Il y a 10 ans Kolwezi...,RAIDS N°24,1988.május

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LES LEGIONNAIRES DU 2 e REP SAUTENT SUR KOLWEZI Ci-dessus. Mission de reconnaissance en brousse pour les légionnaires du 2e REP. A noter l'utilisation «secondaire la lunette de FR-F1. (Photo S1RPA) Ci-dessous. Le 19 mai 1978. les trois compagnies du REP s'équipent sur l'aéroport de Kinshasa. (Photo Jeannot) « Debout-Accrochez ». Les deux portes latérales du Hercules C-130 sont ouvertes. Les légionnaires du 2e Régiment Etranger de Parachutistes entassés, surchargés par leur lourd équipement, se débattent pour accrocher leur mousqueton à l'un des câbles de stick suspendus au-dessus de leur tête. Par chance, je suis près d'une porte de largage et 18 je vois défiler le sol zaïrois f

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LES LEGIONNAIRESDU 2e REP SAUTENTSUR KOLWEZI Ci-dessus. Mission de reconnaissance en brousse pour les

légionnaires du 2e REP. A noter l'utilisation «secondairela lunette de FR-F1. (Photo S1RPA)Ci-dessous. Le 19 mai 1978. les trois compagnies du REPs'équipent sur l'aéroport de Kinshasa. (Photo Jeannot)

« Debout-Accrochez ». Lesdeux portes latérales duHercules C-130 sontouvertes. Les légionnairesdu 2e Régiment Etrangerde Parachutistes entassés,surchargés par leur lourdéquipement, se débattentpour accrocher leurmousqueton à l'un descâbles de stick suspendusau-dessus de leur tête.Par chance, je suis prèsd'une porte de largage et

18 je vois défiler le sol zaïrois

f

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sous mes Rangers, à250 mètres d'altitude.

L'avion tourne autour de lazone de saut. Tandis quemon regard est fixé sur lepaysage uniformémentvert, les paroles du chantdes Cosaques mereviennent à l'esprit,comme pour m'attirer versl'inconnu. « La forêt nousdit de ses mille voix, lance-toi dans la grandeaventure... »

TEXTE : JEAN-JACQUES PIETRARU

Après vingt minutes d'attente debout,dans une angoisse silencieuse, le signalrouge passe enfin au vert. Le largueurzaïrois ne réagit pas. Notre chef de sec-tion le pousse de côté et s'élance. Dansune même « charrette », les légionnairesde la première vague d'assaut sont hap-pés à leur tour pour écrire, ce qui estdéjà, une page d'Histoire.

Briser l'étauVingt-quatre heures plus tôt, nous

étions réveillés à trois heures du matinpar six longs appels de la sirène du CampRaffali à Calvi en Corse. La veille, unepremière alerte avait déjà été donnée.La perception de matériel divers et leconditionnement de celui-ci dans les gai-nes et les musettes T.A.P. a aussitôtcommencé. Jusqu'ici, nous restions scep-tiques sur les chances de partir en opé-ration. En effet, ce n'était pas la pre-mière fois que nous étions soumis à untel régime, mais uniquement pour testerla capacité de mise en œuvre du Régi-

Sauver dumassacre les

coopérants et lapopulation

zaïroisement Cependant, les préparatifs ontsemblé prendre plus d'ampleur que lesfois précédentes. Au petit matin du18 mai, nous arrivons à l'aéroport mili-taire de Solenzara pour embarquer dansles DC-8 qui nous attendent déjà. Pourl'occasion, le général Lacaze, comman-dant la 11e Division Parachutiste, saluele régiment sous les ordres du colonelErulin.En l'air, confortablement installés, notrecommandant de compagnie nous dévoileenfin le but de notre mission. La deuxième

Ci-contre. Embarquement desBérets verts à bord des appareils del'US Air Force.Ci-dessus. Dans les faubourgs deKolwezi, les légionnaires patrouillentà la recherche des Tigres.

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Guerre du Shaba commence (1 ). La villede Kolwezi, située au sud du Zaïre, a étéenvahie par environ 3 000 rebelles ka-tangais puissamment armés et enca-drés par des conseillers cubains. Denombreux coopérants français et belgessont menacés physiquement On dénom-bre déjà plusieurs centaines de victimesparmi la population civile. Les ex-gendar-mes katangais réfugiés en Angola, appe-lés aussi les « Tigres » du Front Nationalde Libération du Congo (F.N.L.C.) de Na-thanael M'Bumba, ont franchi la fron-tière du Zaïre en passant par la Zambie.Ils veulent s'emparer de la grande socié-té minière de Kolwezi : la Gecamines.

Notre mission sera donc de briser l'é-tau katangais et de sauver du massacreles coopérants et la population zaïroise.Le nom de code est Opération Léopard.

Un courant d'air chaud m'arrive enpleine figure. Au même moment un chocdorsal rassurant m'avertit que la cou-pole de mon parachute américain s'estbien ouvert. En effet, nous ne sommespas partis avec nos pépins habituels dutype 6520. Le Régiment a emprunté lesparachutes du 311e Bataillon Para de laForce Armée Zaïroise (F. A.Z. ). C'est aprèsquatre heures d'un vol interminable en-tre Kinshasa et Kolwezi que toute lapremière vague d'assaut, composée detrois compagnies de combat ( 1re, 2e et 3e

compagnies, plus le P.C.), est larguée en

(1) Depuis son indépendance en 1960. le Zaïre(ancien Congo Belge) a connu des troubles impor-tants ayant pour origine des luttes de clans. En1977, le chef d'état zaïrois, Mobutu Sese Sekon'Obendu Waza Banga, doit faire face à une pre-mière invasion dans la province du Shaba (ancienKatanga). Elle est particulièrement convoitée àcause des richesses que renferment son sol. Mo-butu peut repousser l'envahisseur grâce à sa divi-sion d'élite, le Kamanyola, aidé en cela par un corpsexpéditionnaire marocain.

Ci-dessus. Le système « D » version Légion. Tousles moyens de locomotion récupérables sontbons. (Photo Jeannot)Ci-dessous. Un sous-officier du 2e REP découvreun cadavre dans les herbes à éléphant

bordure de la ville assiégée. Le sol s'ap-proche de plus en plus et je dois melibérer de la gaine qui conditionne monarme individuelle, un FR F1. «Merde !»,l'AB 39 se trouve au-dessus de ma têteau lieu d'être à hauteur de poitrine. Enplus, la goupille de sécurité est bloquée.Je gueule contre le para zaïrois qui m'aaidé à m'équiper. Le système, avec desmorceaux de ficelle que l'on a du confec-tionner rapidement pour adapter la gaineau harnais, n'est pas très efficace.

A trente mètres du sol, j'arrive à medégager. Un tapis de hautes herbes àéléphant amortit la chute. Le FR-F1 ré-cupéré, je fonce avec la section vers le

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LuiluMétal Shaba SAUT SUR KOLWEZI

\Lel9mail978

4eComp.

AncienneVilleIVComp. •

Kolwezi \MLycée Jean XXIII \

Axes de progression Manikadu 2e REP, le 19 mai

VilleNouvelle

Axes de progressiondu 2e REP, le 20 mai Lubumbashi

point de regroupement situé en fin deDZ. La progression et l'orientation s'avè-rent difficiles dans cette épaisse végéta-tion. Deux légionnaires seront manquantsau rendez-vous. Un autre sera blessé.L'ennemi n'est pas loin. Des coups de feuproches nous le prouvent. Notre capi-taine commande tout de suite à seschefs de section l'exploration d'un sous-bois en lisière de Kolwezi. Au milieu desarbres, des abris de toile vides et dumatériel militaire abandonnés sur place ;nous sommes certainement à l'originede la fuite de nombreux rebelles.

La vrai guerre commenceEn pénétrant dans la ville, un autre

spectacle s'ouvre devant nous, commepour témoigner du terrible drame quivient à peine de se dérouler. Les rues

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sont désertes, parsemées de gravats di-vers et de voitures calcinées. Des im-pacts de projectiles tapissent les mursde la ville qui beigne dans une odeur demort. Au hasard des carrefours, des bou-levards et des jardins, gisent des cada-vres désarticulés et gonflés, à moitié dé-vorés par des chiens. Cette sauvageriegratuite soulève le désarroi et la colère.Les jeunes soldats de métier, qui n'ontpas encore connu le feu, prennent sansdoute conscience, à cet instant précis,que loin d'être un jeu même aussi rudesoit-il comme à l'entraînement, désor-mais c'est la vrai guerre. La progression

La ville estjonchée de

cadavres et degravats

de la 2e Compagnie, spécialisée dans lecombat en montagne, continue prudem-ment. Les réflexes appris à l'instructiondeviennent automatiques. Chaque obs-tacle peut cacher un danger. Et c'est parbonds successifs, chaque fois protégépar un binôme, que nous pénétrons aucoeur de la ville. Des tirs sporadiques demitrailleuses et de brèves explosions ac-compagnent notre avance. La Compa-

Ci-dessus. Retour en Afrique pour les bonsvieux CMC du REP.a-contre. Les légionnaires de /a Compagnied'appui préparent les fusées des obus de81 mm.

gnie investit l'hôpital de la Gecamines,son premier objectif. Mais celui-ci estdévasté donc inutilisable pour soignerles blessés.

Les éléments de la 3e Compagnie sontpris à parti par deux auto-mitrailleuses.Mais grâce aux tireurs L.R.A.C., elles

sont promptement mises hors de com-bat. La « 3 » prend position dans l'HôtelImpala qui servait de P.C. aux rebelles etcontrôle la gare de Kolwezi. Les légion-naires de la lre Compagnie prennentd'assaut le lycée Jean XXI11 et libèrentplusieurs otages que les Tigres s'apprê-taient à exécuter. Des charniers vontêtre découverts un peu partout dans laville.

En fin de journée, les civils, rescapés 21

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de l'horreur, sortent petit à petit deleurs caches. Reconnus, nous sommesacclamés et les embrassades vont bontrain. Le bilan des opérations de la pre-mièrejournée se révèle très positif. Le 2e

R.E.P. assure la sécurité de la ville que lesKatangais viennent d'abandonner. Seulsdes petits groupes retardateurs onttenté de ralentir notre progression pourlaisser le gros de leur troupe décrochervers la frontière.

Toute la nuit du 19 au 20 mai, lescompagnies campent sur leur positionen lançant quelques patrouilles aux abordsde la ville. A l'aube, la deuxième vague deparachutistes, qui n'a pu sauter la veille,est larguée à son tour sur Kolwezi. Notreaction de nettoyage reprend au petitmatin. De nombreuses armes sont récu-pérées. Egalement, des uniformes avecl'insigne d'épaule des Tigres que les Ka-

22 tangais ont laissé sur place pour mieux

se fondre dans la population.Lors d'un bouclage de quartier, nous

croisons les paras-commandos belgesvenus évacuer les Européens à bord d'a-vions de l'U.S. Air Force.

Cadeau en pleine gueule !Crapahutant derrière le radio, j'en-

tends le PP-13 grésiller : «Rouge Autori-té de Soleil - Parlez ». Les snipers de la4e Compagnie, parachutés le matin même,ont un besoin urgent de renforts. Ils ontun accrochage sérieux avec une centainede rebelles à trente kilomètres de Kol-wezi dans la cité de Métal Shaba. Un deleurs sous-officiers, le sergent-chef Da-niel, vient d'être tué. Plusieurs légion-naires sont blessés. La « 2 » rassemblée,la Compagnie embarque dans les groscamions de la société minière. Nous rou-

e-dessus. Bérets verts de la CEA en action.(Photo Jeannot)Ci-contre. Un sous-officier de la CEA armé d'uneAK-47 guide le tir mortier de sa section.

Ions vers notre nouvel objectif entassésdans les bennes, armés jusqu'aux dents.Tous ont conscience que cette fois-cinous allons réellement en découdre avecl'ennemi. Pour la plupart d'entre nous, cesera le baptême du feu.

« Débarquez f » Nous giclons des ca-mions pour monter à l'assaut de MétalShaba. Les balles sifflent déjà au-dessusde nos têtes. Nous avons du mal à resteren ligne car le terrain est très accidenté.Nos armes crachent tout ce qu'ellespeuvent sur un ennemi embusqué. Lors-que un orage d'acier, de flammes et deterre s'abat sur nous. Un obus tombe àcôté de moi. Je suis toujours debout etm'en étonne. Un Mirage zaïrois passedans le ciel, ses mitrailleuses s'enrayè-rent aussitôt. La C.E.A. (Compagnie d'E-clairage et d'Appui), située en ligne decrête et qui pilonnait déjà les positionsennemies, vient d'envoyer son dernier tiravec ses mortiers de 81. Et nous venonsde recevoir ce cadeau en pleine gueule !C'est un miracle si aucun de nous n'esttouché. Sitôt le choc passé, nous repre-nons l'avance. En quelques minutes levillage est investi, et les Tigres sont enfuite laissant derrière eux leurs morts etleurs blessés.

Ordre est donné de verrouiller les ac-cès aux abords de Métal Shaba. Les Ka-tangais peuvent contre-attaquer. D'ail-leurs, ils ne se font pas attendrelongtemps. Une voiture civile hérissée defusils avec quatre Katangais à bord es-saye de forcer notre barrage. Malheurleur en a pris. Un légionnaire a toutjustele temps de plonger dans un fossé aprèsavoir essuyé une rafale de kalashnikov.La voiture est stoppée net par un tirnourri et meurtrier. Une grenade F.LG.

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Ci-c»ntre. Départ en patrouille pour nettoyer lesabords de Kolwezi. (Photo S1RPA)Ci-dessous. Dignes héritiers de leurs aînés, lesBérets verts du 2e REP ont bien rempli leurmission.

(Fusil Lance-Grenades) bien ajustée achè-ve toute velléité. Et pour cause, la voi-ture avec ses occupants explose littéra-lement !

La fatigue des combatsLe calme est revenu. Les légionnaires

s'installent dans les hautes herbes àéléphant et dans le village pour passer lanuit en embuscade. A la tombée du jour,j'ai la garde d'une dizaine de prisonnierscapturés pendant l'opération. Ils sontjeunes et pour la plupart vêtus de hail-lons. Ils ont l'air terrorisé à la vue de monFR-F1 équipé de sa lunette de précision.Une question me trouble l'esprit. Si seu-lement deux ou trois d'entre eux mesautaient dessus par surprise, que pour-rais-je faire seul avec mon arme semi-automatique ? L'un d'eux veut me par-ler, impossible de comprendre ce qu'ilraconte. Tout-à-coup j'entends un légerbruit dans les herbes derrière moi. Aus-sitôt après, un coup de feu éclate dans lanuit, suivi d'un cri de douleur. « Je suistouché ! aidez-moi ». La relève vient d'ê-tre atteinte par un tireur isolé. Sale nuit,car les sentinelles, abruties par la fati-gue des combats et des nuits blanches,tirent sur le moindre mouvement sus-pect.

Le lendemain le dispositif est levé etnous rejoignions Kolwezi définitivementlibérée. La 2e Compagnie en profite pourprendre un peu de repos bien mérité.Après trois jours de combat, le 2e R.E.Pcontrôle totalement Kolwezi. Mais desopérations seront encore menées contrede fortes concentrations rebelles situéesdans les régions de Kapata et Luilu.

Baptême du feupour la plupart

d'entre euxLe Régiment compte cinq tués et

vingt blessés à la fin de son intervention.Mais au regard du bilan effectué sur leterrain, c'est un grand succès. Les Tigresont été chassés du Shaba. Leurs pertess'élèvent à plusieurs centaines d'hom-mes, et, une quantité impressionnanted'armes, de munitions et de matériels aété récupérée.

Quelques jours encore de présence àpatrouiller dans la brousse pour rassu-rer la population et pour prouver quetout danger est définitivement écarté.Et après une parade africaine organiséepar Mobutu en l'honneur des libéra-teurs, les légionnaires embarqueront àbord des Galaxy de l'U.S. Air Force pourrejoindre leur base à Calvi. Le 2e R.E.P arempli sa mission, et lesjeunes ont mon-tré une fois de plus qu'ils étaient dignesde l'héritage de leurs aînés. D