Fascisme, Nazisme, Autoritarism - Philippe Burrin

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  • Ouvrages dePhilippe Burrin

    AUX MMES DITIONS

    La Drive fascisteDoriot, Dat, Bergery

    LUnivers historique , 1986

    Hitler et les JuifsGense dun gnocide

    XXe sicle , 1989 Points Histoire , 1995

    La France lheure allemande

    1940-1944 LUnivers historique , 1995

    Points Histoire , 1997

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  • COLLECTION POINTS HISTOIRE FONDE PAR MICHEL WINOCKDIRIGE PAR RICHARD FIGUIER

    ISBN : 97 8-2-7 57 -84085-6

    DITION S DU SEU IL, OCTOBRE 2000

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  • SOMMAIRE

    Table des matires

    Prsentation

    Comparaisons1 - Les rgimes fasciste et nazi

    Le compromis autoritaire.

    Le duel du parti et de ltat.

    La base populaire.

    Le my the du chef.

    2 - Limaginaire politique du fascisme

    3 - Hitler et Staline

    La crise nazie

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  • 4 - Qui tait nazi ?

    5 - Charisme et radicalisme

    6 - Les prismes de lacceptation

    7 - Hitler, la race et la nation

    8 - Une v iolence congnitale

    9 - Vers Auschwitz

    1 0 - Les Allemands et le gnocide

    La France lpreuve1 1 - Poings lev s et bras tendus

    Transparence marxiste et scnographie fasciste.

    Lattirail paramilitaire de Weimar.

    Trois flches contre une croix gamme.

    Limportation du poing lev .

    Socialistes enchemiss.

    Lappel communiste des morts.

    Les ftes du Front populaire.

    Le sy mbole, substitut la rv olution ?

    1 2 - Le champ magntique des fascismesJules Romains et le rv e du faisceau dmocratique.

    Emmanuel Mounier et les mrites du fascisme.

    Bertrand de Jouv enel et le nazisme : lmulation pour la paix.

    Le fascisme sage de Pierre Drieu La Rochelle.

    Thierry Maulnier et le duel complice av ec le nazisme.

    1 3 - Le fascisme franais

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  • 1 4 - La France de Vichy dans lEurope nazie

    1 5 - Vichy , de lhistoire la mmoireUn pass ambigu et mouv ant.

    La recomposition de lme nationale .

    Une mmoire v iv e.

    Index

    Rfrences

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  • Prsentation

    Le XXe sicle europen sloigne implacablement, mais, loindaplatir, la distance semble rehausser ses reliefs les plusmonstrueux. Le communisme sovitique, videmment, danssa forme staliniste surtout, mais aussi le fascisme, devenu lafois moins proche o est passe la sduction des valeursmartiales ? et plus actuel avec la rsurgence de laxnophobie et du racisme. Quelles quaient t les violences ducommunisme, le fascisme, et tout particulirement le nazisme,peut tre vu comme le principal responsable du suicide delEurope pour avoir ajout aux massacres militaires de laPremire Guerre mondiale les exterminations de civils de laSeconde.

    Les essais qui forment ce recueil proposent une sriedclairages sur la priode historique du fascisme. Troisproccupations y laissent une empreinte visible de bout enbout. La premire se marque dans leffort de situer le fascismeen le rapprochant, de manire superficielle, hlas, ducommunisme, son pendant dans la famille des totalitarismes,et en le reliant, trop rapidement, lautoritarisme o il puisalessentiel de ses forces. Historiquement, en effet, ce quiimporte, cest moins larrive au pouvoir de partis fascistes,dans laquelle la conjoncture eut un rle dterminant, que la

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  • rceptivit quils trouvrent et qui permit leur stabilisation. Laprsence dune culture autoritaire enracine a fait le lit dufascisme, et elle a permis lpanouissement dautres formes depouvoir, tel le franquisme, avec lesquels il avait une parentindniable, mais dont il importe de le distinguer.

    La deuxime proccupation porte prcisment sur ladfinition du fascisme, sur ce qui le constitue en famillepolitique distincte, quil sagisse de son imaginaire politique oudu type de rgime quil a construit. Sur cette base, il devientpossible de faire ressortir la physionomie propre de chaquemembre de cette famille, ici celle du fascisme italien, dunazisme et du fascisme franais. On comprendra que lenazisme reoive pourtant une attention particulire. Lesdbats qui ont oppos les historiens propos dufonctionnement du rgime national-socialiste, du rle delhomme qui le dominait et des ressorts de sa violenceexceptionnelle, ces dbats ont une porte plus gnrale pourlanalyse des dictatures modernes.

    La troisime proccupation concerne la dimensiontransnationale du fascisme. Cest bien parce quil avait unepersonnalit et quil proposait une rponse qui dbordait leslimites dune socit ou dune histoire nationales que lefascisme fut une tentation pour lEurope entire et que, dslarrive au pouvoir de Mussolini puis de Hitler, ses formesdaction, son style et ses ides enjambrent les frontires, de lamme faon que le communisme lavait fait. Et cettecirculation transnationale des formes politiques, qui marquales annes 1930, inclut une brochette de modles autoritaires

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  • qui prtendaient offrir une troisime voie entre le fascisme etle communisme.

    Dans une Europe o la dmocratie librale en crise serecroquevillait sur la frange occidentale du continent, la Francese trouva singulirement expose ce tourbillon de modlestrangers. La prsence dun Parti communiste prenant dupoids la faveur du Front populaire, la prolifration demouvements reprenant en partie au moins lattirail fasciste, etsurtout lactivation de tendances autoritaires autochtonesencourages par les vents environnants, tout cela contribua dstabiliser, sinon le rgime qui demeura ferme, du moinsbeaucoup desprits, et jeter les bases du ptainisme et duvichysme. Dans le face--face de la Rvolution nationale et duvainqueur nazi, la France connut alors une preuve dont lammoire reste vif.

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  • COMPARAISONS

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  • 1Les rgimes fascisteet nazi

    Lhistoriographie des rgimes fasciste et nazi montrecombien lhistoire compare demeure une recommandationdcole. Rares sont les tudes qui abordent dans uneperspective comparative lhistoire de ces rgimes ou explorentlun ou lautre de leurs aspects, lexemple du remarquabletravail que Jrgen Kocka consacra aux cols blancs allemandset amricains1. Emprise du cadre national sur les tudeshistoriques, sans doute, mais aussi rticence des historiensenvers une dmarche longtemps accapare par despolitologues qui seul importait de fixer la formule dunfascisme gnrique. Attach au respect des spcificits,lhistorien ne peut que voir dans des interprtations faisantdes rgimes allemand et italien lexpression politique dunstade du capitalisme ou dune tape de la modernisation desgnralits peu clairantes, greves au surplus domissions oude mconnaissances considrables2. Ainsi propos delextermination des juifs, un vnement o culminent et secondensent les diffrences de tous ordres que lon peutconstater entre ces rgimes et que le carcan dun modle

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  • explicatif conduit ignorer ou aplatir3. Mme si leur gravita t longtemps mconnue, les actes de barbarie commis parlItalie fasciste en thiopie sont bien loigns dune entreprisede gnocide dont la particularit fut davoir tidologiquement motive, administrativement planifie etindustriellement accomplie.

    A lvidence, les rgimes fasciste et nazi ntaient pasidentiques. Mais la question pertinente est celle de leurparent, et non de leur identit. En tant que phnomnehistorique, chaque rgime est singulier. Encore faut-ilapprcier cette singularit, son caractre et son tendue. Dolappel la comparaison qui doit permettre de cerner uneparent selon les ressemblances qui la fondent et lesdiffrences qui la limitent. Dans les pages qui suivent, ladmarche comparative est applique aux structures politiquesqui charpentrent ces deux rgimes, leur permirent dtre etde durer, leur donnrent physionomie et direction. Par-del lejeu politique au sens troit dont limportance ne doit pas tresous-estime, nous intressent ici les convergencesstratgiques qui offrirent une assise au pouvoir, lesconceptions idologiques qui orientrent son action, lesdispositifs institutionnels quil mit en place, enfin la rceptivitde la socit quil rgissait. A travers cette exploration, quinous fera aller daspects connus dautres moins travaills, onaimerait reconnatre le territoire dune histoire politique enfriche4.

    Dans cette recherche en parent, il est un premier niveau,celui de lidologie, qui nous laisse la surface du problme et

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  • quon nvoquera que dans la mesure o notre propos sentrouve clair. Vus dans la perspective de lhistoire des ides,le fascisme et le nazisme sont dune parent vidente. Tousdeux sinscrivaient dans un mme courant dirrationalismepolitique et dethno-nationalisme imprialiste, tous deuxproclamaient les mmes valeurs fondamentales de foi, de forceet de combat. Le racisme nen occupait pas moins au cur dunazisme une place singulire. Mussolini, il est vrai, ladopta en1938 et le plaa au fronton de son rgime, ce qui nest tout demme pas sans signification. Mais lintensit des convictionscomme le milieu de rceptivit taient bien diffrents, et lapratique resta trs en de de la politique dexterminationnazie. Cette diffrence cruciale prise en compte, on accorderaque les deux rgimes partageaient un projet politiquesemblable qui visait la formation dune communaut nationaleunitaire et conqurante, aveuglment mobilise derrire unchef absolu. Un projet qui, par sa nature et par les moyens misen uvre pour le raliser, fonde les qualifier de rgimestotalitaires plutt quautoritaires.

    Pour reprendre la dfinition quen a donne Juan Linz, lesrgimes totalitaires sont caractriss par la prsencesimultane dun pouvoir qui affirme son monopole, duneidologie qui prtend lexclusivit et dune entreprise demobilisation totale de la population travers un parti uniqueet les organisations sous sa dpendance. Les rgimesautoritaires sen distinguent par lexistence dun pluralismelimit, le pouvoir reconnaissant la lgitimit de corpsprivilgis comme lglise, par une idologie mal articule et

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  • faiblement diffuse, enfin par labsence ou un degr limit demobilisation de la population, le parti unique, quand il en existeun, nayant quune place rduite au sein du rgime et quuneprise superficielle sur la socit5.

    Dans la ralit historique, la combinaison de ces deux typesest frquente. Le rgime de Franco, par exemple, tait dominante autoritaire, mais il inclut dans les premires annesune composante totalitaire de type fasciste, en lespce laPhalange, tt domestique par un pouvoir qui lui tint la brideserre. En sens inverse, les rgimes de type fasciste eurent, audpart, une forte composante autoritaire dans la mesure o ilsreposaient sur un compromis avec les forces conservatrices.Mais cette composante autoritaire fut soumise uneincessante pression totalitaire de la part du pouvoir, lesrgimes allemand et italien se distinguant lun de lautre par lamesure dans laquelle ils russirent la faire reculer, sansparvenir plus lun que lautre lliminer. Le critre dcisifnest donc pas un accomplissement totalitaire dont il ny aencore jamais eu dexemple, mais la traduction en actes dunevolont de mobilisation totale de la socit selon les lignesdune idologie exclusive6.

    Le partage dune vise de contrle absolu ne doit pas,toutefois, rendre indistincte la famille totalitaire, dans laquelleil faut placer le rgime sovitique. Car il existait entre celui-ciet les rgimes fasciste et nazi des diffrences profondes, sansquil faille mconnatre la similitude de certains instruments depouvoir, dont le parti unique, et de pratiques comme laviolence de masse. Au-del mme de lcart dans les sources

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  • idologiques, cest lensemble de la structuration politique quidiffrait, telle quelle rsultait de linteraction des orientationsidologiques, des dispositifs institutionnels et des conditions derceptivit de la socit. Voil le niveau de parent que lonvoudrait mettre en relief en examinant les quatre lmentsstructurels qui constituent les rgimes fasciste et nazi en unefamille politique distincte : lalliance avec les forcesconservatrices, le duel du parti et de ltat, le soutienpopulaire, le mythe du chef.

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  • Le compromis autoritaire.Les rgimes fasciste et nazi durent leur naissance la

    conclusion dune alliance informelle avec les forcesconservatrices. Le contraste avec le pouvoir communiste nepouvait tre, cet gard, plus frappant. En Russiebolchevique, le pouvoir rcupra bureaucrates et techniciens,mais il sagissait de lintgration dindividus au service dunrgime qui avait liquid les anciennes lites lglise, lanoblesse, la bourgeoisie. Les circonstances le contraignirent pratiquer une politique de concessions envers telle ou tellecouche de la population, mais lexclusivit dune autoritrvolutionnairement conquise nen fut pas entame. Dans lecas des rgimes allemand et italien, lappui des forcesconservatrices ouvrit laccs au pouvoir, permit laconsolidation de la dictature et laissa sur leur volution unehypothque durable.

    La formation de ce compromis autoritaire, les dirigeants dufascisme et du nazisme le durent leur parti. Cest le succsobtenu dans le dveloppement dun mouvement de masse quiconduisit les forces conservatrices dispenser un appui qui servla dcisif. Comme il est bien connu, la marche vers lepouvoir se fit dans le respect des apparences de la lgalit etgrce la mise en uvre dune double tactique. Dune part, les

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  • dirigeants fascistes et nazis utilisrent la pression dun partinombreux et violent pour appuyer leur prtention au pouvoir.Dautre part, ils courtisrent les lites en soulignant ladimension restauratrice et conservatrice de leur action,accrditant ainsi la perspective de leur insertion dans unrgime autoritaire qui mettrait fin un systme dmocratiqueen crise.

    La convergence ne fut pas immdiate, elle resta toujourspartielle. Dfiance et rserve caractrisrent la premiretape, lalliance tacite ntant tablie quau terme dunprocessus daccommodement mutuel. Dans larrive aupouvoir, les hommes placs au sommet des institutionsjourent un rle crucial, quil sagisse du roi en Italie ou duprsident Hindenburg en Allemagne. Lun et lautreappellrent le dirigeant du mouvement de masse la tte dungouvernement de coalition dans lequel il se trouvait enminorit. Dans un second temps, la contribution de lensembledes forces politiques de droite fut tout aussi cruciale puisquecest avec leur assentiment que saccomplirent, en mmetemps que lanantissement des liberts publiques et desforces dopposition, la concentration des pouvoirs entre lesmains du chef du gouvernement et ltablissement de ladictature. Aussi bien en Italie quen Allemagne, lglisecatholique accepta, dans lespoir de conclure un accordavantageux avec le rgime, la disparition du parti catholique,la seule force populaire droite qui avait rsist la sductiondes nouveaux mouvements et dont la destruction par la forceaurait obr les chances de stabilisation des rgimes.

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  • Au-del des forces politiques conservatrices, lensemble deslites sociales apportrent leur appui. Sans doute, dans lesdeux pays, les dictatures bnficirent-elles pour leurconsolidation dautres atouts : la dmoralisation desoppositions qui se rvlrent incapables dune rsistanceconcerte et la passivit dune population pour partieintimide par la rpression, pour partie dispose donner sachance au nouveau pouvoir. Le rle des lites nen demeurapas moins essentiel dans la mesure o elles mirent disposition une influence et des comptences prcieuses.Cadres de ltat (haute administration, justice, Universit),groupements dintrts de lindustrie et de la propritfoncire, arme, monarchie (dans le cas de lItalie), glises, cesforces diverses par le poids et par la capacit dautonomie seretrouvrent pour pauler le pouvoir. La diffrence desituation en Allemagne explique dailleurs, pour une bonnepart, le rythme plus rapide de consolidation et la puissance dedchanement de la dictature nazie. Labsence de monarchie, lamort de Hindenburg en 1934 qui permit Hitler de cumulerles postes de chancelier et de prsident du Reich, une armeau poids rduit par le trait de Versailles, la divisionconfessionnelle et la situation minoritaire de lglise catholique,tout cela, combin au grand dsarroi cr par la criseconomique et la fivre nationaliste ne de la dfaite,favorisa le radicalisme nazi.

    Dans les deux pays, les forces conservatrices saccordrentavec les rgimes sur un certain nombre dorientationsfondamentales : mise au pas de la contestation populaire et

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  • limination du pluralisme dmocratique, raffirmation desprincipes de hirarchie, dordre et dautorit, qute degrandeur nationale. Les lites de ltat souhaitaient larestauration dune autorit qui leur paraissait avoir t minepar linterfrence des partis. Le monde conomique aspirait llimination de la politique et au rtablissement de ladiscipline dans les entreprises. Larme voyait dans la remise lhonneur des armes et des valeurs martiales la perspectivedun enrgimentement sans entraves du peuple tout entier.Quant aux glises, elles souhaitaient arrter le mouvement delacisation de la socit et entreprendre sa rechristianisation.

    Conclu sur la base dun large recoupement dintrts et devaleurs, le compromis autoritaire apporta une contributionmajeure la stabilisation des rgimes et leur dure. Il futpourtant soumis de la part du pouvoir un constant etinsidieux processus de rvision auquel les forcesconservatrices rpondirent par un mlange dadaptation et dedfense de leurs positions. Le pouvoir dclarait sa volont decontrle total, mais lunit de surface recouvrait unesubstantielle diversit didentits, dintrts et de vises, quipersistrent dautant plus aisment que ladaptation avait tplus volontaire et plus rapide : le rgime rencontrait lobstaclede ceux qui prtendaient le soutenir.

    On peut le voir dans les relations entre la Confindustria etle rgime fasciste. En change de lappui public quelle luiapportait, la premire obtint les moyens dencadrer lensembledu patronat italien, ce qui renforait son poids en tantquinterlocuteur du pouvoir. Elle bnficia, en outre, dune

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  • tendance galement visible en Allemagne, savoir lassociationdes reprsentants des industriels llaboration et lexcution de la politique conomique du gouvernement. Cebrouillage des lignes entre le public et le priv, qui profita auxgrands groupements industriels, tait un signe parmi dautresdes avantages que le monde conomique tirait de son appui aurgime. Mais il ne faut pas en ignorer les contreparties. Si lesyndicalisme indpendant avait t supprim, le souhait durtablissement dune autorit sans partage dans lentreprisene se ralisa pas. Les contraintes se multiplirent bien plutt,des contrats collectifs aux ingrences du syndicalisme officiel,de la soumission aux directives de lconomie autarcique audveloppement de la lgislation sociale7.

    Le monde conomique disposa, somme toute, dun poidsrelativement limit au sein des rgimes. La grande diversitdes intrts qui le composaient, ltroitesse dun champ devision centr sur la recherche du profit individuel et lafaiblesse de son identit historique en faisaient un partenairedont le soutien fut achet facilement. Larme constituait, enrevanche, un interlocuteur plus redoutable, en mme tempsquun alli plus ncessaire, en raison des moyens quellecontrlait, mais aussi en raison de la relative homognitsociale de son encadrement et de la force dun esprit de corpsnourri de traditions et de valeurs partages. Son attitude faceaux nouveaux pouvoirs dissipa rapidement les inquitudesquils pouvaient avoir puisquelle effectua le mmemouvement dadaptation intresse que les autres forcesconservatrices. La Reichswehr fit bientt profession de foi

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  • nationale-socialiste. Soucieuse de garantir son autonomie enface de la SA et dsireuse dtre associe la prise de dcision,elle se montra prte beaucoup concder pour gagner laconfiance de Hitler. De la mme faon, larme italiennechercha obtenir de Mussolini, en change de lareconnaissance de sa direction politique, une large autonomiedorganisation et de gestion. Dans lun et lautre pays, lesmilitaires cdrent progressivement du terrain sous lapression du rgime qui fit passer sous la coupe du parti laformation prmilitaire et, surtout, lui accorda la constitutiondunits combattantes, le noyau dune future arme fasciste ounazie (bataillons Camicie nere de la Milice et Waffen-SS)8.Lexistence de la monarchie concernait le seul rgime fasciste.Force avant tout symbolique, mais qui jouissait delattachement de larme, de laristocratie et de la hauteadministration, le roi se claquemura dans le silence, se bornant recevoir la reconnaissance toute formelle dun chef degouvernement qui semployait grignoter ses prrogativesconstitutionnelles. Mais Mussolini, malgr le dsir quilexprima de plus en plus fortement dans la seconde moiti desannes 1930, fut bien incapable dliminer une institution dontla seule existence soulignait les limites de son pouvoir et quifut mme dintervenir dcisivement lorsque lheure desrevers eut provoqu la division au sommet du rgime9.

    Les glises, enfin, taient des institutions qui disposaientdune identit puissante et dune influence considrable grce leur appareil ecclsiastique et leur rseau associatif. Leurexistence constituait terme un obstacle majeur une

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  • emprise totalitaire sur les esprits. Dans limmdiat, seulimportait un soutien quelles ne mnagrent pas. Renonant toute action politique, elles firent lloge du chef, appuyrentses entreprises et clbrrent ses succs, sans russir prvenir ses empitements. Leur influence sur la jeunesse, enparticulier, reprsenta un sr terrain de dispute avec deshommes qui entendaient se lapproprier tout entire. Bien plusque les autres forces conservatrices, les glises, et toutparticulirement lglise catholique, entretinrent avec lesrgimes un rapport tendu, qui jamais pourtant ne dbouchasur une preuve de force publique et globale10. Mme enAllemagne o lidologie nazie contredisait bruyamment lesprincipes du christianisme et o certaines mesures, commelextermination des malades mentaux, provoqurent uneopposition ponctuelle, lalliance tint bon.

    En Italie, o lglise catholique pesait dun autre poids,lattitude du rgime cra galement de srieuses tensions. Lesaccords de Latran de 1929 furent conclus entre deux partiesqui cherchaient chacune en faire la base de dpart pour laconqute ou la reconqute de la socit italienne. Si lgliseoffrit au pouvoir, notamment loccasion de ses grandescampagnes (propagande nataliste et ruraliste, conqute delthiopie), le bnfice dun appui chaleureux, elle en retira desavantages substantiels puisquelle russit conserver sespositions dans le systme scolaire et dvelopper sa presse etson rseau associatif. Ainsi, en 1935, les associations et lesinstitutions catholiques contrlaient 1600 salles de projectioncinmatographique, ct de 2 175 salles commerciales, de

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  • 600 salles lies au Dopolavoro et de 860 dpendant dautresorganisations du parti11. Lglise russit prserver, en outre,son influence sur une partie de la jeunesse universitaire travers une association (la FUCI) qui constitua un milieu derflexion sur lidentit catholique et do sortit la future classedirigeante italienne12. Dans les deux pays, des bases solidesfurent maintenues, qui permirent aprs la guerre, non sansune rvision de leur attitude par les glises, la longuehgmonie de la dmocratie chrtienne.

    Au total, le souhait quavaient eu les forces conservatricesde restaurer leur influence dans la socit et sur ltat futpartiellement du. Le pouvoir les paya de discours surlautorit, les lites et la Providence, mais il fixa et mena sapolitique avec une indpendance croissante, utilisant avecsuccs, pour amollir ses partenaires et roder leurs positions,les moyens de pression que lui offraient le parti et ses filiales :le syndicalisme contre le patronat, lorganisation paramilitairecontre larme, le parti contre lglise et contre ltat. Lappuides conservateurs nen demeura pas moins acquispratiquement jusquau bout, une partie dentre eux, commelarme en Allemagne, se laissant gravement compromettredans la politique criminelle du rgime13. Seule la tournurecatastrophique prise par la guerre poussa tenter enAllemagne et russir en Italie llimination du dictateur. Cemaintien de lalliance sexplique, en partie, par le souci debloquer ou, du moins, de freiner des tendances jugesdfavorables de la part du rgime, et aussi, partir delclatement de la guerre, par la crainte dune crise

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  • rvolutionnaire succdant leffondrement du pouvoir. Plusprofondment, il renvoie lincapacit des forcesconservatrices de dpasser une culture autoritaire ancredepuis des dcennies et mise au dfi par la crise politique etsociale ouverte par la fin de la Grande Guerre.

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  • Le duel du parti et de ltat.Lexistence et laction du parti de masse formaient une

    dimension essentielle du compromis autoritaire, le parti tantle moyen de le faire advenir, den assurer le maintien et de leremettre en cause. Le passage de lopposition au pouvoirsoulevait dailleurs des problmes dont la rponse nallait pasde soi : il sagissait de dfinir la place du parti dans lesinstitutions, de le doter de nouvelles fonctions, de transformerun mouvement militant en une organisation ayant des tchesde mobilisation et dendoctrinement. Dans le cas de lItaliecomme dans celui de lUnion sovitique14, ce passage ne se fitpas sans quelques incertitudes et, au bout du compte, sans desmodifications profondes dans sa figure et sa structure. Lesnazis, et en particulier Gregor Strasser, le responsable delorganisation du NSDAP la fin des annes 1920,bnficirent de lexemple de leurs prdcesseurs etcherchrent construire leur parti en fonction des tches quilaurait remplir aprs larrive au pouvoir 15. Par-del cettediffrence, les partis uniques des rgimes totalitairespartageaient quelques caractristiques fondamentales quilfaut cerner pour mieux mesurer les diffrences.

    Partout, dabord, la fusion du parti et de ltat futrepousse en faveur du maintien dun appareil indpendant,

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  • dot dune structure de commandement et dune identitpropres. Pour viter lenlisement dans la gestion de ltat, lecumul des charges fut interdit ou, du moins, svrementlimit, un principe proclam en Italie ds 192416. Dans le casdu nazisme, la chose peut apparatre moins vidente. AinsiGoebbels, Darr, Himmler eurent une charge la fois dans legouvernement et dans lappareil du parti, et les responsablesrgionaux nazis, les Gauleiter, furent nomms en 1933Reichsstatthalter (en Prusse Oberprsidenten) . Cephnomne des unions personnelles resta nanmoins duneimportance restreinte, surtout si lon considre que lespouvoirs tatiques des Gauleiter taient de supervisiongnrale et que la gestion quotidienne des affaires demeuraitlapanage dune administration qui restait subordonne labureaucratie ministrielle. Au surplus, la loi sur lesmunicipalits de 1935 interdit le cumul des fonctions de maireet de chef du parti au niveau local. Et, en 1937, il fut mis finaux cumuls qui existaient, de faon minoritaire, aux chelonsintermdiaires. Dans lensemble, mme si une tendance ensens inverse se dessina pendant la guerre, en particulier dansles territoires occups, la sparation du parti et de ltatprvalut ici galement 17.

    Partout, ensuite, le parti se proccupa de conserver sacapacit daction et son identit. La clture des inscriptions futpratique aussi bien en Allemagne quen Italie pour endiguerle flot des adhsions dopportunit, la croissance des effectifsdevant tre assure par les voles en provenance delorganisation de jeunesse. Si un gonflement massif se produisit

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  • malgr tout, le parti ne perdit pas entirement le caractredune organisation dlite, du moins au regard des effectifsnormes que finirent par grouper ses diffrentes filiales. Bienque les inscrits davant larrive au pouvoir y fussent devenusminoritaires, la vieille garde continua doccuper les postes decommande et se proccupa de propager une identit fondesur la mythologie des origines et la geste de la rdemption dela patrie. Partout, enfin, le parti remplit les mmes fonctions :milice du rgime et instrument de sa lgitimit, il avait pourtches le contrle, lencadrement, lendoctrinement et lamobilisation de la population, ainsi que la formation de lafuture classe dirigeante.

    Une fois le parti institutionnalis, se posa dans tous lesrgimes totalitaires le problme de ses rapports avec ltat.Deux appareils se faisaient face, dont les rles et lescomptences taient en principe distincts, le parti ntant pascens se substituer ladministration tatique. Dans lapratique, les zones de friction ne manqurent pas, et dautantplus quil sagissait de bureaucraties dotes chacune duneidentit propre. Dans le rgime communiste, ce phnomneeut des bornes troites en raison de laffirmation sansquivoque de la primaut du parti, au point que ses dirigeantsne se soucirent pas de figurer parmi les responsables duntat rduit au statut dorgane dexcution. Au monopole de laplanification, le Parti communiste joignait celui de la slectionet de la promotion du personnel tatique. Et, sur la marche deladministration, ses responsables avaient, ds le niveau le plusbas, un droit de contrle, qui, plus haut, devenait droit de

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  • direction18.Dans les rgimes fasciste et nazi, le parti tait loin de jouir

    de tels pouvoirs. Le chef y assuma la direction dugouvernement et confia la direction du parti lun de seslieutenants, marquant une distance qui joua son avantage. Leparti, lui, ne bnficiait daucun droit de contrle et dedirection lgard de ladministration. Tout au plus reut-il undroit de participation la nomination des hauts fonctionnaireset llaboration de la lgislation. Au vu du caractre limit deces pouvoirs, on est amen placer dans sa juste perspectivela question dordinaire superficiellement traite de la primautdu parti ou de ltat, le premier tant cens avoir le pas sur lesecond dans lAllemagne nazie, tandis que linverse aurait tvrai dans lItalie fasciste. A lexamen, ce sont des affirmationsqui, mme si elles furent accrdites lpoque, necorrespondent pas une ralit la fois plus complexe et plusvoisine dun rgime lautre.

    Dans le cas du nazisme, le malentendu est ais dissiper. Le parti commande ltat , ce slogan qui courait dans lesmilieux nazis en 1934 tait la libre interprtation dune phrasede Hitler au congrs de Nuremberg de cette anne ( Cestnous qui commandons ltat ). Dans le cas du rgime italien,Mussolini proclama avec insistance la subordination du parti ltat. Et, de fait, la glorification de ltat, absente chez Hitler,tenait dans son discours une place considrable. De quelquefaon quon lexplique influence du philosophe GiovanniGentile ou souci de mnager les forces conservatrices ,limportant est que, par tat, Mussolini entendait un mythe

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  • plus quune institution19. Ajoutons quil fit galement grandusage dun terme la porte plus large, celui de rgime dans lequel il englobait manifestement ltat au mme titreque les autres composantes de son pouvoir personnel. Cest ceque suggre cette dclaration de septembre 1929 : Il ne fautpas confondre le Parti National Fasciste, qui est la forceprimordiale du rgime, avec le rgime, qui canalise, embrasseet harmonise cette force politique et toutes les autres20. Hitler disait en substance la mme chose, en vitant galementde nommer son pouvoir personnel, lorsquil affirmait que ltatet le parti servaient tous deux laccomplissement de lamission du peuple allemand21.

    Le point dcisif est que le parti et ltat taient lun etlautre des instruments au service dun chef qui, tout enfavorisant laffirmation progressive du premier, les utilisaitalternativement ou simultanment selon lobjectif vis, laconjoncture existante et ltat des relations avec les forcesconservatrices (ainsi, lors de sa cration en 1926, lorganisationde jeunesse du rgime fasciste, lONB, fut place par Mussolinisous la tutelle de ltat, avant quil ne la confie au partiquelques annes plus tard22). Entre les deux bureaucraties sedveloppa, en consquence, une relation comptitive etconflictuelle qui ne connut ni trve, ni compromis durable.Pourtant, leurs activits ne se superposaient pas en tout, lesvouant une invitable hostilit. Le parti tendit son emprisesur des terrains traditionnellement hors du champ daction deltat, comme lencadrement des associations professionnellesou lorganisation des loisirs. Il fut mme conduit cooprer

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  • avec ladministration et sen faire lauxiliaire, par exemplepour la surveillance et la rpression des opposants ou, enItalie, pour le contrle des prix.

    Mais cela ne saurait faire illusion sur linsatiable volontdhgmonie qui tait au principe de son activit. Non contentde sinstituer ladministrateur politique de lespace social laissvacant par ltat, il seffora de soumettre ce dernier soncontrle par le biais mme de la coopration quil lui offrait.Davantage, et ici le conflit vint au grand jour, il semploya avectnacit le dpouiller de ses prrogatives, lui arracher lescomptences qui le dfinissaient historiquement en tantqutat, quil sagisse des forces armes, de lassistance socialeou de linstruction publique (en Italie, le parti fit passer sous sacoupe des pans entiers du systme ducatif, notamment lescoles rurales et les centres dinstruction des professeursdducation physique23).

    Face laction cancreuse dun parti qui cherchait lenvelopper et la supplanter, ladministration tatique setrouva place dans une dfensive de plus en plus inconfortable.Les hauts fonctionnaires conservateurs qui la dirigaient, toutmembres du parti quils taient, associaient la prservation deleur pouvoir lidal dun tat autoritaire hirarchis, dotdun personnel comptent et disciplin, et travaillant, bienentendu, labri de toute ingrence extrieure24. Lesdirigeants de lappareil du parti estimaient, quant eux, queleur mission tait de sintresser toute la vie du pays et dejuger des incidences de chaque action administrative.Expression dune mentalit forme dans les temps de lutte et

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  • qui formait une culture dopposition ltat au sein mme durgime, leur attitude, faite de mfiance et de mpris, leurfaisait dnoncer comme le refuge de toutes les routines uneadministration qui reprsentait le principal obstacle lexpansion de leur organisation.

    Les historiens italiens parlent volontiers de la dvitalisationdu parti fasciste aprs 1925-1926, sous-estimant ainsilimportance de cette institution et mconnaissant son rledans la structuration du rgime25. Certes, le secrtaire duparti ne collaborait pas, sinon titre consultatif, une prise dedcision qui demeurait le domaine rserv du chef. Mais, privdun droit de parole dans la direction suprme du rgime, leresponsable du parti nen poursuivit quavec plus de zlelagrandissement de son pouvoir aux dpens de ltat et de lasocit. Plusieurs secrtaires se succdrent la tte du partifasciste, des hommes choisis par Mussolini en raison de leurentire dvotion sa personne. A chaque fois, le nouveausecrtaire sidentifia son appareil et sen fit le porte-paroleauprs du chef. Le parti fasciste ralisa ainsi, au fil des ans, uneexpansion notable, acqurant de nouvelles comptences,agrandissant son appareil, occupant au sein du rgime unespace croissant. Mussolini avait beau garder la haute mainsur lui, lexistence institutionnelle du parti transformait celui-ci en un facteur de pouvoir qui faisait pression sur le chef etdveloppait une dynamique propre, actualisant la tendancetotalitaire prsente dans lidologie du mouvement.

    La spcificit des rapports du parti et de ltat danslAllemagne nazie et lItalie fasciste tenait, en somme,

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  • lexistence dun dualisme mal dlimit qui rsultait lui-mmedu compromis autoritaire : les forces conservatrices souhaitantla limitation des pouvoirs du parti, sinon sa disparition, le chefne pouvant et ne voulant se priver de cette base de pouvoir,les responsables du parti, enfin, cherchant affirmer et accrotre leur autonomie. Stimul par le caractre global de samission, inspir par une idologie base de darwinisme socialqui exaltait le combat et le mouvement, orient par uneidentit de corps qui sexprimait dans lhostilit ltat,lappareil du parti effectuait un travail denveloppement et desape qui produisait tendanciellement, outre une prolifrationbureaucratique et des duplications dispendieuses, unedsagrgation de ltat classique dont il ne se voit paslquivalent dans le rgime sovitique.

    Cette action subversive du parti envers ltat quontsouligne les historiens dans le cas du rgime nazi26 me parattre galement une caractristique du rgime fasciste dont ilfaudrait approfondir ltude, la diffrence tant une affaire dedegr, attribuable quelques facteurs. Mussolini avait uneconception napolonienne du pouvoir. Jaloux de son autorit, ilprocdait de frquents changements de personnel, dans legouvernement comme dans le parti. En revanche, Hitlerrespectait la vieille garde et tolrait lexistence de fiefs quieurent le temps, contrairement ce qui se produisit dans lecas des ras du fascisme, de saffermir durant la longue priodequi prcda laccession au pouvoir. Et surtout, il nhsitait pas faire de larges dlgations de pouvoir au bnfice de sesfidles, court-circuitant une administration pour laquelle il

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  • prouvait la plus grande dfiance et crant ainsi desenchevtrements inextricables de comptences.

    Cette pratique nofodale27, qui tait avec le radicalisme delidologie et des objectifs hitlriens lun des traits marquantsdu systme nazi, redoublait les effets dcoulant du dualisme enencourageant des tendances centrifuges au sein mme du partiet en poussant les plus ambitieuses de ses composantes dvelopper leur propre politique dexpansion. Lamalgame dela SS et de la police que russit oprer Himmler entre 1934et 1936, tout comme lautonomie croissante quil acquit aussibien vis--vis du parti que de ltat furent, avec sa fidlitenvers Hitler, les conditions pralables la mise en uvre dela Solution finale . De ce point de vue, le rgime fascisteapparat bien plus modr, la fois pour ce qui est de ladynamique de ses rivalits internes et de leurs effets sur ltatet le parti. Il reste que dans les deux rgimes lactionenvahissante et subversive du parti multiplia les zones defriction et, en consquence, le recours au chef appel trancher incessamment entre le parti et les forcesconservatrices, entre le parti et les responsables de ltat,enfin entre les responsables du parti eux-mmes.

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  • La base populaire.La popularit tait un objectif central des rgimes de type

    fasciste. La conqute des masses, des ouvriers notamment,conditionnait la ralisation de leur idal, la formation dunecommunaut nationale ordonne, enthousiaste et conqurante.A cet gard, laction des rgimes italien et allemand ne fut passans succs. Rgimes policiers, ils jouirent dune popularit quela rpression ne pouvait crer. Le problme est de cernerltendue de ce soutien, den saisir les ressorts et les motifs,dapprcier son adquation aux attentes et aux objectifs dupouvoir. La rponse nest pas aise, car les attitudes et lesopinions de la population, comme leur diffrenciation selon lesrgions et les catgories sociales, demeurent un terrainlargement inexplor, en particulier en Italie28.

    Dune faon gnrale, il faut constater linfluence quasi nulledes rgimes sur les grandes tendances de lvolutionconomique et sociale. Rien de plus frappant que lcart entreleurs objectifs, principalement la renaissance du mondeagricole, et une ralit marque par le dveloppement de lagrande industrie, la concentration du capital, la mobilit de lapopulation et la croissance des villes. En matiredmographique, le jugement doit probablement tre nuanc,lAllemagne nazie paraissant rencontrer un moindre insuccs

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  • que lItalie fasciste. Mais la complexit des facteurs en jeurend difficile dvaluer ce qui doit tre attribu aux mesuresprises par le rgime. De mme, la politique concernant lesfemmes ne semble pas avoir substantiellement modifi lesgrands courants dvolution29. Quelles quen soient les raisons,manque de temps ou inconsistance des moyens et desfins lexpansion supposant une base conomique forte , onobserve la progression ininterrompue dune socitindustrielle caractrise, comme ailleurs, par la technicisationdu travail, laccroissement de la bureaucratie et lexpansiondes cols blancs.

    Socialement, la continuit prvalut : continuit des litestraditionnelles, notamment grce un systmedenseignement qui demeurait slectif, continuit des clivagesde tous ordres, confessionnels, rgionaux, sociaux. Le bilanmatriel demeura modeste pour la majorit de la population :situation peu ou pas amliore pour les ouvriers et les paysans(probablement empire en Italie pour les journaliersagricoles), poursuite des difficults pour les classesmoyennes30. Il est vrai que ce bilan est implicitement talonnsur la prosprit du second aprs-guerre. Les contemporainsjugeaient sur lexprience des crises quils venaient deconnatre et en fonction dattentes plus limites. Dans tous lescas, il parat peu justifi de parler de rvolution sociale ou demodernisation. Entre la ralit objective et la ralit perue,des diffrences notables ont pu exister, certes, et il estprobable que, comme la crit David Schoenbaum, leur socitsoit apparue des Allemands ou des Italiens comme une

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  • socit plus ouverte et plus gale31. Mais il est douteux quecela ait t le sentiment dautre chose que dune minorit,avant tout dune fraction de la jeunesse et de ceux qui, placs lun des innombrables postes de commandement du parti et deses filiales, jouirent dun pouvoir quils nauraient pas possden dautres circonstances.

    Dans lensemble, la communaut nationale demeura unthme de propagande qui ne modifia pas substantiellement lamanire dont tait vcue la ralit sociale. Lenqute de IanKershaw sur la Bavire montre exemplairement que ledsenchantement et le mcontentement dominaient danspresque tous les secteurs de la population32. La politiquereligieuse du rgime, particulirement mal accepte dans unergion lidentit faonne par lglise catholique, y entra pourbeaucoup, mais les conditions matrielles ntaient pas moinsinfluentes. A travers les rcriminations incessantes de lapopulation, il apparat que les ingalits sociales continuaientdtre perues avec acuit. Pourtant, ce mcontentement ne setourna pas contre le rgime, neutralis quil tait parlapprobation que trouvait la politique nationale incarne parHitler. Do la ncessit pour lhistorien de prendre en comptela complexit des attitudes envers le pouvoir. Le terme de consensus , mme enrichi de la distinction entre consensusactif et passif, dont fait usage lhistoriographie italienne lasuite de Renzo De Felice, simplifie lexcs un ensembledattitudes quil vaudrait mieux situer sur une chelle entre lesdeux notions de lacceptation et de la distance : la premirecomprenant la rsignation, le soutien et ladhsion ; la seconde,

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  • la dviance, la dissidence et lopposition. Dans la ralit, le plusfrquent tait le mlange de plusieurs de ces types dattitudechez le mme individu.

    Ajoutons quon sexpose mconnatre la nature desattitudes populaires en les interprtant en termesexclusivement politiques, en imputant des motifs politiques tout comportement o se marquait une distance envers lergime. Prenons lexemple des groupes de jeunes qui jetrentlalarme chez les autorits dans les grandes villes allemandes partir de la fin des annes 1930 et pendant la guerre.Composs de dizaines de personnes affichant la mme allurevestimentaire, ces groupes taient la forme la plus visible de laraction que provoquait dans une partie de la jeunesselenrgimentement dans la Hitlerjugend. Certains, tels lesswings, se runissaient en priv pour danser sur de lamusique anglo-saxonne. Dautres, dune origine sociale plusmodeste, comme les Edelweisspiraten de la Ruhr, seretrouvaient au coin des rues ou dans les terrains vagues,frquentaient, malgr les interdictions, les travailleurstrangers et sen prenaient, loccasion, aux membres duservice dordre de la Jeunesse hitlrienne33. Pour toutes lesincidences politiques quils pouvaient avoir aux yeux dunpouvoir totalitaire, ces comportements, qui ont leur place danslhistoire de lmergence dune culture des jeunes, relevaient,en labsence dune opposition motive au rgime dans sonensemble, de la dviance plus que de la rsistance.

    Lhistorienne Luisa Passerini a bien situ le problme encrivant que, pas plus que lon ne peut dduire le consensus de

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  • labsence dopposition, il ne faut infrer un dsaccord politiquede lexistence de formes dopposition culturelle34. Lapertinence et la fcondit de ce point de vue ont t vrifiesdans des enqutes dhistoire orale auprs douvriers, cest--dire de membres de la catgorie sociale qui sest rvle lamoins facilement pntrable pour les rgimes fasciste et nazi.Il en ressort la marginalit du politique au regard des fatiguesdu quotidien, le rle non ngligeable des mdiations traverslesquelles lindividu entrait en contact avec le rgime, enfin etsurtout la prgnance dune culture sociale qui jouait de faonambivalente. Dun ct, une identit fonde sur un fortsentiment de diffrence et dinjustice opposait la propagandedu pouvoir une barrire mentale qui trouvait expression dansle recours des formes traditionnelles de dfense symboliquecomme le rire, la plaisanterie, la chanson. Dun autre ct,cette mme identit exposait une emprise partielle parcequelle incorporait des valeurs la dignit du travail, le respectde lordre, le culte de la virilit et de la puissancephysique que le rgime mettait lui-mme lhonneur35.

    La base populaire semble ainsi avoir t due de multiplesfacteurs qui conditionnaient un soutien rel, mais fragile, danstoute la mesure o il tait fond sur une inadquation marqueentre les motivations de la population et les objectifs dupouvoir. Certains de ces facteurs taient dune naturegnrale : contribution des glises qui prchaient lobissanceau rgime ; discipline sociale du monde de lentreprise ;pression de la famille et des ncessits matrielles les plusvitales. Dautres taient spcifiques, commencer par leffet

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  • des instruments du rgime qui, ct de leur travail depntration du tissu social, de fragmentation des solidarits etde rpression des oppositions, tiraient profit de formes plussubtiles de contrle. A travers lemploi du salut fasciste, parexemple, une intriorisation du conformisme extrieur setrouvait encourage.

    Ensuite, il y avait les effets dune politique sociale dont lesavantages objectifs taient loin dtre ngligeables, quilsagisse des assurances, de lassistance ou des loisirs36. Lapopularit en fut indniable, comme lindique lcho recueillipar les enqutes dhistoire orale. La promesse dun mieux-tresattachait lamorce de consommation de masse que lesrgimes promouvaient et dont ils savaient exploiter lessductions, non sans prils pour eux. Moyen efficacedattnuer les carts de la socit de classes, la socit deconsommation portait le risque de dmobiliser la population etde faire obstacle la formation dun peuple de guerriers prtsau combat.

    Enfin, les rgimes prenaient appui sur un nationalismepopulaire quils exploitaient et dveloppaient travers desmdiations diverses. Le sport, qui reut une impulsionconsidrable37, mais aussi les voyages et la propagandetouristique qui faisaient dcouvrir le pays une populationencore largement immobile renforaient un sentiment nationaldiffus depuis plusieurs dcennies par lcole et le servicemilitaire. Mais ce furent leurs succs diplomatiques etmilitaires qui valurent un maximum de popularit despouvoirs dont lagressivit et le chauvinisme allaient la

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  • rencontre de dispositions enracines. Il faut souligner, dunautre ct, que ces succs furent dautant plus volontiers ftspar la population quils taient acquis au moindre prix,notamment sans provoquer de guerre europenne, et quilssatisfaisaient des revendications territoriales traditionnellessans commune mesure avec les objectifs ultimes des hommesau pouvoir.

    Dans lensemble, si les rgimes russirent accrditer unecertaine image de progrs social et mobiliser leur profit lesentiment national, le soutien populaire valait moins pour lesobjectifs spcifiques du pouvoir, gnralement mal perus ousous-estims, que pour les aspects de son action quirpondaient des revendications matrielles et des valeurstraditionnelles. A cette constatation il faut en ajouter uneautre : le soutien qui rsultait de ces motifs htrognesbnficiait au chef plus quau rgime dans son ensemble. Lesministres et le parti taient tenus en pitre estime etconcentraient sur eux des critiques et des mcontentementsdont le chef tait exonr. Comme la bien montr Kershaw, lapopularit de Hitler se nourrit, au-del de ce qui apparaissaitcomme ses succs personnels, de limpopularit du parti. Ainsilimage positive du Fhrer saccentua dans la population aulendemain de la Nuit des Longs Couteaux. La rpression quifrappait la SA satisfaisait les ressentiments accumuls contreles nouveaux bonzes38 . Situ au-dessus du parti et loin duquotidien, le chef reprsentait un facteur essentieldintgration et de stabilisation parce quil concentrait sur unefigure qui devenait proprement mythique les lments de

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  • crdit que la population tait dispose accorder au rgime.

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  • Le mythe du chef.Le chef tait, dans les rgimes de type fasciste et la

    diffrence des rgimes de type bolchevique39, une institutioncl dans la mesure o il occupait une place doublementspcifique : son absolutisme tait doctrinalement fond et sonpouvoir effectif drivait de la position stratgique que luiamnageait une structure politique plusieurs composantes.Graphiquement reprsent, le rgime de type fasciste a laforme dun quinconce : au centre le chef, aux quatre cts, leparti, ltat, les lites, le peuple. Grce lalliance avec leslites, linstrumentalisation du parti et de ltat, lexistencedune base populaire, le chef acqurait une autonomiecroissante par rapport chacun de ses appuis, exerant vis--vis deux, grce une lgitimit formellement reconnue partous, un rle de mdiateur, dintgrateur et de dcideur. Sonautonomie avait des limites, toutefois, dans la mesure mmeo il devait veiller au maintien de ces appuis et o il lui fallaitrpondre, au moins partiellement, aux demandes et auxpressions qui manaient des composantes du systme. EnItalie comme en Allemagne, le chef stimula ou entrina, selonles moments, le dplacement de lquilibre des forces enfaveur du parti. Mais ce mouvement ne rendit que plussensible la difficult laquelle il se trouvait confront. En

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  • attendant le jour lointain o lendoctrinement aurait modelles nouvelles gnrations et o il pourrait se dispenser desanciennes lites, pouvait-il favoriser indfiniment le parti sansperdre lun ou lautre des soutiens qui lui assuraient unpouvoir de dcision autonome ?

    Dans limmdiat, il jouissait dune position extraordinairepuisquil se voyait reconnatre une autorit sans partage etque sa personne se trouvait transforme en mythe. Cersultat, la propagande ne pouvait le produire elle seule. Ilfallut dabord que le rle, au sens sociologique du mot, de Duceou de Fhrer ait t endoss par Hitler et par Mussolini et puisque la prtention lautorit suprme qui y tait attache aitt reconnue lextrieur, dans le parti, parmi les lites, dansla population. Le fascisme des dbuts connaissait si peu leprincipe du chef que ce nest quen 1926 que le mode lectif futformellement supprim au sein du parti fasciste. Hitler lui-mme ne lleva en lment cardinal de sa conception politiquequau terme dun processus qui stendit de 1919 192440.Dans lun et lautre parti, le triomphe du nouveau principe nese fit pas sans contestations internes.

    Aprs laccession au pouvoir, les responsables du particontriburent leur tour une lvation du chef qui ntaitpas sans avantage pour eux. Cela est particulirement visibledans le cas du parti fasciste o le principe du chef ne simposapas avant larrive au pouvoir. Turati, devenu secrtaire duparti en 1926, se fit larchitecte dun culte de Mussolini o ilvoyait manifestement le moyen de suppler la faiblesse de sapropre autorit41. Hess mit en uvre la mme stratgie qui

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  • visait favoriser lexpansion du parti en le faisant apparatrecomme linstrument le plus sr du chef. Quant aux lites, ellesne furent pas en reste et apportrent une contribution otransparaissait galement un calcul : il sagissaitdemprisonner le chef dans le filet de lallgeance qui lui taitdonne et de bloquer une volution contraire leurs vues.Enfin, la population y allait de sa reconnaissance, qui avait, elleaussi, une dimension fonctionnelle, lloge du chefsaccompagnant de critiques adresses au reste du rgime.

    Dans ces attitudes qui aboutissaient lgitimer un pouvoirsans partage, on voit oprer un mcanisme complexe hors ducontrle dun individu et hors de porte dun appareil depropagande, o cumulaient leurs effets la volont dexpansiondun parti vise totalitaire, laffirmation dfensive de leurspositions par les autres groupes dirigeants, enfin et surtout desdispositions mentales ancres dans la socit. Car il est videntque, par-del les calculs conscients et inconscients quiconcouraient produire la monte en gloire du chef, ctaitavant tout un tat des mentalits qui se faisait ici sentir. Cettemystification soulve, son tour, des questions qui dbordentla simple description du phnomne et auxquelles on pourraittenter de rpondre travers une analyse des reprsentationsdu chef.

    Curieusement, ce domaine est rest largement inexplor,aucune tude densemble nayant mis contribution lematriau quoffrent dinnombrables biographies,photographies et images cinmatographiques42. Ledchiffrement de cet univers symbolique permettrait de

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  • cerner les lments de sens qui ont pu sduire et retenir lapopulation. En gnral, et sous rserve dun ncessaireapprofondissement, ce qui frappe dans limagerie du chef, cestla superposition de figures empruntes divers systmes derfrences qui furent exploits pour leur capacit donnerlaurole de lextraordinaire. Le rsultat en tait unecombinaison des registres de la modernit et de la tradition.

    Dans le monde de la tradition, lemprunt dominant tait fait la culture chrtienne. Le chef tait prsent ple-mlecomme lhomme de la Providence, le sauveur, le fondateurdune nouvelle religion, et mme comme un dieu fait hommedont les fidles runis dans lglise du parti formaient le corpsmystique. Dans les biographies de Hitler et de Mussolini setrouvaient entremls les motifs de la lgende, delhagiographie et du messianisme : lenfance modeste, lessignes de llection, le chemin des preuves, lillumination,lapostolat solitaire, le triomphe du sauveur. Il est difficiledestimer lefficacit de ces reprsentations, mais il est certainquelles pouvaient prendre appui sur une base culturelleextrmement large. Le notable est quelles cherchaient capter une religiosit diffuse en la dissociant du messageproprement chrtien et lutiliser pour lier motionnellementla population au chef et son rgime.

    De la tradition encore, mais dune tradition culturelle pluttque religieuse, relevaient dautres lments : emprunts auxmythologies, grecque, latine, germanique, et surtout empruntsaux grands courants du XIXe sicle. De la tradition romantiquedrivaient la figure du grand homme, dveloppe ensuite par

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  • lhistorisme et propage par le systme scolaire, tout commecelle du gnie universel, le chef la fois penseur, orateur,artiste. Quelques lments (mais ceci vaut surtout pourlItalie) taient mme emprunts la tradition de gauche,notamment au nationalisme mazzinien : figure du chef enducateur du peuple, en homme nouveau. Enfin, dautreslments drivaient de la culture irrationaliste fin-de-sicle : lechef magntiseur ou hypnotiseur qui plongeait la foule dansune hallucination ou une extase collective.

    Le registre du moderne faisait du chef lincarnation de sonpoque et de sa socit. Ses apparitions en dirigeant durgime chef de gouvernement en frac ou chef de parti enuniforme peuplaient les actualits. Plus intressante tait saprsentation sous langle social : lhomme aux originesmodestes ; le hros obscur de la Grande Guerre ; leproducteur ou le travailleur manuel Mussolini maon,mineur, moissonneur, Hitler avec la pelle sur une autoroute ousemant ; et aussi lhomme simple et familier, lami des enfants(une reprsentation sature par la rfrence christique). Enfin,le chef apparaissait comme le matre dune techniquefascinante qui avait lclat de la voiture ou de lavion. Lesnouveaux mdias utiliss par le pouvoir, comme la radio et lecinma, y ajoutaient la magie de leur jeu sur la prsence-absence.

    Des hommes qui, eux-mmes, navaient pas didentitsociale dfinie, offraient une image-camlon qui pouvaitconcentrer les attentes et veiller les rsonances les plusdiverses. A travers ce kalidoscope se donnait en

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  • reprsentation un pouvoir qui, la fois, se costumait simple etaffichait son exceptionnalit, qui alliait la dmocratisation deson apparence la divinisation de son essence. Une doubledimension que lon retrouvait au cur des grandsrassemblements pratiqus par les rgimes : le chef tenait unmeeting qui avait la solennit des rites ecclsiastiques et quitransformait la politique en culte de la communaut nationale.A loffre dune image identificatrice sajoutait ainsi celle dunrapport de communication motionnelle, dun lien decommunaut affective entre le chef et ses fidles.

    La clbration et la prdication remettaient lhonneur uneculture de la voix et du regard, une culture de la prsencephysique dun pouvoir sacralis. Ctait une parolemagique qui sortait de la bouche de Mussolini, ctait la voixde Hitler qui rend croyant43 . La recration dun pouvoirsensible et magique tait elle-mme inscrite au cur duneentreprise plus vaste qui se marquait dans un effort soutenupour revivifier rituels et symboles, et ranimer folklore et ftespopulaires. Plus que de restaurer la tradition, il sagissait defaonner une identit nouveau motionnellement vcue, uneidentit sans faille o se recrerait la plnitude delappartenance tribale. Par l, les rgimes fasciste et nazireprsentent la tentative la plus radicale qui ait exist derefouler le dsenchantement du monde dont parlait MaxWeber, de renchanter lunivers froid et anonyme de lamodernit.

    Le mythe du chef est, cet gard, le seul lment derussite dont ils auraient pu se prvaloir. Il rpondait une

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  • forte attente populaire envers un pouvoir personnel en quilindividu pouvait avoir foi et qui exercerait une autoritaime ; au dsir dun souverain qui aurait visage et voix, quipermettrait identification et adoration. Voil ce qui rendcompte, probablement, de la profonde intriorisation dumythe, de sa sacralisation mme, comme le montre la maniredont il se dlita. Pendant la guerre, le dtachement de lapopulation envers le chef sexprima travers des rumeurs surltat de sant de Mussolini et de Hitler. La populationinterrogeait la voix et le visage du dictateur. Il tait questionde paralysie progressive et dattentat propos du premier, deblessure, de maladie mentale, de dpression nerveuse, deccit propos du second. A partir de 1942, les Italienscommencrent parler de Mussolini comme dun vieux ,d un homme fini : usure dun mythe qui avait pris les traitsde lternelle jeunesse44.

    En somme, la population se dprenait du mythe sans sortirde la mentalit qui en avait permis lpanouissement. Ledictateur ntait plus surhumain, il rentrait dans la conditioncommune. Mais on esprait sa mort pour ne pas la vouloir, onsouhaitait une fin de soulagement. En Allemagne, lattentatcontre Hitler en juillet 1944 secoua une population qui ne sebattait plus pour assurer la victoire du rgime, mais pourviter un crasement national, une population qui staitlargement dtache du Fhrer, mais nosait encore penser son limination physique45. Cest que la rupture du mytheconstituait une vritable transgression. Peut-tre parce que,pour lindividu, elle signifiait combattre une partie de soi, la

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  • partie fasciste, ou du moins la partie responsable delacceptation du fascisme46. Mais, davantage qu unmcanisme de justification ou de cohrence psychologique, ladifficult de la rupture renvoyait lemprise dune mentalittraditionnelle, sinon archaque, qui avait permis la survie et larenaissance de mythes comme celui du bon souverain malentour et de comportements plus caractristiques delpoque des rois thaumaturges que des socits industriellesdu XXe sicle.

    Au terme de cette exploration est-il ncessaire de soulignerque la parent constate dans la structuration des pouvoirsfasciste et nazi ne peut avoir rsult dun acte de volont oudune imitation (bien quil y ait eu des influencesrciproques47) ? En tant quelle fut le produit dun travail o lasocit eut sa part autant que les acteurs du pouvoir, cetteparent invite approfondir des dimensions telles que lesimaginaires politiques et les symboliques du pouvoir. Sidiverses quelles aient pu tre, et sans ngliger leurs arrire-plans conomiques et sociaux, ces dimensions du politique, lafois conditionnes historiquement et ouvertes linnovation,formrent loutillage partir duquel le rgime fasciste et lergime nazi furent construits. Envisag dans cette perspective,le problme de leur parent conduit rechercher commententrrent en composition des formes politiques et desconditions de rceptivit voisines.

    Dans le fascisme et le nazisme, on peut discerner quelquesformes politiques fondamentales qui drivaient dun pass plus

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  • ou moins proche et qui furent ingalement retravailles, maisdont lassemblage produisit une authentique innovation. Lafigure du chef, drive du modle monarchique et qui, la foisdmocratise et mythifie, donna naissance un csarismeplbiscitaire. La forme daction collective que constituait leparti, produit type de la culture librale, mais que les fascisteset les nazis reprirent en le concevant, non plus comme uneassociation entre individus gaux, mais comme un ordrechevaleresque ou un ordre religieux investi dune mission derdemption nationale (une autoreprsentation laquellesaccrochrent des partis devenus machines bureaucratiques,engendrant laction subversive que lon a vue). La nationalisation des masses48 , entreprise par des rgimeslibraux dans des pays lunification tardive et que ledveloppement du socialisme, puis du communisme fitapparatre bien insuffisante aux yeux dun nationalismechauff par sa situation de tard-venu dans le partageimprialiste du monde. Enfin, et en rapport troit avec ledernier lment, un imaginaire politique tir de lexpriencede la Grande Guerre qui fusionna les reprsentations exaltesde la communaut virile des tranches et de lentre en guerredaot 1914 et de mai 1915, moment de grce o la nationaurait trouv une unit mystique au service de la grandeur etde lhrosme.

    Si les rgimes furent loin de raliser cet imaginairepolitique, le soutien populaire et la collaboration des litesquils obtinrent nen signalaient pas moins lexistence deconditions de rceptivit favorables, des conditions qui

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  • permirent, non pas leur instauration, qui fut avant tout leproduit de la conjoncture, mais leur stabilisation. Il faudraitalors explorer plus fond la rsilience dinfluencesromantiques, religieuses et monarchiques qui nourrirent uneculture autoritaire charpente historiquement par desexpriences voisines. LAllemagne et lItalie connurent uneunification nationale tardive qui se ralisa dans des conditionsvoisines. Ici et l, une rvolution par en haut favorisa lapersistance de traditions prindustrielles et prdmocratiquesqui bloqurent le dveloppement dune culture du contratsocial. Ici et l encore, un libralisme faible se satisfit dunegarantie constitutionnelle octroye par un tat quirevendiquait dtre le fondement de la socit. Les forces dedmocratisation elles-mmes tmoignrent leur manire decette dficience du libralisme. La tendance de la social-dmocratie sorganiser en contre-socit, tout comme laforce du socialisme anarchiste en Italie taient une expression,par raction ou par reproduction inverse, de la cultureautoritaire dominante.

    Au-del, il resterait dvelopper la recherche sur luniverspolitique, envisag dans la longue dure, des diffrentescatgories sociales, en particulier des lites et des classesmoyennes. Dans lattitude des premires face aux nouveauxrgimes pesrent lexprience historique de proximit aupouvoir depuis lunification et la prtention jamais abandonne diriger le peuple. Sur celle des secondes artisans,commerants, employs, fonctionnaires influrent desidentits sociales constitues la fin du XIXe sicle dans le

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  • cadre dassociations professionnelles qui cherchrent auprsde ltat la fixation dun statut inspir par des nostalgiescorporatistes et des valeurs autoritaires49. Il resterait, enfin, approfondir ltude des reprsentations politiques diffuses delavant-1914 : les ractions provoques par lindustrialisationet lurbanisation, le dgot du parlementarisme et de ladmocratie, lattente du grand homme50.

    Dans tous les cas, il semble bien que le terrain le plusfavorable un rgime de type fasciste ait t celui quoffraitune tradition autoritaire conteste et en voie de dislocation,mais suffisamment forte encore pour nourrir laspiration uneillusoire restauration51. Les rgimes allemand et italien prirentappui sur cette base, mais ils furent hors dtat dy enracinerun projet radical qui se situait au-del de lhorizon de lapopulation. Inadquation entre des attentes qui trouvrentnanmoins dans le mythe du chef une large surface derencontre. Les craintes et les dsarrois de la guerre et delaprs-guerre, mais aussi, ce qui ne saurait tre nglig, lesanxits gnres par lexprience de la vie dans les rgimestotalitaires eux-mmes revivifirent ainsi des dispositions delongue dure, tout en les actualisant. Dans le nomonarqueadopt par une large partie de la population se trouvait aboliela distance sociale qui existait avec le roi ou lempereur, enmme temps qutait assure la prsence dun pouvoirpersonnel rvr qui offrait la scurit de la tradition. Unhomme qui lon pouvait sidentifier et que lon pouvaitmythifier : continuit et transfiguration dune cultureautoritaire en voie de dsagrgation et o se faisait jour une

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    aspiration dmocratisante qui ne sassumait pas.

    Jrgen Kocka, Angestellte zwischen Faschismus und Demokratie.Zur politischen Sozialgeschichte der Angestellten USA 1890-1940iminternationalen Vergleich, Gttingen, Vandenhoeck & Ruprecht,1 97 7 . En dehors de rares sy nthses (Alexander De Grand, FascistI taly and Nazi Germany : The Fascist Style, New York,Routledge, 1 995), la comparaison a essentiellement pris la formede communications juxtaposes (Karl Dietrich Bracher et LeoValiani (d.), Fascismo e nazionalsocialismo, Bologne, Il Mulino,1 986 ; Richard Bessel (d.), Fascist I taly and Nazi Germany :Comparisons and Contrasts, Cambridge Univ ersity Press, 1 996 ;Christoph Dipper, Rainer Hudemann et Jens Petersen (d.),Faschismus und Faschismen im Vergleich, Cologne, SH-Verlag,1 998.Pour un surv ol des principales interprtations, cf. Walter Laqueur(d.), Fascism. A Readers Guide. Analy ses, Interpretations,Bibliography , Londres, Wildwood House, 1 97 6 ; Stanley Pay ne,Fascism. Comparison and Definition, The Univ ersity of WisconsinPress, 1 980 ; Wolfgang Wippermann, Europischer Faschismusim Vergleich, 1 922-1 982, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp,1 983.Cf. Saul Friedlnder, De lantismitisme lextermination.Esquisse historiographique et essai dinterprtation , dansFranois Furet (d.), LAllemagne nazie et le Gnocide juif, Paris,Gallimard-Seuil, 1 985, p. 1 4-20.Quelques instruments de trav ail : Philip Rees, Fascism andPre-Fascism in Europe, 1890-1945. A Bibliography of the Extreme Right,Sussex, The Harv ester Press, 1 984 ; Renzo De Felice (d.),Bibliografia orientativa del fascismo, Rome, Bonacci, 1 991 ;Michael Ruck, Bibliographie zum Nationalsozialismus, Cologne,Bund-Verlag, 1 995. Pour un bilan historiographique en franaissur le fascisme et le nazisme, cf. le dossier des Annales ESC de mai-juin 1 988.Cf. Juan J. Linz, Totalitarian and Authoritarian Regimes ,dans Fred I. Greenstein et Nelson W. Poly sby (d.), Handbook ofPolitical Science, v ol. 3 , Macropolitical Theory, Reading (Mass.),

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  • 2Limaginaire politiquedu fascisme

    La parent du fascisme et du nazisme est apparente dans lastructuration des rgimes. Mais elle se marque tout autantdans leur imaginaire politique, ou pour le dire autrement dansleur vision de la socit dsirable. A cette vision, qui contenaitune reprsentation des changements oprer autant que desmoyens employer, le thme de la rvolution offre une voiedaccs, inhabituelle peut-tre, mais clairante.

    Il est courant, en effet, de tenir le fascisme pour unphnomne rvolutionnaire. Si lon dfinit la rvolution commeun changement de rgime entranant des modificationsprofondes dans lordre des choses et des esprits, lefascisme ici dans le sens gnrique du teme qui englobe lesrgimes de Mussolini et de Hitler peut ainsi tre qualifi.Mais il ne faut pas ignorer que, ce faisant, on prend au mot uneprtention des intresss eux-mmes qui parlrent dervolution pour dsigner leur entreprise. Mme silsprcisrent quil sagissait dune rvolution nationale, dunervolution nationale-socialiste ou encore dune rvolutionfasciste, mme sils firent un usage ingal du

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  • terme Mussolini lemployant avec une constante emphase,Hitler avec beaucoup plus de retenue, en particulier aprs1934 , il reste quest avre une appropriation qui avait, dansle contexte de lpoque, une rsonance et une valeur descandale que nous ne percevons plus que confusment.

    Le terme de rvolution avait pour paradigme la Rvolutionfranaise, librale et dmocratique, et il appartenait auxmouvements dont le projet tait une transformation de lasocit dans le prolongement du grand modle. En 1917, larvolution bolchevique vint donner une nouvelle forme ceprojet, et ce fut dans son sillage, pour dsigner leur farouchelutte anticommuniste, que des groupes et des hommesdextrme droite, en Allemagne en premier lieu, semble-t-il,se mirent parler de rvolution. Officialis et popularis parles rgimes fascistes, lemploi du terme se rpandit traverslEurope, dbordant les milieux qui leur taient acquis pouratteindre, par-del lextrme droite (la rvolutionconservatrice ), les cercles des non-conformistes (ainsi enFrance le groupe Esprit parlait-il de rvolution personnaliste).Comme le montre lexemple du rgime de Vichy plaant sontraditionalisme lenseigne de la rvolution nationale , leterme prit une extension qui signalait une certainedmontisation force dusage, tout en gardant une valeur quien faisait priser lemploi.

    Il est inutile de faire la dmonstration de loppositionfondamentale existant entre les principes du fascisme et ceuxde la rvolution dmocratique, y compris de celle qui sendclara la continuatrice, la rvolution bolchevique. Par son

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  • refus des idaux de libert, de dmocratie, de raison et depaix, le premier constituait, selon les termes de Mussolini, lantithse nette, catgorique, dfinitive [] de tout lemonde des immortels principes de 17891 . Ny a-t-il pas,alors, un paradoxe, tout le moins un motif dinterrogation,dans cette reprise par le fascisme dun terme qui taitlapanage de ses ennemis, au risque de semer la confusion, ledoute, linquitude parmi ceux qui taient, dans limmdiat,ses soutiens privilgis, la droite conservatrice et les litestraditionnelles ?

    Cette appropriation sinscrivait, il est vrai, dans uneentreprise de rcupration dlments symboliques deprovenances varies des fins de propagande et demobilisation des masses. Hitler emprunta aux partis ouvriers,avec la couleur rouge de leur drapeau, certains de leursprocds dagitation, et Mussolini lavait prcd sur cettevoie. Lun et lautre proclamrent que leurs rgimes taientdes dmocraties pour la raison quen avaient t carts lesintermdiaires parasites entre le peuple et les gouvernantset que ces derniers y bnficiaient dune popularit que lesdirigeants des soi-disant dmocraties taient en peine dgaler.La mme opration se fit galement et surtout en direction dela droite traditionnelle, comme en tmoigne linvocation deDieu par des hommes incroyants et hostiles au pouvoir desglises en ce quil faisait obstacle leur volont demprisetotalitaire. Hitler plaait son entreprise sous la protection deDieu et de la Providence, mais il invoquait un Dieu allemand, le Dieu qui prouve les hommes2 , non le Dieu damour et de

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  • misricorde. Mussolini affirmait que le fascisme respectaitDieu, mais il prcisait : le Dieu des asctes, des saints, deshros et aussi le Dieu tel quil est vu et implor dans le curprimitif et ingnu du peuple3 .

    Cette rcupration ne saurait tre explique par les seulsbesoins de la propagande. Il faut bien que dune certainemanire, aussi confusment quon voudra, le fascisme se soitconu comme une rvolution pour juger acceptable, sinonncessaire, de sen faire un titre. Il est vrai quaux yeux decertains contemporains cette prtention faisait toutsimplement justice la nature de ce phnomne. Ainsi ladroite ractionnaire, la droite restauratrice proprement dite,reprochait-elle au fascisme d