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Extrait de la publication

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Éditions Druide 1435, rue Saint-Alexandre, bureau 1040

Montréal (Québec) H3A 2G4 www.druide.com



ÉCA RTS

Collection dirigée par Normand de Bellefeuille


DU M Ê M E AU T EU R

Le jour où le mort est disparu, roman, Éditions Trois-Pistoles, 2011.Les Géants anonymes, roman, Québec Amérique, 2009.Un monde de papier, roman, Triptyque, 2007.Un été en banlieue, roman, Québec Amérique, 2006.L’Homme-café, roman, Québec Amérique, 2004. Des steaks pour les élèves, roman, Québec Amérique, 2000.Amour et pince-monseigneur, roman, Québec Amérique, 1999.

Lauréat du Grand Prix Cégep de Saint-Jérôme pour une première œuvre, décerné par Le Conseil de la culture et des communications des Laurentides.


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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Désalliers, François, 1957-La fille du vidéoclub : roman

ISBN 978-2-89711-007-9I. Titre.

PS8557.E678F54 2012 C843'.54 C2012-941223-6PS9557.E678F54 2012

Direction littéraire : Normand de BellefeuilleÉdition : Luc Roberge et Normand de BellefeuilleRévision linguistique : Diane MartinAssistance à la révision linguistique : Antidote HDMaquette intérieure : Anne TremblayMise en pages et versions numériques : Studio C1C4Révision du montage : Isabelle Chartrand-Delorme et Nicolas RouleauConception graphique de la couverture : www.annetremblay.comPhotographie en couverture : La Vieja Sirena/Shutterstock.comPhotographie de l'auteur : Martine DoyonDiffusion : Druide informatiqueRelations de presse : Mireille Bertrand

ISBN papier : 978-2-89711-007-9ISBN PDF : 978-2-89711-009-3ISBN EPUB : 978-2-89711-008-6

Éditions Druide inc.1435, rue Saint-Alexandre, bureau 1040Montréal (Québec) H3A 2G4Téléphone : 514-484-4998

Dépôt légal : 3e trimestre 2012Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Il est interdit de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

© 2012 Éditions Druide inc.www.druide.com

Imprimé au Canada



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François Désalliers

roman



À Francine et Normand



Ça peut difficilement être pire. D’abord, il y a ce théra-peute qui veut absolument que je tienne un journal, que j’écrive, comme si ça pouvait servir à quelque chose. J’en ai rien à faire de son maudit journal. Ça va donner quoi ? Qui va lire ça ? C’est censé me faire du bien. Me calme r les nerfs. M’aider à me comprendre. J’ai pas besoin de ça. Je me comprends très bien. C’est les autres que je ne comprends pas.

Ensuite, il faut que j’arrête de fumer. Je ne peux plus fumer au travail. Il va falloir que je sorte de la brasserie comme les clients et que j’aille fumer dehors. On va avoir l’air fin, au mois de janvier, à moins quarante, les deux pieds dans la glace, de la neige jusqu’au cou. À part de ça, je dois développer des rapports sociaux. Mais le pire de tout, c’est ça qui m’a achevé, je dois lire des livres. C’est censé m’ouvrir des horizons. Je pense que j’aimerais mieux m’ouvrir les veines. Le seul bouquin que j’ai lu, c’est celui sur les nœuds coulants, et c’était pour me pendre.

Ça n’a pas marché, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Écrire. Je n’ai aucune disposition pour ça.

Et il fait une chaleur épouvantable, même dans mon sous-sol. Je ne sais pas comment je vais m’en tirer. Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas.


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Après ma tentative de suicide, comme j’avais attaché la corde à une des croix de Saint-André du sous-sol, mes pseudo-parents, pour m’empêcher de recommen-cer, ont décidé de refaire le sous-sol. Maintenant, au plafond, il n’y a aucune aspérité, aucun endroit pour accrocher quoi que ce soit, un lièvre, par exemple, qu’on pendrait par les pattes de derrière pour l’évis-cérer. Rien. Une surface lisse et monotone. Dans un sens, ça fait mon affaire. C’est plus beau. C’est plus propre. Avant, il y avait des toiles d’araignée, mainte-nant il n’y a rien.

Il fait toujours aussi chaud. Pour ma part, je pense que la planète va prendre en feu, on n’arrête pas d’en parler à la télévision, ce n’est pas que je l’écoute celle-là, mais mes pseudo-parents sont tout le temps branchés là-dessus et ils la mettent assez fort, alors… Je veux dire, ils montent le volume, c’est vrai, je suis mieux de faire attention à ce que je dis maintenant, vu que j’écris, ce n’est pas pareil. Donc, cette histoire de journal. Moi, je ne voulais pas. Je ne voulais rien savoir de ça. Mais le thérapeute du Centre m’a dit que j’avais juste à écrire ce qui me passait par la tête. Il m’a dit de ne pas m’occuper de l’orthographe — pour ça, il peut être tranquille — ni



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de la construction des phrases. Je n’avais qu’à raconter ce qui m’était arrivé depuis mon enfance.

Ce n’est pas si facile que ça. Ici, au sous-sol, c’est comme un petit appartement. Il y a une salle de bains. J’ai une table de cuisine. C’est là-dessus que j’écris. Je me donne un mal de chien et j’écris comme un porc. En plus, ça ne sert à rien. Mon passé, je n’ai pas très envie d’y revenir. C’est une chose pas mal tordue, le passé. C’est vrai. Ça ne sert à rien. Quand c’est passé, c’est passé, on ne peut plus y revenir. Tout le monde est d’accord là-dessus. Alors pourquoi est-ce qu’on le vit ? Hein ? J’aimerais bien que quelqu’un puisse m’expli-quer ça. Mais c’est pas les gars du Centre qui pourraient m’aider. Eux autres, ils me disent d’écrire, comme si ça pouvait régler mes problèmes. Lire, écrire, socialiser. Je me demande si j’aimerais pas mieux me pendre. Heureusement qu’ils ont refait le sous-sol.

Bon. La raison pour laquelle je voulais me pendre. Je n’ai pas envie de parler de ça. Pas aujourd’hui en tout cas. Je suis fatigué tout d’un coup. C’est à cause de la chaleur. Y fait tellement chaud. C’est pas croyable. Je vais me déboucher une bière. C’est ce qu’il y a de mieux à faire.



Quand même, il faut que je m’y mette. Il faut que je m’applique. Il y a deux ans, j’ai rencontré Lucie à une séance de cinéma. Jean Turcotte, un professeur d’his-toire, avait organisé des séances de visionnement de vieux films dans son sous-sol. On a chacun son sous-sol à soi, comme on dit. Bref, la fille, je l’ai rencontrée là.

C’était pas une méchante fille. C’était plutôt le contraire. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ça fait deux ans que je suis en thérapie avec ces gars-là et je ne sais tou-jours pas pourquoi j’ai voulu la tuer. Ces gars-là sont incapables de trouver une réponse. C’est pourtant pour ça qu’on les paye avec nos taxes, non ? Quand je regarde mon chèque de paye de la brasserie et que je vois tout ce qu’ils m’enlèvent, je les tuerais bien, eux autres aussi. Bon. Finalement, je n’ai tué personne. Je n’ai pas tué la fille. Mais c’est passé proche, comme on dit.

Je l’avais vue se déshabiller dans sa salle de bains, j’étais caché dans sa cour, pis le maudit chat… C’est toute une histoire. Je ne sais pas si j’ai le goût de racon-ter ça. Faudrait que je fume un peu. Fumer, ça fait du bien. Ça va me tuer, mais ça me détend. Je vais arrê-ter de jouer avec mon carton d’allumettes pis je vais continuer.




Comme je disais, la fille, là, Lucie, se déshabille. Elle était tellement belle, ce n’est pas croyable. C’est comme si je n’avais pas pu supporter sa beauté. C’est fou, hein ? Ouais. Pas mal. C’est pas mal fou. Je dois admettre que c’est pas mal fou. Ensuite, il y a deux chats qui se sont battus ensemble et j’ai failli mourir d’une crise car-diaque. J’ai détalé comme un lapin. C’est comme ça que ça s’est passé. Pis là, j’ai voulu la tuer. J’ai voulu commencer par un chat pour me pratiquer. Pis je l’ai fait. J’ai tué un chat. Je lui ai enfoncé la lame dans le corps à plusieurs reprises. Son corps était chaud. Son sang était chaud. J’en avais sur les mains. Sur le pan-talon. Sur la chemise. Pis le cœur me levait. J’avais des gouttes de sueur glacée sur mon front pis dans mes cheveux, ce n’était pas drôle.

Je me souviens encore de ça pis quand je m’en sou-viens ça me fait de la peine à cause du chat. Pauvre petit. Y avait rien fait, lui. C’était un innocent. Y était à terre, dans les feuilles, pis y bougeait pus. J’aurais pas dû faire ça, c’est sûr.

Ensuite, ce qui s’est passé, je ne le sais pas. Comme je n’arrivais pas à la tuer, c’est moi que j’ai voulu tuer. J’ai emprunté un livre sur les nœuds coulants à la biblio-thèque, pis j’ai voulu me pendre dans mon sous-sol. Mais ça n’a pas marché. Un échec total. À ce moment-là, je pensais que ma vie était un échec total. À bien y réfléchir, je le pense encore. Qu’est-ce que j’ai devant moi ? Rien. Absolument rien. Ouais. C’est gai. Pis écrire, c’est supposé me faire du bien. Je m’enfonce un peu plus, c’est tout.

Je sais bien ce qu’il y a derrière tout ça. Ce qu’il y a, c’est que je suis laid. Je le sais très bien. Je n’ai qu’à me



regarder dans le miroir. Ce n’est pas compliqué. Mais ça, mes thérapeutes ne me le diront jamais. Ça ne se dit pas. C’est pourtant la vérité. Les enfants à l’école ne se gênaient pas pour le dire, eux autres. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Si j’avais été beau, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Oui. Si j’étais beau aujourd’hui, est-ce que ça changerait quelque chose ? Oui. Ça changerait tout et je le sais très bien. Le monde appartient aux beaux et aux belles. C’est comme ça. On ne peut rien y faire. Les autres, tous les autres, n’ont qu’à manger de la marde. C’est comme ça.

Là, je vais arrêter d’écrire parce que je commence à avoir mal à la main. Mes doigts sont ankylosés. Ce n’est pas drôle. Je commence à avoir des ampoules. Je force trop sur le stylo, c’est pour ça. Faudrait que je me calme un peu. Que je me détende. Ce n’est pas normal d’écrire comme ça. Je ne suis pas normal. C’est sûr.



Une autre journée de canicule. Je suis seul dans mon sous-sol et je m’ennuie. Socialiser. Tu parles. Je socialise assez à la brasserie. Je passe mes soirées à écouter des abrutis. Pas à dire, c’est très édifiant. Ça fait cinq ans que je fais ce boulot avec un arrêt d’un an à cause de ma dépression et des prestations d’assurance-chômage. Ils disent assurance-emploi, mais on s’en moque. On sait ce que ça veut dire. Tout ça dans une odeur de bière et d’ailes de poulet. Avant, il y avait aussi l’odeur de cigarettes. Mais maintenant qu’on ne peut plus fumer à l’intérieur… Je ne suis pas capable de la digérer, celle-là. Les clients non plus. Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? C’est la loi. La loi, c’est la loi. Mon cul ! La loi, c’est conçu pour ceux qui ont de l’argent. Mais je n’ai pas à me plaindre. À force de rester chez mes faux parents, j’ai accumulé un petit magot. Je ne sais pas trop à quoi ça va servir, mais c’est là, je sais que c’est là, ça dort en silence dans le creux des voûtes. Je dis n’importe quoi. Ces crétins de thérapeutes sont en train de faire de moi un foutu crétin. Bref, je socialise. Tout à l’heure, je suis allé au vidéoclub louer un film porno. La fille qui était là n’était pas la même que d’habitude. Bon. Ils changent tout le temps. Mais celle-là, c’était différent.



J’ouvre la porte à battants. Les photos. Les culs. Les chattes. Le bruit des portes qui grincent.

Je choisis. Si on peut appeler ça choisir. J’y vais un peu au hasard. J’essaye surtout de prendre un film que j’ai jamais vu.

Je choisis mon film. J’essaye de ne pas rester là trop longtemps. Je ne tiens pas à ce que les clients de la brasserie ou les filles, spécialement Cathy et Mélanie, me surprennent en flagrant délit.

Je sors de là. Je me dirige vers la caisse. D’habitude, ils me regardent comme si j’étais le dernier des per-vers. Une sorte de satyre. Ils me font signer un papier, je paye pis je sacre mon camp. Mais là, ce n’est pas ça. Je ne sais pas ce qui se passe. D’abord la fille est noire, mais une belle Noire, là, très jolie.

En tout cas, elle m’attend. Elle prend le temps d’exa-miner le DVD. Le titre, je veux dire. Elle prend le temps de lire le titre. Ils ne font pas ça habituellement. D’ordi-naire, ils font ce qu’ils ont à faire sans rien remarquer. Ils mettent le machin dans le sac, pressés d’en finir. Pas elle. Elle me regarde. Pas comme un demeuré ou quelqu’un de dégueulasse. Juste comme quelqu’un. Ça fait changement. Elle dit :

— Qu’est-ce que tu trouves là-dedans ? Ça surprend en maudit. Qu’est-ce que je trouve

là-dedans ? Elle est bonne celle-là. C’est évident. Me semble que c’est évident. Mais je ne dis rien. Je suis comme estomaqué.

— C’est le fun ? Tu as du plaisir à regarder ça ? Elle me bombarde de questions. Je me sens mal à

l’aise. Elle me fixe dans les yeux et elle semble attendre une réponse. Je ne sais pas quoi dire.



— Ouais, ouais, c’est ça, c’est bon, j’aime ça.J’avais hâte qu’elle en finisse. Envoye. Fais-moi signer

ton papier, mets le DVD dans le sac que je sacre mon camp. Mais non. Pas pressée, la fille. Des gestes lents. J’aurais voulu la tuer.




En tout cas, mon thérapeute semblait très content de moi. Je lui ai fait lire les pages que j’avais écrites et il trouvait ça bon. C’est vraiment un tordu, ce gars-là. En fait, il semblait surpris que je sache écrire. Ben quoi ? L’école, c’est fait pour ça, non ? Pour apprendre à lire et à écrire. Je ne dis pas que je suis Richard Desjardins, mais je suis capable de mettre un mot devant l’autre. Je suis laid, mais je ne suis pas débile. On ne peut pas avoir tous les défauts, donnez-moi une chance.

En tout cas surpris. Content. Surtout du passage avec la fille du vidéoclub. Il m’a dit que c’était bon signe. Que je lui avais parlé. Parlé. Y débloque complè-tement. J’ai baragouiné deux ou trois mots, il m’a dit des « onomatopées », et puis c’est tout. J’ai surtout eu l’air d’un con, comme d’habitude. Je ne suis pas débile, mais j’ai toujours l’air d’un con, c’est vrai, même si je n’en suis pas un, c’est l’air que je dégage, mais passons. Bref, il était content. Il m’a dit d’entretenir cette « rela-tion », c’est moi qui mets les guillemets. En plus il m’a dit que les clients de la brasserie ne comptaient pas. Ça ne faisait pas partie de la socialisation. Il était très intri-gué par mes « copains de cinéma », c’est encore moi qui sou ligne. Il voudrait que je reprenne contact avec eux,




surtout Rémi, parce que c’est lui qui est le plus intéres-sant vu qu’il m’a mis la main sur l’épaule.

C’est arrivé il y a bien longtemps. Après ma tenta tive de suicide ratée, Rémi, un des participants à ce genre de club vidéo échangiste où on regardait surtout des vieux films, jamais un bon film de cul, Rémi, donc, un gars qui avait déjà été comédien et qui là ne fai-sait plus grand-chose de ce côté-là… Je sais plus où je suis rendu. Va falloir que je remonte au début. Ah oui. Bon. Donc, Rémi, ce gars-là, m’avait consolé, si on veut, c’est interminable, écrire, quelle plaie, et ensuite j’avais parlé avec lui. Mais je ne sais pas ce qu’il est devenu et je ne pense pas qu’il ait très envie de me revoir. Les gens, en général, quand ils m’ont vu une fois, ils n’ont pas très envie de me revoir. Il y a des gens qui gagnent à être connus, à ce qu’il paraît. Ce n’est pas mon cas.

Quoi qu’il en soit, c’est ça. C’est ce que le théra-peute m’a dit. Puis il m’a regardé dans les yeux et il m’a demandé :

— Mais quand vous dites, à propos de la jeune fille, qu’elle avait des mouvements lents, tellement lents que vous aviez envie de la tuer, c’est une figure de style, n’est-ce pas ? C’est une manière de vous exprimer, non ? Vous ne pensez pas littéralement ce que vous dites, hein ?

Ça faisait beaucoup de questions et je ne suis pas capable d’en prendre autant. Moi, les questions, c’est à petites doses. Autrement je pète les plombs. « Méta-phore ». C’est ça le mot qu’il a utilisé. Mais je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire. Alors j’ai répondu :

— Mais non, doc. Je blaguais. Je voulais juste qu’il me laisse tranquille.




Aujourd’hui c’est moins pire. Il fait moins chaud. Je peux fumer sans avoir l’air d’un smoked meat. Je peux même entendre les jolis zoiseaux gazouiller à l’exté-rieur. C’est tranquille. Je ne pensais pas que je m’habi-tuerais, mais je m’habitue. J’ai moins mal aux doigts quand j’écris. C’est pas que je trouve ça passionnant, mais c’est mieux qu’un coup de pied au cul. Je ne vois pas d’autres façons de dire ça, désolé.

Hier je suis allé chez Rémi. Il n’était pas là. Il habite dans un condo, mais il n’était pas là. Sa blonde était là par exemple. Elle s’appelle Nadine. Elle a été pas mal surprise de me voir. Elle a une fille qui se nomme Roxane. Enfin, ils ont une fille qui se nomme comme ça parce qu’ils l’ont faite ensemble, à ce qu’il paraît. Ils se sont rencontrés aux fameuses soirées vidéo chez Jean Turcotte. Bref, elle ouvre la porte, fort intriguée. Alain Gingras, ça lui disait quelque chose, mais quoi ? C’est quand elle m’a vu qu’elle a compris. Elle a eu un mouvement de recul.

Faut dire qu’elle est pas mal belle, celle-là. Je vais essayer de vous la décrire. D’abord, elle est bien faite. Elle a une belle poitrine. C’était facile à voir parce qu’elle avait juste un t-shirt en coton. Et un jeans




taille basse très moulant. On voyait tout là-dedans. Et un visage avenant, délicat, et des cheveux épais genre auburn. Bandante, quoi, même si elle n’a pas l’air d’une salope. Bref, elle recule un peu, l’air vachement per-plexe. C’est à cause de l’interphone en bas : elle m’a fait monter sans savoir qui j’étais au juste. Un ami de Rémi, c’est un peu vague. Je voyais derrière elle une petite fille d’un an à peu près qui marchait dans la pièce, un immense salon, mais rien d’autre, pas de meubles. La petite fille tombait par terre, sur les fesses, elle prenait un livre et elle mordait dedans avec les gencives.

— Elle n’a pas encore percé ses dents, me dit Nadine.

« Et qu’est-ce que tu deviens », car elle avait fini par me faire entrer. Moi, je ne sais pas trop quoi dire, je lui déclare que j’essaie de socialiser, en plus d’aller à la brasserie comme d’habitude, que j’écris, que c’est vachement difficile et que j’ai rencontré une Noire au vidéoclub quand je suis allé emprunter mon film por-nographique habituel. Là-dessus, elle a souri. Elle a un magnifique sourire, je dois dire, et des dents blanches. Très blanches et très droites. Elle m’a dit que ça lui rappelait des souvenirs. Je lui ai fait remarquer que ça devait être des beaux souvenirs. Elle m’a répondu oui.

Puis on a parlé un peu de Rémi, forcément, parce que j’étais là pour ça. Comment est-ce qu’il va et toutes ces affaires-là.

— Il travaille en ce moment. Il vend des meubles de jardin.

— Ah ? Et son show sur le poète… — Baudelaire ? — Ouais, c’est ça, c’est comme ça qu’il s’appelle ?




— Oui. — Il ne fait plus son show ? — Il l’a fait, me dit Nadine. Mais c’est terminé

main tenant. Ça n’a pas eu le succès qu’il espérait. — Ouais, il s’est cassé la gueule, c’est ça ? — C’est un peu ça, me dit Nadine en souriant. Mais

il va le reprendre cet hiver. Je sais qu’il doit donner une représentation au cégep.

— Ah oui. C’est pas loin de chez nous. J’irai voir ça. — Vraiment ? — Ben oui. À part être sociable pis fin avec le

monde, y faut que je lise pis que j’aille voir des spec-tacles de pédés, c’est pour ma cure, à cause de ces cré-tins de thérapeutes du Centre, tsé…

— Oui, je comprends, me dit Nadine. Je ne sais pas trop si elle comprenait vraiment, mais

elle a ajouté : — Veux-tu quelque chose à boire ? Je voulais bien. On a pris un coke dans le salon, assis

par terre, avec la petite qui continuait à baver sur son livre pis à baragouiner toutes sortes d’affaires que je ne comprenais pas pis à un moment donné elle est venue s’asseoir entre mes jambes. Dire l’effet que ça m’a fait, c’est difficile. Elle avait l’air heureuse d’être là. Moi, je ne bougeais pas. Je ne voulais pas la toucher, mais elle n’arrêtait pas de se frotter sur moi, elle voulait que je mette mes bras autour d’elle et que je lui fasse la lecture dans son petit livre blanc tout mouillé de bave dégou-linante. Je ne savais pas quoi faire. Pis l’autre, Nadine, ne m’aidait pas beaucoup. Elle se contentait de boire son coke et de s’éponger le front avec la manche de son t-shirt parce qu’elle suait. Et moi donc.



fR a N Ç o i S d é Sa LLie R S

Je ne crois pas qu’on décide quoi que ce soit. Le texte vient

de l’intérieur, des profondeurs, pour ne pas dire du sous-

sol. Puis, il se crée un chemin jusqu’à la lumière du jour.

On peut voir ça comme un repliement sur soi. Une sorte

d’enfermement. Y voir un jeune homme d’une vingtaine

d’années, un écrivain dans la cinquantaine ou un pays à

naître. C’est l’affaire de chacun. Le roman est un espace

de liberté. On y entre avec ce qu’on est et on en ressort

avec ce qu’on veut.

F.D.



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