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Alain SOURNIA Matériau pour une histoire naturelle de la pensée II Documents

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Alain SOURNIA

Matériau pour une

histoire naturelle de la pensée

II – Documents

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Table des documents

1. Penser la pensée

1-01 : Ils se sont regardés penser

1-02 : La Pensée (citations)

1-03 A : Le système de la PhS

1-03 B : Une mandala de la PhS

1-04 : Heisenberg : les régions de réalité

1-05 : Heisenberg : la complémentarité

1-06 : Voies de la connaissance

2. L'information, brique de pensée

2-01. L'info dans l'univers

2-02 : Théories DE ou SUR l'info ?

2-03 : Théories algorithmiques de l'info (TAI)

2-04 : Ils ne connaissaient pas l'info !

2-05 : Et si je n'avais RIEN COMPRIS à l'info ?

2-06 : Pensée systémique

2-07 : La pensée revisitée

2-08 : Théorie informationnelle unifiée de la pensée, du langage et de l'action

2-09 : Pensée, langage et information

3. Aux portes de la perception

3-01 : Schéma de l'audition.

3-02 : Sens sonore, sens visuel.

3-03 : "Birth of an idea".

3-04 : La pensée et les sens : faut-il percevoir pour penser ?

3-05 : Tableau des sept sens

4. La transduction : joli nom, mystère total

4-01 : La transduction sensorielle : hommage à P. Galifret

4-02 : Paléoperception, paléocognition… : une supposée théorie de la perception

5. Place du marché à midi

5.01 : Hydrographie amazonienne et boucle thalamo-corticale

5-02 : Les représentations selon H. Spencer

5-03 : L'escalade des représentations

5-04 : Exercices mentaux

5-05 : Francis Bacon, déboulonneur des idoles

5-06 : Pensez facile, pensez Fast Thought !

5-07 : Le rêve, voie royale…

5-08 : Le rêve… un dernier

5-09 : La conscience (citations)

6. Quand la pensée planait sur les eaux

6-01 : Quatre bonnes lectures

6-02 : Disque de Phaistos et alphabet ougaritique

6-03 : Au coin du feu

6-04 : Aide-mémoire de l'hominisation

6-05 : Quand les sons deviennent musique

6-06 : Théorie informationnelle de l'évolution mentale

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7. Le croissant fertile de la pensée et de l'écriture

7-01 : Les croissants fertiles

7-02 : Il y a bien un problème de la création

7-03 : Aide-mémoire et florilège Gilgamesh

7-04 : Les inventions mésopotamiennes

8. Les cousins indo-iraniens

8-01 : Zarathoustra par Raphaël

8-02 : Foyer avesto-védique

8-03 : Le secret du Véda ?

9. Traînées de poudre, étincelles et feux d'artifice

9-01 : Théorie de la "production conditionnée" (Pratitya samutpada)

9-02 : Bouddhisme, tout un pâturage philosophique

9.03 : Bouddhisme : négation du langage ?

9-04 : Une vision gnostique du monde

9-05 : La rhétorique jésus-christique

9-06 : Les Préplatoniciens ou "Présocratiques"

9-07 : Autour d'un plat

9-08 : Les Sophistes dans la "philosophie comparée" de Masson-Oursel

9-09 : Leitmotive de la "période axiale"

9-10 : Éclosion planétaire

10. Excursion en Chine

10-01 : Confucius

10-02 : Tchouang Tseu

10-03 : Xun Zi

11. Tout se complique

11-01 : Le Christ "récupéré" par le christianisme

11-02 : Façons de penser en Inde et en Occident

11-03 : Ludwig Boltzmann : Les "principes a priori" de la pensée

11-04 : Systémique médiévale : Raymond Lulle

12. Petits chemins, petits chantiers

12-01 : Penseurs francs-tireurs

12-02 : La pensée éclatée

12-03 : Le retable de St Barnabé par Botticelli

12-04 : Puissance magique des symboles

13. (Excursion) L'expédition Chabrimey

13-01 : Incomplétude algorithmique

14. Cerveau contre pensée

14-01 : Les institutions cérébrales

14-02 : Distinguer ou réunir : une "binarité" de base ?

14-03 : Les mots à double-sens

14-04 : Figures de rhétorique

14-05 : Nouvelles dispositions pour conduire sa pensée

14-06 : La strobilation chez les méduses

15. Aux bornes du pensable

15-01 : Comment avons-nous travaillé ?" (recopié du chap. 1 pour vérification)

15-02 : Récapitulatif : Grandes étapes de la pensée

15-03 : Hommage aux dieux

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Imprimé le 19.01.2018

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Doc.1-01

Ils se sont regardés penser

Sous le Penseur de Rodin : Eye d'Escher et la Lampe philosophique de Magritte

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Doc. 1-02

Exister, penser : une anthologie du XXème siècle

Tout a recours au cerveau. Le "monde" pour être et se reconnaître tant soit peu ; l'Être pour se rejoindre, se

communiquer et se compliquer. Le cerveau humain est un lieu où tout le monde se pique et se pince pour

s'assurer qu'il existe. L'homme pense, donc Je suis, dit l'Univers. Valéry : Tel quel (II)

Ce monde existe. Exister ou ne pas exister reste un problème métaphysique. La réalité est un problème

physique. Et il est difficile de comparer les deux choses. Les religions se trompent parfois sur ce point et créent

des confusions. D. Suzuki : Introd. bouddhisme Zen

La pensée est substantielle, comme toute chose. Il y a des moyens […] de la peser, de la mesurer. Sa densité

peut être définie. Par conséquent, il est possible de comparer entre elles les pensées de différents hommes, ou

celles d'un même homme à des moments différents. On peut définir toutes les qualités de la pensée. Je vous l'ai

déjà dit, tout dans l'univers est matériel. Gurdjieff (vers 1915) in : Gurdjieff parle à ses élèves

La pensée, selon les Mélanésiens, naît des mouvements vibratiles des entrailles, elle est l'impulsion jaillie sous

le choc de l'émotion, elle suscite le comportement. Elle se révèle par celui-ci, geste, action ou propos spontané.

Mais elle reste fugitive comme un mouvement. Elle n'a pas de consistance tant qu'elle n'est pas retenue, fixée,

formulée, circonscrite, et ramassée sous la forme que le Canaque désigne no [parole]. M. Leenhardt : Do kamo

La pensée est née de l'expérience et du savoir et il n'y a absolument rien de sacré en ce qui concerne la pensée.

Penser est matérialiste, c'est un processus de la matière. […] La pensée ne résout pas nos problèmes ; au

contraire, la pensée a créé une plus grande complexité. Krishnamurti : Nature et pensée

Ce qui fait l'originalité irremplaçable et le prix inestimable de la pensée humaine, c'est le pouvoir de non-

pertinence, l'imprévisibilité vraie de l'énonciation et non plus l'imprévisibilité domptée à l'intérieur d'un système

probabiliste. À la proposition binaire "de deux choses l'une", c'est le pouvoir de répondre "la troisième". Ce

pouvoir porte un nom peu scientifique, mais important, car il s'appelle la liberté.

[…] La pensée humaine n'est qu'une abstraction résultant d'une infinité d'actes de communication qui se

produisent entre des pensées individuelles. R. Escarpit : Information communication

[Définition] Ensemble des manipulations mentales figuratives ou symboliques (fictives ou différées,

conscientes ou inconscientes, partiellement mémorisables ou remémorables, simplement éprouvée ou réfléchies

à des degrés divers, langagières [verbales ?] ou non) permettant des conduites adaptées, prospectives et

"ouvertes", même si elles comportent certains automatismes ou habitus.

J. Barry : Neurobiol. pensée (Voir Jardin pour compléments)

La pensée a tendance à se tendre à elle-même des pièges, dans lesquels elle reste engluée et prisonnière, en

réifiant les mots les plus variés du langage, de la vérité à l'être, de l'infini à Dieu, du temps à la réalité, de la

démocratie au droit. P. Odifreddi : Menteur comme Ulysse

Le livre [le Tractatus] tracera donc une frontière à l'acte de penser, —ou plutôt non pas à l'acte de penser, mais à

l'expression des pensées : car pour tracer une frontière à l'acte de penser, nous devrions pouvoir penser les deux

côtés de cette frontière (nous devrions donc pouvoir penser ce qui ne se laisse pas penser). […] La frontière ne

pourra donc être tracée que dans la langue, et ce qui est au-delà de cette frontière sera simplement dépourvu de

sens. Wittgenstein : Tractatus logico-philosophicus

Les domaines les plus importants [dans la quête de vérité] sont ceux de la science pure, où il n'est plus question

d'applications pratiques mais où la pensée pure épie dans le monde les harmonies qui y sont cachées. Cette

région la plus intérieure dans laquelle la science et l'art ne peuvent plus être distingués l'un de l'autre est peut-

être pour l'humanité d'aujourd'hui le seul lieu où elle soit en face d'une vérité entièrement pure, qui ne soit plus

dissimulée par les idéologies ou les désirs humains. W. Heisenberg : Manuscrit 1942

Penser, c'est incorporer de l'information dans la perception humaine de la nature et des relations entre les

hommes. J. Attali : La parole et l'outil

Si vous combinez abstraction et jonglage séquentiel des symboles, vous obtenez l'action de "penser" —la

marque de notre espèce. V. Ramachandran : Le cerveau, cet artiste

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Doc. 1-03 A

Synopsis

L'univers est un chantier "en travaux" depuis qu'on le connaît, en changement incessant, en évolution, en

gestation si l'on veut ou auto-gestation pour certains mais on lui a prêté moult pères et mères, y compris le

néant. Cet univers est peuplé de poussières, mieux, des nuées d'information, celle-ci disposée, à la fois :

― en niveaux d'oranisation [NOH] séparés l'un de l'autre par des émergences ;

― en dimensions qui auraient pour noms : espace-temps, vie, évolution, énergie, chaos, amour-joie… Cela fait

donc une gerbe, une botte, un bouquet de dimensions ;

― en régions de caractère législatif sur le modèle de W. Heisenberg [Manuscrit 1942]. Des régions

administratives, pour ainsi dire. Symétriquement, on commence à s'interroger sur la permanence et

l'universalité des lois physiques ;

― en échelles aussi et en modes (voir plus bas).

Tout cela "à la fois", répétons-le. Les alternatives-exclusives façon Aristote sont récusées.

Regarder ce monde ou ensemble de mondes, c'est s'en couper une tranche, c'est n'en prendre qu'un

morceau qui s'appelle système, dont les règles de composition et de fonctionnement relèvent d'une discipline

récente, la systémique. Par convention, on ferme le système pour le représenter mais celui-ci reste ouvert ou,

du moins, "fêlé".

Quelle que soit la taille du morceau considéré, de l'atome au superamas, il se présente à nous […] selon

deux modes. La séparation, quand elle est ressentie par l'homme, lui apparaît comme drastique, à la limite du

concevable. Cette ambivalence se traduit par le caractère (ou découle du principe) de binarité et prend des

formes diverses de dipôle, par exemple : potentiel/manifesté, uni/divisé, unitaire/binaire, quantique/

macroscopique. Même très localisés dans l'univers, les cerveaux des hommes sont comme les terrains

d'affrontement du multiple et du binaire : ordinateurs en quelque sorte, on l'a assez dit, mais aussi

transformateurs.

Rien ne prouve que le temps soit autre chose qu'un outil mis au point par le cerveau pour optimiser

l'action. Le mystérieux instant représente, d'une part, l'état du système pour un infime fragment d'univers,

d'autre part le signal d'une transition au sein d'un système ou entre systèmes. Très curieusement, l'information

est affectée d'une dualité analogue, étant faite de structure (IS) et d'action (IA).

La pensée n'était pas faite pour penser. En tant que manipulation d'une certaine quantité d'information

(mais la pensée peut aussi êyre autre chose), elle est un acte ; l'opposition courante ou philosophique entre

pensée et action est trompeuse. Il y a des contraintes physiques et des limites à l'acte de penser.

Une particularité de l'étude de ce monde tient, pour l'espèce humaine qui l'étudie, du paradoxe :

l'observateur du système fait partie du système, le penseur fait partie de sa pensée, la pensée est un système

penseur-pensée. Paradoxe contre tautologie, on s'en accommode de diverses manières selon l'objet d'étude.

T S V P

Le système de la PhS tel qu'exposé dans les Exercices, à quelques mots près (entre crochets)

Récapitulatif

Axiomes [= postulats]

A1. "Il y a"

A2. C'est moi qui dis "il y a"

A3. "Ça change"

A4. Il y a des lois

A5. Le monde, les mondes

A6. L'information, grandeur universelle

A7. Organisation hiérarchique, système

A8. Incomplétude

A9. Binarité [mieux que Dualité]

A10. Évolution

A11. Le créneau de la vie

A12. La pensée "revisitée"

Propositions

P1. Philosophie et méta-philosophie

P2. Spectateur et acteur, penseur et pensé

P3. Représentations

P4. Le Moi, les Moi, la conscience

P5. Unité de la connaissance

P6. Circularité, tautologie, autoréférence

P7. Réductionnisme et holisme

P8. Le monde mental ment…

P9. Émergence

P10. La lignée humaine

P11. Une infosphère dans la galaxie

P12. Savoir-sagesse, et après ?

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Doc. 1-03 B

Une mandala de la Philosophie sauvage

Information

Changement 1 ↔ 2

Évolution Sujet ↔ Objet

Système Incomplétude

NOH et NIN

postulat

théorème

NOH : niveau d'organisation hiérarchique

NIN : niveau d'intégration neuronale

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Doc. 1-04

Monde(s) et régions de réalité in W. Heisenberg (Philosophie ou "Le manuscrit, 1942"). Extraits déjà reproduits et commentés dans les Fondements (chap. 4),

à quelques détails près balisés par des crochets

Par l'expression de "régions de réalité", nous entendons un ensemble de connexions nomologiques. […] Les

différentes régions se rencontrent ou se chevauchent constamment dans les choses dont nous faisons nos objets

de recherche (p. 273-274).

Cette notion est omniprésente dans le Manuscrit (au point que souvent désignée simplement par "régions", on

fera de même ici). WH dit l'avoir empruntée au "Traité des couleurs" de Goethe, l'un de ses auteurs familiers ; nous

devrons en reparler […]. Mais sont-ce les connexions ou bien leurs régularités qui forment des régions ? […].

"La plupart des confusions qui affectent nos idées sur la réalité surgissent sans doute de la circonstance que toute

chose participe simultanément de connexions de genres différents, exactement de même que tout mot est en connexion

simultanément avec des connexions différentes. (p. 255). Des connexions très différentes peuvent déterminer notre

vie ; et si le mot de réalité ne signifie rien d'autre que l'ensemble des connexions qui entrelacent et soutiennent notre

vie [cette définition sera confirmée plus loin], la vérité est sans doute qu'il doit y avoir des régions ou des niveaux de

réalité très différents" (p. 253).

[Ceci] devrait logiquement conduire à une proposition explosive : causalité multiple ! Mais WH ne l'a vraiment

pas du tout écrit. La causalité, il ne fait que la mentionner (une seule fois ?) en tant que "loi impitoyable de la cause et

de l'effet" (p, 385, cité plus loin), c'est-à-dire causalité linéaire classique.

Attention, les régions sont incompatibles avec le dualisme classique sujet/objet ; elles en constituent l'antithèse).

D'autre part, ce ne sont pas des "niveaux" […].

Les régions de réalité sont les suivantes : la mécanique quantique, le "contingent", la mécanique classique,

l'électricité et le magnétisme, la chimie, l'organique et le biologique, le psychique, la conscience, la morale, l'art, la

science, la religion, les facultés créatrices diverses". C'est là une énumération maximaliste que je tire de tout ce qui

peut, au fil du texte, prétendre au statut de région. La seconde est la plus douteuse : qu'est-ce que le "contingent" dont

WH ne reparlera plus ? (Réponse possible : les faits et gestes du quotidien.) Total : 13, et l'on gardera en réserve trois

domaines que WH, accessoirement, traite plus ou moins comme régions : "relativité restreinte, relativité générale et

(associés) électromagnétisme et thermodynamique statistique".

WH nous dit que ses régions proviennent d'un spectre (en neuf termes) de "modes d'action" (Tätigkeiten) dans

l'univers, conception exposée par Goethe en annexe à son Traité des couleurs. À l'appui, WH reproduit entre

guillemets, sans références, un passage de Goethe qui résume cette conception, et à mon tour je recopie WH ci-

dessous en respectant la disposition particulière (un peu "solennelle") des deux dernières lignes (1) :

Citons en première place un extrait des appendices à la Théorie des couleurs de Goethe :

"Tous les effets que nous remarquons dans l'expérience, de quelque genre qu'ils soient, sont dans une connexion

parfaitement continue : ils se transforment les uns dans les autres et se transmettent les uns aux autres du premier

jusqu'au dernier. Qu'on les sépare, qu'on les oppose, qu'on les mélange, cela est inévitable. Et pourtant, il devait

découler de là un conflit illimité dans la science. La pédanterie qui divise tout de manière inflexible et le mysticisme

qui amalgame tout engendrent tous deux les mêmes calamités. Mais ces modes d'action [Tätigkeiten], qui vont des

plus communs aux plus élevés, de la brique qui tombe du toit à l'illumination de l'esprit qui s'épanouit en toi ou que tu

communiques, se suivent les uns les autres. Nous cherchons à expliciter ce qui est :

contingent – mécanique – physique – chimique – organique – psychique – éthique

– religieux – génial (p. 271)

De telles lignes sont si précieuses que l'on se précipite vers la source… pour s'y anéantir. Pour se perdre dans la

nébuleuse des écrits goethéens catalogués ou cataloguables sous le titre de "Farbenlehre" et dont la majorité ―mais

non la totalité― a été traduite en français (2). Tout cela lu ou parcouru, et ce n'est pas peu, sans succès : l'origine des

neuf régions présumées de Goethe reste à trouver. Il y a pourtant vraisemblance car, pour qui a feuilleté les œuvres

complètes de Goethe, le paragraphe incriminé en présente parfaitement le "mode d'expression" au sens le plus large.

D'autre part, WH se dispense souvent des citations bibliographiques.

T S V P

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Cette énigme mise à part, WH dans le Manuscrit même a modifié la liste qu'il attribue à Goethe ; ceci sans donner de

liste récapitulative des "régions de réalité". Les dispositions relatives (des régions entre elles) ne sont connues que

dans leur principe qui est celui d'une complexité ou abstraction croissante, telle que : le biologique au-dessus du

chimique, la morale au-dessus de la conscience, etc. mais l'on aurait préféré que WH le dise lui-même ! Des

ambiguïtés subsistent dans le domaine du quantique, placé tout en bas mais en position dominante… Les lois de la

théorie quantique sont plus élevées dans l'agencement que celles de la physique classique (p. 305). À l'autre extrémité

du spectre, du côté de la pensée… Mais c'est l'ensemble de l'édifice que l'on retiendra, ainsi que les propriétés

générales (communes) des régions.

Signalons l'autre outil de récolement disponible qu'est la table des matières. En exposant la simple succession

des chapitres et des sections, elle permet de compléter ou vérifier quelques points, d'ordonner en cas de doute l'ordre

de la récapitulation, ceci sous réserve des ambiguïtés qui peuvent naître, cette fois, dans les pages du livre elles-

mêmes. […].

Quatre propriétés remarquables des régions de réalité sont : hiérarchie (étagement), recouvrement, chevauchement,

discontinuité (p. ?)

Il est pratique de traiter ensemble de ces aspects car ils prêtent à confusions mutuelles en même temps qu'ils

peuvent laisser croire à des contradictions […].

"Dans le système des régions, il y aura quelque chose comme une hiérarchie de places […]. (p. 275). Malgré la

restriction "quelque chose comme", l'idée d'une hiérarchie de régions est omniprésente dans le Manuscrit comme le

sont les adjectifs "inférieur" et "supérieur".

Les raisons qui expliquent jusqu'à un certain degré le niveau supérieur de réalité à partir des niveaux inférieurs

démontrent seulement que les différentes régions de réalité "se touchent les unes les autres" ―ainsi qu'on peut le voir

avec une complète clarté dans le rapport de la chimie à la mécanique du mouvement des électrons. (p. 349)

Les différentes régions se rencontrent ou se chevauchent constamment dans les choses dont nous faisons nos

objets de recherche. (p. 274)

Mais surgit la difficulté. Pour partiellement recouvrantes, pour gaillardement chevauchantes qu'elles soient, les

régions sont indépendantes. Qu'est-ce à dire exactement ? WH répète que des "abîmes" les séparent :

― Seule la pensée intuitive peut franchir l'abîme qui existe entre le système de concepts déjà connu et le système de

concepts nouveau, la déduction formelle est impuissante à jeter un pont sur cet abîme (p. 261) ;

― Il est impossible de franchir au moyen de déductions logiques ou de développements logiques ultérieurs du langage

l'abîme qui sépare les différentes régions (p. 262) ;

― Le niveau de réalité qui est porté par les symboles est séparé par un abîme, sous le rapport de la connaissance, de

tous les niveaux inférieurs et notamment du niveau biologique (p. 353).

Et nous rencontrerons encore d'autres abîmes plus loin, dont un qui est très beau : Le mot "amour" ne peut être

compris que par celui qui a déjà rencontré l'amour (pp. 333-334). La difficulté ? C'est qu'un champ de connaissances

traversé d'abîmes, cela fait plusieurs champs. Adieu l'Unité ?

Les lois de la théorie quantique sont plus élevées dans l'agencement que celles de la physique classique [déjà cité plus

haut] : elles les englobent en tant que cas-limites et elles contiennent en outre les lois de la chimie, et plus

généralement, l'ensemble des régularités nomologiques liées aux qualités sensibles de la matière (p. 305). Pour

reprendre une citation précédente : […] une hiérarchie de places, au sens où certaines régions inférieures sont

contenues dans des régions supérieures à titre de cas-limites particuliers et simples. (p. 275).

Autre exemple dans le domaine du langage. Dans "Physique et philosophie", WH expose les vues de son ami

Weizsäcker : La logique classique serait alors contenue dans la logique quantique comme sorte de cas limite, mais

c'est la logique quantique qui constituerait le raisonnement logique le plus général (citation reprise plus loin).

L'idée des cas-limites, lancée peut-être par N. Bohr en même temps que son "principe de correspondance" (*),

se retrouve dans certaines conceptions actuelles. Elle fournit, en effet, des points de contact entre théories ou

approches concurrentes. Ces cas font aussi fonction de postes-frontières entre deux mondes tels que ceux dénommés

"quantique" et "macroscopique" (voir : Le monde mental ment). Finalement, ils démythifient, ils rendent admissible

par la raison une vision de l'homme "entre deux" : dans un créneau de l'univers entre deux mondes aux lois différentes.

En pratique, nous habiterions principalement un monde tenu pour habituel ou normal et deux autres adjacents, aux

lois différentes ; dans certains cas (-limites !), nous avons vue sur le monde voisin, ou même sommes assujettis à ses

lois.

(*) Il s'agit de la correspondance entre physique classique et physique quantique.

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Doc. 1-05

La complémentarité selon Werner Heisenberg (Philosophie ou "Le manuscrit", 1942) : Extraits déjà reproduits et commentés dans les Exercices (chap. 5),

à quelques détails près balisés par des crochets.

WH : Werner Heisenberg

"À tous les niveaux d'organisation, du quantique au psychique sans omettre le langage, une loi physique dite de complémentarité

impose une relative indétermination ou incertitude" [sur les éléments particuliers d'un système.]

On se trouve ici [...] devant une étape de l'histoire de la pensée : l'introduction de la complémentarité. Cet

événement figure-t-il dans quelque manuel ? Une grande confusion sévit, chez les gens cultivés, entre les trois

notions de complémentarité, incertitude et indétermination. Les "équations d'incertitude", le "principe

d'indétermination" auront été accommodés à toutes les sauces, ce précieux ingrédient aura servi à boucher

toutes sortes de trous du discours… Il est donc capital de pouvoir recueillir, grâce au Manuscrit, la vision de

WH lui-même, au milieu de sa vie adulte (il en dira encore quelques mots dans WHpt*).

Soulignons tout d'abord en cette affaire l'étroite complémentarité qui a fonctionné entre… Niels Bohr et WH,

même si elle a failli brouiller, bien malgré eux, les deux amis : épisode vibrant de l'hiver 1927 à Copenhague,

relaté dans WHpt. Les deux physiciens se sont véritablement "repassé le ballon" pendant quinze ans dans une

connivence parfaite, l'un disant : la complémentarité de Bohr, l'autre : l'équation de Heisenberg. Et j'avais bien

raison, il y a trente ans, pas plus physicien alors que maintenant, en toute outrecuidance donc, de

recommander l'expression "principe de Bohr-Heisenberg ; sans compter que Stockholm aurait pu, par une

attribution conjointe, faire l'économie d'un prix. Mais laissons parler WH :

Au centre des réflexions de Bohr se trouvait la notion de complémentarité, introduite par lui ; la complémentarité devait décrire une

situation où nous pouvions saisir un seul et même phénomène par deux modes d'interprétation différents. Ces deux modes devaient à

la fois s'exclure mutuellement et se compléter ; et c'est seulement la juxtaposition de ces modes contradictoires qui devaient

permettre d'épuiser pleinement le contenu visuel du phénomène. Au début, Bohr manifesta quelques réserves à l'égard des relations

d'incertitude qui lui apparaissaient comme un cas très particulier de la situation générale représentée par la complémentarité. Mais

nous nous aperçûmes rapidement […] qu'il n'y avait plus de différence sérieuse entre les deux interprétations (WHpt).

Main dans la main, donc ! Quand on nous dit (Encyclopaedia universalis, XI, p. 599) que "ce sont les relations

d'incertitude [Heisenberg 1927] qui ont conduit Niels Bohr à l'introduction du concept de complémentarité", il

faut ajouter "et réciproquement". Parce que Bohr précédemment, en analysant certaines raies spectrales, avait

mis la main sur quelque chose comme une complémentarité qui restait à formaliser mathématiquement pour

en faire un principe, ce qu'accomplit Werner en attribuant la paternité du produit fini à Niels.

Au commencement de l'affaire :

D'après la théorie quantique, il existe entre certains des éléments déterminants [indiqués plus haut : position et vitesse de points

matériels] des relations "complémentaires", c'est-à-dire que la connaissance précise de l'un exclut la connaissance de l'autre. (WHpt :

314)

Amorce de généralisation : Il est donc absolument impossible d'obtenir une connaissance complète d'un système mécanique au

sens où l'entendait la mécanique newtonienne […] L'objectivation, c'est-à-dire l'établissement par l'observation d'une propriété

déterminée, exclut la connaissance de certaines autres propriétés déterminées. (p. 302)

Plus généralement encore : Le langage en tant que la forme qui permet d'appréhender et de transmettre les pensées

humaines […]. La recherche se trouve confrontée dès le premier pas à l'abîme au bord duquel se joue toute connaissance

humaine : car est-il jamais possible d'exprimer au moyen du langage quelque chose d'entièrement déterminé ? Non pas

[j'abrège] qu'il y ait des pensées déterminées de façon complètement claire et que le langage ne puisse pas toujours les

exprimer. Ce qui est en jeu dans la question est plutôt cet élément inévitable d'indétermination, ce "suspens"

[Schwebende] intrinsèque à la pensée et au langage […]. (p. 256)

_____________________

WHpt : Heisenberg, W. La partie et le tout. Le monde et la physique atomique (Souvenirs, 1920-1965). Albin Michel, 1972 ;

Flammarion, 1990. Première édition en allemand : Der Teile und das Ganze, 1969.

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Doc. 1-06

Les voies de la connaissance Un choix parmi les voies proposées (ordre chronologique, toutes contrées confondues)

à partir de… via… ou →

directement

selon…

(Dans le jaïnisme : 6 voies) La connaissance juste (samyak jnana) comprend la connaissance acquise par les sens (mati

jnana), la connaissance acquise par les écritures (shruta jnana), la clairvoyance (avadhi jnana), la connaissance directe ou

télépathie (manahparyaya jnana) et la connaissance parfaite (kevala jnana). P. Amiel : B.A ba jaïnisme

"Résiste à l'habitude qui pourrait t'entraîner à suivre la voie [des sens et de l'expérience] où œil aveugle, oreille sourde et

langue encore régentent tout. Juge plutôt avec ta raison" (Parménide, Fragment BVII)

"L''homme se trouve coupé de la réalité. (…) Il n'y a pas de voie [ou issue, pore, canal] permettant de connaître la réalité

effective de chaque chose. (…) Il est deux formes de connaissance : l'une légitime [par l'intellect], l'autre bâtarde [par les

cinq sens]. (…) Vient un moment où la bâtarde n'est plus à même de voir ni d'entendre (…) et où il faut faire appel à plus

subtil, la légitime. En réalité, nous ne savons rien car la vérité est au fond du puits. Démocrite (B. VI, VII, XI et CXVII)

Il y a, outre les corps solides, des répliques de même forme qu'eux […] qui se répandent dans les milieux qui entourent les

corps. […] Ces répliques, nous les appelons des simulacres. […]

C'est parce que quelque chose des objets extérieurs pénètre en nous que nous voyons les formes et que nous pensons. Car les

objets extérieurs ne sauraient imprimer en nous, à travers l'air, les couleurs et les formes qu'ils possèdent en eux-mêmes, ni

nous les laisser saisir par des rayons ou par un courant de nature quelconque allant de nous à eux ; rien de tout cela n'est

satisfaisant comme d'admettre que des répliques détachées des objets et en reproduisant les formes et les couleurs entrent,

sous des grandeurs proportionnellement réduites, dans nos yeux ou dans notre esprit […]. Épicure : Lettre à Hérodote

"Celui qui part de son vrai Moi pour parvenir à la connaissance a suivi la voie de la nature. Celui qui part de la connaissance

pour aboutir à son vrai Moi a suivi la voie de la culture. Celui qui est fidèle à sa vraie nature possède en même temps la

connaissance, et celui qui a la connaissance trouve en même temps sa vraie nature.

Confucius : De l'équilibre et de l'harmonie, (Liki XXXI)

"Il n'est pas possible d'avoir une connaissance scientifique par la perception. […] Même si nous percevions que le triangle a

ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions une démonstration et nous n'en aurions pas une connaissance

scientifique." Aristote : Seconds analytiques I (31) Note. Pour "connaissance scientifique", l'auteur emploie une forme grammaticale de épistémè ou épistamai ("le savoir" ou "savoir").

La perception et les sens, pas la raison

→ Écoles matérialistes de l'Inde ancienne (çarvaka,

lokayata…)

Expérience spirituelle → le jnana yoga de Rama Rishi

Recherche spirituelle → les mystiques diverses

Révélation divine → Mystères de l'Antiquité, religions div.

Fréquentation de Dieu → les prophètes et saints, Ramakrishna…

Consultation indirecte des dieux oracles, augures les prêtres

Initiation, recherche personnelle avec / sans maître les gnoses

Idées ou matériau innés → Descartes, Leibniz : innéisme

• "Connaissance du premier genre, opinion ou imagination : (…) Pour origine : les objets singuliers qui nous sont représentés

par les sens d'une manière tronquée, confuse et sans ordre pour l'entendement (…). J'appelle de telles perceptions

connaissance par expérience vague (…). L'Âme humaine, toutes les fois qu'elle perçoit les choses suivant l'ordre commun de

la Nature" (…) avec l'assistance éventuelle de la mémoire des mots.

• "Raison et connaissance du 2ème

genre : (…) Ce qui est commun à toutes choses et se trouve pareillement dans la partie et le

tout… certaines notions communes et idées adéquates des propriétés des choses".

• "Troisième genre de connaissance (…) que nous appellerons science intuitive. Et ce genre de connaissance procède de l'idée

adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence des choses".

Spinoza : Éthique, II (prop. 24-43) et III (prop. 25-33)

Expérience rationnelle → Locke, Berkeley : empirisme

Sensation, perception, expérience

(toutes en tant que phénomènes)

raison de Kant à nos jours

Changeux ?

Sensation, perception, expérience le cerveau le constructivisme

Tous les moyens sont bons ! la PhS

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Doc. 2-01

apparaît.

L'information dans l'univers

Les deux schémas d'apparence la plus simple (en haut) et la plus complexe (en bas) de l'info selon

T. Stonier. Information and the internal structure of the universe, 1990, fig. 6.1 (en haut) et fig. 3.2

(en bas) ; la seconde figure est également parue in Information and meaning, 1997, fig. 2.2.

En haut : les trois côtés du triangle sont les limites de l'univers : côté gauche, mélange d'info et

d'énergie sans matière (des photons traversant l'espace…) ; côté droit, mélange de matière et

d'énergie sans info (un plasma…) ; la base, un mélange d'info et de matière sans énergie (un cristal à

0 °C). Ce modèle peu connu (?) mérite un nom, disons : le triangle de Stonier. Son principe : "L'info

et l'énergie ne doivent pas être vues comme les opposés d'un dipôle mais comme les deux angles

d'un triangle dont la matière est le troisième".

En bas : la relation info/entropie, qui est aussi l'évolution de l'univers. En bas à droite, l'entropie

approche l'infini et l'info approche zéro : les conditions du Big Bang. Vers la gauche, l'info croît :

l'univers s'organise.

Traduction libre de Stonier (1990, figs 3.2 et 6.1 pp. 39, 70, 74-75)

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Doc. 2-02

Pas "LA théorie de l'information" mais... Extrait, ici substantiellement modifié, des Fondements, p. 233.

... DES théories de l'information ou, plus précisément : sur l'information

Objet : l'info sous un ou plusieurs de ses aspects.

Approche : telle ou telle voie parmi les sciences dites de la nature ou de l'homme

► Théorie mathématique de la communication (de l'info) ou TMCI

= C. Shannon

► Théorie quantique de l'information = B. Schumacher, C. Cohen-Tannoudji, …

► Théorie algorithmique de l'information = G. Chaitin

(piste ouverte par A.N. Kolmogorov)

► Théorie ontologique de l'information = en attente

► ... (?)

... et DES théories informationnelles (ou : méneutiques) de...

Objet : tel ou tel domaine ou notion dans le vaste monde de la connaissance.

Approche : la notion d'information, par exemple sous sa quantification mathématique mais pas exclusivement.

► Théorie informationnelle de l'esthétique = A. Moles (3)

► Théorie informationnelle de l'écologie

= R. Margalef, S. Frontier, etc.

► Théorie informationnelle du langage (4)

► Théorie informationnelle de la pensée : computationnisme ou :

► Théorie informationnelle de la complexité = G. Chaitin une théorie

► Théorie informationnelle de la philosophie unifiée ?

= L. Brisson & F.W. Meyerstein (un peu malgré eux ?)

► Théorie informationnelle générale de la pensée, du langage

et de l'action (PhS : Monde mental. Ici, doc. 2-08)

► ... (?)

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Doc. 2-03

Théorie algorithmique de l'information (TAI)

Le "Théorème de Chaitin" par son auteur

Mon approche a été de mesurer combien d'information il y a dans un système d'axiomes, combien dans un

théorème. Dans certains cas, je peux montrer que si vous avez 5 kilos d'axiomes, seulement 5, mais qu'il y a

[dedans] un théorème de 10 kilos, eh bien ce théorème-là est trop gros, il pèse trop lourd pour résulter

seulement de 5 kilos d'axiomes. [Trad. pers.] G.J. Chaitin : Conversations with a mathematician

NDJ. Telle est la formule la plus "axiomatique" que j'aie pu trouver dans l'œuvre de l'auteur ; elle est tout à fait

prosaïque, peu importe. Ce qui importe, c'est qu'il y a plusieurs versions du théorème (voir ci-dessous et voir Le monde

mental ment) ainsi qu'un théorème vraiment autre que je résume : on ne peut pas démontrer que tel programme est le

plus court des tous les programmes possibles pour atteindre telle sortie.

Si, dans un système formel, un théorème contient plus d'information que n'en contient l'ensemble des axiomes

de ce système, alors le théorème en question ne peut être déduit de ces axiomes ; il est indécidable.

[…] Les théorèmes déduits d'un système formel axiomatisé ne peuvent jamais contenir plus d'information que

le système axiomatique lui-même. Brisson & Meyerstein : Inventer l'univers

Rien de ce qu'engendre un système formel, aucun de ses théorèmes, ne peut présenter une complexité

algorithmique supérieure à celle de ses axiomes. Brisson & Meyerstein : Puissance et limites de la raison

G. Chaitin […] a établi le remarquable et étonnant théorème suivant : une théorie consistante donnée T ne

peut démontrer qu'un nombre d'informations fini d'informations du type "Ks = n" ou du type "Ks > n". Ainsi,

au-delà d'un certain n0 (qui dépend de la théorie T), tous les énoncés affirmant une complexité supérieure à n0

sont des indécidables de la théorie T. J.-P. Delahaye Pour la Science, 242 (2014)

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Doc. 2-04

Ils ne connaissaient pas l'info !

[L'hommage à Platon et ses Idées ou Formes]

Platon a découvert que l'idée au sens de forme "informe" le monde. Selon lui, l'idée-force" explique toutes choses. Tout

vit grâce à elle. Elle est l'âme de toutes choses et, grâce à elle, tout est plein d'âme et de sens. C'est elle, plus que

l'homme, qui réconcilie l'être et le devenir, en étant dans l'homme ce qui permet à celui-ci de demeurer le même à travers

tous les changements. Platon, en ce sens, peut être considéré comme le premier théoricien de l'information. Il a été le

premier à penser la réalité à partir d'un principe d'information courant à travers celle-ci afin de la former.

Idéaliste dès lors, Platon ? Abstrait ? Rêveur ? Nullement. Ainsi que l'a vu Hegel, son coup de génie a consisté à

voir qu'il n'y a pas plus réel que l'idée. Et l'expérience nous le montre. Si le monde était informe, il n'y aurait pas de

monde. Si notre vie ne prenait pas forme, nous ne vivrions pas. Aussi Alain a-t-il eu raison de dire que le monde des

idées décrit par Platon est réel comme la pureté du diamant issu du roc. B. Vergely : Boulevard des philosophes [1]

Il n’est pas si aussi aisé qu’on l’imagine de transporter une idée de l’esprit d’un homme dans l’esprit d’un autre homme

sans déperdition ni erreur, particulièrement dans le cas de notions nouvelles et différentes des notions reçues.

F. Bacon : Le Valeri us terminus ou De l’interprétation de la nature

(Les changements sont les éléments constitutifs de toute pensée ; toute intuition, toute conception, toute conclusion, se

composent de changements arrangés d'une manière particulière, et sont décomposables en changements. […] Voici un

organisme placé au milieu des objets : s'ils n'exercent sur lui aucune influence, il ne peut rien savoir d'eux, rien penser

d'eux. Il ne peut connaître leur existence que d'une seule manière, par les effets que ces objets produisent sur lui, par les

changements qu'ils causent en lui ; par conséquent, il ne peut connaître immédiatement que ces changements. C'est

seulement par le moyen des changements qu'il peut devenir conscient des objets, et c'est seulement à l'aide des

changements qu'il peut composer sa connaissance des objets. H. Spencer : Principes de psychologie, (II, 377)

L'explication de la beauté des fleurs, de la variété du monde des insectes, de l'efficacité de la construction du corps

humain et animal […]. Aussi pouvons-nous évaluer aussi bien la beauté que la vérité, à partir de la mécanique.

[…] Nos états d'âme, les beaux-arts et les sciences, relèvent de la mécanique, tout autant que nos organes physiques.

[…] La mécanique n'est en aucun cas quelque chose de mécanique. Néanmoins, malgré sa complexité […] elle garde

encore quelque chose de mécanique ! L. Boltzmann : Sur les principes de la mécanique (in Voyage… en Eldorado)

Nos dispositifs sont tels que nous ne pouvons jouir intensément que de ce qui est contraste [l'info], et ne pouvons jouir

que très peu de ce qui est état [tout le reste]. Freud, S. Le malaise dans la culture Nous vivons par la pensée ; toutes nos actions se fondent sur la pensée, tous les grands édifices, les cathédrales, les

églises, les temples et mosquées du monde sont les résultats de la pensée ; et tout ce qui se trouve à l'intérieur de ces

édifices religieux ―les statues, les symboles, les images― sont tous l'invention de la pensée. C'est irréfutable. La

pensée a non seulement créé les édifices les plus merveilleux avec ce qu'ils contiennent mais elle a aussi créé les

instruments de guerre, la bombe sous toutes ses formes. La pensée a aussi produit le chirurgien et les instruments

merveilleux et si délicats de la chirurgie. Elle a aussi produit le menuisier, son apprentissage du bois et les outils qu'il

utilise. Le contenu d'une église, l'habileté d'un chirurgien, la compétence de l'ingénieur qui construit un beau pont sont le

résultat de la pensée ―on ne peut pas le nier. Il faut donc examiner ce qu'est la pensée ; pourquoi les hommes vivent de

la pensée et pourquoi la pensée a engendré un tel chaos dans le monde ―la guerre, l'absence de relation mutuelle― et il

faut examiner l'immense capacité de la pensée, avec son extraordinaire énergie. Nous devons également voir comment

la pensée, au cours de ces millions d'années, a engendré une telle souffrance pour l'humanité. […]

La pensée est la réaction de la mémoire des choses passées ; elle se projette aussi en tant qu'espoir dans le futur.

La mémoire est savoir, le savoir est la mémorisation de l'expérience. En d'autres termes, il y a expérience ; à partir de

cette expérience, il y a du savoir sous forme de mémoire et, à partir de cette mémoire, vous agissez. Vous apprenez à

partir de cette action, ce qui est encore du savoir. Nous vivons dans ce cycle ―expérience, mémoire, savoir, pensée et,

partant de là, action―, restant toujours dans le domaine du savoir. Krisnamurti : La nature de la pensée

Sur la dernière citation. Fulgurant ! Remplacez partout "pensée" et "savoir" par "info", précisez pour cette dernière, en tant que de

besoin, soit IS soit IA, et vous obtenez la plus complète description qui soit de l'information en tant que grandeur universelle.

Pourtant l'auteur, pas très "scientifique", ne disposait pas de cette notion, même à la date de sa conférence (septembre 1981).

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Doc. 2-05

Après lecture de F. Bonsack, de J. Attali et de T. Stonier…

…et si je n'avais RIEN COMPRIS à l'information ?

► F. Bonsack : Information, thermodynamique, vie et pensée, 1961. (J'ai ajouté 3 sous-titres.)

Théorie générale des complexions : distinguer variabilité et spécificité

(49 :) Alors que l'interprétation courante associe l'information à l'entropie, donc à la variété, à la

complexité, à l'incertitude, au désordre et même au bruit, créant ainsi une grande confusion conceptuelle,

l'interprétation proposée la replace sur son lieu naturel qui est celui de la spécificité, de l'ordre et de la

détermination.

(229 :) Dans cet ouvrage, il s'agissait de construire, en partant de la thermodynamique et de la théorie de

l'information, une sorte de théorie générale des structures (plus précisément : des complexions), de leur

évolution et de leur origine.

Thermodynamique et théorie de l'information ne sont que deux applications particulières de cette théorie

générale.

(9 :) La "spécificité", nouvelle grandeur, contrairement à l'entropie-variabilité, […] peut être utilisée

comme la mesure de la quantité d'information. […] Elle n'est ni une entropie, ni une néguentropie, mais

une différence de deux entropies.

(71 :) La "variabilité", entropie d'un message, est une mesure (a) de l'indétermination […], (b) de la

diversité, de la variété de la collection […] et de l'étendue du choix des messages.

(10 :) Cette façon de présenter les choses est peut-être moins simple […] mais plus claire [!].

Un "principe de Carnot généralisé" pour la thermodynamique et la théorie de l'information

(10 :) Pour retrouver un principe de Carnot en théorie de l'information, il faut abandonner l'entropie pour la

spécificité. Le principe devient alors : La spécificité d'une structure (ici, d'un message), ne peut que croître

ou éventuellement rester constante.

(231 :) Il faut donc formuler un autre principe de Carnot, qui a dit que la spécificité ne peut que diminuer

ou au plus rester constante (dans le cas où les transformations sont réversibles). Ce principe de Carnot

s'applique sans difficulté aux structures spécifiques autres que les messages ; l'évolution qu'il autorise se

traduit par l'altération, la ruine, le bris, l'usure, la décomposition, etc., qui correspondent en général à une

perte de spécificité.

(232 :) Il est possible d'augmenter la spécificité d'un système, au prix il est vrai de l'augmentation de la

variabilité physique. Cette augmentation correspond à un choix, à une sélection, sélection qui n'est

d'ailleurs pas un privilège de l'homme : même un crible, un filtre peuvent sélectionner un ensemble d'une

plus grande spécificité au sein d'un référentiel de spécificité moindre.

C'est à cette augmentation de spécificité par sélection que seront ramenées toutes les autres augmentations

de spécificité : les innovations au cours de l'évolution biologique […] ou intellectuelle.

Y a-t-il création ? Qu'est-ce que le nouveau ?

(13 :) Il n'y a jamais véritable création d'ordre, création de contraintes, de spécificité, il n'y a que transfert

d'ordre d'un domaine à un autre, par exemple du microscopique au macroscopique. […] La vie et la pensée

sont-elles véritablement créatrices de spécificité [synonyme ici d'information] et contredisent-elles un

principe de Carnot généralisé ? […]. (14 :) Ce principe est vraisemblablement respecté car toute sélection

constitue une mise en ordre, impossible sans processus irréversible augmentant l'entropie physique.

(168 :) L''homme possède-t-il véritablement un pouvoir créateur, capable d'augmenter la "quantité

d'information" du système dans lequel il est enfermé ? Et s'il possède un tel pouvoir, ce pouvoir est-il

inanalysable, inexplicable ? Avant de répondre par la négative […].

(171 :) Nous proposons donc une théorie darwinienne de l'invention, de l'innovation, de la création.

T S V P

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► Attali, J : La parole et l'outil, 1975. (J'ai ajouté 5 sous-titres.)

1 / L'information n'est pas limitée […].

a) L'information signifiante n'est pas mesurable en termes de quantité ;

b) L'information relationnelle peut être crée à l'infini avec une consommation quasi nulle d'énergie par les

individus.

2 / L'information n'est pas additive […] ni soustractive, ni divisible. [En revanche, multipliable, en tant

que reproductible ?]

[…] Cette non-additivité renvoie au problème plus général de la rationalité. Aujourd'hui, la rationalité

dominante est celle de l'arithmétique, fondée sur la distinction de A et de non-A […].

3 / L'information organise l'efficacité [au prix d'un certain flux d'énergie ?].

4 / L'information se dégrade avec le temps.

5 / Information et valeur […].

La valeur d'échange de l'information, quel que soit son niveau, n'a rien à voir avec sa mesure […]. Elle

dépend de la réponse du système où elle s'insère. […] L'information coûte quelque chose. […]

L'information ne peut avoir de valeur que par rapport au système social qui dicte le comportement du

récepteur […].

La valeur de l'information lorsqu'elle existe, dépend de la finalité plus ou moins explicite du processus de

développement […].

►T. Stonier : Information and the internal structure of the universe (1990)

(114 :) Outre la structuration de l'univers en niveaux d'information, l'info elle-même est organisée en

couches de complexité croissante. Il ne semble pas y avoir de limite supérieure à la quantité possible d'info.

Celle-ci n'organise pas seulement matière et énergie mais elle organise aussi l'info —comme cela se passe

dans le cerveau et dans un ordinateur.

Les numéros des pages sont entre parenthèses.

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Doc. 2-06

Pensée systémique, information, incomplétude : aide-mémoire

In Le monde mental…, retouché au début

Postulat. Autant qu'on puisse en analyser et le déterminisme physico-chimico-biologique et le contenu

logique, les productions mentales peuvent se traiter en termes d'information. Elles se manifestent par du

quantifiable, du discret (ce mot étant opposé à : continu).

Addendum : Sous ses deux acceptions, la pensée est système : en tant qu'acte de penser, c'est un système

penseur/pensé et, en tant que production issue de cet acte, c'est ensemble d'éléments interdépendants, etc.

► Toute pensée est un holon selon la définition d'Arthur Koestler : "entité intermédiaire qui fonctionne

comme une totalité autonome par rapport à ses subordonnées et comme partie dépendante par rapport à ses

supra-ordonnées" (*). Pour le respect de l'Histoire, priorité revient à F. Bacon : "Chaque chose est dotée d'un

appétit naturel inné en vertu duquel elle tend à deux espèces de biens…" (*).

► Plus une pensée est abstraite (conceptuelle, élevée), plus elle échappe à une analyse axiomatique par la TAI

(Théorie algorithmique de l'information) et plus elle encourt d'être fautive par sa démarche et, conséquem-

ment, d'être erronée en ses conclusions.

► Les pensées de caractère "philosophique", outre qu'elles ne sauraient échapper à la condition précédente,

sont absurdes dans le sens où elles outrepassent la mission originelle, laquelle était seulement de préparer

l'action. À proprement parler, la pensée n'est pas faite pour penser ! Cf. le sabre de Boltzmann.

► On joue à la pensée comme on joue au Meccano® ou au Lego® : en ajoutant ou retirant des pièces.

►Une pensée extraite d'un système donné et introduite dans un autre y prend un autre sens.

► On ne peut sans risques "rapprocher" deux pensées pour les comparer ; encore moins les enchaîner comme

le font induction et déduction.

► Le fabuleux éventail des figures de rhétorique (cf. Monde mental, chap. 10) s'offre comme un exposé de

tous les "trucs" par lesquels la pensée s'affranchit des règles systémiques.

► Un mot, une pensée ne prennent sens que par rapport à d'autres mots, d'autres pensées. Toutes les pensées

sont interdépendantes, ce qui conduit à une interrogation métaphysique (cf. notion hindouiste du sunyata :

interdépendance).

► Ces propos sont ceux d'un amateur. Ils ne sauraient tenir lieu de la véritable logique systémique que la

philosophie sauvage appelle de ses vœux les plus pressants.

_______________ (*) Les références relatives à cet encadré ont dû être retirées pour raisons techniques.

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Doc. 2-07

La pensée "revisitée" à la lumière de la notion d'info Extrait des Exercices

En tant que composante de l'univers et que lieu notoire de traitement de l'info, la pensée "revisitée"

(anglicisme) dans une optique transdisciplinaire possède, entre autres, les caractéristiques "objectivables"

suivantes. "Étant faite d'information […] elle est sujette à autolimitation, étant système elle est sujette à

incomplétude". Elle est quantifiable en unités d'information ; elle est interactive, évolutive ;

thermodynamiquement, la pensée, pas plus que l'info, n'est gratuite. La pensée n'est pas l'opposé de

l'action ! En effet, par la sélection et le traitement qu'elle effectue parmi l'info, sans parler de sa

consommation très dispendieuse d'énergie (que matérialise l'IRM fonctionnelle), la pensée est action !

Tout en étant une production de l'activité du cerveau, elle travaille contre lui quand elle cherche à déjouer

les mécanismes mentaux ; elle en arrive ainsi à travailler contre elle-même quand, achoppant sur une

difficulté, elle se remet en cause elle-même.

En ses débuts au moins, la pensée s'est nécessairement développée selon des axes d'adaptation à

l'environnement, d'efficacité de l'action, de succès de l'individu, de dominance de l'espèce. Superposant

les représentations mentales, elle a produit des modèles du monde de plus en plus complexes et

performants, modèles toujours validés (retenus, modifiés, oubliés) par les résultats en termes

d'échec/succès. Il faut envisager que, par la suite, cet objectif s'est trouvé dépassé ou déplacé dans des

opérations conceptuelles qui, elles, ne sont pas soumises à évaluation ; en même temps, le cerveau aurait

poursuivi son hypertrophie et le langage se serait complexifié. Sur cette évolution hypertélique, la PhS est

catégorique : "La pensée n'était pas faite pour penser" (5), suggestion remontant, pour le moins, à L.

Boltzmann (6).

Nescio [J'ignore] : s'il existe quelque chose comme une "pensée pure" qui répondrait à d'autres

caractéristiques que celles données ci-dessus. Quant à dire si le chimpanzé, l'amibe, les cailloux pensent,

tout dépend des définitions retenues et des critères choisis. Sans exclure aucun être, j'ai limité mon étude

à la pensée chez les animaux dits "supérieurs" de par leur organisation.

La pensée n'est pas seulement production neuronale. Cytologiquement, elle est aussi neurogliale ;

chimiquement, elle interagit avec une vaste famille d'hormones, issues du cerveau lui-même ou d'autres

parties du corps, appelées neuromédiateurs ; physiologiquement, elle reflète l'activité et la mémoire

corporelle de tout un organisme de Vertébré homéotherme. Sous les autres aspects, notamment le

présumé spirituel, nescio ! Malgré la complexité des structures et des fonctionnements cérébraux —ou à

cause de cette complexité— l'action de la pensée est limitée. En progressant par abstraction et complexité

croissantes, elle atteint nécessairement un niveau impossible à dépasser, une totalité impossible à

englober dans une autre, ceci pour des raisons" matérielles". La pensée ne peut plus alors se considérer

elle-même (par une représentation qui, s'englobant elle-même, dépasserait le cadre biologique et

thermodynamique de l'épure). Ceci exclut l'existence d'une vérité absolue.

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Doc. 2-08

Éléments d'une théorie informationnelle unifiée

de la pensée, du langage et de l'action (Le monde mental ment monumentalement, chap. 19)

0. (Par précaution, en laissant du blanc pour un ou des axiomes premiers). La Pensée est […], l'Esprit […].

1. Le mental, comme tout le reste, est en évolution, il est une évolution.

2. Autant qu'on puisse en analyser et le déterminisme bio-physico-chimio-logique et le contenu logique, les

productions mentales peuvent se traiter en termes d'information. Elles se manifestent par du

quantifiable, du discret (par opposition à : continu). Attention cependant, l'information ici n'est pas celle de la

"théorie de l'information" mais une notion bien plus vaste (voir Avant-propos, voir ici même point 6, voir

Fondements, etc.).

3. (Sous les mêmes réserves) Considéré sous l'aspect d'assemblage et manipulation d'information, le mental

ne peut être considéré autrement que comme systémique.

4. Corollaire de 1 et de 2 : obligation d'incomplétude. Il y a incomplétude dès qu'il y a système. À plus forte

raison quand un élément se déplace de part et d'autre des limites attribuées audit système. A fortiori encore

lorsque cet élément est lui-même porteur d'une information non connue (et d'une certaine énergie), comme

c'est le cas dans les systèmes penseur-pensée.

L'incomplétude en question ici n'a rien de métaphysique. Elle s'applique au "réel" comme le font

toutes les lois instituées pour régir ce que l'on appelle réel ; Boltzmann dirait qu'elle relève de la Mécanique.

Bien sûr, l'incomplétude prête à toutes sortes d'interprétations et analogies dont la validité logique reste à

vérifier au cas par cas.

5. C'est une sorte de nécessité (celle de Spinoza, celle de Kant ?) qui relie les points 1, 2 et 3. Qui dit

information dit système, qui dit système dit incomplétude.

6. La fonction originelle de la pensée, dans sa dimension évolutive, était de fournir à l'individu pensant une

représentation d'un (infime) fragment du monde et, par là, un modèle opérationnel de l'action. Or, tout se

passe comme si, fortifiée par ses excellents résultats dans cette tâche, la pensée avait outrepassé ses missions

en échafaudant les représentations jusqu'à produire : abstractions, concepts, valeurs, croyances, etc.,

toutes autant "artificielles" (*) les unes que les autres. On peut, sauf donnée bibliographique ici omise,

attribuer cette vue au physicien L. Boltzmann. Après le bien connu rasoir d'Occam, le sabre de Boltzmann.

Penseuses, penseurs, un peu de discipline, s'il vous plaît !

En outre, l'invention du langage, si féconde par ailleurs, a ouvert une déviation dans laquelle la pensée s'est

engouffrée […]. Et les mots sont venus paver l'éther, une prouesse qui reste inexpliquée.

7. L'information apparaît, mais à très peu de gens, comme grandeur universelle, commune à toutes les

disciplines du savoir ; c'est également —mais qui s'en soucie ?— l'objet le plus élémentaire que puisse

appréhender la pensée. Eu égard à ce statut, on ne s'étonnera pas que la "nature" de l'information reste

totalement énigmatique ; on sait seulement que l'information se manifeste sous deux formes

complémentaires, quelque chose comme : structure et action (IS et IA). Structure et changement de

structure ? Les Grecs étaient bien inspirés de s'interroger sur le "changement". Exister "en puissance ou en

acte", là réside peut-être le génie d'Aristote. Moins heureux sont les traités dans lesquels il essaie de

formaliser cela : définitions "croisées" (par référence à l'autre terme), de plus en plus d'espèces d'acte et

d'espèces de puissance, recours à un troisième terme (le mouvement) pour coller les morceaux… Tout

simplement parce que les deux faces de l'information sont solidaires sans que l'on sache —pas moi, en tous

cas— comment exprimer cela.

_________________

(*) "Artificiel : qui se fait par art, opposé à naturel" (Petit Littré).

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Doc. 2-09

Pensée, langage et information

La linguistique semble être celle des sciences qui aura été la plus éprouvée par les vices logiques et épistémo-

logiques, tous genres confondus ; sans omettre celui d'auto-identification par lequel une espèce (l'homme par rapport

aux animaux) ou un groupe (un peuple par rapport aux autres) ou un individu (par rapport au groupe) croient prouver

leur autonomie, leur existence. La synthèse "Aux origines des langues et du langage" rassemblée par J.-M. Hombert

(Fayard, 2005) offre de ces travers un opulent florilège. Nous allons compléter ici avec plusieurs illusions ou

confusions rendues manifestes par l'utilisation des méthodes PhS, notamment ces trois principes :

- l'information biface (IS et IA), cf. chap. 2,

- le double sens de "pensée" (fonction et production mentales), chap. 1,

- la précellence de la nature sur ses représentations cérébrales,

ce à quoi s'ajoutent l'énigme de la transduction sensorielle (chap. 4) ainsi qu'un certain nombre d'observations

rapportées dans ce livre. Voici donc une demi-douzaine de points chauds. "Suivre l'info", en suivre le trajet pas à

pas, tel est le mot d'ordre.

▪ "Langage et pensée", déviation trompeuse de "pensée et langage"

Une illusion de caractère phonétique est en cause : lan—ga—gé—pen—sé s'écoule en un flot majestueux tandis que

pene—sé—eeet—lan—gage est un pénible débitage. Artefact peut-être car "Le langage et la pensée" de N. Chomsky

a pour titre original "Language and mind". Toujours est-il que la pensée naît dans nos têtes, du moins le croyons-

nous, et que le langage en sort comme un produit optionnel.

▪ Tout comme "pensée", le mot "langage" est à double sens : soit l'usage d'un code, matérialisé ou non en une

émission vocale ; soit ce code lui-même. Le français peut donner acte de la distinction en choisissant (confusément)

entre "langage" et "langue". Confondre ainsi fonction et outil est évidemment source de malentendus.

▪ L'éclosion de la pensée sur la paille (bien matérielle) de son support neuronal reste, sauf pour les réductivistes

absolutistes, un mystère de grande magnitude, l'un de ces abîmes d'inconnu dans le champ de toutes les

connaissances. En faire une forme de transduction serait ajouter un niveau à l'interrogation car rien n'indique, a

priori, un changement dans la nature de l'info comme il est de règle dans toute perception (chap. 3). Mais

précisément, qu'advient-il de l'info dans ce phénomène ? Eh bien, elle passe…

— de IA, la pensée sous sa forme de fonction mentale (car y a-t-il plus "action" que le passage d'un influx

nerveux le long d'un itinéraire neuronal ? Couper l'apport d'oxygène au cerveau, on sait la suite !)…

— à IS (car quoi de plus "structure" qu'une certaine disposition d'éléments abstraits ou figuratifs, cette

disposition étant de surcroît mémorisable, reproductible et modifiable… mais ô combien versatile : consciente ou

non, verbale ou non, muette ou sonore…

Fort bien, voilà une grande question éclairée, tout de même, d'une bougie. Questions suivantes : connaît-on

d'autres transitions IA ↔ IS et d'aussi radicales ? Serait-ce là une spécificité humaine ? À suivre.

▪ Comme rappelé à l'instant, la pensée est souvent verbalisée "dans la foulée". Ceci pose une question analogue,

celle de la genèse du langage, dans le cas du langage verbal celle du mot. Quid alors de l'info ? La réponse

économique (sous menace du rasoir de maître Occam) est : une transition en sens inverse :

— de IS, c'est-à-dire la pensée en tant que production structurée, plan d'action…

— à IA, forme sous laquelle des messages "efférents" (centrifuges) sont envoyés aux muscles et viscères,

appareil phonatoire inclus.

Ceci dans le modèle primordial de la pensée conseillère de l'action et validée par les résultats de l'opération. Mais

comme on le sait, dame Pensée a voulu s'affranchir de cette tutelle.

▪ L'opposition courante entre pensée et action est mal venue. Elle ne vaut que sous l'aspect pratique, par exemple

dans "J'y pense mais je ne le ferai pas". De même pour la triade de Zarathushtra, Pensée-Parole-Action, dont l'intérêt

est également pragmatique puisqu'elle énonce les trois "prises" possibles de l'homme sur le monde : par son mental,

par son langage verbal, par ses faits et gestes.

▪ L'externalisation de la pensée est multiforme et progressive ; voir récapitulatif historique dans doc. 15-02.

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Doc. 3.01

Schéma de l'audition

♫♫♫

Onde sonore SIGNAL

Marteau

Étrier

Enclume

AMPLI-

FICATION

Membrane vibrante

Entrée dans le

labyrinthe ("limaçon")

Cellule ciliée interne

de l'organe de Corti PREMIÈRE

T TRANSDUCTION et schéma = dénaturation

Ganglion auditif,

Aires auditives (Aa), SECONDE

circuits, TRANSDUCTION

réseaux = restitution

Partition "SENSATION"

ou mélodie "PERCEPTION"

G

Aa

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Doc. 3-02

Sens sonore, sens visuel

La cochlée de l'oreille interne Couches cellulaire de la rétine

(la lumière vient du bas)

Doc 3-03

"Birth of an idea" par Julian Voss-Andreae.

L'œuvre d'art reproduit au plus près la structure d'un canal Kcsa, l'un des types de canaux ioniques les plus

finement étudiés. L'œuvre a été réalisée à la demande du chercheur R. MacKinnon qui en a élucidé la structure

cristalline (certes, on ne retrouve pas les deux couches lipidiques de la membrane).

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Doc. 3-04

La pensée et les sens : Faut-il percevoir pour penser ?

Les plus grands penseurs se seront affrontés sur ce terrain… Voilà, au moins, une question que l'on peut dire

philosophiquement belle et intéressante, et au moins une que la science, à son heure, a rendue caduque. Les

deux se font sous notre crâne ! Il y a (il y a) bien interaction entre notre mental et notre "milieu extérieur"

(prouver le contraire serait rude tâche !) mais il y a bien aussi de la pensée spontanée, endogène. J'adore

l'image du docile patient enfourné dans le canon-fusée de l'hôpital pour une exploration IRM : isolé, ni chaud,

ni froid, sans casque ni télé, que fait-il ? Interdit de mouvement comme il l'est, que pourrait-il faire ? Penser !

et des chercheurs du voisinage ne se privent pas d'utiliser le même équipement pour regarder quelles régions

du cerveau s'allument lorsque tel type d'activité mentale est sollicité.

La vie quotidienne comme la neurobiologie nous montrent que l'on peut penser "en vase clos", le

cerveau vivant alors "sur ses réserves", ses réserves d'info.

Voici quelques autres données.

► Comme chez toute cellule vivante, la membrane du neurone est polarisée : potentiel de repos (PR), en fait

faiblement oscillant, à - 70 mv, selon un coût énergétique significatif. Il suffit de peu (l'ouverture d'un canal

ionique) pour inverser brièvement les charges. Or cette propriété est utilisée systématiquement : c'est

l'excitabilité, apanage des neurones. L'excitation est soit provoquée (par un stimulus), soit spontanée. Le PR

devient PA (potentiel d'action) pour une milliseconde et peut se propager jusqu'à l'autre extrémité de

l'organisme ; s'ajoute à cela le "bruit synaptique" qui naît aléatoirement (?) dans des boutons dendritiques.

Ainsi le tissu nerveux est-il le seul à transporter et traiter de l'info, ce qui se ferait selon l'équivalence "1 PA =

1 bit" (cours Pitié-Salpêtrière : très important, à vérifier !

► À l'échelle globale de l'organisme humain a été identifié un réseau cérébral dit "du mode par défaut"

(RMD) ou "d'absence de tâche" actif en l'absence de toute stimulation.

♫ Tous les PA sont "égaux" (semblables), se manifestent par "tout ou rien" et se propagent intégralement.

Tout PA perd donc, en naissant, tout caractère relatif à son origine, en particulier, le cas échéant, le type de

stimulus qui l'a déclenché. Mais, MAIS… s'agissant d'un ensemble de PA (même d'un seul et modeste "train"

de PA), plusieurs caractéristiques apparaissent qui pourront réaliser la modulation du signal et le codage de

l'info. Ce sont, tout d'abord, la fréquence, puis : seuil, sommation, multi-transmission (par nombreuses fibres),

neuromédiateur (parmi plus de cent), facilitation/occlusion (?), étapes dans le circuit (relais, ganglions…) sans

oublier l'extrême complexité de la transmission synaptique.

► La mémoire, pardon ! les mémoires sont une réserve permanente d'info ; comme certains Grands Magasins,

elles restent ouvertes le dimanche.

► Le néocortex, bien que frimeur et crâneur au possible (néocrâneur ?) est scrupuleux des institutions, il ne

fait rien sans consulter l'hypothalamus, et tous les anciens cerveaux, et tout le corps.

Liliane, orientaliste admirable et oubliée qui ressemblait un peu à Alexandra (je vous laisse mettre les noms de

famille), posait ceci : " La science moderne, en particulier psychologique, a bien démontré l’intrication de tous

les moments constitutifs d’une conscience vivante, de la sensation au jugement et au raisonnement sans aucun

traçage possible délimitant le plus élémentaire de la sensation et le plus construit de l’abstraction, surtout sans

franchissement perceptible d’une légitimité de conception puisque celle-ci découle toujours de la perception

et elle-même de la sensation, et ainsi de suite suivant une évolution naturelle et somme toute irrépressible." (L.

Silburn citée par H. Bitbol. "Y a-t-il une unité de la pensée philosophique de l'Inde ? Wikipédia, .2014)

Lucidité courageuse dans les années 1950 mais voici que la neurobio a changé la donne !

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Doc. 3-05

Les sept sens chez l'homme, classés par modes physiques de sensibilité Révision (personnelle et inédite) des cinq sens d'Aristote

Sens Fonction Stimulus Récepteurs Localisation Visuel (= photique) Vision (vue) Photons 400-800

nm

Bâtonnets et cônes Yeux

Sonore = acoustique)

Relève également de

la mécanique (des

fluides)

Audition

15 - 20 000 Hz

Vibration de l'air

(env. 20 – 20 000

Hz) déformant le

tympan

Cellules ciliées

internes de l'organe de

Corti

Oreilles (in toto)

Chimique

(moléculaire)

▪ Goût (gustation).

▪ Odorat

(olfaction), réduit

chez l'homme, qui

est un vertébré

"microsmatique"

Une molécule

donnée, par

adsorption puis

activation de

protéine

intermédiaire

Cellules ciliées ou

avec filaments. Des

"bourgeons du goût"

regroupent les

"cellules claires"

▪ De la langue au pharynx

(goût).

▪ Cavités nasales

(olfaction).

▪ En outre, une "sensibilité

chimique" générale

Mécanique

(si contact :

"haptique")

Toucher, noci-

ception,

cinesthésie,

kinesthésie,

somesthésie,

proprioception

Pression ou

vibration

déformant la

membrane de la

cellule

Divers types de

corpuscules (Iggo,

Meissner, Merkel,

Pacini, Ruffini) et de

terminaisons libres ou

encapsulées

Peau, poils, derme profond

et hypoderme, tissus sous-

cutanés.

Muscles, tendons,

articulations, viscères

Inertiel

(les gravitons… ?)

Graviception,

équilibre,

accélération,

baro-sensibilité

Déplacements (a)

de l'endolymphe

dans les canaux

semi-circulaires et

(b) des otolithes

dans le saccule et

l'utricule

Cellules ciliées Dans l'oreille interne : son

labyrinthe postérieur

Thermique Protection,

homéostasie,

confort, plaisir, etc.

Température Corpuscules de

Krause et de Ruffini ;

"terminaisons libres"

Peau, lèvres et muqueuses

Magnétique Orientation Champ

magnétique

Paillettes métalliques

(récepteurs inconnus)

Cerveau et (?) reins

Autres (à découvrir) : Diverses ondes électromagnétiques sont soupçonnées. Il faut aussi envisager une

"'ionoception", c'est-à-dire sensibilité à l'ionisation de l'air atmosphérique (cf. ces personnes qui sentent venir

l'orage…, et d'autres prises de migraines quand soufflent certains vents). Etc. Attention ! vulnérabilité, réactivité ne

sont pas sensibilité ; voyez les cheveux qui se dressent "tout seuls" dans un champ électrique.

NOTES

• L'audition telle que testée en "otorhino" de routine est arbitrairement limitée à une bande 250 - 8 000 Hz.

• La graviception équivaut à une forme de sensibilité mécanique : les otolithes nous viennent des poissons…

• Nociception : catégorie non retenue ici. Toute sensation peut être ressentie comme douloureuse ou agréable selon le

sujet ou les circonstances —et pouvant, cerveau aidant, devenir souffrance ou volupté.

• La proprioception est souvent donnée comme distincte de la somesthésie d'une part, de la kinesthésie (ou cinesthésie)

de l'autre. Ces trois termes dénoncent la difficulté de définir un "monde intérieur". Une grande variété de récepteurs sont

impliqués, tant superficiels (épidermiques) que profonds (muscles, articulations, viscères).

• Somesthésie : récepteurs principalement mécano-, outre thermo- et baro- (ces derniers pour la pression artérielle).

• Sens inertiel : le stimulus serait ici représenté par les gravitons…, si ceux-ci existent.

• On ne traite pas ici de la perception extra-sensorielle (ESP) : par définition ! Cependant, les frontières de cette

catégorie sont passibles de déplacements, selon la progression des recherches… Les interactions entre êtres non vivants

ne sont pas non plus envisagées ici.

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Doc. 4-01

De la transduction sensorielle

Hommage à Y. Galifret "Pour tous les stimuli, quels qu'ils soient […], le phénomène physiologique initial est constitué par une variation des flux ioniques,

conséquence de l'ouverture ou de la fermeture des canaux transmembranaires ; l'énergie ainsi dépensée est fournie par le

métabolisme cellulaire […] Un transducteur sensoriel n'est donc nullement un transformateur d'énergie, c'est un capteur disposant

de ses propres ressources énergétiques. La stimulation ne fait que libérer une énergie potentielle, elle ne la crée pas, pas plus que

l'ouverture d'une vanne ne crée l'énergie du fluide libéré par cette ouverture. […]

La membrane du transducteur sensoriel […] constitue la frontière qui sépare l'univers des stimulations de l'univers

organique ; à ce niveau se situe la discontinuité fondamentale qui a tant préoccupé les philosophes, les psychologues et les

physiologues depuis la Psychophysik de G. Fechner (1860).

Le potentiel de récepteur constitue le premier maillon de la suite de processus qui aboutit, chez l'homme, aux appréciations

subjectives." Y. Galifret : Article "Sensibilité" in Encyclop. universalis 21

(2011)

… et commentaires du singe grimpé sur son épaule :

Tout stimulus, quel qu'il soit et d'où qu'il vienne (une onde sonore, une vertèbre qui coince), fait l'objet de

transduction. Sous ce très beau mot, si judicieusement forgé, les chercheurs disent…, ne disent généralement

rien de la trans-duction (trait d'union…) en tant que transsubstantiation, métamorphose, alchimie ; ils disent ce

qui se passe avant et ce qui se passera après.

Pas étonnant que la littérature scientifique élude toujours : il s'agit d'une question de fond sur…

l'information ! La transduction désigne le passage d'une forme d'info en une autre, par exemple d'une info

sonore frappant le pavillon de l'oreille en une info électrochimique itinérante.

Dans le cas de l'audition donc, 20 000 cellules ciliés internes (cci) sont alignées dans le limaçon sur un

ruban long de 3 cm, chacune connectée à plusieurs (≤ 20) fibres nerveuses, celles-ci calibrées diversement et

destinées à reproduire une "représentation topotonique" de l'échelle des fréquences, de la base au sommet

d'une rampe cochléaire. Les 10 000 cellules ciliés externes (cce), elles, sont contractiles ; en déplaçant les cci

sur leur base membraneuse, elles modifient l'amplitude des mouvements de celles-ci. C'est dans les cci que git

le lièvre : une modification de l'inclinaison du cil modifie, à son tour, la membrane cellulaire alentour et sa

perméabilité ; d'où hyperpolarisation, potentiel de récepteur et PA, l'influx nerveux est parti !

En contraste avec la diversité des stimuli, la transduction commence toujours par une modification de la

perméabilité membranaire aux ions Na+ (ou K

+ ou autres) suivie de dépolarisation, elle a toujours pour

résultat la création d'un potentiel de récepteur, puis d'un PA, puis l'envoi d'un influx nerveux. Mais ce n'est

pas tout. Il faut se rendre à cette évidence qu'il y a deux transductions, ou deux opérations de transduction :

― une dénaturation : le stimulus perd sa nature (son origine) et devient PA, semblable en cela à tous les PA.

L'origine du stimulus est, dès lors, oubliée ;

― nécessairement, une re-naturation puisque le sujet éprouvera-percevra-ressentira (…) soit une sonnerie de

trompettes, soit un choc, soit un mal au dos, soit encore une petite madeleine surgie de l'enfance. C'est la suite

des circuits neuronaux et des structures par lesquels le PA va passer, c'est le parcours des opérations (analyse,

sélection, destruction, reconfiguration, etc.) qu'il va subir, c'est l'ensemble du SN qui va re-naturer le PA.

Pas de difficulté pour la dénaturation, on connaît nombre d'historiettes semblables (mais notons bien la perte

d'info). Par contre, sur la renaturation, je suis sec, n'entrevois pas même comment poser la question ni quelles

notions mettre en cause. Laissez-moi une vie de plus pour y travailler mais je ne promets rien.

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Doc 4-02

Paléoperception, paléocognition…

Extraits de La théorie sensorielle de Ph. Roi & T. Girard (*)

Voir ici chapitre 4

Voici un condensé d'un ouvrage étonnant s'il en est : issu d'un travail de recherche minutieux et un peu fou de deux

ingénieurs assistés d'une centaine de chercheurs professionnels, travail interdisciplinaire conduit parallèlement sur deux

sujets relevant, pour l'un de l'archéologie (arts et techniques dans la Mésopotamie ancienne), pour l'autre de la

neurobiologie (perception sensorielle).

Les procédés logiques utilisés et la validité des intuitions et analogies développées sont laissés sous la

responsabilité des auteurs. En fait, conformément au théorème de Chaitin, il faudrait un livre plus gros que le leur pour

faire justice exhaustivement de ces aspects…

L'idée initiale : En Mésopotamie, au ~ IVème

millénaire av. J.-C….

… "Sept inventions remarquables : l'araire, le moule à brique normalisé, l'écriture, la comptabilité, la harpe, le métier à

tisser vertical et l'image de cônes. Elles engendreront à leur tour sept concepts fondamentaux : l'agriculture, l'urbanisme,

l'administration, l'économie, la communication, l'industrie et l'information. Comment ces inventions ont-elles pu être

élaborées sur des modèles identiques à ceux qui permettent aux organes sensoriels de traiter l'information […] pourtant

inaccessibles, à l'époque, à la perception et à la compréhension ?" (p. 8)

Hypothèse et questions

"Ces inventions pourraient être le produit de l'analogie et de la catégorisation, [via] des analogies sensorielles. […Sont-

elles] le résultat :

- d'une dynamique déterministe ou d'un système instable imprédictible ?

- de la projection intuitive de mécanismes biologiques […] ou d'une heureuse coïncidence". (p. 8)

Suivent, en sept sections, les exposés (remarquablement à jour) de chacune des inventions en regard de l'un des sept

systèmes ou sens suivants, dans le même ordre : pied, main, goût, odorat, audition, équilibration vue.

Interprétation et discussion

"La pensée est pré-ordonnée par l'organisation des structures corticales qui la produisent. […] Elle est en grande partie

le résultat de l'utilisation dans un réseau de neurones de tous les éléments qui entrent en interaction avec le champ

mental d'un individu par l'intermédiaire de ses sens". (p. 140)

"Du simple fait de l'évolution, la logique des processus naturels qui régit la formation des organes des sens serait, en

quelque sorte, incorporée dans les réseaux neuraux du cerveau humain". (p. 141)

"Un non-conscient cognitif participe aux phases initiales de l'organisation de la pensée. S'inspirant de tout ou partie d'un

organe des sens, il réunirait les éléments d'une invention. Autrement dit, le non-conscient cognitif se servirait des

éléments constituant, par exemple, une cellule ciliée de type I de l'appareil vestibulaire (le domaine source) pour inspirer

au conscient la forme et l'assemblage des pièces qui lui permettront de concevoir un objet comme un métier à tisser

vertical (le domaine cible)". (p. 141)

"Le non-conscient englobe un vaste ensemble de processus, en particulier moteurs, qui échappent au contrôle actif de la

conscience, autrement dit qui se produisent sans avoir intentionnellement fixé les objectifs ou évalué les résultats. […]

Le conscient ne représente, en réalité, que la partie émergée de l'iceberg". (p.141)

"Le cerveau serait doté, dès sa conception, de capacités de classification et de prédiction génétiquement déterminées.

Celles-ci lui permettraient, au fur et à mesure de ses expériences, de construire une représentation du monde relative aux

connaissances acquises et d'opérer des prédictions sur l'avenir". (p. 151).

"Le code neural dépasse le simple codage par la fréquence. En réalité, les neurones sensoriels effectueraient des

opérations beaucoup plus complexes et la distribution temporelle fine des PA contiendrait de nombreuses informations".

(p. 153)

(*) Roi, Ph. & Girard, T. La théorie sensorielle. Une archéologie de la perception sensorielle. First Edition Design

Publ., 2013.

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Doc. 5-01

Hydrographie amazonienne…

Confluence des eaux jaunâtres de l’Amazone et des eaux noires de son affluent, le Rio Negro. Côte à côte dans le même fleuve…

…et boucle thalmamo-corticale :

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Doc. 5-02

Les représentations selon Herbert Spencer

► Le mot "représentation" est construit de manière fort heureuse puisqu'il suggère que le monde (ce à

quoi ces êtres sont exposés et /ou ce qui leur est proposé) fait l'objet d'une autre présentation en ces

êtres eux-mêmes. Sans résoudre la question de bac "Le monde existe-t-il quand je ne le regarde

pas ?", cette notion pose que, en ce cas, ce n'est pas nécessairement le même monde.

► Les représentations spencériennes peuvent "se représenter elles-mêmes" à elles-mêmes. Elles

peuvent se superposer, s'additionner, s'associer. Une boucle ou une couche de plus et le tour est joué,

un Moi ou une conscience sont constitués.

► La représentation "ment" nécessairement —sans aucune connotation d'un mensonge par rapport à

une vérité. Si elle ne mentait pas, ce ne serait pas une représentation. Or elle confère à l'objet et une

nature et des propriétés… selon les critères qu'elle a choisis pour caractériser ledit objet ! … à

commencer par un repérage spatial, optique, dimensionnel, métrique, que dire enfin ? visuel ;

repérage doublé, repérage associé intimement à une chronologie. Car avant-après, passé-présent-

futur, cela aussi a dû être inventé, mis en place, testé. (Monde mental, chap. I-3)

► Le système psychologique spencérien établit deux catégories fondamentales dans les phénomènes

mentaux, à savoir, sauf erreur d'interprétation de votre serviteur : deux modes de conscience selon

que prédominent soit les états sensibles, soit les rapports entre ces états (7). Sentiments d'une part,

connaissances de l'autre, "ces deux moitiés de la nature humaine" écrit-il quelque part de même qu'il

distingue la matière et l'esprit, cela est son affaire et pas celle du présent essai. Notre affaire à nous,

elle réside dans la conception que propose Spencer de niveaux subordonnés. Ceux-ci sont au nombre

de quatre dans les deux cas, à baliser dans un pense-bête comme ceci (les termes sont traduits de

Spencer) :

▪ Présentatif

▪ Présentatif-représentatif

▪ Représentatif

▪ Doublement représentatif ou re-représentatif (sic)

► Comment ces étapes, ces quatre "degrés d'aptitude représentative" se manifestent-ils

concrètement ? C'est là que le sens pédagogique de l'auteur défaille, il faut quelque peu extrapoler.

Sauf erreur?'interprétation, les processus mentaux correspondants seraient les suivants. Les mots et

expressions sont bien chez Spencer mais c'est moi qui les aligne comme ceci :

▪ localisation des sensations ; action réflexe

▪ confrontation de sensation différentes ; perception

▪ mémorisation

▪ "agrégat des représentations" ; lien de causalité ; établissement des valeurs ; concepts, symboles, idées.

(Monde mental, chap. I-1 et I-3)

La représentation confère à l'objet la nature et les propriétés qu'elle a choisies pour le caractériser !

Il n'y a pas plus postulat ni plus tautologie que cela […] (Monde mental, p. 46)

► Voici, dans le droit fil du constructivisme, une proclamation empruntée à la littérature moderne

(Firth, C. Comment le cerveau crée notre univers mental. Odile Jacob, 2010) :

Ma perception n'est pas le monde, mais le modèle du monde créé par mon cerveau. Ce que je perçois, ce ne sont pas les

indices bruts et ambigus du monde extérieur qui affectent mes yeux et mes oreilles. Je perçois quelque chose de beaucoup

plus riche : une image qui combine tous ces signaux bruts avec un vaste corpus d'expériences passées. Ma perception est

une prédiction sur ce qui doit être là dans le monde. Et cette prédiction est constamment testée par l'action. (8)

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Doc. 5-03

L'escalade des représentations : comme à Borobudur

Le pélerrinage se fait en cheminant le long des quadrilatères successifs. Cependant, on peut passer d'un

niveau à l'autre par les ecaliers ; un peu comme un saut quantique, sans pousser plus loin la métaphore.

Ci-dessous : De bas en haut par nombres croissants de NOH (niveaux d'organisation hiérarchique) et

NIN (niveaux d'intégration neuronale).

Questions (ici sans réponses) : Même rapport à l'info ? Y a-t-il toujours création d'info ? Tous les

étages ont-ils valeur d'émergence ?

Comme à Borobudur (ci-dessus), on peut sauter un ou plusieurs étages : au lieu de progresser

concentriquement, grimper radialement.

La pensée est "enfant de Bohème"…, elle est système mais aparemment affranchie des règles

systémiques (paradoxe peut-être, qu'y puis-je ?).

Théories scientifiques, réalisations techniques, œuvres d'art

Langage musical écrit, joué, chanté

Pensée musicale muette, "musicalais" (volume Texte, p. 106)

Pensée verbale écrite

Pensée verbale vocale

Pensée verbale muette (ex. : "mentalais")

"Répétition générale" muette avec/sans mots

Crypto- ou protopensée ? Pensée limbique ?

"Pulsidée" (volume Texte, p. 77)

Expressions corporelles ou faciales, mimiques

Représentation empilées ("re-re-rep…")

Représentation

Associations cérébrales (incl. thalamocorticales)

Circuit de circuits neuronaux

Circuit neuronal

Arc réflexe

Influx nerveux

Info(s) des trois espèces (volume Texte, p. 22)

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Doc. 5-04

Exercices mentaux

♫ La bascule du professeur Houdé

Ce chercheur s'inspire de l'économiste D. Kahneman et ses deux systèmes : (1). heuristique (rapide) et (2) algorithmique

ou logique (lent mais rigoureux).

Il parle d'une "bascule" entre le néocortex fronto-latéral et l'arrière du cerveau (ainsi vaguement localisé ?). Fort bien,

très bien même ! Et "je m'en félicite" parce que cette bascule, je jouais avec depuis des années, je sais pratiquement

reconnaître son déclenchement… Aller directement au but qui m'intéresse, puis revenir par le chemin pour vérifier. Il

suffit d'écouter, j'entends presque le déclic quand on change de piste.. C'est cela, l'introspection !

♫ Méthode PLS (Pensée en Liberté Surveillée)

Voici, décomposée a posteriori et reconstruite, la technique de l'observation-surprise que j'ai développée sans trop le

savoir, puis perfectionnée de par un intérêt confirmé pour la genèse de la pensée (et sans doute une propension quasi

congénitale à l'introspection).

Vous êtes détendu, de préférence allongé ou bien marchant dans un lieu calme et dégagé.

Laissez venir et s'installer une idée qui vous intéresse ou bien, simplement, fichez la paix à l'idée qui est de

passage.

Ou bien imaginez-vous dans un jardin, immobile sur un banc, observant un piaf du coin de l'œil : la situation

double ainsi imaginée (repos et vigilance) vous aidera à tenir la même attitude.

Laissez bien tout ouvert ; laissez bien tout flotter ; témoignez de l'intérêt, voire quelque affection aux extrémités

de vos orteils parce que votre corps est un vieux copain. Mais "n'en perdez pas une" des allées et venues de l'oiseau,

c'est-à-dire de l'idée. Le but est d'observer son origine et son devenir, son comportement lorsque vous —la conscience

—n'êtes pas sur son dos ni accroché à ses basques ou baskets. D'où cette idée était-elle venue, par quelle(s)

associations(s)…, quelle affectivité l'anime, de quoi se nourrit-elle ? Attention, elle peut s'envoler d'un instant à l'autre

et il s'agira de la suivre —toujours du coin de l'œil.

Bien sûr, cette méthode suppose un certain dédoublement de votre personne mais ceci ne pose pas de problème :

ne sommes-nous pas toujours un peu dédoublés ? Dans le cas PLS, vous nagez résolument entre deux eaux :

— celle de la pensée consciente, à demi formalisée, verbale même en tant que de besoin. Vous pouvez réaliser des

"arrêts sur image", modifier une proposition, la reprendre après une interruption. Bien que cela se passe en position

allongée et souvent dans la pénombre, c'est presque la position-type du penseur-auteur à son bureau, la position papier-

stylo.

— le courant sous-jacent des idées-sentiments, des "pulsidées".

♫ "Lâcher la rampe" ou "retirer les mains du guidon"

Dans la position allongée de méditation multi-usages, une situation particulière peut se présenter, un peu comme la

minuta de verdad : une idée apparaît mais seulement par ses contours qui sont nuageux. L'exercice consiste à la

formuler. Cela se fait "au culot". Ne vous dégonflez pas, faites comme si vous aviez le livre en mains et lisez ce qui n'est

pas encore écrit : écrivez (virtuellement) sans réfléchir, vous lirez et comprendrez après. Il faut dissocier pensée et

langage, comme aux premiers temps de la communication verbale, il y a dans les cent mille ans, quand les mots

n'avaient pas encore pris le pas sur la pensée !

C'est de cette manière que, ce matin, j'ai pu noter : "… impossibilité dans laquelle se trouve, constitutivement, la

conscience d'exercer pleinement son privilège. En réaction s'est développée l'illusion de la claire conscience, illusion

entretenue par l'éducation et la culture. Cependant…, […]".

Avouez que ça n'est pas mal ! Mais sur ces mots, j'ai repris "conscience" du risque, comme au piano l'élève

regarde ses doigts… Et l'expérience a pris fin brusquement. Peu importe, tel l'aviateur qui, le premier, a élevé une

machine volante au-dessus du sol, j'ai volé ! J'ai brisé l'alliance secrète du parloir et du pensoir. Très fort !

T S V P

- 54 -

♫ Quand le langage précède la pensée

Voici un autre mode de découplage pensée/langage. Le sujet se trouve véritablement localisé entre pensoir et parloir :

entre les deux, comme parfois dans les couloirs d'une Administration. Les secrets de ladite Administration sont

quasiment à portée de main ! Il suffirait de pousser une porte…

Dans mon "langage intérieur", ainsi que mes soliloques semi-externalisés, émergent parfois des bribes dont je

remarque, sans y prêter attention, qu'elles n'ont pas de sens, suite à quoi elles se dissiperont sans autre forme de procès.

Un bon qualificatif pour ce mode d'expression serait "sub-verbal" dans les deux sens (restrictif et prometteur) du préfixe

sub. Trois caractéristiques, au moins, pour ces situations :

― lorsque je prends conscience d'une telle proposition, une bonne partie de moi semble être restée étrangère à sa

gestation ;

― la solitude n'est nullement requise, bien au contraire : la chaleur d'une conversation, l'accélération de la production

verbale au cours d'une discussion peuvent favoriser le phénomène. On répond "automatiquement" avant d'avoir

pleinement réfléchi, les mots "dépassent la pensée", etc. Une escalade verbale peut s'ensuivre, voire une empoignade ;

― La signification, quand elle est identifiée, peut être aussi bien pragmatique ("J'irai d'abord acheter le pain)" que

déclarative ("Ce type est vraiment une cloche") ou hautement rationnelle ("La théorie du big bang est vérifiée"). Autre

possibilité encore : signification douteuse ou énigmatique, comme dans le cas ici rapporté : celui d'une émission que la

conscience a comme réglementairement épinglée et qu'elle s'apprêtait (si je n'avais pas, "Moi", été présent) à rejeter

comme inepte au motif que "ça ne veut rien dire !". Voici l'affaire :

Ce matin dans la cuisine, je consomme le café en me remettant d'un réveil passablement encombré, un réveil qui

marquait aussi la fin d'un rêve ; et ce rêve était une sorte d'auto-rétrospective à la façon dont, paraît-il, on peut voir

défiler toute sa vie dans l'instant de la quitter. Or c'était une approche du genre "livre noir" qui présidait à cette

évocation. Et voilà que je m'entends dire ―stupeur totale ! car il y avait un témoin vigilant, un spécialiste du mental

interlope. Je dis : "C'est une chance que tous ces déboires m'aient été imposés".

Une semaine après, je m'interroge encore. Ce relent inattendu de souffrance salvatrice "judéo-chrétienne" a

comme déclenché une urticaire qui se dissipe à peine. Mais tels furent bien les mots dûment consignés au procès-verbal,

comme on le dirait à propos d'une affaire criminelle.

Trois jours encore plus tard est venue l'explication, à l'issue d'une séance "en liberté surveillée" (voir plus haut),

comme une révélation alors que "c'était évident" : parce que l'échec, la défaite, l'humiliation, etc. sont des victoires ! Cf.

Jardin-dictionnaire : ÉCHEC (NDJ).

- 55 -

Doc-5-05

Francis Bacon, déboulonneur des idoles

Extraits du Novum organum (reproduits dans Le monde mental)

Les idoles de la race (ou : de la tribu) ont leur fondement dans la nature humaine elle-même, dans la

race, dans la souche des hommes. C'est à tort en effet qu'on affirme que les sens humains sont la mesure

des choses : bien au contraire, toutes les perceptions, des sens comme de l'esprit, ont proportion à

l'homme et non à l'univers. Et l'entendement humain ressemble à un miroir déformant qui, exposé aux

rayons des choses, mêle sa propre nature à la nature des choses, qu'il fausse et brouille.

(Aphorisme 41)

Les idoles de la caverne sont celles de l'homme considéré individuellement. En effet, […] chacun a une

sorte de caverne, d'antre individuel qui brise et corrompt la lumière de la nature, par suite de différentes

causes : la nature propre et singulière de chacun ; l'éducation et le commerce avec autrui ; la lecture des

livres et l'autorité de ceux qu'on honore et admire ; ou encore les différences des impressions selon

qu'elles rencontrent une disposition prévenue et déjà affectée, ou au contraire égale et paisible [...]

(Aph. 42)

Il y a aussi les idoles qui naissent, pour ainsi dire, du rapprochement et de l'association des hommes

entre eux ; et, à cause de ce commerce et de cet échange, nous les nommons les idoles de la place

publique. Car les hommes s'associent par les discours ; mais les mots qu'ils imposent se règlent sur

l'appréhension du commun […]. Les mots font violence à l'entendement, troublent tout et conduisent les

hommes à des controverses et à des fictions innombrables et vaines. (Aph. 43)

[…] Ces idoles sont de toutes les plus incommodes ; elles se glissent dans l'entendement à la faveur de

l'alliance des mots et des noms avec les choses. Les hommes croient en effet que leur raison commande

aux mots. Mais il se fait aussi que les mots retournent et réfléchissent leur puissance contre

l'entendement ; effet qui a rendu sophistiques et inactives les sciences et la philosophie. […] De grandes

et imposantes disputes entre les doctes dégénèrent souvent en controverses sur les mots et les noms,

alors que ce serait montrer plus de réflexion que de commencer par ces controverses (selon l'usage

prudent des mathématiciens) et de les ramener à l'ordre par des définitions. Cependant, ces définitions,

pour les choses naturelles et matérielles, ne peuvent guérir ce mal, puisque les définitions elles-mêmes

sont composées de mots et que les mots engendrent les mots. (Aph. 59)

[…] Les idoles que les mots imposent à l'entendement sont de deux sortes : ou ce sont des noms de

choses qui n'existent pas (de même, en effet, qu'il existe des choses qui, faute d'observations, sont

privées de noms, de même il existe aussi des noms qui, nés d'une supposition imaginée, sont privés de

choses) ; ou ce sont des noms de choses qui existent, mais des noms confus, mal déterminés, abstraits

des choses à la légère ou irrégulièrement. (Aph. 60)

Quant aux idoles du théâtre [ou : des théories], elles ne sont pas innées, elles ne se sont pas glissées

secrètement dans l'entendement ; mais prenant leurs sources dans les affabulations des théories et les

règles défectueuses des démonstrations, c'est ouvertement qu'elles se sont imposées et qu'elles ont été

reçues. (Aph. 61)

- 56 -

- 57 -

Doc. 5-06

Pensez facile ! Gagnez du temps, économisez l'effort :

Pensez Fast thought !

Depuis le début de cette Histoire, je pensais à rassembler les actes ou procédés mentaux qui,

progressivement, ont fourni comme la boîte à outils des modes de pensées. J'oubliais simplement que

Francis Bacon a commencé le travail. Voici quelques-uns des procédés mentaux repérés par Bacon,

une fois reformulés en langage moderne et regroupés en une présentation de mon cru. Très

exceptionnellement ici, les citations sont volontairement tronquées ; on les trouvera complètes dans le

Jardin de philosophie sauvage. Les numéros sont ceux des "aphorismes" dans le premier volume du

Novum organum. Bacon, en son temps, ne parle pas du cerveau mais de "l'entendement humain" ; ce

mot-clef est abrégé en EH. Enfin, le nombre des entrées n'est pas limitatif et leur ordre est indifférent.

.

► Prédilection pour l'ordre, la cohérence

"L'EH suppose dans les choses plus d'ordre et d'égalité qu'il n'en découvre, il surajoute des parallèles,

des correspondances, des relations." (45)

Bergson dira que l'ordre, c'est l'esprit se retrouvant dans les choses. Et Jaspers (Raison et déraison de

notre temps) : "La raison tend volontairement à l'unité", ajoutant un peu plus loin 'l'unité qui sauve du

néant de la dispersion". Ces derniers mots font entrevoir…, quoi donc ? La peur !

► Auto-persuasion

"L'EH, une fois qu'il s'est plu à certaines opinions (parce que reçues et retenues pour vraies ou qu'elles

sont agréables), entraîne tout le reste à les appuyer et les confirmer" (46)

Sur "agréables" : aujourd'hui en neurobiologie, les circuits de récompense.

Sur "confirmer" : loi de Hebb ; circuits cortico-thalamiques.

► Besoin d'infini

"L'EH ne sachant s'arrêter ni trouver le repos, il aspire à aller plus avant, ne peut concevoir que le

monde ait un terme ou une borne ; de même pour la divisibilité" (48)

► "Les passions imprègnent et imbibent l'entendement"

"L'EH n'est pas une lumière sèche : en lui s'infusent la volonté et les passions ; ce qui engendre des

sciences taillées sur mesure car ce que l'homme désire être vrai, il le croit de préférence. (49)

En anglais moderne : wishful thinking.

► Inadéquation des sens, fascination par le visible

"Le plus grand obstacle et le plus grand égarement de l'EH provient de l'hébétation, de la grossièreté et

des déceptions des sens. Ce qui frappe les sens l'emporte sur ce qui, même préférable, ne les frappe pas

immédiatement. La spéculation cesse communément quand cesse la vision." (50)

Un rapprochement semble légitime avec cette donnée biologique qu'est la prédominance du sens de la

vision (voir chapitres 2 et 3). En revanche, la suite de l'aphorisme appelle à une grande prudence dans

l'interprétation moderne : "Il n'y a [donc] guère d'examen, voire aucun, des choses invisibles. Tout le

travail des esprits renfermés dans les corps tangibles demeure caché et échappe aux hommes". Etc. (la

suite s'éloigne de notre propos).

T S V P

- 58 -

► Goût de l'abstraction

"L'EH, de son propre mouvement, se porte aux abstractions ; et ce qui est changeant, il l'imagine

constant. Or mieux vaut disséquer la nature que l'abstraire." (51)

Prudence aussi ! Non pas sur la place de la conceptualisation dans la vie mentale, mais sur ce que la

philosophie peut en déduire. Bacon, en effet, enchaîne sur la matière, l'acte, le mouvement, la forme...

Mais on retiendra : "Les formes sont des fictions de l'esprit humain —si d'aventure on ne donne pas ce

nom de formes aux lois mêmes de l'acte".

► Ne pas penser trop vite…

"De la grosse erreur qui consiste à chercher la connaissance parmi les Anticipations. J'appelle

"Anticipations" les rassemblements de connaissance que l'esprit fait spontanément, autrement dit ce

que fait la raison commune. Bien que cela soit une chose honorable et serve à la communication entre

l'homme et l'homme (à cause de la conformité des esprits humains dans les mêmes erreurs), cependant

en regard de la recherche de la vérité des choses ou des œuvres, cela ne vaut rien." (Valerius Terminus)

- 59 -

Doc. 5-07

Le rêve, voie royale…

pour l'identification des mécanismes mentaux élémentaires

Sept comptes rendus de rêves personnels. Pour chacun d'eux, récit (en italiques) et commentaires

Beauté du monde

Il y avait des intensités incroyables de (1) chaleur humaine dans un groupe, à l'occasion d'une certaine

réunion, (2) exaltation dans l'imminence d'un certain événement, (3) présence vivante des pierres sous la

forme qu'elles prennent dans les constructions humaines (une précision différée : cette pierre était un calcaire,

la roche vivante dont on a fait tant de cathédrales), (4) fusion du passé (l'air était tout souvenir) dans un vaste

Englobant de tous les temps, (5) et surtout, profusion de joie.

Étudier un rêve, c'est en arriver à ne plus savoir formuler ni le récit, ni l'interprétation ; quand les bases

conventionnelles, tant rationnelles qu'intuitives, ont été épuisées, quand elles se désagrègent, quand on réalise

confusément que la pensée ne pourra jamais faire plus que montrer ses limites ―ce qui est déjà précieux.

Et l'on est pris d'un véritable effroi à l'idée de tout ce que l'on manque dans la vie éveillée.

Mariage musulman

Il faut que je recherche, sur l'ordinateur, "mariage musulman" parce que je viens d'épouser une Tunisienne et

que la situation est nouvelle pour moi. Les festivités bourdonnent encore. L'épousée ayant dû s'absenter, je

devise tranquillement avec sa sœur, à peine entrevue jusqu'ici. Nous sommes installés sur des rochers et des

coussins, la mer au loin ne dit mot, tout est détendu.

Tout est détendu, sauf mon sexe qui, étant sorti tout seul de la chemise, s'étire paresseusement au soleil ; c'est

une verge en bon état encore. Yasmina, ma nouvelle belle-sœur, a posé familièrement la main dessus. "Tu fais

partie de la famille, maintenant" dit-elle en souriant, le regard flottant. Et moi de lui demander, souriant

également : "À qui parles-tu ?"

La créativité "à l'état pur" (ce qui voudrait dire ici : dissociation sujet/objet). C'est charmant, c'est spirituel,

c'est somptueusement érotique.

Vivre c'est choisir

Je circule à bicyclette dans une ville non identifiée. Une sorte de place compliquée, plus qu'un carrefour, d'où

partent plusieurs itinéraires. Le choix se pose car j'ai des raisons de me rendre dans plusieurs endroits (qui

sont des laboratoires où m'attend tel ou tel travail). Je suis embêté et un peu fatigué. Rencontre avec un type

inconnu mais que je connais quand même, en tous cas nous parlons. Il est amical. Nous pourrions nous

épauler, lui pourrait m'éclairer mais cela tourne court, nous nous distançons rapidement l'un de l'autre, je le

trouve importun.

Les clefs sont immédiates :

— Le vélo a été le compagnon de mon enfance et de mon adolescence, avec lui je découvrais le monde dans

un sentiment de liberté c'est-à-dire qu'il me conférait le pouvoir de découvrir le monde par moi-même. La

question posée par le rêve : que faire dans ce monde ?

— Choix d'une voie, d'un but. Désarroi devant le monde : tant de choses à voir ou à savoir ou à faire !

— Le monsieur rencontré est nouveau et non nouveau, il surgit du présent mais était déjà dans le passé, ces

distinctions temporelles sont futiles

— Pourquoi la rencontre ? ce monsieur, pour quoi faire ? La communication est un leurre. Solitude !

Troisième niveau de l'analyse : le pourquoi de ce rêve. Est-ce une simple évocation nocturne de problèmes qui

m'animent fréquemment, à un niveau de conscience variable, pendant la vie éveillée ? Cette évocation serait

gratuite, comme pour passer le temps pendant la nuit et entretenir les circuits ; comme l'on fredonne une

chanson.

Sinon, à quoi bon me raconter cette histoire même pas cryptée, qui ne m'apprend rien ?

Réveil en trois notes de musique (Pas de compte rendu : il ne s'agit que d'un réveil. Ce réveil-là EST musique et rien d'autre que musique.

Je me lève et pose les pieds à terre en fredonnant. Je devins aussitôt "habité" par une courte mélodie faite de

trois notes, contiguës sur le piano (les trois doigts médians suffisent), répétées un ton plus bas : mi ré fa… puis

ré do mi…

T S V P

- 60 -

J'ai recherché la tonalité à l'aide du diapason : ce n'est pas en ut mais en mi bémol majeur : (sol fa la…, fa mib

sol…) ; tout ceci pour attester du réalisme de l'histoire.

Ce thème emplit tout l'instant, il est cet instant, intégralement et rien d'autre. À ce titre, il m'apparaît, je le

ressens comme connu. Il m'est cependant inconnu, rationnellement, en tant que mélodie ou forme musicale ou

instrument ou époque. Le "sens", après une tenace recherche, juxtapose quatre touches : mélancolie dominée +

une belle chose à mémoriser + la force n'est rien si une faiblesse ne l'a pas mordue + sentimentalité

parfaitement contenue, comme chez Brahms.

Ce qui m'épate, c'est qu'un instant puisse s'identifier, à ce point, à une mélodie, et inversement. Mais je ne

devrais pas être épaté puisque c'est moi qui ai découvert les "pulsidées" : nous sommes ici, sans l'avoir

cherchée, en présence d'une pure et splendide pulsidée.

Application : l'éveil en tant que mine source ou filon de pulsidées, lorsque le réveil s'est produit au moment…

ad hoc

Qui est qui ? Triste nouvelle dans la famille : "Mon père ou mon oncle vient de mourir". Toutes les tâches de circonstance

m'incombent, à moi tout seul quasiment et c'est normal, maintenant que je suis devenu l'aîné de la génération

la plus âgée. Entre autres tâches : celle de "prévenir" c'est-à-dire informer toute la famille. Il faut absolument

que j'en parle à mon oncle (décédé ?) mais j'oublie toujours, à demi volontairement parce que ce sujet va le

mettre mal à l'aise : il risque de comprendre que le défunt, c'est lui ! Mon père, lui, va extérioriser le chagrin

que lui cause la perte de son frère alors que cette disparition, c'est la sienne. Quant aux parents les plus

proches, ils ne disent que "Ah oui ?", comme s'ils ne connaissaient ni mon oncle, ni mon père, c'est curieux.

La phrase-résumé, en tête de ce compte rendu, est grammaticalement et logiquement correcte mais elle

choque. Plus précisément, elle choquerait en plein jour parmi les pensées éveillées alors qu'elle constitue la

matière même du rêve étudié. Il faut imaginer un contexte particulier pour rendre cette interrogation

acceptable.

De même, le fait que "toutes les tâches m'incombent" est incontestable dans le cours du rêve mais devient,

sitôt après, aussi obscur ; à supposer que la causalité soit assurée, pourquoi la tâche incomberait-elle au plus

âgé ? Pourtant, le processus mental en jeu est rationnel.

Le rêve complète la pensée éveillée et assure la maintenance des outils logiques inutilisés en plein jour…

Signifiant ou signifié ? C'est important, mais on ne dit pas quoi ! Moi, je le sais : besoin de faire pipi. Dans sa pruderie, mon cerveau

a seulement indiqué un impératif sans l'énoncer.

Mille autres rêves nous font le coup. Comme si le couple signifiant/signifié de la vie éveillée se jouait

différemment la nuit.

Le rêve se moque bien de la dialectique signifiant/signifié. Quand il veut nous signifier quelque chose, il

utilise soit l'un, soit l'autre, sans prévenir, ainsi que tous les degrés de la métaphore. [...] Et toujours cette

impression rétrospective, quand nous nous remémorons un rêve ou bien quand nous le racontons, d'être

conduit par la main, de scène en scène, comme un petit enfant auquel l'adulte veut expliquer quelque chose,

comme un visiteur dans une exposition...

Profession : Accompagnant

Rencontre de voyage, un type sympa, pas bien français, commnicatif. C'est implicite, nous sommes tous deux

des visiteurs en ce pays. Sa profession, "Accompagnant". Il accompagne touts sortes d'activités ou entreprises.

Moi, toujours plus malin, de lui faire remarquer qu'il pourrait aussi accompagner des animaux. De fait, il

accompagnera plus tard des bébés tigres offerts à un maharadjah de Laponie. Ce monsieur est tout aussi calé

qu modeste. Dernier tableau : sur le seuil du bureau de la direcrice à laquelle il remet sa démission. "Je

pressentais des difficultés, dit-il. Effectivement, venant d'être blessé, j'abandonne. Je rentre chez moi". Il

répète ces mots tristement.

Encore un rêve philosophique ! Malgré l'aveu d'échec final, je me réveille baigné de paix (après une très sale

journée de découragement dans mon Histoire naturelle) sur une conclusion limpide : la pensée n'est pas livrée

à elle-même, l'homme est ou peut être accompagné. Pourtant, encore sous les effluves du rêve, je découvre par

la raison un autre conclusion suit : il faut savoir s'arrêter de penser.

- 61 -

Doc. 5-08

Le rêve… un dernier

Le lecteur maintenant familier de mon approche,

nous pouvons aborder, sans nous y perdre, un exemple assez coriace.

Le récit Un lieu officiel ou universitaire, comme un centre de colloques. Des salles, des couloirs, des apartés ; dans un

recoin, une partie d'échecs est engagée silencieusement, les figurines sont vivement colorées. Solitaire comme

toujours, j'évolue parmi toutes sortes de gens : que je connais ou ne connais pas ou les deux car, comme

toujours aussi, je peine à reconnaître les visages ; dans cette angoissante incertitude, je recherche activement

plusieurs chercheurs, jeunes ou confirmés, déjà rencontrés ou pas. Une soutenance de thèse est dans l'air, ainsi

que mon demi-frère Olivier [bien réel] que je ne verrai toutefois pas.

Deux seniors en conversation très sérieuse m'intéressent grandement mais impossible de les interrompre,

de briser leur unité. Pourtant, cela se fait et sans difficulté. Je me présente, l'un d'eux dit connaître un de mes

écrits dont il dit : "C'est bien mais…" et il va me dire pourquoi. Coupure ! une collègue paraît, la question va

avancer mais il faut que je retourne chercher ma serviette que j'avais abandonnée "pour garder ma place", un

vieux truc absolument insensé. Et de m'élancer en courant lestement dans les vastes couloirs. Cela débouche

en plein air, et puis en pleine nature sur le chemin de la mine parcouru tout à l'heure mais tout nouveau. Dans

le fossé, les papiers d'un homme qui a disparu, mais pas le temps de s'attarder. Le chemin monte et monte et

m'épuise. Vais-je seulement retrouver le lieu ? Suis totalement perdu, ne rejoindrai jamais les autres à temps.

Un petit chien me rattrape gentiment et saute sur mes genoux car je glisse maintenant sur une sorte de matelas.

Je me donne et m'abandonne totalement à la chaleur de cet être [l'épisode érotique]. Enfin, au loin, une petit

fille, je vais lui demander MON CHEMIN et où JE SUIS, je lui expliquerai pour LES AUTRES. Fin.

Car un moustique (femelle) providentiel et suicidaire vient de se jeter sut moi, l'idiote ! en chantant. Je

l'ai abattue d'un coup de couverture (plus tard, le jour venu, je la rechercherai, au moins ses traces, en vain).

Réveil en ruines, dix neuromédiateurs bouillonnent dans mes veines.

L'interprétation Je viens d'écrire six mots en capitales : ce geste a été inconscient mais là gît le sujet du rêve.

Il faut savoir que je suis prosopagnosique congénital mais partiellement compensé (compensé comment,

docteur ?) ; que j'ai toujours douté du visage de ma mère (que je n'ai pas connue) quand on se penchait sur

mon berceau, et que mon nystagmus peut venir de là. J'en ai conservé ce doute, toujours, dans les premiers

moments de l'identification d'un "Autre" —et n'ai réalisé cela que sexagénaire !

C'est moi et un autre que moi qui ont vécu ce rêve, je le savais en rêvant. Un autre moi, autre que moi

mais le même… et l'on commence à patauger dans les mots pour s'en sortir, sans nous douter que le gouffre

est sans fond. Tout le problème du langage, de l'insertion du sens entre les choses et les mots, un problème

que je viens seulement de repérer (en écrivant ce livre) ; cela remonte au paléolithique, j'aurai bien failli

l'ignorer et la quasi-totalité des hommes l'ignorent.

Avez-vous remarqué que le Centre des Colloques devient la pleine nature ? Retirez temps et espace, dit

la PhS, et tout se simplifie ! Et ce constant besoin de la "preuve par l'Autre", comme ci-dessus le besoin de

consulter de savants aînés, m'affecte-t-il particulièrement ?

Toujours est-il que moi ou/et un autre que moi mais le même…, toute la bande dans les replis de mon

écorce cérébrale, a conçu et réalisé ce rêve. En famille, pour la famille, comme l'on se faisait jadis de la

musique de chambre ? Ou pas question de famille, seulement de l'entretien de la machine et des voies —

travaux de nuit, comme pour le métro ? Ou encore, tant ces leçons sont édifiantes, pour m'enseigner (à "moi",

mais qui est cet enseignant bénévole ?), m'enseigner quelque chose ?

Quelque chose qui a bien été compris car, m'étant levé à tâtons pour échapper à l'angoisse, ayant pu

bricoler une tasse de café sans rien casser, je me retrouve peu à peu pacifié et reconnaissant.

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Doc. 5-09

La conscience à partir du Jardin-dictionnaire

L'être est la réalité de la conscience, et inversement la conscience est la réalité de l'être —la conscience

est le premier être réel. La conscience seule est l'unité réelle de l'esprit et de la nature.

L. Feuerbach

Qui dit esprit dit avant tout conscience. Mais qu'est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne

vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous.

H. Bergson

On ne pourra pas refuser à notre très primitif petit cousin [l'hydre] dans l'échelle des êtres vivants une

espèce de conscience, aussi élémentaire et indifférenciée soit-elle E. Schrödinger

(…) Duelle dans sa nature, sinon plurielle, toujours à la limite du réel et du virtuel, du possible et de

l'impossible, profondément divisée dans son unité, s'opposant à elle-même pour mieux exister et

s'anéantir et, dans le même temps, décidément une dans sa multiplicité. La consci Y. Séméria

Il faut entendre la conscience non pas simplement comme un phénomène d'émergence du cerveau, mais

comme une chose claire et démontrable qui va agir, à partir du niveau d'un sujet conscient, au niveau

concret et matériel de l'activité cérébrale. F. Varela

Le problème de la conscience est la combinaison de deux problèmes intimement liés : [… : 1]

comprendre comment le cerveau engendre les configurations mentales que nous appelons, faute de mieux,

les images d'un "objet" ; [… : 2] savoir comment, parallèlement, le cerveau engendre aussi un sentiment

de soi dans l'acte de connaître. A. Damasio

Dans notre cortex cérébral, les neurones pyramidaux à axone long forment un réseau qui interconnecte de

multiples territoires cérébraux, donnant naissance à un espace de travail conscient. La synchronisation

entre ces neurones permet à la conscience d'émerger. J.-P. Changeux

Une explication naturaliste, mécaniste de la conscience n'est pas seulement possible mais elle est en train

de devenir rapidement une réalité D.C. Dennett

L'état de conscience, qui a évolué pendant des millions d'années de lutte entre la vie et la mort, et surtout

à cause de cette lutte, ne s'est pas façonné pour s'étudier lui-même. La pensée consciente est déclenchée

par l'émotion et sa seule idée est d'assurer la survie et la reproduction. E.O. Wilson

Certaines des propriétés attachées à l'existence d'une conscience humaine peuvent être présentes dans des

espèces animales, notamment des primates, et aussi dans des machines intelligentes […] ; un ensemble

de capacités et de propriétés différentes […] : la capacité de concevoir des projets et d'agir pour les

réaliser ; l'intentionnalité au sens technique psycholinguistique […] ; la réflexivité comme conscience de

soi […] ; la réflexivité du langage, etc. H. Atlan

Deux consciences à gradient inégal de potentialité d'hétérogénéité et deux consciences à gradient inégal

de potentialité d'homogénéité s'antagonisent et se contredisent, en même temps que deux infraconsciences

d'inégal gradient d'homogénéité et deux infraconsciences d'inégal gradient d'hétérogénéité se sous-tendent

et opèrent par leurs actions antagonistes et contradictoires et font surgir les deux consciences. Telle est la

dialectique générale et complexe des dialectiques de la conscience et de l'inconscience ou infraconscience

neuropsychique. S. Lupasco

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Doc. 6-01

Quatre bonnes lectures

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Doc. 6-02 _______________________________________________________________________________________________________________

Concours d'écriture…

À gauche Les deux faces du disque de Phaistos (Crète). Disque de bronze, diam. 13 cm, daté d'une fourchette ~

1600-1800. Un alphabet hiéroglyphique de 45 signes au minimum. Lui, au moins, n'est pas dérivé du phénicien

―mais il n'est pas déchiffré ; peut-être apparenté à la culture minoenne. (Merci à Wikipedia et à Google Images)

À ne pas confondre avec le disque de Nebra (ci-dessous à gauche) trouvé en Allemagne et daté de ~ 1600 : le plus

ancien document astronomique connu, témoignant de connaissances aussi avancées que celles, plus tardives, de la

Babylonie.

En haut, à droite : "Roches gravées précolombiennes" (une carte postale SCANDINEXIM Ltd, Saint Barthélémy).

Qui n'a pas rencontré de ces brouillons "en se baladant", là ou ailleurs ? Essais sans suite…

Ci-dessus à droite : alphabet ougaritique (Syrie), premier ou l'un des deux premiers alphabets "complets"

(consonnes et voyelles) bien que dit "consonantique" ; l'autre est l'élamite (Iran). Il date du ~ XVème

siècle mais ses

inventeurs disparurent au XIIème. La même chose se passa au pays d'Élam si bien que la palme revint aux

Phéniciens. (Document Wikipédia) _____________________________________________________________________________________

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Doc. 6-03

Au coin du feu

(Elle) — Ah, le langage ! Coder l'info pour la

communiquer… Alors qu'il suffirait d'une

bonne transduction, fidèle et sensible !

(Lui) — Ça peut se faire… Tiens, tu descends

un peu le larynx, tu mets des lamelles

d'harmonica en travers, ça ferait une sono du

tonnerre.

Merci à Google Images

(Elle) —

Grrrrbddd…

(Lui) Mmmmz !!! b !

70

71

Doc. 6-04

Aide-mémoire de l'hominisation par NOH (niveaux d'organisation hiérarchique) croissants

et dans le contexte du présent ouvrage

a) Atomes et particules

"Pour mémoire", à défaut d'informations, mais peut-être n'y a-t-il rien à signaler. Sauf données contraires,

les électrons, les ions, etc. "font leur travail" de la même manière dans tous les systèmes vivants ou non

vivants et, supposons-le, l'ont toujours fait ainsi. Les électrons dansent toujours le spin, l'influx nerveux

court à la vitesse constante dans un type donné, l'acétylcholine assure toujours les transferts d'énergie…,

etc.

b) Molécules, gènes

La génétique moléculaire a réussi la jonction inespérée entre biologie et paléontologie. Donnons seulement

l'exemple d'un cafouillage pour tempérer l'enthousiasme : on a pu retirer d'un squelette vieux de 200 000

ans un gène FoxP2 dont certaines mutations entraînent des troubles du langage chez l'homme actuel. Ce

"gène du langage" pourrait départager Néandertal et Cro-Magnon, espoir récemment contrarié (ix).

― Les neuromédiateurs : quand sont-ils apparus ? Tous ensemble ? Tous les mêmes chez les Primates ?

c) Cytologie (les cellules) du système nerveux

― Différenciation de plusieurs, puis nombreux types (morphologiques, neurochimiques…) de neurones

(dont le mode de transmission est électrique et chimique). Parmi eux, les cellules pyramidales que le grand

Ramon y Cajal appelait "cellules psychiques".

― La matière grise stratifiée en six couches.

― Développement d'une autre classe cellulaire, la neuroglie, elle aussi composée de nombreux types ; son

mode de transmission : chimique (diffuse) par un éventail de neuromédiateurs.

d) Histologie (les tissus) de l'encéphale

― Augmentation de la "matière grise" dans le cortex par rapport à la blanche.

― La neuroglie mentionnée ci-dessus constitue aussi un tissu distinct du tissu neuronal.

Appelé naguère "tissu de soutien", il gagne en importance dans la lignée humaine. Il n'est pas seulement

"nourricier", il véhicule de l'information chimique en contrôlant l'action des neuromédiateurs. Compte tenu

de l'inévitable compétition pour l'oxygène, pour l'espace et pour l'information, on peut concevoir un

scénario de science-fiction : cellules gliales contre neurones (x).

e) Anatomie de l'ensemble du corps

Voir innombrables exposés et traités, dont on peut conclure : il n'est pas un dé à coudre, une pincée du

corps humain qui ne montre une évolution associée à l'un ou l'autre des enjeux de l'hominisation. Outre

cela, des points capitaux pour le pensoir :

― Ralentissement ou arrêt de la céphalisation.

― Perfectionnement de la bipédie pour la marche et la course.

― Descente du larynx, créant une cavité de résonance prolongeant celle de la bouche ; de minuscules

lamelles multi-couches, les cordes vocales (ou "plis vocaux"), vont s'y tendre. Cris et grognements étaient

précieux mais voici la phonation. L'information sonore voit son contenu multiplié quasiment à l'infini.

Dans ce nouveau spectre auditif : développement des fréquences et séquences verbales.

f) Anatomie crânienne

― Le volume crânien ne s'accroîtra plus mais le câblage se complexifie. C'est l'époque des grandes

"réentrées" entre aires corticales, comme si les neurones drageonnaient à l'instar des fraisiers, d'une zone

corticale à une autre : des circuits cortico-thalamiques et des réentrées de G.M. Edelman.

― Néo-néocortex (encore Edelman).

________________ T S V P

En gras : implication directe sur le langage et (ou) la pensée.

72

― Développement des parties antérieures des zones frontales, en particulier aire des Broca, non seulement

dans l'hémisphère gauche mais aussi dans le droit. Outre leur implication, connue de longue date, dans le

langage, ces aires sont celles de la programmation-coordination des mouvements fins dans la confection

ou manipulation des outils. Les aires de Broca assemblent les mots (la syntaxe) mais aussi les gestes… Les

singes bonobos dégrossissent des cailloux depuis 2,5 MA mais H. sapiens est allé plus loin : d'abord le

biface acheuléen (1,7 MA), aujourd'hui, sur violon, les Caprices de Paganini.

― L'incroyable complexe spatio-visio-temporel se met en place : l'implantation d'aires visuelles… derrière

la tête.

g) Capacités mentales, vie psychique

Plusieurs points sont détaillés dans le texte sous "Paléopensées".

― Permanence de l'objet. Identité.

― Capacité d'autoréflexion sur le monde, sur soi, sur autrui.

― Symbolisation, conceptualisation.

― Associations pluri-sensorielles et pluri-cérébrales (d'où : métaphores).

― Mythologie.

― De la temporalité à la causalité.

― Intentionnalité [si cette notion a encore un sens].

― Anticipation, planification, prévision.

― Choix, binarité.

Etc., cf. nouvelle discipline récemment individualisée, la paléocognition.

h) Langage sensu lato : parlé et(ou) pensé et (ou) écrit

― Phonation.

― Double articulation phonèmes/morphèmes.

― En option : écriture, grammaire, rhétorique.

i) Comportement, mode de vie

― Omnivorie.

― Sociabilité.

― Altruisme, empathie.

― Mimétisme, danse rituelle.

― Regard interindividuel.

― Monogamie, sélection maritale (masculine ou féminine).

― Le dilemme sédentarisation/nomadisme.

j) Productions, réalisations ("industrie"), habitat

― Perfectionnement et diversification de l'outillage. Pour la chasse, l'arc complète ou supplante le

propulseur ; pointes de flèches. Les premiers bijoux. La monnaie-coquillages.

― Monde des dieux et monde des morts donnent lieu à concrétisation : statues, masques, offrandes,

sépultures.

― Productions artistiques diverses, dont peintures rupestres.

― Exploration, découverte, premières migrations intercontinentales

_____________________________________________ En gras : implication directe sur le langage et (ou) la pensée

73

Doc. 6-05

Quand les sons deviennent musique

►Entretien de la (divine) pianiste M.J. Pires avec un philosophe (borné)

Procédons "phénoménologiquement" en portant attention à la manière dont les sons parviennent à

notre conscience. [Doutons que l'auteur ait procédé ainsi, au ras des phénomènes, car il aurait vu

alors les canaux ioniques, etc. et il parlerait de "dénaturation" au sens propre, comme je le fais.]

Quand un son survient, nous l'entendons comme le signe qu'il se passe quelque chose. […] Tout

change cependant lorsque nous entendons non plus un bruit mais une mélodie. La suite de notes ne

paraît plus déterminée par sa cause physique dans le monde réel, c'est-à-dire par la chose nécessaire

à en produire le son, elle apparaît musicalement causée par les notes qui précèdent. À la causalité

réelle —la production physique du son— se substitue une causalité imaginaire, qui réside dans les

sons eux-mêmes tels qu'ils semblent s'enchaîner les uns les autres. La musique commence […] à

partir du moment où nous entendons les relations internes entre les sons plutôt que les relations

externes entre le son et sa source physique.

[Le philosophe s'adresse à la pianiste] C'est ce renversement de la causalité, du physique vers

l'imaginaire, qui vous donne parfois l'impression, comme vous le dites, de devenir "l'instrument de

la musique".

[…] Il y a quelque chose comme une "dénaturalisation" du corps [non ! une dénaturation. Voir mon

Histoire naturelle, chap. 4] qui s'opère chez le grand interprète. Le corps humain à cette capacité

étonnante de métamorphoser ses organes [charabia d'un prof de philo] pour les mettre au service de

fonctions nouvelles. […] Le chanteur dénaturalise sa voix [non ! dénature] : elle ne lui sert plus à

communiquer des choses, triviales ou intéressantes, mais à entrer dans le monde imaginaire de la

musique.

F. Wolff, Rencontre/interview avec M.J. Pires (Philos. Mag. 35 (2016)

Commentaire personnel J'avais moi-même souvent remarqué ce genre de transitions, ceci au tout début de l'audition d'un morceau de

musique.

Que ce soit une note unique ou plusieurs ou un accord, jusqu'à une mesure, la première sensation est vécue

comme une surprise physique ; ce son ou ces sons, même si je les connais d'avance, me surprennent toujours

en tant que sons alors que, tout de même, à mon âge, je ne devrais plus être surpris de percevoir des sons !

Aussitôt après, me voilà embarqué dans tout une aventure —déjà vécue et toujours nouvelle. Comme si je

m'apercevais que je suis dans un train, que beaucoup de gens sont montés et que, avant cela, le train était déjà

parti. Inutile de courir après les notes, il y en a partout, le train fonce mais il fonce dans tous les sens.

Entre ce deux phases —la première, de l'ordre d'une seconde, la suite ad libitum— il y a eu changement de

régime et l'on pourrait sans plaisanter associer à ce mot (régime) les adjectifs "politique" aussi bien que

"musical" ou "total", tant c'est radical. Après les premières vibrations, très vite l'œuvre musicale : une tout

autre chose, perçue différemment et (je le sens bien !) traitée différemment dans mon crâne. Traitée, ah

ouiche ! je suis immédiatement perdu, perdu comme dans une forêt après les premiers arbres.

(Ces lignes ont été soumises à l'auteur, professeur émérite de philosophie) via le magazine ; sans réponse.)

T S V P

74

►Deux éditions du Saama Veda ou Veda des mélodies Ce reueil est daté des envisons de l'an 1000 'av. JC"

La musique védique utilisait sept notess

- 75 -

Doc. 6-06

Une théorie informationnelle ou néo-spencérienne de l'évolution mentale. Hommage à D. Dennett

(in Exercices après légères retouches) Ce tableau complète la liste donnée dans le volume I du Matériau, p. 110.

Stade

Processus en jeu Gagnants Remarques DD = Dennett

D comme

Darwin

Pour l'ensemble du vivant : Sur

fond de variabilité inter- et

intraspécifique, les réflexes font la

différence

Les individus et

espèces les mieux

constitués

DD : Les êtres "darwiniens", tactismes

inclus. Niveaux de représentation

élémentaires

S comme

Skinner

Genre Homo : Amélioration

possible par l'apprentissage

Les plus réactifs

id.

DD : Les êtres "skinnériens"

Représentation 3-D

RRR Empilement des représentations Dans la foulée de DD, ce serait justice de

dire : êtres spencériens

P comme

Popper

Économiser les essais/erreurs,

l'information, les coûts

énergétiques

Les plus prévoyants DD : Les êtres "poppériens" capables de

présélection. "Milieu intérieur" de DD :

plutôt : le cerveau.

Représentation 4-D et modélisation

G comme

Grégory

Espèce H. sapiens :

Utilisation de moyens matériels

ou mentaux (pensoir) ou verbaux

(parloir).

Émission de signes

Les meilleurs

bricoleurs-assembleurs

DD : Les êtres "grégoriens"

DD : "intelligence" (plutôt : combinaison

d'association + abstraction + mémoire

Y

Aujourd'hui

Communication, coopération,

compétition, affrontements.

Noosphérisation

Les plus sociables, les

mieux communicants,

les plus puissants

Outils mentaux et verbaux acquièrent

autonomie : stade "donaldien" (11) ?????

La philosophie devient métasophie aux

mains d'êtres "philosophiques" ou…

"dennettiens" !

Z

Demain

Planète saturée d'information,

systèmes humains découplés de la

nature. Selon P. Gärdenfors : la

pensée pourrait s'autonomiser

Tous perdants, sauf…

?

(le suspense)

Illustration à composer d'après le tableau

de Raphaël, Le triomphe de la

philosophie. Le cadre sera retouché par

un caricaturiste en un asile psychiatrique

Lignes en grisé : les quatre stades de D. Dennett.

Colonne de gauche : les codes abrégés à partir des catégories de cet auteur. J'ai ajouté trois stades : RR, Y et Z.

Notions absentes de ce tableau : AUTRUI, CONSCIENCE, MOI… Absentes parce que, chacune présentant divers degrés, elles

sont apparues à divers stades selon les tâches.

- 76 -

- 77 -

Le Croissant Fertile

Doc. 7-01

Trois parmi de nombreuses autres cartes du Croissant Fertile, la première (en haut à gauche) étant la première en date,

celle de J.H. Bresthead (1914). (Copié de Google Images).

- 78 -

- 79 -

Document 7-02

Il y a bien un problème avec la création et c'est l'Égypte antique qui l'a posé

Maint textes anciens, dont un nombre infime est mentionné dans le chapitre 8, présentent telle ou telle

divinité comme "incréée" ou "auto-créée" (ou quelque périphrase en ce sens). Ces expressions sont

commentées et défendues avec toute la compétence et l'érudition requises par le philosophe et universitaire

Th Obenga (12

) :

"En Égypte, le démiurge sort du Noun et se met par la suite à créer. Il n'y a pas d'indépendance du Créateur, du Démiurge par

rapport à la création, à la naissance du monde. Dans l'Égypte ancienne, on peut dire que l'Idée sort, puissante, de la matière brute.

Au commencement, il y a la matière, une eau faible, obscure, abyssale, mais puissante, dynamique, créatrice, novatrice,

génératrice des dieux eux-mêmes et du reste de la création. Toutes les façons et toutes les formes de la Vie sont issues de l'eau

initiale, incréée : l'origine même de tout le développement ultérieur" (p. 31).

"Dieu créateur et ingénieur est sorti lui-même de cette matière primordiale incréée. Les anciens Égyptiens posent l'in-créé avant le

dieu démiurge" (p. 36).

"C'est par sa propre force (ba), sa propre énergie, son propre mouvement que l'Existant vient à l'existence. L'Existant s'auto-

engendre lui-même de lui-même" (p. 59).

Chez les Égyptiens de l'Antiquité, le Noun est imaginé comme existant, avant que l'univers ordonné, organisé ne vienne à

l'existence après que Râ (la Conscience) se soit manifesté de lui-même dans le Noun comme "Le Devenant". Ni Néant, ni Chaos,

le Noun est l'être primordial à partir duquel tout va exister" (p. 60).

Je me permets de contester… Si l'on écarte comme artefacts les contradictions de premier degré telles que

"les Égyptiens n'ont pas posé de démiurge créateur…" (p. 32), c'est le principe d'identité qui se trouve ici mis

en cause sous l'une ou l'autre de ses trois expressions (cf. Fondements PhS, pp. 149-156). En termes

pragmatiques : peut-on à la fois être et ne pas être, avoir une forme sans en avoir, exister sans avoir acquis

l'existence, etc. ? Un commencement (et même LE Commencement) peut-il être précédé de quoi que ce soit,

serait-ce un dieu (et même LE Dieu), serait-ce RIEN, le Néant ? À ces aspects surtout logiques s'ajoute la

question ontologique par excellence : qu'est-ce que l'être et (pragmatiquement encore) qu'est-ce qu'exister ?

La PhS ose rejeter catégoriquement la solution égyptienne ainsi que sa défense et illustration par le

Professeur Obenga. On se trouve là en présence d'un postulat —aux dimensions certes immenses— et non

d'une quelconque démonstration. Libre à chacun d'accepter ou récuser un postulat.

Le principe d'identité mis en cause ? En effet, on peut parfaitement dire d'une chose, d'un être ou d'un

phénomène qu'ils possèdent tel attribut ou qualité et, en même temps, ne le possèdent pas. Si ceci est une

offense envers Aristote, ce n'est pas une atteinte à la raison puisque nous ignorons ce qui lie la chose et la

qualité (le sujet et le prédicat) ; cet argument a été déployé dès l'Antiquité, de la Grèce à la Chine. Par contre,

une opinion sur la chose, l'être ou le phénomène examinés ne saurait dire de même car il y va de l'efficacité

et de la crédibilité de la Pensée. (Pour ma part, si ainsi disait ma Pensée, je lui retirerais ma confiance et

devrais me passer de ses services par ailleurs éminents et admirables.)

La thèse égyptienne de la création conclut par une aporie parce que les deux cas distingués ci-dessus — la

chose et l'opinion sur la chose— sont confondus et traités comme un seul.

Cette thèse n'en est pas moins mémorable en tant que la première à utiliser la Pensée et le Langage

dans une collusion aux dimensions de l'univers. Mais c'est là, en même temps, la première défaite de la

Pensée devant les Mots.

Pour terminer dans un sourire admirateur et dans le langage commun d'aujourd'hui : l'Antiquité

égyptienne est la première (sauf infirmation à venir) qui ait voulu établir, d'une part, qu'un monde peut surgir

de RIEN et, d'autre part, qu'il y a pour l'homme une vie après la vie.

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Document 7-03

L'épopée de Gilgamesh : un florilège (version ninivite in J. Bottéro)

Qui est Gilgamesh ?

Je vais présenter au monde celui qui a tout vu, connu, pénétré toutes choses, et partout exploré ce qui est caché.

Dans sa sagesse, il a tout embrassé, il a contemplé les secrets, découvert les mystères.

Il nous en a appris sur avant le déluge.

Retour de son lointain voyage, exténué mais apaisé, a gravé sur une stèle tous ses labeurs. (I : 1-8)

Homme "imperturbable" [de joie-et-peine] * (I : 207)

L'homme-dieu

Gilgamesh dès sa naissance était prestigieux,

Dieu aux deux-tiers, pour un tiers homme. (IX : 16)

Toi que les dieux ont formé de chair divine et humaine. (X : 37)

La mort

Comme un roseau de cannaie, l'humanité et toutes ses générations doivent être brisées.

Le meilleur des jeunes hommes, la meilleure des jeunes femmes sont enlevés.

Nul n'a aperçu le visage de la mort. […]

On n'a jamais reproduit son image [jamais écrit son nom ?]

Et pourtant le type humain, depuis ses origines, en est prisonnier.

De visages que voyaient le soleil, tout à coup il ne reste plus rien.

Endormi et mort, c'est tout un. X : 11-14 ; 23-27)

Le Déluge

L'obscurité était totale…

Le silence régnait.

Tous les hommes avaient été retransformés en argile

Et la plaine liquide semblait un toit-terrasse. (XI : 132-134)

Représentation mentale

Ayant entendu ces paroles, Gilgamesh forma dans sa tête ["son cœur"] une image du fleuve des Enfers. (IX, 43)

(*) Le traducteur dit n'avoir jamais vu ce mot ailleurs, composé des éléments "joie" et "peine" (c'est un "apax"). Autre traduction : "de bonheur

et de malheur" (H. McCall : Mythes Mésopotamie). Cependant, "imperturbable" est démenti par le récit : les deux héros invincibles se prennent

souvent à pleurer et, alternativement, céder à la peur.

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Document 7-04

Les inventions mésopotamiennes

- Agriculture

- Araire

+ Astrologie et astronomie

- Bateau à voile

- Calculi et bulle-enveloppe

- Char et charriot

+ Cartographie

- Cité-État

+ Commerce

+ Comptabilité

+ Économie

Écriture

- Guerre

- Harpe

- Image de cône

+ Impôt

- Irrigation

+ Littérature

+ Mathématiques

+ Médecine

- Métier à tisser vertical

- Moule à briques

- Musique

- Religion

- Roue

+ Temps sexagésimal

Colonne de gauche : (+) nécessité ou grande utilité de l'écriture ou non (-).

La variété des niveaux de professionnalisme des sources m'a suggéré de ne pas citer celles-ci. Certaines

mentions (Agriculture, Guerre, Musique) vont jusqu'à confondre le néolithique et la Mésopotamie ancienne…

Par ailleurs, les innovations purement cérébrales ou "intellectuelles" n'ayant jamais été prises en considération

au titre d'inventions, je n'ai pas non plus inclus celles qui sont introduites dans le présent essai.

Les intitulés en un seul mot peuvent concerner plusieurs champs ; "Mathématiques", par exemple, renvoie

à tout une mine d'or, non : un complexe minier aux nombreux filons, livrant des théorèmes (voir A. Pichot dans

les Notes et références) porteurs d'applications très diverses.

L'apport de l'écriture n'a pu être déterminant que dans moins de la moitié des cas.

Source : http://psd.museum.upenn.edu/epsd/epsd/e4005.html

Namlulu ! …

Car les Sumériens ont aussi inventé le mot "humanité", ceci sous deux sens successifs :

- d'abord : l'ensemble du peuplement humain,

- puis : les qualités humaines.

Les langues modernes comme le français (humanité) ou l'anglais (humanity) ont suivi le même processus. Chez nous

actuellement se développe, pour le second sens, l'emploi du mot "humanisme" plutôt ridicule par son ambiguïté. Par

ailleurs, "humanitude" est apparu dans ces deux langues à la fin du XXème siècle, sous connotation médicale pour le

français. La PhS a cru innover en proposant ce terme… Désormais, elle pourra dire namlulu !

La graphie originelle témoigne des lourdeurs de la première écriture dans la notation des concepts (alors que

namlulu est si facile à pratiquer ! il suffit d'un sourire ! Le chinois, plus tard, sera expéditif, Confucius pouvait dire

simplement ren et écrire ce simple signe : .

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Document 8-01

Zarathoustra par Raphaël L'École d'Athènes, la fresque

célèbre du Vatican (vers 1510)

et détail, en bas à droite :

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- 85 -

Document 8-02

Le foyer avesto-védique

Points communs

innovations, découvertes et inventions

Divergences

W : Ouest (Avesta). E : Est (Veda)

Un étage de plus dans les représentations :

Concepts et notions, généralisation

La Pensée, notion et fonction nouvelle ;

l'homme se découvre pensant

Formalisation d'un étage divin

Entre humain et divin : des passerelles

Un ordre supérieur règne dans l'univers

La Loi, conformité ou non-conformité à cet ordre

Bien/Mal et(ou) Bon/mauvais

et autres valeurs morales

Poids et comptabilisation des actes

Établissement d'ordres sociaux

L'homme au confluent de deux natures

cosmique et individuelle

Temps cyclique

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PUIS :

la succession des religions et (ou) écoles

et (ou) hérésies

W : triade Pensée, Parole et Action

E : la Pensée peut se tromper

Sous-catégories Dieux et Démons : inversion E/W

W et E : variantes sur nature et condition de l'âme

E : Dharma, ordre universel

W : Rta, ordre universel ou humain ?

Choix individuel (libre arbitre) ou non

W : Bien/Mal ; victoire finale du Bien

E : Option renoncement

E : karman

W : ?

E : ≥ 3 castes

W : une élite de surhommes

E : le problème brahman/atman

W : ?

W antériorité et primauté du dieu Zervan

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

E : Védisme, brahmanisme, hindouisme, jinisme,

bouddhisme..

W : yhwisme

, zurvanisme, christianisme,

manichéisme…

NOTES

► Sur ce tableau, PAS de correspondances horizoontales entre gauche et droite. Les deux colonnes forment deux listes

indépendantes.

► Côté Ouest, on a limité l'Avesta aux Gatha, l'enseignement de Zarathushtra.

► Bien sûr que ce tableau est hypothétique, et même foufou. Le but est de rappeler la possibilité…, l'intérêt de regarder

large et loin. Même si entièrement faux, il est beau ; cf. ce mathématicien pour qui ce qui compte est la beauté des

équations.

► Tout cela est posé sur une trame sémite et accompagné de migrations géographiques, outre les innovations

linguistiques à l'W comme l'alphabétisation des cunéiformes).

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Doc. 8-03

Le secret du Veda

Shri Aurobindo a publié en 1914-16 une série d'articles dans la revue Arya qu'il venait de créer à Pondichéry. Le

titre ci-dessus est celui du recueil (complet ?) de la série en 1955 chez Fayard qui l'a réédité par la suite. "Secret du

Veda" ferait assez clinquant aujourd'hui mais exprime bien le message de l'auteur : malgré ses contradictions et ses

mystères, le Veda expose une connaissance et le fait en toute cohérence si l'on dispose de la clef. Cette clef, dit le

yoga et philosophe occidentalisé, je l'ai cherchée et trouvée, voici comment…

Si l'on résume ce petit livre —assez fastidieux quand il décompose les parallélismes mythico-symboliques—

voici les bases du code Aurobindo :

- conjuguer deux lectures : éso- et exotériques, une double approche qui a été largement éprouvée tant sur la Bible

que sur le Coran ;

- des jeux de correspondances et de symboles ;

- parallélisme des mondes et des consciences (les uns et les autres au nombre de 7) ;

- légitimité de la pensée pour acquérir la connaissance puis découvrir la Vérité ;

- … car l'accès à cette Vérité est permis à l'homme s'il conjugue les deux dons de Lumière et de Force (symboles

respectifs : la Vache et le Cheval !) pour combattre les divinités du Mal ;

- recours, jusqu'à l'épuisement de leurs ressources, de toutes les méthodes employées depuis 3 000 ans pour

décrypter le Veda ;

- probabilité d'une époque de développement mental antérieure à celle des Veda ;

- ET la conviction, acquise par ses études scientifiques, d'un principe général d'Évolution.

Tout ceci au grand émoi de la PhS qui retrouve nombre de ses thèmes et hypothèses : interaction, binarité

universelle, limitation mutuelle sujet/objet, etc. C'est une suprême félicité, pour un petit Occidental guidé par le

savant guru, que d'accéder à une contemplation aussi totale (la mayas).

Quatre citations extraites de ce livre

♫ Quelle que puisse être l'essence la plus profonde de la parole humaine, elle est, dans les formes de sa

manifestation extérieure, un organisme ayant ses modes et ses lois de croissance propre, son processus d'évolution.

[…] La souveraineté des lois de l'évolution dans tous les domaines de l'histoire de la planète [… par exemple :]

l'histoire du langage. (p. 55)

♫ Les mots, pas plus que les plantes ni les animaux, ne sont des productions artificielles. Ils témoignent d'une

croissance, d'une vivante croissance de sons portés par certains germes. (p. 57)

♫ […] Les mots, leurs familles et tribus débutèrent dans la vie par un système communiste d'échange et

d'appropriation de sens. […] Puis il y eut un lent passage de cette vie communiste des mots au régime de la

propriété individuelle […] Au dernier stade de l'évolution naturelle du langage, la vie du mot devient tout à fait

dépendante de celle de l'idée qu'il exprime […]. (p. 58)

♫ Go et Asva traduisent les deux idées jumelles de Lumière et de Force, ou Connaissance et Énergie, qui pour la

pensée védique et védantique représentent le double aspect de toutes les activités de l'être. (p. 49)

Notes

Quel dommage que ce grand travailleur n'ait pas aussi déchiffré l'Avesta ! Dans son Secret du Véda, on ne trouve qu'une

salutation de courtoisie, sur une mention du Bien et du Mal, à l'endroit des Zoroastriens, "nos anciens voisins et parents".

Les citations se réfèrent à l'édition 1975 présentée par J. Masui.

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Doc. 9-01

La Pratityasamutpada (ici PSP), dogme bouddhique

de la (co)production conditionnée

Les trois premières illustrations sont empruntées à Wikipedia, la dernière à V. Grigorief : Les philosophies orientales. L'Inde et la

Chine. Groupe Eyrolles, 2005. En haut à droite : schéma synthétique. Par l'ampleur de son point de vue et sa densité informationnelle, cette théorie inclut, confirme et "boucle"

l'ensemble de toutes les options bouddhiques. En effet, le champ couvert par la PSP est celui de l'univers (au

moins l'univers humain) et le nombre des concepts mis en jeu dépasse la quinzaine : les 12 nidana et les

super-thèmes Souffrance, Vacuité, Ignorance, Samsara… quand les Joyaux et les Refuges ne sont que 3, les

Vérités 4, les skandha 5, les voies du Sentier 8, etc. Une autre donnée majeure est la cyclicité. Il y a Roue (la bhavaçakra ou Roue de la vie) et cette roue

tourne ; Bouddha a même dû la lancer à plusieurs reprises pour la mettre en route. L'enchaînement (des

maillons) permet alors le mouvement, par suite le changement, et l'immuabilité des successions rend compte

et répond à l'épineuse question de la causalité : cause-effet, voilà qui est réglé.

T S V P

- 90 -

Cyclicité impliquant circularité, le bouddhisme croit, avec la PSP, éliminer le problème de la création

et du dieu créateur : sans doute, ou plutôt avec doute car il a bien fallu construite et lancer la roue… Sans

doute mais cette conception nous renvoie loin en amont, jusqu'à un schéma de pensée qui aurait établi

(auparavant ou en même temps) la cyclicité contre la linéarité. Ce postulat est de taille, or il est totalement

occulté. En outre, ledit postulat veut contrer celui d'une "nature propre" de toute chose mais… que les choses

se succèdent entre elles éternellement, ceci les dispense-t-il d'existence ? Sans doute l'inconscient du

bouddhiste les croit-elles suffisamment fragilisées par cette rotation permanente mais, rationnellement, rien

n'est prouvé. Dame Pensée a ses légèretés, à l'Est comme à l'Ouest

C'est bien un édifice qui est ainsi construit, dont tous les éléments "se tiennent", se justifient

mutuellement et assurent la cohésion. S'il était institué à l'Unesco un "Patrimoine Intellectuel de l'Humanité",

la PSP y serait sans doute la première classée. J'allais oublier que l'insondable Vacuité se trouve établie, tant

par l'absence de "nature propre" des choses (elles découlent seulement les unes des autres) que par l'absence

de "réalité" des phénomènes (qui ne sont que les productions de la machinerie mentale ou Connaissance). Ce

dernier point nous vaut une —ou LA première ?— "théorie de la connaissance".

À noter (on ne le note jamais) l'antériorité probable, dans le jainisme, d'un enchaînement de douze

vices contre lesquels le Mahavira met en garde dans l'Akaranga Sutra : de la colère à la douleur via amour,

conception et autres. Le point de vue semble donc circonscrit à la morale. Mais voici enfin les 12 nidana :

(1) Avidya : ignorance, aveuglement ;

(2) Samskara : formations mentales karmiques = prédispositions psychiques à l'action ("représentations" ?) ;

(3) Vijnana : Conscience/connaissance discriminante = (?) ;

(4) Mana-rupa : nom et forme = corporel + psychique = illusion d'existence = réunion des 5 "agrégats" (skandha) ;

(5) Sadayatana : les six catégories/sphères sensorielles (les 5 aristotéliciennes + esprit conscience-mental ;

(6) Sparsa ou sparsha : le contact (entre chaque organe sensoriel et sa sphère de perception) ;

(7) Vedana : sensations ;

(8) Trsna : avidité, soif ;

(9) Upadana : appropriation, attachement, "saisie" ;

(10) Bhava : devenir = le karma à la fois passé et renouvelé ;

(11) Jati : naissance ; (12) Jaramarapa : vieillesse et mort.

Comme l'explique M. Wijayaratna dans la présentation qui va être citée dans quelques lignes, le bouddhisme

en ses débuts était aux prises avec l'origine de sa pierre angulaire, la dukkha (souffrance). Deux théories

s'opposaient, semble-t-il, l'une éternaliste" ou sassatavada qui requérait l'éternité (rejetée) de l'atman, l'autre

matérialiste ou ucedavada. Le tout frais Éveillé refuse l'alternative dualiste, esquive et, trait du génie, invente

l'enchaînement de la PSP, un enchaînement cyclique :

Le Tathagata enseigne le Dhamma qui évite l’écueil de ces deux extrêmes. Il enseigne la voie du milieu : Conditionnées

par l'ignorance se produisent les compositions mentales. Conditionnée par les compositions mentales se produit la

conscience. Puis [toujours "conditionnés" par le précédent maillon, se produisent] des phénomènes mentaux et physiques,

… les six sphères sensorielles,… le contact (sensoriel et mental)…, la sensation…, le désir (la soif),… l’attachement…, le

processus du re-devenir,…, la naissance…, la décrépitude, la mort, les lamentations, les peine, les douleurs, les chagrins et

le désespoir. C’est ainsi que se produit ce monceau de souffrances. (*)

D'autres illustrations ou présentations ont introduit des principes-clefs de compétence sectorielle, pourrait-on

dire : maillons 1-7 régis par l'Ignorance (Avidya), maillons 8-12 par le Désir (iccha, chitta ?) … et un partage

du Temps entre 1-2 = passé, 3-10 = présent et 11-12 = futur ; ces trois périodes peuvent désigner les vies

antérieure, actuelle et prochaine de l'individu. D'autre part, le moyeu de la bhavaçakra peut se voir occupé

par les allégories animales de l'Ignorance (un coq), du désir (un porc) et de la haine (un serpent), tous trois

moteurs de la roue (alternativement, c'est Bouddha qui a lancé celle-ci).

C'est là, somptueusement déployée, la technique du sorite, un genre logique familier de la littérature

indienne depuis sa première philosophie, antérieure au bouddhisme, la Samkhya de Kapila (**). La PSP sera

suivie de peu et "mise en œuvre" dans la Bhagavad Gîtâ (env. ~ IIIe s.).

Remarque sur le nidana 6 ou Contact : le bouddhisme a le grand mérite de le mentionner à part entière, même s'il n'en dit

pratiquement rien. Depuis vingt-cinq siècles, la question est éludée, le contact ayant été seulement localisé !

(*) Wijayaratna, M. Sermons du Bouddha. Éditions du Seuil. (2006). (**) Masson-Oursel, P. Esquisse d'une théorie du sorite. Rev. Métaphys. Morale, 20 (6) 810-824 (1912).

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Doc. 9-02

Bouddhisme : tout un pâturage philosophique (in Fondements, chap. "Sagesse antique…)

▪ Rationalisme

Bouddha et ses continuateurs font fi des textes sacrés comme des valeurs établies, ils recommandent de ne pas

se fier aux maîtres, rejettent les questions académiques, ironisent sur les mots et le discours. Nonobstant cette

remise en cause générale, le bouddhiste explique, enseigne, conseille, édicte, dogmatise dans une confiance

totale en la raison et le langage. Bouddha ne s'est nullement recommandé d'une inspiration ou révélation divine ;

c'est par la réflexion que l'illumination lui est venue, comme il le raconte volontiers, cette illumination n'ayant

que consacré le fruit d'une découverte des plus rationnelles, celle de la "production conditionnée" (voir texte).

Le bouddhisme, même si une infime minorité des quatre cents millions de bouddhistes d'aujourd'hui est au fait

des détails, décrit, énumère tout : les périodes cosmiques, les mers et les continents, les dieux et les démons, les

cieux et les enfers et les portes des enfers, les voies de la réincarnation, les modes de l'énergie spirituelle, les

composantes de l'individu (qui devient ainsi une quintuple illusion), les niveaux de conscience. C'est à juste titre

qu'un auteur récent traite d'une "scolastique bouddhique" (a). La rhétorique déployée est fragile, souvent

terriblement fragile. Souvent, une parabole, une métaphore tiennent lieu de démonstration, voire la simple

évocation d'une situation toute différente, mais propre à frapper l'auditeur, d'une notion à forte charge émotive.

Les sutras en sont pleins (b) et démontrent surtout... les talents et l'ascendant du prédicateur.

Mais alors, peut-on avec les mots et la raison dépasser les mots et la raison ?

▪ Une démarche réductionniste

Le réductionnisme voit le jour, pour la première fois semble-t-il dans un esprit humain, sous la forme de la

parabole du char par exemple : cette machine n'est rien de plus qu'un assemblage de pièces ! Il était pourtant

aisé d'objecter que ce char accomplit des tâches qu'aucune de ses pièces isolées ne peut fournir, pas plus que

toutes les pièces empilées en tas. La même démarche est appliquée au moi : fluctuant et impermanent, ce n'est

que l'assemblage des "agrégats" (les skandhas). De même pour le corps, réductible aux quatre éléments (c).

Par la suite, le débat sur "la partie et le tout" a fait long feu en tous pays et jusqu'à nos jours. Même si le principe

d'émergence (d) tend à prévaloir, c'est toujours une stratégie réductionniste qui est mise en œuvre, dans tous les

domaines, chaque fois qu'un problème est ramené à la résolution partielle d'un ou de quelques-uns de ses

attendus.

▪ De la souffrance ou douleur (dukkha)

En quoi la première des Quatre Nobles Vérités est-elle philosophique ? Sous quatre aspects, au moins. (1) La

dukkha est donnée comme clef du monde, principe universel. (2) Elle est affirmée au terme d'un processus

logique, celui-ci toutefois hautement incertain tant est déconcertante l'articulation mutuelle (évitons de parler de

causalité !) des quatre Vérités. Le tétralogisme ne semble pas loin de la pétition de principe : tout est douleur et

la preuve, c'est que voici le moyen d'y mettre fin. La douleur ou comment s'en débarrasser, aurait pu dire

Eugène Ionesco (cf. Amédée). (3) La dukkha constitue une prise de position sur le monde. Il existait une

alternative, entre autres, que le bouddhisme n'a pas retenue : la joie (e) ! De plus, la douleur au sens populaire se

double d'une "insatisfaction" (traduction courante) intellectuelle, dûment expliquée dans les sermons du

Bouddha. La souffrance participe d'un système hautement philosophique puisque métaphysique et moral

(réincarnation, permanence de l'acte, déterminisme, rétribution/punition...).

▪ Renoncement, libération

"Par sa victoire sur la soif de vie, le sage échappe au monde." (f). On lui recommande bien la solitude afin

d'échapper, pas seulement aux passions, mais à la compagnie des hommes. Sagesse ou... dérobade, fuite,

castration ? "Délivré des passions consumantes, libéré de tout désir, la volonté sans entrave [?], l'esprit détaché,

ainsi est le sage : en lui, tout feu est éteint. […] Si, comme en une cloche brisée, rien ne résonne plus en toi, tu

as atteint le nirvana : tout conflit a cessé" (g).

Délivrance ? Nécessairement, d'un monde mauvais. Cela se discute et, effectivement, s'est beaucoup discuté

depuis, à l'Est comme à l'Ouest. D'autre part, s'il y a possibilité de salut, c'est qu'il y a quelque chose à sauver.

Réponse : "Il y a délivrance mais personne n'est délivré" (h), de même que, certainement, il y a dukkha mais

personne ne souffre ; voir texte (point 2).

T S V P

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▪ Le Moi

Question récurrente chez les disciples de Bouddha, elle reste béante aujourd'hui à la lumière des connaissances

neurobiologiques. L'Éveillé a-t-il jonglé avec l'existence/virtualité d'un moi d'une part, la permanence/fugacité

de cette entité d'autre part ? "Une production [en tant que chose composée, impermanente] est insatisfaisante. Si

une chose n'est pas satisfaisante, à son propos je vois ainsi : Cela n'est pas à moi, je ne suis pas cela, cela n'est

pas mon Soi" (i). Alors, il y a bien un moi (ou soi), mais où se cache-t-il ?

Illusion passagère, simple juxtaposition des "agrégats", soit. Mais alors, la réincarnation ? Eh bien, l'âme ne

renaît pas (puisque illusion) mais elle se recompose en ses skandhas. Admettons encore mais qu'est-ce qui

assume le poids des actes passés et infléchit les destinées individuelles à venir ? En réponse, le Bouddha utilise

la double négation : "ni éternalisme, ni matérialisme" mais [...] mais une voie du milieu" (j) ainsi que la

métaphore du fleuve, décidément universelle : le moi est un nom, tout comme la rivière est un nom pour

l'écoulement des eaux. Ces réponses ressemblent trop à des échappatoires. (Les traducteurs écrivent

"écoulement" et "flux", ceci est à creuser ainsi que la notion ambiguë de samati.)

▪ La cause et l'effet, l'action et ses fruits

C'est l'Inde ancienne qui a ouvert le débat, philosophique s'il en est, de la causalité ; cela remonte au légendaire

Kapila, comme on l' a vu. Les courants nouveaux tels que le bouddhisme avaient à choisir entre les doctrines du

satkaryavada (identité de la cause et de l'effet) de l'asatkaryavada (deux natures différentes) qui, l'une et l'autre,

conduisaient à l'aporie : si la cause est l'effet, n'en parlons plus, si leurs natures sont différentes, on ne peut pas

en parler. Comment s'en sortir ? À première vue, l'invention par Bouddha de la "coproduction conditionnée" —

que l'on peut résumer par : si A se produit, alors B se produit— est géniale mais que vaut-elle du point de vue

logique ? Et que vaut-elle du point de vue ontologique ? car les conditions qui... sous-tendent (ne pas dire :

causent) la production, quel degré d'existence ont-elles ? Comme les élèves s'aventurent à le demander

respectueusement à l'Éveillé, ce qui n'existe pas n'a-t-il pas une existence en tant que non-existant ?

"Parallèlement" (car je ne sais comment cela se ficelle), le karma ancien et revitalisé par le bouddhisme est

une théorie de l'action.

(a) Hulin, M. Comment la philosophie indienne s'est-elle développée ? Éditions du Panama, 2008. Le rapprochement se

trouve déjà dans ma Courte histoire du réel (Publibook, 2007).

(b) Par exemple : l'Uttiya sutta sur les limites spatio-temporelles de l'univers, la Piyajatika suta pour l'origine du chagrin ou

du désespoir.

(c) Oui, quatre éléments, les mêmes que ceux des Grecs : eau, terre, feu et air, mais désignés aussi dans les textes

bouddhistes par solide, liquide, chaleur, mouvement. Dans et hors du bouddhisme mais toujours en Inde, un cinquième

élément est parfois ajouté, que les traducteurs nomment éther. La conception chinoise des cinq éléments (eau, terre, feu,

bois, métal) est bien différente.

(d) Sournia, A." Sous le signe de l'émergence" in Fondements.

(e) Article "Joie et souffrance" dans mon Jardin (cité plus haut).

(f) Dhammapada, trad. Le Dong. Le Seuil, 2002. La citation : verset 175.

(g) Même texte, versets 88 et 134.

(h) Formule assez répandue, références à rechercher.

(i) Anathapindika sutta.

(j) Acela sutta.

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Doc. 9-03

Le bouddhisme : négation du langage ?

Il y a et il n'y a pas

C'est, en substance, ce qu'écrivent d'innombrables auteurs, l'apogée du procédé se trouvant sans doute

chez Nagarjuna (II-IIIèmes

siècles) avec sa "double négation". C'est également ce qui ressort si souvent

d'un rapprochement entre deux textes différents (soit d'un même auteur, soit de deux auteurs différents).

La PhS ne peut adopter une telle proposition. Au contraire, elle fait choix, au titre de postulats, d'un

petit nombre de "il y a".

La "Production conditionnée" : thèse et antithèse

Cette théorie, la pratitya samutpada, se trouve à l'origine même de l'illumination de Bouddha et de son

enseignement (voir doc. 9-02). Elle est réaffirmée, mais aussi niée formellement, par le même Nagarjuna,

un pilier du Mahayana. Par exemple, choisissons l'un des douze maillons ou rayons (nidana) de

l'enchaînement cosmique ou Roue de la vie : le "contact" (sparsha) entre objet perçu et sujet percevant.

C'est là, évidemment, un point-clef du phénomène de la perception (chap. 3). Eh bien, cette notion est

rejetée par des maîtres éminents, tel le même Nagarjuna dans son analyse de la vision (Traité du milieu,

XIV) : "Le contact en cours, le contact accompli et l'agent de contact n'existent pas de manière inhérente".

Alors que, comme exposé plus loin (XXVI, 3), "avec la constitution des nom et forme [nidana 4], les six

bases de connaissance [nidana 5] viennent à l'existence. En dépendance des six bases de la connaissance

apparaît le contact [nidana 6].

Dans la brève Sutra du Cœur (Prajnaparamitahrdayasutra), l'un des textes les plus vénérés du

Grand Véhicule, ce sont les douze rayons qui sont méthodiquement démolis.

Enfin, il existe une école du Yoga fondée sur le non-contact (Asparsha).

La sophistique prend le pas sur la sagesse

Dans ses célèbres commentaires de l'upanishad de la Grenouille (la Mandukya), Gaudapada " (VIème

siècle) est aux prises avec les racines de l'ontologie :

Seul ce qui existe peut venir à l'existence" proclament de nombreux penseurs. — "Non ! C'est ce qui n'existait pas", clament les autres, et chacun conteste le point de vue adverse. Ce qui existe déjà ne peut encore venir à l'existence ! — "Mais encore moins ce qui n'existait pas !". Disputant ainsi, ils sont la preuve vivante du non-devenir, attestant ainsi de la non-dualité.

Autrement dit, un désaccord entre humains devient "preuve vivante" d'une réalité ultime ! Logique,

rhétorique, dialectique prennent les rênes de la philosophie et les clefs de la Connaissance.

Il faut déjà connaître le sens pour comprendre

La polysémie est de règle dans le bouddhisme : euphémisme ! On nous explique patiemment que le sens

d'un terme est fonction du contexte. Ceci est fort bien dit mais, dans toute l'évolution conjointe de la

pensée et du langage, c'est un recul catastrophique, c'est la déroute !

Souvenez-vous de la patiente et vaillante conquête de l'écriture (chap. 6) jusqu'à l'obtention de la solution

idéale : un mot, une lecture, un sens.

Chez ces penseurs bouddhistes relativement tardifs du Mahayana, bien au contraire, le mot se retrouve

intériorisé dans le locuteur. La pensée (qui venait d'être externalisée) rentre dans sa coquille !

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Doc. 9-04

Vision gnostique du monde in Le monde mental ment monumentalement

Il ne s'agit PAS d'une déviation précoce du christianisme, comme ce dernier s'est efficacement employé à le

faire croire. C'est plutôt comme si le bref parcours terrestre d'un nommé Jésus se disant fils de Dieu, ainsi

que la puissance de son message et l'efficacité de son enseignement, comme si tout cela avait stimulé

l'éclosion quasi simultanée (à notre regard d'aujourd'hui) d'une foultitude d'écoles philosophico-religieuses

aux alentours du premier siècle de l'ère chrétienne. Mais voilà, "quasi simultané…, aux alentours…". À y

regarder de plus près, le gnosticisme remonte (géographiquement : par le Nil et Alexandrie) à l'antiquité

préchrétienne, à l'Égypte ! Je raconte ailleurs (Une courte histoire du réel) comment le phénomène dit

gnostique a été remanié par la postérité et, notamment, éradiqué de son mieux par le christianisme. On peut

aller plus loin et démontrer que la pensée gnostique, en précédant le christianisme, l'a préparé. Le Christ, qui

n'a jamais dit que son papa était démiurge, arrivait à point nommé pour répandre un message du vrai, du bon

Dieu. Autrement dit et au risque d'excommunication : le christianisme est l'école gnostique qui a éliminé

toutes les autres…

La gnose ou plutôt les gnoses, eu égard à leur diversité, reviennent aux questions primordiales que les

premiers siècles de la philosophie occidentale avaient commencé à obscurcir et que Kant comme Gauguin

exhumeront, plus de deux millénaires plus tard : que sommes-nous, que pouvons nous savoir, que devons-

nous faire ? Or les gnoses fournissent explicitement —ce que ne font pas toujours les philosophies— des

réponses plus qu'inédites : révolutionnaires :

— Ce monde n'est pas le vrai. C'est une erreur, une falsification, une dégradation (il y a des nuances), c'est le

mal. Le vrai monde, lui, est d'une part bon, d'autre part ordonné. Car il y a un Bien et un Mal. Il y a l'Esprit et

la Matière, le premier étant, ici bas, prisonnier de la seconde. Le Dieu de la Bible n'est ni infiniment bon, ni

tout-puissant, ce n'est que le second Dieu, un démiurge qui n'a créé que le mal. (Parenthèse : en ce sens, la

Gnose est dualiste. Mais elle est tout autant moniste dans sa foi en un Tout (Plérôme), en une perfection

suprême.)

— Comment cela fonctionne-t-il ? Une entité préside, le vrai dieu, qui est l'Esprit. Il y a eu création, il y a

devenir mais ne pas se tromper de création ! et quant au devenir, ne pas se fourvoyer non plus. L'homme doit

choisir et il le peut, ceci grâce à la Connaissance (la Gnose).

— Il y a à vivre (car l'âme, c'est la vie, tout est "animé") et il y a à connaître. Cette Connaissance, loin d'être

donnée, est à acquérir par une recherche personnelle (avec ou sans maître ? les écoles gnostiques divergent

là-dessus) ; de plus, cette possibilité n'est offerte qu'à une minorité d'hommes [sélectivité, élitisme, cf. le

hinayana, etc.] et son enseignement doit demeurer secret [ésotérisme].

Voilà à peu près tout ce que le christianisme naissant s'est mis en devoir de rayer de la carte : "à peu près" car

il peut en manquer.

La sélection-destruction des manuscrits a été si efficace que les Gnoses ne sont plus connues aujourd'hui

qu'en négatif : par les critiques qu'en ont faites les Pères de l'Église. L'occultation semble définitive. Très

intéressant donc est le tableau qu'en dresse Flaubert, certainement inspiré par la ferveur mystique de cette

époque : un tableau chatoyant, techniquement hollywoodien, incroyablement érudit. La tentation de saint

Antoine est un livre où, manifestement, souffle l'Esprit. Conformément à la vision établie, tous les

personnages sont des divinités ou des saints ou des hérétiques, avec la participation d'êtres fabuleux. Le fond

est ainsi résolument théosophique. Cependant Flaubert, involontairement peut-être, retrouve le véritable

ferment philosophique :

(Le Diable s'adresse au Saint :) — "Les choses ne t'arrivent que par l'intermédiaire de ton esprit. Tel qu'un miroir concave, il déforme les

objets —et tout moyen te manque pour en vérifier l'exactitude. Jamais tu ne connaîtras l'univers dans sa pleine

étendue ; par conséquent, tu ne peux te faire une idée de sa cause, avoir une notion juste de Dieu, ni même dire

que l'univers est infini, car il faudrait d'abord connaître l'infini ! La forme est peut-être une erreur de tes sens,

la Substance une imagination de ta pensée. À moins que, le monde étant un flux perpétuel des choses,

l'apparence au contraire ne soit tout ce qu'il y a de plus vrai, l'illusion la seule réalité. Mais es-tu sûr de voir ?

Es-tu toi-même sûr de vivre ? Peut-être qu'il n'y a rien !

T S V P

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(Et l'ermite de s'accrocher, dans le chapitre suivant :)

— Il doit y avoir quelque part des figures primordiales, dont les corps ne sont que des images. Si on pouvait les

voir, on connaîtrait le lien de la matière et de la pensée, en quoi l'Être consiste !

Les gnoses remettent en cause les fondements même de la connaissance. C'est dans un évangile apocryphe

(vous savez ce que cette expression désigne) que l'on trouve cette critique du langage, équivalente d'une

véritable malédiction :

Les noms que l'on donne aux réalités de ce monde contiennent une grave erreur car ils détournent [l'esprit] de

ce qui est stable vers ce qui est instable. Et celui qui entend "dieu", ce n'est pas ce qui est stable qu'il conçoit,

mais ce qui est instable. [...] La vérité a engendré des noms dans le monde à cause de nous, qui ne pouvons

nous instruire à son sujet sans les noms. (Évangile selon Philippe (Nag Hammadi), 11 puis 12. In "Écrits

gnostiques", La Pléiade, Gallimard, 2007.)

La tradition gnostique s'est perpétuée et persiste, de nos jours, dans des mouvements et des publications très

discrets. On peut ainsi lire dans la quatrième édition d'une Gnose universelle parue en 1984 (Van

Rijckenborgh, J. & Petri, C. de La gnose universelle (4ème édition). Rosekruis Press, 1984 :

Il y a dans certains êtres humains deux natures : l'une issue de ce monde et lui appartenant entièrement et l'autre

qui n'est pas de ce monde mais en est la prisonnière. Cette nature supérieure doit être libérée du monde des sens,

car elle seule provient du monde divin.

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Doc. 9-05

Les procédés rhétoriques dans le langage du Christ Extraits des Exercices, pp. 85-88

La rhétorique de JC fait un large usage de l'analogie : soit en quelques mots, c'est la métaphore, soit

développée en une scène et c'est la parabole. L'analogie, rendue possible par la faculté d'association si

développée chez Hs, on en connaît (ou pas) la puissance, les ressources, les pièges, les perversions. La

métaphore, on en parle souvent, passons. De la parabole on connaît bien les avantages : elle intrigue,

elle charme, elle emporte l'adhésion immédiate des esprits dits (psychologiquement) primaires. La

parabole jésus-christienne a certainement d'autres attraits et d'autres atouts encore mais, attention,

quelle que soit son ouverture, sa beauté, son témoignage d'amour (envers l'humanité, envers la nature),

elle ne saurait tenir lieu de démonstration logique. Et pourtant…, soit dit sans méchanceté, elle est le

coup de bluff qui dispense d'explication, qui esquive la démonstration ! De plus, sa conclusion

interpelle l'assistance, elle se fait percutante et souvent sévère (la "chute" en est rude), elle est souvent

ambigüe ou paradoxale, elle prête à plusieurs interprétations. Mais, de plus en plus fort : ce défaut

même ajoute à la séduction du procédé ; il laisse entrevoir, et seulement entrevoir, la nécessité d'un

décryptage, c'est-à-dire l'existence d'un code.

Enfin, cette figure de rhétorique est porteuse d'une fatalité qui, de la bouche de JC, prend les

dimensions de l'humanité et devient, tout simplement, belle. Mon maître et ami R. Margalef qui aura

marqué l'écologie du XXème siècle a pioché dans les Évangiles ce qu'il appelait "principe de Saint

Matthieu", un principe choquant au possible, révoltant même, qui se résume ainsi : celui qui a

beaucoup aura davantage, celui qui a peu sera appauvri encore (Mtth. 25 : 14). Cette parabole dite des

talents ou des mines, également rapportée par Luc (19 : 12) et si révélatrice du caractère "provo"

(comme dans le film de Pasolini des années 1960), a toutes les chances d'être authentique.

Jean, chronologiquement le dernier évangéliste, veut que le Christ ait de lui-même exposé sa

méthode : "Je vous parle en termes figurés et obscurs […] en usant de similitudes et de paraboles […]

Mes paroles sont au-dessus de votre portée" (Jean 16 : 25 puis 12). Et à plusieurs reprises dans les

quatre versions, cette menace assez méprisante, de style initiatique : que ceux qui ont des oreilles

entendent ! (cf. point 4 de la page 6). Ici apparaît l'alternative exotérisme/ésotérisme des deux modes

d'enseignement classiquement distingués chez les grands maîtres de l'Antiquité. En l'occurrence, JC

louvoie, en quelque sorte, entre les deux comme s'il montrait son sac sans l'ouvrir. […]

Le miracle. … L'un de ses ressorts est que celui qui détient le pouvoir (de réaliser l'impossible)

détient nécessairement aussi la connaissance, la vérité. —Ça se discute, dites-vous ? Précisément non,

impossible ! La dialectique ne discute pas d'un coup de massue sur la tête. Ceci dit, l'occurrence des

miracles et des prodiges est assez commune dans la Bible, l'AT y ajoutant, pour sa part, le recours aux

calamités en guise de punitions. La pratique des miracles est "culturelle" dans le Livre. Un bon

prophète sait cela et, quand vient l'heure du NT, les thaumaturges font florès. Or JC guérit à tour de

bras sans que les Évangélistes ne consignent tous les cas, il guérit comme si cela faisait partie de sa

mission, le boulot en quelque sorte ; à ce point qu'une question morale survient : un homme sauvé de la

maladie ou de l'infirmité, tout comme le pécheur pardonné, devient-il meilleur ? Mais je m'égare et

oubliais : plus que guérir, JC réussit le propre de l'incroyable, il ressuscite des morts et, finalement,

ressuscitera lui-même.

T S V P

- 98 -

"Il prêche d'exemple"… Cela va beaucoup plus loin que les aspects formels retracés ci-dessus. JC se

met en avant au point de payer, finalement, de sa personne. Mais ce sacrifice prête, lui aussi, à

contestation logique. (Mais non, amis croyants, ceci n'est pas blasphème, simplement un autre point de

vue qui ne retire rien aux autres.) L'enseignement jésus-christien comporte une faille terrible : le

locuteur prend argument de sa propre personne. Voyez-vous ce que je veux dire ? Le langage courant

fait usage, entre autres arguments, du "Puisque je te le dis" qui ne vaut pas tripette. Transposé dans le

mode biblique, cela donne, en plusieurs endroits des quatre textes et ici en condensé : "La preuve du

Père unique, omniscient et tout-puissant, c'est que moi que voici, je suis son Fils". On n'en croit pas ses

yeux en découvrant dans le Livre même une contestation dialectique en bonne et due forme par les

docteurs de la Loi (impossible de retrouver la citation. Lequel des Évangiles ? Cela se passe à

Jérusalem avec des Pharisiens.) Lesdits docteurs donc sans perfidie aucune, dénonçaient là, tout

simplement, le procédé logique du diallèle : prouver une proposition au moyen d'une autre dont la

preuve est fournie par la première. […]

Ceci dit, le vice de forme se retrouve, même masqué sous l'émotion : la preuve que le Père m'a

envoyé pour racheter les hommes, c'est que l'on va me crucifier. Les ethnologues et les sociologues ont

certainement traité de ceci à travers le concept de bouc-émissaire, il faudrait relire René Girard par

exemple. La particularité, ici, est que la victime expiatoire s'est offerte d'elle-même pour débarrasser la

communauté de tous ses péchés.

L'apothéose discrète de la Résurrection, est tellement impensable qu'elle ressort de l'irrationnel ;

c'est aussi le plus impressionnant prodige des Écritures. […]

Le message jésus-christien est rapporté comme une révélation, tombée droit du ciel, tout comme

son porteur en a été proprement parachuté sous une forme humaine. Révélation typique, qui ne se

discute pas ; les disciples interrogent, tout au plus et timidement. JC n'est pas "un homme de dialogue"

mais n'en convainc que mieux. Son discours ne ressort pas du genre philosophique bien que nombre de

concepts philosophiques soient impliqués. D'autre part, dans son contexte historique, le phénomène

jésus-christien, si j'ose dire, est présenté comme une bulle dans le temps et dans l'espace, une bulle qui

aurait éclaté en heurtant la Terre. Le choc d'un météorite. Et comme si, répétons-le tant c'est absurde,

comme si personne alentour ne s'était jamais posé de questions sur le destin de l'homme. […]

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Doc. 9-06

Les Préplatoniciens ou "Présocratiques"

In Fondements, chap. "Sagessss antique…"

[…] l'apparition soudaine de ces centaines de parleurs-discuteurs qui prendront nom de

"philosophes".

Une classe sociale nouvelle, les intellectuels. Un produit nouveau, les idées, parmi lesquelles

des innovations déroutantes par rapport au contexte culturel et religieux. Un objet nouveau, le livre,

d'abord roulé (volumen), plus tard en feuillets (codex), pour colporter ces idées. L'enseignement de

maître à disciple institutionnalisé, bientôt formalisé en écoles pour jeunes gens et adultes. Des

rencontres organisées, des repas de travail (*) avec démonstrations oratoires amicales mais serrées.

Une explosion dont l'ampleur autorise la métaphore d'un "big bang", d'autant plus que les particules

ainsi venues à l'existence gagneront les quatre coins du ciel occidental, se heurtant et s'agglomérant,

pour former les constellations philosophiques [occidentales] d'aujourd'hui.

Cette touche de lyrisme n'est que l'un des tons que l'on peut employer pour parler de cette

période. Un autre mode est celui de l'enquête, tant il reste de choses à éclaircir, à commencer par

cette particularité biologique qu'est la longévité remarquable des Présocratiques : 76 ans ! peut-être

un artéfact de nature paléographique, mais que cache-t-il alors ? Une fréquentation quelque peu

approfondie de la littérature concernée peut même faire naître le soupçon d'une double occultation.

Cette suggestion m'est personnelle mais attendez seulement qu'un romancier mette en scène un

complot :

— oubli volontaire et destruction matérielle des apports issus des cités rivales d'Athènes. Ainsi l'a

voulu la postérité, de manière générale, en réduisant la Grèce à son hégémonie (temporaire) politique

et militaire. Une autre gaffe a échappé à Platon : "La philosophie [c'est le mot employé mais la

traduction dit "l'amour de la science"] est plus ancienne et plus répandue en Crète et à Lacédémone

[Sparte] qu'en aucun autre pays de la Grèce et c'est là qu'il y a le plus de Sophistes. [...] Ils ne

permettent à aucun de leurs jeunes gens d'aller à l'étranger de peur qu'ils n'y gâtent l'enseignement

reçu chez eux. Chez ces peuples, on voit non seulement des hommes, mais aussi des femmes qui ont

la fierté de leur éducation." (13)

— manipulation, omission, dérision, etc. des thèses présocratiques dès le ~ IVème siècle dans l'œuvre

d'Aristote, puis chez les Néoplatoniciens. Le christianisme n'eut plus qu'à donner sa bénédiction, tout

en veillant à l'éradication des convictions antérieures ou "paganisme".

Notons que l'illustre Macédonien (Aristote), étouffoir poli des Héraclite et autres, suivait en

cela l'exemple de... Socrate lui-même, Socrate présocratique comme on l'a dit plus haut, Socrate né

sophiste et grandi anti-Sophistes.

_____________ (*) Le symposium moderne vient du banquet grec (sumposion)

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Doc. 9-07

Autour d'un plat

(In Voyage en pays présocratique, pp. 148-149)

Il s'agit d'un plat de légumes et l'histoire se passe à Syracuse vers 400 avant J.-C. sous le règne des tyrans

Denys, père et fils. Aucun des protagonistes, sauf un peut-être, n'est un Présocratique mais, à quelques

années près, peu importe pour la signification de l'anecdote.

Il faut savoir que beaucoup de philosophes antiques ont séjourné à la cour du tyran de Syracuse,

tandis que d'autres préféraient se tenir à distance, dans le voisinage. Ont pu ainsi se côtoyer, dans l'ordre

alphabétique : Antisthène (dernier Cynique et premier Sophiste), Archédémos, Aristippe (le fondateur de

l'école cyrénaïque), un Diogène (probablement le Cynique), un Dion (lequel ?), Platon en personne (qui

faillit un jour être exécuté par Denys, c'est Archytas qui le sauva), le pythagoricien Timée de Locres et

d'autres. Ces immenses penseurs se chamaillaient ferme s'ils ne se vouaient pas, comme Aristippe et

Platon (tous deux élèves du même Socrate), une haine implacable comme le feront Voltaire et Maupertuis

à la cour de Frédéric II.

Il y a plusieurs versions —au moins trois— de l'histoire (*) :

► Un jour qu'Aristippe passait, Diogène, qui lavait des légumes, se moqua de lui en disant : "Si tu avais

appris à manger ces légumes, tu ne ferais pas la cour aux tyrans" ; à quoi Aristippe rétorqua : "Et toi, si tu

étais capable de vivre dans la compagnie des hommes, tu ne laverais pas des légumes !".

► Un jour qu'Aristippe vit Diogène laver des légumes sauvages auprès d'une source, il lui dit : "Diogène,

si tu faisais la cour aux tyrans, tu ne mangerais pas de légumes". À quoi celui-ci répondit : "Aristippe, si

tu mangeais des légumes, tu ne ferais pas la cour aux tyrans".

► C'est Antisthène qui lavait les légumes quand Aristippe et le tyran Denys ont débarqué chez lui.

Antisthène à Aristippe : "Si tu te contentais de ces légumes, tu n'aurais pas à traîner sur les pas d'un roi !".

Antisthène de répondre : "Et toi, si tu pouvais facilement causer avec un roi, tu ne te contenterais pas de si

peu !".

On ne saura jamais lequel a eu le dernier mot mais peu importe. À ce détail près, l'histoire est

indubitablement vraie ! Car on ne construit pas une légende sur des épluchures de légumes et les

divergences des trois récits scellent l'authenticité de l'anecdote. Quel témoignage sur la vie quotidienne

chez les philosophes présocratiques !

(*) Pour le détail des sources bibliographiques de cette histoire voir :

M. Onfray : L'invention du plaisir. Le livre de poche 2002.

L. Paquet : Les Cyniques grecs. Le livre de poche 1992.

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Doc. 9-08

Les Sophistes dans la "philosophie comparée" de P. Masson-Oursel (*)

Nous parlons d' "évolution" pour désigner les transformations successives de diverses formes de pensée […]. Nous

constatons, au cours de trois millénaires, l'édification très rapide, dans les trois domaines [Europe, Inde et Chine]

des systèmes dont tout d'abord les bases furent jetées, puis l'échafaudage construit et la bâtisse exécutée ; ensuite la

formule, une fois trouvée, se répète et se charge de détails adventices, comme une façade se charge d'ornements ;

enfin, l'invention se tarit et, à moins d'un renouvellement de style, on cesse non seulement de bâtir, mais

d'entretenir l'édifice. […] Cette banalité n'est pas moins vraie de l'Orient que de l'Occident, mais la façon dont elle

est vraie ici et là peut, à mesure que nous la saisirons mieux, nous apprendre beaucoup et sur les autres, et sur nous-

mêmes.

[…] On retrouve dans la Chine antique, entre les VIe et III

e siècles [av. JC] des "Lettrés errants" que le caprice

d'événements politiques confus ballotait de la cour d'un prince à celle d'un autre ; que le désir d'argent poussait à se

vendre au mieux payant ; que la subtilité d'esprit rendait capables […] de persuader tour à tour le pour et le contre.

Le roi Siouen, de Ts'i, pensionnait 73 de ces individus [des Sophistes], dont il utilisait les talents.

Le sophiste règne dans toute l'antiquité chinoise ou indienne pour le moins autant que dans l'Hellade au

siècle de Périclès ; dans chacun de ces milieux, l'instabilité des conditions politiques, la désorganisation d'un ordre

antérieur, favorisaient le pullulement d'aventuriers sans scrupules, exempts de toute conviction, sauf celle de la

relativité de toutes les convictions et de la toute puissance du raisonnement.

[…] La sophistique grecque se termina très vite, trouvant dans Platon et Aristote, grâce à la tournure d'esprit

de Socrate, également épris de discussion et de vérité, les initiateurs d'un système si puissant, que son prestige nous

obsède toujours. Confucius a foi en la valeur du raisonnement mais son respect pour la tradition le distingue des

sophistes de son temps ; dans la mesure où il fait sortir de l'anarchie la conscience morale de ses contemporains, il

contribue à la destruction des sophistes : n'en fit-il pas exécuter au moins un comme subversif et dangereux pour la

sécurité de l'État ? […] Dans l'Inde, l'inspiration de Nâgasena s'étend aux écoles indépendantes Tirthikas, Çârvakas,

matérialistes, bouddhistes du Petit Véhicule ; elle se prolonge en une métaphysique négative [ou théologie

négative], transposition ontologique de l'éristique primitive, chez les Madhyamikas et jusque dans le

spiritualisme des Yogâçâras ; bref, elle dure sous des formes différentes tant que n'est point expulsé ou assimilé le

Bouddhisme.

[…] La scolastique n'est, pas plus que la sophistique, un événement européen, mais un fait d'une certaine

généralité. Partout où une doctrine est mûre pour l'enseignement scolaire, et parvenue à une précision formelle,

partout où se détermine en des méthodes tenues pour exhaustives la pédagogie d'une orthodoxie, partout où la

vérité s'extrait d'un texte qu'expliquent des commentaires, on assiste à l'institution d'une scolastique

[Repères : la scolastique en Inde, c'est Buddhagosa (bouddhiste) et Sankara (brahmaniste). En Chine, c'est

toute l'époque classique. En Europe : Thomas d'Aquin., Maïmonide, Ibn Rushd.]

[…] Toute doctrine, même non récente, qui prend l'allure d'un système intégral, d'une vérité démontrée, et

non plus d'une vérité qui se fait, revêt un caractère scolastique. Ainsi le néoplatonisme de Proclus, le stoïcisme

[…].

[…] Ainsi, dans les trois civilisations, une scolastique a succédé à une phase où l'activité intellectuelle était

l'apanage d'une ou de plusieurs générations de sophistes. En Grèce, les deux périodes ne se séparent que par la

personnalité géniale de Platon […], trait d'union entre le dernier et plus grand des sophistes (Socrate) et le premier

et plus grand des scolastiques (Aristote). Dans l'Inde, les deux phases s'interpénètrent […]. La Chine demeure

sophistique jusqu'à l'introduction du bouddhisme : l'allure presque socratique de l'enseignement de Confucius, les

procédés de discussion des Taoïstes, Lao, Lie, Tchouang [… Tseu] attestent, malgré l'ampleur de la pensée, ce

mélange d'agnosticisme et d'éristique suraigüe auquel, sous toutes les latitudes, se reconnaissent les sophistes.

[…] La méthode comparative permet de formuler des jugements de ce genre : Confucius a joué en Chine un rôle

semblable à celui que remplit Socrate dan la pensée grecque ; Buddhaghosa rendit au bouddhisme le même service

que St Thomas au christianisme.[…] Nous pouvons dégager par comparaison ce qu'il y a de commun ou de

particulier aux diverses sophistiques […]

(*) Masson-Oursel, P. La philosophie comparée. Librairie Félix Alcan, 1930 (citations, pp. 62-73).

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Doc. 9-09

Les leitmotive de la "période axiale" (in Fondements, pp. 89-90)

▪ On parle du monde, de son fonctionnement, de son commencement s'il en a eu un (voir trois points plus bas), de

sa fin s'il doit en avoir une. La pensée, conquête nouvelle, cherche une clef pour l'appréhender, une seule clef de

préférence : c'est la quête d'un Principe, d'un Absolu, d'un Tout unificateur. Les formules proposées sont très

diverses, comme on sait, d'Est en Ouest.

Cependant, cette noble curiosité se manifeste sous une forme qui à l'homme d'aujourd'hui paraît paradoxale :

comment s'intéresser au monde, à "la nature", sans l'étudier ? Car tout ce que disent du monde les premiers

penseurs relève de leurs représentations mentales et non de l'observation ni, moins encore, de l'expérience ; celles-

ci, tout au plus, servent d'appui à des analogies, paraboles ou métaphores (Note 1). La raison et rien que la raison,

semble-t-il ; la pensée, rien que la pensée. On a parlé d'un stade "préscientifique", rien de plus ambigu (Note 2).

▪ Apparence contre réalité. Que voyons-nous, qu'est-ce qui demeure à travers ce qui change, y a-t-il quelque chose

plus loin ou au-dessus ou ... ? Ce sont, d'Est en Ouest et aux traductions près, les notions (qui parfois tournent à

l'obsession) de transformation et correspondance (Chine), d'illusion (Inde), de changement (Grèce).

Matière et esprit, monisme et dualisme, un et multiple..., grands mots devenus inutilisables car traînant

derrière eux des bibliothèques entières. Ces mots, c'est dès l'an ~500 qu'ils sont exhibés dans une langue ou une

autre et c'est à cette époque que sont prises les principales options. Nos amis ne sont pas tous des rêveurs épris

d'un Tout super-englobant, ils peuvent être parfaitement matérialistes : Çarvaka, Démocrite, Kassapa,

Keshakambala, Xun Zi..., ici alignés dans l'ordre alphabétique.

▪ Qu'est-ce qui existe, qu'est-ce que c'est même que d'exister, y a-t-il du rien ? Le mot "ontologie" remonte au

XVIIème siècle, disent les dictionnaires, mais le mystère de l'être et du non-être est abordé en langage rationnel

par Bouddha et nombre de ses compatriotes, par Gorgias, Métrodore de Chio et Parménide, par Lao Tseu et

Tchouang Tseu...

Le problème se double de celui de l'identité : va pour "être" mais être implique-t-il de ne pas être autre chose ni

autrement ? En Occident, le débat sera clos comme on le sait par Aristote (Note 3), mais les bouddhistes et les

jaïnistes en Inde, Houei Tseu, l'école Mingyia et Tchouang Tseu en Chine laisseront durablement ouvertes les

portes de l'ambivalence, du tiers non-exclu.

▪ Invention prodigieuse que celle de l'infini. Sur ce point, il serait plus facile et plus intéressant de rechercher et

désigner qui, pendant la période axiale, ne se préoccupe pas de limites dans l'espace ou dans le temps ou dans la

composition de la matière. La question des limites temporelles est particulièrement troublante : y a-t-il eu un

commencement et, si oui, comment toute cela s'est-il mis en place ? Les tenants d'un commencement achoppent

sur l'aporie de l'avant-le-commencement, les éternalistes rencontrent d'autres obstacles.

▪ Bouddha n'est pas le seul découvreur du "moi". Confucius, Mencius, Mo Tseu, Tchouang Tseu... Cependant que

les Grecs, manifestement, ont l'esprit ailleurs.

Ne pas sous-estimer ce tour de force qu'est la découverte (ou l'invention) du moi. La pensée, en même temps

qu'elle se met à l'œuvre, découvre le sujet pensant ! Il y a plus fort encore, peut-être (point suivant).

▪ En même temps qu'elle prend les armes, la raison veut tester la fiabilité de ces armes. Comment pense-t-on et

qu'est-ce que cela vaut ? Les fondateurs de la logique ont pour noms (alphabétiquement encore) Belathaputta,

Bouddha, Euclide de Mégare, Gotama, Jaïna, Mo Tseu, Tchouang Tseu, Xun Zi, Zénon...

Logique rime avec linguistique. Les mots, le langage sont soupçonnés ou accusés dès leur mise en œuvre par

la raison : aux noms précédents, ajouter ceux d'Antisthène, Confucius, Gongsum Long, Houei Tseu, Kanada...

▪ On peut présenter ensemble car ces notions s'appellent et se répondent : spécificité de l'homme, dimension

sociale, valeurs morales. Ce bouquet aussi éclot et fleurit pendant la période axiale, et pas seulement chez

Alcméon et chez les Sophistes grecs. Les différents courants confucéens et ceux dits anti-confucianistes débattent

âprement des bases (naturelles, sociales ou transcendantes) de la morale, comme les écoles bouddhiques

s'affrontent sur les dimensions à donner à la "délivrance".

T S V P

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Note 1

Considérons le cas de l'hindouisme qui, très remarquablement, a choisi de pratiquer la quête de la vérité selon

plusieurs "points de vue" ou darshana. Ils sont au nombre de six, comme on sait, il n'y en a pas un septième qui

s'appellerait, imaginons-le, "Étude du monde par l'observation, l'expérience et l'analyse". Des auteurs assurent que

cette omission est délibérée et typiquement hindouiste. Cependant, on rencontre le dédain de ce qui s'appelle

aujourd'hui "les matières scientifiques" chez les Présocratiques jusqu'à Platon inclus (mais pas Aristote) ; même la

première vague présocratique, celle qui produisait des "Traités de la nature" à tour de bras, ne travaillait que par

projections mentales [exception notoire : Pythagore !]. En Chine, idem.

Note 2

Préscientifique", plus qu'ambigu, est franchement hypocrite : "avant" la science et pour la préparer ou bien

"avant" que la science ne vienne tout changer ? J'ai moi-même sous-titré mon Héraclite : "L'intuition de la

science" en toute hypocrisie (1982) mais pris position dans le Voyage (2007).

Amusons-nous : il existerait aussi une "préphilosophie" (G. Deleuze) : chez des peuples de bonne volonté,

comme les Chinois, qui n'ont pas pu atteindre le degré de conceptualisation de la vraie philosophie (grecque).

Note 3

Aristote fait suite, bien sûr, à la période axiale, il inaugure une autre ère.

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Doc. 9-10

Éclosion planétaire de la pensée philosophique

Quelques points de repère au ~ Ve siècle

(in Fondements, pp. 268-269, avec deux additions)

Occident Orient

Un Principe sous-

jacent

▪ "La loi qui régit tout règne partout où

s'étendent le vaste éther et la lumière

infinie" (Empédocle)

▪ En Inde : le dharma

▪ En Chine : le tao

Un et multiple

Unité et dualité

▪ "De toutes choses l'Un et de l'Un toutes

choses" (Héraclite)

▪ Dvaita ou advaita (brahmanisme)

▪ "Tout est un, Un est tout" (Bouddha)

Esprit, pensée ▪ "Être, c'est penser" (Parménide).

▪ "Tout est esprit" (Anaxagore)

▪ "L'Atman ne peut être atteint par le raisonnement"

(Katha upanishad)

▪ Lokayata, çarvaka et autres courants matérialistes

Connaissance,

vérité.

Apparence, réalité

▪ "Nous ne savons ni si nous savons

quelque chose, ni si nous ne savons rien

[…], s'il existe quelque chose ou rien"

(Métrodore de Chio)

▪ "Tout n'est qu'opinion" (Éléates)

▪ "Le réel, c'est ce que je sais" (Antiphon)

▪ "Savoir qu'il y a des choses qu'on ne peut savoir, voilà le

sommet du savoir [...] L'intelligence ne pénètre qu'une

parcelle de la vérité totale, mais c'est par ce qu'elle ne

pénètre pas que l'homme peut comprendre ce qu'est le

Ciel" (Tchouang Tseu)

▪ Illusion (maya) (bouddhisme)

Causalité ▪ "J'aimerais mieux trouver une seule

explication causale que d'être roi des

Perses" (Démocrite)

▪ Samskara et karma, enchaînement (hindouisme)

▪ "Tout ce qui existe est conditionné" (Bouddha)

Y a-t-il eu

création ?

▪ Rien ne naît de rien (divers PréSoc)

▪ Le monde inengendré et incorruptible

(les Pythagoriciens)

▪ "L'être et le néant procèdent d'une même origine"

≠ "L'être est né du non-être" ≠ "Être et non-être

mutuellement s'engendrent" (Tao te king)

Être, non-être.

Le vide

▪ "Rien n'est vide" (Mélissos)

▪ "Rien d'autre que des atomes et du vide"

(Démocrite)

▪ "L'être n'est pas, ni le non-être, ni l'un et

l'autre. Rien n'existe" (Gorgias)

▪ "L'être naquit du non-être"

≠ "Le non-être n'existait pas, ni l'être" (Rigvéda)

▪ "Au début n'était que l'être" (Chandogya Upan.)

▪ La Vacuité (shunyata) des écoles madhyamaka et autres

Place de l'homme

Le bon, le bien

Mise en cause du

langage

Invention de la

logique

▪ "L'homme est la mesure de toute chose"

(Protagoras)

▪ "La conscience distingue l'homme des

autres animaux" (Alcméon)

▪ "Au terme du connaissable se trouve l'idée

du Bien" (Platon)

▪ "Laisse là les voix mauvaises, les actions

détestables" (Zacharie).

" Tu porteras sur ta tête le poids de tes actes"

(Abidias)

▪ (Socrate dans le Cratyle)

▪ Aucun homme sensé…(Platon)

Les Sophistes, les Mégariques, Zénon,

Xénocrate, Aristote…

▪ "Lui [l'Absolu, le divin], c'est moi [l'âme individuelle,

l'humain]" (Yajna-valakya)

▪ Les humains sont les plus nobles des êtres créés par

le Ciel (Lie Tseu)

▪ "J'embrase tout ce qui est bon en pensée, parole et action"

(Zarathoustra : Yaçna). Idem chez Bouddha

▪ 18 causes de péché (Jina)

▪ "L'homme de bien tend vers le haut" et les 5 pratiques du ren

(Confucius)

▪ D'abord, rectifier les noms ! (Confucius)

▪ Gongsung Long

▪ Inde : la vaisheshika (Kanada) ?

▪ Chine : Mozi ; Houei Tseu (?)

En complément : quelques notions discutées à cette époque, à l'Ouest comme à l'Est : micro- et macrocosme ;

quatre éléments ; atomisme ; couples de contraires ; changement, impermanence ; tiers exclu.

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Doc. 10-01

Confucius : options majeures dans les Entretiens

"Humanité" (au sens de vertu humaine, non à celui de population) (La langue française manque ici d'un mot comme "humanitude", en l'absence duquel elle emploie de plus en

plus un ambigu "humanisme". Confucius l'appelle ren et, selon A. Cheng (*), "c'est sa grande idée neuve, la

cristallisation de son pari sur l'homme. [...] Dans ce caractère chinois composé du radical "homme" et du

signe "deux", on peut voir l'homme qui ne devient humain que dans sa relation à autrui".

▪ Qu'est-ce que le ren ? C'est aimer les hommes. Et la sagesse ? C'est connaître les hommes. (XII, 22)

▪ Entre les quatre mers, tous les hommes sont frères. (XII, 5)

▪ Y a-t-il un mot qui puisse guider l'action toute vie durant ? —"Mansuétude", n'est-ce pas le maître mot ? Ce

que tu ne voudrais pas que l'on te fasse, ne l'inflige pas aux autres. (XV, 23)

▪ Pratiquer cinq choses sous le ciel, voilà le ren. Quelles sont-elles ? Déférence, grandeur d'âme, honnêteté,

diligence et générosité. (XVII, 6)

▪ L'homme de bien exige tout de lui-même, l'homme de peu attend tout des autres. (XV, 20)

Le langage

▪ Qui ne connaît la valeur des mots ne saurait connaître les hommes. (XX, 3)

▪ [Le disciple Zilu] A supposer que le prince Wei compte sur vous pour l'aider à gouverner, que feriez-vous en

tout premier lieu ? [Le maître] Une rectification des noms, sans doute. (XIII, 3)

▪ Le langage n'a d'autre fonction que de communiquer. (XV, 40)

(Bien noter cette dernière prise de position ! Le Verbe désacralisé, le langage instrumentalisé...

La connaissance

▪ Savoir qu'on sait quand on sait et savoir qu'on ne sait pas quand on ne sait pas, c'est là la vraie connaissance.

(II, 27)

▪ Il y a bien ceux qui, sans posséder le savoir, agissent à tort et à travers : je n'en suis pas. Il me faut écouter

beaucoup pour en adopter la meilleure part, voir beaucoup pour en prendre bonne note : c'est là le second

degré de la connaissance. (VII, 27)

Valeurs sociales : les rites, le prince, la famille ▪ Les rites établis par les fondateurs de notre dynastie Zhou [de l'Est, ~VIII

e siècle) s'inspiraient de ceux des

deux dynasties précédentes : Xia et Shang [second millénaire av. J.-C.]. Quelle noblesse, quelle perfection !

C'est à eux que j'adhère pleinement. (III, 14)

▪ L'homme de ren est celui qui fait effort sur lui-même [autre trad. : qui vainc son ego] pour revenir au rituel.

[...] N'est-ce pas de soi-même et non des autres qu'il faut attendre l'accomplissement ? (XII, 1)

(En prime ici, la responsabilité individuelle, le libre arbitre)

▪ Que le souverain agisse en souverain, le ministre en ministre, le père en père et le fils en fils. (XII, 11)

Pas seulement des maximes de vieux sage

L'œuvre compose un système au sens le plus moderne qui soit, celui de la systémique ! Un lot de principes

communs (ci-dessus et dans le texte) s'applique à un édifice de niveaux hiérarchiques ; nommément, en

suivant le découpage indiqué dans un chapitre du Li Ki (**) : conscience individuelle, famille, royaume, ordre

universel.

(*) Cheng, A. Histoire de la pensée chinoise. Éditions du Seuil, 1997.

(**) "Éthique et politique" selon Lin Yuang : La sagesse de Confucius. Éditions Victor Attinger, 1949.

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Doc. 10-02

Tchouang Tseu : choix de thèmes (trad. La Pléiade sauf autre indication)

De la connaissance

▪ Distinguer l'action du ciel d'avec l'action de l'homme, voilà le sommet de la connaissance. Connaître l'action du ciel,

c'est constater ce que chacun de nous possède par nature. Connaître l'action de l'homme, c'est essayer de préserver ce

que son intelligence ne peut connaître par ce qu'elle connaît. [...] Mais toute connaissance doit se conformer à quelque

chose pour être vraie et ce quelque chose ne peut pas être déterminé par la connaissance. Ainsi, comment peut-on savoir

que ce que j'appelle le ciel n'est pas l'homme et [inversement] ? (VI)

▪ Bien que l'intelligence de l'homme ne pénètre qu'une parcelle de la vérité totale, c'est par ce qu'elle ne pénètre pas que

l'homme peut comprendre ce qu'est le ciel. (XXIV)

▪ [Chacun] respecte ce que son intelligence connaît mais personne ne s'aperçoit que ce qu'il connaît repose sur ce que

son intelligence ne peut connaître. N'est-ce pas là le grand doute ? Assez ! assez ! On n'y échappe pas ! Où est la vérité ?

(XXV)

Limites, illusion du langage

▪ C'est de la parole que viennent toutes les distinctions établies par l'homme. (II)

▪ Si la parole suffisait, il suffirait de parler du Tao [toute une journée] pour le saisir. (XXV)

▪ Le Tao explicité n'est plus le Tao. Le raisonnement discursif n'atteint plus la vérité. (II)

Prendre ses distances avec le moi

▪ Kouan Yin disait : Ne vous attachez pas à votre moi, les choses apparaîtront telles qu'elles sont. (XXXIII)

▪ D'ailleurs, le moi ne représente qu'un sentiment relatif. Ainsi, comment pouvoir comprendre que mon moi est vraiment

moi ? (VI)

Affirmation/négation, principe d'identité Tel est quasiment l'objet de tout le chapitre II, "Sur l'égalité des choses" (*).

▪ S'il n'y a [rien] d'autre que moi, il n'y a pas de moi. Mais s'il n'y a pas de moi, rien ne se laisse saisir.

▪ Adopter l'affirmation, c'est adopter la négation et [réciproquement].

▪ Comment la parole s'est-elle obscurcie au point qu'il doive y avoir une distinction entre l'affirmation et la négation ?

Sujet/objet ▪ Puisque l'univers est un, comment peut-on en parler ? (II)

▪ Il n'y a rien d'objectif, n'y a rien de subjectif. L'objectif émane du subjectif, le subjectif de l'objectif. (Aphorismes)

▪ Tantôt il y a l'être, tantôt il y a le néant." (II)

Le problème du commencement Quand Parménide disait, un siècle plus tôt : L'être est, le non-être n'est pas...

▪ S'il y a existence, il y a aussi non-existence et un temps avant le néant. (in Aphorismes)

... et hors catégorie car de portée immense

▪ Le Dao [ici : la Voie] se réalise à mesure que nous y cheminons. Les choses deviennent ce qu'elles sont à mesure que

nous les disons telles. (II, 33 in A. Cheng : Hist. pensée chinoise). [Traduction plus concise dans La Pléiade :] C'est en

marchant que la voie est tracée ; c'est en nommant que les choses sont délimitées ainsi.

__________

(*) ainsi traduit par Fong Yeou-lan, "Précis d'histoire de la philosophie chinoise. Payot, 1952.

Pour ce même titre, A. Cheng (réf. plus haut) donne : "De la mise à plat qui rend les choses équivalentes" et La Pléiade (réf. plus

haut), cédant ici à la perversion occidentale, "La réduction ontologique".

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Doc. 10-03

Qui connaît Xun Zi ? Son système tel qu'extrait du Xunzi (Siun Tseu), Le Cerf (Patrimoines), 1987

In Fondements, pp. 81-82

Faire clairement la part entre ce qui relève du ciel et ce qui relève de l'homme, cela est d'un homme véritable. [...]

L'homme n'a pas à entrer en compétition avec le ciel. (XVII)

Le ciel a ses saisons, la terre a ses richesses, l'homme a son organisation. C'est [...] une triade. (XVII)

L'eau et le feu possèdent l'énergie mais non point la vie, l'herbe et le bois possèdent la vie mais pas la conscience,

les oiseaux et les animaux ont la conscience mais n'ont point le sens du devoir. Or l'homme a l'énergie, il a la vie, il

a la conscience à quoi s'ajoute le sens du devoir, c'est pourquoi il est le plus noble de tout ce qui est sous le Ciel. Sa

force est moindre que celle du buffle et sa vitesse moindre que celle du cheval et pourtant il se sert du buffle et du

cheval. Comment cela se fait-il ? C'est que l'homme est capable de se constituer en société, ce dont les autres ne

sont point capables. (IX)

Qu'appelle-t-on "juste milieu" ? Ce sont les rites et l'équité des devoirs rituels. La Voie, en effet, n'est ni la voie du

ciel, ni la voie de la terre, elle est à proprement parler la voie de l'homme, elle est la voie que suit l'homme

accompli. La raison pour laquelle l'homme accompli est appelé sage, ce n'est pas qu'il soit capable de faire tout ce

que font les gens capables ; la raison pour laquelle on l'appelle intelligent [... puis de même pour : le discernement,

la faculté d'observation] : il a des limites. (VIII)

(Toutes les citations suivantes proviennent du chapitre XIX "Des rites").

Les hommes naissent avec des désirs. Ces désirs étant insatisfaits, il ne peut pas ne pas y avoir d'exigences. Ces

exigences étant sans retenue, sans mesure, sans partage et sans limites, il ne peut pas ne pas y avoir de conflits. Or

les conflits engendrent le désordre et celui-ci la misère. Les anciens rois, par aversion pour un tel désordre, créèrent

les rites.

Qui a compris que les rites, l'équité des devoirs rituels, la culture, l'entente du sens profond des choses sont autant

de moyens de développer en nous ce qui est naturel ? [...] Si l'homme recherche [de cette manière] l'unité, il

gagnera dans les deux domaines, tandis que s'il la recherche à travers les élans naturels, il sera perdant des deux

côtés.

Les rites empruntent la voie médiane.

L'expression la plus complète des rites conjugue les deux aspects émotionnel et culturel.

Les rites indiquent quand il convient d'amplifier et quand il convient de simplifier. [...] Ils abrègent ce qui est trop

long et allongent ce qui est trop court.

Rendre hommage aux origines, cela s'appelle la culture ; faire place à l'usage quotidien, cela s'appelle aller dans le

sens des choses ; l'équilibre entre les deux constitue l'accomplissement de la culture rituelle grâce à quoi l'on

revient à l'antique unité.

Le naturel est racine, commencement, bois brut, alors que ce qui est élaboré est culture, sens profond des choses,

élévation, enrichissement. Si le naturel n'est pas là, il n'y a rien à élaborer, mais sans être élaboré le naturel ne

saurait briller de lui-même. Leur réunion fait la gloire du sage et c'est par elle que peut être menée à bien

l'unification du monde. J'affirme donc que la réunion du ciel et de la terre donne naissance aux dix mille êtres, que

le répons du yin et du yang est le moteur de toutes les transformations et évolutions et que la combinaison de la

nature avec la culture permet à ce qui est sous le ciel d'être en ordre. La céleste nature peut donner naissance à toute

chose mais non les organiser, la terre peut porter les humains mais non les gouverner, les dix mille êtres qui sont

entre les deux assurent la vie de l'humanité mais ils attendent que le sage les répartisse.

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Doc. 11-01

Le Christ "récupéré" par le christianisme

Le ciel mythologique rayonnait d'un trop pur éclat, il était d'une beauté trop précise et trop nette, il respirait trop le

bonheur, l'abondance et la sérénité, il était en un mot trop bien conçu au point de vue des gens heureux, des peuples

riches et vainqueurs, pour s'imposer longtemps au monde agité et souffrant. Les grecs l'avaient fait triompher […]

mais la douleur et l'esprit de vengeance agissaient sur le reste du monde, qui ne voulait plus s'abandonner qu'aux

religions du désespoir. La philosophie accomplissait d'autre part un travail d'assimilation et d'unité morale. La

chose attendue dans les esprits se réalisa dans l'ordre des faits. G. de Nerval : Isis

Pensez-vous que le Christ se reconnaîtrait aujourd'hui dans son Église ? C'est au nom même du Christ que vous

devez combattre celle-ci. Ce n'est pas Lui, le haïssable, mais la religion que l'on édifie d'après Lui. Gide : Journal

La quantité de textes merveilleusement beaux et aujourd'hui totalement inintelligibles contenus dans le Nouveau

testament montre manifestement qu'une partie infiniment précieuse de la doctrine chrétienne a disparu. Très

probablement, elle a été systématiquement détruite par l'Empire romain dans son opération de domestication du

christianisme.

Pour neutraliser une foi, il n'y a pas de procédé plus admirable que de commencer par exterminer la plupart

de ceux qui la transmettent, et ensuite d'en faire la doctrine officielle d'un État idolâtre. Après quoi on extermine

les hérétiques, et rien n'est plus facile que de ranger parmi eux ceux qui essayent de conserver la foi authentique. Et

on canonise des gens comme saint Augustin. On constate aujourd'hui à quel point l'opération a réussi, puisque

après vingt siècles l'esprit de la Rome païenne inonde l'univers —nous y compris.

[…] La décision de Constantin rendant le christianisme officiel et la guerre des Albigeois accompagnée de

l'Inquisition ont été les deux catastrophes de l'histoire du christianisme. Saint Augustin a suivi la première et saint

Thomas la seconde. Simone Weil : La source grecque

[…] cette confrontation générale des valeurs grecques et juives que nous appelons christianisme.

A. Momigliano : Sagesses barbares

Le triomphe du christianisme a été préparé par ceux-mêmes qui se croyaient ses rivaux et qui n'étaient que ses

précurseurs ; ce titre leur convient, quoique plusieurs soient contemporains de l'ère chrétienne, d'autres un peu

postérieurs ; car l'avènement d'une religion ne date que du jour où elle est acceptée par les peuples, comme le règne

d'un prétendant date de sa victoire. L. Ménard : Hermès Trismégiste

Un abîme infranchissable existe entre […] le Père Céleste et le dieu de la nature du petit souffle printanier. […] Le

dieu de l'Ancien Testament est un dieu absolument naturel, un démiurge, diamétralement opposé à celui du

Nouveau Testament. J. van Rijckenborgh & C. de Petri : La gnose universelle

Puis vinrent les dogmatiques, les fanatiques, les philosophes et les pédants, qui essayèrent de bâtir un système

théorique compliqué sur la base de mots de Jésus qui étaient si simples, si naturels et si clairs.

[…] (Dans toutes les religions, après la disparition du prophète) la magnificence de son intuition fondamentale

diminue, l'habileté des disciples n'est pas à la hauteur […], leurs interprétations viennent surajouter des

incohérences, l'intuition devient plus statique et se pétrifie en dogmes, traditions, institutions.

E.B. Szekely : Jésus l'Essénien

Religion de la sortie de la religion […] désenchantement du monde […]. M. Gauchet

Depuis deux mille ans, l'Occident est dominé par l'idée que le christianisme est unique et sacré tandis que le

paganisme est primitif et l'œuvre du diable. Considérer qu'ils pourraient appartenir à la même tradition est

simplement impensable. T. Freke & P. Gandy : Les mystères de Jésus

Dépassement, interprétation, prise de distance au nom d'une exigence plus grande, cela n'empêche pas Jésus de

rester juif. À tel point qu'il est malvenu de faire de lui le fondateur du christianisme. Pour que le christianisme

existe, il a fallu la résurrection, la destruction du Temple de Jérusalem, et la séparation progressive entre juifs et

chrétiens qui s'agrandit avec le temps. M. Quesnel in Le monde des religions, n° h.-série 17 [2011]

Note. Il peut donc être dit que le christianisme n'est pas l'œuvre du Christ ! Et ce n'est pas un mécréant de mon espèce qui le

dit, c'est un "oratorien, docteur en théologie, exégète biblique, ancien recteur de l'université catholique de Lyon".

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Doc. 11-02

Façons de penser en Inde et en Occident

Il n'y a pas que les vocabulaires qui diffèrent. Le forfait du langage verbal a été de séparer —si besoin était— la

pensée et le monde, ceci par l'interposition d'un filtre : le sens. Ce drame se trouve doublé ou dédoublé par la difficulté

(avouons donc : l'impossibilité) de la traduction. La gageure des comparaisons ne s'arrête pas là. Inde et Occident… :

- n'ont pas les mêmes catégories (par "étiquettes" : autrement dit, pas les mêmes contenants) ;

- ni les mêmes catégories (pour les contenus) ;

- ni les mêmes notions et le même choix de notions, ce dernier étant incomparablement plus riche à l'Est. Chez nous,

le vocabulaire est élémentaire : ce qu'il faut pour parler petit-nègre, quand l'Inde dispose d'une ménagerie de mots aux

dimensions de mille arches de Noé ;

- ni les mêmes sens, tant comme mots propres que comme sens différents d'un mot. La polysémie indienne est

effarante ; comme si, dans une phrase donnée, le sens du mot était exclusif de cette phrase, l'interaction entre les mots

pesant plus que la somme de ces mots, de sorte que jamais ne se retrouvera un pareil assemblage de sens[s]. La phrase

indienne n'a d'usage qu'en sa totalité et son unicité, c'est peine perdue que de l'analyser (comme ce le serait de retirer

un œil à la Joconde pour mieux comprendre son regard) ;

- ni les mêmes façons d'assembler les pièces dans une proposition ;

- ni les mêmes repères, les mêmes peurs profondes (voyez, la folle transmigration des âmes, qui reporte la délivrance

(le salut chez nous) à l'infini ;

- ni les mêmes usages des produits obtenus ;

- ni les mêmes oppositions (sensible/intelligible chez nous, les mêmes homonymies (dharma pour la Loi, pour les

petites lois de tous les jours et pour les événements : inadmissible chez nous).

Nous sommes fixistes autant que nos cousins (indo-européens !) sont transformistes ; autant d'être chez nous que de

devenir chez eux ; nous considérons ou recherchons des organes, des états, et tout de même des relations, quand ils ne

se soucient que de fonctions, de changements.

Pour concrétiser ces remarques, voici quelques extraits de littérature indienne antique ayant trait à différents aspects de

la causalité ; voici donc, à nouveau, la Bhagavad Gîta sous les trois traductions d'A.-M. Esnoul & O. Lacombe

(Arthème Fayard, 1972), d'A. Porte (Arléa, 1992) et de M. Ballanfat (Flammarion, 2007). Il est suggéré de se replacer,

au préalable, dans le contexte de la Pratityasamutpada (doc. 9-02).

▪ L'action en cinq causes XVIII : 13-14

Les cinq causes suivantes sont énoncées dans les doctrines samkhya et opèrent pour l'accomplissement de tous les

actes. Ce sont : le pouvoir, puis l'agent, l'instrument —de diverses sortes— les gestes distincts d'exécution de multiples

espèces, enfin vient un autre, le cinquième, le destin. (Esnoul & Lacombe)

= Il existe cinq facteurs que recense une analyse complète et qui, tous, concourent à l'accomplissement heureux de

toute action. Une situation, un acteur, des moyens —ils sont divers—, des modalités —elles sont très variées—, et

enfin le destin, le cinquième et dernier facteur. (Porte)

= Cinq causes matérielles participent à la production de tous les actes. À savoir : le corps physique, la personne qui fait

l'action, les différents organes des sens, les diverses façons d'agir et, en dernier lieu, le destin. (Ballanfat)

▪ Toute action est triple ou trois fois triple XVIII : 18-19

Connaissance, connaissable et sujet connaissant constituent la triple incitation à l'action. L'organe, l'action et l'agent

forment l'ensemble à trois éléments de l'action. La connaissance, l'action et l'agent sont de trois sortes selon la

différenciation qu'y introduit la prédominance de l'une des qualités. (Esnoul & Lacombe)

= Connaissance, objet à connaître, sujet connaissant, tels sont les trois éléments qui incitent à l'action. Moyens d'agir,

action, acteur, tels sont les trois éléments qui constituent l'action. Connaissance, action, acteur sont chacun triple en

fonction des trois éléments dont la nature est faite. (Porte)

= Trois éléments décident de l'accomplissement d'un acte : savoir comment le faire, dans quel but et qui l'accomplit.

Voilà pourquoi le terme "acte" englobe le moyen, l'action et l'agent. La connaissance, l'acte et l'agent se disent de trois

façons selon les trois qualités. (Ballanfat)

T S V P

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NB. Ces trois qualités (ou éléments) sont les trois bien connus gunas ou "modes d'être" autant que modes de connaître, que l'on

peut caractériser "globalement" en intégrant les trois traductions : Sattva : unique, indivis, absolu ; Raja : analytique, discriminant,

passionnel ; Tamas : obnubilé, irréfléchi, vide.

Les gunas sont les constituants de la prakriti qui se manifeste (se matérialise) en 8 éléments. On ne confondra pas les "modes

d'être" avec les 25 à 36 "catégories d'existence", les tattvas qui sont matériels ou non ou mixtes.

▪ Une conclusion…

…empruntée à P. Masson-Oursel, toujours subtil, toujours plus profond (Philosophie comparée, p. 146 ou 144-146) :

"Comment s'étonner que nos psychologues ne soient pas d'accord sur la façon dont ils se représentent l'esprit puisque

d'autres hommes, qui pensent en une langue apparentée à la nôtre et qui sont en partie nos cousins par le sang [indo-

européen] conçoivent l'esprit humaine de tout autre façon que nous ?".

▪ Et complément personnel de conclusion

Sachant que… (1) les deux termes de la comparaison ont été saisis in toto chacun, en négligeant les immenses

diversités au sein de chaque cas. (2) En chaque région, chacun accommode et dispose différemment son matériel de

pensée selon le sujet, selon le remplissage de son estomac, selon l'interlocuteur et selon le jour. (3) En chaque région,

les maîtres et les écoles accommodent leur pensée au temps, à la culture, aux contraintes …

… eh bien, comment ne pas admettre que toute pensée diffère autant d'elle-même que de toute autre ? que toutes sont,

comme nos pas, sur le chemin… à peu près sur le chemin ?

Combien la pensée de chacun de nous peut être loin de son Umwelt ! Vous souvenez-vous de la question du brahmane

voyant un oiseau se poser sur une branche ? "Qui lui dit de se poser là plutôt qu'ailleurs ?". Hypothèse possible : cet

oiseau ne sait plus où est son nid, des bûcherons ont pu passer par là.

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Doc. 11-03

L. Boltzmann

Les "principes a priori" de la pensée

(in Voyage d'un professeur allemand en Eldorado. Actes Sud, 1987)

Leur genèse : représentations cérébrales et validation par le réel

Les principes a priori de la pensée se sont formés à partir de l'adéquation croissante de nos représentations des

choses à leur enchaînement réel. Toutes les règles d'enchaînement qui apparaissaient comme contradictoires

avec l'expérience ont été rejetées. Par contre, on s'est attaché avec la dernière énergie aux règles qui

démontraient toujours des choses justes. Cet attachement s'est transmis aux générations suivantes avec une telle

rigueur que nous avons fini par prendre ces règles pour des axiomes ou des nécessités innées de la réflexion.

Mais même en logique, il n'est pas exclu que l'on dépasse les bornes. p. 52 (Cours inaugural Leipzig, nov. 1900)

L'interaction entre différentes représentations donne naissance à des fibres reliant les neurones intéressés.

p. 129 (À propos d'une thèse de Schopenhauer, 1905)

Tout ce qui nous conduit à des actes appropriés est juste ["juste" ?] p. 127 (À propos d'une thèse...)

La capacité innée de l'homme à construire des images conceptuelles d'événements réels et à en tirer des

expériences qui détermineront son comportement futur […] p. 54 (Sur les principes de la mécanique, 1900)

La tâche de la théorie consiste à construire une image du monde extérieur, qui n'existe qu'en nous, et qui doit

nous servir de guide […] dans l'explication généralisée de ce qui se passe en modèle réduit au cours de nos

représentations". p. 72 (Sur l'importance de la théorie, 1890)

Ils relèvent d'un processus darwinien

La représentation, la volonté et la conscience de soi forment l'échelon supérieur de l'évolution des forces

physicochimiques de la matière, qui ont permis aux premières cellules protoplasmiques de se diriger vers des

endroits qui leur étaient favorables et d'éviter ceux qui leur étaient défavorables.

[…] Cette méthode de composition des représentations et du langage (paroles ou pensées) s'est progressivement

perfectionnée. Elle s'est gravée dans l'hérédité au point qu'en ont résulté les principes a priori de la pensée.

pp. 129-130 (À propos d'une thèse de Schopenhauer)

Leurs points faibles : outrepasser leurs fonctions

Je me méfie de l'idée d'une perfection absolue de nos principes a priori. Au contraire, ils nous sont devenus

tellement habituels qu'ils dépassent leurs limites et qu'ils ne nous laissent pas leur échapper même quand ils sont

devenus inutiles. Il en va de même pour toutes les habitudes héritées. p. 131 (À propos d'une thèse…)

Exemples pratiques

Ce vieil héritage éprouvé par l'usage qui consiste à toujours chercher la cause de toute chose (ce qui apparaît

déjà dans l'éternel "pourquoi ?" des petits enfants) dépasse ses limites quand nous nous demandons pourquoi la

loi de la cause et de l'effet est valable ; de même si nous nous demandons pourquoi le monde existe, pourquoi il

est tel qu'il est, pourquoi nous existons, justement en ce moment même, etc. p. 131 (À propos d'une thèse…)

Le principe de cause à effet qui est à la base de toute connaissance, […] devient un feu follet qui nous induit en

erreur. p. 55 (Sur les principes de la mécanique, 1900)

Le philosophe est convaincu que sa terminologie relève directement de l'expérience et qu'on ne peut pas

l'expliquer plus précisément. p. 53 (Sur les principes de la mécanique, 1900)

[…] Il en va de même pour la tendance à la classification. Mais comme elle est très utile, il faut chercher à

l'exploiter le plus logiquement possible. Ainsi se développe la tendance à tout classifier, à tout faire entrer dans

le cadre d'un schéma préconçu, quitte à tirailler arbitrairement les phénomènes. p. 132 (À propos d'une thèse…)

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Doc. 11-04

Systémique médiévale : Raymond Lulle

Synthèse personnelle de l'Arbre des exemples (*)

►Une organisation hiérarchique sous-tendue, disons théo-centrée vers le Dieu des chrétiens

Il y a sept niveaux de connaissances profanes depuis les quatre éléments d'Empédocle jusqu'à la société

humaine. Parallèlement, sept niveaux de connaissances religieuses, de l'Église terrestre à Dieu. (Mais

dans Le livre des merveilles, l'auteur traite d'un seul édifice en dix chapitres ; il a dû essayer plusieurs

systèmes.)

► Une structure arborescente

Chacune des subdivisions ci-dessus, outre deux supplémentaires, est un arbre en sept parties (des racines

aux fruits) elles-mêmes subdivisées en fondements ou principes ou fonctions ou autres. En langage

moderne : l'aspect est fractal, reste à examiner les contenus.

► Cette grille symbolico-rationnelle se veut complète

Théologie et philosophie s'unissent en une science totale pourvue d'une méthode exacte, celle que

développe l'Ars magna. Lulle avait dans ses papiers le prototype d'une machine à roues, peut-être l'ancêtre

de la machine de Turing, fonctionnant sur une logique numérique !

► L'unité du savoir

Par delà les postulats spécifiques de chaque branche, l'Unité semble à la fois initiale et finale dans la

mesure où elle est divine.

► Interaction dynamique

Être et non-être ; prédestination et libre-arbitre ; potentialité et actualisation ; hasard et nécessité...

► Il y a un "point transcendant [...], celui où l'homme s'élève pour comprendre ce qui le dépasse".

En langage moderne encore : une parade à l'incomplétude ?

(*) Lulle, R. L'arbre des exemples : Fables et proverbes. Honoré Champion, 1996.

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Doc. 12-01

Pensées de franc-tireur

Un type sérieux comme moi, qui sait ce qu'il lit et ce qu'il en pense ou, du moins, aime s'en

donner l'impression, un type comme moi ne lit pas L'acte errant d'un inconnu nommé Jean

Riivière (Éditions de la Différence, 1993).

Pourquoi l'avais-je acheté ? Seulement victime, sans doute, de son titre attrayant : j'aurai

ainsi fait preuve de curiosité intellectuelle, me serai montré capable d'ouverture vers des vues

inconnues. Mais rien à faire ! Ce livre est simplement illisible et plus que cela : désagréable,

choquant, même vulgaire par ses prétentions littéraires ou philosophiques. Verdict : c'est

simplement de la mauvaise poésie, de l'esbroufe.

N'empêche, il est acheté, il doit être traité d'une manière ou d'une autre, voire jeté car c'est

ainsi que, moi, je fonctionne : en être rationnel et organisé. Que ce livre reste sur mon bureau, je

le feuilletterai quand j'aurai un moment ! En fait, cela s'est produit et reproduit :

Nous contractons des dettes dans le langage et nous ne savons pas justifier tout ce que nous disons. Nous nous

endettons en raisons collectives. Nous pensions constituer un fonds avec les apports de chacun. Mais nous

ouvrons à plusieurs un compte débit où les pensées fausses s'additionnent sans que les pensées justes rachètent.

Je nourrissais déjà des soupçons sur le langage, cette lecture ne m'apprend rien. Quant à l'idée

des comptes-pensée, parfaitement fumeux !

Et pourtant… J'y reviens, comme la mouche sur un pâté dûment protégé sous cloche. Il y a

une pulsidée ! Je ressens que le livre m'a connecté avec —cherche donc, animal !— avec une

communauté virtuelle. Que ces quatre phrases m'ont mis en compte, comme le dit l'auteur, avec

un monde illusoire créé à l'occasion (encore un monde !). OOOOOOOOOOO Baste, ces

illusions ne peuvent être que fugitives, c'est de l'hyper-proustien, laissons cette fumée se dissiper

dans l'air (comme si l'atmosphère était le VIDE ?). D'ailleurs, je suis fatigué, c'est l'heure d'une

petite PLS (*).

Mais c'était couru, comme l'œil de Caïn dans la tombe : la PLS me ramène aux comptes-

pensée de M. Rivière. Et cette fois, dame conscience soi-même prend note. La communication

(ici, la com' verbale écrite) comporte une non-communication tout aussi positive, de même que

le savoir repose sur l'ignorance. Tiens ! Cette linguiste au nom barbare qui parlait des "restes" de

certains modes d'écriture (Matériau, vol. I, p. 180) ?

À quelques jours de là, le pensum reprend car je suis un maniaco-entêté : une lecture

commencée doit être achevée, même en aérant les pages. C'est dame Pensée elle-même, objet de

mon livre à moi, qui se voit prise à partie…

Croire que notre pensée peut s'enrichir, se développer, se multiplier, c'est ne pas savoir ce qu'elle est.

Notre pensée est réellement asphyxiée lorsqu'elle essaie de respirer autrement que par ses moyens.

Mais elle vit lorsqu'elle sait respirer séparément et brièvement"

PLS : Exercice de "pensée en liberté surveillée" ; voir doc. 5-04.

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Doc. 12-02

La pensée éclatée

► Le biface acheuléen

Aurais-je pensé, moi, à réaliser des éclats de plus en plus petits vers les bords, pour que ça coupe mieux ?

► René Char : "Les chants de la Balandrane" (voir volume Texte, p. 100) Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux. Un moment nous serons l'équipage de

cette flotte composée d'unités rétives, et le temps d'un grain son amiral. Puis le large la reprendra, nous

laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés.

.

► Une cantate de J.S. Bach

"Le motif est exposé tantôt droit, tantôt renversé, comme si Bach voulait montrer la complémentarité de l'amour

humain ("les mains qui ne se renferment pas", "les yeux qui pleurent") et de l'amour divin ("le ciel s'ouvrira", le

Sauveur les comblera de sa grâce"), de même qu'il fait entendre les deux voix des hommes [soprano] et de Dieu

[basse]. Ces deux voix entrent en canon, d'abord à distance d'un mesure et à l'octave, le soprano en premier […]. Les

entrées se font à distance de trois mesures et à la quarte. […] La basse en premier pour bien affirmer que Dieu doit

conduire l'âme au ciel." (G. Cantagrel : Les cantates de J.S. Bach. Fayard, 2010)

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Document 12-03

Retable de Saint Barnabé par S. Botticelli, 1588

Il est inutile de s'attarder ici sur le panneau central. Saint

Barnabé, dûment représenté, était le patron des médecins dont la

confrérie avait commandé le retable pour son église, celle-ci

ayant évidemment pris le nom du saint.

Le choix de thèmes de la base (la prédelle) était sans doute libre.

Détail : "La vision de St Augustin"

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Document 12-04

Puissance magique des symboles :

Le tao comme sigle d'institutions ou d'entreprises commerciales

(montage A.S. réalisé vers 1980)

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Document 13-01

Incomplétude algorithmique et limites de la connaissance :

La percée Chaitin-Brisson-Meyerstein (vol. Texte, chap. 13) In : Le monde mental ment monumentalement, p. 211-212

Extraits de deux livres de L. Brisson et F.W. Meyerstein, Inventer l'univers (ici IU) et Puissance et limites de la

raison (ici PLR). J'ai seulement découpé, puis regroupé en trois étapes ; ceci parce que chacun des ouvrages suit

ne démarche assez chaloupante et que la somme des deux…

Mesurer la complexité par le "contenu d'information" d'une proposition ▪ Si, dans un système formel, un théorème contient plus d'information que n'en contient l'ensemble des axiomes

de ce système, alors le théorème en question ne peut être déduit de ces axiomes ; il est indécidable. IU.., p. 167

▪ Les systèmes formels sont essentiellement incomplets au sens où aucune proposition qui dépasse la complexité

du système n'est susceptible d'analyse à l'intérieur [de celui-ci]. Étant donné que presque toutes les propositions se

trouvent dans ce cas, il s'ensuit que l'incomplétude algorithmique [sic, à retenir] représente un phénomène

beaucoup plus répandu que l'incomplétude découverte par Gödel et par Turing. PLR, p. 211

Limites d'un système ▪ Toute question portant sur les axiomes d'un système se trouve déjà en dehors du système. […] Elle renvoie à un

méta-système. IU…, p. 167

▪ Les axiomes, on ne peut que les formuler, les copier […] ils échappent eux-mêmes à la raison. [L. Brisson,

helléniste de haute volée, ne manque pas de faire remarquer que la TAI valide une assertion d'Aristote : Des

axiomes il n'y aura pas de science.] PLR …, p. 213

Le théorème de Gödel revu par Brisson & Meyerstein ▪ Les théorèmes déduits d'un système formel axiomatisé ne peuvent jamais contenir plus d'information que le

système axiomatique lui-même. Ce résultat fondamental n'est rien d'autre que [voir texte] l'extension du théorème

de Gödel. IU…, p. 178

▪ [Expression développée] Un théorème qui contient plus d'information que la théorie ne peut être déduit de cette

théorie : si on désire incorporer dans une théorie un nouveau théorème de taille plus grande que la théorie […], il

faut ajouter de l'information algorithmique sous la forme de nouveaux axiomes ad hoc IU…, p. 187

▪ [Expression généralisée] Dans un système formel particulier, qu'il s'agisse d'une théorie scientifique, du jeu

d'échecs ou du système de Kant, on ne peut même pas poser de questions sur les axiomes. Toute question de ce

genre présenterait une complexité égale à la complexité du système, à laquelle il faudrait ajouter la complexité de

la question elle-même, elle se situerait au-delà de tout ce que le système est en mesure de manipuler.

PLR…, pp. 211-212

Les conséquences ▪ On ne peut jamais analyser logiquement une théorie, on est réduit à l'énoncer. IU…, p. 187

▪ Les systèmes d'axiomes qui soutiennent les diverses branches de la science sont amenés à ["pourront"] contenir

des assertions non cohérentes et même contradictoires. IU.., p. 188

▪ L'incomplétude algorithmique des systèmes formels est beaucoup plus forte [plus loin : et représente un

phénomène beaucoup plus répandu] que celle découverte par Gödel et Turing], puisque sont alors prises en

considération, non seulement certaines propositions paradoxales très particulières qui échappent au système, mais

aussi toutes les propositions dont la taille de complexité est supérieure à la taille de complexité du système. Dans

un monde complexe, un système formel ne peut cerner qu'une partie particulièrement réduite de la réalité. À

l'inverse, pour que la raison puisse appréhender l'univers seulement à l'aide de systèmes formels limités, il faut

postuler que cet univers est simple et ordonné, ce que les philosophes ont toujours dû faire. PLR…, p. 210

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Doc. 14-01

Les institutions cérébrales

Les "institutions cérébrales", une initiative PhS, forment une catégorie hétérogène mêlant l'individuel et le

collectif, l'inné et l'acquis, la phylogenèse (un peu) et l'ontogenèse ainsi que l'épigenèse, tout cela… "au

service de l'État", plus précisément de l'organisme individuel et collectif qu'est tout spécimen Hs" (texte, chap.

13).

La liste ci-dessous est très partielle mais axée sur un critère : ce que les processus mentaux tant conscients

qu'inconscients ont de réglementaire, de quasi législatif. De plus, toutes les opérations mentales désignées ci-

dessous sont comprises comme des "actes de la pensée". Ces opérations peuvent ou pourraient être décrites en

termes de manipulation d'information —tâche à laquelle je me suis toutefois dérobé.

abstraction-conceptualisation

adaptation (A. Berthoz)

alternative-exclusion

anticipation et/ou prévision

association

catégorisation et/ou classification

causalité (nombreux auteurs et A. Berthoz)

comparaison

conceptualisation

contractance (A. Berthoz : "contraction")

diallèle (Agrippa)

discrimination et/ou distinction (nombreux auteurs et A. Berthoz)

dualité et/ou binarité et/ou bivalence

échec de l'affirmation et de la négation (Aenésidème)

échec de la démonstration (Agrippa)

énumération

exclusion

généralisation

identification

internalisation (nombreux psychologues et A. Berthoz)

mémorisation

modularité

nominalisation = verbalisation

régression à l'infini (Agrippa)

relativisme, subjectivisme (Agrippa)

sélection, tri

simulation et/ou modélisation

spatialisation

suspension = blocage (Agrippa, Aenésidème)

symbolisation

temporalisation (rien à voir avec temporisation)

vicariance (A. Berthoz)

Aenésidème : un Méditerranéen originaire de Crète, de culture et langue grecque, philosophe

pyrrhonien et/ou septique. Sa chronologie est approximative : de part et d'autre de l'an 1.

Agrippa s'illustre dans la lignée d'Aenésidème mais sa biographie est encore plus incertaine : autour

de la fin du Ier

siècle.

Plusieurs entrées font l'objet d'un commentaire dans le texte (pp. 231-235).

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Doc. 14-02

Distinguer ou réunir : une "binarité" de base ?

Démonstration de philosophie comparée par P. Masson-Oursel

"L'alternance entre les procédés de rhétorique pieuse qui spécifient et ceux qui assimilent, une

oscillation corrélative entre le polythéisme et un panthéisme d'aspect quelquefois monothéiste,

attestent l'influence simultanée de deux principes logiques contraires, l'un de distinction, l'autre

d'unification [!!! Mo-Tseu exactement !]. La rivalité de ces deux types d'intelligibilité s'étendra sur

toute l'histoire de la pensée indienne ; leur coexistence dans les textes védiques justifie l'autorité dont

jouiront ces textes auprès de sectes extrêmement différentes. […]

Avec la réflexion sur un texte apparaissent les premiers auxiliaires de l'exégèse : des

balbutiements d'analyse grammaticale, des tentatives fantaisistes d'étymologie, véritables jeux de

mots. […] L'injonction, l'énonciation rituelle, devenue énigmatique pour les brahmanes qui en

conservent la tradition, est élucidée par un développement qui recherche son sens. Ces essais

d'explication vont justifier des idées antiques par des notions nouvelles : entreprise à la fois naïve et

savante qui ouvre le règne du symbolisme. Le culte passe désormais pour le symbole d'un mythe, le

mythe pour le symbole d'une vérité adaptée sous cette forme par de vieux sages aux imperfections

des hommes. Ce principe de correspondance [attention ! encore un "principe de correspondance"],

caractéristique de l'époque des brahmanas, fournit une première solution au problème de la

conciliation des divers et de l'unité.

[…] (Puis, avec les upanishads), l'aperception des identités par delà les apparentes irréductibilités

semble avoir suscité chez les premiers métaphysiciens une ivresse spéculative telle que la pensée,

enthousiaste de ses découvertes spontanées, ne se reconnaît dès lors arrêtée par aucun obstacle. Toute

différence masque une similitude. […] La piété, la science s'obtiennent bien moins par la lettre du

Véda que par l'intelligence de l'identité universelle : l'un est tout et tout est un. […] La logique

indienne avait suivi aussi loin que possible, des deux courants qui la sollicitaient, celui qui

l'entraînait vers l'unité.

L'autre courant […], la doctrine athée du samskhara [ou samkara] n'a que faire d'un brahman

universel et absolu ; il admet la réalité des âmes individuelles ; loin de tout absorber dans l'âme, il

s'évertue à distinguer de l'esprit (purusa) ce qui ne lui appartient pas, c'est-à-dire non seulement

les données matérielles ou sensibles mais la plupart même des phénomènes que nous appelons

psychologiques. Au lieu de tout confondre en plaçant la vérité dans l'identité, il considère que des

réalités différentes doivent être connues comme irréductibles, et ne comportent pas d'autre

intelligibilité que l'énumération (samkhya) qui les discrimine en les sériant. Dans ce pluralisme, seule

la notion de hiérarchie représente, au sein du multiple, une certaine tendance à l'unité ; encore est-

elle contrebalancée par une vigoureuse opposition entre la nature (prakrti), immanente au donné, et

l'esprit, pure transcendance […].

L'opposition entre une logique de l'identité, apparentée à l'idéalisme, et une logique de la

spécificité, solidaire (au moins en principe) du réalisme, aboutit à désenchanter la pensée,

convaincue désormais de conduire à des hypothèses inverses et incompatibles. Des dispositions

agnostiques se font jour […] l'argumentation revêt une forme nouvelle : l'aspect dialectique. Jusque

vers les débuts de l'ère chrétienne se succèderont maintes générations de véritables sophistes [… et

pas seulement, mais aussi…] des éristiques, des sceptiques, des cyniques, des matérialistes […]."

In P. Masson-Oursel. Rev. philos. France Étranger 83 (1917). Également in "Études de philosophie

comparée", Univ. Québec Chikoutimi, sur Inernet.

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Doc. 14-03

Des mots à double sens

Les mots modernes, si souvent à double sens : le sont-ils tous ? Car il faut se garder même de ceux

qui semblent univoques, ils peuvent nous attendre au tournant. La duplicité des mots commence

avec ceux que l'on croirait les plus simples. Ainsi, quoi de plus innocent qu'une conjonction de

coordination ? Pas du tout. Ou et et sont bivalents si l'on y réfléchit une seconde, et le sont

symétriquement, réciproquement puisque l'un comme l'autre expriment, en tant que de besoin, soit

l'identité de deux choses, soit l'alternative entre deux options ; alors que cette paire de conjonctions

devrait permettre d'exprimer soit une substitution, soit une addition : fromage et dessert, fromage ou

dessert...

Au-delà de ces mini-mots, les cas de duplicité verbale deviennent innombrables ; en voici

quelques exemples tirés comme ils venaient dans le contexte de la présente étude :

— "Un autre" peut être un de plus ou bien un différent (cf. le client linguiste et mal embouché dans

le film de L. Bénégui Au petit Marguery).

— Le "savoir" est une denrée, une quantité d'information que l'on possède ou non. C'est aussi la

manière de s'en servir, un fonctionnement mental en réponse à un besoin lorsque J. Bottéro dit que

"savoir, c'est répondre plausiblement" (exposer du "savoir" de manière plausible).

— L'adjectif "opposé" s'emploie pour quelque chose situé en face ou à l'autre bout, mais aussi pour

une action de sens inverse.

— "Complémentarité" : on a longtemps voulu dire par là que deux choses s'apportent un concours

mutuel, eh bien les physiciens montrent qu'elles peuvent aussi se limiter mutuellement.

— La "sensibilité" est la capacité du corps, en certains de ses organes, de recueillir de l'information

(interne ou externe) et la transmettre vers des structures dites centrales. Mais le mot désigne aussi le

degré de cette propriété, par exemple dans "une exquise sensibilité".

Troublantes sont toutes ces ambiguïtés, certes, mais le plus troublant n'est-il pas l'impossibilité d'en

dire quelque chose de général ? Ainsi, elles n'ont pas pour caractère commun de se référer soit au

propre, soit au figuré ; ni au conceptuel ou au concret ; ni au qualitatif ou au quantitatif ; ni au but

ou au moyen... Continuons à chercher mais il faut envisager que l'ambiguïté elle-même soit ce

caractère commun. Comme si les mots avaient cela "dans la peau" (*).

(*) Je connais un menteur invétéré, un menteur absolu, excellent homme au demeurant. C'est plus fort que

lui, il énonce le contraire de ce qu'il pense, il dénonce ce qu'il préfère, il annonce le contraire de ce qu'il va

faire. Se porte très bien, au demeurant.

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Doc. 14-04

Figures de rhétorique :

une panoplie, un arsenal pour refaire le monde

(in : Le monde mental ment monumentalement)

Des figures pour… Exemples (alphabétiquement)

Moduler la charge psycho-affective amplification, antéisagoge, atténuation, caricature, dépréciation,

emphase, épizeuxe, euphémisme, exagération, exténuation,

grandiloquence, hyperbole, hypotypose, litote, paradoxisme,

paraphrase, pathos, pléonasme, répétition

Choisir un degré de représentation abstraction, catégorisation* et classification*, concrétisation,

hégelhystérie* [Schopenhauer], mythification, personnification,

réification*, substantification et substantivation

Attribuer ou contester une identité allégorie, antanaclase, apostrophe, définition, identification,

oxymore, prosopopée, symbolisation

Associer, comparer, relativiser association*, catachrèse, comparaison, dissociation, métaphore,

parallèle, parabole, périphrase

Se repérer dans un système ou se

replacer dans un autre

analogie, antonomase, faute de système**, hypallage, hyponymie,

métaphore, métonymie, similitude, synecdoque

Se situer dans le temps anacéphaléose, analepse, anamnèse, anticipation, chronotopie et

chronographie, déchronologie, diégèse, énallage, hystérologie et

protérologie*, métalepse, mimèse, prolepse

Questionner dénoncer, contester astéisme, énallage, hypallage, ironie, paradoxe, satire*

Jouer sur le sens ambigüité, amphibologie, antanaclase, diaphore, faute de

système, syllepse

Jouer des "contraires" antilogie, antinomie (antonymie), antiphrase, antithèse, antitrope,

énantiodromie (antimétabole), ironie, oxymore, palinodie

S'évader fiction, hégelânerie*, supposition*, utopie*

Comprendre, expliquer adynaton, amalgame, analogie, apagogie, aphorisme,

circonlocution, enthymème, généralisation, ironie, maxime,

métabole, paradoxe, parallèle, paralogisme, paraphrase,

redondance, tautologie, truisme

… (voir texte) gérondisme

En italiques : figure déjà mentionnée plus haut dans une autre fonction (donc multi-fonctions).

* : procédé inédit en tant que figure de rhétorique ; de sens assez répandu pour ne pas nécessiter de définition.

** : sur la "faute de système", voir texte.

ADDITION (2017)

Je n'avais pas connaissance en 2012, année de parution du Monde mental, des "hégelianeries" de

Schopenhauer et j'ai cru bon d'en distinguer une figure voisine baptisée "hégelânerie" (voir texte).

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Doc. 14-05

Nouvelles dispositions pour bien conduire sa pensée

Le titre est inspiré de M. Descartes

auquel cette réflexion

est respectueusement dédiée.

Il n'y a aucun ordre,

d'où les symboles

au lieu de numéros.

(&) Accepter que deux vérités distinctes puissent s'appliquer en même temps au même objet. Difficulté

imposée par Aristote qui ajoute (Métaph. G, 1005B) kai kata to auto : et sous le même point de vue. À

défaut donc : ne pas rejeter cette éventualité. Variante : que le même objet puisse être et ne pas être ceci

ou cela sous le même point de vue ; elle est la sombre affaire du "poulet à trois pattes" (Fondements

PhS, III).

(~) Accepter la double négation et même la quadruple (le çaduskoti de Nagarjuna).

(") Pratiquer des expériences PLS (pensée en liberté surveillée) : allongé, détendu muscle par muscle,

laisser flotter la pensée, la laisser se poser et s'envoler à son gré mais sans jamais la perdre de vue.

Quand elle touche terre, noter ce qu'elle ramasse éventuellement et ce qu'elle en fait. Relever en

parallèle les mouvements affectifs, tant déclenchants que résultants. On s'approchera ainsi au plus près

de la source présumée.

(#) Potasser un ou deux manuels Zen.

(@) Ne pas chasser le Moi, aucun des Moi. Essayer de l'identifier parmi tous les autres et de savoir ce

qu'il veut car chacun d'eux a son travail.

(*) Douter de tout, bien sûr, mais pas seulement ! Avant toute chose, douter de son cerveau. Ce cerveau

inouï et génial, certes, qui lui-même a mis en place les structures et les règles (la forme et la fonction)

pour penser ; et qui, de surcroît, a mis en place d'autres structures et règles pour combattre les premières.

Puisque je le sais, je puis en faire autant car c'est moi (Moi) qui pense. Je ne sais pas ce que je suis, je

sais seulement qu'il y a des Moi, mais je suis aussi fort que mon cerveau.

(=) Se représenter la pensée en cours comme un système et préciser, au cas par cas, si ce système est O

ou F ou "fêlé".

(£) "Qui dit information dit système, qui dit système dit incomplétude" (la règle ISI de la PhS). Pourquoi

incomplétude et pas seulement indétermination ?

(µ) En cas de doute, le fil d'Ariane : où est passée l'info ?

(§) Envisager (la PhS affirme) que l'immense majorité des pensées conscientes sont "bancales" du point

de vue infosystémique. Elles peuvent néanmoins contenir du "vrai" au regard des résultats de l'action,

cela est autre chose.

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Doc. 14-06

La strobilation chez les méduses

… comme une assiette qui s'envolerait d'une pile d'assiettes

Figures empruntées à Google Image

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Ce document a été présenté à la fin du premier chapitre ("Comment allons-nous travailler ?")

sous promesse de vérification.

Il s'agit maintenant, effectivement, de vérifier si la démarche a été conforme.

Doc. 15-01

Penser la pensée…, comment avons-nous travaillé ?

Voici un cadre général, une sorte de protocole que je vous propose de suivre et, en même temps, de tester, tout

au long de ce livre, sous promesse de vérification dans le dernier chapitre où il sera de nouveau présenté. Les

acquits de la PhS ont été pris en compte.

Les trois sens du mot "pensée"

P1 : la fonction et capacité de se donner une représentation interne et personnelle du monde (le plus souvent,

un infime morceau de celui-ci) via un support organique localisé dans le SNC (système nerveux central).

P2 : cette représentation, en partie consciente, soit silencieuse soit plus ou moins verbalisée mais restant

intime.

P3 : cette représentation sous forme communicable. Chez Hs, elle se caractérisée comme : verbale (les mots),

quadri-dimensionnée (espace et temps) et pluri-codifiée (qualités, valeurs, hiérarchies…). En outre, chaque

mot est assorti d'une clef (généralement double ou multiple) qui lui confère un ou des sens.

Par métaphore se dessine un temple antique tripartite : P1 ou Pensoir, réservé au dieu ; P2 ou Soliloque, pour

les prêtres ; P3 ou Langage, pour le public.

L'invention du mot ou Verbe a créé un monde verbal, une sorte de P4 virtuel en interaction avec P1, P2 et P3.

L'évolution s'est poursuivie par ailleurs, au-delà de la pensée, avec les inventions de celle-ci : instruments,

machines, informatisation, noosphère… (à suivre), toujours en interaction avec les stades précédents.

La fonction et ses produits interagissent

Objets ou êtres, tangibles ou virtuels, sont regroupés en catégories relevant des modes de connaissance ou/et et

des rapports avec l'homme : chasse, famille, géométrie, religion, etc. Ces catégories sont rangées et/ou

emboîtées dans l'espace mental. Concernant la pensée, on peut disposer les boîtes de deux manières :

— la pensée relève en dernière analyse de la pensée. Il y a tautologie, on ne peut rien penser de la pensée ;

— elle relève de la philosophie, de la noologie, etc. et l'on peut en parler à loisir.

Que se passe-t-il, dans les faits ?

La confusion est générale entre ces outils et au sein de chacun d'eux. Le mode d'opération est choisi en tant

que de besoin dans une intentionnalité (?) dictée par une "pulsidée" d'origine limbique.

Si l'on veut donner à l'ensemble le nom de système, celui-ci doit être qualifié de "fêlé" (PhS : à la fois ouvert et

fermé) ou (en termes courants) flou, variable et bancal. Notamment, ce système n'obéit pas aux règles de la

systémique telles qu'appliquées dans les autres domaines scientifiques.

Que l'on puisse ou ne puisse pas légitimement penser la pensée et/ou en parler, on continue de le faire en

contradiction avec la dernière injonction du Tractatus de Wittgenstein, ce qui donne : "Ce dont on ne peut

parler, on en parle tout de même" (PhS : "principe de Nichtgenstein").

Remarque

Hs n'est pas aujourd'hui en mesure de comprendre comment tout cela peut fonctionner et, surtout, fonctionner

si bien ; non seulement des lacunes, mais plusieurs gouffres d'inconnu subsistent. Cette ignorance doit guider

la recherche de connaissance.

Les outils méthodologiques sont présentés dans le Prologue.

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Doc. 15-02

Récapitulatif : grandes étapes de la pensée

Il peut s'agir, selon les cas :

… d'une innovation … de subordination … de prise d'un danger ou d'un simple

neuronale ou cérébrale ou assujettissement d'autonomie nouveau… repère

Ces cinq symboles ont été puisés dans Google Images.

▪ MA : millions d'années. Toutes les autres dates sont en années "av. JC". Si l'actualisation BP ("before present") s'impose, il convient aujourd'hui (en l'an 2017) d'ajouter 1950 années, et non 2017, pour atteindre le présent, conformément à une convention internationale.

!!!

(Date inconnue) Entrée de la Pensée dans l'Univers, si entrée il y eut.

Ère paléozoïque, vers ~500 MA :

Début de "l'escalade des représentations"

Ère mésozoïque, vers ~ 250 MA :

Cerveau reptilien (archicortex), pensée limbique, conscience primaire.

À la fin de l'ère cénozoïque, le pléistocène : ~ 3 MA (sinon 10 ou 12) :

Apparition du genre Homo

Entre ~ 200 000 et ~ 50 000 ans :

Apparition de l'espèce H. sapiens

À une certaine date entre l'apparition du genre et celle de l'espèce :

Affranchissement par rapport au temps.

Anticipation, prévision

"À une certaine date…" :

Identification, catégorisation, généralisation, abstraction, conceptualisation.

Les mots. Langage verbal silencieux ? Concepts, qualités, quantités, valeurs.

Dipôles vie/mort, divin/humain (rites funéraires : ~ 200 000)

"À une certaine date…" :Contrôle par le néo-néocortex et une "conscience II"

ou "d'ordre supérieur". (chez les derniers Primates et surtout Hs)

T S V P

148

(Date ?) :

Affranchie des apports d'info par les organes sensoriels, la pensée peut

fonctionner comme en circuit fermé (si ce n'est la consommation énergétique

du cerveau), "sur ses réserves" d'info.

(Date ?) :

Contrôles complémentaires par voie chimique diffuse (les neuromédiateurs) et

contrôle (simultané ou concurrent) par la neuroglie (tissu nerveux non

neuronal)

Vers ~50 000 :

Débuts du langage verbal parlé.

La pensée entreprend de s'externaliser aux fins de communication

(Date ?) :

Le mot se substitue à l'objet désigné, le Verbe EST la Chose mais entre les

deux une place est ménagée pour le Sens. Étrange et capital !

Le langage verbal rivalise désormais avec la pensée : débuts de compétition

Vers ~ 50 000, entre l'espèce sapiens et une éventyuelle sous-espèce sapiens

sapiens (pour ce que vaut la notion de sous-espèce…) :

La pensée s'affranchit du contrôle a posteriori par les résultats de l'action. En

même temps (?), elle acquiert son autonomie de fonctionnement : sans apports

d'info par les organes des sens. Elle prend manifestement ses distances d'avec

ce qu'elle appellera bientôt le "réel" (la preuve : elle en parle !).

Entre ~ 50 000 et ~3 300 selon les continents, en général au paléolithique

supérieur (~ 30 000) :

Début des arts rupestre et pariétal

(Date ?) :

Premiers dualismes ou séparations au sein du monde.

Personnalisation et localisation des dieux.

Séparation matière/esprit

Fin du néolithique, ~ 3500 :

Des processus mentaux outrepassent leur finalité immédiate présumée.

~ 3300 ans :

Invention de l'écriture (en Mésopotamie puis, très peu après, en Égypte). Ceci

va modifier les relations pensoir/parloir et scelle peut-être un divorce latent.

L'externalisation de la pensée se poursuit, l'affranchissement par rapport à

l'espace et au temps est acquis.

T S V P

149

+

~ 2 000 ans :

La triade avestique (en Perse) : Pensée, Parole, Action.

Premiers énoncés spéculatifs (en Chine et en Inde), d'abord transmis

oralement.

Extension de l'écriture vers toutes les couches sociales.

Pierres de Rosette et autres édits bi- ou trilingues), pensée dépasse langage

Dans le pays d'Élam vers ~ 1765 :

Le roi Shiwepalahuhpak "fait rédiger des textes dans les deux langues élamite

et akkadienne avec la même écriture cunéiforme. […] La langue était

détachée de l'écriture" (Cl. Herrenschmidt, cf. Notes et références)

Vers ~ 1500 :

Premières bibliothèques (royales) en Mésopotamie

Entre ~ 1000 et ~ 500 (en Grèce, Inde et Chine) :

À la suite des premiers poèmes, les premières philosophies.

Bientôt l'invention du non-être, l'institutionnalisation, légitimisation et

ontologisation (comment dire !?) de la négation et du néant

~ 500 (?) en Inde :

Apparition de la grammaire, de la logique ; coexistence A et non-A. Couples

d'opposés ou de "contraires", dipôles (dvanda en sanskrit), double vérité,

quadruple sophisme (çaduskoti), réalité multiple, voies du milieu (il y en a

plusieurs, voir Jardin-dictionnaire).

Doctrine jaïniste de la réalité multiple (anekantavada), c'est-à-dire la voie

nayavada dont l'instrument logique est le saptabanghi (choix entre 7 termes).

~ 400 : en Grèce, fin des écoles dites "présocratiques" (préplatoniciennes) :

Homo philosophicus remplace les Sages.

Les mots les plus abstraits peuvent l'emporter sur la pensée dans le langage

philosophique, sinon (?) dans le langage commun

~ 350 : Aristote (385-312) :

~ 400-300 de la Chine à la Grèce :

Métaphilosophie (métasophie). La pensée ne travaille plus sur les êtres et les

choses mais sur les notions et concepts qui leur sont substitués.

"Tout se complique". La pensée devient progressivement "dépassée" (au sens

propre) par les applications et contre-effets de ses productions

Vers an 25, JC prêche l'amour, reprenant implicitement un thème ancien venu

de l'Est. Cet enseignement sera frepris,n principe, par l christianisme mais sans

grand succès jusqu'à présent.

T S V P

150

XXème siècle "après JC" :

"Avec la notion d'info, c'est la pensée elle-même qui fait son entrée dans le

monde physique ainsi que dans la science physique. [Elle est en effet]

reconnue comme quantifiable, non gratuite, passible d'incomplétude et

impliquant l'observateur" (fin du chap. 2). Déjà des Sages antiques avaient dit

que la pensée relève du monde matériel…

À la faveur de l neurobiologie, la pensée devient objet de science

Dans les dernières années du même siècle :

Plusieurs cloisons disciplinaires sont tombées et un front de "cognisciences"

s'est constitué

Fin XXème

siècle "après JC" :

Le concept d'une ère "anthropocène" est proposé à l'instar de ères géologiques

(mais sa datation suscite les controverses). Il s'agit par là de témoigner des

modifications apportées par Hs à la planète qu'il a entièrement colonisée.

Fin du second millénaire "après JC" :

"L'informatique" révolutionne tous les aspects de la vie humaine. La

noosphère est bien réelle. Il y a déjà saturation d'info dans bien des domaines.

Début du IIIème

millénaire "après JC" :

On parle d'un "post-humanisme", les temps actuels sont qualifiés de "post-

modernes".

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151

Doc. 15-03

Hommage aux dieux !

Convergences lointaines ?

À gauche : Maat, mère, fille et épouse de Rê. Déesse de l'Ordre, de la Justice, de la Vérité, de la Paix…. La

plume d'autruche qui la coiffe est son hiéroglyphe.

À droite : Ahura Mazda premier dieux mazdéen et Asura védique, Seigneur Sage, père du Feu, domine les

deux esprits antagonistes. C'est le disque solaire (au centre) qui est ailé.

L'une et l'autre sont anthropomorphes et non sans raison : les attributs ci-dessus sont assignés comme

directives de vie à tous les hommes.… Anthropomorphes certes, mais leurs ailes déployées recouvrent tout

l'univers.

Huitzilopotchli est chez les Aztèques le "colibri de

gauche" symbolisant le Soleil à son zénith. Un

autre dieu-oiseau… mais géographiquement

éloigné.

152

.