Intubation rétrograde

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4 311 FICHE TECHNIQUE Intubation rétrograde Mehdi Benkhadra (photo), François Lenfant, Pierre Trouilloud, Marc Freysz L’intubation rétrograde est une tech- nique qui permet la maîtrise des voies aériennes supérieures en situa- tions d’exception, en particulier dans le cadre de l’urgence (par exemple : en pré-hospitalier, chez les patients avec traumatisme maxillo-facial ou fracture cervicale (1)). DONNÉES ANATOMIQUES C’est le caractère superficiel, immédiatement sous-cutané, du larynx qui a permis d’envisager la technique de l’intu- bation rétrograde. Le larynx, partie supérieure des voies aériennes se compose grossièrement de trois structures : le cartilage thyroïde (qui a la forme d’un bouclier), le cartilage cricoïde (qui a la forme d’une bague à chaton), et les car- tilages arythénoïdes (en relation avec les ligaments vocaux). Les cartilages thyroïde et cricoïde sont unis à leur face anté- rieure par la membrane crico-thyroïdienne. Lors de l’intuba- tion rétrograde (IR), la ponction se situe à ce niveau, seul point d’accès à la lumière du larynx par la face antérieure. Sur une coupe sagittale du larynx (figure 1), on remarque : – la membrane crico-thyroïdienne peu protégée, ce qui faci- lite sa ponction ; – la distance entre le plan des ligaments vocaux et le plan de la membrane cricothyroïdienne qui est d’environ 1 cm. MATÉRIEL – Un guide métallique (de type « voie centrale ») d’environ 60 cm ; – un mandrin creux qui s’adapte sur le guide métallique et facilite la progression de la sonde d’intubation ; – une pince de type « Kocher » ; – une aiguille de 18 ou 20 G ; – une seringue de 5 ml ; – un laryngoscope standard avec lame de Macintosh ad hoc ; – une pince de Magill ; – une sonde d’intubation préformée, à ballonnet, de taille adaptée au patient ; – un champ stérile troué à usage unique ; – une paire de gants stériles ; – un lubrifiant biocompatible. RÉALISATION La procédure est théoriquement réalisable par une personne seule, mais il faut conseiller, comme lors de toute procédure d’intubation difficile, la présence d’un second opérateur (ges- tion de l’anesthésie, aide pour les gestes, problème de maté- riel…). Installation, préparation Le patient est en décubitus dorsal, en position amendée de Jackson, avec éventuellement un billot sous les épaules si les reliefs antérieurs du larynx ne sont pas bien exposés, et si la pathologie présentée par le patient le permet. Une désinfection cutanée de la face antérieure du cou est effectuée, puis un champ stérile est mis en place, la fente centrée sur la membrane crico-thyroïdienne. L’aiguille de ponction est montée sur la seringue de 5 ml contenant du soluté salé isotonique. Ponction La membrane crico-thyroïdienne est ponctionnée, après repérage tactile de. D’une main, le larynx est stabilisé, alors que l’autre main introduit l’aiguille au travers de la mem- brane, en la dirigeant vers la tête, avec une inclinaison d’envi- ron 45° par rapport au plan frontal (figure 2). L’aiguille doit être avancée prudemment car le danger est de transfixier le larynx et de léser l’œsophage (principal Figure 1. Vue sagittale du larynx, de la glotte et de la trachée. On note le caractère superficiel de la membrane crico-thyroïdienne et la courte distance entre le plan des cordes vocales et celui de cette membrane.

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4 311

F I C H E T E C H N I Q U E

Intubation rétrogradeMehdi Benkhadra (photo), François Lenfant, Pierre Trouilloud, Marc Freysz

L’intubation rétrograde est une tech-nique qui permet la maîtrise desvoies aériennes supérieures en situa-tions d’exception, en particulier dansle cadre de l’urgence (par exemple :en pré-hospitalier, chez les patientsavec traumatisme maxillo-facial oufracture cervicale (1)).

DONNÉES ANATOMIQUES

C’est le caractère superficiel, immédiatement sous-cutané,du larynx qui a permis d’envisager la technique de l’intu-bation rétrograde. Le larynx, partie supérieure des voiesaériennes se compose grossièrement de trois structures : lecartilage thyroïde (qui a la forme d’un bouclier), le cartilagecricoïde (qui a la forme d’une bague à chaton), et les car-tilages arythénoïdes (en relation avec les ligaments vocaux).Les cartilages thyroïde et cricoïde sont unis à leur face anté-rieure par la membrane crico-thyroïdienne. Lors de l’intuba-tion rétrograde (IR), la ponction se situe à ce niveau, seulpoint d’accès à la lumière du larynx par la face antérieure.Sur une coupe sagittale du larynx (figure 1), on remarque :– la membrane crico-thyroïdienne peu protégée, ce qui faci-lite sa ponction ;– la distance entre le plan des ligaments vocaux et le plande la membrane cricothyroïdienne qui est d’environ 1 cm.

MATÉRIEL

– Un guide métallique (de type « voie centrale ») d’environ60 cm ;– un mandrin creux qui s’adapte sur le guide métallique etfacilite la progression de la sonde d’intubation ;– une pince de type « Kocher » ;– une aiguille de 18 ou 20 G ;– une seringue de 5 ml ;– un laryngoscope standard avec lame de Macintosh ad hoc ;– une pince de Magill ;– une sonde d’intubation préformée, à ballonnet, de tailleadaptée au patient ;– un champ stérile troué à usage unique ;– une paire de gants stériles ;– un lubrifiant biocompatible.

RÉALISATION

La procédure est théoriquement réalisable par une personneseule, mais il faut conseiller, comme lors de toute procédured’intubation difficile, la présence d’un second opérateur (ges-tion de l’anesthésie, aide pour les gestes, problème de maté-riel…).

Installation, préparationLe patient est en décubitus dorsal, en position amendée deJackson, avec éventuellement un billot sous les épaules siles reliefs antérieurs du larynx ne sont pas bien exposés, etsi la pathologie présentée par le patient le permet.Une désinfection cutanée de la face antérieure du cou esteffectuée, puis un champ stérile est mis en place, la fentecentrée sur la membrane crico-thyroïdienne.L’aiguille de ponction est montée sur la seringue de 5 mlcontenant du soluté salé isotonique.

PonctionLa membrane crico-thyroïdienne est ponctionnée, aprèsrepérage tactile de. D’une main, le larynx est stabilisé, alorsque l’autre main introduit l’aiguille au travers de la mem-brane, en la dirigeant vers la tête, avec une inclinaison d’envi-ron 45° par rapport au plan frontal (figure 2).L’aiguille doit être avancée prudemment car le danger estde transfixier le larynx et de léser l’œsophage (principal

Figure 1. Vue sagittale du larynx, de la glotte et de la trachée. Onnote le caractère superficiel de la membrane crico-thyroïdienne et lacourte distance entre le plan des cordes vocales et celui de cettemembrane.

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rapport postérieur du larynx). Aussi, après le franchisse-ment de la peau, la progression est lente et progressive, le« vide à la main » (mise en dépression continue du piston dela seringue), jusqu’à ce que des bulles d’air reviennent dansla seringue, témoignant de la ponction trachéale.

Mise en place du guide et du mandrin

On introduit le guide métallique d’environ 30 à 40 cm dansla lumière de l’aiguille (avec le biseau toujours orienté endirection céphalique), puis on retire l’aiguille.

Le guide est ensuite avancé et récupéré dans la boucheen s’aidant d’une pince de Magill et si besoin d’un laryn-goscope. Une dizaine de centimètres du guide métalliquesont extériorisés du côté cervical pour sécuriser l’accès.Le guide est sécurisé par une pince de Kocher, côté cer-vical.

L’étape suivante consiste à adapter sur le guide métallique,en l’engageant du côté buccal, le mandrin creux (2) et à lefaire glisser jusqu’à venir buter au niveau de la membranecrico-thyroïdienne.

On adapte enfin la sonde d’intubation sur le mandrin (aprèsl’avoir lubrifié) par son orifice distal (figure 3). On fait cou-lisser la sonde sur le mandrin jusqu’à ce qu’elle bute sur lamembrane crico-thyroïdienne. On relâche alors la pince deKocher, puis on retire doucement le mandrin, puis le guideet l’on repousse la sonde dans la trachée.

La courte distance entre le plan des ligaments vocaux etcelui de la membrane crico-thyroïdienne expose au risqued’extubation lors de la phase de retrait du mandrin métalli-que (figure 1). Pour pallier cet inconvénient, deux amélio-rations de la technique peuvent être proposées :

– on peut faire passer le mandrin par l’œillet latéral de lasonde, l’enchaînement de la procédure restant ensuite iden-tique à celui décrit ci-dessus. Cette manière de faire permetd’introduire la sonde d’intubation un peu plus loin dans latrachée (0,5 cm). (figure 4) ;

– alors que la sonde est en position intra-trachéale et avantle retrait du guide métallique, un mandrin creux est insérédans la sonde d’intubation pour cathétériser la trachée (cemandrin peut être celui fourni avec le kit d’intubationrétrograde). Le raccordement de ce mandrin à une sourced’oxygène améliore l’hématose du patient et permet l’ana-lyse des gaz expirés en le connectant à un capnographe,assurant le contrôle de la position intra-trachéale du man-drin. Le guide métallique peut alors être retiré sans crainte,l’intubation trachéale étant facilitée par le mandrin endotra-chéal (figure 5).

Figure 2. Ponction de la membrane crico-thyroïdienne. L’aiguille estinclinée avec un angle de 45° par rapport au plan horizontal et diri-gée vers la tête du patient.

Figure 3. Coupe sagittale illustrant la technique d’intubation rétro-grade opérée par glissement de l’orifice distal de la sonde d’intuba-tion sur le mandrin.

Figure 4. Dans cette configuration, le guide métallique est insérédans l’œillet latéral de la sonde on gagne ainsi 0,5 cm sur la dis-tance entre plan des cordes vocales et plan de la membrane crico-thyroïdienne. Cette manœuvre permet de diminuer le risqued’extubation.

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Chacune des techniques d’intubation rétrograde est encours d’évaluation. La durée de réalisation serait le mêmetandis que le taux d’échec serait moindre avec l’utilisationdu mandrin dans la sonde d’intubation.

CONCLUSION

L’intubation rétrograde reste une technique d’exceptiondont l’apprentissage simple et représente une alternativeséduisante et performante pour la maîtrise des voiesaériennes supérieures dans certaines situations en particu-lier d’urgence.

RÉFÉRENCES1. Barriot P, Riou B. Retrograde technique for trachéal intubation in trauma

patients. Critical Care Med 1988;16:712-4.2. Dhara S. Retrograde intubation – a facilitated approach. Br J Anaesth

1992;69:631-3.

Figure 5. Quelle que soit la technique utilisée — en passant le guidepar l’orifice distal (schéma du haut) ou latéral (schéma du bas) de lasonde d’intubation —, l’insertion d’un mandrin en position intra-trachéale en passant par la lumière de la sonde, est possible et sécu-rise l’intubation.

Tirés à part : Marc FREYSZ,Département d’Anesthésie Réanimation,

Hôpital Général — CHU Dijon,3, rue du Faubourg Raines,

21033 Dijon Cedex, France.