Incorporels et répartition du droit d'imposer entre Etats et... · l’administration fiscale pour...
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UNIVERSITE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE
INCORPORELS ET REPARTITION DU
DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS
Mémoire
Sandrine Pedro
Sous la direction de Monsieur le Professeur D. Gutmann
Master 2 professionnel Droit des affaires et Fiscalité Année 2011-2012
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION………………………………………………………………………… p.3
TITRE 1 : LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS
MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES DES GROUPES
EN MATIERE D’INCORPORELS ………………………………………………………. p.7
Chapitre 1 : Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique
pour les groupes et les Etats………………………………………...... p.7
Chapitre 2 : L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de
risque pour la répartition du droit d’imposer……………………….. p.23
TITRE 2 : LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE
DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS PAR LE CONTROLE
DES PRIX DE TRANSFERT…………………………………………………………… p.34
Chapitre 1 : Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte
contre l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats………. p.35
Chapitre 2 : L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif
inadapté aux incorporels, mais en évolution………………………... p.43
3
INTRODUCTION
La valeur d’une entreprise ne se résume plus aujourd’hui à ses seuls actifs corporels.
Tel est le constat qui peut être fait, et qui s’explique par le développement considérable des
actifs incorporels. Alors que l’on voyait, auparavant, les biens corporels comme la source
principale de richesse d’une entreprise, il semble qu’à l’ère de la dématérialisation les
possibilités offertes par les incorporels séduisent d’avantage.
Ce type de bien représente aujourd’hui une part prépondérante de la richesse des
entreprises tant au niveau de leur valeur et du potentiel de profit qui leur est attaché qu’au
niveau de leur importance en termes de volume. En effet, de plus en plus d’entreprises
détiennent des incorporels. Les statistiques des dépôts de brevets et de marques l’illustrent
parfaitement. Ainsi, entre 2009 et 2010, les dépôts de brevets au niveau européen ont
augmenté de 12,2%, et de 2,9% en France (chiffre certes plus faible, mais qui s’explique par
le développement du brevet européen)1. Les dépôts de marques ont, quant à eux, augmenté de
13,3% au niveau national, et de 11,4% au niveau européen sur la même période (2009-2010)2.
Les entreprises tendent alors à développer une véritable stratégie de planification de
leurs incorporels. Une stratégie économique, d’une part, qui leur permet d’asseoir leur
notoriété dans le cas des marques, des noms commerciaux…, ou de maintenir leur avance
technologique pour ce qui est des brevets, des savoir-faire, des formules… Mais cette
stratégie est également fiscale. Les incorporels sont porteurs d’importants profits. On peut, à
ce titre, citer les grandes marques de technologie (Apple, Microsoft, Hewlett-Packard…) dont
les actifs incorporels représentent une très large majorité de leur richesse, et constituent le
siège de très importants profits, qui sont une potentielle masse taxable pour les Etats. Tout
l’intérêt de ces groupes est alors de mettre en place une véritable planification fiscale (tax
planning), en vue de bénéficier des régimes fiscaux qui leur sont les plus favorables3. Il s’agit
bien évidemment de diminuer le taux effectif d’imposition du groupe en choisissant de
localiser les incorporels dans des Etats fiscalement attractifs notamment au niveau des taux
d’imposition pratiqués. Mais, les incorporels nécessitant constamment de nouveaux
investissements conséquents, l’autre aspect de ce tax planning est de sélectionner les Etats
offrant à ces groupes des avantages quant à la déduction de leurs dépenses : déductions de
dépenses de recherche et développement, de personnel… mettant ainsi les Etats au cœur de
cette stratégie.
Les autres grands intéressés par les incorporels sont ainsi les Etats. Ils sont, en effet,
directement concernés par la stratégie fiscale des groupes multinationaux. Cette dernière
constitue pour eux un risque d’érosion importante de leur base taxable et de leurs ressources.
Sur fond de crise économique et financière, voire de crise des finances publiques en Europe,
et conscients du fort potentiel économique et fiscal des incorporels, les Etats (et certains
mieux que d’autres) tentent tant bien que mal de lutter contre ces délocalisations d’incorporels
et d’attirer sur leur territoire ces précieux actifs. On assiste alors au développement d’une
1 Rapport de l’observatoire de la propriété intellectuelle de juillet 2011 portant sur les chiffres clés 2010 en matière de brevets. 2 Rapport de l’observatoire de la propriété intellectuelle de septembre 2011 portant sur les chiffres clés 2010 en matière de marques 3 « How Apple Sidesteps Billions in Taxes », C. Duhigg and D. Kocieniewski, The New York Times, April 28, 2012
4
concurrence fiscale acharnée, celle-ci se matérialisant le plus souvent par des mesures
incitatives à la localisation comme celles que l’on a citées précédemment. Tout l’enjeu est
donc pour les Etats de préserver leur assiette fiscale et leur droit d’imposer face à des biens
aussi particuliers que les actifs incorporels.
Les actifs incorporels recouvrent une multitude de biens différents. Il s’agit, en règle
générale, d’un bien non tangible porteur d’un potentiel de profit pour son détenteur. Dans une
tentative de délimitation de cette catégorie, on est tenté d’opposer les incorporels protégés aux
incorporels ne bénéficiant pas d’une protection. Les biens incorporels peuvent, en effet, faire
l’objet de différentes protections juridiques regroupées sous le qualificatif de propriété
intellectuelle. On y trouve ainsi les brevets faisant l’objet d’un dépôt auprès d’une autorité (en
France l’Institut national de la propriété industrielle ou INPI) et dont la protection légale
s’étend sur 20 ans. On peut également citer les marques qui font l’objet d’un enregistrement
auprès d’une autorité (là encore l’INPI en France) et qui se trouvent alors protégées pendant
10 ans, renouvelables sans limite. D’autres biens incorporels ne bénéficient d’une protection
juridique que par le biais des obligations de confidentialité qui les entourent : savoir-faire,
procédés de fabrication… Enfin, certains incorporels se retrouvent, au contraire, totalement
démunis et ne font l’objet d’aucune protection juridique : clientèle, goodwill. La tentative de
délimitation des incorporels par leur protection juridique ne permet pas de faire état de
l’extrême diversité de ceux-ci. Elle n’est d’ailleurs pas pertinente dans la mesure où ce qui
intéresse les entreprises et les Etats du point de vue fiscal est la richesse créée par ces
derniers. Or des incorporels non protégés sont tout autant porteurs de profits que ceux qui font
l’objet d’une protection.
La problématique fiscale des incorporels se pose essentiellement en présence de
groupes de sociétés. Des entreprises isolées peuvent bien entendu être titulaires d’incorporels
de valeur, mais les risques pour la masse imposable se situent surtout au niveau des groupes.
En effet, les liens de dépendance qui unissent les différentes sociétés d’un groupe, et de
surcroît, d’un groupe multinational, sont plus propices à l’élaboration de stratégies fiscales
source de lésion pour les Etats. Ces relations permettent de mettre en œuvre des opérations à
des conditions que des entreprises indépendantes n’auraient probablement pas acceptées, et
peuvent être le siège d’une localisation plus ou moins artificielle des incorporels et de leurs
revenus. Le groupe de sociétés n’est, en principe, pas reconnu juridiquement et notamment
fiscalement (sauf dans le cadre de régimes fiscaux particuliers : intégration fiscale, régime
mère-fille…). Mais économiquement, il constitue une réalité dont on ne peut faire abstraction.
Sachant, par ailleurs, que le commerce intragroupe représente plus 50% du commerce
international, les Etats ne pouvaient donc s’en désintéresser.
Toutes ces constatations mettent en exergue le conflit qui peut exister entre, d’un côté,
les groupes multinationaux désireux de réduire leur charge fiscale et, de l’autre, les
administrations fiscales à l’affût de ressources fiscales supplémentaires. Dans ce contexte
conflictuel se pose dès lors la question suivante : Dans quelle mesure les stratégies fiscales
des groupes en matière d’incorporels portent-elles atteinte à la répartition du droit d’imposer
des Etats, et quels sont les instruments dont disposent ces derniers pour y remédier ?
Il ne s’agira pas ici d’étudier la fiscalité des incorporels dans son intégralité et dans le
détail, mais seulement de présenter les grands traits des stratégies fiscales des groupes en
matière d’incorporels et les conséquences fiscales qui s’y attachent. Par ailleurs, ne sera pas
non plus évoqué l’impact des choix des entreprises sur tous les impôts. Les décisions prises
dans le domaine des incorporels peuvent, en effet, avoir des conséquences en matière de taxe
5
sur la valeur ajoutée, ainsi que sur les droits de douanes et sur les droits de mutation… Ici ne
seront abordés que les effets en matière d’impôt sur les sociétés et, de façon très marginale,
d’impôt sur le revenu.
La présentation des stratégies des groupes de sociétés en matière de fiscalité des
incorporels va de paire avec les moyens permettant de lutter contre d’éventuels abus. Selon
les Etats, différents dispositifs sont mis en place.
Dans le cas de la France, de nombreux moyens sont mis à la disposition de
l’administration fiscale pour réagir face à certains montages imaginés par les sociétés. On
peut, ainsi, citer l’acte anormal de gestion qui permet à l’administration fiscale de remettre en
cause un acte qui, en raison de son objet ou de ses modalités, est étranger à une gestion
commerciale normale. Mais également l’abus de droit (article L64 du Livre des procédures
fiscales, dénommé ci-après LPF) qui, lui, permet de sanctionner des actes ayant un caractère
fictif ou des actes qui, recherchant l’application littérale des textes ou décisions à l’encontre
des objectifs du législateurs, ont un motif exclusivement fiscal. Au-delà de ces mécanismes
généraux de répression, il existe une grande diversité de dispositifs anti-abus particuliers. On
peut notamment citer : l’article 209 B du Code général des impôts (ci-après dénommé CGI)
prévoyant l’imposition des sociétés mères françaises à raison des produits réalisés par une
entité qu’elle contrôle et qui est soumise à un régime fiscal privilégié ; l’article 238 A qui
prévoit la non-déductibilité de certaines charges (telles que des redevances) engagées par un
contribuable domicilié ou établi en France au profit d’un créancier établi hors de France et
soumis à un régime fiscal privilégié ; l’article 155 A qui, dans l’hypothèse d’un prestataire
établi en France dont la rémunération est perçue par une personne établie hors de France ou
d’un prestataire établi hors de France qui rend des services en France, prévoit que
l’administration fiscale pourra directement imposer la totalité des revenus encaissés par ce
prestataire sous certaines conditions4… Il ne s’agira cependant pas ici d’étudier tous ces
dispositifs, mais de se concentrer sur l’un d’eux : le contrôle des prix de transfert (article 57
du CGI).
Le dispositif des prix de transfert concerne les hypothèses dans lesquelles des sociétés
liées ont, par le biais d’une minoration ou d’une majoration de prix ou de tout autre moyen,
transféré indirectement des bénéfices qui auraient dû être imposés en France vers une société
étrangère bénéficiant d’un régime fiscal plus avantageux. Dans ce cas, l’administration fiscale
est fondée à rectifier les résultats de la société française pour neutraliser ce transfert. Ce
dispositif de contrôle se retrouve dans de nombreux droits internes, mais également dans la
convention modèle OCDE, l’OCDE constituant en la matière un point de référence.
Le parti pris d’étudier les stratégies fiscales des groupes en matière d’incorporels et
leur sanction sous l’angle des prix de transfert se justifie par l’actualité foisonnante dont ils
font l’objet, et ce, précisément dans le domaine des incorporels. L’OCDE mène, en effet,
actuellement un projet de réforme du chapitre 6 de ses principes applicables en matière de
prix de transfert sur les « Considérations particulières applicables aux biens incorporels ». Ce
projet a pour objectif d’adapter le mécanisme actuel des prix de transfert aux spécificités des
biens incorporels qui posent de nombreux problèmes soulevés par la pratique. Le projet lancé
en 2010 a, suite à de nombreuses contributions du public, donné lieu en janvier 2011 à
4 Soit lorsque la personne située en France contrôle la personne située à l’étranger percevant la rémunération ; soit lorsque la personne située à l’étranger exerce de manière prépondérante une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de service ; soit encore lorsque la personne percevant la rémunération est établie dans un Etat où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI
6
l’adoption d’un document de cadrage approuvé par le Comité des affaires fiscales. Bien qu’il
soit prévu que cette réforme n’aboutisse pas avant 2013, les incorporels constituent l’un des
problèmes les plus délicats en matière de prix de transfert, sur lequel de nombreux auteurs se
sont penchés. L’actualité de ce sujet ainsi que les problématiques complexes mais fascinantes
qu’il soulève ont, par conséquent, dicté le choix de ne pas évoquer les autres moyens de lutte.
Les stratégies fiscales mises en place par les groupes de sociétés quant à la gestion de
leurs incorporels reposent sur le choix de la localisation de ces derniers, de leurs structures de
création et d’exploitation, et sur la détermination des rémunérations auxquels ils donnent lieu
Celles-ci constituent des facteurs de risque pour la répartition du droit d’imposer entre les
Etats et la préservation de leur assiette imposable (TITRE 1). Le contrôle des prix de transfert,
sur le fondement du principe de pleine concurrence, permet cependant de préserver une
répartition équilibrée du droit d’imposer de chaque Etat, et constitue un outil redoutable pour
contrer les transferts indirects de bénéfices, bien que certaines adaptations aux spécificités des
incorporels soient nécessaires (TITRE 2).
7
TITRE 1 :
LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE
ETATS MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES
DES GROUPES EN MATIERE D’INCORPORELS
La répartition du droit d’imposer entre les Etats est particulièrement mise à mal par les
stratégies fiscales adoptées par les groupes de sociétés quant à leurs incorporels, et ce, pour
deux raisons principales. D’une part, en raison du risque de délocalisation plus fort en matière
d’incorporels du fait de leur nature, mais également de la concurrence acharnée que se livrent
les différents Etats pour les attirer sur leur territoire (chapitre 1). D’autre part, en raison du
caractère flou de la notion même d’incorporels et de la complexité croissante de leurs modes
de création et d’exploitation, qui rendent leur appréhension plus complexe et donc plus
favorable à des transferts de base imposable (chapitre 2).
Chapitre 1 :
Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique pour les groupes et les Etats.
Le choix de la localisation des actifs incorporels, qu’il s’agisse d’une première
localisation ou d’une délocalisation, constitue un enjeu important pour les groupes en matière
incorporelle. Ces derniers tendent, en effet, à élaborer une stratégie d’implantation de leurs
incorporels leur permettant de diminuer leur taux effectif d’imposition. Il s’agit, pour eux, de
localiser leurs incorporels ainsi que les activités s’y rattachant (recherche et développement,
commercialisation…) dans différents Etats en fonction des régimes fiscaux offerts par ces
derniers dans une logique d’optimisation fiscale. Il convient cependant de souligner que, bien
que non négligeable, le facteur fiscal ne constitue pas le seul critère intervenant dans le choix
de localisation des groupes de sociétés. D’autres facteurs tels que le coût de la main d’œuvre,
sa qualification, les infrastructures du pays, l’image plus ou moins nationale donnée à la
marque… sont déterminants dans ce choix.
Il n’en reste pas moins que les Etats se trouvent directement affectés par de telles
stratégies d’implantation. Les moins attractifs fiscalement courant ainsi le risque de voir ces
précieux actifs migrer vers des Etats plus séduisants fiscalement, et de subir ainsi une
diminution conséquente de leur base d’imposition et, par voie de conséquence, de leurs
ressources fiscales. Pour éviter cela, les Etats se livrent une concurrence acharnée pour attirer
ces actifs sur leur territoire par la mise en place de régimes fiscaux favorables voire très
favorables.
Au milieu de cette concurrence, la France - qui peut, à première vue, ne pas apparaitre
comme le pays le plus attrayant fiscalement – dispose en matière d’incorporels d’un régime
fiscal qui se révèle en réalité plutôt attractif (Section 2), et ce, même si elle se retrouve
confrontée à une concurrence accrue de la part des autres Etats de l’Union européenne
(Section 3), mais également des pays émergents (Section 4). Pour bien comprendre l’impact
8
de ce phénomène, il convient de rappeler, dans un premier temps, les principes régissant la
répartition du droit d’imposer les flux générés par les incorporels entre les Etats (Section 1).
Section I- Rappel des principes de répartition du droit d’imposer entre Etats en matière
d’incorporels.
Les groupes internationaux disposent de sociétés (filiales, succursales, voire holdings)
implantées dans différents Etats. Se pose, dès lors, nécessairement la question de la répartition
entre les Etats concernés du droit d’imposer les revenus générés par ces différentes sociétés, et
ce, dans un souci d’élimination des doubles impositions pouvant en résulter. Dans cette
logique, les principes généraux de répartition du droit d’imposer (§1) se trouvent fortement
impacter par le droit de l’Union européenne en la matière (§2).
1°) Les principes de répartition du droit d’imposer.
Il s’agit ici d’exposer les principes de répartition du droit d’imposer régissant le cas
des versements effectués à raison d’actifs incorporels en provenance ou à destination de la
France, principes qui diffèrent selon que l’on est en présence d’une convention fiscale
internationale (B) ou non (A).
A- En l’absence de conventions fiscales internationales :
En l’absence de convention fiscale internationale répartissant le droit d’imposer entre
Etats, les flux relatifs aux biens incorporels se trouvent uniquement régis par les droits
nationaux en cause, ce qui peut mener à des cas de double imposition. Dans le cadre de cette
étude, il ne sera exposé que le droit fiscal français, en distinguant selon que les paiements
effectués au titre des incorporels se font en provenance ou à destination de la France.
1- L’imposition des versements de source française :
Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle un résident français verse un paiement à un non-
résident à raison d’un incorporel. C’est, par exemple le cas, lorsqu’une filiale française se fait
concéder une licence d’exploitation d’un brevet par sa société mère étrangère qui en est la
propriétaire, et verse à cette dernière une redevance. Dans pareille hypothèse, l’article 182 B
du CGI prévoit l’application d’une retenue à la source de 33,33% ou de 50% en cas de
paiements à des personnes domiciliées ou établies dans un Etat ou territoire non coopératif au
sens de l’article 238 A du CGI.
Cette retenue à la source s’applique aux sommes versées en rémunération d'une
activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92
; aux produits définis à l'article 925 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur,
5 Article 92 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. 2. Ces bénéfices comprennent notamment : 1° Les produits des opérations de bourse effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d'opérations ;
2° Les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires ;
9
ceux perçus par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales au sens des articles L623-1 à
L623-35 du code de la propriété intellectuelle ainsi que tous produits tirés de la propriété
industrielle ou commerciale et de droits assimilés ; aux sommes payées en rémunération des
prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ; aux sommes, y compris les
salaires, correspondant à des prestations sportives fournies ou utilisées en France, nonobstant
les dispositions de l'article 182 A. De façon plus concrète, cet article concerne les opérations
de recherche et développement, les cessions de brevets, de savoir-faire techniques ou de
certificats d’obtentions végétales, les fournitures d’assistance technique, les transferts de
logiciels, ainsi que les cessions de licences de marques, de dessins ou modèles.
Des conditions encadrent également la qualité du débiteur et du bénéficiaire des
sommes. Pour que le versement donne lieu à la retenue de 33,33% (ou 50%), le débiteur doit,
en effet, exercer une activité en France. Quant au bénéficiaire du paiement (personne
physique ou morale), il ne doit pas avoir en France d’installation professionnelle permanente,
et il doit relever de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Cette dernière
condition, qui a pu donner lieu à des hésitations d’interprétation (en effet, il est rare qu’une
société qui n’a pas d’installation professionnelle permanente en France puisse être considérée
comme relevant de l’impôt sur les sociétés), signifie en réalité que la société bénéficiaire doit
entrer dans le champ de l’impôt français sans qu’il y ait lieu de vérifier si les sommes ont été
effectivement soumises à cet impôt6, en d’autres termes « la question n'est pas de savoir si le
bénéficiaire était imposable à l'IS en France mais bien de déterminer s'il aurait été passible
de l'IS en France s'il y avait exercé son activité (…) ; l'activité du bénéficiaire devait revêtir
un caractère lucratif susceptible de la rendre passible de l'impôt français au regard des
critères de droit interne 7.
Cette retenue à la source s’applique sur le montant brut (hors TVA) des sommes
payées, ce qui n’est pas sans poser des problèmes au regard du droit communautaire8. Par
ailleurs, la retenue pratiquée est imputable sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés
qui peut être dû par le bénéficiaire des versements.
2- L’imposition des versements de source étrangère :
On se trouve ici dans l’hypothèse inverse de celle exposée précédemment. Pour
reprendre l’exemple déjà cité, il s’agit du cas dans lequelle une société française concède une
licence d’exploitation d’un brevet à une société étrangère, et se voit, à ce titre, rémunérer par
une redevance.
3° Les produits perçus par les inventeurs au titre soit de la concession de licences d'exploitation de leurs brevets, soit de la cession ou concession de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication ;
4° Les remises allouées pour la vente de tabacs fabriqués ; 5° Les produits des opérations réalisées à titre habituel sur un marché à terme d'instruments financiers ou d'options négociables, sur des bons d'option ou sur le marché à terme de marchandises mentionné à l'article 150 octies, lorsque l'option prévue au 8° du I de l'article 35 n'était pas ouverte au contribuable ou lorsqu'il ne l'a pas exercée ; 6° Les sommes et indemnités perçues par les arbitres ou juges au titre de la mission arbitrale mentionnée à l'article L. 223-1 du code du sport; 7° Les sommes perçues par les avocats en qualité de fiduciaire d'une opération de fiducie définie à l'article 2011 du code civil. 3. Les bénéfices réalisés par les greffiers titulaires de leur charge sont imposés, suivant les règles applicables aux bénéfices
des charges et offices, d'après leur montant net déterminé sous déduction des traitements et indemnités alloués aux greffiers par l'Etat. Ces traitements et indemnités sont rangés dans la catégorie visée au V de la présente sous-section. 6 CE 30 juin 1997 n° 169179, 8e et 9e s.-s., Sté d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (APBP) ; CE 25 mai
2007 n° 288288, 8e et 3e s.-s., GIE Compagnie industrielle des polyéthylènes de Normandie. 7« L'article 182 B peut être appliqué sans retenue », Mlle J. Burguburu. 8 CJCE, 12 juin 2003, aff. C-234/01, Gerritse.
10
La redevance donnera généralement lieu à une retenue à la source dans l’Etat de son
débiteur (l’Etat de la source). On peut cependant citer à titre d’exception les Pays-Bas et la
Suisse.
Ce versement peut, par ailleurs, faire l’objet d’une imposition en France. Ainsi, si le
créancier français du versement se trouve être une entreprise individuelle, il n’est pas exclu
que la somme ainsi reçue soit imposée en France, donnant lieu à une déduction de l’impôt
payé à l’étranger sur le fondement de l’article 39-1 du CGI. De même, si le créancier est une
société soumise à l’impôt sur les sociétés, ce dernier pourra se voir imposer en France au titre
de ces produits, à moins que lesdits produits ne se rattachent à une entreprise que la société
française exploite à l’étranger au sens de l’article 209-I du CGI. Si tel n’est pas le cas, une
déduction de l’impôt étranger en France sera également possible au titre de l’article 39-1 du
CGI.
Que ce soit dans l’hypothèse d’un paiement de source française ou de source
étrangère, les sommes reçues au titre des incorporels peuvent donner lieu à des situations de
double imposition, qui se révèlent cependant rares au vue des nombreuses conventions
fiscales internationales conclues par la France (B).
B- En présence de conventions fiscales internationales :
Les conventions fiscales internationales tendent à l’élimination des doubles
impositions en prévoyant une répartition du droit d’imposer entre les Etats parties en fonction
de la nature des revenus considérés. Chaque convention fiscale peut prévoir des règles
différentes de partage du droit d’imposer. Aussi, on s’en tiendra ici à la répartition proposée
par la convention modèle OCDE qui, bien que les Etats puissent s’en écarter dans le cadre de
leurs négociations, constitue une référence.
Aux termes du principe de subsidiarité des conventions fiscales, il convient de
regarder, dans un premier temps, si le revenu en cause est imposé au niveau du droit fiscal
interne et selon quelle qualification, pour ensuite se reporter aux règles de répartition de
l’imposition prévues par la convention fiscale pour voir si cette dernière a pour effet de limiter
ou supprimer le droit d’imposer de l’Etat9. La détermination de l’Etat compétent pour imposer
le revenu en cause repose ainsi sur une étape fondamentale qui est la qualification dudit
revenu. En fonction de la qualification retenue, les règles de répartition du droit d’imposer
seront différentes.
Les incorporels donnent en règle générale lieu au paiement d’une redevance. Il faut,
dès lors, se reporter à l’article 12-2 du modèle OCDE qui définit les redevances comme « les
rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit
d'auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films
cinématographiques, d'un brevet, d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou
d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secrets et pour des informations ayant
trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique ». Dès
lors qu’un versement entre dans la qualification de redevance, celui-ci est exclusivement
imposable dans l’Etat de résidence du bénéficiaire effectif (Article 12.1), sauf si ce dernier
exerce dans l’Etat de source une activité d’entreprise par l’intermédiaire d’un établissement
stable qui y est situé et que le droit ou le bien générateur des redevances s’y rattache
effectivement (Article 12.3). Dans cette hypothèse, il faut se reporter à l’article 7 qui prévoit
9 CE 28 juin 2002, n°95-969, Schneider Electric
11
l’imposition de tels revenus dans l’Etat de l’établissement stable à savoir ici l’Etat de source
de la redevance.
Enfin, il est prévu que lorsqu’en raison de relations spéciales existant entre le débiteur
et le bénéficiaire effectif ou de relations que l’un et l’autre entretiennent avec des tierces
personnes le montant de la redevance excède celui dont seraient convenus le débiteur et le
bénéficiaire en l’absence de telles relations, les dispositions de l’article 12 ne s’appliquent
qu’au montant « normal », la partie excédentaire restant imposable dans l’Etat de chaque
contractant selon son droit national en tenant compte des dispositions de la convention
(Article 12.4) ; cette partie excédentaire étant, le plus souvent, traitée comme un revenu
distribué.
On peut donc conclure que, mis à part des cas exceptionnels, le principe reste
l’imposition exclusive des redevances par l’Etat de résidence du bénéficiaire. Cela a pour
conséquence, qu’en présence d’un versement de redevance d’un débiteur français à un
créancier étranger au sens de l’article 182 B du CGI, la retenue à la source de 33,33% est, par
l’effet de la convention, écartée. Inversement, les redevances reçues par un créancier français
d’un débiteur étranger se trouvent exclusivement imposées en France, et la retenue à la source
qui aurait pu être appliquée dans l’Etat de source est écartée.
Il s’agit là des principes posés par le modèle OCDE. Mais certaines conventions s’en
écartent pour prévoir que l’Etat de la source pourra également imposer la redevance, mais à
un taux réduit. Dans ce cas, l’imposition donne droit à un crédit d’impôt. On peut ainsi
imaginer en France que la retenue à la source de 33,33% se trouve réduite, et qu’un crédit
d’impôt soit octroyé. Ce crédit d’impôt correspond en principe à l’impôt payé à l’étranger et
ne peut excéder l’impôt français. A noter, cependant, qu’il est parfois prévu des clauses de
crédit pour impôt fictif qui constitue un crédit d’impôt forfaitaire calculé à un taux plus élevé
que le taux de la retenue à la source appliquée dans l’Etat de source. Tel est notamment le cas
de la convention conclue entre la France et le Brésil.
Il se peut, cependant, que les versements effectués au titre de biens incorporels ne
puissent être qualifiés de redevance, mais entrent dans d’autres catégories de revenus qui
appellent un traitement conforme à leur qualification. On peut citer, à titre d’exemple, le cas
des activités de recherche et développement qui sont considérées comme des prestations de
service entrant dans la catégorie des bénéfices d’entreprises (Article 7)10
. Les activités de
recherche et développement sont imposées dans l’Etat de résidence de la société effectuant
ces travaux et rémunérée à ce titre, sauf si cette société prestataire dispose de son centre de
recherche dans l’Etat de source du paiement. Ainsi, si une société française rémunère une
activité de recherche et développement effectuée par une société étrangère, cette rémunération
est en principe imposée dans l’Etat de résidence de la société prestataire ; mais si cette
dernière dispose en France de son centre de recherche, l’imposition de la rémunération se fera
directement en France au titre de l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu, il n’y aura
donc aucune retenue à la source.
Cette répartition du droit d’imposer en matière d’incorporels connait, cependant, des
spécificités au regard du droit de l’Union européenne (§2).
10 Ce genre de revenus pouvait auparavant également entré dans la catégorie des bénéfices des professions indépendantes. Mais l’article 14 du modèle OCDE relatif à ces revenus a été supprimé en 2000. Les revenus tirés de professions libérales ou
indépendantes sont désormais traités comme des bénéfices d’entreprise.
12
2°) L’impact du droit de l’Union européenne :
Le droit de l’Union européenne (ci-après UE) a, en matière fiscale, un impact
important. En effet, l’idéal de marché commun, libre de toutes restrictions et discriminations,
ne peut se concevoir qu’en neutralisant les effets néfastes que peuvent, quelques fois, avoir les
impositions mises en place par les différents Etats, notamment au regard des libertés de
circulation garanties par le Traité. Afin d’assurer le respect de ces libertés ainsi que la
neutralité au sein de l’Union, plusieurs directives ont été adoptées dont une concernant les
retenues à la source en matière de versements d’intérêts et de redevances effectués entre
entreprises associées situées dans des Etats membres différents (§1). Au-delà des directives,
les retenues à la source peuvent parfois être déclarées non conformes au droit de l’Union
européenne, ce qui peut avoir des conséquences en matière d’incorporels (§2).
A- La Directive « intérêts-redevances »:
Par une directive « intérêts-redevances » du 3 juin 2003, il a été prévu que les Etats
membres devaient exonérer de retenue à la source les versements d’intérêts et de redevances
effectués entre sociétés associées situées dans des Etats membres différents. A noter que la
Commission vient de proposer une nouvelle directive « intérêts-redevances » en vue de
procéder à un élargissement du dispositif actuel.
1- Le dispositif actuel :
La directive « intérêts-redevances », transposée en droit français aux articles 119
quater (pour les intérêts) et 182 B bis (pour les redevances), prévoit que les intérêts et
redevances versés entre sociétés associées situées dans des Etats membres de l’UE sont
exonérés de retenue à la source, et plus précisément pour les redevances, du prélèvement
prévu à l’article 182 B. Ainsi, une société française versant une redevance à une société belge
en échange de la concession d’une licence que cette dernière lui octroie est exonérée de la
retenue de 33,33% si ces deux sociétés répondent à certaines conditions. Les redevances
concernées sont définies à l’article 182 B bis qui en fournit une liste11
.
Pour pouvoir bénéficier de cette exonération, les sociétés concernées doivent être
considérées comme associées, ce qui signifie qu’elles doivent détenir l’une ou l’autre 25% du
capital de l’autre (Société mère/filiale ou filiale/société mère) ou qu’une troisième société doit
détenir 25% dans chacune d’entre elles (sociétés sœurs), cette détention devant être directe et
ininterrompue pendant au moins deux ans (détention de deux ans déjà acquise au moment de
l’exonération ou, si ce n’est pas le cas, engagement de conservation des titres pendant deux
ans). Les sociétés doivent elles-mêmes remplir certaines conditions : elles doivent revêtir
l’une des formes prévues dans l’annexe de la directive12
, avoir leur siège de direction effective
dans un Etat membre de l’UE, et être passibles de l’impôt sur les sociétés, au titre des
redevances, dans leur Etat sans pouvoir en être exonérées. La société doit, en outre, être le
bénéficiaire effectif du versement, ce versement pouvant également se faire au profit de
l’établissement stable d’une société associée, dans les mêmes conditions.
11 Article 182 B bis, 1 al 2 : « les redevances s'entendent des paiements de toute nature reçus à titre de rémunération pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique, y compris les films cinématographiques et les logiciels informatiques, d'un brevet, d'une marque de fabrique ou de commerce, d'un dessin ou d'un modèle, d'un plan, d'une formule ou d'un procédé secret, ainsi que pour des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique. Les paiements reçus pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit relatif à des équipements industriels, commerciaux ou scientifiques sont considérés comme des redevances ». 12 Pour la France, il s’agit des SA, SARL et SCA.
13
L’exonération est écartée si les redevances bénéficient à une personne morale ou à un
établissement stable d’une société qui est contrôlée directement ou indirectement par un ou
plusieurs résidents d’Etats qui ne sont pas membre de la Communauté européenne et si la
chaîne de participations a comme objet principal ou comme l’un de ses objets principaux de
tirer avantage de l’exonération de retenue à la source.
Si, du fait des relations existant entre les sociétés, le montant des redevances excède le
montant qui aurait été convenu entre des sociétés non associées, l’exonération est limitée à ce
dernier montant.
2- Vers un élargissement du champ de la directive « intérêts-redevances » par une
nouvelle directive :
Une étude établie par la Commission européenne à destination du Conseil de l’UE le
17 avril 2009, présentant un bilan de la mise en œuvre de la directive par les Etats, avait mis
en exergue le fait que le droit français pouvait sur certains aspects apparaitre contraire au droit
de l’Union européenne : Ainsi, notamment de la condition posée par le droit français selon
laquelle la société doit être soumise à l’impôt sur les sociétés dans son Etat à raison des
redevances, alors que la directive se contente d’exiger que la société soit soumise de façon
générale à cet impôt 13
. Dans un souci de renforcer la lutte contre les doubles impositions, la
Commission a fait une proposition de directive (dont la transposition est prévue pour le 1er
janvier 2013) qui vise à élargir le champ d’application de l’actuelle directive « intérêts-
redevances » : Directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011. Plusieurs propositions sont
faites14
.
Il est, ainsi, prévu d’abaisser le niveau de détention de 25% à 10%. Par ailleurs, le
bénéfice de l’exonération sera étendu à l’ensemble des sociétés assujetties à l’impôt sur les
sociétés. La liste des formes sociales devant revêtir les sociétés concernées sera élargie. La
société bénéficiaire des revenus devra être effectivement soumise à l’impôt sur les intérêts et
redevances reçus. Enfin, alors qu’à l’heure actuelle, les paiements d’intérêts ou de redevances
faits par un établissement stable doivent constitués une charge fiscalement déductible de son
résultat imposable, le paiement devra dorénavant représenter une simple charge supportée aux
fins des activités de l’établissement stable.
Le droit de l’UE, par le biais de la directive « intérêts-redevances » impacte donc
l’imposition des revenus liés aux incorporels, impact que l’on retrouve de façon plus générale
lorsque les retenues à la source elles-mêmes sont considérées comme contraires à ce droit (B).
B- Le cas des retenues à la source pouvant être déclarées non conformes au droit de
l’Union européenne :
Dans certains cas, les retenues à la source instituées par les Etats membres peuvent
être déclarées non conformes au droit de l’UE. Les principes dégagés par la Cour de justice de
l’Union européenne (ci-après CJUE) en la matière posent pour ce qui est de la fiscalité des
incorporels la question de la conformité de l’article 182 B au droit de l’UE.
13 Droit fiscal des affaires, Daniel Gutmann, p. 445 ; « La retenue à la source sur les paiements d'intérêts et de redevances entre sociétés associées : le droit français dans le collimateur de la Commission européenne », Daniel Gutmann, Option Finance 18 mai 2009. 14 « La double imposition au sein du marché unique : bilan et perspectives », Daniel Gutmann et Jean-Yves Mercier, Option
Finance, 30 janvier 2012.
14
La CJUE ne condamne pas, dans leur principe, toutes les retenues à la source15
, mais
seulement celles qui ont pour effet d’instituer une discrimination entre les résidents et les non-
résidents et qui méconnaissent donc, de ce fait, les libertés reconnues par le Traité. Cette
atteinte au droit de l’UE peut se manifester dans la retenue à la source elle-même, mais
également dans ses modalités de calcul et dans son taux.
Certaines retenues à la source peuvent par la différence de traitement qu’elles
instituent entre les résidents et les non-résidents porter atteinte aux différentes libertés
garanties par le Traité. Cette atteinte dépend du droit interne, du droit conventionnel mais
également du droit de l’autre Etat en cause. En effet, il appartient à l’Etat de la source (dans
notre cas l’Etat français) de s’assurer, lorsqu’il prélève une retenue à la source, que cette
dernière ouvrira droit à un crédit d’impôt prévu par une convention fiscale, et de surcroît, que
ce crédit pourra effectivement s’imputer dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Si tel n’est
pas le cas, la retenue sera jugée comme contraire au droit de l’UE16
. Etant précisé que l’Etat
de la source doit de son propre fait veiller à cela, et que cette obligation ne tombe pas lorsque
c’est le droit interne de l’Etat du bénéficiaire qui ouvre unilatéralement droit à un crédit
d’impôt17
.
Les retenues à la source peuvent également s’avérer contraires au droit communautaire
en raison de leurs modalités de calcul et de leur taux. Un Etat prélevant une retenue à la
source doit traiter de la même façon un résident et un non-résident qui se trouvent dans la
même situation, et ce notamment au regard de l’assiette. Ainsi, un Etat autorisant ses résidents
à déduire leurs frais, doit, lorsque les non-résidents se trouvent dans une situation comparable
à la leur, appliquer la retenue à la source sur le revenu net et non brut18
. La CJCE condamne
également le fait pour la législation d’un Etat d’appliquer une retenue à la source aux non-
résidents dont le taux serait supérieur à celui qui est appliqué aux résidents à raison des
mêmes revenus19
.
Tous ces principes posent directement la question de la compatibilité du prélèvement
de 33,33% (ou 50%) instituée par l’article 182 B du CGI au droit de l’UE. Dès lors que ce
dernier s’applique sur le montant brut du revenu, que son taux peut s’avérer dans certaines
hypothèses supérieur à celui appliqué pour les mêmes revenus aux résidents (qui peuvent
bénéficier d’un taux réduit) et que la restitution de l’excédent de ce prélèvement n’est pas
possible, il n’est pas exclu que celui-ci fasse l’objet d’une condamnation par la CJUE20
.
C’est au regard de tous ces principes d’imposition que se comprend la concurrence
fiscale que se mènent les Etats pour les attirer, parmi lesquels le système fiscal français
(Section 2).
Section II- Le système fiscal français des incorporels: Un système plutôt attractif.
Le système fiscal français des incorporels présente de nombreux avantages pour les
entreprises, tels que le crédit d’impôt recherche (§1), la possibilité d’amortir certains
incorporels (§2), ainsi que l’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de
l’exploitation de la propriété industrielle (§3). Autant de dispositifs qui font de la France un
15 CJCE 22 décembre 2008, truck Center SA 16 CJCE 14 décembre 2006, Denkavit 17 CJCE 8 novembre 2007, Amurta 18 CJCE 12 juin 2003, Gerritse ; CJCE 3 octobre 2006, Scorpio 19 CJCE 12 juin 2003, Gerritse ; CJCE 11 octobre 2007, Hollmann 20 Pour une étude plus approfondie : « Jusqu’à quand les articles 182 A et 182 B du CGI resteront-ils encore indemnes de
l’épreuve du droit communautaire ? », Stéphane Austry, FR 39/08.
15
pays plutôt attractif. Il ne s’agira pas ici d’exposer dans le détail chacun de ces dispositifs,
mais seulement d’en donner un aperçu d’ensemble mettant en exergue l’attractivité du régime
français.
1°) Le crédit d’impôt recherche, comme élément d’attraction des centres de
recherche et développement en France.
Le crédit d’impôt recherche permet à certaines entreprises de déduire de leur résultat
imposable diverses dépenses affectées à la recherche. Un tel crédit constitue un élément
d’attraction des centres de recherche et développement sur le territoire français, comme
l’illustre son champ d’application (A) et son fonctionnement (B).
A- Champ d’application :
Prévu à l’article 244 quater B, le crédit d’impôt recherche bénéficie à des entreprises et
des dépenses précises.
Concernant tout d’abord les entreprises bénéficiaires, il s’agit des entreprises
industrielles, commerciales, artisanales ou agricoles soumises à un régime réel, mais
également des sociétés commerciales qui exercent une activité non commerciale21
. Des
entreprises exonérées d’impôt sur leurs bénéfices peuvent également en bénéficier : les jeunes
entreprises innovantes (Article 44 sexies-0-A), les entreprises nouvelles (Article 44 sexies),
les entreprises constituées pour la reprise d’une entreprise en difficulté (Article 44 septies), les
entreprises implantées dans une zone de recherche et développement d’un pôle de
compétitivité (Article 44 undecies)… Pour pouvoir bénéficier du crédit d’impôt, toutes ces
entreprises doivent avoir effectué des dépenses de recherche.
Les dépenses éligibles à ce dispositif sont celles ayant été effectuées à raison de la
réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique : recherche fondamentale,
recherche appliquée ou opérations de développement expérimental. Ces dépenses se limitent à
un certain nombre de cas limitativement énumérés par la loi. Sans tous les exposer ici, on peut
citer, à titre d’exemple, les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou
acquises à l’état neuf et affectées à des opérations de recherche scientifique et technique, les
dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et
exclusivement affectés à ces opérations, les dépenses de fonctionnement fixées
forfaitairement à 50% des dépenses de personnel exigible, les frais de défense des brevets, les
dotations aux amortissements des brevets, les frais de dépôt des dessins et modèles… Les
dépenses éligibles doivent correspondre à des opérations de recherche localisées au sein de
l’UE ou dans un Etat partie à l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une
convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative. Lorsque le groupe sous-
traite une partie de ses opérations de recherche à des centres de recherche, le donneur d’ordre
français bénéficie du crédit d’impôt recherche non seulement pour les dépenses de recherche
qu’il réalise lui-même mais également pour celles qu’il sous-traite, et ce, peu important que le
sous-traitant se situe en France ou à l’étranger, mais cette déduction est limitée à trois fois le
montant total des autres dépenses de recherche et développement ouvrant droit
au crédit d’impôt. Toutes ces dépenses ouvrent alors droit à un crédit d’impôt dont il convient
d’exposer brièvement le fonctionnement (B).
21 CE 7 juillet 2006 n°270899
16
B- Fonctionnement:
Les dépenses éligibles ouvrent droit à un crédit d’impôt de 30% de la fraction des
dépenses effectuées au cours de l’année si ces dernières n’excèdent pas cent millions d’euros.
Le taux est alors de 5% pour la partie excédentaire. Ce taux de 30% est ramené à 40% et 35%
au titre de la première puis de la deuxième année lorsque l’entreprise n’a pas bénéficié du
crédit d’impôt recherche au cours des cinq années précédentes et que cette entreprise n’a pas
de lien au sens de l’article 39,12 du CGI avec une entreprise ayant bénéficié d’un crédit
d’impôt recherche pendant ces cinq années.
Le crédit d’impôt recherche s’impute sur l’impôt (IR ou IS) dont la société est
redevable au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche ont été exposées.
Le crédit excédentaire constitue alors une créance sur l’Etat dont la société peut demander le
remboursement. Les PME au sens communautaire ont droit au remboursement anticipé.
Ce crédit d’impôt peu donc s’avérer très intéressant pour les sociétés, qui peuvent
avoir intérêt à implanter leur centre de recherche et développement en France, et même
parfois l’incorporel lui-même du fait des autres avantages qui y sont directement liés, tels que
la possibilité d’amortir (§2).
2°) La possibilité d’amortir certains incorporels : Une possibilité décevante ?
Le droit fiscal français reconnait la possibilité d’amortir des incorporels, ce qui peut
être intéressant pour les entreprises (A) Or, cette possibilité s’avère, pour certains incorporels
assez marginale, rendant alors ce régime moins attractif (B).
A- Une possibilité d’amortir…
L’amortissement des actifs incorporels est admis, mais seulement à la condition qu’il
soit normalement prévisible, dès la création ou l’acquisition de l’incorporel, que les effets
bénéfiques de celui-ci sur l’exploitation prendront fin à une date déterminée22
.
Une telle possibilité est dès lors ouverte aux brevets23
qui ont, par définition, une durée
de vie limitée (la durée de leur protection étant limitée) et dont on peut, de façon certaine,
anticiper la fin de leurs effets bénéfiques. La jurisprudence, toujours selon le même
raisonnement, a également reconnu l’amortissement d’un logiciel24
, de procédés industriels,
de savoir-faire, de modèles et dessins25
, et d’une autorisation de mise sur le marché d’un
médicament26
.
Cependant, cette condition de prévisibilité de la fin des effets bénéfiques peut poser
problème dans le cas d’incorporels particuliers et donc restreindre la possibilité des
entreprises d’amortir leurs incorporels (B).
B- … qui ne bénéficie pas à tous les incorporels :
Face à certains types d’incorporels, le critère dégagé par la jurisprudence pour
autoriser l’amortissement n’est pas toujours très pertinent. On citera ici l’exemple des
22 CE 3 février 1989, n°58260 23 CE 24 avril 1981 n° 9665 24 CE 6 décembre 1985, min. c/ Sofilec 25 CE 10 octobre 1960 n° 45183 26 CE 14 octobre 2005, n°260511
17
marques. En effet, les marques revêtent une importance considérable dans le patrimoine des
entreprises. Il n’est ainsi pas rare qu’un vêtement ou un accessoire doive toute sa valeur à la
marque qu’il porte plutôt qu’à sa fabrication, sa qualité… Dès lors, il est intéressant pour les
entreprises propriétaires de marques de pouvoir les amortir.
Par un arrêt du 28 décembre 200727
, le Conseil d’Etat a explicitement admis la
possibilité d’amortissement d’une marque à la condition qu’il soit possible de déterminer la
durée prévisible durant laquelle cette marque produira des effets bénéfiques pour
l’exploitation. Il reprend ici le critère développé dans les précédentes jurisprudences. Or, un
tel critère de prévisibilité des effets bénéfiques est ici d’une application délicate. La marque,
dont l’existence est subordonnée à son simple renouvellement périodique par son propriétaire,
a par définition une durée illimitée, et donc est susceptible de produire des effets bénéfiques
pendant une période qui ne peut être déterminée avec prévisibilité. On constate donc que,
même si cette possibilité est admise, elle reste en réalité très marginale. On peut imaginer que
l’amortissement soit reconnu dans le cas de biens dont la durée de vie est en elle-même
réduite du fait de fortes évolutions, et ce, notamment dans le domaine des technologies : les
voitures, les lecteurs mp3… Dans ces hypothèses, l’amortissement semble possible. Il s’agira
donc, face à chaque incorporel, de déterminer selon les faits d’espèce si la durée de ses effets
bénéfiques peut être déterminée.
Au-delà de cette possibilité d’amortir, d’autres avantages existent, tels que le bénéfice
d’un taux réduit (§3).
3°) L’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de l’exploitation de la
propriété industrielle (article 39 terdecies du CGI) :
Certains revenus dérivés de l’exploitation de droits de propriété industrielle
bénéficient du taux réduit des plus-values à long terme soit un taux de 15% (impôt sur les
sociétés) ou de 16% (impôt sur le revenu)
Il s’agit des plus-values de cession et des produits de concession de licences d’exploitation
(exclusives ou non) portant sur des brevets, des inventions brevetables, des perfectionnements
apportés à ces droits mais aussi sur les procédés de fabrication industriels qui en constituent
un accessoire indispensable.
Ce taux concerne également les produits de sous-concession portant sur les droits
précédemment cités, mais à la double condition que la société concédante n’en ait pas déjà
bénéficié, et que la sous-concédante prouve que l’opération est réelle et qu’elle est créatrice
d’une valeur ajoutée sur l’ensemble de la période d’exploitation de la licence concédée.
Pour les cessions de droits de propriété industrielle, le taux réduit ne s’applique, en revanche
pas, s’il existe entre les sociétés cédantes et cessionnaires des liens de dépendance.
Ce régime s’applique également aux cessions ou concessions de marques de fabrique, de
savoir-faire, de secrets de fabrique, et de certificats d’obtention végétale.
Malgré son caractère relativement attractif en matière d’incorporels, le système fiscal
français doit faire face à une concurrence redoutable de la part des autres Etats membres de
l’UE qui peut lui être dommageable (Section 3).
27 CE, 9e et 10e s.-s., 28 décembre 2007, min c/ SA Domaine Clarence Dillon
18
Section III- Une concurrence accrue au sein même des Etats de l’Union européenne.
Au sein de l’Union européenne, les Etats membres se livrent une concurrence subtile
mais acharnée pour attirer sur leur territoire les biens incorporels et le potentiel de profit qui
s’y attache, de sorte que l’on peut, dans certain cas, parler de véritable dumping fiscal
européen (§1), dumping dont la survivance peut s’avérer menacée par le projet actuel
d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés ou ACCIS (§2).
1°) L’existence d’un dumping fiscal européen.
Il s’agira ici d’exposer quelques aspects de certains régimes fiscaux d’Etats membres
de l’Union européenne, la Belgique (A), le Luxembourg (B) et les Pays-Bas (C), afin
d’illustrer la concurrence que se livrent les Etats membres dans l’attraction des incorporels sur
leur territoire.
A- Le cas de la Belgique :
Deux aspects du régime fiscal belge en matière d’actifs incorporels méritent d’être
présentés ici.
Tout d’abord, la loi-programme du 27 avril 2007 prévoit une déduction de 80% des
revenus perçus au titre des cessions, des concessions et des sous-concessions de brevets. Cette
déduction s’applique aussi bien aux brevets développés en interne par la société qu’aux
brevets acquis par elle. Cette déduction est donc accordée aux sociétés qui reçoivent des
revenus de licence, ainsi qu’aux sociétés utilisant le brevet pour une activité de fabrication.
Dans ce dernier cas, la déduction de 80% porte sur la redevance que la société aurait facturée
si elle avait donné son brevet en licence à un tiers. Mais cette déduction ne concerne pas les
marques, les droits d’auteur ainsi que le savoir-faire.
En outre, bien que n’étant pas réservé aux incorporels, la Belgique dispose d’un
dispositif de déduction d’un intérêt notionnel, qui permet aux sociétés de déduire un intérêt
fictif. Le taux de cet intérêt est annuellement fixé. Ce dispositif peut se combiner avec celui
de la déduction de 80%, ce qui rend le système belge particulièrement attrayant.
A noter, par ailleurs, que la Belgique connait également un mécanisme de crédit
d’impôt recherche, qui prévoit notamment un régime fiscal et social allégé pour les
chercheurs.
B- Le cas du Luxembourg :
Le régime fiscal des incorporels luxembourgeois s’avère également très compétitif.
Une loi du 21 décembre 2007 a introduit une exonération de 80% des revenus nets et
des plus-values issus de brevets, de dessins et modèles, de marques et de logiciels qui ont été
acquis ou développés à compter du 31 décembre 2007. Cependant, cette exonération ne
s’applique pas à raison des incorporels acquis auprès d’une société liée, étant précisé que la
qualité de sociétés liées concerne les sociétés mères et filiales mais aussi les sociétés sœurs et
suppose une participation de 10%. Dans le cadre de ce dispositif, une déduction notionnelle
est autorisée au profit des contribuables qui développent eux-mêmes les brevets qu’ils
utilisent dans leur processus de production, cette déduction étant égale à 80% de la
rémunération nette que la société aurait facturée si elle avait concédé l’usage du brevet à un
tiers.
19
C- Le cas des Pays-Bas :
Les Pays-Bas ont mis en place un système dit de patent box mais également
d’innovation box. Ce dispositif consiste en l’imposition à un taux effectif d’imposition réduit
de 5% sur les revenus tirés de la concession ou de la cession de brevets, ainsi que des actifs
pour lesquels un certificat de recherche et développement a été accordé par l’administration
fiscale néerlandaise, et qui sont développés en interne. Pour pouvoir bénéficier de ce taux
réduit, il faut, par ailleurs, que ces actifs génèrent plus de 30% des revenus totaux attribuables
aux actifs incorporels relevant du régime. Enfin, ce régime ne s’applique pas aux marques,
aux logos et droits similaires, sauf si l’acquéreur leur apporte des développements
complémentaires.
A noter que les Pays-Bas disposent également d’un dispositif d’amortissement pour la
création et l’acquisition d’incorporels.
Au vue de ces exemples, on note qu’il existe bien au sein de l’UE une forte
concurrence en matière d’incorporels, mais se pose la question de savoir si cette dernière ne
va pas être anéantie par le projet ACCIS (§2).
2°) Le projet ACCIS : Vers la fin du dumping fiscal européen ?
La Commission a fait, le 16 mars 2011, une proposition de directive sur la mise en
place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). L’ACCIS
peut apparaitre comme un moyen de lutter contre le dumping fiscal existant au sein de
l’Union européenne (A). On peut toutefois se demander si tel sera le cas en matière
d’incorporels (B).
A- L’ACCIS, comme moyen de lutte contre le dumping fiscal en Europe :
Il est prévu que l’ACCIS s’appliquera aux sociétés résidentes d’un Etat membre de
l’UE, ainsi qu’aux établissements stables européens de sociétés non résidentes d’un Etat
membre. Pour être éligible, des conditions de participation sont fixées. Ainsi la société mère
devra détenir plus de 50% des droits de vote, et plus de 75% du capital de la société ou plus
de 75% des droits sur le bénéfice.
En ce qui concerne la détermination du résultat imposable, il s’agira de calculer, dans
un premier temps, le résultat individuel de chaque société conformément aux règles de
détermination prévues par la directive, puis de consolider ces résultats au niveau de la société
mère, ce qui aurait pour conséquence de neutraliser tous les flux intragroupe. Une fois
l’assiette consolidée calculée, il faudra procéder à sa répartition entre les divers Etats
concernés. Pour cela, une clé d’allocation a été prévue. Celle-ci s’appuie sur trois facteurs : la
main d’œuvre (masse salariale et effectif), les immobilisations corporelles et le chiffre
d’affaires. Cette clé pouvant être dans certains cas exclue par une clause de sauvegarde, ainsi
notamment si la quote-part attribuée à un membre du groupe ne reflète pas fidèlement son
volume d’activité. Enfin, chaque Etat appliquera son taux d’impôt sur les sociétés à la quote-
part d’assiette lui ayant été attribuée. L’ACCIS ne constitue, en effet, pas une harmonisation
des taux, même si l’on peut considérer qu’elle favorise une potentielle harmonisation dans le
futur.
Cette harmonisation de l’assiette aura pour effet de mettre en place une concurrence
fiscale loyale entre les Etats. En, effet, l’assiette étant désormais commune, la seule
concurrence qui restera possible sera celle fondée sur les taux d’impôt sur les sociétés.
20
L’ACCIS conduira à rendre visible une telle concurrence, alors qu’à l’heure actuelle elle ne
l’est pas toujours. On peut donc voir l’ACCIS un moyen de mettre fin au dumping fiscal
existant actuellement en Europe. Il convient néanmoins de souligner que la proposition de
directive prévoit que ce régime sera optionnel. Aussi, on peut penser que, pour les sociétés
n’ayant pas opté, la concurrence pourra encore avoir de beaux jours devant elle. Cependant, le
19 avril 2012, le Parlement européen a adopté une résolution se prononçant en faveur du
caractère obligatoire de l’ACCIS pour les sociétés, excepté pour les PME.
On peut incontestablement dire que l’ACCIS représente un dispositif de lutte contre le
dumping fiscal. Mais qu’en est-il exactement en matière d’incorporels ? (B).
B- ACCIS et incorporels : La fin du dumping ?
Il semble que les Etats ayant mis en place des régimes fiscaux privilégiés pour les
incorporels soient les grands perdants de cette réforme. En effet, les incorporels n’entrent pas
dans la clé de répartition de l’assiette consolidée. Aussi, les Etats où sont localisés, plus ou
moins artificiellement, des incorporels du seul fait de la fiscalité avantageuse qui leur est
proposée, ne se verraient pas attribuer une part importante de l’assiette (s’ils ne disposent pas
par ailleurs de nombreux actifs corporels, salariés et d’un chiffre d’affaires important). Cela
aurait pour conséquence de les rendre beaucoup moins attractifs.
Cependant, là encore la prudence s’impose tant que le caractère optionnel ou
obligatoire de l’ACCIS ne sera pas tranché. En effet, s’il est finalement décidé que l’ACCIS
sera optionnel, les groupes devront arbitrer leur choix et déterminer s’il est plus avantageux
pour eux de se placer sous ce régime ou pas. Lorsqu’ils seront détenteurs de nombreux
incorporels, l’ACCIS ne leur sera pas forcément bénéfique. On peut, par conséquent, très bien
imaginer que les Etats continueront à proposer des régimes fiscaux très attractifs aux sociétés
à raison de leurs incorporels, lesquelles n’auraient qu’à ne pas opter pour l’ACCIS pour
continuer, comme aujourd’hui, à en bénéficier. Dans ce cas, le dumping fiscal en matière
d’incorporels resterait de mise. En revanche, s’il est acquis que l’ACCIS est obligatoire, cette
dernière constituera un dispositif permettant de mettre un terme à la concurrence fiscale
portant sur les incorporels.
La concurrence en matière d’incorporels ne semble donc pas tout à fait éliminée par le
projet ACCIS, et ce, d’autant plus que les Etats de l’UE, même les plus attractifs fiscalement,
doivent à leur tour faire face à la concurrence des Etats tiers notamment des pays émergents
(Section 4).
Section IV- Une concurrence renforcée au niveau international par le développement
des pays émergents.
Si traditionnellement les Etats se mènent, au niveau international, une concurrence
importante pour attirer les incorporels et les revenus qu’ils génèrent sur leur territoire. Cette
concurrence se trouve depuis quelques années fortement accrue du fait du développement des
pays émergents qui, à leur tour, souhaitent attirer ces actifs. Pour se rendre compte de
l’importance de ce phénomène, nous décrirons ici brièvement certains aspects du régime
fiscal de deux de ces Etats : l’Inde (§1) et la Chine (§2).
21
1°) L’exemple de l’Inde.
L’Inde connait, depuis une dizaine d’années environ, un important développement, et
accueille de plus en plus de centres de recherche et développement de grands groupes
internationaux. Outre sa situation géographique, sa main-d’œuvre qualifiée, et ses moindres
coûts, l’attractivité de l’Inde en matière d’incorporels s’explique par certains dispositifs
fiscaux qui y sont mis en œuvre, et dont on en citera deux : la mise en place de fortes
exonérations (§1), accompagnées de déductions très favorables (12).
A- La mise en place d’exonérations d’impôts très attractives :
Il convient, tout d’abord, de signaler que l’Inde octroie une exonération d’impôt sur
les sociétés sur quinze ans très intéressante. Il y a, dans un premier temps, une exonération de
100% pendant cinq ans. Puis elle se réduit à 50% pour les dix années suivantes. De telles
exonérations sont donc très favorables à l’implantation de sociétés dans ce pays, puisqu’elles
permettent de contrebalancer le fait que, dans les premières années, les investissements sont
plus importants et le retour sur investissement moindre. Ces exonérations facilitent
l’implantation des sociétés.
Il existe également des exonérations de taxes indirectes sur l’export de services,
notamment sur l’export de prestations de recherche et développement, pour des entités qui se
situent dans des « Special Economic Zones » (SEZ), lesquelles constituent des zones
exonérées d’impôts. Si une entreprise nouvelle étrangère s’installe donc dans cette zone, elle
pourra, en plus de l’exonération d’impôt sur les sociétés, bénéficier de l’exonération de
l’export de ses prestations et notamment de recherche et développement. Ainsi, un centre de
recherche et développement qui agit pour le compte d’un donneur d’ordre étranger en
bénéficiera, ce qui incite à l’implantation de tels centres en Inde.
Mais les avantages offerts par l’Inde comprennent en plus de ces exonérations des
déductions fiscales (B).
B- Un système de déductions fiscales défiant toute concurrence :
Le système fiscal indien prévoit que les sociétés opérationnelles peuvent déduire
200% des dépenses qu’elles ont engagées pour certains équipements destinés à la recherche et
développement. Pour cela, le secteur doit être éligible à cette super déduction. C’est le cas
notamment de l’industrie pharmaceutique, des biotechnologies, des équipements
électroniques et des télécommunications…
Depuis le 1er avril 2012, plusieurs autres déductions fiscales viennent s’ajouter. On
peut, ainsi, citer une déduction de 200% sur les dépenses engagées en matière de création et
de maintenance d’équipements internes de recherche et développement.
Ces déductions montrent bien la préoccupation du gouvernement indien d’offrir un
système fiscal très avantageux en matière de recherche et développement pour se positionner
comme un haut lieu de la recherche et du développement. D’autres pays émergents aspirent
également à cela : C’est le cas de la Chine (§2).
2°) L’exemple de la Chine.
Depuis 2000 environ, la recherche connait un très fort développement en Chine. Cela
s’explique notamment par la mise en place d’une importante politique publique qui met
22
l’innovation et les nouvelles technologies au centre de la croissance économique chinoise, et
qui met l’accent sur le développement de la recherche non seulement financièrement mais
également humainement.
A cette politique publique, s’ajoutent un certain nombre de régimes fiscalement
incitatifs au développement de la recherche dont, notamment, une très forte déduction des
dépenses de recherche et développement (A) ainsi que la mise en place d’un taux réduit
d’imposition (B).
A- La mise en place d’une super-déduction des dépenses de R&D :
La Chine a mis en place une super-déduction de 150% des dépenses de recherche et
développement (R&D). Ainsi, une société chinoise ou même une société étrangère disposant
d’une filiale en Chine peut, sous certaines conditions, déduire 150% des dépenses de
recherche et développement qu’elle supporte en Chine. Cette super-déduction, alliée à une
politique publique propice ainsi qu’à une main d’œuvre avantageuse, constituent autant de
facteurs de nature à inciter les entreprises étrangères à développer leur recherche en Chine. On
peut, d’ailleurs, signaler que la Chine est très active dans ce domaine, puisqu’elle est le
troisième déposant de brevets au niveau mondial. Cette déduction se combine avec un taux
réduit d’imposition (B).
B- Un taux réduit d’imposition, en faveur d’une localisation de la propriété intellectuelle
en Chine :
Alors que le taux de droit commun est de 25%, la Chine a prévu, en matière d’impôt
sur les sociétés, un taux réduit de 15% réservé aux entreprises de nouvelle et haute
technologie. Le bénéfice de ce taux suppose la réunion de conditions plutôt rigoureuses : la
détention en Chine des brevets et de la propriété intellectuelle liée à la recherche, ou l’octroi
d’une licence mondiale et exclusive de la propriété détenue en dehors de Chine à une filiale
chinoise, et ce, pendant cinq ans… Si les conditions sont remplies, le bénéfice du taux réduit
est octroyé pour trois ans renouvelables sur demande. Ainsi, pour pouvoir bénéficier de ce
taux, une société étrangère ou la filiale en Chine d’une société étrangère doit localiser en
Chine les brevets issus de son activité de recherche qui y est effectuée. On comprend bien ici
la logique sous-jacente de cette mesure qui est d’inciter la localisation des incorporels en
Chine et donc les revenus qu’ils génèrent, et non pas seulement les fonctions de recherche et
développement.
Au vue de tous ces exemples, il apparait clairement que les actifs incorporels
constituent un enjeu important pour les groupes de sociétés et les administrations fiscales.
Mais si cette concurrence peut s’avérer propice à l’Etat le plus attractif, cela se fait au
détriment de ceux qui le sont moins, qui voient alors leur base taxable s’amoindrir, et qui, face
à la complexité des incorporels et de leurs structures d’exploitation, ne sont pas toujours en
mesure d’appréhender tous les éventuels transferts d’incorporels venant y préjudicier
(Chapitre 2).
23
Chapitre 2 :
L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de risque pour la répartition du droit d’imposer.
Les incorporels, plus encore que les actifs corporels, constituent des facteurs de risque
pour la répartition du droit d’imposer entre les Etats. Actifs au fort potentiel de migration, leur
caractère protéiforme et incertain (Section 1), allié à la complexification croissante de leurs
modes de création et d’exploitation, s’avèrent parfois propices aux transferts de matière
imposable (Section 2), les Etats n’étant pas toujours en mesure d’identifier l’existence d’un
transfert d’incorporel donnant lieu à un déplacement illégitime de base taxable.
Section I- Les incorporels : Une notion protéiforme aux contours aléatoires.
Les biens incorporels présentent des formes très distinctes les unes des autres : Cette
notion regroupe, en effet, une multitude de notions très différentes (§1). Cette multiplicité
rend, de ce fait, la notion générique d’incorporels difficilement saisissable et tend, avec la
pratique, à un élargissement de ce concept (§2).
1°) Une notion protéiforme :
Les incorporels ne constituent pas une catégorie homogène, mais une multitude de
biens aux caractéristiques très différentes qui tendent à se multiplier (B), ce phénomène étant
favorisé par l’absence d’une définition claire, précise et unique de ce qu’est un incorporel (A).
A- Absence d’une définition claire et unique:
Il n’existe pas de définition claire et unique de ce que constitue un incorporel, étant
précisé qu’une telle définition ne semble ni souhaitable ni même envisageable.
1- Absence d’une définition unique :
Le concept de biens incorporels ne fait pas, à l’heure actuelle, l’objet d’une définition
unique et unanimement admise. Ce concept se trouve, en effet, différemment appréhendé par
les différents domaines qui traitent de cette notion (propriété intellectuelle, comptabilité, prix
de transfert…) mais également par les Etats qui n’en retiennent pas toujours la même vision.
Au titre des définitions existantes, on peut citer celle donnée, en matière comptable,
par l’article 211-1-3 du Plan comptable général, selon laquelle « une immobilisation
incorporelle est un actif non monétaire sans substance physique ».
Le droit de la propriété intellectuel semble, quant à lui, ne pas définir les incorporels
en général, mais procéder à différentes classifications, dont la plus générale est celle
distinguant entre la propriété industrielle (brevets, marques, savoir-faire technique…) et la
propriété littéraire et artistique (droits d’auteur…), et prévoir pour chacune un régime
particulier.
La fiscalité ne donne pas non plus de définition des incorporels. Elle se base pour cela
sur la comptabilité (conformément à l’article 38 quater de l’Annexe III du CGI). Toujours en
matière fiscale, mais de façon plus précise encore, on peut citer le cas des principes directeurs
édictés par l’OCDE en matière de prix de transfert, lesquels consacrent un chapitre aux biens
24
incorporels (chapitre 6), où là encore aucune définition n’est posée, mais simplement une liste
énumérative et non limitative aux termes de laquelle constituent des biens incorporels les
droits d’utilisation d’actifs industriels tels que les brevets, les marques de fabriques, les noms
commerciaux, les dessins et modèles, mais également la propriété littéraire et artistique, ainsi
que la propriété intellectuelle telle que le savoir-faire ou les secrets industriels ou
commerciaux.
Bien que quelques points communs puissent émerger de ces différentes définitions,
comme le fait qu’un incorporel constitue en général un bien non tangible et qu’il est source de
profits, cela ne suffit pas à établir une définition unique, définition qui n’est d’ailleurs ni
souhaitable ni envisageable.
2- Une définition unique non souhaitable et non envisageable :
On pourrait penser qu’une définition unique de la notion d’incorporels constituerait un
cadre intéressant et nécessaire. D’une part, pour les Etats qui, de ce fait, se trouveraient en
possession d’un instrument leur permettant d’identifier de façon précise les incorporels et leur
éventuel transfert, et qui faciliterait également les redressements internationaux en matière de
prix de transfert en permettant d’éviter les divergences entre les administrations fiscales des
différents Etats sur la notion d’incorporel. D’autre part, du point de vue des entreprises, cela
leur offrirait une plus grande sécurité juridique dans la mesure où leurs incorporels étant
précisément définis, les redressements fondés sur un incorporel non identifié ne seraient plus
possibles. Cependant, une telle définition n’est, en réalité, pas envisageable. En effet, les
incorporels se constituent d’une multitude de biens présentant des caractéristiques
particulières très fortes rendant, de ce fait, une définition globale impossible. En effet,
comment formuler une définition unique s’appliquant aux brevets, aux marques, aux logiciels,
aux savoir-faire, aux secrets industriels… ?
En outre, il ne serait pas non plus pertinent de procéder à une définition par le biais
d’une liste limitative des incorporels. Comme le souligne Caroline Silberztein, dans le cadre
du projet OCDE en matière de prix de transfert et d’incorporels, une telle liste ne serait « ni
souhaitable ni réaliste »28
. Elle aboutirait, en effet, à exclure du contrôle exercé par les
administrations un certain nombre d’incorporels dont l’existence et l’importance n’est pas
discutable, et donc à favoriser des schémas fiscalement très optimisants. Il semble donc que la
seule solution souhaitable pour appréhender de manière efficace les incorporels soit, toujours
selon Caroline Silberztein, de « dégager des principes généraux qui permettent
l’identification d’incorporels de valeur, et au-delà de celle-ci qui permettent de répondre à la
question de savoir si ces incorporels sont utilisés ou transférés, s’ils seraient rémunérés entre
parties indépendantes, et dans ce cas comment »29
. Une telle solution semble, en effet, la plus
adéquate face à la multiplication des incorporels (B).
B- Une multiplication des incorporels:
Les incorporels constituent une catégorie protéiforme qui ne cesse de s’agrandir, et
qui, en vue de mieux la cerner, donne lieu à plusieurs typologies dont une particulière
consistant à opposer incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers.
28 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 29 Ibid
25
1- La distinction entre incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers :
Une distinction est traditionnellement faite entre les incorporels de commercialisation
et les incorporels manufacturiers (ou biens incorporels commerciaux). Présente au chapitre 6
des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert concernant les
incorporels, cette distinction est souvent reprise par les auteurs.
Les incorporels manufacturiers (ou biens incorporels commerciaux) « comprennent les
brevets, le savoir-faire, les dessins et modèles qui sont utilisés pour la production d’une
marchandise ou pour une prestation de services, ainsi que les biens incorporels qui
constituent eux-mêmes des actifs d’une entreprise transférés à des clients ou utilisés dans
l’exploitation de l’entreprise (par exemple les logiciels informatiques) »30
. Les incorporels de
commercialisation comprennent, quant à eux, « les marques de fabrique ou de commerce et
les noms commerciaux qui concourent à l’exploitation commerciale d’un produit ou d’un
service, la clientèle, les réseaux de distributions et les désignations, symboles ou graphismes
uniques qui ont une forte valeur promotionnelle pour le produit en cause »31
.
Cette distinction permet de cerner les incorporels entrant dans chaque classification en
fonction de leur objet, de mettre en exergue leurs particularités, pour ensuite mieux exposer
les spécificités des biens incorporels en général au vue des prix de transfert et les adaptations
qu’ils requièrent dans le cadre de l’identification et de la détermination du prix de transfert.
La question de l’utilité et de la pertinence de telles typologies a été posée dans le cadre du
projet OCDE relatif aux prix de transfert en matière d’incorporels : Il a été mis en avant l’idée
que ces classifications n’avaient d’intérêt que si elles s’accompagnaient de règles différentes
et propres à chacune d’entre elles, et il a été admis que cette question serait examinée par
l’OCDE32
. Par ailleurs, on peut souligner le fait que cette typologie ne permet pas toujours, à
l’heure actuelle, de tenir compte de l’extrême diversité des incorporels et surtout du
développement de nouveaux incorporels.
2- Des incorporels classiques vers de nouveaux incorporels :
Alors que les incorporels semblaient auparavant se limiter aux incorporels dits
classiques tels que les brevets, les marques ou encore les savoir-faire, de nouveaux
incorporels se sont progressivement imposés complexifiant d’avantage cette matière.
On peut citer, à titre d’exemple, ce que l’on appelle les incorporels dits marketing. Il
peut s’agir d’incorporels détenus par le distributeur d’une marque au niveau local. Le plus
souvent, il arrive que ce dernier assume un certain nombre de dépenses au niveau du marché
local pour développer la marque qu’il distribue : dépenses de publicité, de marketing, de
promotion. Ces dépenses peuvent être d’autant plus importantes qu’elles peuvent reposer sur
une marque déjà localement connue, tel que l’illustre le cas Maruti Suzuki33
. La société
Suzuki (fabriquant automobile japonais) prend une participation dans une société automobile
indienne (Maruti). Cette dernière est localement très connue (en Inde), alors que l’autre non.
Une licence est alors mise en place, aux termes de laquelle Maruti s’engage à commercialiser
les produits sous le nom « Maruti Suzuki », et bénéficie d’un transfert de connaissances
30 Principes de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, chapitre 6 Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.3. 31 Principes de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, chapitre 6 Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.4. 32 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 33 Décision de la Cour Suprême Indienne du 1er octobre 2010, Maruti Suzuki India Ltd vs Additional Commissionner.
26
techniques de la part de Suzuki (savoir-faire, secrets commerciaux…), Maruti versant en
contrepartie une redevance à Suzuki. L’administration fiscale indienne avance alors l’idée que
Maruti versait un montant trop élevé de redevance à Suzuki, dans la mesure où cette dernière
n’avait pas contribué à la pénétration et au développement de la marque sur le marché indien,
mais avait au contraire bénéficié de toutes les dépenses qu’avaient subies Maruti pour
s’installer durablement sur le marché indien. De telles dépenses ajoutent donc de la valeur à la
marque exploitée et peuvent conduire à l’émergence d’un nouvel incorporel.
L’émergence de nouveaux incorporels se retrouve également dans la reconnaissance
de « soft intangibles » au titre desquels on peut citer la continuité d’exploitation (going
concern), les avantages de localisation (location savings), la main-d’œuvre en place
(workforce in place), l’avantage du premier entrant sur un marché (Market premium), le
potentiel de profits…
Aux incorporels traditionnels, s’ajoutent donc de nouveaux incorporels dont on ne sait
pas toujours définir avec exactitude les limites, et qui posent la question de l’élargissement de
la notion d’incorporels (§2).
2°) Des contours incertains : Vers un élargissement progressif de la notion
d’incorporels ?
L’absence de définition générale des incorporels, ainsi que la pratique des
administrations et des sociétés, conduisent à se poser la question des contours de cette notion
qui apparaissent très incertains. Alors que ce concept apparait flou par nature, la question se
pose avec d’autant plus de force dans des domaines tels que les prix de transfert. En effet,
certains incorporels posent de véritables interrogations quant à leur possible qualification
d’incorporels au sens du contrôle des prix de transfert (A), ce qui pose la question d’une
approche extensive de la notion d’incorporels (B).
A- Les difficultés d’identification de certains incorporels stratégiques pour la répartition
du droit d’imposer :
Certains biens incorporels, qui peuvent s’avérer stratégiques pour les sociétés, posent
de véritables problèmes quant à leur qualification en tant qu’incorporels. On peut, à ce titre,
citer l’accumulation de pertes d’un groupe, les clients intra-groupe, ou encore une équipe
reconnue d’expert dans un domaine, un département d’achats, une centrale de trésorerie…
Autant de biens qui, s’ils constituent assurément des incorporels au sens commun du terme,
laissent flotter une incertitude quant à une telle qualification au regard du droit fiscal et plus
précisément des prix de transfert. On peut également citer le cas des « soft intangibles » que
l’on a cités précédemment, et qui incontestablement posent des problèmes d’identification
tant leur appréhension et leur valorisation s’avèrent complexes.
De tels incorporels sont porteurs d’une grande valeur économique pour les sociétés
concernées. Or, s’ils sont transférés au sein d’un groupe, tout le potentiel de profit qui leur est
attaché le sera également. Il résulterait de cela une érosion de la base taxable de
l’administration, et des stratégies fiscales très profitables pour les sociétés. La répartition du
droit d’imposer entre les Etats s’en trouverait donc atteinte.
Reprenons l’exemple du transfert d’un groupe d’experts reconnus dans un domaine.
On peut ainsi imaginer le cas où un groupe d’experts reconnus dans un domaine, par exemple
dans le développement d’une technologie précise, soit transféré entre entités d’un même
27
groupe. Ce n’est pas tant le transfert de l’équipe qui doit être considéré comme un incorporel,
mais le transfert du savoir-faire qui lui est afférent. Ces connaissances représentent sans aucun
doute un incorporel d’une valeur importante. Or il n’est pas toujours évident d’identifier un tel
transfert.
Par ailleurs, l’identification d’incorporels se révèle d’autant plus complexe que la
frontière entre de tels biens et des prestations de service est parfois très mince. On peut ici
reprendre l’exemple des incorporels marketing : Doit-on considérer que le distributeur qui
exploite localement une marque est un prestataire de service (services promotionnels) et doit
être rémunéré comme tel, ou au contraire, qu’il développe un bien incorporel de
commercialisation lui ouvrant droit à une fraction des revenus supplémentaires liés à cet
incorporel ? La frontière n’est donc pas évidente, et a un impact indiscutable sur la
détermination de la rémunération.
Tous ces nouveaux incorporels dont l’identification apparait délicate conduisent à
s’interroger sur les contours de la notion d’incorporels en général qui semblent s’élargir de
plus en plus et tendre vers une approche de type goodwill (B).
B- Vers une approche extensive des incorporels de type « goodwill » ?
Le développement des incorporels par la pratique mais également par l’appréhension
qu’en font les administrations fiscales lors des contrôles de prix de transfert semble conduire à
une approche extensive des incorporels de type goodwill. La notion de goodwill n’étant pas
ici entendue comptablement ou financièrement mais plutôt dans un sens générique.
Le goodwill au sens comptable et financier entre bien évidemment dans la catégorie
des incorporels, et de façon plus précise dans celle des « soft intangibles ». Le goodwill se
présente sous deux perspectives différentes. D’une part, il fait l’objet d’une approche
économique dans laquelle il est entendu comme la valeur actuelle de profits économiques
espérés. D’autre part une approche comptable du goodwill existe également, aux termes de
laquelle le goodwill correspond à l’écart positif entre la valeur d’acquisition d’un actif et sa
valeur comptable, cette survaleur étant liée à de nombreux facteurs incorporels non pris en
compte dans les documents comptables (positionnement sur un marché géographique,
notoriété d’une marque…). Le goodwill, en tant que survaleur lié à des éléments incorporels,
constitue donc bien un incorporel à lui-seul.
Ici, on s’intéresse au goodwill dans un sens générique, c’est-à-dire entendu comme la
création de valeur par un bien incorporel. La notion d’incorporel s’étant très significativement
élargie, on peut considérer qu’elle s’entend aujourd’hui de tout élément d’actif immatériel
susceptible de générer des profits, se rapprochant ainsi de la notion de goodwill. Le
développement des incorporels dits marketing ainsi que des « soft intangibles » en est l’une
des illustrations les plus flagrantes.
La question de l’extension de la définition des incorporels se pose d’ailleurs très
clairement dans le cadre du projet OCDE. Il s’agit de déterminer s’il est préférable de retenir
une définition restrictive (qui pourrait, par exemple, se limiter aux actifs reconnus au regard
du droit de la propriété intellectuelle) ou une définition extensive dans laquelle les incorporels
seraient entendus comme des facteurs de création de valeur.
Bien qu’une vision extensive des incorporels ne soit pas encore officiellement
reconnue, la pratique des groupes et des administrations fiscales tend de facto vers une telle
reconnaissance, ce qui rend leur identification difficile, et ce, d’autant plus que les structures
28
de création et d’exploitation de ces incorporels se sont elles-mêmes fortement complexifiées
(Section 2).
Section II- Une complexification des structures de création et d’exploitation des
incorporels propice aux transferts de matière imposable.
La façon dont les actifs incorporels sont créés et exploités est déterminante puisqu’elle
constitue le socle de la répartition des bénéfices au sein du groupe entre les différentes
sociétés intervenant au processus, et a par conséquent un impact indéniable sur le taux
d’imposition effectif de celui-ci. Conscients de cela, les groupes de sociétés tendent à choisir
des structures fiscalement optimisantes (bien que d’autres critères entrent en compte, et que le
facteur fiscal ne constitue pas toujours le déterminant). On assiste alors à une
complexification croissante de ces structures.
Le cycle de vie d’un incorporel connait plusieurs phases : son financement et son
développement qui posent notamment la question des rémunérations des fonctions de
recherche et développement, sa détention qui peut être centralisée, décentralisée voire
mutualisée, mais également son exploitation avec le problème sous-jacent des redevances et
des marges, et enfin sa fin de vie qui peut passer par un amortissement ou une dépréciation
total, une cession, ou donner lieu à la naissance d’un incorporel de 2ème
génération. Les
structures choisies doivent donc accompagner l’incorporel tout au long de sa vie sous
condition quelques fois de restructurations nécessaires à leur adaptation. Ces dernières sont
alors évolutives. Cette évolution se retrouve également dans les choix des groupes qui ont eu
tendance à adopter petit à petit une gestion décentralisée pour le développement de leurs
incorporels au détriment de la traditionnelle gestion centralisée (§1), et à diversifier les modes
d’exploitation de ces derniers (§2).
1°) Le développement des incorporels : D’une gestion centralisée à une gestion
décentralisée.
Le développement d’un incorporel suppose de nombreux investissements. Si ces
investissements étaient traditionnellement gérés de façon centralisée (§1), il apparait
clairement que les groupes privilégient désormais une gestion décentralisée (§2).
A- Le système traditionnel centralisé :
Traditionnellement, les groupes de sociétés adoptaient une structure centralisée pour le
développement de leurs incorporel. Une telle organisation se caractérise par la présence d’une
entité unique propriétaire de l’incorporel qui peut financer seule son développement ou alors
recourir à la sous-traitance.
1- Financement et propriété exclusifs :
L’hypothèse est celle dans laquelle la propriété du ou des incorporels d’un groupe est
centralisée au niveau d’une seule entité, qui en concèdera par la suite l’exploitation à des
filiales, membres du groupe ou pas, via la mise en place de licences par exemple. Dans
pareille hypothèse, la société est le propriétaire exclusif des incorporels. Une telle structure se
manifeste notamment dans le cas de ce que l’on appelle les holdings de propriété
intellectuelle. Cette structure ad hoc est donc juridiquement propriétaire des incorporels et a
vocation à recevoir le profit résiduel afférents à ces derniers (après rémunération des
29
différents intermédiaires d’exploitation). L’intérêt d’une telle structure est bien évidemment
de la localiser dans un Etat où elle est susceptible de bénéficier de régimes fiscaux favorables
(tels que ceux exposés précédemment, Cf. chapitre 1).
Pour ce qui est du financement, ce dernier peut être assuré de façon exclusive par la
société centralisatrice. Elle agit alors en tant que véritable entrepreneur. Mais, encore faut-il
qu’elle dispose des moyens suffisants pour assumer l’intégralité des coûts et des risques liés
au développement de l’incorporel. Situation qui est d’autant plus contraignante que, lors de la
phase de développement de l’incorporel, celui-ci ne rapporte pas de profit. Il faudra donc que
l’entité soit en mesure d’investir massivement sans avoir de retour sur invest issement
immédiat. La contrepartie est que cette entité pourra dans certains cas et sous certaines
conditions (qui sont fonction du régime fiscal de l’Etat où elle se situe) déduire de son résultat
fiscal les dépenses qu’elle a engagées, notamment par le biais des mécanismes de crédit
d’impôt recherche, conduisant ainsi à une diminution du taux effectif d’imposition du groupe.
2- Le recours à la sous-traitance :
Il arrive fréquemment que l’entité centralisatrice recourt à la sous-traitance pour le
développement de ses incorporels, via des contrats de recherche et développement. Cette
dernière agit alors comme donneur d’ordre à l’égard d’un sous-traitant qui exécutera les
missions de développement à sa demande. La société peut aussi bien sous-traiter à une société
du groupe qu’à une société indépendante. La sous-traitance peut alors permettre d’améliorer
et de rationnaliser l’efficacité du groupe, puisqu’elle conduit à une spécialisation des
activités : certaines entités étant en charge du financement et de la supervision de l’exécution
des missions qui, elle, est prise en charge par d’autres entités. Elle a également un impact
indéniable sur la répartition des bénéfices au sein du groupe.
Le sous-traitant, agissant en tant que prestataire de services, se verra généralement
rémunérer par une méthode de prix de revient majoré (« cost plus »), qui lui permettra ainsi
non seulement de couvrir les coûts qu’il a engagés mais également d’en tirer un certain profit
(une marge). L’avantage est qu’il ne supporte pas les risques afférents à la recherche et
développement : Même si cette dernière est un échec, il sera quand même rémunéré. A
l’inverse, il n’a bien évidemment pas vocation à bénéficier de l’incorporel ainsi développé,
c’est-à-dire de se voir attribuer une rémunération complémentaire en cas de succès. Le profit
résiduel lié à l’incorporel reviendra nécessairement à la société, donneur d’ordre, propriétaire
juridique de celui-ci : Elle pourra l’exploiter pleinement et en recevoir tous les revenus.
La gestion centralisée, avec ou sans recours à la sous-traitance, suppose que l’entité
centralisatrice soit en mesure d’investir assez massivement. Or, il n’est pas toujours possible
pour une telle entité de débourser autant d’argent, et ce d’autant plus qu’il n’y a pas de retour
sur investissement immédiat, d’où l’attractivité croissante des modèles décentralisés (B).
B- L’attractivité croissante des systèmes décentralisés : Le cas des « accords de
répartition des coûts » (« Cost Sharing Agreements ») :
Comme il a été indiqué précédemment, la gestion décentralisée classique peut s’avérer
trop contraignante en termes de coûts. Il est, dès lors avantageux, de recourir à des modèles
décentralisés permettant de partager ces coûts. On peut, pour cela, penser à constituer une
joint-venture, ou encore un groupement d’intérêt économique (voire un groupement européen
d’intérêt économique). Il existe, cependant, une forme particulière de gestion mutualisée de
l’incorporel et de ses coûts qui attire plus particulièrement les groupes de sociétés : C’est
l’accord de répartition des coûts ou « cost sharing agreement » (ci-après dénommé ARC).
30
L’ARC est défini par l’OCDE comme « un accord-cadre qui permet à des entreprises
industrielles ou commerciales de partager les coûts et les risques de la production ou de
l’obtention de biens, de services ou de droits, et de déterminer la nature et la portée des
intérêts de chacun des participants dans ces biens, ces services ou ces droits »34
. Il s’agit
donc, pour les participants à un tel accord, de se répartir entre eux les coûts et les risques
afférents à des incorporels préexistants (l’un des participants apporte un incorporel) ou à
développer, chacun étant alors propriétaire d’une partie de cet incorporel à hauteur de sa
contribution. Après avoir brièvement exposé le fonctionnement de tels accords, on verra
qu’ils peuvent quelque fois donner lieu à une migration d’incorporels très optimisante.
1- Le fonctionnement des accords de répartition des coûts :
L’ARC se caractérise par une mutualisation des coûts de recherche et développement
d’un incorporel. Une telle organisation qui suppose, au-delà du partage des coûts, un partage
de la propriété, peut s’organiser selon différentes formes. D’une part, chaque entité partie à
l’accord est reconnue propriétaire de l’incorporel développé à hauteur de sa contribution à son
développement. On se trouve alors dans une situation de copropriété qui peut, dans la pratique
s’avérer complexe à organiser (notamment au niveau de la prise de décision). Mais il s’agit
d’une copropriété économique qui n’est pas toujours juridiquement formalisable. La propriété
juridique de l’incorporel développé, quant à elle, peut se voir confier à l’un des participants
(la propriété juridique se situant exclusivement au niveau de ce chef de file) qui mettra
gratuitement à la disposition des autres ledit incorporel, ou être localisée au sein d’une entité
juridique commune à tous les participants (de type joint-venture ou GIE). On peut également
imaginer l’hypothèse dans laquelle chaque participant est le propriétaire de droits issus de
certaines activités précises, le plus souvent selon les zones géographiques d’utilisation du
droit. Une fois la propriété répartie, se pose automatiquement la question de la répartition des
coûts et des rémunérations relatifs à l’incorporels.
Chaque participant doit supporter un coût équivalent à sa contribution. La répartition
des coûts doit se faire selon une clé de répartition qui se définit au cas par cas. Cette dernière
est fonction des bénéfices escomptés. Elle peut porter sur le chiffre d’affaires, le bénéfice
brut, une augmentation anticipée des revenus de l’incorporel, l’économie dont bénéficie le
participant… Elle doit évoluer en fonction des modifications pouvant survenir notamment
dans le contexte économique. Toute cette répartition repose donc sur des prévisions,
l’administration fiscale pouvant alors être tentée de la remettre en cause si ces prévisions ne se
réalisent pas.
En ce qui concerne les revenus, chaque participant étant le propriétaire effectif d’une
part, il est naturel qu’il ne verse pas de rémunération aux autres pour cette partie. Il convient
ici de réserver le cas où la propriété juridique de l’incorporel développé est détenue au niveau
d’un participant chef de file, où là les autres participants devront bien entendu lui verser une
redevance couvrant ses coûts. Enfin, chaque participant, en tant que propriétaire économique,
se verra attribuer les bénéfices liés à sa contribution dans la création et le développement de
l’incorporel.
L’ARC présente donc de nombreux avantages, notamment la diminution des risques
par le partage de ceux-ci, la réalisation d’économies d’échelle, mais également l’accès à
d’autres ressources et connaissances (chacun des participants apportant non seulement de la
34
Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales, Chapitre 8 « Accords de répartition des coûts », B.1, 8.3
31
trésorerie, mais également des savoir-faire, des connaissances techniques et pratiques…).
L’ARC permet également de jouer sur le taux effectif d’imposition du groupe, dans la mesure
où ce dernier n’est rien d’autre que la moyenne des impôts payés par chacun des participants
dans leur propre Etat. D’où il suit qu’il peut être intéressant d’implanter certains membres
dans des pays à fiscalité avantageuse mais également dans des pays bénéficiant d’un réseaux
de conventions fiscales bien fourni permettant de réduire ou supprimer les retenues à la
source. Enfin, l’ARC s’avère, dans certaines hypothèses, être un outil potentiel de migration
des incorporels.
2- Les accords de répartition des coûts, comme outil potentiel de migration
d’incorporels :
L’ARC, via la mutualisation des coûts et de la propriété qu’il induit, peut dans
certaines hypothèses permettre la migration d’incorporels, transfert qui s’opèrera sans
taxation.
L’ARC peut, tout d’abord, servir au transfert de la propriété économique
d’incorporels. Il s’agit de la situation dans laquelle un ARC est mis en place entre un
participant qui apporte un incorporel dont il est le propriétaire (cet apport constituant sa
participation à l’ARC) mais qui ne dispose pas de la capacité financière pour le développer, et
un autre participant qui, lui, apportera sa forte capacité de financement pour couvrir les frais
de recherche et développement. Ce dernier, par sa contribution régulière en termes de
trésorerie, deviendra donc le propriétaire économique de l’incorporel. Il y aura eu transfert de
la propriété économique à ce dernier sans impôt. Il est bien évidemment supposé que
l’incorporel a pris une forte valeur du fait des activités de recherche et développement. Il n’y
aura donc eu ici aucun transfert juridique, et aucune imposition. Les administrations fiscales
peuvent être tentées de remettre en cause de tels montages, en s’appuyant sur le fait qu’une
entreprise indépendante n’aurait pas accepté de se dépouiller de son incorporel de la sorte, et
donc d’identifier un prix de transfert. Il faudra alors être en mesure d’avancer des
justifications à une telle opération, telles que l’incapacité de la société propriétaire juridique
de l’incorporel à financer la recherche et le développement de celui-ci, l’apport d’une
clientèle établie par le participant non détenteur de l’incorporel…
L’ARC peut également s’avérer très optimisant lorsqu’il donne naissance à un
incorporel de 2ème
génération (dont le développement prend appui sur un incorporel déjà
existant). Imaginons deux sociétés (A et B), chacune propriétaire d’un incorporel
technologique, qui mettent en place un ARC entre elles. Chacune apporte son incorporel, en
vue de développer un incorporel de 2ème
génération qui s’appuiera sur les incorporels
primaires. On postule, par ailleurs, que l’incorporel B est de moindre importance que
l’incorporel A (car constituant une technologie plus désuète que celle de A). Il y aurait donc
au sein de cet ARC, une valeur prépondérante de l’incorporel A, justifiant un partage
déséquilibré des coûts et des revenus (la société A contribuera plus fortement mais recevra,
par la même, une rémunération plus élevée). Un incorporel C est donc développé. Après
quelques années, l’incorporel C perdant petit à petit de sa valeur, la société A décide de
s’appuyer sur celui-ci pour développer de son côté un nouvel incorporel (D), sans associer la
société B au développement de celui-ci. L’incorporel D étant développé sur la base de
l’incorporel C, la société B se voit verser une redevance à ce titre, mais redevance qui s’avère
minime puisque sa contribution initiale dans l’ARC était déjà réduite par rapport à celle de A
et que l’incorporel C, tombant progressivement en désuétude, n’a plus une grande valeur.
Lorsque l’incorporel C est complètement désuet, la société B n’a plus vocation à recevoir une
redevance. La société A, quant à elle, se retrouve avec un incorporel D à la pointe de la
32
technologie qu’elle a développé à un moindre prix, puisqu’elle s’est appuyée sur une
technologie existante (incorporel C) et n’a donc pas eu à partir de zéro, et que les profits
provenant de C lui sont majoritairement revenus.
Un ARC est certes complexe, mais peut s’avérer fiscalement très intéressant pour les
groupes, et illustre parfaitement le fait que les choix de financement et de détention sont
fiscalement structurants. Un tel impact se retrouve également dans les différents modes qui
peuvent être mis en œuvre pour exploiter l’incorporel (§2).
2°) Les différents modes d’exploitation des incorporels.
L’exploitation des incorporels peut se faire selon plusieurs modalités différentes qui
dépendent chacune de la stratégie du groupe en question et des incorporels en présence. On
distinguera ici entre deux modes d’exploitation : l’exploitation pour les besoins propres du
groupe (A) et l’exploitation par le biais de concessions de licences et de sous-licences (B).
A- L’exploitation pour les besoins propres du groupe :
L’exploitation des incorporels pour les besoins du groupe se caractérise par
l’exploitation par la société l’ayant développé, mais peut s’accompagner d’une mise à
disposition gratuite.
1- L’exploitation par la société ayant développé l’incorporel :
Il est possible que la ou les sociétés ayant développé un bien incorporel décident
d’exploiter ce dernier directement et pour elles-mêmes. Cela signifie que la société non
seulement aura développé le bien (recherche et développement…), mais l’utilisera également
dans son activité de production et de distribution.
On peut ici se retrouver face à différentes possibilités. On peut, ainsi, imaginer que la
société a développé un logiciel qu’elle utilisera uniquement au sein de son groupe pour les
besoins des différentes filiales (logiciel de facturation, intranet…). Mais cela peut également
concerner le cas où la société a élaboré une nouvelle technologie (on peut ici reprendre le cas
du logiciel) qu’elle intégrera dans des produits, tels que des produits de télécommunication,
qu’elle fabriquera et qu’elle distribuera exclusivement par le biais de ses filiales. Dans pareille
hypothèse, cela pose bien entendu la question des flux intra-groupe. Si la filiale se contente de
commercialiser le bien, il est fort probable que la rémunération de l’incorporel soit déjà
intégrée dans le prix qu’elle aura payé pour les biens (si tel n’est pas le cas, la filiale devra
verser une redevance complémentaire). En revanche, si la filiale procède localement à des
investissements pour développer l’incorporel, on se trouve en présence d’incorporels
marketings qui appellent une rémunération de la filiale au titre de ces investissements.
2- La mise à disposition gratuite de certains incorporels :
L’exploitation pour les besoins du groupe peut également donner lieu à une mise à
disposition gratuite des incorporels. On retrouve ici le cas des incorporels développés en
interne et destinés à aider les filiales du groupe dans leur gestion quotidienne, tels que les sites
intranet. Dans ce cas, il se peut que la société mère mette gratuitement à la disposition de ses
filiales ce type de bien. Un autre exemple de mise à disposition gratuite peut se retrouver en
matière de sous-traitance. Ainsi, la société ayant développé l’incorporel peut en sous-traiter la
fabrication. Dans une telle hypothèse, il peut arriver que le sous-traitant utilise une
33
technologie dont la société mère est propriétaire. Ici, aucune redevance ne devra être payée
par le sous-traitant à la société, dans la mesure où son mode de rémunération tiendra compte
du fait qu’il ne possède pas cette technologie et ne couvrira que les charges qu’il a supportées
pour la fabrication.
On voit donc bien que, même au sein d’une exploitation pour les besoins du groupe,
les choix opérés influent directement sur les rémunérations et la répartition du droit
d’imposer. Cela se retrouve bien évidemment en présence de concessions de licences et de
sous-licences (B).
B- Le système des concessions de licences et de sous-licences :
La société ayant développé un incorporel peut choisir de concéder des licences voire
des sous-licences sur celui-ci, ce qui n’est pas sans implications fiscales.
1- Fonctionnement :
Il s’agit ici pour la société propriétaire de l’incorporel d’en concéder l’utilisation par le
biais de licences ou de sous-licences. Une concession de licence constitue le contrat par lequel
un licencié se voit concéder le droit d’utiliser, en totalité ou en partie, de façon exclusive ou
pas, un bien incorporel (brevet, marque…) par un tiers selon des conditions fixées par le
contrat. Le licencié verse alors au propriétaire du bien une redevance. Lorsque le licencié
concède, à son tour, un droit d’utilisation de l’incorporel dont il s’est lui-même vu reconnaitre
le droit d’utiliser, il s’agit d’une concession de sous-licence.
Il semble qu’à l’heure actuelle le droit fiscal (du moins en France) semble privilégier
cette forme d’exploitation par rapport à l’exploitation en propre par la société propriétaire de
l’incorporel. Cela se manifeste notamment par des dispositifs que l’on a évoqués
précédemment, tels que la déduction des redevances, et le bénéfice du taux réduit. Au-delà de
cet aspect, le système des concessions de licences a d’autres implications en matière fiscale.
2- Implications fiscales :
La question est, ici, celle de la rémunération devant être versée par le licencié au titre
du droit d’utilisation de l’incorporel qui lui a été octroyé. Le problème ici ne porte pas tant sur
l’existence de cette redevance, mais sur son montant. S’il est naturel de verser une
rémunération en contrepartie de l’usage d’un brevet, d’une marque, ou encore d’un savoir-
faire non détenu par celui qui l’utilise, il n’est, en revanche, pas normal de surpayer cet
avantage. Il serait, en effet, tentant de surévaluer ce paiement afin de transférer de la masse
imposable vers une société propriétaire située dans un Etat à fiscalité moins élevée. Ou
inversement, de sous-évaluer cette redevance si c’est la société licenciée qui est située dans un
Etat à fiscalité plus faible que celle de l’Etat de la société propriétaire. De telles fixations des
rémunérations auraient pour conséquence de transférer de la masse imposable d’un Etat à
fiscalité importante vers un Etat à fiscalité moindre, mettant ainsi en péril la répartition
équilibrée du droit d’imposer entre ces deux Etats. C’est alors sur le terrain des prix de
transfert que se placent les administrations fiscales pour tenter de préserver leur droit
d’imposer (Titre 2).
34
TITRE 2 :
LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS
PAR LE CONTROLE DES PRIX DE TRANSFERT
Les groupes de sociétés, par leur choix de localisation, de structuration, mais
également de fixation des rémunérations intra-groupe, peuvent porter atteinte à la répartition
du droit d’imposer entre les Etats. Cela peut notamment être le cas lorsque des transferts
d’incorporels ne sont pas identifiés et ne donnent lieu à aucune rémunération, ou lorsque la
rémunération d’un tel transfert ou de l’utilisation d’un incorporel est artificiellement majorée
ou minorée, l’objectif étant ici de transférer indirectement des bénéfices d’un Etat à forte
fiscalité vers un Etat plus clément. De tels montages sont facilités, en effet, par le caractère
flou et difficilement appréhendable de la notion d’incorporel35
.
Les administrations, conscientes de cela, ont alors mis en place un certain nombre de
dispositifs permettant de lutter contre de telles hypothèses. L’un de ces dispositifs est celui
des prix de transfert. Celui-ci permet de contrôler les prix des transactions intra-groupe et de
les comparer à ce que des sociétés indépendantes auraient accepté. Ce dispositif est
particulièrement intéressant, dans la mesure où il se retrouve dans de nombreux pays, et qu’il
est même reconnu au niveau international par l’OCDE. Il concerne à la fois les biens
corporels et incorporels. Mais, tel que l’illustre l’actuel projet de réforme engagé par l’OCDE
en matière de prix de transfert et d’incorporels, ce dernier ne semble pas tout à fait adapté à ce
type de biens si particuliers. Pour comprendre cette inadaptation et exposer les pistes
d’adaptation envisagées par l’OCDE (chapitre 2), il faut, dans un premier temps, décrire de
façon générale le mécanisme des prix de transfert dans ses aspects communs aux biens
corporels et incorporels (chapitre 1).
35 Cf. Titre 1, chapitre 2, Section 1
35
Chapitre 1 :
Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte contre l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats.
Objet d’un consensus international (dans leur principe, mais pas toujours dans les
moindres de leurs modalités), le contrôle des prix de transfert repose sur un dispositif de lutte
au niveau national (Section 1), complété au niveau international par l’OCDE et le droit de
l’Union européenne (Section 2). On décrira ici les grands traits de ce contrôle.
Section I- Le dispositif français de lutte contre les prix de transfert.
Le droit français des prix de transfert repose sur l’article 57 du CGI qui dispose que
« Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la
dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices
indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des
prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés
par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la
dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises
situées hors de France ». Se dégage de cet article un certain nombre de principes : Tout
d’abord le contrôle des prix de transfert repose sur une présomption de transfert indirect de
bénéfices (§1), qui conduit à une correction du résultat de la société concernée et ainsi à une
double imposition dommageable (§3). On verra, par ailleurs, que ce dispositif se caractérise
par une grande efficacité (§2).
1°) Un dispositif reposant sur une présomption de transfert indirect de bénéfices:
La sanction des prix de transfert repose sur une présomption de transfert indirect de
bénéfices : C’est parce qu’il y a eu un transfert indirect de bénéfices étranger à une gestion
commerciale normale (B) entre des sociétés dépendantes (A) que l’administration fiscale est
fondée à remettre en cause la transaction en question.
A- Un transfert entre sociétés dépendantes :
Pour que le transfert de bénéfice entre sociétés soit répréhensible, il faut que ce dernier
ait eu lieu entre sociétés dépendantes et situées dans des Etats différents, ce qui suppose ici de
présenter la notion de dépendance, et d’apprécier la pertinence de ce critère.
1- La notion de dépendance :
La notion de dépendance recouvre plusieurs hypothèses. Est, d’une part, visé le cas de
la dépendance juridique : Une société française est considérée comme dépendante lorsqu’une
société étrangère possède une part prépondérante dans son capital ou la majorité de ses droits
de vote (société mère étrangère et filiale française), et inversement lorsqu’une société
française détient un tel contrôle sur une entreprise étrangère (société mère française et filiale
étrangère). Il y a également dépendance lorsque l’entreprise étrangère exerce, au sein de la
société, un pouvoir décisionnel directement ou par personne interposée : gérants,
administrateurs ou directeurs de la société dirigeante, ou encore toute entreprise sous contrôle
commun (sociétés sœurs). D’autre part, la dépendance, au sens de l’article 57, vise également
36
la dépendance de fait : il s’agit ici d’une dépendance économique d’une société à l’égard de
l’autre qui peut découler d’un contrat ou des conditions de leurs relations.
Enfin, lorsque le transfert se fait à destination d’une entreprise établie dans un Etat ou
territoire à fiscalité privilégiée au sens de l’art 238 A du CGI36
, l’administration est dispensée
d’apporter la preuve d’une quelconque dépendance.
2- La pertinence de ce critère :
L’exigence d’une telle dépendance part du postulat que des sociétés indépendantes
n’auraient pas accepté de contracter à de telles conditions. Ainsi, dans l’hypothèse où une
société mère établie dans un pays à fiscalité plus faible concède une licence sur un brevet à sa
filiale située dans un Etat à fiscalité plus forte, le transfert peut s’opérer par majoration de la
redevance due par la filiale à la société mère. Or, une entreprise indépendante n’aurait pas
accepté de contracter à de telles conditions. C’est parce que les sociétés sont liées qu’un tel
transfert peut être mis en œuvre. Mais la raison d’être de ce critère est également sa faiblesse.
En effet, c’est parce que les sociétés sont liées qu’elles peuvent accepter de contracter à des
conditions plus avantageuses pour l’une, et non de façon « normale ». Ainsi, une société mère
peut prévoir d’accorder une réduction de la redevance payée par la filiale en considération de
leurs relations. Dès lors, bien que pertinent, le critère de la dépendance, peut faire l’objet de
quelques réserves.
Une fois la dépendance établie, l’administration fiscale doit apporter la preuve d’un
transfert indirect de bénéfice étranger à une gestion commerciale normale (B).
B- Un transfert indirect de bénéfices étranger à une gestion commerciale normale :
Pour que la transaction soit remise en cause, l’administration doit apporter la preuve
de l’existence d’un transfert de bénéfices par la société française à la société étrangère qui soit
étranger à une gestion commerciale normale, le contribuable devant par la suite établir
l’existence d’une contrepartie37
.
1-L’existence d’un avantage anormal :
L’administration fiscale doit établir que la société française s’est appauvrie de façon
non justifiée au profit de la société étrangère en lui concédant un avantage anormal, ce qui a
eu pour conséquence de diminuer le résultat imposable en France. Ce transfert peut prendre
diverses formes : majoration ou diminution du prix de vente ou d’achat, ou tout autre moyen
(par exemple, lors d’une restructuration du groupe). L’administration fiscale dispose donc ici
d’une grande marge de manœuvre.
L’avantage doit apparaitre comme anormal par comparaison au prix ou aux conditions
contractuelles qu’auraient acceptés des entreprises indépendantes placées dans la même
situation. Plusieurs méthodes de détermination du prix ou des conditions normales sont alors
utilisables. Il convient de se référer aux méthodes préconisées par l’OCDE (prix comparable
sur le marché libre, prix de revente, prix de revient majoré, méthode transactionnelle de la
marge nette, méthode du partage des bénéfices) sur lesquelles on reviendra plus en détail
ultérieurement.
36 Article 238 A: « Dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ». 37 CE Plén. 27 juillet 1988, n°50020, SARL Boutique 2M.
37
2- La possibilité pour la société d’apporter la preuve contraire :
Une fois la double preuve de la dépendance et de l’avantage anormal apportée par
l’administration, il appartient au contribuable d’établir que cet avantage est justifié, c’est-à-
dire qu’il y a une contrepartie suffisante. On peut ainsi imaginer qu’une société mère française
concède une licence d’exploitation d’une marque française à une filiale indienne, au titre de
laquelle elle exige de cette dernière une redevance d’un montant plus faible dans le but de
pénétrer le marché indien, et de s’y implanter durablement (ce qui suppose des coûts plus
importants et un retour sur investissement moindre dans les premières années).
Dans le cadre de son contrôle des prix de transfert, l’administration fiscale dispose de
nombreuses armes, rendant le dispositif français des prix de transfert très efficace (§2).
2°) Un dispositif caractérisé par une grande efficacité :
Le contrôle des prix de transfert s’avère, en France, d’une particulière efficacité
puisqu’il mêle à la fois des instruments de contrôle renforcé (A) et des dispositifs de
sécurisation a priori (B).
A- Des instruments au service d’un contrôle renforcé…
L’administration dispose, dans le cadre de son contrôle des prix de transfert,
d’instruments lui permettant de mener à bien celui-ci : l’article L13B du LPF, ainsi que les
obligations documentaires auxquelles sont soumises certaines sociétés.
1- L’article L13B du LPF :
L’article L13B du LPF permet à l’administration, lorsqu’elle réunit au cours d’une
vérification de comptabilité des éléments faisant présumer qu’une entreprise a opéré un
transfert indirect de bénéfices, de demander à ladite entreprise de lui fournir des informations
supplémentaires sur la nature des relations qu’elle entretient avec la société étrangère, la
méthode de détermination des prix utilisée. En cas de réponse insuffisante, l’administration
doit adresser à la société une mise en demeure de compléter les informations dans un délai de
trente jours. Si la réponse n’est toujours pas satisfaisante, l’administration pourra évaluer le
montant du bénéfice transféré à partir des éléments en sa possession, et la société peut se voir
infliger une amende de 10 000€ pour chaque exercice vérifié.
2- Le renforcement des obligations documentaires :
L’article L13 AA du LPF prévoit un certain nombre d’obligations documentaires
devant être respectées par certaines sociétés. Dans un objectif de plus grande efficacité du
contrôle des prix de transfert, ces obligations ont été renforcées par la loi de finances
rectificative pour 2009. Ces obligations concernent les grandes entreprises, notamment les
entreprises dont le chiffre d’affaires annuel hors taxe ou l’actif brut figurant au bilan est
supérieur ou égal à 400 000 000 d’euros38
. Cette documentation doit contenir des
informations générales sur le groupe d’entreprises associées et des informations spécifiques
concernant l’entreprise vérifiée. Pour plus de détail, on renvoie donc à la lecture de cet article.
Au-delà des moyens a posteriori, l’administration dispose également d’instruments a
priori (B).
38 Pour le détail de toutes les entreprises concernées, cf l’article L13 AA du LPF.
38
B- …alliés au développement de mesures de sécurisation au profit des entreprises : Les
accords préalables sur les prix.
Le but est ici de s’assurer de la conformité des transactions intra-groupe a priori c’est-
à-dire avant leur réalisation, par le biais des accords préalables sur les prix (ci-après
dénommés APP). Cette procédure constitue un véritable outil tant pour l’administration que
pour l’entreprise qui est assurée d’une plus grande sécurité juridique. Il existe une procédure
d’APP classique et une procédure simplifiée au profit des PME.
1- La procédure d’APP :
La procédure d’APP consiste pour la société à sécuriser la méthode de détermination
de ses prix de transferts. Pour cela, l’entreprise va présenter à l’administration la méthode
qu’elle a retenue en lui fournissant un dossier détaillé et complet pour que celle-ci la valide.
Cet accord peut être unilatéral (conclu entre la seule administration fiscale française et la
société, et constitue alors une prise de position formelle de l’administration39
) ou multilatéral
(conclu entre l’administration fiscale française, les administrations étrangères concernées, et
la société). Cette procédure n’empêche pas les contrôles ultérieurs, mais garantit le groupe
contre la remise en cause de sa méthode, sauf si des dissimulations ou manœuvres
frauduleuses ont eu lieu. Cet accord vaut pour une durée de trois à cinq ans.
2- Une procédure simplifiée au profit des PME :
La procédure d’APP apparaissait trop lourde pour les PME. A donc été créée une
procédure simplifiée à leur profit40
. Cette procédure ouverte seulement aux PME répondant
aux critères de l’article 44 septies IV du CGI, a pour but d’alléger la documentation à fournir
pour le dépôt et l’instruction de la demande, à l’aider dans la réalisation de certaines étapes
(analyse fonctionnelle, analyse de comparabilité…).
Tout est donc fait pour que le contrôle des prix de transfert soit le plus efficient
possible aussi bien en amont qu’en aval. Ce dispositif conduit cependant à une double
imposition redoutable (§3).
3°) Un dispositif aux conséquences redoutables : Une double imposition
dommageable.
S’il s’avère que la société a procédé à un transfert indirect de bénéfices au profit d’une
société étrangère et que ce dernier ne comporte pas de justifications suffisantes,
l’administration fiscale est alors fondée à réintégrer, d’une part, l’avantage indûment octroyé
(A), et appliquer, d’autre part, une retenue à la source sur le fondement d’une présomption de
distribution (B), ce qui conduit à une double imposition fortement dommageable pour la
société redressée et le groupe plus généralement.
A- Réintégration de l’avantage indûment octroyé :
L’administration fiscale procèdera, dans un premier temps, au rehaussement du
bénéfice imposable de la société française en y réintégrant l’avantage indûment octroyé. Or, le
montant de l’avantage a sûrement fait l’objet d’une imposition dans l’Etat de la société
39
Article L80B,7° du LPF 40 Instruction du 28 novembre 2006, 4A-13-06
39
bénéficiaire. A défaut d’ajustement corrélatif, il y a donc double imposition économique (le
même revenu étant imposé entre les mains de deux personnes différentes). Mais
l’administration ne s’arrête pas là et applique en plus une retenue à la source (B).
B- Présomption de distribution et application d’une retenue à la source :
En plus de la réintégration de l’avantage anormal, l’administration fiscale va
requalifier l’avantage indu (c’est-à-dire la partie excessive du prix) en revenu réputé distribué
au profit de la société étrangère, et dès lors appliquer une retenue à la source de 25%. Au
final, l’administration impose donc deux fois la même somme : une fois au titre du
rehaussement du bénéfice imposable et une autre en tant que revenu réputé distribué. Cela
conduit à une sanction redoutable pour le contribuable qui fera l’objet d’une double
imposition. Certaines de ces conséquences peuvent être atténuées par les dispositifs
internationaux et communautaires des prix de transfert (Section 2).
Section II- Le dispositif des prix de transfert au niveau international et communautaire.
Le contrôle des prix de transfert ne relève pas seulement des législations nationales. Il
se retrouve également au niveau de l’OCDE qui fait référence en la matière (§1), mais
également de l’Union européenne dont le rôle tend à s’accroitre (§2).
1°) L’approche des prix de transfert de l’OCDE : Une approche faisant
référence.
L’OCDE, par l’article 9 du modèle de convention fiscale internationale qu’elle élabore
mais également par l’intermédiaire des principes applicables en matière de prix de transfert à
l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales qu’elle a édictés, a
mis en place un cadre servant à la détection et à la sanction des prix de transfert qui fait
référence. Celui-ci repose sur la sanction des prix non conformes au principe de pleine
concurrence conduisant à une rectification des résultats des entreprises concernées (A), mais
prévoit en plus des mécanismes d’élimination des doubles impositions en résultant (B).
A- L’article 9 du modèle OCDE : La sanction des prix non conformes au principe de
pleine concurrence.
La sanction des prix de transfert, au niveau international, repose sur l’article 9 du
modèle OCDE qui prévoit qu’en présence d’un prix non conforme au principe de pleine
concurrence, les sociétés apparentées doivent procéder à des corrections.
1- Le principe de pleine concurrence, un pilier du système OCDE des prix de
transfert… :
L’article 9 du modèle OCDE envisage l’hypothèse où les entreprises associées « sont,
dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou
imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises
indépendantes ». C’est là le siège du principe de pleine concurrence. On retrouve ici la même
idée qu’en droit fiscal français (l’existence d’un avantage anormal). De même qu’en droit
interne, les entreprises en cause doivent être liées (détention de capital, participation à la
direction ou au contrôle). Et, pour déterminer si le principe de pleine concurrence est respecté,
il faut se référer aux conditions qu’auraient acceptées des entreprises indépendantes. L’OCDE
40
développe, dans ses principes applicables aux prix de transfert, toute une méthodologie à
mettre alors en œuvre pour déterminer si la transaction conclue entre les entreprises liées est
conforme au principe de pleine concurrence : la société doit procéder à une analyse
économique, comprenant une analyse fonctionnelle, et à une recherche de comparables
(autant d’étapes qui seront développées par la suite, tant elles présentent des caractéristiques
en matière d’incorporels). La détermination du prix de concurrence se fait, quant à elle, selon
les méthodes préconisées par l’OCDE exposées ci-après.
2- … conduisant à la correction des prix entre entreprises apparentées :
S’il s’avère que le prix retenu par les entreprises liées ne correspond pas à un prix de
pleine concurrence, l’article 9 prévoit que « les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient
été réalisés par l'une des entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions,
peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ». Cela
signifie que l’Etat de l’entreprise ayant octroyé des conditions contraires au principe de pleine
concurrence peut rectifier les résultats de cette entreprise afin d’y réintégrer la somme qu’elle
aurait dû recevoir en cas de transaction à des conditions normales. Le problème de la double
imposition économique se repose donc ici, comme en droit interne, puisque la même somme
aura été imposée une fois entre les mains de la société étrangère bénéficiaire des conditions
anormales et une fois, après rectification, entre les mains de la société qui avait accordé
l’avantage anormal. Mais, contrairement au droit interne, le modèle OCDE prévoit des
mécanismes d’élimination de cette double imposition (B).
B- Des mécanismes d’élimination des doubles impositions, venant remédier aux lacunes
des approches nationales:
Le modèle OCDE prévoit que les doubles impositions résultant de la rectification des
résultats suite à l’identification d’un prix de transfert peuvent être éliminées selon plusieurs
techniques qui s’appliquent les unes à la suite des autres en cas d’échec des précédentes : la
technique de l’ajustement corrélatif, puis la procédure amiable et la clause d’arbitrage. Toutes
ces mesures viennent pallier aux lacunes du droit interne qui ne permet pas d’échapper à la
double imposition.
1- La technique de l’ajustement corrélatif :
Selon cette technique, lorsque l’Etat de la société à qui revenait le bénéfice indûment
transféré a rectifié le résultat de cette société en y réintégrant la partie qui devait lui revenir
par un ajustement primaire, l’Etat de l’autre société doit alors procéder à un ajustement
corrélatif, ce qui permet d’éviter la double imposition économique. A titre d’exemple, si une
société française concède une licence d’exploitation d’un brevet moyennant redevance, et que
le montant de cette dernière est minoré par rapport au prix de pleine concurrence,
l’administration fiscale française va procéder à un ajustement primaire en réintégrant la
fraction supplémentaire qui aurait dû revenir à la société française dans le résultat de cette
dernière. La société ayant bénéficié du prix minoré aura été imposée à raison de ses bénéfices
comprenant l’avantage indu. Son administration fiscale devra alors procéder à un ajustement
corrélatif en ajustant à la baisse son résultat. Mais les Etats ne procèdent pas toujours aux
ajustements corrélatifs. Ils ne sont, en effet, pas enclins à rectifier à la baisse les résultats de
leur société et donc à s’auto-priver de ressources fiscales. Par ailleurs, les différentes
administrations fiscales ne sont pas toujours d’accord quant à l’existence d’un prix de
41
transfert et surtout quant à son montant. De sorte, qu’en l’absence d’ajustement corrélatif, la
société pourra aller un cran au-dessus et mettre en œuvre la procédure amiable.
2- La procédure amiable :
Le contribuable, n’ayant pu bénéficier des ajustements corrélatifs, va pouvoir
demander à son administration fiscale d’engager une procédure amiable avec l’administration
de l’autre Etat en cause. Cette procédure (prévue à l’article 25 du modèle OCDE) est une
procédure non contentieuse par laquelle les deux administrations vont tenter de parvenir à un
accord sur le prix de transfert c’est-à-dire de déterminer un prix normal. Cependant, cette
procédure s’avère limitée puisque, d’une part, le contribuable n’a pas de droit à cette
procédure (l’administration n’est pas tenue d’accueillir sa demande), et d’autre part, les
administrations ne sont pas tenues de parvenir à un accord. De sorte que si un tel accord n’est
pas trouvé, le contribuable devra monter encore d’un cran dans les procédures et faire jouer la
clause d’arbitrage.
3- La clause d’arbitrage :
La clause d’arbitrage (article 25) vient compléter le mécanisme de procédure amiable.
Cette clause prévoit que le contribuable qui a subit une imposition non conforme à la
convention fiscale peut, si les autorités fiscales des Etats en question n’ont pas réussi à trouver
d’accord dans les deux ans suivant le déclenchement de la procédure amiable, les contraindre
à se soumettre à un arbitrage et à trouver une solution au problème de prix de transfert. Cette
clause est beaucoup plus contraignante dans la mesure où le contribuable a le droit à obtenir
une solution et la suppression de la double imposition économique.
On constate cependant que la double imposition juridique résultant du fait que la
société française requalifie les sommes en revenus réputés distribués n’est pas réglée par le
modèle OCDE. Il se peut que les conventions fiscales règlent ce problème. Sinon, il convient
de se référer à l’article sur les dividendes de la convention (si elle adopte une conception large
des dividendes incluant les revenus réputés distribués) ou à l’article sur les revenus innomés
(en cas de définition étroite des dividendes). Au vue des prévisions de ces articles, la retenue à
la source de 25% sera maintenue ou écartée. Malgré cet aspect, le modèle OCDE joue un rôle
important et efficace en matière de prix de transfert, rôle qui se trouve concurrencé par
l’implication croissante de l’Union européenne dans ce domaine (§2).
2°) Le rôle de l’Union européenne en matière de prix de transfert : Un rôle en
expansion.
L’Union européenne tend de plus en plus à s’intéresser aux problématiques de prix de
transfert au sein de l’UE. Le développement de son rôle s’illustre notamment par la
convention d’arbitrage qu’elle a adoptée (A) ainsi que l’harmonisation de la documentation
mise en œuvre au sein de l’UE (B). Enfin, les travaux actuels sur l’ACCIS posent la question
d’une éventuelle fin des problématiques de prix de transfert au sein de l’UE(C).
A- La Convention d’arbitrage, comme instrument d’élimination des doubles
impositions :
A été adoptée le 23 juillet 1990 une « Convention relative à l’élimination des doubles
impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées ». Le but de celle-ci est
de permettre de résoudre les différends entre Etats membres lorsque l’un d’eux a procédé à
42
une correction à la hausse des résultats d’une entreprise sur la base du contrôle des prix de
transfert. Cette convention tente de mettre en place un mécanisme plus contraignant que celui
du modèle OCDE. Elle prévoit ainsi l’élimination de la double imposition dans le cadre d’un
accord entre les Etats concernés. Lorsqu’ils ne parviennent pas à un accord, ils doivent
recueillir l’avis d’un organe consultatif, dont ils ne sont pas obligés de suivre l’avis. Mais si
les Etats ne parviennent pas à un accord, cet avis devra être suivi pour parvenir à l’élimination
de la double imposition. A noter qu’un « forum conjoint de l’UE sur les prix de transfert » a
été créé en 2002 pour formuler des recommandations en vue d’harmoniser les différentes
pratiques des Etats dans de domaine. Il a conduit à l’adoption d’un code de conduite relatif à
la mise en œuvre de la convention. Mais l’effort d’harmonisation ne concerne pas seulement
l’élimination des doubles impositions, on le retrouve en matière de documentation (B).
B- Une harmonisation de la documentation en vue d’une simplification :
Les obligations documentaires en matière de prix de transfert peuvent sensiblement
différer d’un Etat à un autre, ce qui oblige les entreprises à produire différents documents
selon des exigences différentes. Or cela s’avère très lourd pour ces dernières non seulement
sur le plan formel mais aussi financier. En vue de remédier à cela, a été adopté le 27 juin 2006
un code de conduite sur la documentation des prix de transfert pour les entreprises associées
résidentes d’Etats membres de l’UE. L’objectif est ici d’harmoniser la documentation à
fournir par les entreprises au sein de l’UE concernant la méthode de détermination des prix
retenue par elles. Cela conduirait donc à une simplification. Cependant, ce code de conduite
n’a pas de force obligatoire, et constitue un simple engagement politique. Il convient tout de
même de saluer cette initiative, qui semble indispensable aux entreprises.
Tous ces efforts d’harmonisation sont les bienvenus. Mais avec la future mise en place
de l’ACCIS, on peut se demander s’ils sont toujours nécessaires, l’ACCIS pouvant être vue
comme un moyen de mettre fin à la problématique des prix de transfert (C).
C- Le régime de l’ACCIS : Vers la fin de la problématique des prix de transfert?
Il ne s’agit pas ici de réexpliquer le mécanisme de l’ACCIS (Cf Titre 1, chapitre 1,
Section 3), mais seulement de s’interroger sur le point de savoir si l’ACCIS, souvent
présentée comme un moyen de mettre fin aux problématiques de prix de transfert, y mettra
véritablement un terme.
L’ACCIS suppose une consolidation des résultats de toutes les sociétés du groupe, ce
qui aura pour effet de neutraliser les flux intra-groupe. On peut alors penser qu’il n’y aurait
plus de problématique de prix de transfert. Les choses ne sont, en réalité, pas aussi tranchées.
D’une part, l’ACCIS vise à consolider les résultats de sociétés établies dans des Etats
membres de l’UE, et non dans des Etats tiers. De sorte que la problématique des prix de
transfert ne serait éliminée que pour les groupes ne détenant que des filiales en Europe, et
subsisterait dans les relations entre les sociétés établies en Europe et leurs filiales établies
dans des Etats tiers. Or, le plus souvent, les groupes possèdent aussi bien des filiales en
Europe qu’en dehors. D’autre part, le projet actuel d’ACCIS prévoit que ce dispositif serait
optionnel. Certaines entreprises pourraient alors décider qu’il est plus judicieux pour elles de
ne pas opter pour ce régime. Or, dans pareille hypothèse, la problématique des prix de
transferts ne seraient pas éliminée. Rappelons ici la résolution du Parlement européen du 19
avril 2012 qui envisage de rendre l’ACCIS obligatoire pour les sociétés sauf pour les PME. Si
tel est le cas, le problème des prix de transfert serait résolu au sein de l’UE, mais toujours pas
avec les filiales d’Etats tiers. Les futures évolutions sont donc à suivre de très près.
43
Le dispositif des prix de transfert que l’on vient de présenter permet donc de contrôler
les opérations entre sociétés liées et de sanctionner d’éventuels transferts de masse imposable.
Or si ce mécanisme apparait plutôt efficace dans son ensemble, certains de ces aspects sont en
réalité inadaptés face à des actifs aussi particuliers que les incorporels (Chapitre 2).
44
Chapitre 2 :
L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif inadapté aux incorporels, mais en évolution.
L’actuel dispositif des prix de transfert apparait, face aux spécificités mais également à
la complexité des incorporels, inadapté, et ce, notamment en ce qui concerne l’identification
et la détermination du prix de transfert. Consciente de cela, l’OCDE a proposé un projet dont
l’objectif est justement d’adapter le dispositif des prix de transfert aux incorporels.
Il s’agira ici d’exposer certains de ces aspects en mettant en exergue les difficultés
existantes tout en renvoyant aux pistes proposées dans le cadre du projet OCDE. Ces
difficultés se manifestent tout au long des différentes étapes de détermination du prix de
pleine concurrence : lors de la délicate identification des transactions impliquant l’usage ou le
transfert d’incorporels (Section 1), mais également les difficultés qui peuvent surgir lors de
l’analyse économique (Section 2), de la valorisation des incorporels en vue de déterminer un
prix de pleine concurrence (Section 3), et enfin de la recherche de comparables (Section 4).
Section I- Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’incorporels : Des
transactions délicates à identifier.
L’identification d’un prix de transfert en matière d’incorporels suppose une transaction
impliquant l’usage ou le transfert d’un tel bien. Or cette identification peut s’avérer
problématique.
Outre le problème de l’identification des incorporels eux-mêmes (Cf. supra41
), le
transfert ou l’usage de ce type d’actifs peut être difficilement identifiable, et ce, pour plusieurs
raisons. D’une part, car on se situe dans des transactions entre sociétés liées, or de telles
relations s’avèrent propices à des transferts ou usages plus facilement dissimulables ou à des
conditions que des entreprises indépendantes n’auraient pas acceptées. D’autre part, en raison
même de la nature des incorporels qui les rend d’avantage insaisissables. La combinaison de
ces deux facteurs conduit à ce que, quelques fois, il y ait transfert ou usage d’incorporels sans
qu’aucune transaction ne soit clairement et formellement identifiée. Tel est le cas de la mise à
disposition d’informations au sein du groupe via un site intranet. Cette identification peut
également être rendue plus difficile lorsque l’incorporel utilisé ou transféré ne fait pas l’objet
d’une protection juridique, notamment au titre du droit de la propriété intellectuelle
(exemples : noms commerciaux, savoir-faire, clientèle…). En effet, l’usage ou le transfert
d’un actif immatériel protégé (brevet, marque, droit d’auteur…) sera d’avantage identifiable
que celui d’un incorporel non protégé.
Pour échapper à la sanction des prix de transfert, le transfert doit bien évidemment
porter sur un incorporel ayant une véritable valeur économique. Cette précision, bien
qu’évidente, est cependant importante, car elle permet d’éviter que les sociétés d’un groupe ne
procèdent entre elles à des cessions d’incorporels sans valeur dans le seul dessein de
transférer de la base imposable vers un Etat fiscalement plus avantageux.
Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’un bien incorporel peuvent se
présenter sous différentes formes : cession pure et simple de l’incorporel, concession de
licence… Il ne s’agira pas ici de les présenter toutes, mais simplement quelques unes en vue
41 Titre 1, Chapitre 2, Section 1
45
d’illustrer les difficultés d’identification qui peuvent se présenter. On verra ainsi le cas des
incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs (§1), celui des incorporels
marketings (§2) ainsi que l’hypothèse des restructurations (§3).
1°) Les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs corporels ou
incorporels.
Il est tout à fait possible de transférer un bien incorporel en conjonction avec d’autres
actifs. Un tel transfert peut se faire soit dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une
prestation de service (A), soit lors du transfert d’un ensemble d’incorporels (B).
A- Les incorporels transférés dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une
prestation de services :
Des biens incorporels peuvent être transférés dans le cadre d’une vente de
marchandise ou d’une prestation de service. Pour le cas du transfert en conjonction avec une
vente, on en trouve un exemple lorsqu’une entreprise vend des biens non achevés à une autre
tout en mettant à sa disposition son savoir-faire pour les opérations restant à faire42
, ou encore
lorsqu’une société, propriétaire d’une marque, vend à une autre société distributrice un bien
de cette marque. Pour ce qui est du transfert en conjonction d’une prestation de service, l’une
des hypothèses est celle dans laquelle une société, disposant d’un savoir-faire technique, va
dans le cadre d’une prestation de service à une autre société utiliser ce savoir-faire.
Dans ces circonstances, la question qui se pose est celle de savoir si l’acheteur ou le
bénéficiaire de la prestation de service doit payer, en plus du prix de la vente ou de la
prestation, une redevance complémentaire relative à l’incorporel transféré ou utilisé.
Conformément aux principes de l’OCDE en matière de prix de transfert43
, cela dépend des
circonstances de chaque transaction. Ainsi, si le prix payé inclut la rémunération à verser au
titre de l’incorporel, il semble qu’aucune redevance complémentaire ne soit due. A l’inverse,
si la redevance n’est pas comprise dans le prix, un paiement complémentaire sera nécessaire
pour que le principe de pleine concurrence soit respecté. Il faudra, dans tous les cas, veiller à
ce que le prix total (redevance incluse) n’excède pas le prix qui aurait été convenu entre deux
sociétés indépendantes.
L’OCDE précise, par ailleurs, qu’en présence d’une société située dans un Etat
prélevant une retenue à la source, il faudra, pour le traitement de la redevance au regard de ce
prélèvement, ventiler le prix global afin de déterminer le montant de pleine concurrence de la
redevance qui fera l’objet de la retenue.
L’OCDE prévoit donc des solutions permettant de traiter le transfert d’incorporels
isolés dans le cadre d’une vente ou d’une prestation de service, mais également quand il s’agit
du transfert d’un ensemble d’incorporels (B).
B- Le transfert d’un ensemble d’incorporels :
Il se peut qu’une société transfert un ensemble d’incorporels dans le cadre d’une même
transaction. Tel peut être le cas, si la société concède une licence au titre de tous les droits de
42 Exemple donné dans le chapitre 6 sur les incorporels des principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, 6.17 43 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales, Chapitre 6 « Considérations particulières applicables aux biens incorporels », 6.17
46
propriété industrielle et intellectuelle qu’elle détient44
, ou si une société transfert un brevet de
fabrication d’un produit qui s’accompagne du transfert du savoir-faire et la marque y afférent.
Dans pareille hypothèse, la solution envisagée par l’OCDE est d’examiner séparément
les composantes de l’ensemble pour vérifier le respect du principe de pleine concurrence du
transfert, autrement dit la rémunération doit être examinée séparément pour chaque incorporel
en cause45
. Une fois la rémunération de chaque droit déterminée, il suffira de les additionner
pour obtenir la rémunération globale du transfert. Certains ajustements seront, cependant,
nécessaires pour tenir compte de l’impact de la globalité du transfert. Ainsi, l’acquisition d’un
ensemble de droits peut, entre entreprises indépendantes, se faire selon un prix moindre que
celui résultant de l’addition des prix de chaque droit. Cette méthode, bien que présentant
l’avantage de rendre plus simple l’identification de comparables dans la mesure où de tels
comparables sont plus faciles à trouver face à un droit spécifique que face à une conjonction
de droits tous très différents, ne semble cependant pas adaptée lorsque tous les droits
transférés forment un tout indissociable. Dans ce cas, là, il semblerait qu’une évaluation
globale soit préférable en raison de son plus grand réalisme.
Mais les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs ne sont pas les seuls
transferts pouvant poser des difficultés, le cas des actifs incorporels dits « marketing » mérite
également que l’on s’y attarde (§2).
2°) Le cas particulier des actifs incorporels dits « marketing ».
L’exploitation au niveau local d’un incorporel peut quelque fois donner naissance à un
incorporel marketing, ce concept déjà évoqué supra46
(A) n’est pas sans conséquences en
matière de prix de transfert (B).
A- Le concept d’incorporel marketing :
Les incorporels « marketing » prennent naissance dans l’hypothèse suivante : Une
société décide de commercialiser ses produits par le biais d’une filiale de distribution locale.
Pour cela, la société lui concède une licence d’exploitation de sa marque, voire de son savoir-
faire. Au niveau local, la société distributrice fera un certain nombre de dépenses de publicité,
de marketing, de promotion pour que la marque se développe sur ce marché. Cette activité
permet alors de développer deux incorporels distincts : D’une part, la marque distribuée
puisque cette dernière verra sa valeur augmenter sur le marché local ce qui se répercutera sur
sa valeur globale, d’autre part un droit incorporel marketing au niveau de la filiale lui
permettant d’acquérir des parts de marché ou de conforter sa position et de développer sa
clientèle.
Ces incorporels marketings ont dès lors un impact sur la répartition du profit lié à la
marque entre les sociétés du groupe et donc en matière de prix de transfert (B).
44 Exemple donné dans le chapitre 6 sur les incorporels des principes directeurs de l’OCDE en matière de prix de transfert, 6.18 45 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 « Considérations particulières applicables aux biens incorporels », 6.18 46 Titre 1, Chapitre 2, Section 1, §1, B
47
B- Les enjeux en matière de prix de transfert :
Les incorporels marketing posent directement la question de la répartition du profit lié
à l’augmentation de la valeur de la marque. Conformément au principe de pleine concurrence,
des sociétés liées doivent contracter à des conditions de pleine concurrence c’est-à-dire à
celles qui seraient convenues entre des sociétés indépendantes. Or, entre de telles sociétés, la
filiale de distribution aurait reçu une rémunération au titre des investissements réalisés par
elle. Dès lors, il serait normal que la filiale de distribution liée soit également rémunérée.
Cette rémunération doit tenir compte des dépenses effectuées par la filiale distributrice ainsi
que des risques assumés par celle-ci. Dans l’hypothèse des incorporels marketing, la filiale
doit régulièrement investir et de façon importante pour entretenir son actif incorporel. A
l’inverse, la société propriétaire doit également investir pour entretenir la marque et
notamment sa reconnaissance, mais celle-ci dépérit plus lentement, impliquant ainsi des
investissements sur le long terme. La répartition du surprofit engendré par les investissements
de la filiale distributrice doit donc se faire de façon équitable entre les deux sociétés à raison
des risques qu’elles ont chacune supportés. Dans cette optique, il apparait normal que la filiale
soit rémunérée au titre de ses dépenses.
Le projet de l’OCDE en matière d’incorporels met en exergue les problèmes posés par
les incorporels marketing. Il pose tout d’abord la question de l’existence même de tels
incorporels, s’interrogeant sur le point de savoir si « un distributeur détient un incorporel
secondaire, local, lié mais distinct de la marque »47
. Ce qui aboutit à se demander « quelles
sont les circonstances dans lesquelles une entreprise devrait, dans des conditions de pleine
concurrence, partager les profits générés par l’exploitation d’une marque appartenant à une
autre entreprise, du fait par exemple de l’importance des fonctions qu’elle exerce qui
contribuent au développement de la valeur de ladite marque, et des conditions contractuelles
et économiques dans lesquelles elle exerce ces fonctions ? » 48
. Toutes ces interrogations
amènent à la question de la propriété économique que l’on développe ci-après.
Les incorporels marketing, dont l’importance ne cesse de croître, constituent donc des
hypothèses de transfert et d’usage d’incorporels, au même titre que les opérations de
réorganisation des entreprises (§3).
3°) Le cas des opérations de réorganisation des entreprises.
Les opérations de réorganisation des entreprises liées, qu’il conviendra de définir (A),
peuvent donner lieu à des transferts d’actifs incorporels qui doivent être appréhendés par le
mécanisme des prix de transfert (B)
A- Définition des réorganisations d’entreprises au sens des prix de transfert:
Au sein des principes applicables en matière de prix de transfert figure un chapitre 9
portant sur les aspects prix de transfert des réorganisations d’entreprise49
. Dans le cadre de ce
chapitre, la réorganisation d’entreprise est définie comme le redéploiement transnational par
une entreprise multinationale de ses fonctions, actifs et/ou risques. Ces réorganisations
peuvent consister notamment en la transformation de distributeurs de plein exercice en
distributeurs limités ou en commissionnaires agissant pour une entreprise associée étrangère
47 « Prix de transfert et actifs incorporels : travaux en cours de l’OCDE », Caroline Silberztein, Dr. Fiscal n°20, 19 mai 2011, 344. 48 Ibid 49 Ce chapitre a été introduit le 22 juillet 2010 suite a un projet qui avait été présenté par l’OCDE le19 septembre 2008.
48
qui peut jouer le rôle de donneur d’ordre, en la transformation de fabricants de plein exercice
en sous-traitants ou façonniers, en la centralisation d’actifs incorporels au sein d’une entité du
groupe telle qu’une société holding de propriété intellectuelle, en la rationalisation et/ou
spécialisation d’activités et en la création ou le renforcement d’une entité agissant comme un
entrepreneur principal au sein du groupe.
Ces différentes réorganisations peuvent donner lieu à un transfert d’actifs incorporels,
tels que le transfert de brevets, de savoir-faire, de la clientèle, qui se trouvent dès lors soumis
au contrôle des prix de transfert (B).
B- Enjeux des réorganisations en matière de prix de transfert :
Dès lors qu’une réorganisation d’entreprise donne lieu à un transfert d’incorporels, se
pose automatiquement la question de savoir si ce transfert doit donner lieu à une rémunération
de pleine concurrence. L’OCDE applique le principe de pleine concurrence aux opérations de
réorganisation, aussi bien à la réorganisation elle-même qu’aux opérations post-
réorganisation. Dans ces hypothèses, il faut donc définir une rémunération de pleine
concurrence au titre de la réorganisation et des opérations qui lui seront postérieures. Dès lors,
et de façon classique, les transferts d’incorporels ayant lieu du fait de la réorganisation
devront être identifiés et rémunérés correctement, et leur exploitation par la nouvelle entité
détentrice donnera elle aussi lieu à l’application d’un prix de pleine concurrence, notamment
si elle concède une licence d’exploitation dessus. A titre d’exemple, la centralisation d’actifs
incorporels au sein d’une holding de propriété intellectuelle suppose une rémunération de ce
transfert conforme au principe de pleine concurrence, mais également que ce principe soit
respecté dans le cadre de l’exploitation desdits incorporels par la holding notamment par le
biais de licences.
Une fois le transfert ou l’usage d’un incorporel identifié, la société doit procéder à une
analyse économique, qui constituera le socle de la détermination du prix de pleine
concurrence, et qui là encore s’avère relativement délicate face à la complexification des
structures d’exploitation des incorporels (Section 2).
Section II- L’analyse économique en matière d’incorporels : Une analyse difficile face à
la complexité des structures d’exploitation des incorporels.
L’analyse économique constitue une étape fondamentale dans la détermination d’un
prix de transfert de pleine concurrence. Elle consiste en une analyse précise de la situation des
entreprises liées, analyse qui permettra non seulement de trouver la méthode adéquate de
détermination du prix, mais qui constituera également un préalable fondamental à
l’identification de transactions comparables afin de s’assurer de la conformité du prix retenu
au prix de pleine concurrence (elle délimitera le champ de la recherche de comparables que
l’on étudiera par la suite50
). Cette étape joue un rôle clé dans l’allocation des revenus au sein
du groupe et, par voie de conséquence, sur la répartition du droit d’imposer entre les Etats.
L’importance de l’analyse économique explique ainsi que son déroulement soit
relativement encadré par les principes applicables en matière de prix de transfert édictés par
l’OCDE, qui comportent une partie intitulée « guide pour l’application du principe de pleine
50 Titre 2, Chapitre 2, Section 4.
49
concurrence »51
exposant les différents facteurs de cette analyse. Cependant, face à la
complexification croissante des structures d’exploitation des incorporels, l’application de ces
critères ne s’avère pas toujours facile (§1), et ce, particulièrement lors de l’analyse
fonctionnelle qui constitue l’une des étapes les plus délicates (§2).
1°) Les critères de l’analyse économique et leur application en matière
d’incorporels :
Aux termes des principes OCDE, il existe cinq facteurs de comparabilité qui sont donc
mis en œuvre dans le cadre de l’analyse économique : Les caractéristiques des biens (A),
l’analyse fonctionnelle, les clauses contractuelles (B), les circonstances économiques (C) et
les stratégies d’entreprise (D), qui ne sont pas limitatifs. Il s’agira d’exposer ici chacun de ces
critères, afin d’exposer leur application en présence d’incorporels, à l’exception de celui de
l’analyse fonctionnelle qui requiert des développements particuliers (Cf. infra : §2).
A- Les caractéristiques des biens:
Les caractéristiques des biens constituent l’un des facteurs de comparabilité à prendre
en compte dans le cadre de l’analyse économique. Il convient, en effet, de cerner le bien objet
de la transaction donnant lieu à un prix de transfert, pour pouvoir analyser par la suite sa
comparabilité avec un autre bien, et même justifier une éventuelle différence de valeur (les
biens n’étant pas souvent similaires, spécialement en matière d’incorporels).
Cette analyse des caractéristiques suppose de regarder, notamment, la nature de la
transaction en cause (s’agit-il d’une cession, d’une concession de licence…), le type d’actif
(brevet, marque, savoir-faire…), la durée, la nature ainsi que l’étendue de la protection dont
bénéficie cet incorporel (marque ou brevet déposés, savoir faire ne donnant pas lieu à un droit
de propriété exclusif et opposable mais protégé sur le fondement de la concurrence
déloyale…), la notoriété (notamment en présence d’une marque), le potentiel de
profitabilité… Autant d’éléments qui permettent de tracer les contours du bien.
Il est cependant difficile d’identifier des biens exactement comparables en matière
d’incorporels du fait de la forte spécificité de ce type d’actif. Par ailleurs, de façon plus
générale, l’importance de ce facteur varie selon la méthode de détermination choisie : S’il est
particulièrement important en cas de mise en œuvre de la méthode du prix comparable sur le
marché, son importance est moindre dans le cadre de celle reposant sur une marge nette.
Toujours est-il que cette étape reste importante et permet de définir précisément le bien qui
s’inscrit dans une transaction dont les clauses contractuelles jouent également un rôle notable
(B).
B- Les clauses contractuelles :
Les clauses contractuelles sont déterminantes dans l’analyse de comparabilité et sont
très fortement liées à l’analyse fonctionnelle (Cf infra) dans la mesure où elles « définissent,
expressément ou implicitement, les modalités de répartition des responsabilités, des risques et
51
Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.
50
des bénéfices entre les parties »52
. Les éléments contractuels pris en compte sont, notamment,
les conditions du paiement, le volume de la transaction, les garanties fournies, la durée du
contrat, les conditions de fin du contrat et de renouvellement, les clauses d’exclusivité…
Toutes ces clauses ont une influence sur la profitabilité de la transaction, et doivent donc être
prises en compte.
L’analyse des clauses contractuelles se heurtent cependant parfois, et spécialement
entre entreprises liées, à l’absence d’un contrat écrit. Les relations intra-groupe ne donnent, en
effet, pas toujours lieu à l’élaboration d’un contrat écrit. Dans ce cas, l’OCDE prévoit la
possibilité de se référer à la correspondance et aux communications ayant eu lieu entre les
parties, et même au comportement des parties et « aux principes économiques qui régissent
habituellement les relations entre entreprises indépendantes ».
Les clauses contractuelles conditionnent l’opération économique mise en œuvre entre
les sociétés, et donc la répartition des rémunérations qui doit en résulter et la fixation du prix
de pleine concurrence. Cette importance se retrouve ainsi en jurisprudence où des différences
sur la monnaie de référence, sur les volumes des ventes, sur les années en cause ont été
sanctionnées53
.
Par ailleurs, les clauses contractuelles sont propres à chaque contrat et à la relation
commerciale sous-jacente. En effet, en fonction des parties en cause, les conditions peuvent
significativement différer, et ce, particulièrement en matière d’entreprises liées et
d’incorporels. Chaque contrat est lié à l’actif qui en fait l’objet et aux relations entre les
parties. Il peut, ainsi, arriver qu’une filiale bénéficie d’une réduction de la redevance qu’elle
paye pour l’exploitation d’une marque lorsque, en contrepartie, la société mère laisse à sa
charge des dépenses de publicité ou de marketing. Dès lors, la redevance ne peut être remise
en cause du simple fait qu’elle est supérieure au prix « normal », puisqu’une contrepartie
existe à cette réduction. Les conditions contractuelles doivent être prises en compte dans leur
ensemble. Or là encore, la matière des incorporels fournit pléthore de combinaisons possibles,
ramenant toujours à l’idée de la difficile comparabilité de telles transactions. Transactions qui
sont d’ailleurs fortement influencées par les circonstances économiques (C).
C- Les circonstances économiques :
Même lorsque deux transactions portent sur le même bien, il ne faut pas négliger les
circonstances économiques de la transaction. Le principe de pleine concurrence suppose, en
effet, de déterminer un prix que des entreprises indépendantes auraient accepté. Or ce prix est
fortement impacté par l’environnement économique de l’entreprise et donc par ses conditions
de marché. L’analyse des circonstances économiques passent alors par la détermination du
marché pertinent, mais également du positionnement de l’entreprise au sein de celui-ci.
Le marché pertinent doit être déterminé aussi bien géographiquement que
temporellement, et tenir compte de l’offre et la demande. Il peut, en effet, y avoir une pluralité
de marchés pour un même bien. Il faut donc identifier le marché de référence. Ce marché se
définit par rapport aux biens en cause (ainsi, une marque peut être fortement connue sur un
marché et, au contraire, très peu présente sur un autre), par rapport aux années en cause (un
bien peut être très présent sur un marché et quelques années après avoir été évincé par de
nouveaux concurrents, de sorte que le marché pertinent ne sera pas le même selon les années
52
Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.1.2.3, 1.52 53 CAA Nancy 26 janvier 1995, n°92-240, SARL Moulin de la Chée, RJF 95 n°712.
51
considérées). Il peut également poser la question de l’opposition entre marché local et
mondial : Certains biens incorporels, tels que des marques (Coca-Cola…) ou des logiciels
(Microsoft, Apple…), sont mondialement connus et donc se situent sur un marché mondial,
alors que d’autres peuvent, au contraire, n’être connus que localement (Leader Price…). La
notion de marché n’étant bien évidemment pas statique mais évolutive. Ainsi, une marque
locale peut conquérir de nouveaux marchés et devenir mondialement connue, de sorte que le
marché de référence évoluera. Tous ces facteurs permettent de déterminer le marché de
référence, et de justifier des écarts de rémunération. L’arrêt Cap Gemini du Conseil d’Etat
illustre parfaitement cette idée de marché pertinent et de son évolution54
. Le marché pertinent
se délimite également par l’offre et la demande. Sont alors pris en considération le type de
clients, le pouvoir d’achat et les habitudes culturelles des consommateurs sur le marché, ainsi
que le volume des transactions réalisées. On peut également citer ici la récession du marché
en cause 55
ou, au contraire, son expansion.
Il convient, en outre, une fois le marché délimité, de tenir compte de la position de
l’entreprise sur ce dernier par le biais de différents indicateurs : les parts de marché de
l’entreprise, la concurrence existant sur le marché et le développement de produits de
substitution…
Tous ces éléments conduisent donc à déterminer la position économique de
l’entreprise en question, permettant de fixer une rémunération de pleine concurrence et de
justifier d’éventuels écarts. Cela permet de procéder à des ajustements de comparabilité et
d’établir un cadre pour, ensuite, procéder à la recherche de comparables (Cf infra : Section
IV), recherche qui est aussi impactée par les stratégies mises en œuvre par l’entreprise (D).
D- Les stratégies d’entreprise :
Les stratégies des entreprises peuvent avoir un impact sur les prix pratiqués par ces
dernières, et doivent donc être prises en considération dans le cadre de la détermination du
prix de pleine concurrence. Une entreprise mène, en effet, une stratégie sur le moyen ou long
terme, ce qui exclut donc d’avoir une vision trop court-termiste de ses prix. Dans le cadre de
sa stratégie, la société peut mettre en place des conditions divergentes de celles pratiquées sur
un marché de pleine concurrence, mais qui sont fondées sur une réalité économique sous-
jacente.
Différentes stratégies des entreprises peuvent être prises en compte : la pénétration
d’un marché (qui peut, entre autres, supposer un prix inférieur au prix « normal »), le maintien
sur un marché, la recherche de gain de nouvelles parts de marché, la mise en place de
nouveaux produits, la diversification des activités, la reconversion de la société ou même sa
sortie, ainsi que tous ceux ayant une incidence sur le fonctionnement quotidien des
entreprises. Tous ces facteurs peuvent justifier des différences de prix entre des transactions
comparables : la société mettant en œuvre la stratégie se retrouvant, le plus souvent, avec des
bénéfices moindres et des coûts plus élevés. Il est dès lors normal que la stratégie soit intégrée
à l’analyse économique, dans la mesure où elle impacte le prix et l’analyse de comparabilité.
54 CE 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, 3e et 8 s., min c/ Sté Cap Gemini : Le Conseil d’Etat reprochait à l’administration de s’être « bornée pour établir l'existence d'un avantage consenti par une société mère à ses filiales étrangères, à se référer aux redevances perçues par la société mère de ses filiales françaises au cours des années en litige ou à celles perçues de ses filiales étrangères au cours d'années postérieures, n'établit pas que la société mère, en ne percevant aucune rémunération de ses filiales étrangères pour l'utilisation d'une marque et d'un logo, leur avait ainsi consenti un avantage alors que cette marque et ce logo dont la valeur est susceptible de varier en fonction du temps ou du marché,
étaient alors peu connus sur les marchés des filiales étrangères, parfois issues du rachat d'entreprises y ayant associé leur propre marque ». 55 CAA Paris 29 juin 1993, Enka France.
52
Cependant, bien que devant être prise en compte, la stratégie de l’entreprise peut
s’avérer discutable et discutée au regard du principe de pleine concurrence, et ce, notamment
dans l’hypothèse où elle s’avère infructueuse pour l’entreprise et qu’elle est tout de même
poursuivie par cette dernière au-delà de ce qu’une entreprise indépendante aurait accepté. Il
convient ici de se demander si une telle entreprise « aurait été disposée à sacrifier ses
bénéfices pendant une période similaire dans les mêmes conditions économiques et de
concurrence »56
. Si tel n’est pas le cas, on pourrait estimer que le principe de pleine
concurrence n’est pas respecté et que le prix ne pouvait être réduit d’autant.
Au regard de tous ces éléments, on voit bien que l’analyse économique constitue une
étape importante dans la détermination de la méthode applicable, mais également dans un but
de comparabilité. Si les différents facteurs que l’on vient d’exposer comportent des
spécificités en matière d’incorporels, c’est l’étape de l’analyse fonctionnelle qui pose dans ce
domaine le plus de difficultés (§2).
2°) L’analyse fonctionnelle : Une étape particulièrement complexe en matière
d’incorporels.
L’analyse fonctionnelle fait partie des cinq facteurs de comparabilités dégagés par
l’OCDE. Mais cette étape appelle une description séparée des autres tant sa mise en œuvre est
fondamentale et délicate en présence d’incorporels.
« L’analyse fonctionnelle consiste pour l’entreprise à s’interroger sur sa place et son
rôle économique au sein du groupe, et à recenser les fonctions exercées, les risques encourus
et les actifs corporels et incorporels utilisés »57
. A chaque fonction, chaque risque et chaque
actif correspond une rémunération particulière. L’analyse fonctionnelle constitue donc le
socle de la détermination du prix de pleine concurrence et, par conséquent, du choix de la
méthode pertinente. Mais deux autres enjeux ressortent de cette phase : D’une part, elle
permet, avec tous les autres facteurs, de dresser le profil de la société liée et de dégager ainsi
un cadre pour l’analyse des comparables, d’autre part, elle permet d’identifier une éventuelle
transaction qui n’aurait pas été rémunérée. L’analyse fonctionnelle permet donc de déterminer
le rôle économique de chacune des sociétés parties à la transaction en cause. Elle conduit à
une distinction entre les activités dites de routine qui ont une moindre importance et
l’entrepreneur principal qui constitue l’entité principale. Cependant, face à la complexité de la
matière des incorporels mais également à la complexification des structures qui les créent et
les exploitent, l’identification de cet entrepreneur principal s’avère quelques fois difficile (A),
ce qui explique que, pour pallier à cela, la pratique ait de plus en plus recours à la notion de
propriété économique (B).
A- La difficile identification de l’entrepreneur principal :
La notion d’entrepreneur principal, qui n’est pas explicitement reconnue dans les
principes de l’OCDE, est définie par l’administration fiscal comme « L’entreprise qui assume
les risques principaux (qu’ils se concrétisent ou non) et qui prend les décisions
stratégiques»58
. L’entrepreneur principal se distingue donc des activités de routines, qui
constituent des activités de moindre importance dans l’exploitation d’un incorporel, et qui de
56 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 1 « Le principe de pleine concurrence », D.1.2.5, 1.63 57 Définition donnée par le guide pratique de l’administration à l’usage des PME (Bien que s’adressant aux PME, ce guide comporte un certain nombre de remarques générales applicables à toutes les entreprises et pas seulement aux PME). 58 Ibid
53
ce fait, ont vocation à une rémunération moindre. Il y a donc une dichotomie entre
entrepreneur principal et fonction de routine qui s’explique par la nécessité d’identifier la
rémunération de pleine concurrence revenant à chacun. En effet, la méthode de prix de
transfert doit permettre de fixer le profit qui est attribuable aux activités de routine,
l’entrepreneur principal ayant vocation à recevoir le profit résiduel.
L’entrepreneur principal n’est identifié qu’à l’issue de l’analyse fonctionnelle. Pour
procéder à son identification, il faut analyser les fonctions, les risques et les actifs utilisés par
chaque entité partie au processus. Il faut donc, dans un premier temps, procéder à l’analyse
des fonctions qui peuvent être diverses. A titre d’exemple, on peut citer la conception, la
recherche et développement, la fabrication, les prestations de services, la distribution, la
commercialisation, la sous-traitance, la publicité, la gestion, la cession, concession ou mise à
disposition d’un incorporel… Dans un second temps, il doit être procéder à l’analyse des
risques, qui peuvent être des risques de marché (tels que les variations des coûts des moyens
de production et du prix des produits (variation du prix des matières premières par
exemple)…), les risques liés à la gestion des stocks, les risques liés aux investissements (biens
meubles ou immeubles, installations…), les risques financiers (variation des taux de change et
des taux d’intérêt), les risques de crédit… Enfin, il faut recenser les actifs corporels et
incorporels utilisés dans le cadre de la transaction en cause en tenant compte du type d’actif
(dans le cadre des incorporels : brevet, marque, savoir-faire, nom commercial…) et de ses
caractéristiques (en matière d’incorporels : leur importance économique, leur protection, la
stratégie, la renommée…).Une fois ces étapes franchies, il est possible de distinguer les
fonctions de routine et de leur attribuer une rémunération, ainsi que l’entrepreneur principal.
L’entrepreneur principal apparait finalement comme la fonction la plus importante que le
groupe ne serait pas prêt à déléguer, à sous-traiter.Mais, cette identification s’avère en réalité
plus difficile en matière d’incorporels.
Tout d’abord, il convient de souligner que dans certaines structures mettant en œuvre
des incorporels, la notion d’entrepreneur principal ne présente pas grand d’intérêt : Tel est le
cas notamment dans le cadre des accords de répartition des coûts.
Par ailleurs, la difficulté d’identification de cet entrepreneur peut se présenter dans le
cadre d’opérations de restructuration impliquant des actifs incorporels : il est fréquent qu’il y
ait un transfert de risques d’entités opérationnelles vers un entrepreneur principal (notamment
lors de la transformation de distributeurs de plein exercice en distributeurs limités ou en
commissionnaires). Ce transfert, mais également les opérations post-restructuration, doivent
répondre au principe de pleine concurrence, et supposent dès lors une analyse fonctionnelle
qui s’avère d’autant plus compliquée face à la complexité voire à une certaine opacité de ces
opérations.
En réalité, c’est surtout l’éclatement de la propriété et de l’exploitation des incorporels
qui pose problème. Les modèles classiques de gestion centralisée ont laissé place à des
exploitations décentralisées, dans lesquelles l’identification d’un entrepreneur principal peut
s’avérer très complexe. Ainsi, lorsqu’une marque est détenue de manière centralisée par une
société (qui en détient donc la propriété juridique), mais que cette marque est déclinée au
niveau local par une autre entité du groupe, cette dernière supportant d’importants coûts, peut-
on véritablement distinguer de façon classique l’entrepreneur principal et l’activité de
routine ? Certes l’entité locale ne détient pas la propriété de l’actif et n’en assume pas
pleinement le risque de sorte qu’elle ne peut être considérée comme un entrepreneur principal,
mais elle supporte tout de même des coûts qui peuvent être importants et surtout elle porte
cette marque, elle la développe. Dès lors, on ne peut lui nier une rémunération plus importante
que celle revenant classiquement à une activité de routine. Or, face à de tels schémas, la
54
notion d’entrepreneur montre ses limites. Ce qui explique que la pratique ait recours à
d’autres notions telles que la propriété économique (B).
B- L’importance croissante de la notion de propriété économique :
La pratique utilise de plus en plus fréquemment la notion de propriété économique
dans le cadre des prix de transfert. Ainsi, l’entreprise liée peut se fonder sur ce concept en vue
de distribuer entre différentes entités ayant participé ensemble au développement d’un
incorporel les bénéfices générés par ce dernier. Mais cette notion a également son importance
pour l’administration fiscale qui peut s’en servir pour fonder des redressements dans des
hypothèses de délocalisation d’actifs où le propriétaire juridique du bien se trouve à l’étranger
mais que le propriétaire économique se situe sur son territoire.
Malgré sa grande utilité, cette notion reste floue. Les principes de l’OCDE y font
expressément référence concernant le cas des incorporels commerciaux59
, sans pour autant la
définir. A noter que ce concept est également reconnu au niveau européen dans des matières
autres que celle des prix de transfert60
.
La problématique de la propriété économique se pose lorsque plusieurs sociétés d’un
groupe contribuent au développement d’un même incorporel sans pour autant en détenir la
propriété. Dès lors que chacune de ces entités subit des coûts et des risques au titre de l’actif,
il est légitime qu’elle perçoive une rémunération à ce titre correspondant à une partie du
bénéfice généré par cet actif, et ce, même si elle n’est pas juridiquement propriétaire de
l’actif. Comme on l’a déjà dit plusieurs fois, cela est très fréquent en matière de marque : une
filiale qui supporte des coûts de publicité ou de marketing pour développer sur son marché la
marque dont elle distribue les produits, ou même de façon plus nette encore lorsqu’une
marque non reconnue sur un marché local vient se substituer à une marque qui elle est
fortement connue localement, et donc bénéficier de sa forte implantation (clientèle, parts de
marché, notoriété…) ce qui est incontestablement une valeur ajoutée à la marque comme le
montre la décision Maruti Suzuki de la Cour Suprême Indienne61
.
Dans ces hypothèses, on distingue alors deux propriétés : la propriété juridique du bien
qui revient à la société titulaire du « titre de propriété » (brevet, dépôt de la marque…) et la
propriété économique qui revient à la filiale ayant contribué au développement de l’incorporel
et à sa valorisation. Il semble donc qu’il existe une propriété juridique du titre qui se combine
avec une propriété économique portant sur la substance du bien. Cette répartition fonde la
répartition de la valeur entre les entités concernées62
.
Se pose alors la question de savoir ce que recouvre exactement cette notion de
propriété économique. Dans un sens général (non spécifique aux prix de transfert), la doctrine
tend à considérer que la propriété économique se définit quant à son contenu : la propriété
économique constituerait donc « l’appropriation effective de la substance économique de la
chose »63
. En matière de prix de transfert plus spécifiquement, Jean-Frédéric Maraia estime
que la propriété économique découle du principe de pleine concurrence et « considère que le
59 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 : Considérations particulières applicables aux biens incorporels, B1, 6.3 60 En matière de TVA : CJCE 8 février 1990, n° 320/88, 6e ch., SAFE Rekencentrum BV ; En matière d’aides d’Etat : Commission 2000/735/CE, 21 avril 1999 61 Un exemple très intéressant d’un tel cas est celui de Décision de la Cour Suprême Indienne du 1er octobre 2010, Maruti Suzuki India Ltd vs Additional Commissionner. Cf supra : Titre 1, chapitre 2, Section 1, §1, B, 2. 62 « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? », Isabelle Rouberol, Droit fiscal n°27, 7 juillet 2011, 410. 63 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? ».
55
régime d’attribution des risques lors du développement de l’incorporel constitue un élément
central de l’attribution de la propriété économique. Il en conclut que la notion de propriété
économique garantit l’adéquation de l’attribution des profits avec la réalité des efforts
économiques engagés par chacun »64
. Selon Isabelle Rouberol, « la propriété économique
constitue l’appropriation de la substance économique d’un incorporel et cette appropriation
résulte des efforts entrepris, des fonctions et des risques assumés »65
. A noter que cet auteur
propose toute une réflexion intéressante sur le fondement d’une telle conception en droit
français, estimant que la propriété des marques pourrait trouver son fondement dans le
concept d’accession mobilière66
.
La propriété économique constitue donc une institution originale, qui est d’une grande
utilité en pratique, et qui permet de pallier à la carence du concept d’entrepreneur principal
dans certaines hypothèses biens précises. L’importance de cette notion mais également sa
difficile appréhension se retrouvent d’ailleurs dans les travaux actuels de l’OCDE sur la
réforme des prix de transfert en matière d’incorporels, qui s’interrogent justement sur cette
notion et sur la nécessité de la clarifier notamment en recherchant des facteurs à prendre en
compte pour la définir : fonctions, permanence, contrôle, risques, coûts…
Au vue de tous ces éléments, on constate donc que l’analyse économique des sociétés
liées s’avère très délicate en matière d’incorporels tant ces biens sont particuliers. Elle doit
donc, dans ce domaine, être menée avec la plus grande attention, et ce, d’autant plus qu’elle
constitue le fondement du choix de la méthode de détermination du prix de pleine
concurrence (Section 3).
Section III- Le prix de pleine concurrence et la difficile valorisation des incorporels.
Sur la base de l’analyse économique, l’entreprise doit choisir librement la méthode de
détermination du prix qu’elle estime la plus pertinente, la plus adaptée aux circonstances pour
que la rémunération alors pratiquée soit conforme au principe de pleine concurrence, et soit
donc à l’abri d’une remise en cause par l’administration fiscale. De telles méthodes sont
prévues par l’OCDE dans ses principes applicables aux prix de transfert. Le droit français ne
prévoit, en effet, pas de méthodes précises et renvoie aux principes de l’OCDE. Or, ces
méthodes apparaissent inadaptées à des biens aussi uniques et importants que les incorporels
(§1), d’où la nécessité de recourir à des méthodes financières (§2).
1°) L’inadaptation des méthodes classiques.
L’OCDE propose, dans ses principes, cinq méthodes pour déterminer un prix de pleine
concurrence. Cette liste est non limitative. Il n’existe pas de hiérarchie entre ces différentes
méthodes, il convient juste de trouver la méthode la plus appropriée. Il est, par ailleurs,
possible de les utiliser conjointement, permettant ainsi d’obtenir un résultat plus fiable. Mais
cela représente une charge trop lourde pour le contribuable. Les méthodes OCDE se divisent
en deux catégories : les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions (A) et les
méthodes transactionnelles de bénéfices (B).
64 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? » ; « Prix de transfert des biens incorporels : droit fiscal suisse et international », Jean-Frédéric Maraia. 65 Ibid « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des marques ? ». 66 Pour plus de détails, cf « Prix de transfert : l’accession mobilière, un fondement légal de la propriété économique des
marques ? ».
56
A- Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions :
Il existe trois méthodes traditionnelles fondées sur les transactions que l’on présentera
ici brièvement.
1- Méthode du prix comparable sur le marché libre :
La méthode du prix comparable (« Comparable Uncontrolled Price », CUP) est celle
consistant à comparer le prix d’un bien ou d’un service transféré dans le cadre d’une
transaction contrôlée à celui d’un bien ou d’un service transféré dans des conditions
comparables67
. Cette technique suppose donc une comparabilité élevée des transactions, et
donc des comparables externes ou internes. Or, en matière d’incorporels, cela s’avère très
difficile. Si la société en cause a déjà procédé à une transaction comparable avec une autre
société du groupe ou une société extérieure, on dispose alors d’un comparable interne.
Cependant, il convient de souligner ici la méfiance de l’administration fiscale quant aux
comparables internes. Dans l’hypothèse où de tels comparables n’existent pas, il faut recourir
à des comparaisons externes. Ce qui s’avère particulièrement complexe tant les incorporels
constituent des biens uniques et tant les relations qui les entourent sont particulières. Il est, en
effet, rare de trouver deux brevets entièrement comparables par exemple. Il faudra alors
procéder à des ajustements pour lisser ces différences, et parvenir à la rémunération de pleine
concurrence, ce qui laisse planer une certaine incertitude. Malgré tous ces inconvénients, cette
méthode reste tout de même d’un usage relativement courant en matière d’incorporels tant par
l’entreprise que par l’administration fiscale.
2- Méthode du prix de revente (ou resale minus) :
Cette méthode prend comme point de départ le prix auquel un produit acheté à une
entreprise associée est revendu à une entreprise indépendante. Il faudra ensuite retrancher de
ce prix de revente une marge brute appropriée représentant le montant sur lequel le revendeur
couvre ses frais de vente, ses dépenses d’exploitation et réalise un bénéfice convenable en
rapport avec les fonctions qu’il assume68
. Sa mise en œuvre suppose de procéder à la
comparaison entre la marge brute générée sur la vente intra-groupe d’un bien ou d’un service
avec celle qui serait réalisée dans des conditions comparables. Là encore on retrouve la
possibilité de se référer à un comparable interne ou externe. Cette méthode est envisageable
en matière d’incorporels, notamment lorsque l’incorporel fait l’objet d’une licence ou d’une
sous-licence à un tiers, où là un comparable plutôt fiable sera identifié. Mais si une telle
transaction n’existe pas, cette méthode ne semble pas tout à fait adaptée aux actifs incorporels
dans la mesure où elle conduit à une évaluation groupée de l’incorporel et du prix du produit,
et donc à une difficile séparation des deux.
3- Méthode du prix de revient majoré (ou cost plus) :
Cette méthode consiste à déterminer, pour les biens ou services transférés à un
acheteur apparenté, les coûts supportés par le fournisseur dans le cadre d’une transaction entre
entreprises associées. On ajoute alors au prix de revient une marge brute approprié aux coûts,
de façon à obtenir un bénéfice approprié aux fonctions exercées et aux conditions du
67 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2 : Méthodes de prix de transfert, B1, 2.13 68 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des
administrations fiscales, Chapitre 2 : Méthodes de prix de transfert, C1, 2.21
57
marché69
. Il convient donc de comparer la marge sur le prix de revient du fournisseur dans le
cadre des transactions intra-groupe et la marge de ce fournisseur ou d’un autre fournisseur
similaire dans le cadre de transactions non contrôlées. On peut là encore utiliser des
comparables internes ou externes. Ici les mêmes problèmes se posent que dans la méthode du
prix de revente (absence de comparables fiables et difficulté à dissocier le produit et
l’incorporel).
L’OCDE prévoit une seconde catégorie de méthodes : les méthodes transactionnelles
de bénéfices (B).
B- Les méthodes transactionnelles de bénéfices :
Les méthodes transactionnelles de bénéfices recouvrent, dans les principes de
l’OCDE, deux méthodes particulières : La méthode transactionnelle de la marge nette et la
méthode du partage des bénéfices.
1- Méthode transactionnelle de la marge nette :
Cette méthode repose sur l’identification, à partir d’une base appropriée (coûts, ventes,
actifs…), de la marge bénéficiaire nette que réalise un contribuable au titre d’une transaction
contrôlée70
. Une fois cette marge déterminée, il s’agit de la comparer à la marge bénéficiaire
nette que réalisent des sociétés similaires. Elle suppose une comparabilité moindre que les
méthodes du prix comparable, du prix de revente et du prix de revient, et apparait plus simple.
2- Méthode du partage des bénéfices (Profit split) :
La méthode du partage des bénéfices consiste à identifier les bénéfices provenant des
transactions contrôlées (bénéfices, mais également pertes), et à les partager entre les
entreprises associées en fonction d’une base économiquement valable qui se rapproche du
partage des bénéfices qui aurait été prévu dans un accord de pleine concurrence c’est-à-dire
entre entreprises indépendantes71
. Cette méthode tend donc à supprimer l’influence des
conditions spéciales existant entre entreprises liées en déterminant la répartition qu’auraient
acceptée de telles entreprises si elles avaient réalisé la transaction en question. Cette méthode
s’avère particulièrement avantageuse lorsque des transactions comparables entre entreprises
indépendantes ne peuvent être identifiées, et reflète la réalité des transactions intra-groupe.
Le profit consolidé permet, en effet, de distinguer deux éléments fondamentaux : D’une part,
le profit routinier c’est-à-dire celui rémunérant les fonctions standard (qui peut être,
notamment, la rémunération d’un concessionnaire), et d’autre part le surprofit généré par
l’incorporel (goodwill) et par l’organisation de la société, l’un et l’autre étant attribués aux
différentes entreprises en fonction de leur contribution (sur la base de leurs fonctions, leurs
risques et leurs ressources). Cette méthode a donc l’avantage d’être pragmatique, et
économiquement viable. Cependant, son application s’avère compliquée, notamment car elle
suppose une analyse économique complexe.
69Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, D1, 2.39 70 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, B1, 2.58 71 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 2: Méthodes de prix de transfert, C1, 2.108
58
L’exposé des différentes méthodes illustre l’inadéquation des méthodes proposées par
l’OCDE aux biens incorporels. Ces dernières reposent très souvent sur une exigence de
comparabilité qui, en pratique, s’avère très difficile à mettre en œuvre tant les incorporels
présentent des caractères spécifiques et que les informations disponibles en la matière
manquent. Pour pallier à cette inadaptation, il est alors possible de recourir à des méthodes
financières (§2).
2°) Le recours à des méthodes financières, comme réponse à cette inadaptation.
Les praticiens ont souvent recours à des méthodes financières pour valoriser un
incorporel dans le cadre des prix de transfert. Il n’existe pas de consensus sur l’applicabilité
de ses méthodes ni même sur la façon de les appliquer. Mais l’OCDE mène actuellement une
réflexion sur ce sujet. On peut distinguer trois principales méthodes : la méthode des multiples
(A), la méthode des coûts (B), ainsi que la méthode « Discounted cash flows » (C).
A- La méthode des multiples (ou des comparables):
La méthode des multiples consiste à apprécier la valeur d’un actif en fonction de
multiples observés à raison d’entreprises comparables. Il s’agit de déterminer, dans un
premier temps, un panel de sociétés comparables à la société en cause, selon différents
critères. Autrement dit, d’observer des sociétés détenant des incorporels comparables à ceux
de la société visée par les prix de transfert (sociétés détenant des incorporels similaires, ayant
une activité, un positionnement géographique et une rentabilité comparables). Dans un second
temps, au regard du panel retenu, on détermine des ratios comptables, économiques,
financiers pertinents qui sont le reflet de la rentabilité de l’actif dans ces différentes sociétés.
On applique alors ces ratios à l’actif en cause, avec éventuellement des ajustements pour tenir
compte des différences pouvant exister entre les sociétés. On applique « aux agrégats
financiers spécifiques de l’actif à évaluer les multiples de valorisation observés pour des
transactions récentes sur des actifs comparables »72
. On aboutit ainsi à la valorisation de
l’actif incorporel par comparaison avec la valorisation d’incorporels semblables détenus par
d’autres entreprises observée lors de récentes transactions.
Cependant, cette méthode (très fréquente en matière d’évaluation d’entreprise) n’est
généralement pas retenue en matière d’actifs incorporels, non seulement car l’information sur
des incorporels comparables manque (et ce, d’autant plus qu’il s’agit de la rentabilité d’un
actif précis et non de la société en général), mais également car une telle comparaison ne
s’avère pas toujours pertinente en raison des spécificités des incorporels qui influent
directement sur leur rentabilité et qui ne peuvent pas toujours être corrigées par de simples
ajustements. D’où l’utilité d’autres méthodes telles que la méthode des coûts (B).
B- La méthode des coûts :
La méthode des coûts part du postulat qu’il existe un lien entre les coûts et la valeur.
Elle consiste à déterminer la valeur d’un actif incorporel par la capitalisation de tous les coûts
qu’il a engendrés depuis son acquisition ou sa création73
. On additionne donc tous les coûts
relatifs à cet incorporel : coûts de création, coûts de développement, coût du maintien…
72 « Prix de transfert et évaluation d’incorporels : les principes fiscaux aux secours de la finance », Antoine Glaize, Source : www.arsene-taxand.com 73 Ibid
59
Cette méthode n’est cependant pas sans limites. D’une part, elle ne semble pas tenir
compte de la variation de la valeur de la monnaie dans le temps (à moins de prévoir des
actualisations dans ce domaine). D’autre part, le recours aux coûts lui-même est critiquable. Il
n’est, en effet, pas toujours possible de distinguer de façon précise les coûts liés à un actif
particulier, et ce, d’autant plus si cet actif est ancien. Par ailleurs, le fait de se fier aux coûts
des incorporels à partir de la comptabilité de la société, c’est-à-dire à partir des coûts
historiques, ne permet pas de déterminer exactement la valeur de l’incorporel aujourd’hui, le
principe du coût historique n’étant pas toujours pertinent, et un incorporel pouvant avoir une
valeur bien supérieure à sa valeur en comptabilité. Pour une plus grande pertinence, il faudrait
combiner cela avec une évaluation des revenus générés par l’incorporel (C).
C- La méthode “Discounted cash flows”:
La méthode “Discounted cash flow” (DCF) consiste à prendre en compte les flux
futurs de trésorerie (cash flows) susceptibles d’être générés par l’actif incorporel et de les
actualiser par le biais d’un taux d’actualisation tenant compte de divers facteurs (risques,
inflation…). Cette méthode part du principe que la valeur d’un incorporel repose sur les
revenus qu’il génère et qu’il est capable de générer dans le futur. Mais également sur le
postulat que cette valeur fluctue dans le temps, d’où l’actualisation. Cette méthode très
fréquemment utilisée par les praticiens semble faire partie des plus pertinentes. La prise en
compte du potentiel de profit de l’actif est, en effet, économiquement juste (contrairement à la
méthode des coûts).
Mais cette méthode repose sur des projections de flux futurs. Or il n’est pas certain
que ces prévisions se réaliseront par la suite. Aussi, il convient d’être particulièrement attentif
et de chiffrer le plus justement et le plus prudemment possible ces estimations. Par ailleurs, il
est nécessaire de contrôler régulièrement si les projections se sont réalisées, et de les revoir à
la baisse s’il apparait qu’elles ne sont pas ou qu’elles ne seront pas respectées. A défaut, le
contribuable court le risque de se voir redresser par l’administration fiscale, cette dernière
remettant en cause la méthode de détermination du prix de transfert.
Il convient de signaler que la méthode DCF semble évoquée par les principes de
l’OCDE qui, au titre des facteurs devant être pris en compte pour déterminer le prix de pleine
concurrence en matière d’incorporels, prévoient que les avantages attendus du bien incorporel
constituent l’un de ces facteurs. L’OCDE précise, par ailleurs, que ces avantages peuvent être
déterminés au moyen d’un calcul de la valeur actualisée nette74
, ce qui semble renvoyer à la
méthode DCF.
Cependant, toutes ces méthodes ne font pas pour l’instant l’objet d’un consensus
international. L’OCDE, dans le cadre de sa réforme des prix de transfert en matière
d’incorporels, envisage d’examiner une reconnaissance officielle de ces méthodes, et d’aller
plus loin en rédigeant des lignes directrices afin d’aider, les entreprises et les administrations,
à l’appréciation de la pertinence des paramètres choisis et de la formule retenue pour fixer le
prix de pleine concurrence. Un prix de pleine concurrence qui suppose une dernière étape
pour être pleinement identifié : celle de la recherche de comparables (Section 4).
74 Principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Chapitre 6 : Considérations particulières applicables aux biens incorporels, C3, 6.20
60
Section IV- La recherche de comparables : Une recherche impossible ?
La recherche de comparables constitue l’ultime étape de la détermination du prix de
pleine concurrence. En effet, après l’analyse économique et la détermination d’une méthode
de prix de transfert, l’entreprise doit s’assurer que son prix est conforme au principe de pleine
concurrence par le biais de la recherche de comparables (ou benchmark). Cette étape doit
aboutir à l’indentification de transactions comparables avec celle de la société en cause,
identification qui s’avère particulièrement difficile en présence de biens incorporels (§1), et
qui aboutit finalement plus à une approximation qu’à un véritable comparable (§2).
1°) La difficile identification de comparables face aux spécificités des
incorporels…
Quelque soit la méthode de détermination retenue par l’entreprise, sa validité repose
sur une comparaison entre la transaction en question et une transaction réalisée par une
entreprise indépendante (le comparable). Cela suppose donc d’identifier un tel comparable.
Mais face aux spécificités des biens incorporels, la notion de comparable (A) s’avère
particulièrement difficile à manier (B).
A- La notion générale de comparable :
Le fondement de la notion de comparable se trouve dans le principe de pleine
concurrence (Article 9 du modèle OCDE). En effet, ce principe exige une comparaison entre
les conditions d’une transaction entre entreprises associées et les conditions d’une transaction
entre entreprises indépendantes. Pour pouvoir procéder à une telle comparaison, les
caractéristiques de ces deux entreprises et de leurs transactions doivent être suffisamment
comparables. C’est l’identification des comparables.
Les principes édictés par l’OCDE en matière de prix de transfert définissent la notion
de comparable. Il ressort de celle-ci que comparable ne signifie pas identique. On considère,
en effet, qu’il y a comparable soit lorsqu’il n’y a pas de différence entre les situations
comparées qui puisse notablement influer sur l’élément examiné (prix, redevance, marge),
soit lorsqu’il existe une telle différence mais que des correctifs suffisamment fiables puissent
être utilisés pour éliminer l’incidence de la différence.
L’identification des comparables s’effectue sur la base de l’analyse économique que
l’entreprise aura préalablement effectuée. Ainsi, la détermination des comparables se fait à
partir des cinq facteurs de comparabilités : les caractéristiques des biens ou services, l’analyse
fonctionnelle, les clauses contractuelles, les circonstances économiques et les stratégies des
entreprises75
. Au regard de ces différents critères, on s’aperçoit que la notion de comparable
est particulièrement difficile à mettre en œuvre dans le cas des incorporels (B).
B- Une notion délicate à manier en matière d’incorporels :
Les incorporels constituent des biens imprégnés d’une très forte individualisation.
Chaque incorporel dispose, en effet, de caractéristiques propres très marquées. Dès lors, il est
très difficile voire impossible d’identifier deux incorporels comparables. Il s’agira ici de
donner quelques exemples illustrant cette difficulté, sans revenir en détail sur les critères de
comparabilité.
75 Cf supra : Section 2
61
Ainsi, pour que des transactions soient considérées comme comparables, la transaction
comparable doit porter sur des biens présentant les mêmes caractéristiques que les biens de
l’entreprise dépendante. L’appréciation de ce critère suppose de prendre, notamment, en
compte la nature de la transaction, l’actif concerné, la durée, l’étendue de la protection et la
notoriété. Or il est rare de trouver deux incorporels présentant autant de similitudes. Si on
prend l’exemple d’une marque, celle-ci peut bénéficier d’une notoriété que d’autres marques
n’ont pas. Pour identifier un comparable pertinent, il faudrait donc identifier une transaction
ayant porté sur une marque de notoriété équivalente, dans un même secteur (luxe,
alimentaire…). A cela s’ajoute la prise en compte des clauses contractuelles sur les conditions
de paiement, le volume de la transaction, les garanties, l’exclusivité. Dès lors, il apparait très
difficile d’identifier deux concessions de licence d’une marque, présentant une notoriété
équivalente, aux mêmes conditions de paiement, d’exclusivité d’exploitation… On voit donc
bien que la notion d’incorporels, à laquelle se rattachent différentes caractéristiques, rend
difficile l’identification d’un comparable pleinement pertinent.
Cette difficulté se manifeste avec d’avantage de force en ce qui concerne les
circonstances économiques et les stratégies de l’entreprise. Un incorporel se caractérise par le
marché sur lequel il est exploité et sur sa position sur ce marché. Or, il apparait très difficile
d’identifier pour un incorporel précis un bien équivalent et, de surcroît, positionné de la même
façon sur un même marché. Ainsi, des sociétés opérant dans le même secteur d’activité, mais
sur des marchés différents ne représentent pas forcément des comparables pertinents76
. Les
incorporels, tels que les marques par exemple, peuvent donc différer sensiblement d’un
marché à l’autre, rendant là encore la recherche de comparables très complexe. Tout cela a
pour effet d’aboutir d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable (§2).
2°) …. aboutit d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable.
Le processus de recherche de comparables (A) permet rarement d’aboutir à
l’identification d’un seul et unique comparable, mais plutôt à un intervalle de pleine
concurrence (B), et donc plus à des approximations qu’à un véritable comparable.
A- Le processus de recherche de comparables :
Le processus de recherche de comparables suppose, dans un premier temps, de
rechercher l’existence de comparables internes à l’entreprise, c’est-à-dire des transactions
comparables que le groupe en question a réalisées avec des entités indépendantes. On regarde,
par exemple, si l’entreprise a concédé une licence d’exploitation semblable sur le même bien
(logiciel par exemple) à une société indépendante, auquel cas cette transaction constituera la
base de la redevance en cause. On n’exclut cependant les transactions purement internes
(conclues entre deux sociétés du même groupe) qui ne répondent bien évidemment pas au
principe de pleine concurrence. Ce n’est qu’à défaut de comparables internes que la société ou
l’administration doit rechercher des comparables externes.
Les comparables externes visent les comparables qui ne concernent pas le groupe et
que l’on identifie à partir d’une base de données publiques. Il existe deux grandes bases de ce
76 Cf CAA Versailles 5 mai 2009, n°08-2411, 3e ch., Man Camions et Bus, jugé en dehors du cas des incorporels, mais servant d’illustration : Le juge a écarté, en matière de poids lourds, trois comparables opérant sur des marchés étrangers (néerlandais, italien et portugais) au motif que rien ne démontrait que ces marchés européens présentaient des caractéristiques proches de celles du marché français, et a relevé que l’administration n’avait pas pris en compte l’existence en France d’un
acteur majeur dans ce secteur qui influençait les marges de ses concurrents (dont la société en cause).
62
type en France : DIANE pour les sociétés situées en France, et AMADEUS pour une
recherche sur des sociétés européennes. Cependant, ces bases ne constituent pas toujours un
outil efficace dans la mesure où elles ne sont pas facile à manier et qu’elles sont payantes, ce
qui fait supporter un coût au contribuable non négligeable. Par ailleurs, les bases de données
ne sont pas aussi complètes en matière d’incorporels que pour les marchandises : Il y est plus
difficile de trouver des informations pertinentes concernant des redevances d’incorporels, ce
qui rend encore plus difficile l’identification d’un prix de pleine concurrence dans ce
domaine.
La recherche de comparables internes ou externes peut concerner directement des
contrats comparables (taux de redevance…), ou simplement viser à déterminer la rentabilité
de sociétés indépendantes exerçant des fonctions comparables à celles de la société en cause.
L’entreprise ou l’administration doit entrer dans la base de données les critères qu’elle
a dégagés lors de l’analyse économique pour identifier les comparables, cependant il est rare
d’aboutir à un seul comparable. Le plus souvent, le résultat se présente sous la forme d’un
intervalle de pleine concurrence (B).
B- L’aboutissement à un intervalle de pleine concurrence :
La recherche de comparables est une opération qui s’affine progressivement77
. Comme
précisé précédemment, on entre les caractéristiques retenues dans la base de données, ce qui
aboutit à un grand nombre de sociétés. On affine alors la recherche en introduisant des critères
d’indépendance et de comparabilité. Une fois le panel réduit, il faut encore procéder à une
sélection manuelle permettant de le réduire d’avantage. Après toutes ces étapes, le panel
définitif des sociétés comparables est enfin identifié. Ce panel constitue alors ce que l’on
appelle « l’intervalle de pleine concurrence », ce qui conduit à la dernière phase qui est celle
de l’exploitation des résultats.
C’est dans le cadre de l’intervalle de pleine concurrence que doit rentrer le prix de la
société en cause. Au regard des principes OCDE, il semble qu’à l’intérieur de celui-ci tous les
points sont acceptables. L’entreprise n’a donc pas l’obligation d’en respecter un précisément.
La pratique tend à retenir comme intervalle de pleine concurrence l’intervalle interquartile
c’est-à-dire les entreprises comprises entre les deuxième et troisième quartiles, et d’exclure le
premier et le dernier quartiles qui représentent respectivement les 25% d’entreprises de
l’échantillon les moins rentables et les 25% d’entreprises les plus rentables78
. A cela s’ajoute
la notion de médiane qui constitue la valeur se situant entre les 50% inférieurs et supérieurs. A
partir de la combinaison de ces deux notions, on obtient donc le prix de pleine concurrence. Il
convient, cependant, de souligner que, même si le guide édicté par l’administration fiscale à
destination des PME en matière de prix de transfert fait expressément référence à ces notions,
l’OCDE ne le fait pas. On peut donc à juste titre penser qu’il serait possible pour les
entreprises qui ne sont pas des PME de s’écarter de cela.
La recherche d’un prix de transfert de pleine concurrence constitue en général, et plus
encore en matière d’incorporels, une tâche ardue aussi bien pour les entreprises que pour les
administrations. De telle sorte, que l’aboutissement de celle-ci mène d’avantage à
l’identification d’une approximation qu’à un véritable prix de pleine concurrence, si tant est
77 Cf « Prix de transfert : Un benchmark est-il une preuve ? », J-L Trucchi et A. Gobel, BF 4/10, qui présente de façon détaillée le déroulement de la recherche de comparables et expose les principes en matière de charge de la preuve. 78 Ibid : « Prix de transfert : Un benchmark est-il une preuve ? »
63
qu’un tel prix puisse in fine exister. Dans ce cas d’ailleurs, le Conseil d’Etat lui-même
préconise de limiter les risques de redressement en la matière en déterminant la valeur vénale
la plus plausible de l’incorporel, afin de dissuader l’administration fiscale de s’aventurer dans
un processus d’évaluation long, complexe et incertain. Tout semble, en définitive, tourner
autour de l’idée que le prix de transfert se justifie plus par une logique, une substance
économique sous-jacente, pertinente, acceptable et acceptée par l’administration fiscale que
par l’identification d’un véritable prix de pleine concurrence.
Les prix de transfert constituent une matière complexe et évolutive, devant faire face à
des spécificités croissantes. Les incorporels en sont une parfaite illustration. Le
développement de ces derniers pose, comme on l’a vu tout au long de cette étude, de
véritables difficultés et appelle de nombreuses adaptations du dispositif existant actuellement.
Tel est l’objectif que s’est fixée l’OCDE dans le cadre de la réforme qu’elle mène
actuellement, et dont le fruit ne sera pas connu d’ici 2013. Les incorporels constituent sans
aucun doute l’une des matières les plus complexes en matière de prix de transfert à l’heure
actuelle. Et le challenge reposant sur l’OCDE sera de modifier ses principes directeurs pour
les adapter à ses actifs si particuliers, de façon à clarifier cette notion mais également à poser
un cadre clair et précis permettant d’identifier de façon précise les prix de transfert dans ce
domaine. L’enjeu est tel que les travaux actuels des Nations Unies en matière de prix de
transfert, dont l’objectif est l’élaboration d’un manuel en la matière, traiteront également
(parmi d’autres sujets) des incorporels.
64
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages :
- Droit fiscal des affaires, Daniel GUTMANN, Montchrestien, 2ème
édition, 2011.
- Prix de transfert, Pierre-Jean DOUVIER, Stéphane GELIN, Bruno GIBERT et Arnaud
LE BOULANGER, Dossiers pratiques Francis Lefebvre, 2ème
édition, 2010.
- Précis de fiscalité internationale, Bernard CASTAGNEDE, PUF, 3ème
édition, 2010
- Les impôts dans les affaires internationales, Bruno GOUTHIERE, Editions Francis
Lefebvre, 8ème
édition, 2010
- Fiscalité de la recherche, de la propriété industrielle et des logiciels, Jean-Luc
PIERRE, Editions EFE, 2011
- La fiscalité des sociétés dans l’UE, Jean-Marc TIRARD, Groupe Revue Fiduciaire,
Collection pratiques d’experts, 8ème
édition, 2010
- Mémento Francis Lefebvre, Fiscal, 2011
Revues :
- Bulletin des conclusions fiscales, Edition Francis Lefebvre
- Bulletin fiscal Francis Lefebvre
- Feuillet rapide fiscal, Edition Francis Lefebvre
- Revue de jurisprudence fiscale, Edition Francis Lefebvre
- Nouvelles fiscales, Lamy
- Revue de droit fiscal, Lexisnexis
- Revue Option Finance
Sites internet :
- Site de l’administration fiscale française : Impôts.gouv
- Site de l’OCDE
- Site de l’Union européenne (EUROPA)
65
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE ………………………………………………………………………………………… p.2
INTRODUCTION …………………………………………………………………………………... p.3
TITRE : LA REPARTITION DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS
MISE A MAL PAR LES STRATEGIES FISCALES DES GROUPES EN MATIERE D’INCORPORELS……………………………………………………………………... p.7
Chapitre 1 : Localisation/Délocalisation d’incorporels : Un enjeu stratégique pour les groupes et les Etats ………………………………………………………………………….. p.7
Section I- Rappel des principes de répartition du droit d’imposer entre Etats en Matière d’incorporels…………………………………………………………………………. p.8
1°) Les principes de répartition du droit d’imposer ……………………………………… p.8
A- En l’absence de conventions fiscales internationales …………………………... p.8
1) L’imposition des versements de source française …………………………. p.8 2) L’imposition des versements de source étrangère…………………………. p.9
B- En présence de conventions fiscales internationales…………………………... p.10
2°) L’impact du droit de l’Union européenne …………………………………………… p.11 A- La Directive « intérêts et redevances »………………………………………… p.12
1) Le dispositif actuel………………………………………………………… p.12
2) Vers un élargissement du champ de la directive « intérêts-redevances »
par une nouvelle directive……………………………………………………. p.13 B- Le cas des retenues à la source pouvant être déclarées
non conformes au droit de l’UE …………………………………………………... p.13
Section II- Le système fiscal français des incorporels: Un système plutôt
attractif …………………………………………………………………………..……………p.14
1°) Le crédit d’impôt recherche, comme élément d’attraction des centres de R&D en France………………………………………………………………………... p.15
A- Champ d’application…………………………………………………………… p.15
B- Fonctionnement ………………………………………………………………... p.15
2°) La possibilité d’amortir certains incorporels : Une possibilité décevante ?.......................................................................................................................... p.16
A- Une possibilité d’amortir…………………………………………………… p.16
B- … qui ne bénéficie pas à tous les incorporels ……………………………. p.16 3°) L’application d’un taux réduit sur les résultats dérivant de l’exploitation de la
Propriété industrielle………………………………………………………………… p.17
Section III- Une concurrence accrue au sein même des Etats de l’UE……………………... p.17
1°) L’existence d’un dumping fiscal européen…………………………………………... p.18
A- Le cas de l’Irlande …………………………………………………………… p.18
B- Le cas de la Belgique ………………………………………………………… p.18 C- Le cas du Luxembourg ……………………………………………………… p.18
2°) Le projet ACCIS : Vers la fin du dumping fiscal européen ?....................................... p.19
A- L’ACCIS, comme moyen de lutte contre le dumping fiscal en Europe ………………………………………………………………………… p.19
B- ACCIS et incorporels : La fin du dumping ? …………………………………. p.20
Section IV- Une concurrence renforcée au niveau international par le développement des pays émergents………………………………………………………… p.20
1°) L’exemple de l’Inde. ……………………………………………………………… p.20
A- La mise en place d’exonérations d’impôts très attractives …………………… p.21
66
B- Un système de déductions fiscales défiant toute concurrence………………. p.21
2°) L’exemple de la Chine ……………………………………………………………… p..21
A- La mise en place d’une super-déduction des dépenses de R&D……………… p.22 B- Un taux réduit d’imposition, en faveur d’une localisation
de la propriété intellectuelle en Chine ……………………………………………. p.22
Chapitre 2 : L’identification et l’exploitation des incorporels : Des facteurs de risque
pour la répartition du droit d’imposer ………………………………………………………. p.23
Section I- Les incorporels : Une notion protéiforme aux contours aléatoires……………….. p.23 1°) Une notion protéiforme………………………………………………………………. p.23
A- Absence d’une définition claire et unique …………………………………….. p.23
1) Absence d’une définition unique …………………………………………. p.23 2) Une définition unique non souhaitable et non envisageable ……………... p.24
B- Une multiplication des incorporels ……………………………………………. p.24
1) La distinction entre incorporels de commercialisation et incorporels manufacturiers ………………………………………………... p.25
2) Des incorporels classiques vers de nouveaux incorporels ………………... p.25
2°) Des contours incertains : Vers un élargissement progressif de la
notion d’incorporels ? ………………………………………………………………….. p.26 A- Les difficultés d’identification de certains incorporels stratégiques
pour la répartition du droit d’imposer ……………………………………………. p.26
B- Vers une approche extensive des incorporels de type « goodwill » ?............. p.27
Section II- Une complexification des structures de création et d’exploitation
des incorporels propice aux transferts de matière imposable. ……………………………… p.28
1°) Le développement des incorporels : D’une gestion centralisée à une gestion décentralisée. ………………………………………………………………... p.28
A- Le système traditionnel centralisé ……………………………………………... p.28
1) Financement et propriété exclusifs ……………………………………….. p.28 2) Le recours à la sous-traitance ……………………………………………... p.29
B- L’attractivité croissante des systèmes décentralisés : Le cas des « accords
de répartition des coûts » (« Cost Sharing Agreements ») ………………………... p.29 1) Le fonctionnement des ARC ……………………………………………… p.30
2) Les ARC, comme outil potentiel de migration d’incorporels …………….. p.31
2°) Les différents modes d’exploitation des incorporels. ………………………………... p.32
A- L’exploitation pour les besoins propres du groupe …………………………… p.32 1) L’exploitation par la société ayant développé l’incorporel ……………….. p.32
2) La mise à disposition gratuite de certains incorporels ……………………. p.32
B- Le système des concessions de licences et de sous-licences ………………… p.33 1) Fonctionnement ……………………………………………………… p.33
2) implications fiscales ……………………………………………………… p.33
TITRE 2 : LA PRESERVATION D’UNE REPARTITION EQUILIBREE
DU DROIT D’IMPOSER ENTRE ETATS PAR LE CONTROLE
DES PRIX DE TRANSFERT…………………………………………………………………….. p.34
Chapitre 1 : Le contrôle des prix de transfert comme instrument de lutte contre
l’atteinte à la répartition du droit d’imposer des Etats ……………………………………... p.35
Section I- Le dispositif français de lutte contre les prix de transfert………………………… p.35
1°) Un dispositif reposant sur une présomption de transfert indirect de bénéfices ……… p.35
A- Un transfert entre sociétés dépendantes ……………………………………….. p.35
1) La notion de dépendance …………………………………………………. p.35 2) La pertinence de ce critère ………………………………………………... p.36
67
B- Un transfert de bénéfices indirect étranger à une gestion commerciale
normale ……………………………………………………………………………. p.36
1) L’existence d’un avantage anormal ………………………………………. p.36 2) La possibilité pour la société d’apporter la preuve contraire ……………... p.37
2°) Un dispositif caractérisé par une grande efficacité …………………………………... p.37
A- Des instruments au service d’un contrôle renforcé ……………………………. p.37 1) L’article L13B du LPF ……………………………………………………. p.37
2) Le renforcement des obligations documentaires ………………………….. p.37
B- …alliés au développement de mesures de sécurisation au profit des
entreprises : Les accords préalables sur les prix………………………………….. p.38 1) La procédure d’APP ……………………………………………………… p.38
2) Une procédure simplifiée au profit des PME …………………………….. p.38
3°) Un dispositif aux conséquences redoutables : Une double imposition dommageable……………………………………………………. p.38
A- Réintégration de l’avantage indûment octroyé ………………………………... p.38
B- Présomption de distribution et application d’une retenue à la source ……… . p.39
Section II- Le dispositif des prix de transfert au niveau international et communautaire …... p.39
1°) L’approche des prix de transfert de l’OCDE : Une approche faisant référence ……... p.39
A- L’article 9 du modèle OCDE : La sanction des prix non conformes au principe de pleine concurrence…………………………………………………. p.39
1) Le principe de pleine concurrence, un pilier du système OCDE
des prix de transfert…………………………………………………………... p.39 2) … conduisant à la correction des prix entre entreprises apparentées …….. p.40
B- Des mécanismes d’élimination des doubles impositions, venant remédier
aux lacunes des approches nationales ……………………………………………. p.40
1) La technique de l’ajustement corrélatif ………………............................... p.40 2) La procédure amiable …………………………………………………… p.40
3) La clause d’arbitrage ………………………………………………… p.41
2°) Le rôle de l’UE en matière de prix de transfert : Un rôle en expansion. ……………. p.41 A- La Convention d’arbitrage, comme instrument d’élimination
des doubles impositions ………………………………………………………….. p.41
B- Une harmonisation de la documentation en vue d’une simplification …………p.42 C- Le régime de l’ACCIS : Vers la fin de la problématique des prix de transfert?.. p.42
Chapitre 2 : L’actuel dispositif de contrôle des prix de transfert: Un dispositif inadapté
aux incorporels, en évolution …………………………………………………………………. p.43
Section I- Les transactions impliquant l’usage ou le transfert d’incorporels :
Des transactions délicates à identifier ………………………………………………………. p.43 1°) Les incorporels transférés en conjonction avec d’autres actifs corporels
ou incorporels. …………………………………………………………………………… p.44
A- Les incorporels transférés dans le cadre d’une vente de marchandise ou d’une prestation de services …………………………………………………… p.44
B- Le transfert d’un ensemble d’incorporels ……………………………………... p.44
2°) Le cas particulier des actifs incorporels dits « marketing » …………………………. p.45
A- Définition ……………………………………………………………………… p.45 B- Enjeux …………………………………………………………………………. p.46
3°) Le cas des opérations de restructuration ……………………………………………... p.46
A- Définition ……………………………………………………………………… p.46 B- Enjeux …………………………………………………………………………. p.47
Section II- L’analyse économique en matière d’incorporels : Une analyse difficile
face à la complexité des structures d’exploitation des incorporels ……………………….... p.47 1°) Les critères de l’analyse économique et leur application en matière d’incorporels …. p.48
68
A- Les caractéristiques des biens ………………………………………………… p.48
B- Les clauses contractuelles ……………………………………………………... p.48
C- Les circonstances économiques ……………………………………………….. p.49 D- Les stratégies d’entreprise …………………………………………………….. p.50
2°) L’analyse fonctionnelle : Une étape particulièrement complexe en matière
d’incorporels ……………………………………………………………………………... p.51 A- La difficile identification de l’entrepreneur principal …………………………. p.51
B- L’importance croissante de la notion de propriété économique ………………. p.53
Section III- Le prix de pleine concurrence et la difficile valorisation des incorporels ……... p.54 1°) L’inadaptation des méthodes classiques. …………………………………………….. p.54
A- Les méthodes traditionnelles fondées sur les transactions …………………….. p.54
1) Méthode du prix comparable sur le marché libre ………………………… p.55 2) Méthode du prix de revente (resale minus) ……………………………….. p.55
3) Méthode du prix de revient majoré (cost plus) …………………………… p.55
B- Les méthodes transactionnelles de bénéfices ………………………………….. p.56 1) Méthode transactionnelle de la marge nette ………………………………. p.56
2) Méthode du partage des bénéfices (Profit split) …………………………... p.56
2°) Le recours à des méthodes financières, comme réponse à cette inadaptation. ………. p.57
A- La méthode des multiples (ou des comparables) ……………………………… p.57 B- La méthode des coûts ………………………………………………………….. p.57
C- La méthode « Discounted cash flows » ……………………………………….. p.58
Section IV- La recherche de comparables : Une recherche impossible ? …………………... p.58
1°) La difficile identification de comparables face aux spécificités des incorporels ……. p.59
A- La notion générale de comparable …………………………………………….. p.59
B- Une notion délicate à manier en matière d’incorporels ……………………….. p.59 2°) … aboutit d’avantage à une approximation qu’à un véritable comparable ………… p.60
A- Le processus de recherche de comparables …………………………………… p.60
B- L’aboutissement à un intervalle de pleine concurrence ……………………….. p.61
BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………………... p.63
TABLE DES MATIERES ………………………………………………………………………... p.64