Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

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Centre d’Études Supérieures de la Marine [email protected] Faut-il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ? Juliette DECOLLAND Master de droit Lauréate du prix Daveluy 2011

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Faut-il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ?

Juliette DECOLLAND Master de droit

Lauréate du prix Daveluy 2011

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Faculté de Droit

Faut-il supprimer la limitation de responsabilité

en matière de créances maritimes ?

Mémoire pour le Master 2 « Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques »

Présenté par Juliette DECOLLAND

Soutenu le 9 septembre 2011

Sous la direction de Monsieur Arnaud MONTAS

Année 2010-2011

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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Université

de Nantes.

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REMERCIEMENTS

Je souhaiterais chaleureusement remercier Maître Luc Piéto, ainsi que Messieurs Arnaud Montas et

Patrick Chaumette pour leurs précieux conseils.

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TABLEDESSIGLESETABRÉVIATIONS

CA : Cour d’appel

CC : Conseil constitutionnel

Cass. : Cour de cassation

Civ. 1ère : Cour de cassation, 1ère chambre civile

Ch. Mixte : Cour de cassation, chambre mixte

Com. : Cour de cassation, chambre commerciale

Crim : Cour de cassation, chambre criminelle

D : recueil Dalloz

DMF : revue du Droit Maritime Français

DTS : droit de tirage spécial

JO : Journal Officiel de la République Française

JCP : Juris-Classeur périodique

Lebon : recueil Lebon

OMI : Organisation Maritime Internationale

TC : Tribunal de commerce

REDE : Revue Européenne de Droit de l’Environnement

RCA : Responsabilité civile et assurances

RTD Civ. : Revue Trimestrielle de droit civil

Soc. : Cour de cassation, chambre sociale

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ..................................................................................................................................................6 PARTIE I : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE ............................................................................................................................................ 17

TITRE I: RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DU RISQUE MARITIME.............................................................................................................................................. 18

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de mer couru par le navire. ............. 18 Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence de risque maritime. ................... 28

TITRE II : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DE L’INTERET GENERAL.......................................................................................................................................... 37

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère d’intérêt général des activités maritimes. ...................................................................................................................................................... 37 Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en présence d’un intérêt supérieur ou exclusif de l’intérêt général. ...................................................................................................................................... 46

PARTIE II : PARVENIR A UNE MEILLEURE REPARTITION DU RISQUE MARITIME............. 53 TITRE 1 : LE DESAVEU D’UN SYSTEME INEGALITAIRE DE LIMITATION ......................................................... 53

Chapitre 1 : Une répartition déséquilibrée du risque de mer.................................................................... 54 Chapitre 2 : Tentatives jurisprudentielles de neutralisation du système. ................................................. 58

TITRE 2 – ESQUISSE D’UNE NOUVELLE REPARTITION DU RISQUE MARITIME................................................ 63 Chapitre 1 : Assurer la responsabilité en matière de créances maritimes. .............................................. 63 Chapitre 2 : Refondre l’instrument de mesure de la limitation................................................................. 67

CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 71 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 72 ANNEXES............................................................................................................................................................. 76

1. CONVENTION DU 19 NOVEMBRE 1976 SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE EN MATIERE DE CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 77 2. PROTOCOLE MODIFICATIF DU 2 MAI 1996 ................................................................................................... 90 3. TABLEAUX COMPARATIFS DES PLAFONDS D’INDEMNISATION................................................................... 97 4. DIRECTIVE DU 23 AVRIL 2009 RELATIVE A L'ASSURANCE DES PROPRIETAIRES DE NAVIRES POUR LES CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 98 5. EXTRAITS DU CODE DES TRANSPORTS....................................................................................................... 102

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Introduction

1. A Christian Lapoyade-Deschamps qui déclarait que « par principe, la réparation du préjudice

économique pur est gouvernée, tout comme les autres, par la règle d'or de l'équivalence entre la

réparation et le dommage »1, Antoine Vialard s’indignait : « Tout comme les autres ???

Heureux civiliste pour qui les choses sont simples. La règle d'or du droit maritime est, bien au

contraire, le principe de la responsabilité limitée du propriétaire ou de l'armateur ou de l'ex-

ploitant du navire »2.

2. Or, la responsabilité civile se définit comme l’obligation de réparer le préjudice résultant de

l’inexécution d’un contrat ou de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à

autrui par son fait personnel ou par le fait des personnes dont on répond, ou encore par le fait

des choses que l’on a sous sa garde3.

Les conditions de fond de la responsabilité contractuelle ou délictuelle étant remplies, le préju-

dice préalablement évalué devrait donner lieu au versement de dommages et intérêts compensa-

toires, censés replacer la victime dans l’état où elle se serait trouvée si le dommage ne s’était

pas produit.

3. Mais, le droit maritime français dispense l’affréteur, l’armateur, l’armateur-gérant, le proprié-

taire, le capitaine, ou leurs autres préposés terrestres ou nautiques, de réparer intégralement cer-

tains dommages, matériels ou corporels, survenus à l’occasion de l’utilisation d’un navire4, et

qui donnent naissance à des créances maritimes. Ce droit à limitation est en revanche écarté en

présence d’une faute intentionnelle ou inexcusable de la part du bénéficiaire.

4. Si l’indemnisation est partielle, il n'en est pas de même de la responsabilité qui, dans tous les

cas, reste entière. Par conséquent, au lieu de limitation de responsabilité, peut être vaudrait-il

mieux parler de limitation de la réparation. Mais cet abus de langage s'avère très fréquent en

1 Christian Lapoyade-Deschamps, Revue de droit comparée, 1988, p.368. 2 Antoine Vialard, in Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Presses universitaires de Bordeaux, 2003. 3 Article 1382 et suivants du Code civil 4 Article L5121-2 et suivants du Code des transports.

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droit des sociétés dont certaines sont dites, précisément, à responsabilité limitée. Ainsi, malgré

une possible confusion entre les notions de réparation et de responsabilité, nous avons estimé

qu'il était plus commode de continuer à utiliser l'expression consacrée par l'usage.

5. Ce mécanisme particulier n’affecte pas le droit à réparation du créancier même si son quantum

est plafonné à un montant exprimé en droits de tirage spéciaux (DTS). L’indemnisation peut fi-

nalement être entière si le juge déchoit le débiteur de son droit à limitation en raison de sa faute

intentionnelle ou inexcusable. Il s’agirait donc plus d’une obligation restreinte5 de dédommager

ou encore d’une réduction de la contribution à la dette.

6. Quelle est la justification contemporaine de la limitation de réparation accordée au propriétaire

de navire ? Est-il toujours pertinent de maintenir cette institution propre au droit maritime quand

le droit commun (i.e. le droit terrestre) ne connaît que le principe la réparation intégrale ?

7. La difficulté pour répondre à cette question réside dans le fait que la limitation a acquis une très

grande autorité pour deux raisons : une raison temporelle d’abord puisqu’elle trouve ses origines

dans l’Antiquité ; une raison juridique puisqu’elle a été consacrée en droit international. Contes-

ter une institution si ancienne suppose donc le déploiement d'un ensemble argumentaire relati-

vement fourni.

8. Dès lors, pour savoir si cette dérogation au droit commun qui prive la victime du préjudice

d’une partie des dommages et intérêts auxquels elle aurait pu prétendre se justifie toujours, il

apparaît indispensable de rappeler dans un premier temps d’où elle vient et pourquoi elle a été

instituée. Martine Rémond-Gouilloud écrivait à juste titre que « combattre l’archaïsme ne signi-

fie pas négliger l’histoire [qui] explique les règles et leurs modulations au fil des siècles.

[…] On ne saborde pas une institution vieille de mille ans sans s’interroger sérieusement sur

ses raisons d’être »6. S’ensuivra l’examen du contexte dans lequel s’inscrit sa remise en cause.

5 Walter Muller, Obligation restreinte ou responsabilité limitée ?, DMF 1964, p.195. 6 Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988.

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9. La limitation de responsabilité prend source dans le droit romain7 : en effet, si en principe, le

propriétaire de navire, l’exercitor navis, était indéfiniment tenu par les actes passés par son capi-

taine, l’on notait déjà quelques exceptions.

La première est tirée du droit commun : l’actio de peculio, action accordée par le préteur et di-

rigée contre l’exercitor navis, limitait l'obligation de celui-ci à raison des dettes contractuelles,

nées lors de l’expédition maritime, à la valeur du pécule reconnu au capitaine (l’alieni juris, fils

de famille ou esclave, sous l’autorité du pater familias).

La deuxième tient à l’idée qu’une chose n’est pas censée causer plus de dommages qu’elle n’a

de valeur. Ainsi, par l’abandon noxal, l’exercitor navis pouvait remettre au créancier le navire

et sa cargaison et éteindre par la même la dette extracontractuelle qu’il avait envers lui.

A l’inverse, et c’est la troisième exception au principe, le navire faisant partie de la dot de la

femme était tenu à l’abri des créanciers de son mari.

10. Bien qu’une partie de la doctrine nie toute filiation entre ces atténuations connues en droit ro-

main, et le droit médiéval, de nouvelles techniques contractuelles apparaissent vers le XIè siè-

cle, perpétuant l’idée d’une limitation de la responsabilité du propriétaire de navire, en marge de

l’abandon du navire et du fret.

On citera le contrat de commande (qui s’apparente cette fois au prêt nautique athénien8, et qui

se muera en société par commandite) par lequel des investisseurs, les commanditaires,

confiaient leurs marchandises à des patrons de navire, commandités pour les revendre à desti-

nation et réaliser une plus value. Ils ne risquaient ainsi que leur apport, le propriétaire du navire

n’ayant pas à les rembourser en cas d’échec de l’expédition maritime. Si au contraire, elle réus-

sissait, les capitalistes recevaient une part importante du gain. Mais, il s’agissait surtout, dans

l’esprit des associés, de contourner l’interdiction papale de l’usure (prêt à intérêt à des taux ex-

cessifs).

7 Antoine Vialard, Historique de l’organisation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, in La limita-tion de responsabilité des propriétaires de navires de mer, thèse, université de Bordeaux, 1969. 8 Il passera dans le droit français sous le nom de prêt à la grosse aventure, aux articles 311 et suivants du Code de commerce de 1807.

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Se dessine alors progressivement la notion de fortune de mer, qui apparaît comme une univer-

salité de droits et d’obligations, distincte du patrimoine personnel du propriétaire de navire,

destinée à un but particulier : l'expédition maritime. Matériellement, sa reconnaissance est fa-

cile puisque ses éléments sont tangibles. Les biens isolés sont le navire et ses accessoires, les

marchandises embarquées ; les créances et dettes sont celles inscrites sur le journal de bord. La

justification se trouve dans le fait que le capitaine est soustrait à la surveillance du propriétaire,

tout à fait libre de ses décisions prises en mer et dans les ports étrangers. Ses initiatives sont

donc incontrôlables. En outre, il convient d’admettre que les risques pris et les charges assu-

mées par l’armateur sont démesurés, le navire, sa cargaison et son équipage pouvant se perdre

en mer au cours du voyage. Mais, en contrepartie de cette responsabilité réelle, les créanciers

de l'expédition ont un droit préférentiel voire exclusif sur la fortune de mer.

Alors que le concept de limitation de la responsabilité a gagné toute l’Europe au XIVème siè-

cle, l’ordonnance de Charles Quint promulguée en 1415 retient que le propriétaire abandonne

le navire et le fret pour les délits et quasi délits du capitaine, mais reste indéfiniment obligé par

les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

11. Puis, selon l’Ordonnance de la marine de 1681, les propriétaires de navire sont responsables des

faits du maître mais en sont déchargés par l’abandon du navire et du fret. De même, l’article

216 du Code de commerce de 1807 dispose que: « tout propriétaire de navire est civilement

responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l’expédition. La respon-

sabilité cesse par l’abandon du navire et du fret ». Ce qui est certain c’est que le propriétaire est

responsable pour tous les faits du capitaine, contractuels, quasi délictuels ou délictuels commis

dans le cadre de ses fonctions, conformément au cinquième alinéa de l’article 1384 du Code ci-

vil relatif à la responsabilité du commettant du fait de ses préposés. Une controverse surgit alors

quant à la possibilité laissée au propriétaire de se libérer dans tous les cas de ses obligations par

l'abandon du navire et de sa cargaison.

12. Ce régime de responsabilité, que le Code napoléonien avait reconduit, est aboli par la loi du 3

janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer. Elle restreint également la

limitation aux seules dettes de responsabilité, c’est-à-dire nées de la réalisation d’un dommage,

à l’exclusion des dettes contractuelles nées de l’inexécution fautive des obligations du débiteur

comme la non rémunération d’une prestation (le non paiement d’une réparation effectuée sur le

navire par exemple).

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13. Le droit germanique avait préféré un système de limitation en valeur : les créanciers du capi-

taine et de l’armateur n’avaient plus à craindre que le navire sombre et qu’ainsi leur gage soit

réduit à néant par le mécanisme de l’abandon d’un navire à l’état d’épave. Le propriétaire pou-

vait limiter la réparation à hauteur de la valeur du navire au début de l’expédition, estimée après

l’événement qui donne lieu à responsabilité, et augmentée de la valeur du fret.

En Angleterre où l’abandon en nature avait toujours été ignoré mais où la possibilité

d’abandonner une somme d’argent avait été reconnue dès le XVIIIè siècle, le Merchant Ship-

ping Act de 1894 opta pour la constitution d’un fonds en livres sterling, calculé proportionnel-

lement au tonnage du navire.

14. En raison de la diversité des régimes de limitation de responsabilité, le besoin d’un harmonisa-

tion des législations s’est fait sentir. L’œuvre du Comité maritime international a donc été

d’élaborer un système renonçant à l’abandon de tradition continentale, s’inspirant largement des

principes britanniques de responsabilité limitée.

Trois Conventions internationales se sont succédées : la Convention de Bruxelles du 25 août

1924 pour l’unification de certaines règles relatives à la limitation de responsabilité des proprié-

taires de navires de mer ; la Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de

responsabilité des propriétaires de navires de mer ; la Convention de Londres du 19 novembre

1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (LLMC : Limitation of

Liability for Maritime Claims)9, révisée par le Protocole du 2 mai 1996.

La loi française n°67-5 du 3 janvier 1967 incorpore la Convention de 1957 dans l’ordre juridi-

que interne ; puis, la loi n° 84-1151 du 21 décembre 1984 qui intègre la Convention LLMC est

modifiée par les lois n°86-1272 du 15 décembre 1986 et n°87-444 du 26 juin 1987. De même

que la loi n°2006-789 du 15 juillet 2006 qui a ratifié le Protocole modificatif, elles sont doréna-

vant codifiées dans le Code des transports par l’Ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010.

C’est dire la force de la tradition, l’autorité acquise par la limitation de responsabilité, et le

poids que lui a donné l’Organisation maritime internationale. Selon Georges Ripert, « cette

9 Entrée en vigueur en France le 1er décembre 1986 (Décret n°86-1371, 23 déc. 1986, JO 1er janv. 1987).

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unanimité [des législations] nous avertit que nous touchons à un des principes fondamentaux du

droit maritime […] C'est pourquoi on a pu dire que la limitation de responsabilité est la clé de

voûte du droit maritime »10.

15. Pour s’en affranchir, il faudra démontrer l’obsolescence de certains des fondements classiques

régulièrement invoqués au soutien de la limitation érigée en institution : la soustraction du capi-

taine à la surveillance de son commettant, la fortune de mer et la solidarité face au risque de

mer.

16. C’est le doyen Rodière11 qui est le plus sceptique à l’idée que la limitation de responsabilité soit

instituée pour éviter au propriétaire de navire d’être ruiné par la « mauvaise foi » et les

« étourderies » du capitaine, justification avancée par Valin dans son commentaire de

l’ordonnance sur la Marine de 1681.

Il explique en premier lieu que, dans les faits, l’absence de contrôle effectif du commettant sur

son préposé se retrouve dans bien d’autres situations que dans le domaine maritime. Nous ajou-

terons que le développement des télécommunications présentes à bord permet au capitaine

d’être en relation directe avec son commettant, de sorte qu’il n’est plus autant isolé et indépen-

dant que par le passé. Ainsi, aussi éloigné de son port d’attache soit-il, le capitaine peut « se

conformer aux instructions des gérants », comme le prescrit l’article L5114-37 du Code des

transports.

En deuxième lieu, cette argumentation serait aussi erronée en droit puisqu’elle ferait irréfraga-

blement présumer une « faute de choix » du capitaine par son commettant, alors que le cin-

quième alinéa de l’article 1384 du Code civil pose au contraire que le commettant endosse en-

tièrement la responsabilité de ses préposés « dans les fonctions auxquelles il les a employés » et

pour lesquelles ils sont censés avoir été choisis d’après leurs qualifications particulières. Si ce

choix a été mal fait, alors le commettant doit en assumer seul les conséquences et ne saurait se

soustraire à sa responsabilité au prétexte que son préposé présentait des compétences techni-

ques et nautiques auxquelles il n’avait qu’à s’en remettre.

10 Georges Ripert, Droit maritime, tome II, n°1228 et s, Rousseau 1952. 11 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent et avenir, DMF 1973, p259.

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En troisième et dernier lieu, René Rodière ne voit aucun lien entre la modalité choisie pour la

limitation (à l’origine l’abandon du navire et du fret) et la méfiance du propriétaire à l’égard du

capitaine.

17. Pour ces raisons, le statut du capitaine n’a jamais pu et ne pourra jamais justifier la limitation,

même en contrepartie d’une jurisprudence qui facilite la reconnaissance de la responsabilité du

gérant de navire pour le fait d’autrui, marquant ainsi la perte d’autonomie du droit maritime par

rapport au droit commun. On en veut pour preuve la jurisprudence Lamoricière de la Première

chambre civile de la Cour de cassation qui considère le capitaine comme un préposé, qualité in-

compatible avec celle de gardien de navire qui revient à l’armateur. Prenant appui sur l’ancien

article 3 de la loi du 3 janvier 196912 énonçant que « L'armateur répond de ses préposés terres-

tres et maritimes dans les termes du droit commun » (soit l’article 1384 alinéa 5 du Code civil),

cet arrêt de principe en date du 15 juin 1951 anéantit les dispositions de l’article 5 de la même

loi, selon lesquelles « le capitaine est responsable de toute faute commise dans l’exercice de ses

fonctions ».

Depuis la consécration de l’immunité procédurale13 du préposé par l’arrêt Costedoat14, sa res-

ponsabilité ne peut être directement recherchée par la victime s’il a agit dans le cadre de ses

fonctions, sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant. Dans

ce cas de figure, l’impunité du préposé ne cède que devant la commission d’une faute civile in-

tentionnelle ou d’une infraction pénale (qui pourrait être assimilée à une faute inexcusable)15.

L’action du créancier contre le préposé est également ouverte dans deux autres hypothèses :

celle de l’abus de fonction16, et celle où il a outrepassé les limites de sa mission, dans le cadre

de ses fonctions. Le demandeur se tournera donc en général vers le commettant, vraisemblable-

ment plus solvable. Quant au maître, il ne dispose d’aucune action récursoire contre le capitaine

à moins qu’il se prévale d’une subrogation dans les droits de la victime, eux-mêmes circonscrits

aux hypothèses susmentionnées17.

12 Loi n°69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes, abrogée par l’ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010. 13 Civ. 1e, 12 juill. 2007, n°06-12.624 et 06-13.790, obs Patrice Jourdain, L’immunité du préposé ne serait pas une ir-responsabilité, RTD Civ. 2008, p. 109. 14 Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat, RTD Civ. 2000, p. 582. 15 Civ. 2e, 21 févr. 2008, obs Laydu, Retour sur l’immunité restreinte du préposé, D 2008, p. 2125. 16 Cass, ass. plén., 19 mai 1988, Bull. civ. n°5 : exonération de la responsabilité du commettant dont le préposé a agit hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. 17 Civ. 2e, 20 déc. 2007: Bull. civ. II, no 274.

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Même dans ces quatre éventualités où sa responsabilité peut encore être reconnue, on doute que

le capitaine ait encore l’occasion d’invoquer la limitation de responsabilité, que repousse la

faute intentionnelle ou inexcusable (sauf à considérer qu’il ne s’est pas rendu coupable d’une

telle faute à l’occasion du dépassement de pouvoirs). Cette possibilité lui avait pourtant été of-

ferte par la Convention LLMC de 1976, tandis que, sous l’empire de la législation antérieure18,

ce bénéfice était réservé aux seuls propriétaires de navires. En définitive, citer le capitaine et les

autres préposés terrestres et nautiques (dont les membres de l’équipage) au titre des personnes

qui « agissant dans l’exercice de leurs fonctions » peuvent bénéficier de la limitation, est prati-

quement inutile19.

18. René Rodière, recherchant toujours le véritable fondement de l’institution, évoque la fortune de

mer, tenue à l’écart de la fortune de terre. Il explique que « si le propriétaire voyait sa respon-

sabilité limitée et si la modalité de cette limitation résidait dans l’abandon du navire et du fret,

c’est parce que l’armateur, à chaque nouveau voyage de son bâtiment, mettait en risque ce na-

vire, comme les marchands mettaient en risque leurs cargaisons, les matelots leur vie et leurs

loyers ». Ainsi, pour une expédition maritime, « chacun n’engageait qu’une partie de ses biens,

soit comme limite de ses engagements envers les tiers, soit comme limite de ses pertes direc-

tes »20. Seulement, le trafic maritime s’est intensifié et fragmenté (notamment avec le tramping)

si bien que le patrimoine affecté à la réparation des victimes doit se renouveler après chaque

événement dommageable et non pour chacun des voyages, ceux-ci étant difficilement identifia-

bles et mettant en concurrence de trop nombreux créanciers. La fortune de mer ne correspond

donc plus aux structures commerciales du monde maritime actuel.

A ces difficultés pratiques vient s’ajouter le fait que l’abandon en nature, permis par la Conven-

tion internationale de Bruxelles de 1924, a été remplacé en 1957 par un système de limitation

dégressif ne tenant même pas compte de la valeur du navire mais de son volume total intérieur,

c’est-à-dire son tonnage brut exprimé en unités de jauge21.

En outre, la Convention de 1957 assimile aux propriétaires de navires les armateurs, les exploi-

tants, et leurs préposés, si bien que bénéficient de la limitation des personnes qui n’engagent au-

18 Convention de 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. 19 Si ce n’est qu’il figure en tant que représentant de l’armateur et peut à ce titre être assigné. 20 Voir note 9. 21 L’article L5000-5 du Code des transport renvoie à la Convention internationale sur le jaugeage des navires, signée à Londres le 23 juin 1969, qui établit des principes et des règles uniformes relatifs à la détermination de la jauge des navi-res effectuant des voyages internationaux.

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cun bien leur appartenant, à l’exception éventuellement du fret escompté. Cette tendance est ac-

centuée par la Convention de 1976 qui s’affranchit totalement de la référence à la propriété du

navire en parlant de limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, dont jouis-

sent désormais les assistants et les assureurs.

19. En définitive, le seul fondement classique qui ne soit pas tombé en désuétude est celui de la

solidarité des Hommes face aux périls de la mer, à laquelle tient toute l’originalité du droit mari-

time. La mer est un milieu dangereux et hostile, un élément naturel quelque peu imprévisible,

qui ne pardonne aucune erreur humaine et ne tolère aucune défaillance technique. C’est pour-

quoi le risque de mer est supporté par tous ceux qui ont un intérêt au succès de l’expédition : les

armateurs d’une part et les créanciers maritimes d’autre part, dans des proportions évidemment

différentes. Il n’en demeure pas moins qu’une partie du dommage causé par les premiers reste à

la charge des seconds.

La limitation de responsabilité n’est d’ailleurs pas la seule institution du droit maritime qui

mette en œuvre la solidarité des Hommes, lesquels ont pris conscience de l’interdépendance

étroite existant entre les marins et les terriens, et qui les incite à se porter mutuellement secours.

Ainsi, l’assistance et le sauvetage procèdent également de cette idée et, à leur sujet, on parlera

de solidarité externe, puisque celle-ci intervient entre usagers de la mer. Quant à l’avarie com-

mune, elle tient à une solidarité interne en ce qu’elle unit ceux qui ont un intérêt dans

l’expédition maritime.

Cette solidarité, que traduit le particularisme du droit maritime et qui ne doit pas être confondue

avec l’obligation in solidum, explique la survie des activités maritimes qui sont pour la plupart

d’intérêt général. Sans elle, les investisseurs ne miseraient que sur des activités terrestres dont

ils seraient quasiment sûrs de retirer un important profit.

20. Mais la spécificité du droit maritime a pu avoir un impact politique négatif. D’une part, la faible

indemnisation allouée aux ayants droits des naufragés peut paraître injuste aux yeux de

l’opinion publique qui a parfois le sentiment que la limitation de responsabilité ignore la protec-

tion due aux victimes. C’est pourquoi Yves Tassel propose de « retrouver l’esprit du droit mari-

time : la mise en commun du risque dans le respect des intérêts légitimes de chacun »22.

22 Yves Tassel, Le droit maritime, un anachronisme ?, revue juridique en ligne Neptunus, 1995, vol 1-2.

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D’autre part, le principe de la limitation n’a pas été toujours été accepté par l’ensemble des opé-

rateurs maritimes eux-mêmes. Les chargeurs des pays en voie de développement, producteurs

de matières premières, souffraient de se voir opposer la limitation de responsabilité par les

transporteurs occidentaux, perçue dans les années 1960 comme un moyen de domination. Mais

s’étant progressivement dotés d’une flotte commerciale, leur attitude à l’égard de la limitation a

changé : ils s’y sont même montrés favorables lors de la rédaction de la Convention internatio-

nale de 1976. Cette évolution « est fondamentale, eu égard au rôle essentiel qu’ils jouent au-

jourd’hui dans la création des normes maritimes, à travers leur action à l’intérieur des institu-

tions spécialisées de l’ONU » dont l’OMI23. On imagine donc leur attachement à l’institution

qui accompagne leur essor économique, et qu’ils sont désormais carrément réfractaires à l’idée

de sa suppression.

21. Les limitations de responsabilité spécifiques, du fait de la pollution par le déversement

d’hydrocarbures24, de substances nucléaires25 ou dangereuses26, n’échappent pas non plus à la

critique : c’est l’argument de la défense de l’environnement qui est cette fois avancé lors de ca-

tastrophes écologiques au premier rang desquelles les marées noires provoquées par des navires

sous-normes. Il est par exemple reproché à la première de limiter la responsabilité du proprié-

taire de navire au coût des mesures raisonnables de remise en état du milieu dégradé par la pol-

lution27.

22. Alors faut-il supprimer le principe même de la limitation de responsabilité en matière de créan-

ces maritimes, en perte de cohérence et de légitimité ? Selon le professeur Yves Tassel,

« personne ne peut le penser et personne ne le dit »28, du moins parmi les opérateurs maritimes

23 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p 9. 24 Convention de Bruxelles sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, signée le 29 novembre 1969 (Civil Liability Convention -CLC-), entrée en vigueur le 19 juin 1975 ; Protocole modificatif du 27 novembre 1992 ; article L160-1 du Code de l’environnement ; article L5122-25 Code des transports. 25 Convention relative à la responsabilité des exploitants de navires nucléaires, signée le 25 mai 1962 à Bruxelles (pas entrée en vigueur) ; Convention du 17 décembre 1971 dans le domaine du transport maritime de matières nucléaires ; art. L5122-1 Code des transports. 26 L’entrée en vigueur de la Convention de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation des dommages liés au transport par mer de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses -SNPD- (Angl. International Convention on liability and compensation for damage in connection with the carriage of Hazardous and Noxious Substances by sea -HNS-), modi-fiée par le protocole de 2010, est attendue pour avril 2012. 27 Karine Le Couviour, « Après l’Erika, réformer d’urgence le régime international », JCP 2008, I, 126. ; Antoine Vialard, Responsabilité limitée et indemnisation illimitée en cas de pollution par hydrocarbures, in L’Europe des trans-ports, La documentation française 2005, 749 ; Elizabeth Terzic, Les alternatives à l’exclusivité du système CLC / FI-POL, REDE 1/2009, 5. 28 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.

Page 17: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

16

qui la perçoivent comme la condition sine qua none de la rentabilité et de l’assurabilité de leur

activité.

23. Mais, a priori réservée à ceux qui bravent le danger de se perdre en mer dans l’intérêt général,

l’institution a été dévoyée. Il apparaît donc urgent d’en restreindre le champ d’application à

l’aune de ces deux critères : le risque de mer et l’intérêt général (partie I).

Les modalités de sa mise en œuvre trahissent également la vocation de cette institution en ce

qu’elle répartit inégalement le risque maritime entre les bénéficiaires de la limitation de respon-

sabilité et leurs créanciers (partie II).

Page 18: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

17

Partie I : restreindre le champ d’application de la limita-tion de responsabilité

La limitation de responsabilité ne se justifie pleinement que si ses bénéficiaires affrontent le risque

de mer (Titre I) dans l’intérêt général (Titre II).

Page 19: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

18

Titre I: restreindre le champ d’application de la limitation de res-

ponsabilité à l’aune du risque maritime.

La limitation de responsabilité devrait être écartée quand le risque de mer, qui justifie ce ré-

gime exorbitant (chapitre 1), n’a pas pris une part déterminante dans la survenance du dommage

(chapitre 2).

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de

mer couru par le navire.

L’omniprésence et l’importance du risque de mer justifient toujours que la réparation des

créances maritimes soit plafonnée. Il vaut donc mieux accentuer la prévention des dommages que

supprimer la limitation de responsabilité (section 1) dont le bénéfice doit impérativement être réser-

vé aux navires, et c’est là toute la difficulté qu’ont les juges à délimiter la notion d’engin capable

d’affronter les périls de la mer (section 2).

Page 20: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

19

Section 1 – Accentuer la prévention du risque maritime justifiant le maintien de la limitation

de responsabilité.

1. Des différents arguments, plus ou moins périmés, que l’on a pu avancer pour justifier la limita-

tion de responsabilité, on ne retiendra pour l’instant que le risque de se perdre en mer, élément

naturel invariablement capricieux.

2. Le risque de mer est inhérent à la navigation maritime. L’article L5000-1 du Code des trans-

ports, issu de l’ordonnance du 28 octobre 2010, en donne une conception relativement

large puisqu’il considère comme maritime « la navigation de surface ou sous-marine pratiquée

en mer, ainsi que celle pratiquée dans les estuaires et cours d’eau en aval du premier obstacle à

la navigation des navires. La liste de ces obstacles est fixée par voie réglementaire ». Les périls

de la mer guettent le navire jusque dans les estuaires, les fleuves et les rivières qu’il fréquente.

Mais, au-delà de ces obstacles qui constituent les limites des affaires maritimes, il y est sous-

trait.

3. Certes augmentés par de rudes conditions climatiques qui éprouvent la robustesse du navire et

de son équipage, ils perdurent sur une mer d’huile. On en veut pour preuve le naufrage du Tita-

nic, paquebot soit disant insubmersible dont la coque se déchira sur un iceberg, une nuit de

calme plat. La mer reste un milieu dangereux par tous les temps, car elle amplifie les consé-

quences des avaries et des erreurs humaines. Elle ne laisse aucune chance de survie à ceux qui

s’y trouvent en détresse : si le navire s’abîme, l’Homme suit inéluctablement son triste sort.

4. Cette dernière remarque est également valable pour la navigation aérienne mais certains auteurs

refusent de pousser plus loin la comparaison. René Rodière, qui insiste pour que ne soient pas

minimisés le risque de mer, prétend que « les dommages causés par les aéronefs sont dus en

majorité à des fautes de l’équipage ; les sinistres maritimes aux forces de la nature »1. Cette

analyse, qui témoigne d’une certaine résignation, est dépassée pour deux raisons.

5. D’une part, les évènements de mer sont moins dus à la fatalité qu’à la négligence du propriétaire

ayant fourni un navire en état d’innavigabilité, qu’à la mauvaise décision prise par le capitaine,

qu’à la fatigue ou à l’incompétence de l’équipage.

1 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent, avenir -, DMF 1973.

Page 21: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

20

L’ Organisation Maritime Internationale, émanation de l’Organisation des Nations Unies, l’a

bien compris. C’est pourquoi elle a adopté une réglementation très fournie en matière de sécuri-

té maritime. La convention STCW (International Convention on Standards of Training, Certifi-

cation and Watchkiping for seafarers) sur les normes de formation des gens de mer, de déli-

vrance des brevets, et de veille, signée le 7 juillet 1978 et amendée en 1995, prend en compte le

facteur humain.

De même, le code ISM (International Safety Management), pour la gestion de sécurité de

l’exploitation du navire et la prévention de la pollution, tend à éviter ou limiter la portée des

accidents en mettant en place des procédures d’urgence, des audits, des stages de remise à

niveau des marins, un système de déclarations des dysfonctionnements, des inspections des

navires par l’Etat du port… Ce code, intégré à la Convention SOLAS (Safety Of Life At Sea)

pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, fait suite au naufrage du ferry Herald of Free

Enterprise, le 6 mars 1987, à la sortie du port belge de Zeebrugge. Cette règlementation a vu le

jour en 1993 et est entrée en vigueur en 1998. Bien d’autres textes internationaux ou régionaux

comme les directives européennes, notamment les trois paquets Erika – Prestige, pourraient

encore être cités, qui tous ont été pris en réaction à des catastrophes maritimes dont ils tirent les

leçons.

6. La prise de conscience collective que l’Homme participe au moins autant que le risque de mer à

la réalisation du dommage remet-elle en cause la limitation traditionnelle de responsabilité ?

Tous les propriétaires et exploitants de navires méritent-ils cette protection ?

7. Ce privilège est une arme à double tranchant. D’un côté, il constitue un soutien économique

indispensable à l’activité maritime. De l’autre, les armateurs, sachant qu’ils n’engagent dans

l’expédition qu’une partie de leur patrimoine, se contentent de respecter les prescriptions mini-

males (mais insuffisantes) de sécurité. L’affaire du navire allemand Heidberg2 aurait mis en

évidence le caractère « criminogène »3 de la limitation de responsabilité, les moyens du bord et

l’équipage ayant été réduits à l’extrême pour tirer un profit maximal. La multitude des traités in-

ternationaux ne viseraient donc qu’à contrecarrer la perversité du système. Mais, la compensa-

tion intégrale des dommages inciterait-elle vraiment les armements à investir davantage pour

2TC Bordeaux, 23 septembre 1993 (DMF, décembre 1993, n°533), confirmé par CA Bordeaux, 31 mai 2005 (DMF, 2005, n°663, p. 839). 3 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.

Page 22: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

21

renforcer la sécurité ? On pourrait le penser puisque la sanction infligée au bénéficiaire de la li-

mitation qui se rend coupable d’une faute inexcusable consiste justement à lui faire supporter la

totalité des dommages et intérêts dus à la victime.

Ce privilège ne serait-il pas plutôt curatif ? La limitation de responsabilité aurait des vertus thé-

rapeutiques que ne possède pas la responsabilité civile. En effet, on peut d’abord considérer

qu’elle encourage indirectement les efforts de ses bénéficiaires en les déchargeant d’une partie

non négligeable de la dette de réparation. Elle leur permet ensuite de trouver un assureur, lequel

n’accepte de couvrir le risque (à hauteur des plafonds de la limitation) que si le navire présente

une certaine fiabilité. Au final, et dans l’idéal, l’économie réalisée grâce au taux préférentiel de

la prime devrait être réinjectée dans des mesures concrètes de prévention du risque, remède bien

plus efficace que la suppression pure et simple de la limitation de responsabilité. Celle-ci opère

finalement un bon « compromis entre la [nécessaire protection] de ceux qui bravent le risque de

mer et l’impératif de sécurité maritime »4.

8. D’autre part, (et c’est la seconde raison pour laquelle nous désapprouvons la remarque du doyen

Rodière, et qui est étroitement liée à la première), le risque de mer est de plus en plus prévisible

et maîtrisable, bien que rien ne puisse totalement l’anéantir. Mais, anticiper les situations criti-

ques permet généralement d’y faire face. De même, si les progrès techniques n’ont pas fait dis-

paraître le danger, on ne peut nier que la météorologie, les télécommunications, les nouvelles

méthodes de transport (comme la conteneurisation qui non seulement facilite la manutention des

marchandises mais en assure également la conservation), repoussent toujours plus loin le spectre

de la perdition.

9. Mais, comme toute médaille a son revers, le perfectionnement des navires, sur lesquels

s’exercent les pressions de la concurrence, est accusé d’avoir fait muter le risque de mer : la

technologie, le gigantisme, la vitesse et l’automatisation, comptent parmi les nouveaux facteurs

d’insécurité5. Si le nombre des accidents maritimes a chuté, il n’en demeure pas moins qu’ils

sont très destructeurs. Ainsi, le risque de mer, qui menace des capitaux toujours plus importants,

justifie encore et toujours le maintien de la limitation de responsabilité.

4 Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fonde-ment du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires d’Aix-Marseille (PUAM). 5 Barham Toure, L’insécurité en mer et le droit : mutation, prévention et sanction, thèse, université de Lille II, 2000.

Page 23: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

22

10. Pierre angulaire du droit maritime, le risque de mer commande presque à lui seul un régime

dérogatoire de responsabilité. Le fait que l’article L5132-13 du Code des transports accorde le

bénéfice de la limitation à l’assistant, même lorsque celui-ci n’intervient pas depuis un navire,

prouve la supériorité du risque de mer sur la considération de l’objet soumis à ce risque. On

peut cependant regretter l’omission de ce bénéficiaire à l’article L5121-2 qui n’opère pas non

plus de renvoi à l’article L5132-12 réglant sa responsabilité, et que l’objet auquel se rapporte la

limitation ne soit pas clairement déterminé.

Section 2 – Redéfinir l’objet soumis au risque de mer - l’engin éligible au statut de navire.

11. La limitation de responsabilité se rapporte aux dommages survenus à bord du navire ou « en

relation directe avec la navigation ou l’utilisation de celui-ci», ainsi qu’aux « mesures prises

afin de prévenir ou réduire ces dommages » et aux « dommages causés par ces mesures » (arti-

cle L5121-3 du Code des transports).

12. Or, « il est patent que le droit des transports avait jusqu’à présent éludé la question de

l’identification juridique de l’engin de transport. Le cas du navire est à cet égard remarquable

puisqu’il jouit d’un statut juridique particulièrement riche identifiant ses éléments

d’individualisation, lui conférant la nationalité et déterminant les droits réels et le régime de

responsabilité exorbitant du droit commun qui lui sont attachés, sans bénéficier d’une définition

générique6(…). Inversant la situation actuelle qui, selon la démarche adoptée par les

conventions internationales maritimes, propose une définition circonstancielle du navire

étroitement conditionnée aux caractéristiques techniques ou aux conditions de navigation

ciblées par chaque texte, une définition de portée générale est proposée en introduction à la

partie relative à la navigation et au transport maritimes [du Code des transports], qu’il convient

de restreindre au cas par cas »7.

6 Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer 7 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 portant création de la partie législative du Code des transports, publié au Journal officiel de la République française n°0255 du 3 novembre 2010.

Page 24: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

23

13. Ainsi, en vertu de l’article L5000-2 du Code des transports et « sauf dispositions contrai-

res, sont dénommés navires tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime

de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci, […] ou affectés à des services pu-

blics à caractère administratif ou industriel et commercial ». Indubitablement, la limitation de

responsabilité peut donc se rattacher à tous types de navires, quelque soit leur affectation, si ce

ne sont les navires de guerre français ou étrangers.

14. Certains auteurs regrettent cependant que cette définition du navire, qui n’est pas impérative,

« crée des doutes » sur ce qu’il convient d’entendre par le terme d’ « engin »8. Alors qu’elle

donnait son avis sur le projet de loi de codification du droit des transports, l’Association Fran-

çaise du Droit Maritime déplorait que ne soit pas repris le critère jurisprudentiel d’ « engin ca-

pable d’affronter les périls de la mer ». Ainsi, jugeant l’article L5000-2 du Code des transports

trop descriptif, elle soulignait que des engins, comme certaines barges, peuvent avoir été cons-

truits et équipés pour naviguer mais pas pour résister à l’assaut des vagues et des vents, la capa-

cité à les affronter tenant à l’autonomie (la voile ou le moteur)9. Mais, on peut objecter que les

barges qui ne peuvent se déplacer seules, ne sont justement pas armées pour la navigation mari-

time.

15. Ainsi, le gabarit, la hauteur du franc-bord, la résistance aux forces naturelles et la propulsion

comme gage d’autonomie, sont autant d’éléments à prendre en compte dans la définition du na-

vire. Dans un arrêt du 12 septembre 1991, il a d’ailleurs paru évident pour la Cour d’appel de

Caen de refuser la qualité de navire à un canot pneumatique (de type Zodiac) et par conséquent

de l’exclure du champ d’application de la limitation de responsabilité au motif qu’étant « une

embarcation frêle, construite en matériau léger », elle « n’est pas conçue pour effectuer des ex-

péditions maritimes », et que « son rayon d’action est nécessairement limité en raison de

l’impossibilité de stocker du carburant à bord »10.

16. En réalité, l’aptitude permanente de l’engin à surmonter les périls de la mer est contenue dans la

définition légale, consolidant ainsi la jurisprudence : naviguer c’est s’exposer aux aléas de la

mer et cette navigation maritime nécessite une construction et un équipement adéquats. Ainsi, la 8 Stéphane Miribel, La codification du droit des transports dans le domaine maritime : les modifications introduites par la codification sont-elles opportunes ?, compte-rendu de l’assemblée générale du 27 janvier 2011 de l’Association du Droit Maritime (AFDM), DMF 2011, n°722, février 2011, p.182. 9 Communiqué de l’Association Française du Droit Maritime, DMF 2011, n°723 10 CA Caen, 3ème ch, section civile, n°1250-89, site Internet Lamyline ; Cass., com., 6 décembre 1976, n° n°75-12.057, canot Poupin sport.

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24

description apparemment lacunaire du navire n’autorise pas les juges du fond à s’affranchir de

ce critère fondamental dont ils ont la libre interprétation. Mais cette précision, qui ne repose

pourtant pas sur des données techniques objectives, aurait toutefois permis de lever toute ambi-

guïté quand aux conditions d’application de la limitation de responsabilité. 17. On dit également la jurisprudence hésitante quant à la détermination du statut de certaines em-

barcations de plaisance telles que les planches à voile, kite surf, pédalos, avirons, canoës,

kayaks, scooter des mers, … tantôt considérés comme de simples flotteurs ou véhicules nauti-

ques à moteur, tantôt érigés au rang de navire.

La première interprétation est fréquemment donnée lorsqu’un baigneur a été blessé. D’une part,

la planche à voile, qui illustrera notre propos, évolue généralement à proximité immédiate du ri-

vage. D’autre part, il ne peut être porté atteinte aux droits des tiers à l’activité maritime qu’au

profit de l’intérêt général qui, en l’occurrence, n’est pas défendu. Le véliplanchiste est donc

propriétaire d’un engin de plage et ne peut bénéficier de la limitation de responsabilité.

Dans la seconde hypothèse où elle vient à heurter un navire, elle emprunte la qualité et le ré-

gime juridiques de celui-ci : elle se verra donc appliquer les règles spécifiques et favorables de

l’abordage11, puis la limitation de responsabilité. Fléchissant la rigueur du droit maritime, les

magistrats ont le souci de mettre les propriétaires à égalité. On ne peut reprocher à cette juris-

prudence humanitaire de classer l’engin en fonction du régime juridique qui en découlera et de

l’opportunité de la solution, tant que la limitation de responsabilité joue entre participants à

« l’aventure » maritime.

18. Mais, si le raisonnement suivi devait s’éloigner de ce schéma et le contentieux se multiplier, il

serait bienvenu que le législateur règle définitivement le sort de ces engins à la structure lé-

gère en allant dans le sens de la suppression de la limitation de responsabilité à leur égard. La

limitation de responsabilité n’a pas été initialement pensée pour ce type d’engins mais pour des

navires de transport de marchandises ou des navires de pêche. Autrement dit, elle a peut-être été

inconsidérément étendue à diverses embarcations auxquelles elle n’était pas destinée. Ainsi,

pour reprendre les propos d’Yves Tassel, le « sentiment d’insatisfaction » face à ces règles

11 La responsabilité pour abordage a pour fondement la faute prouvée -loi du 7 juill. 1967 relative aux événements de mer- et non le fait des choses que l'on a sous sa garde - art. 1384, al. 1er C.civ.- (Com, 5 oct. 2010: Dalloz actualité, 19 oct. 2010, obs. Delpech)

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25

exorbitantes vient, entre autres, des excès que leur application a pu entraîner. « Une définition

trop large des concepts qui déterminent leur champ d’application pervertit l’institution pour-

tant justifiée »12.

19. La même interrogation se pose au sujet des aéroglisseurs, véhicule amphibie à portance aérosta-

tique (sur coussin d’air) et à propulsion aérienne (assurée par des hélices). Mis à l’écart de la

limitation de responsabilité par la Convention de 197613, la France n’a pas usé de la possibilité

offerte aux Etats signataires d’adopter la solution contraire. Ainsi, dans le silence du Code des

transports, la qualification de ce genre d’engins en navires, alors qu’ils ne sont pas en contact

avec l’eau, n’est pas forcément exclue. Ils figurent en effet au titre des navires à sustentation, à

l’article 240-1.02 annexé à l’Arrêté du 11 mars 200814 modifiant celui du 23 novembre 1987 re-

latif à la sécurité des navires. Surtout, leur qualité de navire a déjà été reconnue par le Conseil

d’Etat dans un arrêt Hoverlloyd du 19 décembre 1979, rendant possible l’extension de la limita-

tion de responsabilité à leur encontre.

20. Ces fluctuations autour de la première condition de fond de la limitation de la responsabilité

(l’existence d’un navire) est source d’insécurité juridique. L’indétermination de l’objet auquel

elle se rapporte affaiblit considérablement la limitation traditionnelle de responsabilité, comme

le droit maritime dans son ensemble, qui apparaît aujourd’hui comme « le droit des contradic-

tions »15.

21. Enfin, dernière incertitude que l’on relèvera, comment articuler la législation française avec le

droit international ? Faut-il comprendre, au terme d’une interprétation fastidieuse16, que seules

les dettes extracontractuelles envers des personnes de droit privé qui ont « renfloué, enlevé, dé-

truit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui

se trouve ou s’est trouvé à bord »17 sont limitées ?

Créances extracontractuelles d’abord car, l’article 2 de la Convention de 1976 admet à limita-

tion les seules créances qui ne constituent pas la rémunération d’un contrat conclu avec le res-

12 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000. 13 Article 15 de la Convention LLMC de 1976. 14 L’arrêté du 11 mars 2008 a été publié au Journal officiel de la République française du 8 avril 2008. 15 Yves Tassel, Le droit maritime – Un anachronisme ?, Revue juridique Neptunus. 16 Cette interprétation de la Convention soulève le problème tout aussi épineux de son applicabilité (est-elle d’effet direct ?) et invocabilité par les sujets de droit interne que sont les particuliers. 17 Article L5121-4 du Code des transports

Page 27: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

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ponsable, disposition que ne reprend pas le droit interne. Mais, cette hypothèse est théorique

car, en pratique, ces interventions donnent toujours lieu à la conclusion d’un contrat.

Personnes privées ensuite car, cette fois, la loi française est encore plus réductrice que la

Convention en ce qu’elle exclut expressément les créances dont sont titulaires l’Etat et les autres

personnes morales de droit public qui seraient intervenus, « au lieu et place du propriétaire »18.

Or, c’est l’hypothèse la plus fréquente.

Au vu de ces deux restrictions, on s’aperçoit que, de fait, ces créances particulières ne subiront

généralement pas la limitation.

22. Cependant, ne faudrait-il pas supprimer le principe de la limitation de responsabilité à l’égard de

ces créances d’extraction et de destruction des navires ? En effet, un « navire coulé, naufragé,

échoué ou abandonné » ne serait-il pas plutôt une épave ? En réalité, la règle ne recouvre pas to-

talement la notion d’épave, statut qui résulte de « la non-flottabilité, de l’absence d’équipage à

bord et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre » (article L5142-1 du Code des

transports). Or, ces conditions qui sont cumulatives doivent ici s’apprécier dans le temps. A no-

tre avis, la mauvaise posture dans laquelle se trouve l’engin doit être définitive, ce qui ne peut

être évalué sur le moment. En effet, un navire naufragé, coulé, échoué ou abandonné mais qui

peut être renfloué pourra éventuellement flotter à nouveau. Et même s’il devait être détruit, rien

ne dit qu’il ne pouvait pas encore flotter. Par conséquent, quel régime juridique appliquer ?

L’état de l’engin révèle-t-il son inaptitude à affronter le risque de mer d’une manière perma-

nente et continue ? Non, car la mer a pu avoir raison du navire alors que celui-ci était équipé

pour la navigation maritime. En définitive, le terme de « navire » paraît adéquat et « devrait in-

citer les juges à assimiler l’épave de navire à un navire »19, de sorte que la limitation de respon-

sabilité demeure justifiée pour ce genre de créances maritimes, maladroitement baptisées par la

doctrine de « créances de travaux sur épaves ».

23. En outre, pourquoi le système de la limitation inclut-il ces créances qui a priori ne correspon-

dent pas à des dettes de responsabilité (nées de la réalisation d’un dommage) ? Se poser cette

question, c’est perdre de vue que la limitation de responsabilité concerne également les

« mesures prises en vue de prévenir » les dommages « en relation directe avec la navigation ou

l’utilisation du navire »20. Or, si le navire naufragé venait à être considéré comme une épave et

18 La réserve émise par la France, lors de la ratification de la Convention LLMC, a valeur de déclaration unilatérale et non de simple déclaration d’intention (Civ 1ère, 11 juillet 2006, n°20-389, navire Jerba, Bull. 2006 I N° 378 p. 325). 19 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p.271, §416. 20 article L5121-3 du Code des transports

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présentait un danger pour la navigation, la pêche, l’environnement, l’accès ou le séjour dans un

port, l’obligation de procéder à son enlèvement ou à sa destruction incomberait à son proprié-

taire21.

24. Enfin, bien que les dommages causés par les épaves (lesquelles ont irrémédiablement cessé

d’être un navire) relèvent en principe des articles 1382 et suivants du Code civil, il pourrait exis-

ter un « lien de causalité suffisant » entre le dommage et l’exploitation du navire pour que la li-

mitation de responsabilité puisse être étendue « aux accidents causés par une épave dans les

heures qui suivent le naufrage d’un navire »22. Cette extension serait fondée sur le premier ali-

néa de l’article L5121-3 du Code des transports qui exige que les préjudices soient « en relation

directe avec la navigation ou l’utilisation du navire ».

25. D’une manière générale, la logique de la solidarité des Hommes face aux périls de la mer veut

que l’activité maritime soit soutenue jusqu’au bout, surtout lorsqu’elle trouve sa limite : le nau-

frage du navire. Mais, lorsque, en revanche, le risque de mer a disparu, la persistance du droit à

limitation se justifie plus difficilement.

21 article 5 du décret n°61-1547 du 26 décembre 1961. 22 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, §413, p. 270.

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Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence

de risque maritime.

La considération du danger induite par la navigation maritime ne gouverne plus la mise en œuvre de

la limitation de responsabilité.

Celle-ci devrait pourtant être exclue lorsque le risque de mer n’a pas pris une part déterminante

dans la survenance du dommage mais qu’il a été occulté par le comportement fautif du bénéficiaire

(section 1).

De la même manière, la limitation de responsabilité devrait être circonscrite aux créances nées de

l’utilisation purement maritime du navire (section 2).

Section 1 - Le risque de mer ignoré : la faute du bénéficiaire comme cause exclusive du dom-

mage.

26. « En droit maritime, la responsabilité doit être appréhendée sous le prisme particulier du ris-

que de mer, qui par son action causale, vient modifier la perception juridique d’un événe-

ment »23. On démontrera pourtant que telle n’est pas tout à fait la réalité. La justification doctri-

nale de la limitation de responsabilité ne serait-il pas qu’un mensonge ? Le risque de mer

n’entre en jeu qu’au stade de la réparation (qui est plafonnée) quand on aurait pu s’attendre à ce

qu’il joue un rôle causal au stade de la détermination de la responsabilité. Notre démonstration

commande inévitablement de revenir sur les conditions de la responsabilité.

27. L’omniprésence des risques de la mer n’exonère pas le propriétaire de navire de sa responsabili-

té, à moins qu’ils présentent les traits de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et

extériorité) et occasionnent directement le dommage. Le cas échéant, l’exonération ne peut être

que totale et non plus partielle comme le permettait la jurisprudence Lamoricière (la

responsabilité du gardien du fait des choses étant édulcorée par le cyclone qui avait mené le

navire à sa perte). Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate observent que « si l’on considérait

exagérément le “fait de la mer” comme revêtant en toute hypothèse les caractéristiques de la

force majeure, il y aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la 23 Arnaud Montas et Y. Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fondement du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires d’Aix-Marseille (PUAM).

Page 30: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

29

aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la mer produirait son

effet exonératoire »24. C’est pourquoi la jurisprudence exige que les circonstances naturelles qui

s’interposent entre le fait générateur et le préjudice rompent irrésistiblement le lien de causalité

qui les unissait. Dans un arrêt inédit, en date du 2 avril 2009, la deuxième chambre civile de la

Cour de cassation a ainsi décidé, dans une espèce où une barge amarrée s’était détachée et avait

heurté un ponton sous l’effet d’une tempête, que celle-ci ayant été annoncée par Météo France,

la condition d’imprévisibilité constitutive de la force majeure n’était pas caractérisée.

28. Si la responsabilité de l’armateur est donc engagée et sa dette de réparation limitée, c’est que le

sinistre maritime n’est pas dû « aux forces de la nature » comme le soutenait le doyen Ro-

dière25, mais bien à la faute personnelle du bénéficiaire ou au fait du navire qu’il a sous sa garde

(le navire jouant alors un rôle instrumental)26. Ainsi, hormis l’hypothèse extrêmement rare où

les tribunaux reconnaissent le cas fortuit, la responsabilité de l’armateur reste entière. Elle ne

pourrait pas non plus être partagée entre les co-auteurs que seraient d’une part les phénomènes

naturels ou anonymes, notion abstraite et intangible, et d’autre part le bénéficiaire.

29. Le risque de mer, qui trouble les rapports de causalité, n’apparaît finalement que comme la

cause aggravante du dommage, en ce qu’elle accentue les défaillances humaines et techniques.

Ce concept que nous introduisons ici et qui n’a aucune existence juridique, ne doit pas être

confondu avec les circonstances aggravantes qui ajoutent à la gravité d’une faute pénale. En re-

vanche, ses effets emprunteraient aux circonstances atténuantes qui entraînent une modulation

de la peine dans le sens de la clémence et qui ne diminuent en rien la valeur du fait générateur

24 Arnaud Montas, Droit maritime et force majeure, DMF 2009, n°709, observations sous l’arrêt Cass, civ 2ème, 2 avril 2009, inédit. 25 Cf nos observations au paragraphe n°8, et la note attachée. 26 Pour contourner les clauses limitatives du contrat de transport de passagers, les ayant droits des victimes d’un nau-frage ont invoqué la responsabilité du fait des choses de l'art 1384 al 1er du Cciv à l’encontre de l’armateur. La Haute juridiction a accepté: arrêt Lamoricière du 18 juin 1951. Aujourd’hui, une telle action dirigée contre le transporteur (également propriétaire du navire ou affréteur) ne serait plus recevable depuis que l'article 32 de la loi de 1966 repris à l’article L5422-18 al 3 du Code des transports) dispose que “quelque soit son fondement, l'action en resp contre le transporteur à raison de pertes ou de dommages ne peut être exercée que dans les conditions et limites fixées à la pré-sente section". Au final, le jeu de l'article 1384 al 1er est très rare dans la mesure où la responsabilité du fait du navire est souvent liée à l'abordage. Les situations où il s'applique encore sont les suivantes : collision avec autre chose qu'un navire (ouvrage terrestre) ; dommages causés par la vague d'étrave d'un navire faisant route à grande vitesse (civ 2, 10 juin 2004) ; dommages subis par les personnes à bord non liées contractuellement (transport bénévole par ex; civ 2, 5 mars 1965) ; dommages subis par les tiers (chute d'une pièce du navire par exemple).

Page 31: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

30

mais en réduisent la portée (en effet, la prise en compte des évènements qui entourent la com-

mission d’une infraction ne la disqualifient pas pour autant)27.

30. La théorie de l’équivalence des conditions (dont toutes sont censées être la cause du dommage),

n’est ici pas pertinente. C’est la théorie de la causalité adéquate qui expliquerait le mieux que le

fait de l’Homme ou de la chose gardée soit l’unique source de la responsabilité : tous les évè-

nements concourant au dommage étant d’une importance inégale, il faut n’en retenir qu’un seul.

Autour de lui gravitent des éléments fortuits, comme les périls de la mer. La gravité de la faute

qui constitue la cause efficiente rendant à elle seule le dommage probable, et qui est mesurée à

l’aune des standards sociaux ou professionnels, n’a pas d’incidence sur la détermination de la

responsabilité. En bref, la faute, quelque soit sa gravité, génère la responsabilité de son auteur

(article 1382 du Code civil), à l’exclusion du risque de mer qui, bien qu’ayant contribué au

dommage, n’en est pas la cause juridique (sauf force majeure). La gravité de cette faute affecte-

ra cependant le quantum de la réparation : celle-ci ne sera intégrale que si le bénéficiaire a été

déchu de son droit à limitation en raison de sa faute intentionnelle ou inexcusable.

31. La considération du risque de mer justifie-t-elle alors toujours la limitation de la réparation ? La

Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt Melissa en

date du 18 novembre 198028. En l’espèce, en raison d’une erreur commise dans la manipulation

d’une vanne pendant le déchargement, de l’huile avait été souillée par du suif transporté simul-

tanément. Le capitaine dont la responsabilité a été recherchée tant à titre personnel qu’à titre de

représentant de l’armateur, a sollicité la limitation de responsabilité prévue par la Convention de

Bruxelles de 1957. La Cour d’appel de Rouen a rejeté sa prétention le 3 mai 1977, considérant

que l’avarie dont réparation est demandée n’a pas été causée ou aggravée par un risque de mer

dès lors que la navigation du Melissa avait pris fin lorsqu’elle s’est produite. La Cour de cassa-

tion casse la décision des juges du fond au motif que la faculté pour l’armateur et le capitaine de

limiter leur responsabilité n’étant pas subordonnée à l’exigence d’un risque de mer, ils ont violé

le texte susvisé par refus d’application. Aux dires de l’article premier de la Convention de 1957,

il suffit en effet que le dommage aux biens et aux personnes soit survenu à bord du navire, ou

qu’il ait été provoqué par une personne depuis le navire et qu’il se rapporte à l’administration,

27 A priori, nous ne sommes donc pas d’accord avec l’idée de « faute atténuée » du propriétaire de navire, évoquée par Georges Ripert, Droit maritime, Tome II, 1952, Paris, p.144. 28 Cass, com, 18 novembre 1980, pourvoi n°77-13.205, Bull. civ. IV, n°382.

Page 32: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

31

au transport, au chargement/déchargement de la cargaison, ou à l’embarquement/débarquement

des passagers.

32. La jurisprudence précitée est très respectueuse de la lettre du texte, mais l’est-elle de son esprit ?

Pour la Cour d’appel de Rouen, la navigation ayant cessé, le risque de mer avait disparu. C’est

dire implicitement que toutes les utilisations du navire ne l’exposent pas aux périls de la mer, a

fortiori lorsqu’il est à quai. Faut-il supprimer la limitation de responsabilité quand le fait de la

mer ne s’est pas ajouté à la faute ou à la négligence du bénéficiaire, et qui deviennent alors la

cause exclusive du dommage en fait et en droit ?

33. Tel n’a pas été l’opinion du Comité Maritime International lors de l’adoption de la Convention

de 1976 qui reconduit le schéma de la Convention de 1957. Restent en effet couvertes par la li-

mitation de responsabilité les créances pour dommages « survenus à bord du navire ou en rela-

tion directe avec l’exploitation de celui-ci » (Conv. LLMC, art. 2 ; Code des transports, art.

L5121-3). Part-on du postulat que toutes les opérations menées depuis le navire sont soumises

aux aléas de la mer ? Il ne serait donc pas nécessaire de rapporter la preuve de la concomitance

du risque de mer, irréfragablement présumée.

34. De même, dans l’affaire Melissa, la Cour de cassation élude la question de savoir si les dangers

de la mer guettaient vraiment le navire lorsque le capitaine a commis une erreur de manipulation

de la vanne et souillé l’huile par du suif. Elle évite donc soigneusement de définir ces périls.

Nous n’approuvons pas la manière dont est rédigée la motivation de la Chambre commerciale

car elle laisse penser que le risque de mer n’interfère en rien dans la détermination de la respon-

sabilité. Mais, il faut avouer que l’interprétation stricte du texte débouche au fond sur une solu-

tion pragmatique. Celle-ci permet en effet une application quasi-automatique de la limitation de

responsabilité, épurée de toute considération subjective relative à la simultanéité du risque de

mer, comme le lui impose la Convention internationale. Tout compte fait, la jurisprudence res-

pecte à la fois la lettre et l’esprit de la Convention internationale que nous accusons ouvertement

de dévoyer l’institution traditionnelle de limitation de responsabilité.

35. Pour que le régime de la limitation de responsabilité retrouve sa raison d’être et sa légitimité, de

deux choses l’une :

soit on fait de la coexistence du risque de mer un élément de la qualification de la créance

maritime ;

Page 33: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

32

soit on précise que l’utilisation du navire, au cours de laquelle s’est produit l’accident, est pu-

rement maritime. C’est cette dernière solution qui nous semble la meilleure (la plus simple)

et que nous allons désormais développer.

Section 2 : Supprimer la limitation de responsabilité relative aux créances qui ne sont pas

nées de l’utilisation purement maritime du navire

36. Comme le rappelle Martin Ndendé, « les créances sont maritimes par le lieu de survenance du

dommage -à bord du navire- ou par la relation de causalité existant entre le dommage et

l’exploitation du navire. Pour autant, le caractère maritime de la créance n’est pas lié au risque

de mer »29, ce que nous regrettions déjà à la section précédente. Le recentrage de la limitation de

responsabilité autour de la notion de risque de mer, plutôt que de celle d’exploitation, est à notre

avis souhaitable.

37. L’article L5121-3 du Code des transports pourrait être amendé comme suit: « Les personnes

mentionnées à l’article L. 5121-2 peuvent limiter leur responsabilité envers des cocontractants

ou des tiers, même s’il s’agit de l’Etat, si les dommages se sont produits à bord du navire [lors

de la navigation ou de l’utilisation maritimes] ou s’ils sont en relation directe avec [celles-

ci]». Cette disposition, dont nous proposons une correction, distingue entre les dommages qui se

sont produits à bord du navire et ceux qui se sont produits à l’extérieur du navire.

o Pour les dommages survenus à bord du navire, serait-il justifié que le débiteur oppose la

limitation de responsabilité à ses créanciers alors que le navire est par exemple en répara-

tion dans un chantier naval et qu’il n’a pas à craindre les périls de la mer ? A notre avis, la

réponse est négative et la créance de réparation ne doit être admise à limitation que si le

préjudice s’est produit lors de la navigation ou de l’utilisation maritime du navire, c’est-à-

dire lorsqu’il est à flot.

o S’agissant des dommages survenus à l’extérieur du navire, il semble que le caractère mari-

time de la navigation et de l’utilisation doive également être spécifié.

29 Martin Ndendé, Droits maritimes, oeuvre collective sous la direction de Jean-Pierre Beurier, Dalloz Action, éd 2009-2010, n°364.41, p.534.

Page 34: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

33

Dans les deux cas, nous suggérons donc de circonscrire la limitation de responsabilité aux

créances pour dommages survenus à l’occasion de la navigation ou de l’utilisation maritimes

du navire.

38. La limitation de responsabilité renouerait ainsi avec son fondement (le risque de mer), tandis

que pour l’instant elle est essentiellement gouvernée par son objet (le navire), quelque soit

l’usage auquel on l’emploie. En effet, le droit positif, à l’instar de la loi du 3 janvier 1967, ne

précise pas le type de navigation ou d’utilisation du navire, ce qui laisse la porte ouverte à une

interprétation jurisprudentielle extensive, illustrée par l’arrêt Laura30 daté du 4 octobre 2005. La

Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le jugement au motif que « l’article 58

de la loi du 3 janvier 1967, qui permet au propriétaire d’un navire de limiter sa responsabilité

si les dommages sont en relation directe avec son utilisation, n’excluant pas ceux qui se sont

produits à l’occasion d’une navigation fluviale, la Cour d’appel qui a retenu que le Laura, qui

se livrait habituellement à la navigation maritime, devait être qualifié de navire, et qui a consta-

té que les dommages avaient eu lieu tandis qu’il naviguait sur la Saône, en a déduit exactement

que son propriétaire était en droit de limiter sa responsabilité ». Contrairement à ce que nous

préconisons, il n’est pas tenu compte du milieu dans lequel le navire évolue, ce qui revêt son

importance même quand le dommage a lieu à bord31.

39. Le risque de mer est omniprésent lors de la navigation maritime, c’est-à-dire pendant la phase

de transport. Lorsque le navire ne navigue pas mais qu’il est utilisé à d’autres fins (ce sont les

autres phases de l’exploitation maritime, comme le chargement et le déchargement au port mari-

time), il peut être plus difficile de caractériser le risque de mer, c’est pourquoi il doit être pré-

sumé (dans un souci de simplification on choisira même une présomption irréfragable).

40. Ce n’est pas parce que l’institution est « techniquement organisée autour de la notion

d’exploitation »32 que le risque de mer ne pourrait pas être intégré à la logique de la limitation

de responsabilité. Tous ses bénéficiaires ne participent d’ailleurs pas à l’exploitation. Ne peu-

vent être qualifiés d’exploitants les propriétaires eux-mêmes, les assureurs, les assis-

tants/sauveteurs, tandis qu’ils assument le risque de mer ou s’y confrontent. Cette multiplication 30 Cass, com, 4 octobre 2005, n°02-18.201, navire Laura, Bull. civ. IV, n°189 ; DMF, hors série n°10 de juin 2006, P. Bonassies, n°45. 31 Voir aussi le cas particulier des forfaits touristiques vendus par un organisateur de voyage et comprenant un transport fluvial de passagers : CA Paris, 1er juin 2001, 25ème ch B, obs Philippe Delebecque, Quel est le droit applicable aux croisières maritimes ?, D 2002, p.1319 ; Yves Tassel, DMF juin 2002, hors-série n°6, n°106. 32 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, n°428, p.276.

Page 35: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

34

des bénéficiaires est due à la substitution des intitulés des Conventions : la limitation de respon-

sabilité des propriétaires de navires (1957) s’est muée en limitation de responsabilité en matière

de créances maritimes (1976).

Pourquoi les trois intérêts engagés dans l’expédition maritime (le navire, le fret et la cargaison)

ne bénéficieraient-ils pas de la limitation de responsabilité ? Ne se trouvent-ils pas dans la

même situation : exposés au risque de mer ? Doivent-ils subir un traitement différent en fonc-

tion de l’intérêt de leur activité pour la collectivité ?

Par exemple, Pierre Bonassies verrait d’un bon œil que les chargeurs33 jouissent de ce

« privilège de caste »34.

De son côté, la Cour d’appel de Paris en a refusé le bénéfice à un commissionnaire pris en sa

qualité de transporteur, dans un arrêt du 17 octobre 2007 (affaire Alemania)35. La solution se

comprend par le fait que ces opérateurs -ni propriétaires ni exploitants du navire- ne mettent pas

en péril leur fortune de mer mais leur activité qui, du reste, n’est pas d’intérêt général. La limita-

tion de responsabilité devrait être réservée à ceux qui à tout le moins contrôlent ou ont un intérêt

sur le navire dans sa totalité.

Quid du consignataire et des autres débiteurs terrestres ?

Il est également malaisé de répondre à la question de savoir si tous les affréteurs (affréteur co-

que nue, à temps ou au voyage, affréteur d’espace) ont droit à limitation36, la Loi se contentant

d’employer le terme générique d’« affréteur »37.

Antoine Vialard en vient à dénoncer « la tendance à l’extension inconsidérée des bénéficiai-

res » : « De proche en proche, on voit toutes les professions qui gravitent autour du commerce

maritime prétendre bénéficier à leur tour de la limitation de leur responsabilité, alors qu’elles

ne tâtent du risque maritime que d’une manière tout à fait tangentielle ». En effet, « ce que les

victimes craignent de manquer en s’adressant à un débiteur potentiellement « limité », elles

cherchent à le récupérer auprès de débiteurs qui, pour l’heure, ne bénéficient pas (encore) de

ladite limitation »38.

33 Pierre Bonassies, Chargeur et limitation de responsabilité, DMF février 2008, n°689. 34 Antoine Vialard, La limitation de responsabilité, clé de doute pour le droit maritime du 21ème siècle, DMF 2009, n°699. 35 CA Paris, 5

ème Ch. Sec. A, 17 oct. 2007, n

o 05-15651, navire Alemania. Obs Bertrand Courtois et Frédéric Le Berre,

La limitation de responsabilité peut-elle être invoquée par le commissionnaire de transport ? L’affaire Alemania, DMF 2009, n°707. 36 Henri de Richemont, L’affréteur d’espace peut-il bénéficier de la limitation ?, DMF 2002, n°632. 37 Article L5121-2 du Code des transports et article 1-2 de la Convention LLMC. 38 Voir note n°33.

Page 36: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

35

Aussi, la notion d’utilisation maritime est-elle suffisamment large et les opérateurs bénéficiaires

déjà très nombreux pour qu’on tolère plus longtemps que la limitation de responsabilité de droit

maritime couvre en plus la navigation et l’exploitation fluviales du navire. Il conviendrait fina-

lement de supprimer la limitation de responsabilité à l’égard des créances qui ne sont pas nées

de la navigation ou de l’exploitation maritime du navire, seules réputées assujetties au risque de

mer.

41. Lorsque le navire navigue au-delà du « premier obstacle à la navigation maritime »39, obstacle

qui n’est pas infranchissable (il ne s’agit pas forcément d’un écueil, d’une entrave, mais assu-

rément d’une limite administrative qui détermine la compétence des affaires maritimes), le ris-

que de mer s’efface derrière le risque fluvial (qui à l’évidence est moindre). Dans ce cas de fi-

gure, le droit maritime devrait être écarté au profit du droit fluvial qui connaît également des ré-

gimes de responsabilité limitée. Le plus bel exemple en est la Convention de Strasbourg sur la

Limitation de responsabilité en Navigation Intérieure (CNLI), du 4 novembre 1988 qui repro-

duit à l’identique le système de la Convention LLMC. Mais ce traité, entré en vigueur le 1er sep-

tembre 1997, n’a pas encore été ratifié par la France qui attend certainement que soit achevée sa

révision, attendue pour 2012. Il est notamment prévu que ses plafonds d’indemnisation soient

rehaussés et que son champ d’application, actuellement limité au Rhin et à la Moselle, soit éten-

du à toutes les voies navigables d’importance internationale. En revanche, la réécriture de son

article 1er n’est pas à l’ordre du jour. Celui-ci, établissant un parallélisme parfait avec l’article 1er

de la Convention de 1976 qui concerne les propriétaires de navire, réserve la limitation de res-

ponsabilité aux propriétaires de bateaux de navigation intérieure.

42. On aurait pu espérer qu’à l’occasion de cette réforme, la distinction relative aux engins (navire

ou bateau) et l’affectation habituelle de celui-ci à telle ou telle navigation soient abandonnées au

profit d’un critère spatial : eaux marines ou fluviales. De nouveau, nous proposons une autre

version de l’article 2 de la CNLI : seraient « soumises à limitation les créances pour mort, lé-

sions corporelles, pertes ou dommages à tous biens survenus à bord du bateau [ou du navire

pendant la navigation ou l’utilisation fluviales] ou en relation directe avec [celles-ci]».

On pourra objecter que la similitude des régimes de limitation de responsabilité de droit fluvial

et maritime relativise le débat. Mais ce serait faire abstraction des montants des plafonds 39 Cf l’introduction, point n°2.

Page 37: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

36

d’indemnisation qui diffèrent sensiblement. Tandis que ceux de la CNLI sont en passe d’être ac-

tualisés, ceux fixés par la Convention LLMC modifiée en 1996 datent de plus de quinze ans.

Toute autre est la question de savoir ce qui justifie une telle limitation de responsabilité en droit

fluvial40. C’est à se demander si la motivation de l’intérêt général n’est pas devenue prédomi-

nante au point d’occulter le risque de mer.

40 Cécile Tournaye, La révision de la Convention sur la limitation de la responsabilité en navigation intérieure, DMF juillet 2011, n°727.

Page 38: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

37

Titre II : Restreindre le champ d’application de la limitation de respon-

sabilité à l’aune de l’intérêt général

Le fait que le principe de la limitation de responsabilité donne satisfaction à des intérêts privés n’est

pas nécessairement exclusif de l’intérêt général, justification contemporaine de l’institution (chapi-

tre 1).

Celle-ci devrait logiquement être écartée lorsque l’intérêt général s’estompe et que triomphent

l’individualisme ou un intérêt économique supérieur (chapitre 2).

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère

d’intérêt général des activités maritimes.

Le principe de la réparation intégrale du préjudice ne peut souffrir d’exception que si celle-ci est

motivée par l’intérêt général (section 1), lequel se présente comme le fondement actuel et suffisant

de la limitation de responsabilité (section 2).

Page 39: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

38

Section 1 : Atteinte au principe de la réparation intégrale, proportionnée au but d’intérêt géné-

ral poursuivi par les activités maritimes.

43. Si le législateur est particulièrement bienveillant à l’égard des opérateurs maritimes c’est qu’ils

mènent une activité d’intérêt général, dans un environnement à hauts risques. En droit positif,

toutes les dettes de responsabilité sont donc indistinctement admises à limitation. L’article

L5121-3 du Code des transports permet en effet aux personnes mentionnées à l’article L. 5121-2

de limiter leur responsabilité « envers des cocontractants ou des tiers, même s’il s’agit de

l’Etat ». Cette disposition contrarie franchement les principes qui gouvernent le droit de la res-

ponsabilité (quasi) délictuelle et contractuelle.

44. Le concept d’intérêt général est le seul à pouvoir justifier qu’il soit fait échec au principe de la

réparation intégrale, dont nous allons brièvement retracer la genèse. De l’article 1382 du Code

civil, selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige

celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », la Cour de cassation en a tiré la conclusion

suivante: « Vu l’article 1382 du Code civil. Attendu que le propre de la responsabilité civile est

de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la

victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte domma-

geable n’avait pas eu lieu »41. Et comme tout principe général du droit visé a pris jadis la

« forme initiatique »42 d’un attendu de principe, c’est désormais au seul visa du principe de la

réparation intégrale que des arrêts de cassation retiennent que les dommages et intérêts alloués

ne peuvent ni excéder le montant du préjudice43 ni lui être inférieure44. Le dédommagement dû

par le responsable doit donc couvrir tout le dommage (et uniquement le dommage), sans qu’il

en résulte un enrichissement ou un appauvrissement de la victime. Mais, le principe de la répa-

ration intégrale n’ayant qu’une valeur législative, le législateur français ou international (les

Conventions ayant une autorité supérieure à celle des lois) peut y apporter des restrictions justi-

fiées par l’intérêt général. C’est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision en

41 cass, civ 28 octobre 1954, Gaz. Pal. 1955 I.10. 42 Patrick Morvan, Les principes généraux du droit et la technique des visas dans les arrêts de la Cour de cassation, Cycle de conférences Droit et technique de cassation 2005-2006, 5ème conférence, 4 avril 2006, consultable sur le site : www.courdecassation.fr/IMG/File/intervention_morvan.pdf 43 Civ. 1re, 9 nov. 2004: Bull. civ. I, no 264 44 Civ. 2e, 12 mai 2011, pourvoi n°10-17.148, Legifrance.

Page 40: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

39

date du 6 mai 2011, relative à l’indemnisation forfaitaire des accidents et maladies profession-

nelles45.

45. En droit de la responsabilité contractuelle, l’exigence d’une entière indemnisation découle de

l’article 1149 du Code civil : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de

la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-

après ». Ainsi, aux termes de l’article 1150, autre disposition maîtresse du Code civil, « le débi-

teur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du

contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ». Les clauses

limitatives ou élusives de responsabilité sont donc licites tant qu’elles ne contredisent pas « la

portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »46.

Bien que le créancier n’y ait jamais consenti, la réparation de ces dommages prévisibles subit

parfois une double limitation. Par la volonté unilatérale du débiteur, les plafonds tirés de la

Convention LLMC viennent s’ajouter aux clauses stipulées au contrat ou, à défaut, aux disposi-

tions spécifiques qui le régissent de plein droit (s’il en existe). Les mécanismes de limitation

fonctionnement pourtant différemment, notamment quant aux causes d’exclusion (faute simple,

lourde, dolosive -intentionnelle-, inexcusable). Il y a donc quelque chose de choquant à ce que

le débiteur oppose a posteriori les articles L5121-1 et suivants du Code des transports alors que

les énonciations contractuelles ou particulières ont été déjà été écartées en raison de sa faute

lourde.

Ne serait-ce pas méconnaître l’article 1134 du Code civil que de superposer les limitations de

responsabilité ? Ne serait-ce pas violer la commune intention des parties, anéantir la force obli-

gatoire du contrat et surtout trahir la confiance du créancier ?

Tel avait été l’analyse de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt très critiqué en date du 31 oc-

tobre 198447. En l’espèce, la responsabilité de l’appelant était recherchée sur le fondement du

contrat de transport de marchandises, soumis au régime impératif de la Convention du 25 août

1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement (dite Règles de La

45 CC, 6 mai 2011, n°2011-127 QPC, obs Patrick Chaumette, Du recours en faute inexcusable de l’armateur en cas d’accident du travail maritime, DMF juillet 2011, p.623. 46 Cass, com, 29 juin 2010, pourvoi n° 09-11.841, arrêt Faurecia. 47 CA Paris, 31 octobre 1984, osb Pierre Bonassies, DMF 1985, n°668 (arrêt consultable sur la base de jurisprudence en ligne wwww.lamyline.fr)

Page 41: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

40

Haye), à laquelle faisait d’ailleurs référence la clause Paramount. Il a été jugé que, même si le

transporteur avait eu la qualité de propriétaire de navire, il n’aurait pas pu se prévaloir des dis-

positions de la Convention du 10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétai-

res de navires, car il ne les avait pas fait entrer dans le champ contractuel. Il en découle que les

dettes de responsabilité dont le règlement n’avait pas été contractuellement limité étaient ex-

clues du régime conventionnel et supplétif de 1957.

Dans une affaire similaire, celle du navire Alemania, le transporteur n’ayant pas non plus pré-

tendu être le propriétaire du navire, la Cour d’appel a écarté la Convention LLMC de 1976, sans

qu’on sache vraiment si a contrario elle aurait accepté le principe du cumul48. Celui-ci n’est

pourtant pas exclu par les Règles de La Haye (article 8) et la Convention d’Athènes du 13 dé-

cembre 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (article 19)49 qui pré-

cisent ne modifier en rien les droits et obligations du transporteur tels qu’ils résultent des

conventions internationales sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. Cette

décision laisse donc pendante la question de savoir si la limitation de responsabilité ne devrait

pas être supprimée pour les dommages prévisibles et ne concerner que les dommages imprévisi-

bles.

La Convention LLMC aurait-elle pour effet d’autoriser le juge judiciaire à modifier le contrat en

raison du changement radical des circonstances qui l’entourent (spécialement la survenance

d’une catastrophe donnant brusquement naissance à une multitude de créances auxquelles le bé-

néficiaire ne peut faire front sans mettre en péril son activité) ? Certainement pas car non seu-

lement il leur est défendu de prendre en compte l’imprévision, par exemple en ajoutant ou subs-

tituant des clauses nouvelles à celles qui ont été librement négociées ; mais en plus il n’est pas

touché ici au contenu du contrat dont seuls les effets seront éventuellement modulés par le jeu

de la mise en concurrence des créanciers sur le fonds de limitation. Ainsi, une fois la constitu-

tion du fonds autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de commerce, le montant de la

créance maritime qui aura d’abord été calculé suivant les clauses limitatives de réparation, sera

payé au prorata des sommes à distribuer sur le fonds si celui-ci est insuffisant pour désintéresser

tous les créanciers.

48 Voir note 35. Obs Olivier Cachard, Le commissionnaire de transport face aux « limitations» des Conventions mariti-mes de 1924 et de 1976, DMF 2008, n°690. 49 La Convention d’Athènes n’a pas été ratifiée par la France.

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41

Ce mécanisme n’est pas sans rappeler les procédures collectives auxquelles empruntent beau-

coup l’esprit et la technique de la limitation. Sauf que d’une part, à l’occasion de la sauvegarde

(ouverte à la demande du débiteur justifiant de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmon-

ter), du redressement ou de la liquidation judiciaire (obligatoires dès la cessation des paie-

ments), il peut être réellement dérogé au principe d’intangibilité des contrats, et que d’autre part

le droit à limitation n’est pas conditionné par l’insolvabilité prévisible ou avérée du bénéficiaire.

46. La limitation de responsabilité opposée aux créanciers maritimes porte également atteinte à

leurs « droits naturels et imprescriptibles » que sont notamment l’égalité et la propriété50. Ga-

rantits par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), ils ont leur

pendant dans de nombreux textes, au premier rang desquels la Convention de sauvegarde des

Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, ratifiée par la France en 1974.

L’article 1er de la DDHC déclare en effet que « les hommes naissent et demeurent libres et

égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Il

interdit donc toute forme de discrimination, et ce quelque soit la situation sur laquelle elle se

base, sauf exception tenant à l’intérêt général.

L’article 17 de la DDHC spécifique à l’expropriation relève de son côté que « la propriété étant

un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,

légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemni-

té ». Il en résulte -en extrapolant- qu'une personne ne peut être privée de son droit à réparation

qu'à condition que soit respecté le juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de la

sauvegarde du droit au respect des biens (lesquels auraient par exemple subi des dégradations à

bord du navire ou en relation directe avec son exploitation).

La limitation de responsabilité porte-t-elle une atteinte disproportionnée à ces droits à valeur

constitutionnelle ? A notre avis, non car la réparation n’est pas exclue mais simplement limitée.

Bien au contraire, elle est proportionnée à l’assurabilité du risque de mer.

47. Mais comment définir cet intérêt supérieur pour lequel la limitation de responsabilité a été insti-

tuée ? La notion a évolué : initialement attachée au domaine, travaux et service publics, elle

50 Article 2. Dans l’esprit de la DDHC, il s’agit surtout de la propriété immobilière.

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42

s’est considérablement élargie au point d’embrasser désormais tout ce qui peut avoir une utilité

collective. Ainsi, qu’elle accomplisse ou non une mission de service public, une activité mari-

time peut être reconnue d’utilité sociale. Il résulte en effet de la combinaison des articles L5000-

251 et L5121-352 du Code des transports que presque tous les navires sont éligibles à la limita-

tion de responsabilité, quelque soit leur affectation. En effet, répondent à la définition de navire

tous les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime et affectés soit au

commerce ou à la pêche, soit à des services publics à caractère administratif, industriel ou com-

mercial -nous mettons sciemment de côté la plaisance-.

48. Dans le domaine économique, les lois qui protègent l’intérêt général contiennent généralement

des dispositions impératives, relevant d’un ordre public de direction. Or, tel n’est pas le cas de

d’un régime de limitation supplétif de la volonté, lequel traduit plutôt un ordre public de protec-

tion qui tend à la défense d’intérêts particuliers estimés primordiaux. En est-il même question ?

Rien n’empêchent les propriétaires, armateurs, affréteurs (pour ne citer qu’eux) de renoncer par

avance, dans un contrat, à user de leur prérogative, dont ils ont la libre disposition. Ils décident

en effet, d’une manière discrétionnaire, de constituer ou non un fonds de limitation. Ce n’est

qu’une fois qu’ils ont choisi, au vu de l’ampleur des dommages, d’exercer cette faculté que les

créanciers sont assujettis à la procédure obligatoire mise en œuvre qui les privera d’une partie

de l’indemnisation à laquelle ils auraient pu légitimement prétendre. Mis à part ce troublant pa-

radoxe, il faut bien voir que personne ne conteste, dans le fond, le caractère d’intérêt général de

certaines activités maritimes.

Section 2 : L’intérêt général défendu par les activités maritimes, fondement alternatif au ris-

que de mer.

49. L’intérêt général est-il le fondement le plus solide de la limitation de responsabilité ? Le risque

de la mer pourrait être jugé insuffisant car il est aujourd’hui largement maîtrisable par un arma-

teur compétent. En revanche, le fait qu’il n’existe pas de limitation de responsabilité dans

d’autres situations périlleuses n’explique en rien, à notre avis, la remise en cause du risque de

51 Définition du navire 52 Droit à limitation opposable aux créances pour dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec la navigation ou l’utilisation.

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43

mer. En effet, le législateur a peut-être mal évalué le risque couru à l’occasion de la navigation

aérienne ou de l’exploitation d’une usine de produits chimiques, pour reprendre les illustrations

de Pierre Bonassies. Celui-ci voit dans l’intérêt général le fondement inébranlable de

l’institution qu’il promet à un bel avenir53.

50. Mais en quoi certaines activités maritimes sont-elles d’intérêt général ? La voie maritime est

empruntée par 72% des importations et exportations françaises et 90% des marchandises trans-

portées dans le monde (soit environs 35 000 milliards de tonnes-milles ramenés à 8 milliards de

tonnes si on ne prend pas en compte les milles nautiques parcourus ; donc en moyenne une

tonne de marchandises parcourt 4.375 milles ou 8100 kilomètres ce qui correspond à des trajets

intercontinentaux).

La rupture du trafic maritime signifierait pour la France « non seulement la faillite immédiate de

nombreuses industries mais également à moyen terme l’asphyxie totale de l’économie du

pays »54. Le trafic maritime n’a eu de cesse de s’intensifier en raison de la libéralisation des

échanges, de la délocalisation de la production et de la conteneurisation. Transitent par mer tou-

tes sortes de marchandises : les biens manufacturés en provenance d’Asie, les matières premiè-

res (telles que les métaux, le charbon, les hydrocarbures) et les denrées alimentaires, générale-

ment maintenues sous froid. Le secteur du transport maritime a pourtant traversé une crise sans

précédent, déclenchée par la faillite de la banque américaine Lehman Brothers le 15 septembre

2008, faisant littéralement chuter la demande. Elle survient alors que les armateurs, encouragés

par la croissance de ces dernières années avaient commandé et réceptionné de nouveaux navires

menant à la surcapacité des flottes55. Ce n’est qu’à partir du printemps 2010, au moment de la

reprise de la consommation, que le transport maritime a pu de nouveau remplir son office

d’approvisionnement des marchés, notamment européens56.

Pareillement, on ne peut nier le caractère d’intérêt général du transport maritime de passagers.

Cette activité n’est plus aussi florissante que par le passé car elle a été détrônée par l’avion dès

la moitié du XXe siècle pour les longues distances. Elle subsiste donc sur des courts trajets à

53 Pierre Bonnassies, Rapport de synthèse, DMF 2002, n°632 (9ème journée Ripert dédiée à la limitation de responsabili-té). 54 Martine Rémond-Gouilloud, Avant-propos, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, éd 1988. 55 Paul Tourret, La crise maritime internationale, note de synthèse n°120 de l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), décembre 2009, consultable sur Internet à l’adresse suivante : www.isemar.asso.fr/fr/pdf/note-de-synthese-isemar-120.pdf 56 Paul Tourret, Quelle reprise pour le transport maritime international ?, note de synthèse n°130, ISEMAR, décembre 2010, consultable sur Internet à l’adresse suivante : www.isemar.asso.fr/fr/pdf/note-de-synthese-isemar-130.pdf

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44

destination des îles (dont la desserte constitue parfois même un service public) ou pour le pas-

sage des détroits.

Le transport maritime est présenté comme le moyen d’acheminement le plus sûr pour les mar-

chandises et les passagers. Selon les statistiques, la réalisation du risque de mer reste donc ex-

ceptionnelle, mais le cas échéant, elle a des retombées financières très lourdes pour les arma-

teurs. Le risque subsiste donc et justifie au moins autant la limitation de responsabilité que le ca-

ractère d’intérêt général de certaines activités maritimes.

Le transport maritime est évidemment le moins coûteux et le plus écologique comparé au trans-

port routier et aérien. Ainsi, sachant que pour déplacer une cargaison de trente milles tonnes, il

faut affréter sept cents cinquante camions ou vingt barges ou un seul navire, démonstration est

faite qu’il conviendrait de développer le transport maritime à courte distance, notamment en Eu-

rope. Dernier élément qui achèvera de convaincre les éventuels détracteurs, le transport mari-

time se fait très discret, contrairement à l’aérien et au routier qui sont sources de nuisances : un

ensemble de facteurs techniques comme le bruit, la pollution, l’encombrement des réseaux, nui-

sent en effet à la qualité de vie.

L’intérêt général commande également le maintien des emplois générés par ces activités mari-

times. Autour des gens de mer gravitent de multiples professions para-maritimes dans le secteur

secondaire (construction navale,…) et tertiaire (logistique, assurance, sécurité, entretien des na-

vires et des infrastructures, services portuaires, bancaires et juridiques, équipements technologi-

ques, formation, …). En France, mis à part les 10.000 navigants de la Marine marchande, on

dénombre près de 447 000 postes en relation directe avec les activités maritimes.

51. La limitation de responsabilité concourt-elle à la défense de l’intérêt général ? Oui, car, derrière

le soutien économique indispensable à l’industrie maritime qu’elle constitue, se profile toujours

en toile de fond la volonté de renforcer la sécurité.

Il s’agit d’abord d’attirer les capitaux qui font cruellement défaut. Ainsi, selon Yves Tassel « la

course aux quirats57, investissement dans lequel celui qui n’exploite pas le navire peut limiter sa

responsabilité, montre la nécessaire pérennité de la limitation. La constitution des pools et des

57 part de copropriétaire. En France, la société de quirataire a disparu depuis la loi de finances de 1998, au profit d’un GIE fiscal (groupement d’intérêt économique).

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consortiums le manifeste : la construction et l’exploitation des navires actuels dépassent sou-

vent les possibilités d’une seule société. Le vieillissement des flottes et la difficulté de les renou-

veler prouve que la situation économique est défaillante »58.

Doté d’un pouvoir de régulation, l’Union européenne, surveille de près ces pools et consortiums

accusés de fausser la concurrence, objectif qu’elle s’efforce de concilier avec celui d’intérêt gé-

néral. En revanche, c’est la sanction de l’abus de droit qui pèse comme l’épée de Damoclès sur

certains montages sociétaires qui fractionnent le patrimoine de l’armateur en autant de sociétés

que de navires dont il est propriétaire (c’est le phénomène des single ship companies qui mettent

à l’abri de la saisie les navires des autres sociétés). A moins que les créanciers parviennent à

démontrer la fictivité de la filiale qui s’interpose, ces artifices rendent parfois impossible

l’identification du propriétaire qui élude sa responsabilité. Supprimer la limitation de responsa-

bilité encouragerait-il cette inclinaison des opérateurs maritimes à diluer au maximum le risque?

A ces considération économiques, un argument politique vient s’ajouter : il n’y a pas que la si-

tuation économique qui soit défaillante, il y a également certains Etats comme le Libéria et le

Panama, qui n’exercent pas de contrôle de sécurité effectif sur leurs navires, certainement faute

de moyen. C’est toute la problématique des pavillons de complaisance, accordés en l’absence de

lien substantiel entre le navire et l’Etat. Ils entretiennent la vétusté de la flotte mondiale (si on

peut se permettre cet oxymore), obligeant les Etats côtiers et les Etats du port à redoubler

d’efforts pour d’une part lutter contre le dépavillonement (en allégeant les charges sociales et

fiscales voire en créant un pavillon bis) et d’autre part pour pallier les carences des Etats du pa-

villon par l’adoption d’un cadre juridique les autorisant à imposer le respect de leurs propres

normes59. Ainsi, pour nuancer les propos de Martine Rémond-Gouilloud, la liberté des mers af-

firmée par Grotius ne « signifie [plus tout à fait] la jungle »60.

Pour développer le commerce maritime, en concurrence avec d’autres modes de transports, plus

rapides, il faut donc s’évertuer à attirer les capitaux, encourager les investissements. Mais il y a

t-il d’autres activités maritimes que le transport de marchandises et de passagers qui méritent

protection au nom de l’intérêt général ? Indéniablement, il y a la pêche dont il n’est pas besoin

de vanter les mérites et qui est généralement organisée en coopératives dont toutes ne poursui-

58 Yves Tassel, Le droit maritime, un anachronisme ?, revue juridique en ligne Neptunus, 1995, vol 1-2. 59 Voir par exemple le Memorendum of understanding (Mou), Paris, 1982. 60 Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988, avant-propos, IV .

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vent pas un but lucratif. Elle bénéficie par ailleurs d’aides structurelles positives, issues de la

Politique commune des pêches (PCP) et c’est ici qu’on mesure toute la portée du caractère

d’intérêt général de cette activité. De même, les navires câbliers, sabliers, remorqueurs, navires

de recherche… sont indubitablement armés pour servir l’intérêt général. Au sommet de

l’édifice, se placent les assistants et sauveteurs en mer.

52. Au terme de cette étude, la limitation de responsabilité apparaît pleinement justifiée pour le pro-

priétaire et les exploitants de navires qui misent sur des activités maritimes d’intérêt général.

Mais à l’égard des intérêts particuliers qu’elle satisfait également, et des intérêts économiques

supérieurs auxquels elle se heurte, la limitation de responsabilité ne se justifie plus.

Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en présence

d’un intérêt supérieur ou exclusif de l’intérêt général.

Deux excroissances de la limitation de responsabilité devraient être éliminées : d’une part, les

créances auxquelles donnent naissance les activités qui ne sont pas d’intérêt général et qui sont dé-

tenues par des tiers au monde maritime (section 1) ; d’autre part, les créances pour dommages cau-

sés aux installations portuaires dont la réparation représentent un intérêt supérieur (section 2).

Section 1 : Extension déraisonnable de la limitation à ceux qui bravent le risque de mer dans

leur intérêt propre et exclusif - le triomphe de l’individualisme

53. Il est régulièrement rappelé que la limitation de responsabilité se justifie par le risque de mer et

le caractère d’intérêt général des activités maritimes. Or, on s’est aperçu au fil de nos dévelop-

pements que l’admission de la créance à limitation tenait parfois à la seule réalisation du risque

de mer (navigation de plaisance) ou à la seule considération du but poursuivi par l’expédition

(l’intérêt général -navigation fluviale-). Il n’est pas exigé de répondre cumulativement à ces

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deux critères. On imagine même en théorie que la limitation de responsabilité puisse s’appliquer

à un navire de plaisance naviguant dans les eaux fluviales ! La raison en est que le droit mari-

time s’est au fur et à mesure détaché de ses fondements. Ceux-ci n’ont manifestement pas guidé

son évolution : dans un souci de simplification, la notion de navire a toujours prédominé alors

qu’elle est longtemps restée indéfinie. Par son imprécision61, le législateur a laissé se bâtir une

jurisprudence qui ne pouvait refuser à certains propriétaires de navires le bénéfice de la limita-

tion de responsabilité sans ajouter aux textes ou les dénaturer, et qui dans un élan d’équité préfé-

rait disqualifier le navire plutôt que de limiter la réparation de la victime d’un préjudice corpo-

rel. Mais au bout du compte, une fois les solutions prétoriennes entérinées62, les tentatives pour

remettre en cause des acquis égoïstement arrachés avortent le plus souvent.

54. Or, il est évident que la plaisance n’est pas d’utilité commune, qu’elle soit commerciale, spor-

tive, touristique, professionnelle ou amateur, que le navire soit utilisé à des fins privées ou col-

lectives 63. Par ailleurs, les navires de plaisance sont le plus souvent de petites unités très vulné-

rables64, surtout lorsqu’elles n’ont qu’un moteur pour moyen de propulsion. Les statistiques sont

formelles : les assistants et sauveteurs portent essentiellement secours à des plaisanciers, les-

quels s’aventurent parfois inconsciemment en mer.

55. Comment ce loisir particulièrement dangereux pourrait-il servir le bien-être collectif ? On ne

voit que l’exposition du navire de plaisance au risque de mer pour justifier la diminution de la

contribution à la dette des plaisanciers. Il existe certainement d’autres moyens, plus directs,

d’encourager la construction navale que de priver les victimes d’une partie de la réparation à la-

quelle elles pouvaient légitimement prétendre. En définitive, lorsque la limitation de responsabi-

lité n’est pas liée à une activité d’intérêt général, il faudrait soit la supprimer soit veiller à ce

qu’elle ne concerne que les créanciers qui ont aussi accepté, en connaissance de cause, de courir

le risque de mer.

61 « Tout propriétaire de navire» peut invoquer les dispositions de la Convention de 1976, « chaque propriétaire d’un navire » pour celles de la loi du 3 janvier 1967. Application de l’adage selon lequel il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. 62 Première définition légale du navire donnée par l’article L5000-2-I du Code des transports : « Sauf dispositions contraires, sont dénommés navires pour l’application du présent code : 1° Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ». 63 Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988, p.175, n°313 (Yachts de plai-sance). 64Tandis que la Convention de 1976 ne s’applique qu’aux navires de plus de 500 tonneaux, le droit français

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56. De même, parce que les accidents qu’ils provoquent peuvent entraîner une pollution touchant

divers intérêts, dont certains sont étrangers à l’exploitation du navire, les transports

d’hydrocarbures, de substances nocives ou nucléaires ont été eux-mêmes soustraits au régime

général de responsabilité pour subir un traitement plus sévère. Ainsi, malgré le caractère

d’intérêt général de ces activités, les plafonds de limitation ont été relevés par rapport à ceux de

la Convention de 1976. Le principe de la limitation a toutefois été maintenu car il se présente

comme la contrepartie de la responsabilité de plein droit des propriétaires et exploitants de ce

type de navires. Ce mécanisme différent s’explique par l’impérieuse nécessité d’avoir un res-

ponsable qui réponde au moins en partie du dommage causé, l’autre partie étant prise en charge

par un fonds d’indemnisation (le FIPOL, fonds d’indemnisation des victimes de pollution par

les hydrocarbures est par exemple alimenté par l’industrie pétrolière).

57. Il faut donc renforcer ce qu’il reste de la limitation traditionnelle de responsabilité, qui

s’applique déjà par défaut, afin qu’elle ne devienne pas un régime résiduel sans cohérence

d’ensemble. A l’instar de René Rodière, nous nous demandons donc « s’il ne faut pas émietter

davantage encore le tronc commun de la responsabilité des propriétaires de navires (…). On

peut redouter le pire, (c’est-à-dire) l’oubli de tout ce qui peut justifier en matière maritime et

seulement sous l’angle des navires un système de limitation ». Les remarques que nous formu-

lons valent également pour la croisière, même si l’on peut craindre la vive réaction des lobbies à

l’annonce de la perte partielle de leur privilège de limitation (nous supposons que les croisiéris-

tes acceptent de courir le risque de mer). Mais l’impact politique est négligeable à côté de

l’impact économique du système, et qui préside seul à la nécessité de le réformer (quid de

l’assurabilité du risque notamment ?). C’est pourquoi, faute de données suffisantes, nous nous

contentons de ranimer le débat qui avait été ouvert en 199265.

58. Cette année là, un projet de loi avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, dont la

teneur était la suivante : la responsabilité des propriétaires de navires d’une jauge inférieure à

trois cents tonneaux, et des engins de plaisance, est illimitée en ce qui concerne les créances

pour mort ou lésions corporelles. A contrario, la limitation de responsabilité subsiste pour les

dommages aux biens. Ce compromis qui n’a pas abouti posait toutefois deux problè-

mes soulignés par Pierre Bonassies. Le premier avait trait au champ d’application matériel de la

disposition qui excluait tous les navires de moins de trois cents tonneaux sans distinguer entre

65 Projet de loi déposé le 2 janvier 1992 ; Obs Pierre Bonassies, Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité, DMF 1993, n°524.

Page 50: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

49

les navires de plaisance, les navires de pêche, les navires pilote ou encore les navires de recher-

che. Le second tient à la compatibilité et à l’effectivité de cet amendement en droit internatio-

nal : serait-il opposable à tous les navires, qu’ils battent pavillon français ou étranger (y compris

d’un Etat non signataire de la Convention) ?

59. On pressent bien la difficulté qu’il y a à distinguer non pas selon les chefs de préjudice mais

selon que les créanciers tirent ou ne tirent pas directement avantage des activités mariti-

mes. Ainsi, quand elle joue au profit exclusif d’intérêts particuliers, la limitation de responsabi-

lité ne se maintient que par des artifices. Le système n’est viable que s’il fonctionne en vase

clos66, c’est-à-dire entre armateurs, tous étant appelés un jour à en souffrir et à jouir. En revan-

che, lorsqu’elle a vocation à assurer la pérennité des activités maritimes d’intérêt général, elle

peut légitimement être opposée à tous créanciers, contractants ou tiers, à moins de se heurter à

un intérêt qui lui est encore supérieur.

Section 2 : Incompatibilité de la limitation de responsabilité avec l’intérêt économique supé-

rieur des ports maritimes.

60. Les navires et les ports maritimes sont interdépendants. Ces derniers (lieux de refuge et

d’avitaillement, abris aménagés pour le chargement des cargaisons et l’embarquement des pas-

sagers) constituent le complément indispensable des activités maritimes.

61. Les ports français subissent également de plein fouet la mondialisation et l’ouverture à la

concurrence, malgré la décentralisation progressive de leur gestion. Manquant de compétitivité,

ils n’ont pas su retenir une partie du trafic maritime approvisionnant le marché français, qui s’en

est allé à l’étranger : Rotterdam, Anvers, … La loi n°2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme

portuaire a notamment permis le transfert de la propriété de l’outillage des grands ports mariti-

mes, du secteur public au secteur privé. Le 29 juin 2011, la Commission a approuvé la procé-

dure de cession aux prix du marché des grues et engins en tous genres, qui ne constitue donc pas

une aide d’Etat au profit des entreprises de manutention. On espère, du même coup, assainir les

finances publiques et relancer la productivité des ports. Dans ce contexte, une amélioration de 66 Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988, p171, §306.

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50

leur performance ne pourrait-elle pas être le fait de la révision du principe de la limitation de

responsabilité ? Si le principe de la limitation est écarté pour les créances d’enlèvement et de

destruction des épaves par l’Etat67, ce n’est pas le cas des créances de responsabilité que les

ports maritimes, victimes de dégradations incessantes de leurs ouvrages, détiennent contre les

propriétaires et exploitants de navires.

62. En effet, selon la convention LLMC de 1976 (article 2§1a) sont notamment soumises à limita-

tion les créances dont sont titulaires les personnes morales de droit public, pour « dommages à

tous biens (y compris les dommages causés aux ouvrages d’art des ports, bassins, voies naviga-

bles et aides à la navigation) ». Cette précision n’est pas reprise en droit français, l’article

L5211-3 du Code des transports limitant les créances pour dommages qui se sont produits à

bord du navire ou qui sont en relation directe avec la navigation ou l’utilisation du navire. Mais

il ne fait aucun doute que la limitation de responsabilité demeure pleinement opposable aux

créances pour dommages causés par le navire à un port, « chose contre laquelle les ports fran-

çais protestent vainement depuis de nombreuses années, en observant que leur responsabilité à

l’égard des navires ne connaît, elle, aucune limitation »68. Cette absence de réciprocité, de soli-

darité de part du monde maritime dans le partage du risque, en cas de dommage causé par

l’installation portuaire au navire est très mal supportée. Conviendrait-il alors de supprimer la

limitation de responsabilité relative aux créances pour dommages aux ouvrages d’art des ports

ou d’en accorder le bénéfice à ces derniers ?

63. La thèse de la suppression de la limitation de responsabilité n’est pas ouvertement soutenue par

Robert Rézenthel qui invite juste le législateur à « remédier [à] la situation » qu’il décrit69. Ain-

si, l’opposabilité de la limitation de responsabilité aux autorités portuaires affecteraient directe-

ment plusieurs principes de valeur constitutionnelle au nombre desquels :

la protection du domaine public maritime artificiel (dont les atteintes sont sanctionnées par

une contravention de grande voirie70 prononcée par le juge administratif, ayant la particulari-

té d’entraîner à la fois une peine d’amende et une indemnité compensatrice, et pour lesquel-

les il peut être désormais transigé71) ;

67 article L5121-4 du Code des transports 68 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p 273, n°416 in fine. 69 Robert Rézenthel, Les autorités portuaires face aux privilèges des propriétaires de navires, DMF 1996, n°560. 70 Article L2132-2 et s. du Code général de la propriété des personnes publiques, article L331-1 du Code maritime. 71 Article L2132-25 Code général de la propriété des personnes publiques.

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51

le principe de la continuité du service public compromise par l’impossibilité financière de

remettre en état les infrastructures endommagées ;

enfin, celui de l’égalité de tous devant les charges publiques.

L’auteur invoque en dernier recours qu’une limitation de la réparation pourrait entraver les im-

portations et exportations, au sens du Traité de Rome.

64. La thèse de l’extension de la limitation de responsabilité au bénéfice des « gestionnaires de ter-

minaux ou d’installations portuaires quel que soit leur statut public ou privé » est, elle, ostensi-

blement défendue par Laurent Fedi72. Il faudrait d’après lui rééquilibrer les rapports de force en

leur reconnaissant formellement la limitation de responsabilité. « Considérant leur rôle dans le

commerce maritime mondial, cette revendication, qui appartient déjà au siècle passé, semble

plus que jamais légitime ». Mais, pour que la limitation de responsabilité en matière de créances

maritimes s’applique, il faudrait encore que les installations portuaires répondent à la définition

de navire, ou que le droit international et interne s’affranchissent de cette condition exclusive

tenant à la qualité de l’engin.

65. Il existe encore une troisième voie, sans aucun doute financièrement la plus intéressante pour le

port : seuls les propriétaires des infrastructures pourraient limiter la réparation due aux arma-

teurs.

66. Quel schéma adopter : celui de la réparation intégrale pour tous ou de la limitation pour tous ?

Vaut-il mieux radicalement privilégier le port ou au contraire conserver la solution de droit po-

sitif qui favorise les armateurs ? Pour répondre à cette question, il faudrait être en possession de

tous les éléments qui permettent de mesurer l’économie de chaque figure, de mettre en balance

ses avantages et inconvénients. Dans l’immédiat, nous nous tournons vers la suppression de la

limitation pour les dommages causés au domaine public ou privé portuaires, autrement dit vers

leur réparation intégrale. Le bon état des installations est un gage supplémentaire de sécurité

pour les navires. La contribution des armements au maintien de la qualité du service profitera au

port lui-même comme à tous ses usagers. Cependant, tandis que la jurisprudence n’a aucune

exigence quant à l’affectation de l’indemnité reçue73, il pourrait être mis à la charge de

l’opérateur portuaire une obligation de procéder aux réparations de l’ouvrage détérioré.

72 Laurent Fedi, Le cadre juridique international de l’exploitation des installations portuaires ou comment passer d’une législation atomisée spécifique à un régime universel reconnu, DMF 2008, n°694. 73 CE, 9 avril 1954, Cie générale de navigation, Lebon, 231.

Page 53: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

52

Conclusiondelapremièrepartie 67. S’achève ici la première partie de notre étude consacrée aux fondements d’une institution dé-

voyée. Nous confirmons la nécessité de restreindre son champ d’application à l’aune du risque

maritime et de l’intérêt général, deux critères à notre avis cumulatifs, sans quoi l’atteinte au

principe de la réparation intégrale est disproportionnée. Dans la seconde partie, nous montrerons

que la technique de limitation de responsabilité doit être perfectionnée.

Page 54: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

53

Partie II : Parvenir à une meilleure répartition du risque maritime.

Opérant une répartition inégalitaire du risque maritime entre les personnes concernées par la limita-

tion de responsabilité, le système actuel est désavoué par la jurisprudence française (titre 1). Il ap-

pelle donc plusieurs correctifs (titre 2).

Titre 1 : Le désaveu d’un système inégalitaire de limitation

Par une appréciation souple de la faute de nature à déchoir le bénéficiaire de son droit à limitation

(chapitre 2), la jurisprudence tente d’atténuer les effets d’un mécanisme inégalitaire de répartition

du risque de mer (chapitre 1).

Page 55: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

54

Chapitre 1 : Une répartition déséquilibrée du risque de mer

Le mécanisme institué répartit inégalement le risque de mer entre les personnes concernées par la

limitation, c’est-à-dire entre les bénéficiaires eux-mêmes (section 1), entre les créanciers maritimes

(section 2) et, à l’évidence, entre bénéficiaires et créanciers (section 3).

Section 1 - Répartition inégalitaire entre bénéficiaires : limitation dégressive liée à la capacité

du navire.

68. Les propriétaires et exploitants de navires ne demandent au Président du Tribunal de commerce

l’autorisation de constituer un fonds que dans l’hypothèse où l’ensemble des créances nées d’un

même événement dépasse les limites de réparation fixées par la Convention LLMC de 1976

telle qu’amendée par le Protocole du 2 mai 1996. Il n’est donc plus possible de faire abandon du

navire en guise de réparation (et ce depuis la Convention de 1957). Désormais, le bénéfice de la

limitation de responsabilité doit être invoqué après chaque manifestation majeure du péril de

mer. Par conséquent, le fonds est susceptible d’être constitué plusieurs fois pour un même

voyage (si tant est que celui-ci ait pu se poursuivre et que les évènements puissent être isolés les

uns des autres). C’est dire d’une part l’obsolescence du concept de fortune de mer, celle-ci ne se

renouvelant pas pendant l’expédition, et d’autre part l’augmentation de la contribution à la dette

du responsable puisque la perte maximale n’est plus liée au navire.

69. Mais, en cas de dommages causés aux biens ou aux personnes autres que les passagers, la part

de cette contribution n’est pas la même pour tous les bénéficiaires, la limitation étant calculée

en fonction du tonnage brut du navire, selon un système dégressif. En effet, le poids de la res-

ponsabilité a tendance en proportion à s’alléger au fur et à mesure que le tonnage du navire

augmente, si bien que le tonnage marginal (ou le tonneau de gros navire, comme un vraquier)

coûte moins cher que le tonnage initial (ou le tonneau d’un petit navire tel que le roulier).

Cette inégalité de traitement entre armateurs est-elle acceptable ? La clé de répartition du risque

de mer n’est pas linéaire, comme si les petits navires de moindre dimension étaient plus exposés

Page 56: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

55

aux périls de la mer que ceux de grande dimension. Quand bien même ce serait le cas, on oublie

que l’ampleur des dommages est généralement liée à la taille du navire. Ainsi, serait-il plus juste

de calculer les limitations n’ont par tranches, mais par détermination d’un coefficient appliqué

au tonnage (cf. n°102).

Section 2 – Répartition inégalitaire entre créanciers : limitations générales et limitations spé-

ciale opposable aux passagers.

70. L’inégalité dans la répartition ne touche pas que les armateurs entre eux ou les créanciers dans

leurs rapports avec les bénéficiaires. Elle joue également entre créanciers, selon leur qualité et la

nature du préjudice qu’ils subissent.

71. S’agissant spécifiquement des créances résultant de la mort ou des lésions corporelles des tiers,

pour obtenir le montant de la réparation, il faut additionner :

- d’une part une somme préétablie d’un million de droits de tirage spéciaux (DTS)74 pour les

navires de moins de trois cents tonneaux ou, pour les autres, de deux millions d’unités de

compte;

- et d’autre part une somme proportionnelle au tonnage du navire avec un taux dégressif :

ainsi il faut ajouter huit cents DTS par tonneau au-delà du cinq centième tonneau, puis six

cents DTS au-delà du trente millième tonneau, enfin de quatre cents DTS au-delà du

soixante-dix millième tonneau.

72. S’agissant des créances pour dommages matériels, les sommes ont été respectivement portées à

cinq cents DTS pour les navires d’une jauge inférieure à trois cents unités75 ou à un million pour

les autres, puis quatre cents, trois cents et deux cents DTS par palier franchi. Tandis que les va-

leurs planchers avaient été multipliées par six par le Protocole de 1996, les autres valeurs

avaient été affectées d’un coefficient moyen de deux et demi76.

74 Au 16 septembre 2011, 1 DTS équivaut environ à 1,58$ ou 1,14€. 75 Pour une application en jurisprudence : TGI Sables d’Olonne, 7 janv. 2011, navires L’Athineas et Black Sambucca, n°09.01007. Obs Jérôme De Sentenac, DMF, 2011, n°727. 76 Cf annexe, tableaux comparatifs des plafonds de la Convention de 1976 et du Protocole de 1996.

Page 57: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

56

73. En outre, l’article 6§2 de la Convention de 1976 énonce que si la partie du fonds réservée à

l’indemnisation des dommages corporels subis par les tiers ne suffit pas à désintéresser les

créanciers, alors ceux-ci peuvent venir en concours sur la partie affectée au règlement des

créances pour dommages matériels. Il y a donc fongibilité des sous-ensembles au profit exclusif

des tiers blessés ou de leurs ayant droits. Depuis un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence,

en date du 21 octobre 1993, même si l’événement n’a donné naissance qu’à des créances pour

mort ou lésions corporelles, le fonds doit être constitué dans son intégralité77. Cette solution a

été récemment confirmée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans l’affaire de

La Licorne, jugée le 16 novembre 201078.

74. Concernant les préjudices corporels subis par les passagers au cours du même évènement, le

Protocole de 1996 a porté la réparation à cent soixante-quinze milles DTS par personne, multi-

plié par le nombre de passagers que le navire est autorisé à transporter (contre environs qua-

rante-six milles DTS en 1976) et sans plafond global (autrefois fixé à vingt-cinq millions

d’unités de compte). Cela reste insuffisant si l’on compare aux deux cents cinquante milles DTS

(sur la base de deux milles tonneaux) accordés par la Convention d’Athènes du 13 décembre

1974 modifiée en 2002, relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, qui n’a

pas été ratifiée par la France. Mais, le Règlement n°392/2009 du Parlement et du Conseil du 23

avril 2009 entré en application depuis l’Ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010, et qui

s’inscrit dans le cadre de la politique commune des transports, incorpore certaines dispositions

du Protocole révisant à la Convention d’Athènes à laquelle la Communauté et les États mem-

bres devraient adhérer.

Section 3 – Répartition inégalitaire entre bénéficiaires et créanciers : les plafonds de répara-

tion à l’épreuve de l’érosion monétaire

75. Le Protocole modificatif de 1996 a plus revalorisé les plafonds de réparation qu’il ne les a aug-

mentés. L’unité de compte (le droit de tirage spécial) a l’inconvénient d’être définie en fonction

d’un panier de devises. Les quatre monnaies courantes (qui subissent l’inflation et la déflation,

contrairement à des monnaies constantes dont la valeur théorique est corrigée par un indice des 77 CA Aix, 21 oct. 1993, DMF 1993, p.386, obs Yves Tassel. 78 Cass, com, 16 nov. 2010, navire La Licorne, pourvoi n°09-71.285, DMF 2011, n°723, obs Pierre Bonassies, Bordage du droit de la limitation de responsabilité.

Page 58: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

57

prix) sont le dollar EU, l’euro, la livre sterling et le yen. Par conséquent, en raison de l’érosion

monétaire, la réparation allouée aux victimes est devenue dérisoire. Antoine Vialard donne

l’explication de ce déséquilibre quantitatif : « Le protocole de 1996 ne fait que reproduire à

l’identique, en monnaie constante, les montants, déjà très insuffisants, prévus vingt ans aupara-

vant. Et comme la France a attendu douze ans avant de ratifier ce protocole, les montants ainsi

fixés en 1996 ont déjà perdu, en monnaie constante, à peu près le quart de leur valeur (si l’on

part de l’hypothèse optimiste d’une érosion monétaire limitée à 2% l’an) »79.

76. Comment y remédier ? Le protocole de 1996 a institué une procédure simplifiée de révision des

montants qui ne peuvent être augmentés à raison de plus de 6% par an et ce tous les cinq ans. La

compétence revient au Comité juridique de l’OMI qui, saisi par au moins la moitié des Etats

parties à la Convention de 1976, adopte une proposition de modification à la majorité qualifiée.

Le dernier réexamen du DTS a eu lieu fin 2010. Mais, de l’avis d’Antoine Vialard, ce méca-

nisme est encore trop compliqué80 ; et Pierre Bonassies préconise une indexation automatique

des plafonds de limitation tous les deux ou trois ans 81.

Pour obvier à la dépréciation du DTS, l’auteur suggère également que le fonds de limitation

porte intérêt. L’article 68 du décret n°67-967 du 27 octobre 1967 relatif au statut des navires et

autres bâtiments de mer prévoit au contraire que « Les créances cessent de produire intérêt à

compter de l'ordonnance » du président du tribunal de commerce qui constate la constitution du

fonds à la demande du requérant (i.e. le bénéficiaire de la limitation).

Il convient d’ailleurs de remarquer que si un même événement met en cause la responsabilité de

plusieurs bénéficiaires, le fonds est réputé constitué pour tous, ce qui n’a pas pour effet d’en ac-

croître la valeur et pose des difficultés d’ordre pratique (qui alimente le fonds et fournit la ga-

rantie bancaire, comment s’effectue le règlement des créances ?).

77. C’est pourquoi les créanciers tentent systématiquement de démontrer que le bénéficiaire a

commis une faute de nature à le déchoir de son droit à limitation et que la jurisprudence est si

réceptive à leur argumentation.

79 Antoine Vialard, La limitation de responsabilité, clé de doute pour le droit maritime du 21è siècle, DMF 2009, n°699 80 Ibid. 81 Pierre Bonassies, Problèmes et avenir de la limitation de responsabilité, DMF 1993, n°524.

Page 59: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

58

Chapitre 2 : Tentatives jurisprudentielles de neutralisation du sys-

tème.

Afin de rétablir l’équilibre rompu, les tribunaux donnent une interprétation large de la faute priva-

tive du droit à limitation (section 1), si bien qu’on peut se demander si elle revêt toujours un carac-

tère intentionnel ou inexcusable (section 2).

Section 1 - Une jurisprudence d’une sévérité exemplaire : appréciation souple de la faute inex-

cusable.

78. L’attitude répréhensible du bénéficiaire est susceptible de priver celui-ci de son droit à limita-

tion. Précisément, sous l’empire des Conventions internationales de 1924 et de 1957, il

s’agissait de la faute personnelle du propriétaire de navire, à l’exclusion de celle du capitaine ou

d’un autre préposé. Quant à la première version de l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967, elle

accordait la limitation de responsabilité au propriétaire de navire sauf si une faute prouvée lui

était personnellement imputable. A partir de cette rédaction qui insistait fortement sur la preuve

du caractère personnel de la faute simple, les juges tiraient deux conséquences, l’une bienveil-

lante à l’égard du propriétaire de navire, l’autre au contraire très rigoureuse. D’abord, cette for-

mulation empêchait les victimes de diriger leur action contre l’armateur sur le fondement de la

responsabilité objective du fait des choses dont on a la garde (l’article 1384 alinéa 1er du Code

civil). Mais sur le terrain de la responsabilité subjective, la jurisprudence ne lui reconnaissait fi-

nalement le droit à limitation qu’en présence d’une faute exclusivement imputable au capi-

taine82.

79. Pour renverser cette situation où le principe de la limitation était devenu l’exception et contreba-

lancer l’augmentation des plafonds, les rédacteurs de la Convention de 1976 ont substitué la

faute intentionnelle ou inexcusable à la faute simple, dans l’espoir que la limitation de respon-

82 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, n°428, p.280.

Page 60: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

59

sabilité soit quasiment incontournable. Ainsi, selon l’article 4 de la Convention LLMC83, le

propriétaire, l’armateur, l’armateur-gérant, le capitaine, ou leurs autres préposés terrestres et

nautiques ne sont pas en droit de limiter leur responsabilité « s’il est prouvé que le dommage ré-

sulte de leur fait ou de leur omission personnels et qu’il a été commis avec l’intention de provo-

quer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résul-

terait probablement ». Autrement dit, ne pouvant être retiré qu’en cas de faute intentionnelle ou

inexcusable, le bénéfice de la limitation de responsabilité est conservé lorsque l’action est fon-

dée sur la responsabilité du fait des choses inanimées, ce qu’ont admis les arrêts Lamoricière84,

Champollion85, France86 et La Licorne87. Cette analyse n’est pas choquante quand on sait que

les régimes spécifiques de limitations se présentent comme la contrepartie de la responsabilité

objective du bénéficiaire.

80. Les problèmes théoriques se focalisent sur la notion de faute inexcusable de l’armateur, appré-

ciée différemment par les juges selon qu’elle est commise par un transporteur maritime de mar-

chandises ou un armateur. Comme l’indique Pierre Bonassies, «peut-être peut-on exiger plus

d’un armateur dont les erreurs mettent en jeu la sécurité des tiers – ou celle de

l’environnement – que d’un transporteur, dont les fautes n’ont d’effet qu’à l’égard d’un co-

contractant, engagé comme lui dans une aventure maritime dont il ne peut ignorer les dangers

spécifiques »88. Ceci expliquerait que la faute inexcusable commise par le transporteur

s’apprécie in concreto, c’est-à-dire en fonction de ses compétences personnelles89, tandis que

les juges français ont une conception abstraite de la faute inexcusable du propriétaire de navire,

se référant à l’attitude qu’aurait dû avoir un bon professionnel.

81. L’appréciation in abstracto de la faute inexcusable dont s’est rendu coupable l’armateur est fa-

cilitée par la multiplication des réglementations en matière de sécurité maritime. Mais il ne suf-

fit pas de se conformer au minimum requis pour être au-dessus de tout soupçon. Ainsi, la faute

inexcusable est caractérisée chaque fois que l’armateur a fourni un navire en état

83 Transcription à l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967, modifié par la loi du 21 décembre 1984, devenu l’article L5121-3 du Code des transports. 84 Cass, civ., 15 juin 1951, navire Lamoricière, D. 1951, 717. 85 Cass, civ., 23 janv. 1959, navire Champollion, D. 1959, 281. 86 Cass, ch mixte, 4 déc. 1981, paquebot France, pourvoi n°79.14-207, DMF 1982, 140, obs R. Achard. 87 Cass, com, 16 nov. 2010, navire La Licorne, pourvoi n°09-71.285, DMF 2011, n°723, obs Pierre Bonassies, Bordage du droit de la limitation de responsabilité. 88 Pierre Bonnassies, Rapport de synthèse, DMF 2002, n°632 (9ème journée Ripert dédiée à la limitation de responsabili-té). 89 Cass, ch com, 19 octobre 2010, navire Rosa Delmas, DMF 2011.155, obsv Stéphane Miribel.

Page 61: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

60

d’innavigabilité, ou l’a doté d’un équipage insuffisant quoique régulièrement composé (comme

dans l’affaire du Heidberg)90, ou qu’il n’a pas personnellement veillé au respect des prescrip-

tions du Code ISM entré en vigueur en juillet 2002. C’est à se demander si cette jurisprudence

n’aurait pas mis à sa charge une obligation de sécurité de résultat91, semblable à celle qui pèse

sur l’employeur en droit du travail92, dont le manquement rend la survenance du dommage non

plus seulement probable mais possible et constitue ipso facto une faute inexcusable. Il ne serait

donc plus nécessaire d'établir une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une

omission volontaires.

82. C’est surtout le recours à une théorie hautement critiquable, dégagée par la Cour d’appel de

Montpellier dans un arrêt du 7 décembre 199993 confirmé le 3 avril 2002 par la Chambre com-

merciale94, dans l’affaire Stella Prima, qui annonce la radicalisation de la jurisprudence. En ef-

fet, le droit à limitation de l’armateur a été rejeté au motif que la carence et la négligence dont il

a fait preuve revêtaient « l’apparence d’une faute inexcusable ».

83. La sévérité de la jurisprudence se traduit également par le recul du caractère personnel de la

faute, puisqu’elle ne cherche pas à identifier précisément son auteur : peu importe le véritable

responsable (service technique ou direction générale), l’entreprise d’armement apparaît comme

un tout. La faute inexcusable est même comparée à la faute de service commise par l’agent pu-

blic qui n’engage sa responsabilité civile ni envers l’Administration ni envers les administrés.

En revanche, c’est à raison que la Cour de cassation n’assimile plus la faute inexcusable du ca-

pitaine à celle de l’armateur, bien que celui-ci demeure civilement responsable du préposé agis-

sant dans le cadre de ses fonctions95.

90 TC Bordeaux, 23 sept. 1993, navire Heidberg, DMF 1993, 533. Obsv : - Antoine Vialard, L’affaire « Heidberg » : gros temps sur la convention de Londres de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ; - Timothy Clemens-Jones, Heidberg, malfaiteur ou victime d’une injustice ?. Jugement confirmé par CA Bordeaux, 31 mai 2005 : obs Antoine Vialard, DMF 2005, Faute inexcusable : la marée monte. 91 Isabelle Corbier, La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité, DMF 2002, n°626. 92 Cass, soc, 28 fév. 2002, arrêts « amiante ». 93 CA Montpellier 7 décembre 1999, DMF 2000, n° 608, Obs Antoine Vialard, L’apparence de la faute inexcusable comme cause de déchéance provisoire du droit à la limitation de responsabilité. 94 Cass, com, 3 avril 2002, navire Stella Prima, DMF 2002, n°626. 95 Cass, com. 20 mai 1997, navire Johanna Hendrika, DMF 1997, p. 976, obsv Pierre Bonassies ; CA Aix, 5 nov. 1998, navire Zulu Sea, et 8 juin 2000, navire Moldavia, DMF 2002, 623, Les affaires Zulu Sea et Moldavia : deux exemples du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité.

Page 62: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

61

Section 2 - L’insaisissable nature de la faute privative du droit à limitation

84. La faute inexcusable correspondrait-elle parfois à la faute lourde telle qu’elle était jadis défi-

nie ? Ce problème est soulevé par un arrêt du 2 octobre 2008 rendu par la Cour d’appel de

Rouen96 qui se réfère au manquement à une obligation essentielle. Si en l’espèce, la faute per-

sonnelle des armateurs du navire Darfur ayant consisté à ne pas afficher les consignes permet-

tant à l’équipage de prendre les mesures urgentes en cas de panne du moteur principal, ne peut

être qualifiée de faute inexcusable, il en aurait été autrement si elle avait été « commise avec té-

mérité et en violation d’une obligation essentielle au sens de la Convention de Londres ».

Mais, depuis le revirement de jurisprudence du 22 avril 200597, la faute lourde est caractérisée

en droit terrestre par la négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inapti-

tude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle. « La faute

lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne

saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais

doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».

Dans l’affaire du Darfur, les juges du fond opèrent au contraire une objectivation quasi totale de

la faute inexcusable en passant sous silence la conscience du bénéficiaire qu’un dommage résul-

terait probablement de son fait ou de son omission personnels. Ils ne retiennent en effet aucune

des deux interprétations possibles : ni l’approche subjective à la recherche de la conscience que

l’armateur avait réellement des risques pris, ni l’approche objective et absolue selon laquelle

l’armateur aurait dû en avoir conscience. Il faut cependant garder à l’esprit que l’ « obligation

essentielle au sens de la Convention de Londres » évoquée en 2008 se distingue de l’obligation

essentielle du contrat dont il est question en 2005.

85. Comment revenir à plus de rigueur juridique ? Pierre Bonassies et Christian Scapel auraient

préféré que la déchéance du droit à limitation emprunte une voie médiane, celle de la faute

lourde, puisque les conditions d’indemnisation des créanciers ne se sont pas améliorées, le droit

de tirage spécial n’ayant cessé de se dévaluer98. Gilles Savary suggère au contraire d’élargir la

notion de faute inexcusable, toujours appréciée in abstracto, « afin de laisser la possibilité au 96 CA Rouen, 2è ch, n°04-02.830, navire Darfur. 97 Cass, ch mixte, 22 avril 2005, Chronopost 3, pourvoi n°02-18.326, Bull. civ. n°3 et 4. 98 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p304, n°454.

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juge de lever le plafond de limitation de responsabilité lorsque les responsables auraient dû

avoir conscience de la probabilité d'un dommage, s'ils avaient agi en bons professionnels »99.

86. Tous s’accordent à penser que la limitation de responsabilité est un privilège qui se mérite. A

partir de quand les bénéficiaires ne sont-ils plus dignes de la faveur accordée : d’une faute sim-

ple, grave, lourde ou inexcusable ? Cette dernière ne constitue plus le seuil infranchissable ima-

giné par le législateur international en raison de la pratique des tribunaux qui ont toujours promu

la sécurité de la navigation. Ces atermoiements autour du degré de gravité de la faute de nature

à priver le bénéficiaire de son droit à limitation conduisent inéluctablement à la recherche d’un

système de réparation plus efficace, idéalement complété par une assurance.

99 Gilles Savary, rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de navires, 6 mars 2007 (cette proposition qui avait vocation à inté-grer le Paquet Erika-Prestige 3 n’a pas été retenue).

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Titre 2 – Esquisse d’une nouvelle répartition du risque maritime

L’obligation faite aux bénéficiaires d’assurer leur responsabilité en matière de créances maritimes

amorce les réflexions autour de l’objectif d’une meilleure répartition du risque de mer (chapitre 1) ; il

conviendrait également de refondre l’instrument de mesure des plafonds de réparation (chapitre 2).

Chapitre 1 : Assurer la responsabilité en matière de créances mariti-

mes.

La limitation de responsabilité permet de diluer le risque maritime entre créanciers, bénéficiaires et

assureurs (section 1). Doit-on également envisager que ces derniers offrent leur garantie en cas de

faute intentionnelle ou inexcusable de leurs assurés (section 2)?

Section 1 : La limitation de responsabilité, condition d’assurabilité du risque maritime

87. L’assurance maritime occupe le devant de la scène depuis que l’armateur ne peut plus limiter sa

responsabilité par l’abandon du navire. Elle est désormais présentée comme le fondement éco-

nomique de la limitation de responsabilité, selon le raisonnement suivant : sans assurance, au-

cune activité maritime ne peut être entreprise en raison de l’importance des dommages suscepti-

bles d’être causés par l’exploitation d’un navire. Si on s’en tenait à cette explication, on ferait

jouer à l’assurance le rôle déjà tenu par la limitation de responsabilité. Il convient donc de préci-

ser que, même plafonnée, la réparation des dommages exceptionnels reste une charge financière

extrêmement lourde pour les propriétaires et exploitants de navires. Ceux-ci ont donc recours

aux assureurs dont aucun n’accepterait de couvrir un risque illimité, sauf à réclamer le verse-

ment de primes exorbitantes (le poids de la réparation étant supporté par la collectivité des assu-

rés).

Page 65: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

64

88. On décèle ici deux indices révélateurs de l’opportunité de supprimer la limitation en matière de

navigation de plaisance : d’une part, le risque est entièrement assurable, et d’autre part elle

n’entre pas dans le champ d’application de l’assurance maritime100.

89. Abstraction faite de ce détail, l’assureur peut-il invoquer la limitation de responsabilité en cas

d’action directe de la victime101 ? Seul l’article 1er §6 de la Convention LLMC de 1976 lui ac-

corde expressément le droit de se prévaloir de la limitation à laquelle sont soumises les créances

dont il couvre la responsabilité, « dans la même mesure que l’assuré lui-même ». Le droit fran-

çais ne connaît pas de disposition analogue. Ne pouvant constituer un fonds en son nom propre,

il s’expose à l’action directe des créanciers qui visent à mettre en jeu la garantie prévue au

contrat d’assurance102. Pour parer à cette éventualité, la police stipule généralement que la ga-

rantie n’excède pas les plafonds fixés à la Convention de 1976. En revanche, la constitution du

fonds éteint l’action directe contre l’assureur qui peut enfin invoquer la limitation de responsa-

bilité103. Par conséquent, soit l’indemnité d’assurance sera directement affectée à la constitution

du fonds, soit l’assureur remboursera ultérieurement l’assuré de la somme que celui-ci aura ver-

sé aux tiers lésés104.

90. La limitation de responsabilité est-elle réellement la condition d’assurabilité du risque ? La di-

rective 2009/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009105, relative à

l’assurance des propriétaires de navires pour les créances maritimes, exige que les propriétaires

de navires (navires battant pavillon des Etats membres ou navires étrangers ayant l’intention de

faire escale dans un port européen) contractent une assurance dont le montant par événement est

égal aux plafonds de limitation de la Convention LLMC de 1976 modifiée. L’existence de

l’assurance sera attestée par une certificat émis par l’assureur et conservé à bord du navire. Si, à

l’occasion d’une inspection, il ne pouvait être présenté, le navire serait expulsé et son accès re-

fusé dans tous les ports de l’Union européenne. Cette directive, adoptée dans le cadre du 3ème

Paquet sur la sécurité maritime, ne remet donc pas en cause les équilibres fondamentaux de la

limitation de responsabilité.

100 Article L.171-5 du Code des assurances 101 Christian Hübner, L’assureur peut-il invoquer la limitation de responsabilité ?, DMF 2002, n°632. 102 ces créanciers prennent alors la qualité de bénéficiaires de la prestation d’assurance 103 Article L.173-24 du Code des assurances 104 Article L.173-23 du Code des assurances. 105 Cf annexe

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65

Néanmoins, on s’étonne qu’il se trouve encore des navires d’une jauge brute ou égale à trois

cents unités (puisque tel est le champ d’application du texte) qui ne font pas l’objet d’une assu-

rance alors que celle-ci est présentée comme la condition de survie des activités maritimes. A

cela plusieurs explications possibles : soit le navire est trop délabré pour qu’un assureur accepte

de couvrir des créances de responsabilité y afférentes, soit certains gros armateurs répartissent

eux-mêmes le risque grâce à l’importance de leur flotte et l’interposition de nombreuses filiales

qui sont autant de sociétés à responsabilité limitée, soit le propriétaire et l’exploitants de navires

sont de véritables « irresponsables ».

Transposée en droit français à l’article L5123-1 du Code des transports par l’Ordonnance

n°2011-635 du 9 juin 2011, la directive européenne renforce l’idée que la limitation de respon-

sabilité conditionne l’assurabilité du risque. On en veut pour preuve qu’elle définit les créances

maritimes et les montants de l’assurance obligatoire par simple référence à la Convention

LLMC de 1976, intégrée au droit communautaire. Il avait pourtant été proposé d’abaisser le

seuil au-delà duquel le propriétaire de navire battant pavillon d'un Etat non contractant perd le

droit de limiter sa responsabilité (dès la caractérisation d’une faute grave) ; d’imposer une cou-

verture d’assurance à hauteur du double des plafonds du Protocole de 1996 ; ainsi que de créer

un Fonds de solidarité alimenté par l’industrie navale en cas de dommages causés par un navire

non assuré.

On prête à l’assurance obligatoire de nombreuses vertus. Elle est en effet censée responsabiliser

davantage les opérateurs qui pensait pouvoir défier les lois de la statistique et faire l’économie

de primes ; renforcer la protection des victimes et contribuer à éliminer les navires sous-normes.

Enfin, la généralisation de l’assurance tend à rétablir une saine concurrence entre armateurs.

Section 2 : Pérenniser l’inassurabilité de la faute intentionnelle ou inexcusable

91. Dans l’hypothèse où il se voit reprocher une faute intentionnelle ou inexcusable, le principe veut

que l’assuré compense lui-même intégralement le dommage causé aux créanciers. En effet,

« l’assureur ne répond pas des fautes intentionnelles ou inexcusables de l’assuré » (article

L.172-13 al. 2 du Code des assurances, à moins que l’article L452-4 al.3 du Code de la sécurité

sociale qui permet à l’employeur de s’assurer « contre les conséquences financières de sa pro-

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66

pre faute inexcusable ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction de l’entreprise ou de

l’établissement » trouve à s’appliquer. Faut-il alors pérenniser cette impossibilité de principe d'assurer la faute intentionnelle ou inexcusable du bénéficiaire de la limitation de responsabilité ?

Antoine Vialard critique vertement cette solution qui, selon lui, affecte plus les intérêts des vic-

times confrontées à l’éventuelle insolvabilité du bénéficiaire que la situation du propriétaire de

navire. Pour l’auteur, « il serait plus juste d’ouvrir l’action directe contre l’assureur à la vic-

time de la faute inexcusable, en autorisant le recours de celui-ci contre son assuré si lourde-

ment fautif »106. Par humanité pour la victime, l’indemnité d’assurance serait versée chaque fois

que la responsabilité de l’assuré est engagée. Mais c’est là le seul mérite de cette proposition.

En raison du jeu systématique de la garantie, assurer la faute intentionnelle ou inexcusable im-

plique une augmentation exponentielle des primes qu’aucun armateur ne voudrait payer. Or,

l’assureur ne peut non plus assumer seul ce surplus de coût. L’inassurabilité de la faute inexcu-

sable apparaît donc comme la condition de l’existence de l’assurance maritime, elle-même in-

dispensable à la survie du commerce maritime.

En outre, la faute intentionnelle supprime automatiquement l’aléa (qui constitue l’essence même

du contrat d’assurance) puisque la survenance de l’événement procède de la volonté exclusive

de l’assuré. La faute inexcusable produit le même effet si elle est la cause exclusive de la réali-

sation du risque, le responsable ayant rendu par sa conduite la réalisation du dommage probable

voire prévisible ou inéluctable. C’est donc à tort qu’Antoine Vialard soutient que l’aléa à pren-

dre en compte est celui qui existe au moment de la souscription et que la faute intentionnelle ou

inexcusable se présente comme l’événement incertain prévu au contrat.

Ensuite, alors qu’elle recherche une compensation intégrale du préjudice subi depuis que

l’armateur a été déchu de son droit à limitation, la victime se verrait encore opposer les limita-

tions contractuelles de la police, tout bonnement calquées sur celles de la Convention LLMC de

1976.

Du côté de l’assureur, la solution n’est pas non plus opportune car son recours contre le sous-

cripteur peut être perdu par le jeu de la prescription ou se heurter à l’insolvabilité du débiteur.

Enfin, assurer la faute intentionnelle ou inexcusable des propriétaires et exploitants de navires

conduirait à déresponsabiliser ces derniers. 106 Antoine Vialard, Droit maritime, Presses Universitaires de France (PUF), 1997, p.124, n°147.

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67

Chapitre 2 : Refondre l’instrument de mesure de la limitation.

Est-il plus judicieux de limiter la réparation à la valeur du navire (section 1), à sa capacité (section

3), ou bien à l’assurabilité de la responsabilité de l’armateur, (section 2) ?

Section 1 – La réparation limitée à la valeur du navire : une théorie inconsistante

92. La limitation de la réparation à la valeur du navire était déjà connue du droit germanique qui

entendait contourner les conséquences inéquitables de l’abandon du navire en nature, en cas de

naufrage. Dès le XIXè siècle, l’armateur pouvait donc abandonner à ses créanciers la somme

correspondant à ce que valait le navire au début de l’expédition, approximativement estimée

après l’événement de mer. Il risquait ainsi de perdre deux fois sa mise initiale : le navire coulé et

la valeur de celui-ci.

93. A la même époque, le droit anglo-saxon avait quant à lui opté pour la constitution d’un fonds en

livres sterling, calculé proportionnellement au tonnage du navire. D’une grande simplicité, ce

système ne s’était pas éloigné du concept de la fortune de mer puisqu’il était censé représenter

la valeur moyenne de construction des navires.

94. Puis la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 mit sur pied une technique de limitation ex-

trêmement compliquée, si bien qu’elle ne fut ratifiée que par neuf Etats dont la France. Elle lais-

sait le choix entre l’abandon en nature et l’abandon de la valeur du navire, du fret et des

accessoires. Le fret était estimé au commencement du voyage, à 10% de la valeur du navire,

laquelle s’appréciait d’après son état au moment de son arrivée au premier port. Si le navire

faisait naufrage avant de toucher le premier port, la réparation était réduite à la valeur du fret

soit 10% de celle du navire. Les victimes de dommages corporels ou leurs ayants droits

recevaient en plus huit livres sterling par tonneau.

Page 69: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

68

95. Elle fut donc abrogée par la Convention du 19 novembre 1957 qui s’inspira largement du sys-

tème britannique. Mais, en 1972, René Rodière, insatisfait du système de limitation en vigueur

(basé sur le tonnage du navire) et qui allait être reconduit, soumit l’idée de revenir à une techni-

que épurée d’abandon en valeur. « Puisque l’idée ancienne que l’armement maritime est une en-

treprise à responsabilité limitée reste, on est naturellement conduit à reprendre le système de

l’abandon, mais en le dépouillant de modalités qui étaient devenues mauvaises, et à proposer

un système d’abandon en valeur, la valeur en risque se renouvelant à tout événement »107.

96. L’auteur ne donnant pas plus de précisions, nous nous contenterons de formuler quelques réser-

ves d’ordre général. Certes, le retour à un tel système d’abandon permettrait de limiter la répara-

tion à la valeur réelle des navires. Ceux-ci sont en effet trop différents pour qu’on puisse se réfé-

rer au coût moyen de construction d’un tonneau (un vraquier et un paquebot d’un volume simi-

laire sont néanmoins incomparables). Mais, cette doctrine est en porte à faux avec la politique

actuelle tendant à désavantager les propriétaires de navires en mauvais état qui, par hypothèse

ne valent rien ou plus grand chose, et à l’inverse à soutenir ceux qui entretiennent leur flotte.

Pourquoi les bons armateurs contribueraient-ils plus à la dette que les autres? La question se

pose dans les mêmes termes pour les affréteurs qui, recherchant à réaliser un profit maximal, af-

frètent des navires « poubelles » (l’affaire de l’Erika l’a bien montré). A notre avis, la solution

est donc ailleurs. Tiendrait-elle à l’assurabilité du risque ?

Section 2 - Limiter la réparation à l’assurabilité : un projet insensé

97. Alors que la révision de la Convention de 1957 était préparée au Comité maritime international,

Mr Rhein, qui présidait en novembre 1972 les séances de la Commission, suggéra de limiter la

réparation à l’ « assurabilité » de la responsabilité de l’armateur. Or, que recouvre cette notion ?

« Au sens strict, un risque est dit assurable si on peut s'en protéger au moyen de contrats finan-

cièrement viables, permettant de recevoir une indemnisation en cas de réalisation effective du

risque, moyennant le paiement d'une cotisation »108. Autrement dit, l’assuré se protège plus ou

moins bien contre le risque en fonction des moyens financiers dont il dispose. Peut-on alors li-

miter la réparation à la garantie que pourrait souscrire l’armateur ? René Rodière dont nous par-

107 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent et avenir, DMF 1973, p264. 108 Pierre Picard, Les frontières de l’assurabilité du risque, consultable sur le site www.ffsa.fr

Page 70: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

69

tageons l’avis ne l’admet pas. « Dire qu’un armateur est responsable à la mesure de ce qu’il

peut assurer, c’est substituer l’assurance à la responsabilité »109 et juger les Hommes à l’aune

de leurs ressources et non plus de leur conduite. Cela conduirait même à favoriser les armateurs

négligents dans la gestion de leurs comptes. Cette solution n’est finalement opportune que pour

les victimes dont les dommages seraient réparés jusqu’à épuisement de la couverture

d’assurance potentielle. Mais, au fond, pourquoi s’en tenir à l’assurabilité s’il reste encore de

l’actif disponible ? On en viendrait presque à douter de la légitimité de la limitation de respon-

sabilité.

98. Limiter la réparation à l’assurabilité du risque ferait également peser la menace d’une objectiva-

tion de la responsabilité de l’armateur, alors engagée de plein droit. Mais, la crainte du doyen

Rodière peut être repoussée. En effet, si tel est le cas en matière de responsabilité civile des ex-

ploitants de navires nucléaires ou des propriétaires de navires pour les dommages résultant de la

pollution par les hydrocarbures, la responsabilité en matière de créances maritimes est pour

l’instant épargnée. Personne n’entend renoncer au régime de responsabilité pour faute.

Section 3 – Pertinence de la réparation limitée à la capacité du navire.

99. La limitation actuelle des créances pour dommages aux tiers (dommages corporels ou matériels)

est calculée sur la base du volume intérieur du navire. René Rodière réprouve également cette

détermination du fonds par le tonnage du navire, que l’on tienne compte de la jauge nette (i.e. le

volume commercialisable) comme la Convention de 1957, ou du tonnage brut (i.e. le volume

comprenant les espaces dédiés au fonctionnement du navire ou au logement de l’équipage)

comme la Convention de 1976. Il ne voit pas en effet comment défendre ce système qui « ne

soutient techniquement aucun rapport avec son fondement », le risque de mer.

100. Certains avancent que les plafonds correspondent à la valeur moyenne des navires, ce qui est

faux pour les raisons que nous avons déjà évoquées. En premier lieu, les plafonds de réparation

ne sont pas uniformes. Le fonds se décompose en sous-ensembles dont les limites sont différen-

tes selon la nature du dommage causé aux tiers : celui qui aura subi un dommage corporel sera

109 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent et avenir, DMF 1973, p259 ; Voir aussi Philippe PIERRE, Vers un droit des accidents-contribution à l’étude du report de la responsabilité civile sur l’assurance privée, thèse, université de Rennes 1, 1992.

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70

mieux indemnisé que celui dont les biens auront été détériorés. En second lieu, des navires de

même tonnage brut n’ont pas forcément la même valeur.

101. Faut-il pour autant supprimer le critère de la capacité du navire comme mesure de la répara-

tion? Nous ne le pensons pas, car ce système ne présente pas les inconvénients de l’abandon en

valeur et de l’assurabilité. Il est cependant critiqué pour faire supporter par les propriétaires de

petits navires une réparation proportionnellement plus importante, le tarif d’un tonneau allant en

diminuant.

102. Nous proposons de combattre cette injustice par l’affectation d’un coefficient renfermant

une constante (un multiple par unité de jauge) et une variable : la cote de fiabilité du navire,

donné par la société de classification. Dans un premier temps, la contribution à la dette serait

comparativement identique pour tous les armateurs. Elle serait ensuite réduite ou augmentée en

fonction de l’état du navire avant accident, tel qu’il a été classé lors de la dernière inspection pé-

riodique ou visite par la société de classification. On récompenserait ainsi les efforts des arme-

ments qui investissent au-delà de ce qu’il est nécessaire pour se conformer aux réglementations

de sécurité maritime et obtenir des certificats. Les exploitants, tels que les affréteurs ayant choi-

si d’affréter un navire fiable méritent également d’être mieux traités, car le fret leur coûte cer-

tainement plus cher. On intègrerait le degré d’anticipation du risque dans la limitation : en le

prévenant l’armateur ou l’exploitant auront cherché à le minimiser. La limitation de responsabi-

lité prendrait alors une dimension punitive et incitative.

Conclusion de la seconde partie

103. Si l’on désire que la limitation de responsabilité demeure un formidable instrument de répar-

tition du risque, il convient de ne léser aucun des intérêts légitimes des tiers ou de ceux engagés

dans l’expédition maritime. L’impérieuse nécessité de réfléchir aux éléments qui doivent entrer

dans la détermination des montants de la réparation est donc confirmée.

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Conclusion générale

104. Il ne faut pas supprimer la limitation de la réparation en matière de créances maritimes mais

réformer la en profondeur.

Il convient d’abord de restreindre son champ d’application à l’aune des deux critères qui la jus-

tifient : le risque de mer et l’intérêt général.

Une redéfinition des plafonds de réparation s’avère également nécessaire.

Enfin, une assurance des propriétaires et exploitants de navire en matière de créances maritimes

est la bienvenue en ce qu’elle permet de prémunir les victimes contre l’insolvabilité des bénéfi-

ciaires et l’impossibilité d’alimenter le fonds constitué ; d’alléger le poids de la dette et de la re-

porter sur l’assureur. Ainsi une assurance obligatoire et à la mesure de la responsabilité encou-

rue au titre de la Convention LLMC de 1976 n’a rien d’un expédient.

La métamorphose des institutions du droit maritime devra toujours tendre à l’amélioration du

sort des créanciers, à l’accroissement de la sécurité de la navigation, et dans le même temps à la

protection des armateurs et exploitants de navires qui oeuvrent pour le bien commun.

Le perfectionnement de la technique de limitation passe également par la simplification de la

procédure de constitution du fonds. Cette question dépassait cependant le cadre de notre

étude dédiée à la légitimation du principe même de limitation. Nous espérons être y parvenu en

suggérant quelques adaptations et actualisations du régime.

Page 73: Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

72

Bibliographie Ouvrages

- Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006.

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n°147. Thèses

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Articles

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- Pierre Bonnassies, Rapport de synthèse, DMF 2002, n°632 (9ème journée Ripert dédiée à la limitation de responsabilité).

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- Olivier Cachard, Le commissionnaire de transport face aux « limitations» des Conventions

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- Isabelle Corbier, La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité, DMF 2002, n°626.

- Henri De Richemont, L’affréteur d’espace peut-il bénéficier de la limitation ?, DMF 2002,

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n°632.

- Laurent Fedi, Le cadre juridique international de l’exploitation des installations portuaires ou comment passer d’une législation atomisée spécifique à un régime universel reconnu, DMF 2008, n°694.

- Christian Hübner, L’assureur peut-il invoquer la limitation de responsabilité ?, DMF 2002,

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- Patrick Morvan, Les principes généraux du droit et la technique des visas dans les arrêts de

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www.courdecassation.fr/IMG/File/intervention_morvan.pdf

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- Robert Rézenthel, Les autorités portuaires face aux privilèges des propriétaires de navires, DMF 1996, n°560.

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- Antoine Vialard, in Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Presses uni-versitaires de Bordeaux, 2003.

- Antoine Vialard, Responsabilité limitée et indemnisation illimitée en cas de pollution par

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- Antoine Vialard, La limitation de responsabilité, clé de doute pour le droit maritime du 21ème siècle, DMF 2009, n°699.

Notes de jurisprudence

- TC Bordeaux, 23 sept. 1993, navire Heidberg, DMF 1993, 533. Obsv : - Antoine Vialard,

L’affaire « Heidberg » : gros temps sur la convention de Londres de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ; - Timothy Clemens-Jones, Heidberg, malfaiteur ou victime d’une injustice ?

- CA Aix, 21 oct. 1993, DMF 1993, p.386, obs Yves Tassel.

- Cass, com. 20 mai 1997, navire Johanna Hendrika, DMF 1997, p. 976, obsv Pierre Bonas-

sies.

- CA Aix, 5 nov. 1998, navire Zulu Sea, et 8 juin 2000, navire Moldavia, DMF 2002, 623, Les affaires Zulu Sea et Moldavia : deux exemples du droit de l’armateur à limiter sa res-ponsabilité.

- CA Montpellier 7 décembre 1999, DMF 2000, n° 608, Obs Antoine Vialard, L’apparence

de la faute inexcusable comme cause de déchéance provisoire du droit à la limitation de responsabilité.

- CA Bordeaux, 31 mai 2005 : obs Antoine Vialard, DMF 2005, Faute inexcusable : la ma-

rée monte.

- Civ. 1e, 12 juill. 2007, n°06-12.624 et 06-13.790, obs Patrice Jourdain, L’immunité du pré-posé ne serait pas une irresponsabilité, RTD Civ. 2008, p. 109.

- Cass, civ 2ème, 2 avril 2009, obs Arnaud Montas, Droit maritime et force majeure, DMF

2009, n°709.

- Cass, com, 19 octobre 2010, navire Rosa Delmas, DMF 2011.155, obsv Stéphane Miribel.

- Cass, com, 16 nov. 2010, navire La Licorne, pourvoi n°09-71.285, DMF 2011, n°723, obs Pierre Bonassies, Bordage du droit de la limitation de responsabilité.

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- TGI Sables d’Olonne, 7 janv. 2011, navires L’Athineas et Black Sambucca, n°09.01007, obs Jérôme De Sentenac, DMF, 2011, n°727.

- CC, 6 mai 2011, n°2011-127 QPC, obs Patrick Chaumette, Du recours en faute inexcusable

de l’armateur en cas d’accident du travail maritime, DMF juillet 2011, p.623. Rapports et communiqués

- Gilles Savary, rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité civile et aux garanties financières des propriétaires de navires, 6 mars 2007.

- Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre

2010 portant création de la partie législative du Code des transports, publié au Journal offi-ciel de la République française n°0255 du 3 novembre 2010.

- Association Française du Droit Maritime, Communiqué, DMF 2011, n°723.

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ANNEXES

1. CONVENTION DU 19 NOVEMBRE 1976 SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE EN MATIERE DE CREANCES MARITIMES 2. PROTOCOLE MODIFICATIF DU 2 MAI 1996 3. TABLEAUX COMPARATIFS DES PLAFONDS DE REPARATION 4. DIRECTIVE EUROPEENNE DU 23 AVRIL 2009 RELATIVE A L’ASSURANCE DES PROPRIETAIRES DE NA-VIRES EN MATIERE DE CREANCES MARITIMES 5. EXTRAITS DU CODE DES TRANSPORTS

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1. Convention du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

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2. Protocole modificatif du 2 mai 1996

JORF n°222 du 25 septembre 2007 page 15697 texte n° 4

Décret n° 2007-1379 du 22 septembre 2007 portant publication

du protocole modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, fait à Londres

le 2 mai 1996 (1)

NOR: MAEJ0762287D

Le Président de la République, Sur le rapport du Premier ministre et du ministre des affaires étran-gères et européennes ; Vu les articles 52 à 55 de la Constitution ; Vu la loi n° 2006-789 du 5 juillet 2006 autorisant l'adhésion au protocole modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la res-ponsabilité en matière de créances maritimes ; Vu le décret n° 53-192 du 14 mars 1953 modifié relatif à la ratification et à la publication des engagements internationaux souscrits par la France ; Vu le décret n° 86-1371 du 23 décembre 1986 portant publication de la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, faite à Londres le 19 novembre 1976, Décrète :

Article 1

Le protocole modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, fait à Londres le 2 mai 1996, sera publié au Journal officiel de la République française.

Article 2

Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères et européennes sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la Républi-que française.

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Article Annexe PROTOCOLE MODIFIANT LA CONVENTION DE 1976 SUR LA LIMITATION DE LA RES-

PONSABILITÉ EN MATIÈRE DE CRÉANCES MARITIMES

Les Parties au présent Protocole, Considérant qu'il est souhaitable de modifier la Convention sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, faite à Londres le 19 novembre 1976, afin d'offrir une indemnisation accrue et d'établir une procédure simplifiée pour la mise à jour des montants de limitation, Sont convenues de ce qui suit :

Article 1er

Au sens du présent Protocole,

1. « Convention » signifie la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes.

2. « Organisation » signifie l'Organisation maritime internationale.

3. « Secrétaire général » signifie le Secrétaire général de l'Organisation.

Article 2

L'alinéa a) de l'article 3 de la Convention est remplacé par le texte ci-après : « a) aux créances du chef d'assistance ou de sauvetage, y compris, dans les cas applicables, toute créance pour une in-demnité spéciale en vertu de l'article 14 de la Convention internationale de 1989 sur l'assistance, telle que modifiée, ou aux créances du chef de contribution en avarie commune ».

Article 3

Le paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention est remplacé par le texte ci-après : « 1. Les limites de la responsabilité à l'égard des créances autres que celles mentionnées à l'article 7, nées d'un même événement, sont fixées comme suit : a) s'agissant des créances pour mort ou lésions corporelles, i) à 2 millions d'unités de compte pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux ; ii) pour un navire dont la jauge dépasse le chiffre ci-dessus, au montant suivant, qui vient s'ajouter au montant indiqué à l'alinéa i) : pour chaque tonneau de 2 001 à 30 000 tonneaux, 800 unités de compte ; pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux, 600 unités de compte et pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux, 400 unités de compte ; b) s'agissant de toutes les autres créances, i) à 1 million d'unités de compte pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux ; ii) pour un navire dont la jauge dépasse le chiffre ci-dessus, au montant suivant, qui vient s'ajouter au montant indiqué à l'alinéa i) : pour chaque tonneau de 2 001 à 30 000 tonneaux, 400 unités de compte ; pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux, 300 unités de compte et pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux, 200 unités de compte ».

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Article 4

Le paragraphe 1 de l'article 7 de la Convention est remplacé par le texte ci-après : « 1. Dans le cas de créances résultant de la mort ou de lésions corporelles des passagers d'un navire et nées d'un même événement, la limite de la responsabilité du propriétaire du navire est fixée à un montant de 175 000 unités de compte multiplié par le nombre de passagers que le navire est autorisé à transpor-ter conformément à son certificat. »

Article 5

Le paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention est remplacé par le texte ci-après :

« 2. Toutefois, les Etats qui ne sont pas membres du Fonds monétaire international et dont la légi-slation ne permet pas d'appliquer les dispositions du paragraphe 1 peuvent, au moment de la signa-ture sans réserve quant à la ratification, l'acceptation ou l'approbation, ou au moment de la ratifica-tion, de l'acceptation, de l'approbation ou de l'adhésion, ou encore à tout moment par la suite, décla-rer que les limites de la responsabilité prévues dans la présente Convention et applicables sur leur territoire sont fixées comme suit :

a) En ce qui concerne l'alinéa a) du paragraphe 1 de l'article 6 : i) à 30 millions d'unités monétaires pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux ; ii) pour un navire dont la jauge dépasse le chiffre ci-dessus, au montant suivant, qui vient s'ajouter au montant indiqué à l'alinéa i) : pour chaque tonneau de 2 001 à 30 000 tonneaux, 12 000 unités monétaires ; pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux, 9 000 unités monétaires et pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux, 6 000 unités monétaires ; et b) en ce qui concerne l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 6 : i) à 15 millions d'unités monétaires pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux ; ii) pour un navire dont la jauge dépasse le chiffre ci-dessus, au montant suivant, qui vient s'ajouter au montant indiqué à l'alinéa i) : pour chaque tonneau de 2 001 à 30 000 tonneaux, 6 000 unités monétaires ; pour chaque tonneau de 30 001 à 70 000 tonneaux, 4 500 unités monétaires et pour chaque tonneau au-dessus de 70 000 tonneaux, 3 000 unités monétaires ; et c) en ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 7, à un montant de 2 625 000 unités monétaires multiplié par le nombre de passagers que le navire est autorisé à transporter conformément à son certificat. Les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 s'appliquent en conséquence aux alinéas a) et b) du présent pa-ragraphe ».

Article 6

Le texte suivant est ajouté en tant que paragraphe 3 bis à l'article 15 de la Convention : 3 bis. No-nobstant la limite de la responsabilité prescrite au paragraphe 1 de l'article 7, un Etat Partie peut stipuler aux termes de dispositions expresses de sa législation nationale quel régime de responsabili-té s'applique aux créances pour mort ou lésions corporelles des passagers d'un navire, sous réserve que la limite de la responsabilité ne soit pas inférieure à celle prescrite au paragraphe 1 de l'article 7. Un Etat Partie qui fait usage de la faculté prévue au présent paragraphe notifie au Secrétaire gé-néral les limites de la responsabilité adoptées ou le fait que de telles limites ne sont pas prévues.

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Article 7

Le paragraphe 1 de l'article 18 de la Convention est remplacé par ce qui suit :

1. Tout Etat peut, lors de la signature, de la ratification, de l'acceptation, de l'approbation ou de l'ad-hésion, ou à tout moment par la suite, se réserver le droit :

a) d'exclure l'application des alinéas d) et e) du paragraphe 1 de l'article 2 ;

b) d'exclure les créances pour dommages au sens de la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses ou de tout amendement ou protocole y relatif.

Aucune autre réserve portant sur une question de fond de la présente Convention n'est recevable.

Article 8 : Modification des limites

1. A la demande d'au moins la moitié et, en tout cas, d'un minimum de six des Etats Parties au pré-sent Protocole, toute proposition visant à modifier les limites prévues au paragraphe 1 de l'article 6, au paragraphe 1 de l'article 7 et au paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention telle que modifiée par le présent Protocole est diffusée par le Secrétaire général à tous les Membres de l'Organisation et à tous les Etats contractants.

2. Tout amendement proposé et diffusé suivant la procédure ci-dessus est soumis au Comité juridi-que de l'Organisation (le Comité juridique) pour que ce dernier l'examine six mois au moins après la date à laquelle il a été diffusé.

3. Tous les Etats contractants à la Convention telle que modifiée par le présent Protocole, qu'ils soient ou non Membres de l'Organisation, sont autorisés à participer aux délibérations du Comité juridique en vue d'examiner et d'adopter les amendements.

4. Les amendements sont adoptés à la majorité des deux tiers des Etats contractants à la Convention telle que modifiée par le présent Protocole, présents et votants au sein du Comité juridique, élargi conformément au paragraphe 3, à condition que la moitié au moins des Etats contractants à la Convention telle que modifiée par le présent Protocole soient présents au moment du vote.

5. Lorsqu'il se prononce sur une proposition visant à modifier les limites, le Comité juridique tient compte de l'expérience acquise en matière d'événements et, en particulier, du montant des domma-ges qui en résultent, des fluctuations de la valeur des monnaies et de l'incidence de l'amendement proposé sur le coût des assurances.

6. a) Aucun amendement visant à modifier les limites en vertu du présent article ne peut être exa-miné avant l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle le présent Protocole a été ouvert à la signature, ni d'un délai de cinq ans à compter de la date d'entrée en vigueur d'un amendement antérieur adopté en vertu du présent article.

b) Aucune limite ne peut être relevée au point de dépasser un montant correspondant à la limite fixée dans la Convention telle que modifiée par le présent Protocole majorée de 6 % par an, en inté-rêt composé, à compter de la date à laquelle le présent Protocole a été ouvert à la signature.

c) Aucune limite ne peut être relevée au point de dépasser un montant correspondant au triple de la limite fixée dans la Convention telle que modifiée par le présent Protocole.

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7. Tout amendement adopté conformément au paragraphe 4 est notifié par l'Organisation à tous les Etats contractants. L'amendement est réputé avoir été accepté à l'expiration d'un délai de dix-huit mois après la date de sa notification, à moins que, durant cette période, un quart au moins des Etats qui étaient des Etats contractants au moment de l'adoption de l'amendement ne fassent savoir au Secrétaire général qu'ils ne l'acceptent pas, auquel cas l'amendement est rejeté et n'a pas d'effet.

8. Un amendement réputé avoir été accepté conformément au paragraphe 7 entre en vigueur dix-huit mois après son acceptation.

9. Tous les Etats contractants sont liés par l'amendement, à moins qu'ils ne dénoncent le présent Protocole, conformément aux paragraphes 1 et 2 de l'article 12, six mois au moins avant l'entrée en vigueur de cet amendement. Cette dénonciation prend effet lorsque l'amendement entre en vigueur.

10. Lorsqu'un amendement a été adopté mais que le délai d'acceptation de dix-huit mois n'a pas encore expiré, tout Etat devenant Etat contractant durant cette période est lié par l'amendement si celui-ci entre en vigueur. Un Etat qui devient Etat contractant après expiration de ce délai est lié par tout amendement qui a été accepté conformément au paragraphe 7. Dans les cas visés par le présent paragraphe, un Etat est lié par un amendement à compter de la date d'entrée en vigueur de l'amen-dement ou de la date d'entrée en vigueur du présent Protocole à l'égard de cet Etat, si cette dernière date est postérieure.

Article 9

1. La Convention et le présent Protocole sont, entre les Parties au présent Protocole, considérés et interprétés comme formant un seul instrument.

2. Un Etat qui est Partie au présent Protocole mais n'est pas Partie à la Convention est lié par les dispositions de la Convention telle que modifiée par le présent Protocole à l'égard des autres Etats Parties au Protocole, mais n'est pas lié par les dispositions de la Convention à l'égard des Etats Par-ties uniquement à la Convention.

3. La Convention telle que modifiée par le présent Protocole ne s'applique qu'aux créances nées d'événements postérieurs à l'entrée en vigueur, pour chaque Etat, du présent Protocole.

4. Aucune des dispositions du présent Protocole ne porte atteinte aux obligations qu'a un Etat Partie à la fois à la Convention et au présent Protocole à l'égard d'un Etat qui est Partie à la Convention mais qui n'est pas Partie au présent Protocole.

CLAUSES FINALES

Article 10 : Signature, ratification, acceptation, approbation et adhésion

1. Le présent Protocole est ouvert à la signature de tous les Etats au Siège de l'Organisation du 1er octobre 1996 au 30 septembre 1997.

2. Tout Etat peut exprimer son consentement à être lié par le présent Protocole par : a) signature sans réserve quant à la ratification, l'acceptation ou l'approbation ; ou b) signature sous réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation, suivie de ratification, d'acceptation ou d'approbation ; ou c) adhésion.

3. La ratification, l'acceptation, l'approbation ou l'adhésion s'effectuent par le dépôt d'un instrument

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à cet effet auprès du Secrétaire général.

4. Tout instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion déposé après la date d'entrée en vigueur d'un amendement à la Convention telle que modifiée par le présent Protocole est réputé s'appliquer à la Convention ainsi modifiée et telle que modifiée par ledit amendement.

Article 11 : Entrée en vigueur

1. Le présent Protocole entre en vigueur quatre-vingt-dix jours après la date à laquelle dix Etats ont exprimé leur consentement à être liés par lui.

2. Pour tout Etat qui exprime son consentement à être lié par le présent Protocole après que les conditions d'entrée en vigueur prévues au paragraphe 1 ont été remplies, le présent Protocole entre en vigueur quatre-vingt-dix jours après la date à laquelle ce consentement a été exprimé.

Article 12 : Dénonciation

1. Le présent Protocole peut être dénoncé par l'un quelconque des Etats Parties à tout moment à compter de la date à laquelle il entre en vigueur à l'égard de cet Etat Partie.

2. La dénonciation s'effectue par le dépôt d'un instrument de dénonciation auprès du Secrétaire gé-néral.

3. La dénonciation prend effet douze mois après la date du dépôt de l'instrument de dénonciation auprès du Secrétaire général ou à l'expiration de toute période plus longue qui pourrait être spécifiée dans cet instrument.

4. Entre les Etats Parties au présent Protocole, la dénonciation par l'un quelconque d'entre eux de la Convention en vertu de l'article 19 de ladite convention n'est en aucun cas interprétée comme une dénonciation de la Convention telle que modifiée par le présent Protocole.

Article 13 : Révision et modification

1. L'Organisation peut convoquer une conférence ayant pour objet de réviser ou de modifier le pré-sent Protocole.

2. L'Organisation convoque une conférence des Etats contractants au présent Protocole, ayant pour objet de le réviser ou de le modifier, à la demande du tiers au moins des Parties contractantes.

Article 14 : Dépositaire

1. Le présent Protocole et tous les amendements acceptés en vertu de l'article 8 sont déposés auprès du Secrétaire général.

2. Le Secrétaire général

a) informe tous les Etats qui ont signé le présent Protocole ou y ont adhéré :

i) de toute nouvelle signature ou de tout dépôt d'un nouvel instrument, et de la date à laquelle cette signature ou ce dépôt sont intervenus ;

ii) de toute déclaration et communication effectuées en vertu du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention telle que modifiée par le présent Protocole et en vertu du paragraphe 4 de l'article 8 de la Convention ;

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iii) de la date d'entrée en vigueur du présent Protocole ;

iv) de toute proposition visant à modifier les limites qui a été présentée conformément au paragra-phe 1 de l'article 8 ; v) de tout amendement qui a été adopté conformément au paragraphe 4 de l'ar-ticle 8 ;

vi) de tout amendement qui est réputé avoir été accepté en vertu du paragraphe 7 de l'article 8, ainsi que de la date à laquelle cet amendement entre en vigueur, conformément aux paragraphes 8 et 9 de cet article ;

vii) du dépôt de tout instrument de dénonciation du présent Protocole, ainsi que de la date à laquelle ce dépôt est intervenu et de la date à laquelle la dénonciation prend effet ;

b) transmet des copies certifiées conformes du présent Protocole à tous les Etats signataires et à tous les Etats qui y adhèrent.

3. Dès l'entrée en vigueur du présent Protocole, le Secrétaire général en transmet le texte au Secréta-riat de l'Organisation des Nations unies en vue de son enregistrement et de sa publication confor-mément à l'article 102 de la Charte des Nations unies.

Article 15 : Langues

Le présent Protocole est établi en un seul exemplaire original en langues anglaise, arabe, chinoise, espagnole, française et russe, tous les textes faisant également foi. Fait à Londres, ce deux mai mil neuf cent quatre-vingt-seize. En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés à cet effet par leurs Gouvernements respectifs, ont apposé leur signature au présent Protocole.

Déclaration française

En application des dispositions de l'article 7 du présent Protocole modifiant l'article 18, paragraphe 1, alinéa a, de la Convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances ma-ritimes, le Gouvernement de la République française réitère sa décision exprimée lors du dépôt de son instrument d'approbation de cette dernière d'écarter tout droit à limitation de responsabilité pour les créances visées à l'article 2, paragraphe 1, alinéas d et e de ladite Convention.

Fait à Paris, le 22 septembre 2007.

Par le Président de la République : Nicolas Sarkozy Le Premier ministre, François Fillon Le ministre des affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner.

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3. Tableaux comparatifs des plafonds d’indemnisation DTS pour les créances pour mort ou lésions corporelles de personnes autres que les passagers : Jauge du navire Convention de 1976 Protocole de 1996 0 à 500 tonneaux 333 000 501 à 2000 + 500/tonneau

2 millions (= x 6)

2001 à 3000 + 500/tonneau 3001 à 30 000 + 333/tonneau

+ 800/tonneau

30 001 à 70 000 + 250/tonneau + 600/tonneau Supérieure à 70 000 + 167/tonneau + 400/tonneau Pour les autres créances (dommages matériels), les plafonds d'indemnisation ont été relevés comme suit : Jauge du navire Convention de 1976 Protocole de 1996 0 à 500 tonneaux 167 000 501 à 2000

1 million

2001 à 3000 3001 à 30 000

+ 167/tonneau + 400/tonneau

30 001 à 70 000 + 125/tonneau + 300/tonneau Supérieure à 70 000 + 83/tonneau + 200/tonneau

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4. Directive du 23 avril 2009 relative à l'assurance des propriétaires de navires pour les créances maritimes Directive 2009/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l'assurance des propriétaires de navires pour les créances maritimes

Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE

Journal officiel n° L 131 du 28/05/2009 p. 0128 - 0131

LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE, vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 80, paragraphe 2, vu la proposition de la Commission, vu l'avis du Comité économique et social européen [1], vu l'avis du Comité des régions [2], statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 du traité [3], considérant ce qui suit: (1) L'un des éléments de la politique communautaire des transports maritimes consiste à ren-forcer la qualité de la marine marchande en responsabilisant davantage tous les opérateurs économiques. (2) Des mesures de nature dissuasive ont d'ores et déjà été adoptées dans le cadre de la direc-tive 2005/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la pol-lution causée par les navires et à l'introduction de sanctions en cas d'infraction [4]. (3) Le 9 octobre 2008, les États membres ont adopté une déclaration dans laquelle ils ont unanimement reconnu l'importance que revêt l'application du protocole de 1996 à la conven-tion de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes par tous les États membres. (4) L'obligation d'assurance devrait permettre d'assurer une meilleure protection des victimes. Elle devrait également contribuer à éliminer les navires ne répondant pas aux normes et per-mettre de rétablir la concurrence entre opérateurs. De plus, dans sa résolution A.898(21), l'Organisation maritime internationale a invité les États à prier instamment les propriétaires de navires de souscrire une assurance appropriée. (5) Le non-respect des dispositions de la présente directive devrait être corrigé. La directive 2009/16/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative au contrôle par l'État du port (refonte) [5] prévoit déjà l'immobilisation des navires en cas d'absence à bord des certificats qui doivent s'y trouver. Il convient toutefois de permettre l'expulsion d'un na-vire qui ne détient pas de certificat d'assurance. Les modalités de l'expulsion devraient per-mettre de remédier à la situation dans un délai raisonnable. (6) Étant donné que les objectifs de la présente directive, à savoir l'introduction et la mise en œuvre de mesures appropriées dans le domaine du transport maritime, ne peuvent pas être ré-

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alisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison de ses dimen-sions et de ses effets, être mieux réalisés au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l'article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité tel qu'énoncé audit article, la présente direc-tive n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs, ONT ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DIRECTIVE: Article premier : Objet La présente directive fixe les règles applicables à certains aspects des obligations qui incom-bent aux propriétaires de navires en ce qui concerne leur assurance pour les créances mariti-mes. Article 2 : Champ d'application 1. La présente directive s'applique aux navires d'une jauge brute égale ou supérieure à 300. 2. La présente directive ne s'applique pas aux navires de guerre, aux navires de guerre auxi-liaires ou autres navires appartenant à un État ou exploités par lui et utilisés pour un service public non commercial. 3. La présente directive est sans préjudice des régimes établis par les instruments en vigueur dans l'État membre concerné et mentionnés à l'annexe. Article 3 : Définitions Aux fins de la présente directive, on entend par: a) "propriétaire du navire", le propriétaire inscrit d'un navire de mer ou toute autre personne, telle que l'affréteur coque nue, qui est responsable de l'exploitation du navire; b) "assurance", une assurance avec ou sans franchise, et comprenant par exemple une assu-rance-indemnisation du type actuellement offert par les membres de l'International Group of P&I Clubs et d'autres formes effectives d'assurance (y compris une assurance individuelle at-testée) et de garantie financière offrant des conditions de couverture équivalentes; c) "convention de 1996", le texte consolidé de la convention de 1976 sur la limitation de res-ponsabilité en matière de créances maritimes, adoptée par l'Organisation maritime internatio-nale (OMI), telle que modifiée par le protocole de 1996. Article 4 : Assurance pour les créances maritimes 1. Chaque État membre exige des propriétaires de navires battant son pavillon qu'ils souscri-vent une assurance couvrant les navires en question. 2. Chaque État membre exige des propriétaires de navires battant un pavillon autre que le sien qu'ils aient souscrit une assurance lorsque ces navires entrent dans un port relevant de sa juri-diction. Ce qui précède n'interdit pas aux États membres d'imposer, dans le respect du droit international, le respect de cette obligation lorsque ces navires opèrent dans leurs eaux territo-riales. 3. L'assurance visée aux paragraphes 1 et 2 couvre les créances maritimes soumises à limita-tion au titre de la convention de 1996. Le montant de l'assurance pour chaque navire par évé-nement est égal au montant maximal applicable pour la limitation de la responsabilité,

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conformément à la convention de 1996. Article 5 : Inspections, conformité, expulsion des ports et refus d'accès aux ports 1. Chaque État membre veille à ce que toute inspection effectuée sur un navire dans un port relevant de sa juridiction conformément à la directive 2009/16/CE comporte la vérification de la présence à bord d'un certificat visé à l'article 6. 2. Si le certificat visé à l'article 6 ne se trouve pas à bord, et sans préjudice de la directive 2009/16/CE qui prévoit l'immobilisation de navires lorsque des questions de sécurité sont en jeu, l'autorité compétente peut prononcer à l'égard du navire une décision d'expulsion qui est notifiée à la Commission, aux autres États membres et à l'État du pavillon concerné. Lorsque cette décision d'expulsion a été émise, tout État membre refuse l'accès de ce navire à l'ensem-ble de ses ports jusqu'à ce que le propriétaire dudit navire fournisse le certificat visé à l'article 6. Article 6 : Certificats d'assurance 1. L'existence de l'assurance visée à l'article 4 est attestée par un ou plusieurs certificats déli-vrés par son fournisseur et présents à bord du navire. 2. Les certificats émis par le fournisseur de l'assurance comportent les renseignements sui-vants: a) nom du navire, numéro IMO d'identification du navire et port d'immatriculation; b) nom et lieu du principal établissement du propriétaire du navire; c) type et durée de l'assurance; d) nom et lieu du principal établissement du fournisseur de l'assurance et, le cas échéant, lieu de l'établissement auprès duquel l'assurance a été souscrite. 3. Si la langue utilisée dans les certificats n'est ni l'anglais, ni le français, ni l'espagnol, le texte comporte une traduction dans l'une de ces langues. Article 7 : Sanctions Aux fins de l'article 4, paragraphe 1, les États membres établissent un système de sanctions applicables en cas d'infraction aux dispositions nationales adoptées en application de la pré-sente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer l'application de ces sanctions. Les sanctions ainsi prévues sont efficaces, proportionnées et dissuasives. Article 8 : Rapports La Commission adresse tous les trois ans, et pour la première fois avant le 1er janvier 2015, au Parlement européen et au Conseil un rapport concernant l'application de la présente direc-tive. Article 9 : Transposition 1. Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et admi-nistratives nécessaires pour se conformer à la présente directive avant le 1er janvier 2012. Ils en informent immédiatement la Commission.

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Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d'une telle référence lors de leur publication offi-cielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. 2. Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu'ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive. Article 10 : Entrée en vigueur La présente directive entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal offi-ciel de l'Union européenne. Article 11 : Destinataires Les États membres sont destinataires de la présente directive. Fait à Strasbourg, 23 avril 2009. Par le Parlement européen Le président H.-G. Pöttering Par le Conseil Le président P. Nečas [1] JO C 318 du 23.12.2006, p. 195. [2] JO C 229 du 22.9.2006, p. 38. [3] Avis du Parlement européen du 29 mars 2007 (JO C 27 E du 31.1.2008, p. 166), position commune du Conseil du 9 décembre 2008 (JO C 330 E du 30.12.2008, p. 7) et position du Parlement européen du 11 mars 2009 (non encore parue au Journal officiel). [4] JO L 255 du 30.9.2005, p. 11. [5] Voir page 57 du présent Journal officiel. --------------------------------------------------

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5. Extraits du Code des transports

CINQUIEME PARTIE : TRANSPORT ET NAVIGATION MA-RITIMES

Article L5000-1

Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Est considérée comme maritime pour l'application du présent code la navigation de surface ou sous-marine pratiquée en mer, ainsi que celle pratiquée dans les estuaires et cours d'eau en aval du pre-mier obstacle à la navigation des navires. La liste de ces obstacles est fixée par voie réglementaire.

Article L5000-2 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

I. ― Sauf dispositions contraires, sont dénommés navires pour l'application du présent code :

1° Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ;

2° Les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime, affectés à des services publics à caractère administratif ou industriel et commercial.

II. ― Sauf dispositions contraires, les dispositions du présent code ne s'appliquent pas aux navires de guerre, qu'ils soient français ou étrangers. Sont considérés comme navires de guerre tous bâti-ments en essais ou en service dans la Marine nationale ou une marine étrangère.

Article L5000-3 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Les dispositions de la présente partie s'appliquent sous réserve des engagements internationaux de la France et des compétences reconnues aux Etats par le droit international :

1° Aux navires battant pavillon français, en quelque lieu qu'ils se trouvent ;

2° Aux navires battant pavillon d'un Etat étranger, auxquels sont assimilés pour l'application du présent code les navires sans pavillon ou sans nationalité, dans les espaces maritimes relevant de la juridiction ou de la souveraineté française.

Article L5000-4 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Un navire est dit armé lorsqu'il est pourvu des moyens matériels, administratifs et humains néces-saires à l'activité maritime envisagée.

Article L5000-5 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

La définition de la jauge des navires et son expression en unités de mesure sont effectuées confor-mément aux stipulations de la convention internationale du 23 juin 1969 sur le jaugeage des navires et, le cas échéant, aux dispositions des règlements communautaires.

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Article L5000-6 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

L'exercice par l'Etat des pouvoirs de police en mer qu'il tient des dispositions du présent code est régi par les dispositions de la section 1 du chapitre unique du titre II du livre V de la partie I du code de la défense.

LIVRE 1ER : LE NAVIRE

TITRE II : RÉGIMES DE RESPONSABILITÉ ET OBLIGATIONS D’ASSURANCE

CHAPITRE I : RÉGIME GÉNÉRAL DE RESPONSABILITÉ

SECTION 1 : DISPOSITIONS GENERALES

Article L5121-1 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Les dispositions du présent chapitre s'appliquent sous réserve des dispositions spéciales fixées par le chapitre II du présent titre.

Article L5121-2 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à l'affréteur, à l'armateur, à l'armateur-gérant ainsi qu'au capitaine ou à leurs autres préposés terrestres ou nautiques agissant dans l'exercice de leurs fonctions, de la même manière qu'au propriétaire lui-même. Elles peuvent être invoquées par le ca-pitaine et les autres membres de l'équipage, même lorsqu'ils ont commis une faute personnelle. Si le propriétaire du navire, l'affréteur, l'armateur ou l'armateur-gérant est le capitaine ou un membre de l'équipage, les dispositions de l'alinéa précédent ne s'appliquent qu'aux fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions de capitaine ou de membre de l'équipage.

SECTION 2 : LE DROIT A LIMITATION DE RESPONSABILITE

Article L5121-3 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Les personnes mentionnées à l'article L. 5121-2 peuvent limiter leur responsabilité envers des co-contractants ou des tiers, même s'il s'agit de l'Etat, si les dommages se sont produits à bord du na-vire ou s'ils sont en relation directe avec la navigation ou l'utilisation du navire. Elles peuvent, dans les mêmes conditions, limiter leur responsabilité pour les mesures prises afin de prévenir ou de ré-duire les dommages mentionnés au premier alinéa, ou pour les dommages causés par ces mesures. Toutefois, elles ne sont pas en droit de limiter leur responsabilité s'il est prouvé que le dommage résulte de leur fait ou de leur omission personnels et qu'il a été commis avec l'intention de provo-quer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulte-rait probablement.

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Article L5121-4 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

La limitation de responsabilité n'est pas opposable : 1° Aux créances d'indemnité d'assistance, de sauvetage, ou de contribution en avarie commune ; 2° Aux créances du capitaine et des autres membres de l'équipage nées de l'embarquement ; 3° Aux créances de toute autre personne employée à bord en vertu d'un contrat de travail ; 4° Aux créances de l'Etat ou de toute autre personne morale de droit public qui aurait, au lieu et place du propriétaire, renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s'est trouvé à bord.

Article L5121-5 Modifié par Ordonnance n°2011-635 du 9 juin 2011 - art. 2

Les limites de la responsabilité prévues à l'article L. 5121-3 sont celles établies par la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, faite à Londres le 19 novembre 1976, modifiée.

Toutefois, les limites de la responsabilité du propriétaire du navire dont la jauge est inférieure ou égale à 300 sont égales à la moitié de celles fixées par les dispositions de l'article 6 de la conven-tion, pour les navires dont la jauge est inférieure ou égale à 2 000.

SECTION 3 : MISE EN ŒUVRE DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE

Article L5121-6 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Lorsque l'ensemble des créances nées d'un même événement dépasse les limites de la responsabili-té déterminées par les dispositions de l'article L. 5121-5, le montant global des répartitions dues par le propriétaire ou toute autre personne mentionnée à l'article L. 5121-2 dans le cadre de la limitation légale est constitué, à la diligence et par les soins du propriétaire, de cette personne ou de toute au-tre personne à eux substituée, en un fonds de limitation unique.

Le fonds ainsi constitué est affecté exclusivement au règlement des créances auxquelles la limita-tion de responsabilité est opposable.

Après la constitution du fonds, aucun droit ne peut être exercé, pour les mêmes créances, sur d'au-tres biens du propriétaire ou de toute autre personne mentionnée par les créanciers auxquels le fonds est réservé, à condition que le fonds de limitation soit effectivement disponible au profit du deman-deur.

Article L5121-7 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Lorsque le propriétaire ou une autre personne mentionnée à l'article L. 5121-2 a fourni une garantie pour une somme correspondant aux limites de sa responsabilité, cette garantie sert au paiement de toutes les créances nées d'un même événement et pour lesquelles la responsabilité peut être limitée.

Article L5121-8 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Le fait pour le propriétaire ou toute autre personne mentionnée à l'article L. 5121-2 d'invoquer la limitation de responsabilité ou de constituer le fonds de limitation n'emporte pas reconnaissance de sa responsabilité.

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Article L5121-9

Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V) Dans tous les cas où une personne est autorisée par le présent chapitre à limiter sa responsabilité, elle peut obtenir la mainlevée de la saisie de son navire ou de tout autre bien lui appartenant ainsi que la libération des cautions et garanties données. Elle prouve au préalable qu'elle a constitué le fonds ou fourni toutes garanties propres à sa constitution.

Pour l'application des dispositions du premier alinéa du présent article, il est tenu compte de la constitution du fonds ou de la fourniture de garanties suffisantes, non seulement sur le territoire de la République française, mais également : 1° Soit au port où s'est produit l'événement donnant lieu à la créance du saisissant ; 2° Soit à la première escale après l'événement, si celui-ci n'a pas eu lieu dans un port ; 3° Soit au port de débarquement ou de déchargement, s'il s'agit d'une créance relative à des domma-ges corporels ou à des dommages aux marchandises.

Article L5121-10 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Le fonds de limitation prévu par l'article L. 5121-6 comporte trois parties affectées respectivement : 1° Au règlement des créances pour mort ou lésions corporelles des passagers au sens de l'article L. 5421-1 ; 2° Au règlement des créances pour mort ou lésions corporelles des personnes autres que les passa-gers ; 3° Au règlement des autres créances. Pour chaque partie du fonds, la répartition se fait entre les créanciers, proportionnellement au mon-tant de leurs créances. Lorsque le montant des créances prévues par le 2° dépasse le montant de limitation de responsabilité fixé pour ces créances, l'excédent vient en concurrence avec les créan-ces autres que celles résultant de mort ou lésions corporelles, prévues par le 3°.

Article L5121-11 Créé par Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 - art. (V)

Si, avant la répartition du fonds, le propriétaire d'un navire a payé en tout ou en partie une des créances mentionnées aux articles L. 5121-3 et L. 5121-4, il est autorisé à prendre, à due concur-rence, les lieu et place de son créancier dans la distribution du fonds.

Toutefois, cette possibilité ne peut s'exercer que si le droit de l'Etat où le fonds est constitué permet au créancier de faire reconnaître sa créance à l'encontre du propriétaire.

CHAPITRE III : OBLIGATIONS D’ASSURANCE

SECTION 1 : OBLIGATIONS D’ASSURANCE GENERALES

Article L5123-1 Créé par Ordonnance n°2011-635 du 9 juin 2011 - art. 2

Le propriétaire inscrit d'un navire ou toute autre personne, telle que l'affréteur coque nue, qui est responsable de l'exploitation du navire, souscrit une assurance ou une autre garantie financière, avec ou sans franchise, lorsque ce navire bat pavillon français ou entre dans un port français et que sa jauge brute est égale ou supérieure à 300.

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L'assurance ou la garantie couvre les créances maritimes soumises à limitation au titre de la conven-tion de 1976 modifiée sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, faite à Londres le 19 novembre 1976. Le montant de l'assurance, pour chaque navire et par événement, n'est pas inférieur au montant maximal applicable pour la limitation de responsabilité conformé-ment à cette convention. Un certificat attestant que la garantie est en cours de validité doit se trouver à bord du navire. Les renseignements devant figurer dans le certificat sont fixés par voie réglementaire. Le présent article ne s'applique pas aux navires appartenant à un Etat ou exploités par lui et utilisés pour un service non commercial d'Etat.

TITRE III : RÉPARATION DES ACCIDENTS DE NAVIGATION

CHAPITRE II : ASSISTANCE SECTION 4 : RESPONSABILITE DE L'ASSISTANT

Article L5132-12

Créé par Ordonnance n°2011-635 du 9 juin 2011 - art. 2 I. ― La responsabilité de l'assistant, engagée à raison des dommages corporels ou matériels qui sont en relation directe avec des opérations d'assistance ou de sauvetage, au sens de la convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes faite à Londres le 19 novembre 1976, telle que modifiée, ainsi qu'à raison de tous autres préjudices résultant de ces opé-rations, peut être soumise à limitation, quel que soit le fondement de la responsabilité. II. ― Cette limitation est soumise aux mêmes conditions que celles applicables à la limitation de la responsabilité du propriétaire de navire mentionnée au chapitre Ier du titre II du présent livre.

Article L5132-13 Créé par Ordonnance n°2011-635 du 9 juin 2011 - art. 2

I. ― Les préposés de l'assistant ont le droit de se prévaloir de la limitation de responsabilité dans les mêmes conditions que l'assistant lui-même. II. ― Les limites de responsabilité de l'assistant agissant à partir d'un navire autre que celui auquel il fournit des services d'assistance sont calculées suivant les règles prévues pour le propriétaire de navire à l'article L. 5121-5. III. ― Les limites de responsabilité de l'assistant n'agissant pas à partir d'un navire ou agissant uni-quement à bord du navire auquel il fournit des services d'assistance sont calculées selon les mêmes règles et sur la base d'une jauge de 2000.

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TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS.....................................................................................................................4 SOMMAIRE..........................................................................................................................................................................5

INTRODUCTION ..................................................................................................................................................6 PARTIE I : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE ............................................................................................................................................ 17

TITRE I: RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DU RISQUE MARITIME.............................................................................................................................................. 18

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de mer couru par le navire. ............. 18 Section 1 – Accentuer la prévention du risque maritime justifiant le maintien de la limitation de responsabilité. .................19 Section 2 – Redéfinir l’objet soumis au risque de mer - l’engin éligible au statut de navire. ...................................................22

Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence du risque de mer. ...................... 28 Section 1 - Le risque de mer ignoré : la faute du bénéficiaire comme cause exclusive du dommage......................................28 Section 2 : Supprimer la limitation de responsabilité relative aux créances qui ne sont pas nées de l’utilisation purement maritime du navire .........................................................................................................................................................................32

TITRE II : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DE L’INTERET GENERAL.......................................................................................................................................... 37

Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère d’intérêt général des activités maritimes. ...................................................................................................................................................... 37

Section 1 : Atteinte au principe de la réparation intégrale, proportionnée au but d’intérêt général poursuivi par les activités maritimes. .......................................................................................................................................................................................38 Section 2 : L’intérêt général défendu par les activités maritimes, fondement alternatif au risque de mer...............................42

Chapitre 2 : Persistance injustifiée de la limitation de responsabilité en présence d’un intérêt supérieur ou exclusif de l’intérêt général. ................................................................................................................... 46

Section 1 : Extension déraisonnable de la limitation à ceux qui bravent le risque de mer dans leur intérêt propre et exclusif - le triomphe de l’individualisme.....................................................................................................................................................46 Section 2 : Incompatibilité de la limitation de responsabilité avec l’intérêt économique supérieur des ports maritimes. ......49

Conclusion de la première partie........................................................................................................................................52 PARTIE II : RECONSIDERER LA REPARTITION DU RISQUE MARITIME OPEREE PAR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE.......................................................................................................... 53

TITRE 1 : LE DESAVEU D’UN SYSTEME INEGALITAIRE DE LIMITATION ......................................................... 53 Chapitre 1 : Une répartition déséquilibrée du risque de mer.................................................................... 54

Section 1 - Répartition inégalitaire entre bénéficiaires : limitation dégressive liée à la capacité du navire. ...........................54 Section 2 – Répartition inégalitaire entre créanciers : limitations générales et limitations spéciale opposable aux passagers..........................................................................................................................................................................................................55 Section 3 – Répartition inégalitaire entre bénéficiaires et créanciers : les plafonds de réparation à l’épreuve de l’érosion monétaire ........................................................................................................................................................................................56

Chapitre 2 : Tentatives jurisprudentielles de neutralisation du système. ................................................. 58 Section 1 - Une jurisprudence d’une sévérité exemplaire : appréciation souple de la faute inexcusable. ...............................58 Section 2 - L’insaisissable nature de la faute privative du droit à limitation .............................................................................61

TITRE 2 – DEUX AXES POUR PARVENIR A UNE MEILLEURE REPARTITION DU RISQUE.................................. 63 Chapitre 1 : Assurer la responsabilité en matière de créances maritimes. .............................................. 63

Section 1 : La limitation de responsabilité, condition d’assurabilité du risque maritime..........................................................63 Section 2 : Pérenniser l’inassurabilité de la faute intentionnelle ou inexcusable.......................................................................65

Chapitre 2 : Refondre l’instrument de mesure de la limitation................................................................. 67 Section 1 – La réparation limitée à la valeur du navire : une théorie inconsistante...................................................................67 Section 2 - Limiter la réparation à l’assurabilité : un projet insensé...........................................................................................68

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Section 3 – Pertinence de la réparation limitée à la capacité du navire. .....................................................................................69 Conclusion de la seconde partie...............................................................................................................................................70

CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 71 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 72 ANNEXES............................................................................................................................................................. 76

1. CONVENTION DU 19 NOVEMBRE 1976 SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE EN MATIERE DE CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 77 2. PROTOCOLE MODIFICATIF DU 2 MAI 1996 ................................................................................................... 90 3. TABLEAUX COMPARATIFS DES PLAFONDS D’INDEMNISATION................................................................... 97 4. DIRECTIVE DU 23 AVRIL 2009 RELATIVE A L'ASSURANCE DES PROPRIETAIRES DE NAVIRES POUR LES CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 98 5. EXTRAITS DU CODE DES TRANSPORTS....................................................................................................... 102