Frédérique Bedos interviewée en Suisse - Janv 2013

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18 17 JANVIER 2013 EVENEMENT PROJET IMAGINE La télévision ne vend pas que E lle était la première animatrice française sur la chaîne musicale MTV. Le monde de Frédérique Be- dos, c’était les projecteurs et les pail- lettes de la télévision. Après 18 ans de petit écran (sur France 2, M6 ou MCM), la présentatrice quitte la lu- mière des spots pour lancer sa propre émission sur internet, Projet Imagine, qu’elle qualifie de «média alternatif, utile et philanthropique»*. Par le biais de moyens métrages, Frédérique Be- dos dresse le portrait de héros anony- mes qui, dans l’ombre, œuvrent pour les autres. Son inspiration? Ses parents, les pre- miers «héros» qu’elle a connus. Béné- voles pour Terre des hommes dans les années 1960, bouleversés par les en- fants réputés «inadoptables» dont ils traitent les dossiers (handicapés, trop âgés, traumatisés, etc.), ils en adop- tent... 18! Cette famille atypique, dé- crite comme accueillante («Atten- tion, chien gentil!») et joyeuse («On n’avait pas le temps de se regarder le nombril»), a profondément marqué la journaliste. Elle désire transmettre aujourd’hui les valeurs qu’elle y a re- çues. Frédérique Bedos était interve- nante lors de la rencontre Nicolas et Dorothée de Flue, en décembre der- nier à Saint-Maurice. Qu’est-ce qui vous a décidée à inter- rompre votre carrière pour lancer le Projet Imagine ? Frédérique Bedos: – Il y a 4 ans, j’ai eu comme un déclic et j’ai porté un regard critique sur le monde de la té- lévision: il y a une réelle détérioration de la qualité des programmes, et ce n’est pas du tout anodin. Beaucoup de patrons de chaînes minimisent en di- sant que ce n’est que du divertisse- ment, que les gens ont le choix, qu’ils peuvent toujours zapper; mais je crois que c’est faux. La puissance de feu des médias est devenue énorme. Il faut être un extraterrestre pour y échapper! Et c’est encore plus vrai pour la télévision, qui pénètre l’inti- mité des foyers et qui marque les consciences par la force des images. A force de voir sans cesse le pire, avec des programmes cruels ou avilissants, les gens ont l’impression que le mon- de est moche et qu’il ne sert à rien de se lever de son fauteuil. Et c’est là que vous avez réagi? – C’est là que tout ce que j’avais vécu dans mon enfance est remonté à la surface. Mes compétences profession- nelles, je voulais les mettre au servi- ce des valeurs d’amour et d’entraide que nous vivions à la maison. Je me suis dit que si on pouvait utiliser ne serait-ce qu’une toute petite parcelle Animatrice française à succès, Frédérique Bedos a quitté le petit écran pour raconter sur internet des histoires de héros anonymes. Des gens qui nous ressemblent, mais qui font bouger les choses. Et ça marche. Frédérique Bedos: une autre télévision est possible. Anne Gallot

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La télévision ne vend pas que des lessives ! Animatrice française à succès, Frédérique Bedos a quitté le petit écran pour raconter sur internet des histoires de héros anonymes. Des gens qui nous ressemblent, mais qui font bouger les choses. Et ça marche.

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PROJET IMAGINE

La télévision ne vend pas que

Elle était la première animatricefrançaise sur la chaîne musicale

MTV. Le monde de Frédérique Be-dos, c’était les projecteurs et les pail-lettes de la télévision. Après 18 ans de petit écran (sur France 2, M6 ouMCM), la présentatrice quitte la lu-mière des spots pour lancer sa propreémission sur internet, Projet Imagine,qu’elle qualifie de «média alternatif,utile et philanthropique»*. Par le biaisde moyens métrages, Frédérique Be-dos dresse le portrait de héros anony-mes qui, dans l’ombre, œuvrent pourles autres.Son inspiration? Ses parents, les pre-miers «héros» qu’elle a connus. Béné-voles pour Terre des hommes dans lesannées 1960, bouleversés par les en-fants réputés «inadoptables» dont ilstraitent les dossiers (handicapés, tropâgés, traumatisés, etc.), ils en adop-tent... 18! Cette famille atypique, dé-

crite comme accueillante («Atten-tion, chien gentil!») et joyeuse («Onn’avait pas le temps de se regarder lenombril»), a profondément marquéla journaliste. Elle désire transmettreaujourd’hui les valeurs qu’elle y a re-çues. Frédérique Bedos était interve-nante lors de la rencontre Nicolas etDorothée de Flue, en décembre der-nier à Saint-Maurice.

Qu’est-ce qui vous a décidée à inter-rompre votre carrière pour lancer leProjet Imagine?Frédérique Bedos: – Il y a 4 ans, j’aieu comme un déclic et j’ai porté unregard critique sur le monde de la té-lévision: il y a une réelle détériorationde la qualité des programmes, et cen’est pas du tout anodin. Beaucoup depatrons de chaînes minimisent en di-sant que ce n’est que du divertisse-ment, que les gens ont le choix, qu’ils

peuvent toujours zapper ; mais jecrois que c’est faux. La puissance defeu des médias est devenue énorme.Il faut être un extraterrestre pour yéchapper! Et c’est encore plus vraipour la télévision, qui pénètre l’inti-mité des foyers et qui marque lesconsciences par la force des images.A force de voir sans cesse le pire, avecdes programmes cruels ou avilissants,les gens ont l’impression que le mon-de est moche et qu’il ne sert à rien dese lever de son fauteuil.

Et c’est là que vous avez réagi?– C’est là que tout ce que j’avais vécudans mon enfance est remonté à lasurface. Mes compétences profession-nelles, je voulais les mettre au servi-ce des valeurs d’amour et d’entraideque nous vivions à la maison. Je mesuis dit que si on pouvait utiliser neserait-ce qu’une toute petite parcelle

Animatrice française à succès, Frédérique Bedos a quitté le petit

écran pour raconter sur internet deshistoires de héros anonymes. Des

gens qui nous ressemblent, mais quifont bouger les choses. Et ça marche.

Frédérique Bedos: une autretélévision est possible.

Anne Gallot

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de la puissance médiatique pour dif-fuser ce qui est le meilleur de nous, çapourrait redynamiser l’espérance desgens.

Les médias sont généralement criti-ques et incisifs. Parler de ce qui vabien, n’est-ce pas un peu naïf?– Je ne fais pas le journal des bonnesnouvelles! Je parle des problèmes,mais sous l’angle de ceux qui s’enga-gent pour les résoudre. Je parle decette niaque qui nous fait nous battremême si nos épaules ne sont pas trèslarges. Les héros anonymes sont desgens qui nous ressemblent! En voyantleur portrait, il y a un effet de miroiret on se dit: «Moi aussi je peux fairequelque chose!». Et donc là, on créeun média utile. Un média utile, c’estun média qui vous donne envie devous lever et de participer au mondequi vous entoure.

«Utile», c’est un adjectif que vousrevendiquez pour le Projet Ima-gine?– Parfaitement. Il ne s’agit pas d’ou-blier les problèmes et de jouer aux Bisounours! D’ailleurs, nos héros nesont pas des Bisounours. Décider d’ai-mer dans un monde qui prône autantl’individualisme, c’est véritablementhéroïque.

Vous proposez ces émissions gratui-tement sur internet. Quelles sontvos ressources financières?– Tout se fait grâce aux dons. En tantque professionnelle de la télévision,j’aurais pu proposer mon projet à M6ou à France 2; peut-être même qu’ilsauraient trouvé l’idée intéressante.Malheureusement, je connais le sys-tème de l’intérieur: le but de nos chaî-nes de télévision, c’est de vendre de lalessive et des voitures. Il aurait falluque ça ressemble à ceci ou à cela, quece soit découpé de manière à vendre,en définitive, de la lessive et des voi-tures! Il fallait donccreuser un nouveausillon, totalement in-dépendant.

Y a-t-il des bénévo-les?– Oui. Du début à la fin, c’est un petitmiracle! De plus en plus de profes-sionnels sont touchés par le projet etse manifestent. Caméramans, ingé-nieurs du son et monteurs viennentnous aider gratuitement. Pour moic’est pareil, je ne me paie pas avec Pro-jet Imagine, je travaille à côté, j’animedes tables rondes et des conférencesun peu partout dans le monde pourgagner ma vie. Cela me fait deuxtemps pleins!

Recevez-vous des échos positifs dela part du public?– Je reçois régulièrement des mails degens qui me disent: «Ça y est, je crois

des lessives

de nouveau en l’humanité»! Je pensevraiment que le cynisme est devenuune arme de destruction massive. Onnous fait croire qu’on vit dans unmonde absurde. Cette illusion-là estentrain de nous faire mourir à pe-tit feu. Mais dès qu’on commence à

se décentrer de soi-même et à regarderl’autre, on commen-ce à aller mieux.Dans l’entraide, c’estd’abord soi qu’on sau-ve. Mais pour aller

vers l’autre, il ne faut pas avoir peur.Et les médias jouent sur la peur.

Vous ne regrettez pas la carrière quevous avez laissée?– Dans mes émissions musicales endébut de soirée, j’avais sept ou huitmillions de téléspectateurs. Mais pourleur dire quoi? Les gens qui me con-naissaient avant ont eu l’impressionqu’en partant je quittais la lumière.Mais c’est aujourd’hui que je travaillepour diffuser la lumière. Pour rap-peler que nous sommes nés pour lemeilleur! ! Recueilli par

Christine Mo Costabella*www.leprojetimagine.com

«Je pense vraimentque le cynisme est

devenu une arme dedestruction massive.»

Ce qu’on voit sur le site de Projet Imagine? Leportrait de Jean-Guy Henckel, fondateur il y avingt ans des «Jardins de Cocagne»: 120 jar-dins bio actifs aujourd’hui en France où des chô-meurs, des personnes fragiles, retrouvent legoût de vivre et de travailler. Ou bien l’histoirede Dominique Pace qui crée Biblionef, une ONGqui distribue des centaines de milliers de livres – neufs! – dans 90 pays (www.biblionef.com).Ou encore une émission qui tente de repenserla prison en interrogeant directeurs, aumônierset prisonniers eux-mêmes. Avec une belle qua-lité d’image et de son. Du travail de pros. ! PF

Livres, prison,légumes