd’hui en Afrique.

Aux Etats-Unis, Barack Obama a fait de nombreuses promesses sur lesquelles il est revenu. Avons-nous des raisons d’être déçus?Je dirais qu’il est trop tôt pour le dire. Les premiers signes ont été très positifs. Obama a décidé de fermer Guantánamo, de dénon-cer la torture, de déclassifier les «mémos». Nous voudrions qu’il aille plus loin et que l’on parle aussi de la situation dans la pri-son de Bagram en Afghanistan, où il y a davantage de prison-niers et dans une situation sans doute plus difficile qu’à Guantá-namo. Le plus dur, bien sûr, sera d’obtenir une enquête indépen-dante et des poursuites pour les responsables de tortures. Obama tente de restaurer l’autorité morale des Etats-Unis sur la scène internationale et pour le faire, il devra franchir ce pas-là. Je crois que si l’on maintient la pression, il y a une bonne chance pour qu’il le fasse.

Obama a rencontré récemment Benjamin Nétanyahou. Que vous inspire le nouveau Gouvernement israélien pour l’avenir des droits de l’homme dans la région?L’expérience d’Amnesty jusqu’ici est qu’aucun Gouvernement israélien ne s’est montré inté-ressé à une enquête indépen-dante sur les crimes de guerre dans les territoires occupés. Amnesty la demande depuis des années, en vain. Mais je pense que les récents événements de Gaza ont bouleversé l’opinion publique. Je constate que la pres-sion internationale est très forte pour qu’une enquête indépen-

AMNESty INtERNAtIONAL. La secrétaire générale lance la campagne mondiale «Exigeons la dignité».

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PrOfILirene khan1956 Naît à Dhaka (Bangladesh)1978 Etudie le droit à Manchester, puis à Harvard.1980 Entre au service du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés. Missions en Inde et en ex-Yougoslavie.2001 Secrétaire générale d’Amnesty International.

On a cOupé dans le filet sOcial et les drOits humains Ont été sacrifiés au marché.

L’hebdo 28 mai 2009

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28 mai 2009 L’hebdo

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