FOURNIER Chansons de Gaultier Garguille 1858

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FOURNIER Chansons de Gaultier Garguille 1858

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  • CHANSONS

    GAULTIER GARGUILLE

  • Parii. Imprim par E. Thunot et Cie, rue Racine, 26,avec les caractres elzeviriens de P. Jannet.

  • CHANSONSD E

    GAULTIER GARGUILLE

    NOUVELLE DITION

    SUIVIE DES PICES RELATIVES A CE FARCEUR

    Avec Introduction et Notes

    Par EDOUARD FOURNIER

    A PARISChez P. Jannet, Libraire

    MDCCCLVIH

  • LA FARCE ET LA CHANSON

    AU THEATRE AVANT 1660

    ^1 existe au Thtre-Franois, dans le1^^ foyer des comdiens, un ancien tableau

    qui m'avoit toujours sembl d'un trs-^ grand prix au point de vue de l'histoire

    du thtre, mais dont la valeur s'est encore accruepour moi d'une faon toute particulire me-sure que je me suis avanc dans ce travail.

    Ce tableau, peint sur bois, provient de la col-lection du cardinal de Luynes. C'est un pr-sent que M. Lorne, de Sens '

    ,fit la Comdie

    franoiseen 1844, par l'entremise de M. Rgnier,l'un de ses socitaires les plus distingus. Le ta-bleau porte cette inscription , crite en lettres d'or,avec l'orthographe du temps, sur la partie sup-rieure du panneau : Farceurs Franois et Ita-liens, DEPUIS SOIXANTE ANS. PeINT EN 167I.

    Tous les matres de la Farce au XVIIe sicles'y trouvent en effet, avec le costume et dans l'ac-tion de leur emploi. Afin qu'on ne se mprennepas sur les personnages, le nom de chacun est crit ses pieds. Voici les Italiens d'abord : Briguella

    ,

    Scaramouche , le Docteur, Pantalon,Arlequin

    ,

    I. On lui donna, pour l'en remercier, ses entres vie;il mourut six mois aprs.

  • vj La Farce et la Chanson

    Mezzetin;puis les Franois : le Matamore, Turlu-

    pin, Gros-Guillaume, Gaultier Garguille, GuiliotGorju, Jodelet, Gros-Ren. Mais ce n'est pas tout,et ceci mme est le plus curieux : qui nous appa-rot encore dans un coin de l'intressante page etsur le premier plan ? Molire; oui, Molire lui-mme, avec ces farceurs; Molire, qui semblejouer un rle en leur compagnie, et qui, sur ceplain pied de l'galit bouffonne , on n'a faitgrce que de deux choses : le nom de guerre etJe costume. Il n'est ici dsign ni par le sobriquetde Mascarille, ni par celui de Sganarelle, qui furentses deux noms de farce, comme on sait; il neporte ni la mandille de l'un, ni le large pour-point de l'autre; il est nomm Molire, et il estvtu comme il devoit l'tre la ville au tempsde sa jeunesse. C'est par l seulement

    ,

    je le r-pte, qu'il diffre des autres bouffons dont il estici le camarade; pour le reste, on voit par lamanire dont on le fait figurer avec eux qu'onle tient bel et bien pour leur pareil.

    De son temps, en effet, il ne passoit pointpour autre chose, et, si les autres preuves man-quoient, sa prsence sur ce tableau seroit unsuffisant tmoignage de l'opinion que ses com-mencemens au thtre et ses premires picesavoient donne de lui , et que ses uvres plussrieuses ne purent parvenir effacer. Pourtout le monde, en son temps, Molire fut donc,encore une fois, un farceur. Ses ennemis lui enfirent un crime ; ses amis, je dis les plus svres,et Boilcau est du nombre, le lui reprochrent sou-vent: lui seul n'en rougit pas. Il avoit une sorted'affection native pour ce vieux genre si bien fran-ois, et il l'aimoit d'autant plus qu'il scntoit que le

  • AU Thtre avant 1660. vijpublic Paimoit tout autant que lui , comme unvrai fruit du terroir. Quoi que pt dire Boi-leau, qui lui et peut-tre pardonn d'crire desfarces, s'il et su de quelque faon certaine queTrence avoit commenc par composer desAtellanes, jamais Molire ne partagea ses d-dains dlicats. Il sentoit qu'il y auroit eu l desa part une sorte d'ingratitude. Ne devoit-il pas la Farce ses premiers succs en province }Bien mieux que tout le rpertoire soi-disant s-rieux qu'il en avoit rapport dans ses bagages,ne lui avoit-elle pas valu, de la ville et de la cour,le bon accueil que tout d'abord on lui avoit fait Paris? Il resta donc fidle cette affection deses commencemens ; mme au milieu de sagloire la plus srieuse, il n'oublia pas la vieilletradition bouffonne de son pass, et il y revintcomme une distraction chrie, comme undlassement qu'il sentoit ncessaire pour sonesprit et pour celui du public. Aprs le Misan-thrope, il donna le Mdecin malgr lui, non pas,comme on l'a dit, parce que l'insuccs du chef-d'uvre l'avoit forc de chercher son salut dansla farce , mais parce qu'aprs cet effort srieux

    ,

    aprs cette uvre la sublime tristesse o d-bordoit toute l'amertume de ses chag'ins, il luifalloit l'opposition de la satire amusante et durire clatant

    ;parce que le public aussi , ce pu-

    blic parisien, qu'on n'avoit pas encore dshabi-tu de la gaiet au thtre, et dont son espritdevinoit tous les instincts, rclamoit de mme cejoyeux contraste. Aprs l'Avare, cette uvretrop profondment humaine pour n'tre pastriste, Molire donna les Fourberies de Scapin;aprs les Femmes savantes, autre comdie d'un

  • viij La Farce et la Chansonsrieux trop essentiellement littraire pour trecomprise du public tout entier, il joua le Maladeimaginaire, de mme qu'aprs l'cole des femmestoit venu le Mariage forc, et Georges Dandinaprs Tartuffe. Ainsi toujours alternant , ainsitoujours tirant de lui-mme sa propre distrac-tion ; ainsi faisant toujours succder la grandecomdie en vers la pice plus modeste que saforme en prose auroit suffi pour faire considrercomme une farce, il atteignit la fm de sa vie etde son oeuvre, toutes deux si bien remplies ettrop courtes. Il avoit commenc par une farce,et c'est par une farce qu'il finit; aussi le nom debouffon, qui l'avoit suivi toute sa vie et qu'il n'a-voit jamais rcus , lui survcut-il longtemps.

    Ses ennemis,

    je vous l'ai dit , s'en faisoientune arme pour saper sa gloire , et ses amis ne lerptoient qu'en rougissant. Les uns et les au-tres avoient tort, mon sens. C'est par cette fi-dlit pour le genre dont on s'amusoit la cour,mais qu'on dnigroit pdantesquement aprsavoir ri ; c'est par cet amour soutenu de la fran-che gaiet et du rire populaire, qui lui rendoientsi prcieux, dans sa chambre d'tude, les applau-dissemensdelabonneLaForcst,commeauthtreles applaudissemens des gens du parterre et duparadis; c'est par cette prdilection pour l'actioncomique, pour l'effet de scne, pour l'observa-tion prise sur le fait dans la vie et aussitt trans-Dorte sur le thtre; c'est par son got naturelpour toutes ces choses, parties essentielles de lafarce, qui rendent plus vivante la scne laralit des ridicules saisis dans le monde, queMolire sut se maintenir, avec une verve de v-rit si franche, dans la veine d'originalit la-

  • AU Thtre avant 1660. ixquelle il doit peut-tre ses qualits les plus in-comparables.

    Quand il commena le thtre, il avoit d'unct le genre faux , mais florissant , de la tragi-comdie, et de l'autre, la Farce, genre vrai,mais tomb

    ,

    que le public de Paris, aprs l'a-voir ador avec Gros-Guillaume et Gaultier Gar-guille, avoit cru devoir abandonner par bon ton,et qui, ces farceurs tant morts, s'toit, touthonteux, exil dans les provinces. Molire,comme nous le verrons, l'y retrouva, et ne crai-gnit pas de l'en rapporter. L'autre genre, latragi-comdie, l'attendoit Paris, et tenta de lesduire. Il cda presque, tant il est vrai que lesesprits ardens sont faciles se laisser solliciterpar tout ce qui peut leur sembler un glorieuxexercice ; tant il est vrai que l'on recherche tou-jours le plus volontiers ce qui vous est contraire.Molire fit Don Garde de Navarre. Par bonheurce fut une chute ; elle suffit pour lui faire com-prendre que son chemin n'toit pas de ce ct-l, et aussitt il prit de l'autre, c'est--dire qu'ilse rejeta dans la farce , avec laquelle il ne pou-voit avoir de ces mcomptes ; car lui , l'hommevrai, ilrentroit ainsi dans la vrit. Queseroit-ilarriv si Don Garcie avoit eu du succs ? Molire,trop encourag, se ft peut-tre jamais em-bourb dans ce dplorable genre ; il et pris plaisir faire des tragdies, comme ilaimoit en jouer;il et quitt le thtre rel , la farce d'abord

    ,

    puis la comdie ensuite, tandis qu'au contraire,aprs sa chute, il n'abandonna plus ni celle-ci,ni celle-l. Rentr dans son divin bon sens,pour n'en plus sortir qu'une seule fois

    ,

    quandil fit la Princesse d'lide, il associa, comme

  • X La Farce et la Chanson

    nous l'avons vu , la farce et la comdie , lesalterna, et, pendant ce bon accord profitable toutes deux, il sut par l donner l'une unetournure littraire qu'elle n'avoit jamais eue, et l'autre aussi, grce ce voisinage, une vivacitde trait, un vis comica soutenu, que son espritne lui auroit certainement pas prt, s'il et prisl'habitude de faire parler des Don Garde, au lieude s'exercer faire agir des Scapins. CependantBoileau lui passa Don Garde et ne lui pardonnapas Scapin !

    Nous, tout au contraire, c'est cause de l'unque nous lui pardonnerons l'autre. Que ne pas-serions-nous pas, en effet, Molire, pour sesbouffonneries charmantes

    ,

    pour cette persistancede son esprit rester gai dans la raison et en-jou dans la satire , enfin pour toutes ces qualitsde comique vrai et de verve scnique, qui luipermirent de faire revivre l'ancienne farce fran-oise ? Malheureusement, il la ressuscita pour latrop grandir. Dans ses merveilleuses mains, quimlangeoient et ptrissoient avec tant d'art lesdbris des vieilles inventions italiennes et du vieilesprit franois, les reliefs exquis du pass glanschez les conteurs, et les observations du pr-sent, la farce transforme prit des proportionsdsesprantes ; c'est ce qui fit qu'aprs une re-naissance trop clatante, elle disparut : elle seperdit force de monter.

    Et cependant, tout en grandissant entre lesmains de Molire, elle ne s'toit en rien dna-ture; elle toit reste elle-mme, elle n'avoitpas dvi de la tradition qui s'toit perptuedepuis les premiers suppts de la bazoche jus-qu' Gaultier Garguille et jusqu' Guillot Gorju,

  • AU Thtre avant 1660, xjde qui Molire l'avoit presque directement re-prise.

    On lui a reproch, par exemple, d'avoir tropmultipli dans ses pices les personnalits. Cereproche est bien de notre temps, qui a mis dansle petit journal et dans la caricature ce qui jadisappartenoit la publicit du thtre ! Ceux quile lui ont adress avoient donc oubli qu'il nefaisoit que suivre ainsi la tradition de la farcetelle que l'avoient comprise les bazochiens, etplus tard les bouffons de l'htel de Bourgogne,dont

    ,

    par droit de conqute , il s'toit attribula succession en dshrence ?

    Le jour du mardi-gras, qui fut au moyen gece que le grand jour des Saturnales toit dansl'antiquh

    ,lorsque l'heure des folies et des

    bonnes vrits toit revenue, que faisoit-on, si cen'est d'\adentes et brutales personnalits, surce thtre des jeux de la bazoche qui eut silongtemps le monopole de la farce ' .'' Si le r-cit de quelque scandaleuse aventure couroit parla ville, aussitt les malins drles s'en emparoient,le mettoient en action et le clouoient sur leurscne comme sur un pilori. Bourdign ne nousraconte-t-il pas que le vaurien de sa lgende,maistre Faifeu, tant roi de la bazoche

    ,mit ainsi

    en action la msaventure d'un boulanger avec sachambrire ^ ? La vraie farce satyrique

    ,dont

    le sujet toit pris pour ainsi dire au vol, et qu'onjouoit l'impromptu , n'toit pas autre chose.C'toil bien l ce jeu dont parle Sibillet en sonArt potique, et qui toit, dit-il, tout de badine-

    1. Voy. Ch. Magnin, Journal des savans^ mai i8>8,p. 266.

    2. Lgende de maistre Faifeu , ch. 9.

  • xij La Farce et la Chanson

    ries, nigauderies et sotties mouvantes ris et plaisir.

    Ces sortes de farces, improvises pour ainsidire sur le vif, toutes diffrentes de celles qui nousoccuperont tout Theure, et dont la forme toitplus littraire et plus durable, dvoient se per-ptuer en France. Elles devinrent surtout lamode lorsque les Italiens nous eurent mis aurgime commode de leurs bouffonneries ca-nevas, de leurs farces improvises sur scahirio.

    Du temps de Gaultier Garguille, de Gros-Guillaume, de Turlupinet de Jodelet, on ne s'enpermettoit plus d'autres l'htel de Bourgogne,et c'est pour cela qu'il ne nous est presque rienparvenu de leur rpertoire, si ce n'est par le rcitde quelques spectateurs.On savoit toujours qu'aprs la tragdie vien-

    droit la farce, mais on ignoroit quelle seroitcette farce , et surtout quels en seroient les d-tails. Souvent la pice reprsente auparavantles fournissoit; il arrivoit que l'acteur tragique

    ,

    ayant endoss son habit de farceur, se moquoitalors et de lui-mme et de ceux qui avoient jouavec lui. Une fois, dit Tallemant propos deJodelet', une fois qu'il avoit jou une picedont la scne toit Argos, il dit la farce : Monsieur, vous avez est Argos aujour-d'hui. )> Quand les bouffons avoient de l'es-prit, et Jodelet toit de ceux-l, on entendoitparfois de bonnes rpliques , en ces dialoguesfaits l'improviste : A une farce, dit encoreTallemant dans son historiette de Jodelet. laBeauchateau voulut faire la goguenarde; elle luy

    I. dit. p. Paris, t. }, p. 391.

  • AU Thtre avant 1660. xiijdemanda ce que c'est que l'amour: Je nesay. C'est un Dieuqui aunflambeau,un bandeau, un carquois. J'entends : c'est un Dieu qui a une flesche que M. de l'Espy envoya l'autre)) jour dans un caleon de chamois mademoi- selle Beauchateau.)) Qui fut confuse ? Notrerail-leuse

    ,

    qui, au lieu d'avoir embarrass Jodelet,l'entendoit ainsi dire au public le secret de sesamours avec leur camarade l'Espy.

    Souvent le spectateur en avoit aussi pour soncompte , voici comment : Si quelque aventuredsagrable vous toit arrive, de bons amis,comme il en est tant, alloient la conter aux co-mdiens afin qu'ils la missent en farce. Jour toitpris, on vous amenoit au thtre, et, bouchebante, vous entendiez conter votre fait par mes-sieurs de la comdie, aux grands clats de riredu parterre et de vos bons amis, qui, vous serrantde prs, vous clouoient votre place, pour quevous ne tentiez pas de sortir avant que la choseft finie et que vous eussiez aval toute l'a-mre pillule.

    Sorel, au livre II du Francion, a cont uneaffaire de ce genre. Il s'agit de deux commis-saires qui, tout commissaires qu'ils sont, se trou-vent bel et bien rosss et puis aprs mis en farce :il est vrai que ce sont des gentilshommes qui,aprs les avoir trills, ont livr leur aventureaux comdiens. Pour que la rjouissance soitcomplte, on feint une rconciliation, et, le jourconvenu, on emmne la comdie les deux pau-vres diables, pour qu'ils s'y voient baffous. Lelendemain, dit Francion, qui Sorel fait conterl'aventure, les gentilshommes passrent dedansun carrosse par devant leur logis, bien assistez

  • XIV La Farce et la Chanson

    de laquais, etlesforcrenttousdeuxdes'y mettreaussy,et puis ils me vinrentprendre avec Perrette;et comme si , nous dsirant accorder tous, ilseussent voulu nous faire rejouir ensemble, ils nousmenrent l'htel de Bourgogne; mais sachezque ces droUes avoient parl auparavant aux co-mdiens, et leur avoient appris le combat des com-missaires, qui fut tout le sujet de leur farce.Voyant qu'on se mocquoit ainsi d'eux, ils seproposrent d'en avoir raison, et, quoiqu'ils nousquittassent sans tesmoigner leur colre, ils rso-lurent de nous ruiner, et firent la paix ensemblepour se rendre plus puissans contre nous, quandl'occasion se prsenteroit. Nous n'attendismespas qu'ils en vinssent l, et, pour nous mettre l'abry du malheur, nous abandonasmes ce.Quartier, oij nous avions une bonne chalarirr-dise '.

    Je ne pense pas que la personnalit au thtre .puisse aller plus loin que dans cette aventure.Aujourd'hui l'on s'y prendroit autrement pour,jouer pareil tour : on enverroit le rcit de votre,affaire quelque petit journal

    ,

    qui l'insreroitbien vite s'il toit bien scandaleux , aprs l'a-voir encore pic sa manire. Quelques-unsdes bons amis dont je parlois tout l'heure,et dont l'espce ne s'est pas perdue, auroit soinde vous adresser le numro sous bande ; en li-sant, vous vous diriez : u Si l'on me reconnot,et l'on me reconnotra , tout le monde va biense.moquer de moi aujourd'hui)); mais au moinsne verriez-vous pas rire , ce qui rend , tout

    I. La vraye histoire comique de Francien, Rouen, 1665,in-8,- P.B9.

  • AU Thtre avant 1660. xvprendre, le procd d'aujourd'hui un peu moinscruel que celui d'autrefois.

    Cet usage de la satire quotidienne au thtre,de la chronique scandaleuse formule la scne,se conserva plus longtemps que l'on ne seroittent de le penser. Quand les farces joues l'impromptu eurent cess d'tre la mode, pourfaire place aux comdies en un acte ' , l'aven-ture du jour pour laquelle on auroit fait aupara-vant toute une scne comique eut souvent encore,par allusion, sa petite mention moqueuse sur lethtre. Une phrase, un mot, suffisoient, et rare-ment le public les laissoit chapper.

    Les pices en prose se prtoient ces petitesinterprtations satiriques, et cela d'autant plusaisment que la forme, au lieu d'en tre tout d'a-bord arrte et dfuiitive, restoit longtemps flot-tante, indcise, et comme mallable. On en mo-difioil le plan volont, l'on en raccourcissoit outendoit le dialogue, et, de cette faon, ce qu'onvouloit y ajouter de piquant au jour le jour s'yglissoit sans peine, avec la facult de pouvoir endisparoitre le lendemain. Les Prcieuses ridicules,qui ne furent d'abord qu'une farce joue en pro-vince 2 j subirent ces modifications de plan

    ,

    ainsi qu'on peut le voir par le curieu.x compte-rendu qu'en fit paroitre madame deVilledieu aprsla premire reprsentation de la pice Paris.Cette analyse, exacte le jour o elle fut faite, nel'est plus aujourd'hui : des scnes ont disparu,d'autres ont chang de place?. Nul doute quele dialogue fut mis au mme rgime, et qu'il dut

    1. Voy. les frres Parfaict, t. 3, p. i6$-i66.2. Mercure de France, mai 1740, p. 838.3. Varits histor. et litr., t. 4, p. 290, 293, 294.

  • xvj La Farce et la Chanson

    subir des changements bien plus nombreux en-core et plus souvent renouvels ' . Aussitt quequelque mot ridicule, quelque nologisme pr-cieux se mettoit courir les ruelles, soyez srque les comdiens l'arrtoient au passage, etqu'ils l'enchssoient au plus vite dans le cadrecommode de leur merveilleuse farce, afin de ga-gner par l quelques bons rires de plus. Cettesouplesse des pices en prose, cette facilit qu'onavoit de pouvoir les mailler chaque fois d'unesprit nouveau, ajoutoit sans doute par l'imprvuau charme de la reprsentation, mais elle emp-choit aussi qu'une comdie de forme si complai-sante ft prise au srieux, comme l'toient lespices pour lesquelles la forme inflexible du versavoit t adopte. Aussi , ft-elle en cinq acteset d'une grande porte morale, une comdie enprose ne marchoit jamais d'gal gal avec unecomdie en vers ; ce n'toit toujours pour les d-licats qu'une farce grandes proportions : c'estpour cela, par exemple, que le Tnrcarct de Le-sage, malgr ses cinq actes, fut dans l'origineddaigneusement qualifi du nom de petilc pice.

    Voltaire, dans sa jeunesse, fut encore mmede vrifier ce que je disois tout l'heure au su-jet des petites intercallations malicieuses, si fa-ciles dans les comdies non rimes. Lui-mme,avec l'aide des comdiens, s'en toit permis unedont le souvenir l'gayoit encore sur ses vieux

    I . La Grange lui-mme se permit l'interpolation de toutun passage de son cru dans l'Avare. Voy. son dition desuvres de Molire, la scne 5 de l'acte 3 de cette pice. Ilfalloit que ce ft un usage bien tabli , car personne ii'avoitplus de respect que La Grange pour la mmoire et les u-vres de Molire.

  • AU Thtre avant 1660. xvijjours et lui faisoit conseiller La Harpe de tenterpareille preuve pour s'amuser un peu et pourfaire justice publique de certaine faon de parlerprtentieuse dont ses nerfs de puriste s'toient r-volts. Je m'tonne que la lettre, du 28 jan-vier 1772, oij il donne ce curieux conseil son(c cher champion du bon got , ait chapp auxhistoriens de Voltaire. Le passage est prcieux,comme on va voir, et pour la biographie du grandhomme, et pour l'histoire du thtre.

  • xviij La Farce et la Chanson

    accessible tous les caprices de l'esprit et de lamchancet du moment, ne pouvoit en effet luiconvenir toujours ; et cependant elle lui fut fidlependant prs de trois sicles, du xiv Jusque versla fin du xvr. Enfin le lien inflexible se relcha

    ;

    les farceurs ambulans, qui promenoient de foireen foire le rpertoire bouffon , s'affranchirent peu peu du joug de la rime et des entraves de lamesure, comme l'a fort bien remarqu M. Ma-gnin', et comme il en a trouv des preuvesdans plusieurs farces du recueil de Londres, dontle texte, compltement dfigur, ne permet pres-que plus d'y rien reconnotre -. Le tableau s'ef-faa peu peu, puis disparut tout fait; maisle cadre demeura, et chacun put le remplir samanire. Ce qui toit une farce complte, avecforme dfinitive, ne resta plus qu' l'tat de ca-nevas; la scne ne fut plus qu'un scnario, dontchacun put disposercomme il lui plut. Chaque sujetrest libre appartint l'espritdu premier occupant.

    Sur ce dernier point la licence avoit toujourst grande ; les farceurs ne s'toient jamais faitscrupule de se voler entre eux. M. Magnin aconstat , dans les farces de l'Ancien Thtre deJa Bibliothque elzevirienne des imitations fla-grantes du Patelin^, et nous pourrions, sanssortir du mme recueil, relever plus d'une res-semblance entre les pices qui s'y trouvent et.celles du manuscrit La Vallire publi chez Te-

    I. Journal des savans, mai i8j8, p. 267.- 2. Voy. notamment la farce du Badin Fouquet [AncienThtre, Biblioth. elzevir., t. i, p. 27); cellede P;rnft quiva l'escolle [Ib., t. 2, p. ^do]; celle d'Ung qui sefaictexaminer pour estre prebstre '/b-, t. 2, p. 373),.et la mo-ralit de Charit [Ib., t. 3, p. 337).

    3. Journal des savans , avril 1858, p. 206-209.

  • AU Thtre avant 1660. xixchener par MM. Le Roux de Lincy et FrancisqueMichel. La farce de Pernet qui va au vin ' pr-sente, par exemple, mais avec moins de dve-loppemens, une situation toute semblable cellede la farce du Retraict - ; celle du Gentilhomme

    ,

    Lison, Naudet, la Damoyselle ?, a plus d'un rap-port de sujet avec celle du Mounyer et de la Mou-nyre 4 ; enfm la farce nouvelle des Cinq sens del'homme s se rapproche en plusieurs parties de lamoralit joyeuse du Ventre , des jambes y du curet du clief^, toutes deux ont une conclusion iden-tique :

    Les membres divissD'avec le corps sont rendus inutiles.

    Ici, toutefois, il s'agit bien moins d'une imi-tation que d'une parodie, genre que les farceursne ngligrent pas, comme nous aurons encore le faire remarquer. La farce donne un tourgaillard ce que la moralit prend au srieux,et ce seul exemple suffiroit pour bien faire voirla diffrence des deux genres tous ceux quipourroient tre encore tents de les confondre.

    C'est trs-souvent parce qu'ils avoient puis la mme source, plutt que par un parti prisd'imitation, que les diffrens auteurs qui cri-voient pour le thtre arrivoient se rencontrer,comme nous venons de le voir. Pour les mora-lits, on cherchoit des sujets soit dans les romans personnages allgoriques, comme le Roman de

    1. Ancien Thtre, t. i, p. 179.2. Recueil Techener, t. 5.}. Ancien Thtre, t. i, p. 250.4. Recueil Techener, t. 2.

    5. Ancien Thtre, t. 3, p. 300.6. Recueil Techener, t. 4.

  • XX La Farce et la Chanson

    la Rose, soit dans l'histoire, soit encore, et sur-tout, dans les critures. Aussi plusieurs, notreconnoissance, roulent sur le mme thme et ontles mmes personnages. La Moralit nouvelle, etc.,de VAncien Thtre, dans la Bibliothque elzevi-rienne ' , esttire de l'histoire de Joseph, et par con-squent il n'est pas tonnant qu'elle ne soit qu'unesorte de variante de la Moralit de la vemiition deJoseph, fds du patriarche Jacob, etc., dont le princed'Essling fit faire une copie figure. La farce, moins qu'elle n'et t compose, comme celle detout l'heure, avec une intention de parodie, nes'inspiroit ni de l'histoire, ni de la Bible. Lorsquele sujetn'toitpas emprunt quelque aventure dujour, ce sont le plus souvent les contes ou les fa-bliaux qui lefournissoient. Ainsi la Farce nouvellede frre Guillebert, etc. S a son origine dans unconte qui , partir du Pogge, courut longtempstous les recueils factieux. Le conte des trois Bos-sus, devenu la fable 5 de Straparole, donna lieu une farce que Lainez, dans ses notes sur lesFactieuses nuits, disoit avoir vue, et qui n'estautre que la farce des Bossus , imprime lasuite des Rencontres, fantaisies et coq--l^asne fac-tieux du baron de Grattclard^^. Cette farce est enprose, et, comme les autres sans doute, elle n'arevtu cette forme qu'aprs avoir pass par uneautre plus noble, dont une longue popularit aurapeu peu rompu la mesure et us les rimes.

    1. Tome 3, p. 87.2. Ancien Thtre, t. i,p. 30$.3. Paris, de l'imprimerie de Julien, s. d. On vient de

    rimprimer cette farce dans les uvres de Tabarin (ditiond'Harmonvillc

    ,p. 284) , bien que le recueil o elle parut

    d'abord n'ait rien de commun avec ce farceur, et soit mme

  • AU Thtre avant 1660. xxjRabelais parle ' de la farce du Pot au laict

    duquel , dit-il , un cordouanier se faisoyt richepar resverie, puis le pot cass n'eust de quoydisner. C'est encore un conte qui en avoitfourni l'ide 2, conte dont il existoit plusieursvariantes, une entre autres qui , consacre parDes Periers, inspira La Fontaine un de sesplus charmans chefs-d'uvre. Le premier thmeavoit prt le sujet d'un jeu de thtre ; les autreseurent sans doute la mme fortune, et le conte putde cette manire donner lieu autant de farcesqu'il avoit subi lui-mme de transformations. Ilen dut souvent tre ainsi : on le voit par la diff-rence qui existe entre certains contes et certainesfarces sortis videmment d'une mme source.

    L'ide,

    le motif, sont identiques,mais le

    dtail diffre ; les personnages ne sont pasles mmes, et le dnouement n'est pas pareil.D'o cela vient-il ^ De cette multiplicit de va-riantes d'un mme conte dont je viens de vousparler : une seule souvent nous est parvenue

    ,

    et souvent aussi ce n'est justement pas celledont s'toit inspir l'auteur de la farce que nousconnoissons. Dans le Recueil de plusieurs farcestant anciennes que modernes, etc., publi Rouenen 1 6 1 2, chez Nicolas Rousset , il en est une dontil suffira de citer le titre pour vous en dire lesujet : Farce nouvelle et rcrative du mdecin quiguarist de toutes sortes de maladies et de plusieursautres; aussi fait le ns l'enfant d'une femmegrosse et apprend deviner, etc. Ce faiseur deddi Descombes, son rival. Voy. Caquets de l'accouche,p. 102, 231, 278, 28}.

    1. Gargantua, ch. 33.2. Il est parmi les Cent nouvelles de Th. de Vigneulles.

    M. Michelant l'a publi. Voy. \'Athenum, 24 mai 1854.

  • xxij La Farce et la Chanson

    nez est proche parent, si je ne me trompe, decertain faiseur d'oreilles que nous connoissonspar un conte de La Fontaine. Seulement la tradi-tion suivie dans le conte, et que Boccace, ainsi quela reine de Navarre en son Heptameron, avoientdj consacre, n'toit pas celle dont l'auteurde la farce s'toit inspir : de l les diffrences.

    Dans ce mme Recueil de Nicolas Rousset jetrouve encore : Farce nouvelle de deux savetiers,Vun pauvre, Vautre riche; le riche est niarry de cequ'il voit le pauvre rire et se resjouyr, et perd centescus et sa rohbe, que le pauvre gaigne. Tout d'a-bard ce titre me fait penser la fable de LaFontaine /{: Savetier et le Financier; je lis la farce,que les frres Parfaict ont reproduite dans leurHistoire du Thtre-Franois ' , et alors je m'gareau milieu des diffrences sans nombre qui exis-tent entre elle et la fable. Je ne rencontre pres-

    que plus qu'un seul dtail commun l'une et l'autre : les cent cus donns au savetier pauvreet joyeux. Il y a donc l encore un thme primi-tif duquel rayonnrent une foule de variantes :la dix-neuvime Nouvelle de Bonaventure DesPeriers^ en est une, et la fable de La Fontaine,qui a des points de ressemblance avec la Nouvelleet la farce, en est une aussi. Peut-tre drive-t-elle d'une troisime version qui ne nous estpoint parvenue. Il n'y auroit l rien d'impossi-ble : le bonhomme eut en mains tant de chosesque nous ne connoissons plus, et il y avoit en-core en circulation de son temps un si grandnombre de contes populaires dont la traditions'est efface depuis!

    1. Tome 2, p. ]]o.2. dit. L. Lacour, t. 2, p. 91.

  • AU Thtre avant 1660. xxiij.J'en dirai tout autant pour Molire, qui put

    apprendre des gens du peuple de son temps unefoule de choses que ceux d'aujourd'hui ne saventplus, qui put puiser au trsor, maintenant bien sec, de l'esprit populaire, nombre d'inventionset de bons mots que nous y chercherions vaine-ment aujourd'hui.

    Je ne veux pour exemple de ses heureux em-prunts la tradition que la comdie du Mdecinmalgr lui. On va rptant que le sujet en est lemme que celui du fabliau du Vilain mire ; soit,mais il faut ajouter que ce fabliau, qui est duXlle sicle, n'avoit pas encore t imprim dutemps de Molire. Il n'est donc gure possiblequ'il l'et connu, et il faut par consquent quel'ide qui s'y trouve lui soit arrive sous uneautre forme et par une autre voie. Elle dut, mon sens, lui tre transmise ou par quelqueconte de bonne femme, ou par quelque farce,comme il dut tant en voir jouer sur les trteauxde Tabarin, l'htel de Bourgogne , et sur leschafauds des farceurs qu'il rencontra dans sescourses travers les provinces. Lui-mme n'entira d'abord qu'une farce, le Fagotteux, et s'ilprit le parti de la refondre et de la grandir encomdie, c'est qu'il fut tent par le piquant del'invention, par le succs qu'elle obtenoit par-tout, et que, d'un autre ct, sa guerre avec lesmdecins tant engage, il cdoit l'envie de lesflageller dans une uvre plus ample et mieuxarrte. Je serois tent d'en dire autant de GeorgesDandin, dont l'ide mre se trouve dans le Do-lopathos. De l elle passa parmi les contes popu-laires, o nous la retrouvons aujourd'hui encoremise en mauvais vers, el illustre d'une mauvaise

  • XXIV La Farce et la Chansongravure. C'est sous cette forme qu'elle dut d'a-bord arriver Molire, moins pourtant qu'il nel'ait connue par les contes de Boccace, on il s'entrouve aussr une variante; mais je pencheroisplutt pour la tradition populaire. Molire, eneffet, mit une premire fois cette invention enoeuvre une poque o la source des imitationstrangres ne devoit pas s'tre encore ouvertepour lui. Avant de devenir une comdie, le vieuxconte avoit t une farce entre ses mains : la Ja-lousie du Barbouill ' avoit prcd Georges Dan-din, comme le Fagotteuxprca le Mdecin malgrlui.

    Pour un scne du Dpit amoureux^, on dit queMolire a imit le Pdant jou, de Cyrano de Ber-gerac 5; puis, faisant de mme celui-ci un procsde plagiat, on vient dire que, de son ct, il s'estinspir en cet endroit du Mystre de saint ChristofJe,lgamment compos en rimes franoiscs et par per-sonnages, par maistre Chevalet. Il est vrai que lascne de Molire reproduit quelques traits de cellede Cyrano, et que celle-ci ne ressemble pas mal celle du Mystre; mais si je vous accorde quel'auteur du Dpit amoureux a fait un emprunt

    1 . Barbouill se disoit pour enfarin. Les farceurs de l'htelde Bourgogne, dont la plupart jouoient avec la farine sur levisage, ainsi que nous le verrons plus loin

    ,toient appels

    dans le peuple les Barbouills. Je lis, par exemple, dans leCoq l'asne qui se trouve la fin d'une pice de 1617, lesRapports fait des pucellages estropiez de la plupart des cham-brires de Paris :

    Dj dans l'hostel de BourgogneLes maistres fous sont habillezPour faire voir les Barbouillez.

    2. La 4e du ler acte.5. Acte 2, scne 2.

  • AU Thtre avant 1660. xxvl'auteur du Pdant jou, faut-il, de bonne foi,vous concder aussi le prtendu vol de celui-cidans la pice de maistre Chevalet ? Non. Croyez-moi, Cyrano ne connoissoit d'aucune faon leMystre de saint Christofle, pas plus que maistreChevalet ne connoissoit le Dit du Jongleur dely, o la mme scne se trouvoit depuis troissicles', et qui, je pourrois l'affirmer, n'enavoit pourtant pas eu la primeur. Il ressort detout cela que l'ide comique de cette scne toitde temps immmorial en circulation ; c'toit unde ces lieux communs factieux comme il s'entrouve tant dans le riche trsor de l'esprit popu-laire, caisse toujours ouverte qui n'a de fonds deroulement qu'en monnoies de ce genre : l'un ypuise, l'autre y rapporte, sans que l'on constateni qui a pris, ni qui a rapport; mais en fm decompte, malgr cette irrgulire tenue des livres,il se trouve que la caisse ne s'appauvrit jamais,et que le va-et-vient de l'esprit s'y continuetoujours.

    Souvent toutefois, pardonnez-moi de pour-suivre la mtaphore, souvent la monnoie se d-prcie un peu et perd de son titre tant courirle monde. Qu'est devenue, par exemple, la scnedont je parle, aprs avoir pass par une com-die de Molire.? J'ose peine vous le dire : dechute en chute, elle est arrive au thtre Sra-phin. La fameuse pice du Pont cass, que dureste Rabelais connoissoit peut-tre dj lors-qu'il nous parla du jeu des Ponts cheuz 2, est ledernier chef-d'uvre qui en ait fait son profit.

    1. Voy. l'abb de Rue, Recherches sur les bardes^jon-

    gleurs et trouvres, t. i, p. 185.2. Gargantua, ch. 21.

  • xxvj La Farce et la Chanson

    Afin que vous n'en doutiez pas, je vais vous citerle passage du Dit du Jongleur de ly ; c'est lapremire version connue de ce jeu de thtre, etvos souvenirs d'enfance vous permettront deconstater sans doute qu'elle ditre peu de ladernire, le texte des Ombres chinoises :

    Scignours, cscotez un petit,Si orrez un trs bon desduit

    De un mnestrel que passa la terrePur merveille et aventure qnerre.Si vint de sa Londre en un pre,Encontra le roi e sa meisne.Enour son col porta soun tabourDepeynt de or e riche atour.

    Le roi dcmaund par amour :

  • AU Thtre avant 1660. xxvij O est ly, quy siet ? Sire , sur Veve estiet. Quel est le evve appel, par amour? Uem ne l'apele pas, eynz vient tousjours.

    Tomber de ce dialogue d'un mnestrel avecun roi dans une farce d'ombres cliinoises, la chuteest assez lourde certainement ; mais une grandepartie de la littrature du moyen ge eut, commeon sait, un destin peu prs pareil. Qu'est de-venue la grande pope carlovingienne des OuiUrgfilsAymon 1 Aprs avoir, comme les farces dont jeparle, chang sa forme rime pour un texte enprose, qui se transforme lui-mme chaque g-nration, elle n'est plus depuis longtemps qu'unlivre de colportage. Et V Histoire de Pierre deProvence et de la belle Maguelonne ? Son sort n'apa& t plus brillant ; cependant elle avoit eutous les honneurs littraires , et je penseroismme que ceux du thtre ne lui avoient pasmanqu. Je suis amen le croire par une cir-constance semblable celle qui m'a fait retrou-ver tout l'heure le fragment d'un ^i de jon-gleur dans une farce de Sraphin : j'ai rencon-tr au XVII3 sicle la belle Maguelonne et sonamant chez les Marionnettes ! Or, comme unedcadence implique toujours trs-naturellementune ancienne grandeur, j'ai pens qu'ils n'etoientpeut-tre tombs sur cette scne minuscule qued'un thtre plus lev. Chilliac, dans sa cu-rieuse comdie des Sou^//fur5, imprime en 1694,met en scne un montreur de marionnettes quifait jouer par ses pantins cette amoureuse his-toire.

  • xxviij La Farce et la Chanson C'est, dit cet homme, qui Chilliac donne

    le nom de Colinmatras ', c'est l'enlvement dela belle Maguelonne et de Pierre de Provence.Cette histoire est connue, mais personne ne l'ajamais reprsente si naturellement que moi. Il faut que vous sachiez que, Pierre de Provenceayant oui raconter merveille de la belle Mague-lonne, il chercha l'occasion de la voir, et l'ayanttrouve si belle que rien plus, elle lui donnad'abord dans la visire (// ouvre une bote o sontses machines). Voici Pierre qui donne une au-bade sa matresse; il fait cacher les violons l'entour du logis, crainte qu'ils ne soient dcou-verts du pre de la belle Maguelonne. Voicicomment il jette la bourse la dame d'honneurde sa matresse, afm de la mettre dans ses int-rts. Voil comment son valet s'engage au ser-vice d'un voisin du pre de la belle Maguelonne,afin de lui faciliter l'occasion de voir plus sou-vent sa matresse

    ,etc.

    Resteroit trouver la pice plus srieused'o cette explication pour la montre des ma-rionnettes a pu tre tire, moins, ce qui estaussi trs-probable, que cette pice n'ait pasexist, et que l'homme la curiosit n'ait toutsimplement, pour se faire un texte, analys leroman sa manire. C'est h peu prs ce quefaisoientles joueurs de marionnettes en Espagne,ainsi que nous le voyons par le chapitre du DonQuichotte^ o le hros de la Manche livre unesi grotesque bataille; c'est mme encore ce qu'ilsfont tous les jours : les poupes agissent tant

    1. Les Souffleurs, acte i, scnes 20 et 31.2. Deuxime partie, ch. 25-26.

  • AU Thtre avant 1660. xxixbien que mal sous la main d'un enfant, tandisqu'un aveugle chante ou rcite l'aventure repr-sente, qui est presque toujours une victoire ga-gne sur les Mores ou une lgende de saint ' .

    Si pour ce fait de Pierre de Provence auxmarionnettes, que je n'ai pas cru devoir omettreici, en raison de ce qu'il offre d'intressant pourl'histoire de la grandeur et dcadence des in-ventions littraires, aujourd'hui amusement desrois, demain amusette pour les enfants; si pource roman de chevalerie transport au thtre , iln'y a pas de pices crites chercher, mais seu-lement une tradition constater, pour beaucoupd'autres points de la petite monographie quej'esquisse en ce moment, la recherche que j'in-dique seroit faire.

    Le rpertoire des farces est presque compl-tement perdu. Que possde-t-on, en effet, encomparaison de ce que l'on devroit possder ?Qu'a-t-il survcu de tout ce que l'on sait avoirpositivement d exister ? Dans chaque province,dans chaque.ville au moyen ge se trouvoit une etquelquefois deux ou trois compagnies joyeusesdont les jeux de la scne toient le principal di-vertissement, et qui toutes avoient leur rper-toire particulier. La centralisation n'toit pasplus admise pour les choses du thtre que pourtoutes les autres : on n'attendoit pas, lorsqu'on

    vouloit s'amuser en province, que la pice nou-velle arrivt de Paris ; on la faisoit soi-mme surun sujet et avec l'esprit du cru. Jugez alorsque de rpertoires diffrens, quelle innombrablequantit de Moralits, de Sotties, de Farces! Et

    I. Ch. Magniri, Hist. des marionnettes,

    p. 103.

  • XXX La Farce et la Chanson

    qu'en est-il rest encore une fois ? Presque rien.Il est vrai que la plupart du temps on ne pre-

    noit pas la peine de faire imprimer ces chosesphmres, cres la diable, closes pour lerire d'un jour et destines mourir aprs. Quandil s'agissoit de reprsenter la pice compose parquelqu'un de la bande, le chef apportoit auxconfrres un grand rouleau de parchemin sur le-quel toient peints les diffrens personnages : cha-cun mettoit son nom au-dessous de celui qui luisembloit devoir convenir le mieux sa figure, son organe '

    ; car en ces ges naifs on ne parloitpas encore du talent. Le cahier sur lequel toitcrit le rle lui toit remis, et soyez sr qu'aujour marqu il le savoit, et ne l'oublioit plus. Aquoi bon alors faire imprimer la pice ? Elle n'-toit pas, comme celles d'aujourd'hui, destine courir le monde, devenir la joie ou l'ennui desprovinces, aprs avoir fait biller ou diverti Pa-ris. C'toit un fruit du sol , il devoit y resterattach, et par consquent il toit inutile de semettre en frais pour le faire connojtre au-delde l'espace o il toit n, o il devoit mourir.

    Si la pice mritoit de survivre la folle jour-ne qui l'avoit vue clore ; si mme, aprs avoiramus les pres, elle toit trouve digne d'amu-ser les fils, la mmoire suffisoit pour la fairearriver d'une gnration une autre. Ce genrede transmission toit sans doute fort incompletet peu fidle , les copies et les impressions quifurent faites enfin nous en sont une preuve

    ;

    mais, d'un autre ct, ce qu'elles ont de dfec-

    I. Voy., dans Mmoires de Miraulmont, un arrt du Par-lement du 14 juillet 1548, rapport au chapitre du Roy dela basoche.

  • AU Thtre avant 1660. xxxjtueux est un argument en notre faveur : destextes ne peuvent tre aussi mauvais que lorsquela mmoire en a t longtemps l'unique dposi-taire. Jusqu'au commencement du XVI le sicle,on ne s'en confia qu' elle seule le plus souvent,et de l vient que tant de pices, mme de cettepoque, ont t perdues. Hardy en a\oit dit-onfait huit cents ' ; or, c'est peine s'il en a survcuquarante, et en quel tat encore, avec queltexte*! Il esta peu prs certain que la plupartde celles qui restent ne nous sont parvenues qued'aprs de dplorables copies

    ,

    qui furent sans

    doute prises au vol pendant une reprsentationpar quelque acteur appartenant une troupe ri-vale de celle dont Hardy toit le pote gages '.Une pice alors, du moment qu'elle avoit tjoue, devenant la proprit de tout le monde 4,on comprend que les comdiens fussent ardens se faire de pareils larcins, et que d'un autre ctles auteurs de thtre eussent intrt ne laissercourir aucune copie de leurs oeuvres, et surtout ne pas les imprimer.

    Molire lui-mme en toit l. C'est malgr lui,par exemple, et seulement parce que ds copiesdfectueuses en couroient dj, qu'il prit le partide publier sa comdie des Prcieuses et ensuitecelle du Cocu imaginaire. Pour celle-ci, un cer-

    I. Scudry, la Comdie des comdiens , 163 J, in-8, p. 25..2. Voy., ce sujet, quelques notes du Catalogue So-

    leinne, t. i, p. 201, n"' 958, 961

    .

    3. Voy., ce sujet, le Page disgraci de Tristan l'Her-mite, ch. 9, et la Clef, la fin de l'ouvrage.

    4. Voy. les excellents articles de M. Taschereau sur latroupe de Molire , feuilletons de ['Ordre du 1 1 dceml^rc1849 au II mai 1850, passim\ et Guizot, Corneille et sonfm;)^, 1852, in-8, p. 137, note.

  • xxxij La Farce et la Chanson

    tain M. de Neufvilaine, obissant l'usage, etrien ne lui en contestant le droit, puisque laproprit littraire n'toit pas encore invente,s'toit cru permis de saisir le texte au passage,pendant la reprsentation, et de le faire impri-mer de mmoire '.

    L'audace toit grande; mais Molire ne sefcha point: il connoissoit la coutume. D'ailleurs,de la part de M. de Neufvilaine, qui , n'tant pascomdien, nepouvoit pour son compte tirer partidel pice imprime, c'toit pour ainsi dire unegnrosit gratuite; il n'avoit d agir ainsi quepar amour de l'art, et non pour le profit : lespices de thtre toient une si mauvaise mar-chandise, ou, pour parler comme le libraire Mar-tin Collet , dans l'avertissement de la pastoralede Pinline, ou rAmour contraire, qui se vendoitchez lui en 1650, il se trouvoit si peu de per-sonnes qui eussent la curiosit d'en acheter !

    Vous voyez par tout cela que, si beaucoup depices dramatiques furent composes depuis lemoyen ge jusqu'au temps de Molire, peu, selonmoi, durent treimprimes. Il falloitpour qu'on sedcidt les livrer l'impression un motif particu-lier : un intrt religieux, comme pour la plupartdes Mystres, qu\, malgr leur longueur, semblentpresque toujours avoir t publis de prfrenceaux farces, mme les plus courtes; un intrtmoral, comme pour les moralits, telles que celled'une pauvre fille villageoise...; faicte la louange

    I. L'dition du Malade imaginaire donne en 1674 chezDaniel Elzevier est dans le mme cas : l'diteur dclare dansl'avertissement ne devoir sa copie de la pice qu' un effortde la mmoire d'une personne qui en a vu plusieurs repr-sentations.

  • AU Thtre avant 1660. xxxiijet honneur des chastes et honnestes filles ; enfin un butpolitique, comme pour les ouvrages de Gringore,par exemple, dont il se pourroit que Louis XII,voulant agir sur l'opinion publique, se ft fait unutile instrument'. Une moralit rarissime quepos-sdoit M. de Soleinne2,et dont l'esprit servoit lesides de Louis XII contre l'Italie, toit aussi dansles mmes conditions ; en voici le titre : Le Jar-din de Jennes (Gnes), avecqnes la plainte de Reli-gion et le solas de Labeur, compos nouvellement l'honneur du Roy trs-chrestien notre sire le Roy deFrance, et de son Royaulme.

    Quelquefois l'auteur d'une pice, s'il toitriche, comme Jean Parmentier, bourgeois deDieppe, qui composa la Aforalit trs-excellente l'honneur de la glorieuse Assomption, se donnoit leluxe de la faire imprimer; mais je n'ai pas be-soin de dire que c'toit l une exception. Quel-quefois aussi il se rencontroit un imprimeurgalant homme qui faisoit ses frais la publica-tion de l'uvre dramatique: ainsi ce brave JeanMartel, de Bziers

    ,

    qui imprima, en les d-diant MM. les habitants de la ville, lestreize farces, en vers gascons, joues Bziersle jour de l'Ascension, pendant les treize annesqui avoient prcd 1628, poque de la publi-cation.

    Il se pourroit que la plupart des pices conte-nues dans le recueil du British nuiseum, et publiesdans les trois premiers volumes de VAncienThtre franois de \a Bibliothque elzevirienne,dussent d'avoir t imprimes une circonstance

    1. Voy. l'excellente Introduction de M. Ch. d'Hricault,aux uvres rfe Cr/ngore (Biblioth. elzevir.), t. i, p. 17.

    2. Voy. le catalogue de sa Biblioth., t. i,p. i2s,n64).Gaultier Gar^uille. c

  • xxxiv La Farce et la Chanson

    semblable. Sur les soixante-quatre qui composentce recueil, il en est quinze que nous savons,d'aprs une indication certaine, avoir t impri-ms Lyon, de 1 542 i\ 1 548. Il est peu de villesqui pourroient, la mme poque, nous en offrirautant en si peu d'annes ; mais voici peut-trece qui expliquera cette abondance : Les ou-vriers imprimeurs , comme on sait , ont eu detout temps une vive prdilection pour les jeuxde thtre; or, en plein XVIe sicle, c'est--dire l'poque o furent imprimes ces farces,une confrrie de joyeux drles eux-mmes sedonnoient ce nom existoit Lyon, et s'bat-toit certains jours, sous le titre de Suppts duseigneur de la Coquille. Chaque anne quelquefarce nouvelle siarnaloit leurs battements , et

    ,

    comme ils avoient l'imprimerie en main, ils nemanquoient pas de donner de la publicit cesfolies. C'est ainsi qu'en 1 06 ils publirent leRecueil faict au rray del Chevauche de l'Ane ; en1 58 1 , le Plaisant devis des Supposts du seigneur dela Coquille, rcit publiquement le deuxicsine may;en 1 589, le Plaisant devis en forme de coq l'asnerecitez par les Supposts du seigneur de la Co-quille, etc., etc. En tte du petit livret de Plai-sants devis qu'ils tirent paroitre en i ^94, il est ditque l'intention des confrres toit de renouvelercette anne-l plus que jamais leurs ancienneset de temps immmorial observes coustumesde donner quelque allgresse au peuple lyon-nois. . . Il ne faut donc pas douter, d'aprs cettemention, que cinquante ans auparavant, c'est--dire aussi bien en 1 ^42 qu'en 1 548, ils jouoicntdj des farces certains jours. Pourquoi cellesdu British musum ne seroient- elles pas du

  • AU Thtre avant 1660. xxxvnombre ? Il en est une entre autres, Sermon joyeuxet de grande value ', monologue farci de latin, quine diffre pas beaucoup des plaisants devis quenous leur voyons rciter plus tard, et qui par sonlatin mme devoit convenir cette confrrie deproies et d'ouvriers instruits. Je ne serois pas sur-pris que ce plaisant soliloque, plus ou moinsrajeuni de forme , se ft conserv jusqu'auXVIIe sicle dans la mmoire du peuple de Lyon.Molire, lors du sjour qu'il fit dans cette ville, apu l'entendre rciter ; et il me semble en effets'en tre inspir pour un autre monologue, celuide son Cocu imaginaire.Ce qui me feroit volontiers penser que nous

    avons affaire dans ces farces aux suppts de l'Im-primerie, c'est que d'abord ceux qui les jouentse donnent, comme l'toient ceux-ci, pour dejoyeux confrres , et non pas pour des bateleursmercenaires. Messieurs del Coquille nous disent,en 1594, qu'ils veulent donner allgresse aupeuple de Lyon; et nos farceurs de 1 542 nousont dit mainte fois qu'ils n'ont, eux aussi, que desintentions de passe-temps ; ils s'amusent et cher-chent amuser ceux qui veulent bien les couter :

    Ce n'est pas par illusionCe que avons faict, ni par tens;Ce n'est que pour passer le tempsEt resjouyr la compagnie *.

    Ailleurs ', et, bien que la farce cette fois neporte pas mention de la ville o elle fut impri-

    I. Ancien Thtre, t. 2, p. 207, 211.j. Ancien Thtre, t. 2, p. J25.j. Ancien Thtre, p. 372.

  • xxxvj La _Farce et la Chansonme, ce sont encore eux certainement , ailleursils ont ainsi termin leur jeu :

    Nous vous prions hault et bas,Pardonnez aux genilz enfantsDe cette ville, qui ces esbatzOnt voulu faire en passant temps.

    Une autre particularit m'assure presque dansl'opinion que les joyeux drles qui viennent denous parler se recrutoient dans la corporationdes imprimeurs. Quand il se trouve la tin deces farces une mention du lieu d'impression, elleest toujours singulire, mon avis : Imprimnouvellement Lyon, en la maison de feu BarnabeChaussard. Quel est ce dfunt ? Sans doute unimprimeur. Et d'o vient qu'aprs sa mort onimprime encore chez lui ^ Ne seroi-ce pas quenos Confrres de la Coquille ont, avec l'argent dela compagnie , achet de la succession du morttout le matriel ncessaire pour imprimer leurrpertoire, et gard cet effet un logement danssa maison ^ Plus tard ils s'imprimoient encoreeux-mmes, mais le chef le dclaroit hautement;On lit sur le livret dont je parlois tout l'heure :A Lyon, par les trois supposts : ou bien Imprim Lyon par le seigneur de la Coquille; ou bien en-core : A Lyon

    ,

    par les supposts de l'Imprimerie.Il est certain que les confrries joyeuses qui

    n'avoient pas, comme celle-ci, sous la main lesressources d'une impression faite en famille, sedonnrent rarement un pareil luxe de publication.Toutes avoient leur rpertoire cependant, commeje vous l'ai dit; mais chez toutes il se gardoit enmanuscrit, ou confi A la fidlit douteuse de la

  • AU Thtre avant i66o. xxxvijmmoire. C'est ainsi que si peu de chose nousen est parvenu.

    Avons nous rien des Connuyaux de Douai ? et, sice n'est un rcit manuscrit de la Cour amoureuse,que nous est-il rest des Rois de l'Epineite Lille ' ?Les suppts du prince de l'Etrille -, ceux de Vabbde l'Escachc

    ,

    qui s'battoient aussi en quelquecoin des Flandres 5, ne nous ont rien transmis,non plus que le Recteur des fous Poligny4. Aumidi et dans le centre, la rcolte des farces n'estgure plus abondante : rien des Princes des nou-veaux maris, ou VAbbat, qui tenoit ses assises Castellane ; rien de ces diableries en geste etlanguaige poitevin n que, selon Rabelais

  • xxxviij La Farce et la Chanson

    Je ne vous avoys oncques puis veu quejouastes Montpellier avecque nos anticquesamis... lamoralle comdie de celluyqui avoit es-pousune femme mute. J'y estois, dist Episte-mon. Le bon mary vouloit quelle parlast. Elleparla par l'art du mdecin et du chirurgien

    ,

    qui

    uy couprent ung encyliglotte qu'elle avoit soubsla langue; la parole recouverte, elle parla tant ettant que son mary retourna au mdecin pourremde de la lui faire taire. Remde unicqueestre surdit du mary contre cestuy interminableparlement de femme. Le paillard devint sourd,par je ne scay quel charme qu'ils feirent. Puisle mdecin demandant son salaire, le mary res-pondit qu'il estoit vrayment sourd , et qu'il n'en-tendoit sa dem-ande. Je ne ris oncques tant queje feis ce patdinage ' .

    La clbre confrrie de Vahb des Conards, deRouen, devoit certes avoir aussi un rpertoire defarces. Eh bien! sans le prcieux manuscrit LaVallire, nous n'en possderions peut-tre au-cune. Dans le nombre de ces pices, dont la plu-part sont rouennoises ^ , il en est une dont lesderniers vers ne permettent pas de douter queles farceurs qui les jouoient toient de la con-frrie que je viens de vous nommer. S'en trouve-t-il d'autre ? Je ne sais ; il n'existe de preuves quepour celle dont je parle : La farce des Veaux, lafin de laquelle le Badin dit ses confrres :

    Conars, ays subvenir

    1 . Ceci rentre en effet encore dans ces imitations du Pa-telin dont nous parlions tout l'heure.

    2. M. A. de Montaiglon, qui va publier une nouvelle etsrieuse dition de ce recueil, en donnera des preuves vi-dentes.

  • AU Thtre avant 1660. xxxixA l'abb et ses Conardeaux ;Pays la disme de vos veaux;Sy n'estes de payer dispos,Vous serez certes contra nos.

    Par ce qui prcde, nous avons voulu prouverque le nombre des farces imprimes est moinsconsidrable qu'on ne seroit tent de le croired'aprs ce que l'on sait de l'norme quantit despices de ce genre qui durent tre joues aumoyen ge par toute la France. Dieu nous gardetoutefois d'avoir voulu donner entendre que lenombre des farces imprimes qui nous reste soiten rapport avec celui qui nous manque. Nous nedevinons que trop bien tout ce que nous avonsperdu. En maint endroit, nous avons trouvcites des pices dont il n'est pas rest trace.Borel, dans son Trsor des recherches et anti^uitezgauloises et franaises

    ,fait mention de la Farce

    des fds sans pre , et de Colin chang au moulin ;qu'est-elle devenue? Louis Guyon, en ses Di-verses leons '

    ,

    parle aussi d'une autre farce joueen son temps. Il s'agissoit d'un pauvre avocathypocondre, dont le mal toit de se croire dfunt,et qui, ce titre, refusant toute nourriture, seroitenfin rellement mort de faim, si un neveu de safemme, qui feignit d'tre trpass, ne lui etprouv en mangeant auprs de lui qu'on faisoitdes repas de bon vivant dans le royaume sombre. Cette histoire, dit Louis Guyon, fut rduite enfarce imprime, laquelle fut joue un soir devantle roi Charles neuvime, moy y estant. Maiso se trouve maintenant cette farce imprime ?Rotrou semble s'en tre inspir pour sa tragi-

    I. Liv. 2, ch. 25.

  • xl La Farce et la Chanson

    comdie de l'Hypocondriaque, et depuis lui, pointde nouvelles. Carmontelle l'imita dans un de sesplus jolis proverbes, la Dictte ' ; mais il est pro-bable que, comme nous, il ne la connoissoit quepar l'analyse qu'en a faite Louis Guyon.

    Il existe des listes entires e farces imprimesdont pas une ne nous est parvenne. Ainsi dansla pice du Vendeur de livres, du manuscrit La Val-lire, le libraire, faisant son cry, c'est--dire sonannonce, sur la scne, nous dfile tout un chape-let de ce genre, capable de faire mourir de regretun bibliophiio ; de toutes celles qu'il nomme, au-cune, sauf la dernire, ne semble avoir survcu ^.

    V'oici, dit-il,

    La Farce Jenin aux sizeaux.

    Puis encore :J\iy la farce

    Des Femmes qui ont la langue arseQuand ils blasonnent leurs marys.

    Et un peu plus loin :

    Vouecy la farce Jehan Loyson

    De ceulx qui ont le feu au culVcula la farce

    La farce des Nouveaux Ponus,Et le Depucelleur des nouriches.

    Ce n'est pas tout; jusqu' l'poque o Le Du-chat fit l'annotation du Dictionnaire tymologique

    1. uvres de Carmontelle, 1781, t. 8, p. 31.2. On trouve , en effet , dans les pices qui sont la suite

    de l'dition rarissime des uvres de Coquillart, Paris, 1597,in-8, le Sermon du dlpuccleur de nourrices.

  • AU Thtre avant 1660. xljde Mnage, on connut un volume dans lequeldvoient se trouver des myses, des sotties, desfarces, etc., et dont il est peu prs certain qu'iln'existe plus aujourd'hui un seul exemplaire. LeDuchat, et Dassoucy, qui en a aussi parl, commenous verrons, le dsignent sous le titre de Re-cueil des Pois pilez, ou simplement les Pois pilez;or, par ces mots on entendoit alors un mlange,un salmigondis ' : il devoit donc y avoir de toutdans ce recueil, de mme que sur la scne dontil contenoit sans doute une partie du rpertoire, etqui son nom de thtre de l'htel de Bourgognesubstituoit souvent celui de thtre des Poispiles *; on devoit se livrer une grande diversitde jeux et de farces, de prologues factieux,plaisans devis, et chansons. On trouve, dit LeDuchat, de l'argot dans... le Recueil des Poispiles. Ce qui semble indiquer qu'entre autreschoses, comme je l'ai dit, il renfermoit des farces,et mme aussi des mystres, car l'argot manquerarement dans ces drames sacrs. Quant cesdernires pices, d'ailleurs, ce que cite Das-soucy de l'introuvable bouquin prouve de restequ'il en contenoit : C'toit, dit-il, le Christqui prenoit cong de saint Mathieu. Et lasuite il donne ce curieux dialogue, tout en assu-rant qu'il l'a tir textuellement du volume 5 :

    1 . Le passage suivant d'une lettre de Malherbe Peiresc(p. 24 du Recueil publi par Biaise) ne laisse aucun doutesur cette signification : C'est assez, Monsieur, dit-il; ilfaut finir mes fcheux discours, qui sont plutt pois piles,c'est--dire une pure, un salmigondis, qu'une lettre.

    2. Voy. Brantme, uvres, dit. du Panthon, t. i,p. }$7; le Baron de Fteneste, dit. Mrime, p. 155, elleParnasse satyrique, p. 157.

    3. Aventures burlesques de Dassoucy, d. Co\om\>ey, p. 508.

  • xlij La Farce et la ChansonC. Adieu, Mathieu.M. Adieu, Dieu.

    C. Prends ta lance et ton pieuEt t'en ras en Galile.

    M. Prcndrai-je aussy mon pe?C. Et quoy donc?M. Adieu donc.

    Dassoucy, qui avoit la prtention de faire riretout le monde par son burlesque, s'merveilloitde ce qu'un pareil langage prt des per-sonnes clestes et pu jamais amuser quelqu'un

    ;

    mais ce qui Ttonnoit bien plus, c'toit d'avoir vuvendre vingt pistoles, un encan, le livrequi contenoit ces inepties.

    Dans tout ce qu'il vient de dire, c'est ce faitoui me frappe le plus, et je me hte d'en pren-dre note. Puisque vers 1650 un recueil defarces et de mystres atteignoit lui seul dansune enchre le prix de deux cents livres, il fal-loit que les volumes de ce genre fussent dj bienrares, et je cesse par consquent d'tre surprisqu'il n'en existe plus. D'un autre ct, j'y trouvela preuve de l'abandon dans lequel toit peu peu tomb cet ancien rpertoire des farces etmystres. Possdera prix d'or un seul des exem-plaires qui eussent surnag dans ce naufragetoit dj pour les bibliophiles un luxe, et le fairerimprimer petit nombre une manie. Le vo-lume des uvres de Coquillart cit tout l'heureen note est, entre autres, un exemple de cesrimpressions d'amateur faites la fin du XVIesicle '.

    I. Pour le dtail de ce volume, o se trouvent Patelinet plusieurs autres farces, voyez le Catalogue SoUinne, t. i,p.. 139, 140.

  • AU Thtre avant 1660. xliijS'il nous falloit de nouvelffs preuves de cette

    raret des farces imprimes quand arriva le mi-lieu du X\'lle sicle, raret qui tmoigne du dis-crdit dans lequel cet ancien rpertoire toittomb chez le peuple, et qui justifie Tempresse-ment des amateurs en recueillir les dbris

    ,un

    passage de la comdie 'Alizon ' me les fourniroit.Tout l'heure nous avons entendu le cri d'un

    marchand de livres de la fin du XVe sicle; iln'avoit que des farces, pour ainsi dire, annon-cer et offrir. coutons maintenant un colpor-teur du temps des derniers bouffons de l'htelde Bourgogne , et dans sa rclame faite pleingosier nous ne trouverons pas un titre e farces :J'ay, dit-il,

    J'aytousjours quelque chose avecqne quelque chose.J'ay des livres icy tant en rimes qu'en prose :

    Le Duel de deux gueux dedans le Praux Clercs,J'ay les Noms des filoux, la Misre des clercs;J'ay les nouveaux dits, les nouvelles gazettes

    ,

    J'ay la Commodit des bottes ^ et des garsettes,J'ay le remde aussy pour les pasles couleurs,J'ay l'Amour des sergens, la piti des voleurs;J'ay tous les complimens de la langue franoise,La perte depuis peu d'une jeune bourgeoiseAu quartier que chacun nomme des Gravilliers;J'ay le Contrat pass dedans Haubert-VilliersEntre Gillot Grand-Jan et Gillette Ventrue;J'ay le cruel combat d'un cinge et d'une grue

    ,

    J'ay grande quantit de bons livres nouveaux;J'ay la Manire aussy comme on svre les veaux,

    1. Acte I, scne 2.2. Proprit des bottes en tous temps. Voy. les Varits

    histor. etlittr., t. 2, p. 237.

  • xliv La Farce et la Chanson

    Arec le Testament ou bon Gaultier Garguille ';

    J'ay le Galand qu'il faut toute belle t'ille.Voicy /'Invention pour prendre toutes mains,Utile aux procureurs autant qu'aux mdecins.J'ay le Pouvoir qu'on donne chacune servanteDcoucher au grand lit quand madame est absen-J'ay les Perfections de la dame Alizon [te*.Pour captiver chacun de sa belle prison.Dans un petit cahier, j'ay la Bont des femmes;J'ay toute leur malice, en trois ou cjuatre rames;J'ay la mthode aussy pour gagnerforce escus ;J'ay les listes icy des garces, des cocus,Et l'art de les trouver nuit et jour sans lanternes;J'ay comme il faut sortir sans payer aux tavernes.

    Ainsi , vous le voyez,

    pas une farce dans laballe de ce colporteur parisien ; mais en revanche,si vers le mme temps vous eussiez rencontrquelque colporteur de province, de Lyon, deRouen ou de Troyes, il vous en et certaine-ment offert. C'est l seulement qu'il s'en imprimeet qu'il s'en vend encore pendant la premiremoiti du XVIIe sicle.A Rouen surtout, il y a grand dbit de ces

    vieilles gaiets. Chaque fois que la guerre civilemet la France en dtresse, soyez sr que si l'onrit encore un peu, c'est Rouen. Tous les far-ceurs qui ont fui Paris se sont rfugis lu : pen-dant la Ligue nous les y trouvons ; pendant laFronde, ils y seront encore :

    Dedans Rouen il ont fait leu retraitte

    ,

    Ces Gilles niais y sont leu goguette ,

    1. C'est la pice donne plus bas, p. 149.

    2. Permission donne aux servantes de coucher mec leurmatre. Voy. les Varits histor. etlittr.,l. 0, p. 29.

  • AU Thtre avant 1660. xlvQui se moquent de nous asseurement.Notie pain bis leur zest pain de Gonesse.Qui fait cliela y vayent asseurementRouen en jouais et Paris en tristesse '

    .

    J,-B. Behourt et Jean Oursel l'an font cequ'a fait avant eux Abraham Cousturier : ils im-priment et vendent Rouen des farces qui netrouvent plus Paris ni imprimeurs ni acheteurs.A Lyon, Jean Marguerite et Pierre Rigaud fontde mme; et enfm Troyes, de 1624 1628,Nicolas Oudot prte sa boutique et ses presses quelques dbris du pauvre vieux rpertoire dontpersonne ne veut plus.

    La renaissance et le got de la littrature an-tique, mise par elle la mode comme une nou-veaut, furent pour beaucoup dans le discrdito la farce toit tombe, surtout Paris. Aprsle redoublement de succs que nos anciens jeuxde thtre avoient eu sous Louis XII, qui, saufl'insolence contre les dames, leur permettoittout,par gard pour la vrit et les bons conseils quitrouvoient l seulement se faire jour ^ ; aprs

    1. La Muse normande, vingt-septime partie, 1651,p. 463,464.

    2. En France, dit Jehan Bouchet, en ses Epitres fami-lires

    ,

    En France, elle a de Sottie le nom,Pour ce que sotz sont gens de graid renom,Qui Paris jouent les grans foliesSur eschaffaulx , en paroles polies.Le roi Louis douziesme desiroitQu'on les jouast devant luy, et disoitQue par tels jeux il savait mainte fauteQu'on luy celoit par surprise trop haute.

    Voy. aussi les Sries de G. Bouchet, 1635, in-8, densimepartie, p. 18.

  • xlvj La Farce et la Chanson

    que cette faveur se fut continue sous Fran-ois 1er, mais avec un mlange de rigueur de sapart, car, si un jour il payoil grassement Ponta-lais, le farceur', une autre fois, pour quelquesmots trop hardis , il le faisoit mettre en prison

    ,

    lui ou matre Cruche 2, son compre, commebouffon et bon facteur 5 ; enfm , aprs une sortede renaissance, signale par la mise au jourd'une foule de farces nouvelles et le rajeunisse-ment des anciennes 4, mais qui fut bien ph-mre toutefois, puisque celle qui devoit tuer lafarce la suivit immdiatement, on vit le vieuxgenre dcrotre peu peu sous le ddain et s'a-bimer dans l'oubli.

    D'abord elle perdit son nom pour prendre ce-lui, plus antique et partant plus nouveau , decomdie J ; ensuite on se mit trouver qu'elletoit d'invention grossire et de forme triviale.N'toit-ce pas piti qu'une nation aussi polieque lafranoise prt plaisir de tels amusemens? Mieuxvaloit cent fois les tragdies la grecque et lescomdies la faon de Trence et de Plante.Voil ce qu'on disoit dans le camp de Ronsard,et ce qu'crivirent bientt du Bellay, Jean del

    1. Voy., ce sujet, une prcieuse note de M. L. Lacour,dans les Nouvelles de Des Periers, dit. Jannet, t. 2, p. 154.

    2. Voy. nos Varits hisor. et liitcraircs, t. 7, p. 166-

    167, note.

    j. Grognet le met au nombre de ceux qui il donne cenom. (A. de Montaiglon, Anciennes posies, t. 7, p. 10.)

    4. Les farces qui composent les trois premiers volumesde VAncien Thtre (Biblioth. elzev.) ne sont, par exemple,selon M. Ch. Magnin, que des copies, remanies au xvr si-cle, de farces plus anciennes d'un sicle ou deux. (Journaldes savants, mai 1858, p. 26$.)

    j. Ch. Magnin, Journal des savants, juillet i8j8, p. 4(0;Ancien Thtre, i. 2, p. 188.

  • AU Thtre avant 1660. xlvijTaille et Jodelle : Quant aux comdies et auxtragdies, lisons-nous dans la Dfense et inlus-tration de la langue franoise, ouvrage du pre-mier, si les roys et les rpubliques les vouloientrestituer en leur ancienne dignit qu'ont usurples farses et les moralitez, je seray bien d'opi-nion que tu t'y employasses, n C'est au lecteurque du Bellay parle ainsi, et encore y met-il unesorte de politesse pour le genre qu'il veut faireproscrire. Jean de la Taille n'a point tant d'-gards; voici ce qu'il dit du haut de son mpris,en tte de sa pice des Corrivaux, qui, l'encroire, est une comdie : Oui, une comdie,pour certain, s'crie-t-il. Vous y verrez nonpoint une farce, ni une moralit : nous ne nousamusons point en chose ni si basse, ni si sotte,et qui ne montre qu'une pure ignorance de nosvieux Franois. Vous y verrez jouer une com-die faite au' patron, la mode et au portrait desanciens Grecs et Latins; une comdie, dis-je,oui vous agrera plus que toutes (je le dis har-diment) les farses et moralitez qui furent oncjoues en France. Aussi avons-nous grand dsirde bannir de ce royaulme telles badineries etsottises

    ,

    qui , comme amres piceries,ne font

    que corrompre le goust de nostre langue. Jodelle, qui, ses prfrences littraires tant

    mme mises part, avoit bien quelque raisonde proscrire les mystres, moralits ei farces, puis-que les confrres qui exploitoient ce vieux genre l'htel de Bourgogne usoient de leur privi-lge pour empcher la reprsentation de sespices partout ailleurs que dans les collges eten province , ne se faisoit jamais faute de dbla-trer contre un rpertoire si peu grec, et partant

  • xlvii) La Farce et la Chanson

    si grossier. Dans le prologue de VEugne^, parexemple , il n'a garde d'y manquer. C'est unecomdie; mais, donne-t-il tout d'abord enten-dre, il a eu soin de s'y carter de la manirebasse et sacrilge de ces bouffons. Elle a tcompose , dit-il

    ,

    Sans que , brouillant avecques nos farceursLe saint ruisseau de nos plus sainctes surs,

    On moralise un Conseil, un Escrit,Un Temps, un Tout, une Chair, un Esprit,Et tel fatras, dont maint et maint folastreFait bien souvent l'honneur de son thtre.

    Il eut beau faire , les confrres de la Passionn'en furent pas moins solides dans leur mono-pole de l'htel de Bourgogne. En 1554, deuxans aprs que Jodelle eut fait jouer au collge deRheims, devant le roi -, la pice dont le pro-logue contenoit cette attaque contre eux, ils ob-tenoient des lettres-patentes qui maintenoientleur privilge, et que deux autres ordonnancesde 1 5 59 et 1 567 dvoient ensuite confirmer. Cen'est pas tout : en 1 584, une troupe de com-diens, aprs avoir jou dans les provinces le r-pertoire des tragiques de la Pliade, s'tant ha-sarde venir en donner des reprsentations l'htel de Cluny, les confrres obtinrent un arrtdu parlement qui les obligea de trousser bagageau plus vite.

    Ils avoient eu un grand succs; mais le lieuchoisi pour les reprsentations, au cur mme duquartier des coles, y avoit t pour quelquechose. Si l'on cherchoit, en effet, pour ce rper-

    1. Ancien Thtre, t. 4, p. 6.2. Pasquier, Recherches de la France , liv. 7, ch. 6.

  • AU Thtre avant 1660. xlixtoire no-grec des spectateurs en dehors du pu-blic classique , on n'en trouvoit encore que d'in-diffrens; il falloitpour les rveiller un peu que,malgr ses dgots, le pdantesque impressariodonnt la suite de son uvre quelque vieillefarce fortement pice. C'est ainsi que Grvin,qui, dans le prologue de sa comdie de la Tr-sorire, devoit aussi s'attaquer aux farces et auxfarceurs, ne ddaigna pas cependant de laisserjouer, aprs la reprsentation de sa pice lesEsbahis, les Jeux satyriques appelez commun-ment les Veanx^ ; c'est ainsi que Jodelle lui-mme crut devoir mainte fois relever par unefarce le divertissement srieux de ses tragdies :Les Folatries de la chambrire Jano rcites aubouc d'Estienne Jodelle en sont une preuve.

    La nouvelle cole, au reste, suivoit en plusd'un point la tradition du genre qu'elle avoit ensi haut mpris. Comme les faiseurs de farces,ses auteurs empruntoient aux vnemens de lavie quotidienrte leurs sujets de pices. Grvinavoue dans le prologue de ses Esbahis ^,

    Comme une chose bien secrette

    ,

    Que cette comdie estfaiceSur le discours de quelqu'amourQui s'est conduite au carefour -

    De Saint-Sevrin

    D'autres, dont il avoit parl auparavant , avoientmis leur scne la place Maubert >. Pour desamis aussi fervents de l'antiquit, c'toit tablirleur thtre bien loin de la Grce et de Rome.

    i. Ancien Thtre,!. 4, p. 223.2. Ancien Thtre, t. 4, p. 229.5. Ancien Thtre, t. 4, p. 228.

    Gaultier Garguille. d

  • 1 La Farce et la Chanson

    La forme qu'ils avoient adopte pour leurs co-mdies n'toit pas non plus diffrente de celledes farces : lisez l'Eugne, de Jodelle, les Es-bahis, de Grvin, la Reconnue, de Remy Belleau,les Dguiss, de Jean Godard ; c'est toujours l'an-cienne mesure, le vers de huit syllabes ou dequatre pieds, comme on disoit alors. Quelques-uns admettent, il est vrai, la forme plus acad-mique du vers de douze syllabes ; mais alors

    ,

    par compensation, ils retombent plus profond-ment dans la farce. La Nouvelle tragi-comique ducapitaine Lasphrise, crite dans le rhythme majes-tueux de l'alexandrin, n'est, par exemple, autrechose qu'une farce. Ce petit drame satirique,dit M. Sainte-Beuve ', dont le sujet rappelle lesNoces de Baschy ou les mauvais tours de Villon,pourroit appartenir aussi bien l'poque de Ra-belais qu' celle de Hardy. Il arrivoit mmeque les nouvelles pices n'toient que d'an-ciennes

    ,remises neuf sous cette forme

    ,

    quiles gtoit et les alourdissoit. La Farce joyeuse etproffitahle un chacun, contenant la ruse, meschan-cet et obstination d'aucunes femmes par person-nages

    ^publie en 1 596, a, dans toute sa pre-

    mire partie , t ainsi maladroitement remanieen vers de douze syllabes.

    La jeune cole, bien qu'elle et mis l'ancienne contribution, comme vous venez de le voir, etqu'elle dt tout le reste aux littratures de l'an-tiquit, se donnoit des airs de nouveaut quifinirent par lui assurer une sorte de vogue. Peu peu l'on prit got aux tragdies et aux com-

    1. Tableau histor. et eritique de la posie franaise et duIhdtre au XVle sicle, Paris, 184^, in-18, p. 241.

  • AU Thtre avant 1660. Ijdies , la condition toutefois que quelques dr-leries seroient donnes au commencement ou la fin du spectacle. Il y eut grande affluenceauxreprsentations des collges, seul endroit o cegenre de jeux dramatiques ft permis. Lesconfrres de l'htel de Bourgogne restrent unpeu abandonns, et enragrent d'autant plusque leur privilge ne leur donnoit pas de prisecontre ces spectacles scolaires. Cependant

    ^

    comme les reprsentations rivales n'avoient lieuqu' certains jours, de loin en loin , ils auroientpu tenir bon , si

    ,

    par malheur, ils n'avoient eutout coup lutter contre une autre vogue bienplus redoutable, car la cour tout d'abord se d-clara pour elle.

    Depuis cinq ans , des troupes de comdiensitaliens , les Comici Coiifuicnti, ayant avec eux labelle Maria Malloni, et les Comici Gelosi, avecOrazio Nobili de Padoue pour jouer Vinamorato,et Lucio Burchiella pour tenir l'emploi de Gra-ziano

    ,

    parcouroient les provinces ', mais n'o-soient approcher de Paris, o les confrresrgnoient en matres. Henri III, qui, sans doute,les avoit vus lors de son passage Venise, oiiils toient retourns aprs une campagne enFrance, eut envie d'attacher sa cour, djtout italienne, l'une des deux troupes, et celledes Gt'/o5/fut mande Blois pour la fm de 1 575.En route un parti de huguenots les arrta et lesmit ranon. Henri III paya la somme, et aumois de fvrier les comdiens librs commen-crent, dit l'Estoile, jouer leurs comdies dans

    1. Voy., ce sujet, un curieux article de M. Ch. Magnin,Revue des Deux-Mondes

    ^ 15 dcembre 1847, p. 1 099- 1 100.

  • lij La Farce et la Chanson

    la salle des Estats Blois. Quatre mois aprs,le 19 mars, ils toient Paris , dont la protec-tion du roi leur avoit sans doute ouvert l'entre,et ils obtenoient un succs immense l'htel duPetit-Bourbon, oi^i, par une autre faveur royale,ils avoient pu dresser leur thtre dans la grandegalerie.

  • AU Thtre avant 1660. liijde loin en loin de pareilles troupes, une en 1 584,une autre en 1 588, qui, aprs avoir attir au roiune remontrance l'ouverture des seconds tatsde Blois, s'attira elle-mme une dfense decontinuer ses reprsentations ; bien que beaucoupde gens pensassent tout bas ce que le morose ha-rangueur des tats avoit dit hautement : Les jeuxdes trangers Italiens sont un grand mal, le couptoit port ; la mode pour les choses de thtrefut ds lors toute l'italienne. C'est vers ce tempsqu'un Florentin, Pietro Giunti, se mit se faireun nom et des uvres, le tout traduit de l'italien.Il se baptisa Pierre de l'Arrivey ', et s'appropriapour les arranger la francoise les pices quiavoientle plus de succs au-cfel des monts 2. Lessix premires parurent Paris chez Abel l'Ange-lier en 1 579, c'est--dire au plus beau momentde la vogue excite par l'apparition de // Gdosi.En 1 6 1

    1

    ,bien que cette mode ft un peu passe,

    comme nous le verrons, il fit parotre ses der-nires pices Troyes, o il toit chanoine del'glise de Saint-tienne. D'autres firent pourla farce ce qu'il avoit fait pour la comdie plussrieuse. On fut alors inond de facties l'iia-lienne, qui prirent sur le thtre la place dessermons joyeux et plaisans devis qui avoient long-temps, de leurs saillies toutes francoises, dfrayla gaiet publique. Pour qu'on juge du nouvel es-prit qui se donnoit ainsi, de par l'autorit de lamode, droit de bourgeoisie en France, il noussuffira de rappeler le Testament solennel du Co-

    1.En italien , arriv se dit giunto.

    2.^ Voy. l'excellente introduction que M. P. Jannet n miseen tte du thtre de l'Arrivey, Biblioth. elzerir.; et Grosley,uvres indites, t. i, p. 19.

  • liv La Farce et la Chansonchon qui se trouve dans le Formulaire fort rcra-tif... faict par Brcdin le cocu ', et qui n'est qu'unetraduction textuelle des Motti di Tomasso Por-cacchi 2- ou bien encore, nous n'aurons qu'citer le sommaire de quelques- unes des haran-gues burlesques qui, aprs avoir couru tous lestrteaux des farceurs de province

    ,furent impri-

    mes Rouen en 1652, chez Denis Ferrand,sous le titre de Regrets factieux et plaisantes haran-gues du sieur Thomassin, comdien, ddi au sieurCaultier-Garguille, in-12: toutes, comme cellesque j'ai mentionnes il n'y a qu'un instant , sonttraduites de l'italien 5. Ce sont : Harangue deM. Pusscau, sur la mort d''un pou de Haulte-gresse

    ;

    Harangue de M. Ciboulle, sur la mort de son asnenomm TravailUn; de Cimaroste, sur la mort d'uncinge; du cur Arlot, sur la mort de sa chouette

    ;

    du sire Bestacol, sur la mort de son agace ou pie;de madame Fleur, sur la mort de son chat Mi-touard, etc., etc.A cette poque, par suite de l'invasion de l'es-

    prit italien, qui tchoit de pntrer le ntre et dese substituer lui, on vit les plus singuliers m-langes, les plus bizarres bariolages : des picesmi-partie franoises , mi-partie italiennes ; desfarces o figuroicnt des types pris chez les deuxpeuples.

  • AU Thtre avant iodo. livcatripa se mit bouffonner de compagnie avec leBadin si fameux es farces de France . L'untoit boiteux, l'autre bossu ; et il toit plaisant devoir faisant ces contrefaits quelque tour dechampicerie sur les thtres'. L'Italien Ta-bary, le Franois Jean des Vignes, toient ausside la partie.

    Le mme assemblage singulier se retrouvoitdans les troupes d'oprateurs, qui s'en alloientpar les provinces amassant la populace parleur musique de violons et farces qu'ils jouoient,aprs quoy ils se mettoient sur la louange deleurs drogues 2. Ainsi, Lyon, en 1621, Bra-quette, charlatan franois, avoit avec lui des co-mdiens venus d'au-del des monts , IsabelleAndreiny 3 et toute sa troupe italienne, et, lit-on dans un livre du temps, il attrapoit beaucoupd'argent, ((tant en montant sur le thtre en laplace du Change pour y vendre ses droguesavec ses bouffonneries, ainsi que ses comdies 4.

    Quelles toient ces comdies ? De vraies picesitaliennes, rarement crites d'avance, presque

    1. G. Bouchet, Sres, liv. 2, ch. 10, p. 2^- V. aussip. Ij6.

    2. C'est ce que dit D. Martin, dans son Parlement nou-veau, etc., ch. 29, propos de Monder et de Tabarin.Comme les oprateurs nomades faisoient en province ce queceux-ci faisoient sur le Pont-Neuf, j'ai cru pouvoir me per-mettre leur sujet cette citation.

    3. La mme qui , en 1 584, n'ayant que vingt-deux ans,toit venue en France

    ,avec Francisco Andreini, son mari,

    dans la troupe dont nous avons parl tout l'heure (Ch.Viagnm , Revue des Deux mondes, 15 dc. 1847, p. i roi).Aprs cette apparition Lyon, en 1621, elle revint Paris.Voy. Caquets de l'accouche, dit. elzev., p. 9, note.

    4. Entretien des bonnes compagnies , la suite du Vaga-bond, Paris, 1644, in-8, p. 99.

  • Ivj La Farce et la Chanson

    toujours donnes ail' improriso, des impromptusenfin, comme Molire devoit tant en jouer, plustard, lorsqu'il couroit les provinces ', et lorsque,tout cette mode, il reprsentoit des farces tellesque le Mdecin volant - et \eCocii imaginaire 'a-prs des scnario italiens ?. Mainte fois mme,comme il le fit encore en 1659, pour plaire Mazarin, on dut le voir se mler dans une pice des acteurs italiens, et y tenir son rle auprsd'eux *. C'est en jouant de ces sortes de farces,dont l'esprit naturel faisoit soudainement et sansprparation tous les frais, qu'il dut acqurir cettefacilit de dialogue qu'on admira toujours enlui , et s'habituer faire parler ses person-nages, au lieu du langage des vers, qui est toutde convention, celui de la prose, bien plus natu-rel et primesautier.

    Les auteurs, en petit nombre,

    qui l'avoient

    adopt avant lui , avoient aussi subi en cela

    1. Mervesin, Hist. de la posie franc., i-]o6,'m-i2, p. ii-j.2. Sarasin, dans son pistre au comte de Fiesque, parle

    d'une farce de Mdecin volant que jouoient les Italiens. Ildit propos de l'htel de Bourgogne , oii , comme nous leverrons , les Italiens donnoient des reprsentations de sontemps :

    Toujours y sont farceursItaliens

    ,bons et beaux gaudisseurs.

    Toujours y sont le fameux Scaramousse,Grand mdecin qui ne va pas en housse,Mais vole en l'air comme un esprit malin.

    {Les uvres de M. Sarasin, 1696, in-8, p. jS6. Voy. aussi

    Hist. du thtre italien, p. 215.)3. Il est pris d'un Cane\'as italien jou Vimpromptu,

    lequel a pour titre : // Ritratto ou Arlichino cornuto peropinione.yt [Mercure, mai 1740, p. 323.) Pour d'autres em-prunts faits par Molire au rpertoire des Farces italiennes,voy. Cotolendi, le Livre sans nom , 169J, in-12, p. 6.

    4. Loret, Muzc histcr., 31 mai 16J9.

  • AU Thtre avant 1660. Ivijl'influence italienne. Quand voyons-nous, eneffet, parotre sur notre thtre des pices enprose ? A l'poque mme o // Gelosi nous visi-trent pour la premire fois. Nous n'en avionspas eu avant la Lucellc de Louis Le Jars; or cettetragi-comdie en prose est justement de 1 576,anne de la venue de ces trangers '. Pres-qu'ausitt aprs ce fut le tour des comdies deL'Arrivey, qui, je n'ai pas besoin de le rpter,furent faites sur le modle des improvisades ita-liennes '. Ensuite vinrent, en 1599, VAngliquedu sieur L. C; puis, en 1608, les Bravacheriesdu capitaine Spavente, par J. D. F. P., toutes deuxen prose et traduites de l'italien

    ,l'une sur le

    texte de Fabrice de Fournaris, l'autre sur celuide Francesco Andreini. Ce qu'il ne faut pas ou-blier de faire remarquer, c'est que les initialesJ. D. F. P. qui servent de signature la se-conde de ces traductions cachent le nom de l'undes confrres de la Passion : Jacques De Fonteny,Parisien 5. La confrrie, d'abord si hostile lamode italienne, avoit donc enfin cd ; elle su-bissoit l'influence , et, pour commencer, elles'ap-proprioit, par la plume de l'un de ses membres,le rpertoire des comdiens qu'elle avoit tent defaire proscrire.

    Cet accord inattendu , cette association de

    1 . Voy. la Prface de cette pice,o l'auteur explique

    pourquoi, ayant reprsenter les actions humaines, il luysemble plus sant les faire rciter en prose qu'en vers;parce que ngotiant les uns avec les autres, l'on n'a pas ac-coutum de parler en rhithmes, encore moins les vallets,chambrires et autres leurs semblables.

    2. Rathery, Influence de l'Italie sur les lettres franaises,p. 121.

    3. Voy. sur lui nosVar.histor. etlitt.,t. s, p. 59-62, note.

  • Iviij La Farce et la Chanson

    l'esprit des deux peuples , fut fait un peu enhaine d'une troisime nation qui pesoit tyranni-quement alors sur l'un et sur l'autre. Les Espa-gnols toient excrs partout, aussi bien en Ita-lie, o on les connoissoit depuis longtemps

    ,

    qu'Paris, o les malheurs de la Ligue leur avoientpermis de s'tablir en matres, et o dj on lesconnoissoit trop. Se bien entendre pour se mo-quer d'eux

    ,faire fonds commun d'esprit pour les

    tourner en ridicule, toit de bonne guerre, et c'estce que firent en effet de compagnie les Italiens etles comdiens franois de l'htel de Bourgogne.Les uns composrent la pice, les autres la tradui-sirent et la jourent. Le personnage ridicule del'Anglique, dont nous avons tout l'heure men-tionn la traduction franoise , est un matamoreespagnol , le capitaine Cocodrille

    ,

    qu'on baffoue plaisir durant toute la pice. Le capitaine Spa-vante, dont Fonteny transportoit les bravacheriessur notre scne, toit aussi un capitan d'Espagne,mis pieds et poings lis au pilori des rieurs.

    Les comdiens de l'Htel, une fois cette guerreengage, avec l'alliance offensive des Italiens,allrent un peu trop loin, et ils eurent s'en re-pentir. Non contens de s'attaquer aux fanfaronsespagnols, ils s'en prirent aussi aux chefs de laLigue, Mayenne entre autres, qu'ils blessrentau vif, dans ce qui pouvoit lui tre le plus sen-sible

    ,son envie de rgner, si insatiable et si

    peu satisfaite. Ils le jourent, disent les Mmoiresde Nevcrs^, en la personne d'un certain roi Ma-briani, qu'ils avoient install sur un sige royal,avec des crmonies ridicules. Le chef des 11-

    I. Tome 2, p. 82, dit. in-fol.

  • AU Thtre avant 1660. lixgueurs n'entendoit pas raillerie : il fit fermer lethtre, ou, pour parler comme la Mnippe ', ildfendit les jeux de Bourgogne. L'emplace-ment de l'htel lui toit d'ailleurs ncessaire

    f)our la construction d'un nouveau collge quees jsuites demandoient depuis longtemps *. Ilne fut donc pas fch d'avoir un prtexte pourfaire main basse sur la proprit des Confrres.D'un autre ct, en supprimant ce thtre, ilfavorisoit celui des comdiens espagnols quijouoient alors Paris 5 sans beaucoup de suc-cs, et dont je serois tent de croire qu'un cer-tain Juan Ganasa toit le directeur *.

    Quand Henri IV entra dans sa bonne ville

    ,

    l'interdiction qui avoit frapp les comdiens del'htel de Bourgogne fut tout naturellement leve.Il sembla mme alors qu'une re nouvelle com-ment pour eux, et cela tout au profit de l'an-cienne farce franoise. L'esprit du nouveau roitoit fait pour en comprendre la vive gaiet et lafranchise. Sa verve toute rabelaisienne ne pou-voit s'accommoder des prtentions pdantes de lanouvelle cole classique; il ne falloit ni pastorales l'italienne, ni tragdies l'antique, pour ce

    I. dit. 1740, in-8, t. i, p. 198, et t. 2, p. }S6.3. Id., ibid.

    3. Us y toient encore au mois d'aot 1604 (Voy. L'Es-toile cne date).

    4. Il toit en effet vers ce temps-l en France avec unetroupe de comdiens. [Posies de Vauquelin de la Fresnaye,1605, in-8, p. 402.) Il y toit venu aprs avoir longtempsdirig Madrid une troupe italienne. On trouve , dit M. H.Ternaux dans un article relatif au thtre en Espagne pu-bli par la Revue franoise et trangre, t. i, p. 72, on trouvesur les registres de l'hpital gnral que le 1 1 janvier 1 585il touchoit sa part dans les recettes d'une troupe de sauteurs(volteadors) anglois.

  • Ix La Farce et la Chanson

    vert-galant, pour ce diseur de bons mots et debons contes : ce qu'il demandoit, c'toit quelquesscnes grivoises bel et bien ptries dans le vieuxsel gaulois. Aussi

    ,

    je le rpte , il y eut alors uneraction vidente en faveur de l'ancien genre.On rechercha les vieilles farces , on les re-

    mit en nouveau langage et on les rejoua. Larimpression, ou plutt le rajeunissement de laFarce joyeuse.

    .

    . du mary, la femme, le serviteur et leserrurier, que j'ai dj cite plus haut, est de 1 596 ;en 1610, on rimprima aussi, Paris, la Farcejoyeuse et rcrative du Galand qui a jaict le coup

    ;

    Lyon, en 1606, on publia le Valet tout faire,une vraie farce du bon temps; et Rouen, en1 599, cette Farce des Qiiiolars qui sent si bien sonmoyen ge. Le Recueil de Nicolas Rousset dontnous avons dj tant de fois parl est aussi, oupeu s'en faut, de ce rgne, puisqu'il parut en1612. Il m'est vident que les sept farces qui s'ytrouvent n'ont t publies k et mises en meil-leur ordre et meilleur langage que sous l'in-fluence de l'espce de raction et de retour versl'ancienne gaiet, que je crois bon de signaler ici.Elles furent rellement mises en un langage plusaccessible aux intelligences de l'poque ', et celatendroit prouver qu'on les reprsenta certaine-ment sous cette forme rajeunie. Le plus sou-vent toutefois, comme je l'ai dit plus haut, lafarce ancienne ne dut servir que comme cadre,comme ide pour de nouveaux dveloppements,comme canevas pour les broderies d'un nouvel es-prit. Prendre l'ancien patron, le modifier sa

    I . On peut voir la diffrence du texte ancien et du nou-veau dans quelques variantes de la Farce de Thevot le Maire{Ancien Thtre, t. 2, p. 393, 397).

  • AU Thtre avant 1600. Ixjguise et suivant les exigences des actualits mettre en scne , s'en servir pour quelques-unsde ces impromptus crs au jour le jour, que lesItaliens avoient mis chez nous la mode, et donts'accommodoit si bien notre esprit, ami des chan-gements, toient choses en effet plus faciles queces remaniements de textes essays dans le Re-cueil de Nicolas Rousset.

    Nous avons d'ailleurs une preuve que le plussouvent les choses se passoient ainsi.

    Lorsque madame Claude de France, fille deHenri II, dont elle toit le septime enfant, s'toitmarie avec Charles II, duc de Lorraine, les En-fants sans soucy avoient reprsent devant la courune petite comdie, le Pauvre villageois, composepar un pote de la Saintonge nomm J. Quintil ',et dont voici en peu de mots l'analyse :

    Il n'y a dans la pice que trois scnes et troispersonnages principaux : un paysan, sa femme,et un collecteur d'impts que deux sergents ac-compagnent. Le pauvre mnage est en train dese dsoler sur la misre du temps, aggraveencore par les lourdes taxes qu'il faut payer, etpour l'acquit desquelles on a dj saisi tous lesmeubles de la chaumire, y compris le grabat quiservoit de lit. Le collecteur arrive, et chercheavec ses deux sergens s'il ne reste plus rien

    I. Il signoit quelquefois J. Quintil, du Tronssay en Poi-tou

    ,comme on le voit sur un ouvrage de sa faon publi

    Poitiers en 1559, in-8 : La nouvelle manire de faire sonprofit des lettres, traduite du latin en franais, suivie du Fotecourtisan. Je ferai remarquer, en passant, que ce petit ou-vrage de J. Quintil a t, je ne sais pourquoi, comprisdans les uvres de J. du Bellay, auquel on n'a plus cess del'UnhutT.Voy, ses uvres franaises, Rouen, 1597, in-12,p. 270, etc.

  • Ixij La Farce et la Chanson

    prendre. Il est trop tard, dit le paysan, vospareils n'ont rien laiss. L'officier avise un grandbahut sur lequel le pauvre homme et sa femmesont assis : Et ce coffre oi vous seyez, dit-il. Ah! rpliqua le paysan, vous le faut-il aussi ?Et voulez-vous que nous n'ayons plus qu' nousasseoir terre ?

    Le collecteur insiste ; il souponne que ce coffrerenferme quelque chose de prcieux, et il veutl'ouvrir sans tarder. Le villageois et sa femmefont rsistance ; ils refusent de se lever : granddbat

    ,

    qui ne fait qu'exciter encore l'avidit desgens du fisc

    ;plus la rsistance est grande, plus

    ils supposent que le trsor renferm dans le coffresi bien dfendu doit tre prcieux. Ils sont en-fin les plus forts, le coffre est ouvert; et qu'ensort-il ? Trois diables, qui emportent le collecteuret ses sergents '

    .

    Cette farce, qui flattoit si bien la rancune desp