Étude par fluorescence de la phosphatase alcaline d'Escherichia coli I. Propriétés des états...

14
482 BIOCHIMICA ET BIOPHYSICA ACTA BBA 36118 ]~TUDE PAR FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE D'ESCHERICHIA COLI I. PROPRII~T]~S DES ]~TATS EXCIT]~S DOMINIQUE GERARD, GILBERT LAUSTRIAT ET HANS LAMI Laboratoire de Physique de I'U.E.R. de Sciences pharmaceutiques, Universitd Louis Pasteur, Strasbourg (France) (Re~u le 29. d6cembre 1971) SUMMARY Study on the fluorescence of Escherichia coli alkaline phosphatase. I. Properties of the excited state Singlet excited state properties of alkaline phosphatase (Escherichia coli) are studied: absorption and emission spectra, fluorescence quantum yield and lifetime, quenching by potassium iodide. Results are compared with those obtained with solutions of model compounds, such as the denatured enzyme, aromatic amino acids and corresponding N-acetyl amides. Information is obtained showing that the intra- globular medium can be simulated by dioxane, and that most of the IO tryptophyl residues (8 9) are located inside the protein ; furthermore, 6 of these residues are found to be close to chemical groups inducing static quenching of fluorescence. INTRODUCTION Dans le cadre d'une 6tude de l'interaction enzyme-substrat par luminescence, nous avons 6t6 amen6s A examiner les propri6t6s de la phosphatase alcaline d'Esche- richia coli, est6rase susceptible de diver des compos6s fluorescents. La m6thode envisag6e impliquant un transfert de l'6nergie d'excitation de l'enzyme sur le substrat, il 6tait n6cessaire, dans une premiere 6tape, de pr6ciser les earact6ristiques des 6tats excit6s de cette protdine. D'une mani~re g6n6rale, on salt que les r6sidus responsables de la premi&re bande d'absorption des prot6ines sont les trois acides amin6s aromatiques: ph6nyl- alanine, tyrosine, tryptophane. Le premier intervient peu, vu son tr~s faible coefficient d'extinction molaire, et peut donc ~tre n6glig6. Les r6sidus tyrosine contribuent l'absorption pour une part importante, mais leur rendement quantique de fluorescence est quasi nul, en raison soit d'une extinction efficace, soit d'un transfert d'6nergie sur le tryptophane 1. Ce dernier constitue donc l'6metteur principal des prot6ines, et de nombreux travaux lui ont 6t6 consacr6s, montrant notamment que son domaine Biochim. Biophys. ~cta, 263 (1972) 482-495

Transcript of Étude par fluorescence de la phosphatase alcaline d'Escherichia coli I. Propriétés des états...

4 8 2 BIOCHIMICA ET BIOPHYSICA ACTA

BBA 36118

]~TUDE PAR FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE

D'ESCHERICHIA COLI

I. PROPRII~T]~S DES ]~TATS EXCIT]~S

DOMINIQUE GERARD, GILBERT LAUSTRIAT ET HANS LAMI

Laboratoire de Physique de I'U.E.R. de Sciences pharmaceutiques, Universitd Louis Pasteur, Strasbourg (France)

(Re~u le 29. d6cembre 1971)

SUMMARY

Study on the fluorescence of Escherichia coli alkaline phosphatase. I. Properties of the excited state

Singlet excited state properties of alkaline phosphatase (Escherichia coli) are studied: absorption and emission spectra, fluorescence quantum yield and lifetime, quenching by potassium iodide. Results are compared with those obtained with solutions of model compounds, such as the denatured enzyme, aromatic amino acids and corresponding N-acetyl amides. Information is obtained showing that the intra- globular medium can be simulated by dioxane, and that most of the IO t ryptophyl residues (8 9) are located inside the protein ; furthermore, 6 of these residues are found to be close to chemical groups inducing static quenching of fluorescence.

INTRODUCTION

Dans le cadre d'une 6tude de l 'interaction enzyme-substrat par luminescence, nous avons 6t6 amen6s A examiner les propri6t6s de la phosphatase alcaline d'Esche- richia coli, est6rase susceptible de diver des compos6s fluorescents. La m6thode envisag6e impliquant un transfert de l'6nergie d'excitation de l 'enzyme sur le substrat, il 6tait n6cessaire, dans une premiere 6tape, de pr6ciser les earact6ristiques des 6tats excit6s de cette protdine.

D'une mani~re g6n6rale, on salt que les r6sidus responsables de la premi&re bande d'absorption des prot6ines sont les trois acides amin6s aromatiques: ph6nyl- alanine, tyrosine, tryptophane. Le premier intervient peu, vu son tr~s faible coefficient d'extinction molaire, et peut donc ~tre n6glig6. Les r6sidus tyrosine contribuent l 'absorption pour une part importante, mais leur rendement quantique de fluorescence est quasi nul, en raison soit d'une extinction efficace, soit d 'un transfert d'6nergie sur le t ryptophane 1. Ce dernier constitue donc l '6metteur principal des prot6ines, et de nombreux t ravaux lui ont 6t6 consacr6s, montrant notamment que son domaine

Biochim. Biophys. ~cta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE I,A PHOSPHATASE ALCALINE. I 483

spectral et son rendement quantique de fluorescence--tr~s voisins de ceux de Fin- dole--varient avec la polarit6 de son microenvironnementl-3: le maximum du spectre d'6mission de l'indole passe de 290 nm en solution dans le n-pentane, ~ 350 nm en solution aqueuse 4. Dans les prot6ines, les r6sidus tryptophane localis6s en milieu intraglobulaire hydrophobe ont ainsi des propri6t6s de luminescence diff6rentes de ceux qui sont situ6s en surface, c'est-~-dire en milieu aqueux, et le spectre d'dmission de la macromol6cule d6pend des proportions relatives de ces deux cat6gories de r6si- dus. De plus, tout changement de conformation (tel que la d6naturation), entrainant une modification de ces proportions, se traduit par une variation des caract6ristiques de la fluorescence.

Quant ~ la phosphatase alcaline d'E. coli, sa structure est encore real connue, bien que plusieurs travaux aient permis de d6terminer son poids mol6culaire (86 ooo) et sa structure quaternaire dim6rique A deux sites actifs 5. La composition cent6simale en acides amin6s est controvers6e: de 7 a IO tryptophanes et de 17 ~ 20 tyrosinesS,7; dans ce travail, nous adopterons les hombres de IO et 20 respectivement, selon les indications les plus r6centes (M. Lazdunski, communication priv6e).

La seule 6tude spectroscopique consacr6e ~ cette enzyme est, ~ notre connais- sance, celle de Schlesinger 8, qui met ~ profit les variations du maximum spectral et du rendement de fuorescence pour suivre la d6naturation acide. Nous nous sommes donc propos6s d'effectuer une investigation plus approfondie de la phosphatase alcaline, portant sur la nature des 6tats excit6s, les transferts intramol6culaires de l'6nergie d'excitation et les corr61ations entre les variations de l'activit6 enzymatique et des caract6ristiques spectrales. Notre but 6tant 6galement d'obtenir des infor- mations sur la conformation de cette prot6ine, il a 6t6 souvent n~cessaire d'effectuer simultan6ment une 6tude comparative de modules plus simples ou de structure connue. A cet effet, nous avons consid6r6 non seulement l 'enzyme native, mais aussi l 'enzyme d6natur6e--dont tousles r6sidus sont "expos6s" au solvant--ainsi que des solutions d'acides amin6s aromatiques et des amides ac6tyl6s correspondants (N- ac6tylbL-tryptophanamide et N-ac6tyl-L-tyrosinamide). Ces derniers d6riv6s, que nous d6signerons par la suite par "monom&res", ont 6t6 choisis car ils poss~dent deux fonctions amides et sont plus repr6sentatifs des r~sidus que les aminoacides eux- m~mes.

Dans la premi&re partie de notre travail, que nous pr6sentons ici, nous exa- minons diff6rentes propri6t6s (spectres, rendement quantique et dur6e moyenne d'6mission, extinction de la fluorescence) de la phosphatase alcaline--native et d6natur6e--en solution aqueuse, ~ temp6rature ambiante. La m~me 6rude est effectu6e sur des solutions d'acides amin6s et de monom&res darts l'eau et dans le dioxane, ce dernier solvant repr6sentant assez bien, comme nous le verrons, le milieu intraglobulaire de la prot6ine. La confrontation de ces diff6rents r6sultats permet d'obtenir des indications sur la localisation des r6sidus tryptophane dans la phos- phatase native et sur leur interaction avec les r6sidus voisins.

CONDITIONS EXPI~RIMENTALES

Solutions

Nos exp6riences ont port6 sur deux 6chantillons d'origines diff6rentes de phosphatase alcaline d'Escherichia coli (Type I I I , Sigma Chem. Co. et Lot BAPC

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

484 D. GERARD et al.

Worthington Biochem. Corp.). Ces 6chantillons, donnant des r6sultats identiques, sont utilis~s sans purification, en solution aqueuse ~ pH 8 (tampon Tris o.I M, HC1) et ~ des concentrations de o.I mg/ml pour les spectres de fluorescence et de I mg/ml pour les mesures de dur6es de vie.

Les solutions de phosphatase alcaline d6natur6e sont pr6par6es en pla~ant la phosphatase native dans l'ur6e 6 M ~ pH 3.0 ~- 0.5, et en ramenant ensuite le pH ~t 8. On v6rifie que la d6naturation est eompl6te en chauffant ~ 9 ° °C une solution ainsi trait6e: apr~s retour ~ la temp6rature ambiante, les caract6ristiques de lu- minescence n 'ont pas vari6.

Le L-tryptophane et le L-tyrosine (Sigma Chem. Co.)--ainsi que le N-ac6tyl- L-tryptophanamide et le N-ac6tyl-L-tyrosinamide (Cylo Chem.)--sont utilis6s en solution, soit dans le tampon aqueux, soit dans le dioxane.

Les mesures, toutes r6alis6es sur des solutions en 6quilibre avee l'air, sont effectu6es soit dans des cuves en quartz de I cm 2 de section, soit dans des microcuves

parois 6paisses polies (Helhna), plac6es dans un porte-cuve m6tallique qui peut ~tre chauff6 ou refroMi par circulation d'un fluide. Les temp6ratures sont mesur6es dans la cuve, ~ I °C pr6s, A l'aide d'un thermocouple.

Mdthodes Les spectres d'absorption sont enregistr6s avec un spectrophotom6tre Cary 15. Les spectres de fluorescence sont obtenus ~ l'aide d 'un fluorim6tre construit au

laboratoire utilisant, pour l'excitation, une lampe ~t vapeur de mercure de 50o We t un double monochromateur (Zeiss MM I2), et pour l'observation, un monochromateur

r6seau (Jarell Ash 0.25 M) et un photomultiplieateur EMI 6256 S. L'intensit6 de la lampe est eontr616e ~t l'aide d 'un deuxi6me photomultiplicateur recevant une fraction du faisceau d'excitation. La fluorescence est observ6e par reflexion, ~ 45 °C par rap- port ~ la direction du faisceau d'excitation, lequel p6n~tre dans la cuve en quartz sous une incidence normale.

Le rendement quantique de fluorescence q~ est 6valu6 en prenant comme 6talon une solution aqueuse de L-tryptophane dont le rendement quantique mesur6 par Eisinger et Navon 8 est de o.14 ~ 300 °K pour une excitation ~ 28o nm. Pour cela, on enregistre tout d'abord les spectres d'6mission de solutions de phosphatase et de L-tryptophane pr6sentant la m~me absorbance ~ 280 nm. Ces spectres sont ensuite corrigfs pour tenir compte de la variation, en fonction de la longueur d'onde, de la transmission du monochromateur et de la r6ponse du photomultiplicateur. Les inten- sit6s I (;t) ainsi obtenues sont alors multipli6es par le facteur ;t 2 de mani6re ~ obtenir une r6solution constante en nombre d'onde ~;, puis report6es en fonction de ¢. Les surfaces d61imit6es par ces courbes sont proportionnelles aux intensitfs totales de fluorescence et leur rapport est le m6me que celui des rendements quantiques. Pour les solutions dans le dioxane, on tient compte, de plus, de l'indice de refraction n du solvant (dioxane: n = 1.42 ; eau: n = 1.33 ).

Dans le cas de la prot6ine, on d6signe par q)l le rendement quantique "global" d6termin6 selon la m6thode pr6c6cente. De plus, eomme les rfsidus tyrosine partici- pent A l'absorption mais non ~ l'6mission, on dffinit 6galement un "rendement quan- tique corrig6" q~, obtenu en attribuant toute la fluorescence de l 'enzyme (native ou dfnatur6e) au tryptophane, et en supposant qu'il n'existe aucun transfert d'6nergie des r6sidus tyrosine sur les r6sidus tryptophane. On montre facilement que ~2 = q)l/R,

Biochirn. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 485

oh R est la fraction de l'absorption totale qui est due aux r6sidus tryptophane ~ la longueur d'onde d'excitation consid6r6e (280 nm).

La durde de vie moyenne z du premier 6tat excit6 est d6termin6e par la technique du photoflectron unique 9,'°. Cette technique consiste A exciter la fluorescence de la solution contenue dans une cuve en quartz, par un 6clair lumineux trbs bref (6 ns ~t mi-hauteur) issu d'un tube A d6charge dans l'hydrog~ne plac~ ~ l'entr6e d'un mono- chromateur ~t r~seau Bausch et Lomb. Ce dernier permet de s6lectionner la longueur d'onde de la radiation excitatrice: dans le cas des mol6cules ~tudi6es ici, 280 nm (4- 15 nm), domaine de longueur d'onde comprenant le maximum de la premiere bande d'absorption. La br~ve 6mission de fluorescence 6mise par la solution est d6tectfe par un photomultiplicateur Dario 5 6 UVP devant lequel est plac6 un filtre interf6rentiel, dont le r61e est d'fliminer la lumi~re d'excitation diffus6e (en l'occu- rence, le filtre choisi pr6sente un maximum de transmission ~ 34 ° n m , avec une lar- geur de bande de 8.5 nm A mi-hauteur). L'intensit6 du flux lumineux est rfduite ~t 1'aide d'un diaphragme, de telle mani6re que l'impulsion 6lectrique d~livr6e par le photomultiplicateur soit due ~ l'6mission par la cathode d'un seul photo61ectron. Cette impulsion ($1) est appliqu~e ~t l'entr6e d'un convertisseur temps--amplitude, lequel re~oit 6galement un signal 61ectrique ($2) issu du tube A d6charge et donc synchrone de l'excitation lumineuse. Le convertisseur fournit une impulsion (Sa) d'amplitude proportionnelle 5~ l'intervalle de temps s@arant les arriv6es des signaux $1 et $2.

On enregistre ~ l'aide d'un s61ecteur d'amplitude multicanaux (Intertechnique SA 4 ° B) la distribution H(t) des impulsions S a qui est le produit de composition d~fini par la relation:

H(t) -- r(t)*I(t)

oO, r(t) est la fonction de r6ponse du dispositif et I(t) la fonction exponentielle d6cri- rant le d~clin de la fluorescence

I(t) = I o exp [--t/x]

On d~termine r(t) en rempla~ant la solution par un miroir et l'on calcule r(t)*exp [--t/z] pour diff~rentes valeurs de z.

La comparaison des courbes H(t) calcul~es et exp~rimentales permet d'obtenir les valeurs de la dur~e de vie z avec une pr6cision de o.2 5 o.3 ns.

RESULTATS

Caractdristiques spectrales Les spectres d'absorption des aminoacides et monornbres dtudids, en solution

aqueuse et dans la dioxane sont, pour certains, indiqu6s sur la Fig. I. Les Courbes A, B et C, qui se rapportent au tryptophane et au N-ac6tyl-L-tryptophanamide, iuon- trent que l'on observe un 16ger d6calage en longueur d'onde (3 nm) lorsque l'on passe d 'un solvant A l'autre. Ce m~me effet se retrouve dans le cas du N-ac6tyl-L-tyrosin- amide (Courbes D et E), off l'on note, de plus, que la nature du solvant influe notablement sur la valeur du coefficient d'extinction molaire.

Les spectres d'absorption de la phosphatase native et ddnaturde en solution aqueuse sont donn6s sur la Fig. 2. Assez voisins de ceux du tryptophane en ce qui concerne la premiere bande, ils sont toutefois caract6risds par une forte absorption

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

486 D. GERARD et al.

E ( A,B.C ) : C,D )

5x103 2xl03

4x103

3x10 ~

2x10 ~

I x I O ~

lx10 3

240 250 260 270 280 290 300 310 n m

Fig. I. Spectres d'absorption: N-ac6tyl-L-tryptophauamide en solution dans le dioxane (Courbe A) ; L-tryptophane en solution aqueuse (Courbe B) et dans le dioxane (Courbe C, unit6s arbitraires) ; N-ac6tyl-L-tyrosinamide en solution aqueuse (Courbe D) et dans le dioxane (Courbe E).

aux longueurs d'onde inf6rieures k 260 nm, due k la chalne polypeptidique 11. Notons ~galement que l 'on observe entre les deux spectres de phosphatase, le mfime d6calage de 3 nm qu'entre ceux du t ryptophane dans l 'eau et dans le dioxane. Cette constatation justifie le choix de ce dernier solvant comme repr6sentatif du milieu intraglobulaire de la prot~ine, si l 'on admet, ce qui sera montr6 par la suite, que la plupart des r6sidus t ryptophane de la phosphatase sont situ6s ~t l'int6rieur de la prot6ine lorsque celle-ci est native, alors qu'ils sont tous en milieu aqueux apr~s d6naturation.

Les spectres de fluorescence des diff6rentes solutions 6tudi6es obtenus sous; excitation A 280 nm (4-4 nm), sont repr6sent6es sur la Fig. 3, a l 'exception du N-ac6tyl-L-tryptophanamide dans l 'eau et dans le dioxane qui sont identiques aux spectres correspondants de l'acide amint~. Tous sont d6pourvus de structure vibrationelle. Celui de la phosphatase native (Courbe C) poss~de un maximum (330 nm) voisin de ceux de la trypsine (332 nm) et du chymotrypsinog~ne (331 rim) 1 et identique par ailleurs ~ celui du t ryptophane et de son ddriv6 amid6 dans le dioxane (Courbe A). Apr~s d6naturation, comme pour la plupart des prot6ines, le spectre d'6mission de la phosphatase est d6plac6 vers le rouge (Courbe D): le maximum apparait ~ 350 nm et se situe aux m~mes longueurs d'onde que pour le t ryptophane en solution aqueuse (Conrbe B).

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 487

4xlO ~

3xlO 4

2xtO'

lx,10"

i i / st [~ , /

' / I // I \ / i J

\, / I // % j ~\ i'"

A

%

\ \

I i

,,\ x \ \

x 240 250 260 270 280 290 300 310 nm

Fig. 2. Spectres d'absorption de la phosphatase alcaline native (Courbe A) et d6natur6e (Courbe B), en solution aqueuse ~ pH 8.

A

~ - ' ~ xxx\XXx\x\x\\

lO \\\

5 \\ \\\

I 2 9 0 310 3 3 0 350 370 3 9 0 n m

Fig. 3- Spectres de fluorescence du L-tryptophane en solution dans le dioxane (Courbe A) et en milieu aqueux (Courbe B) ; de la phosphatase alcaline native (Courbe C) et d6natur~e (Courbe D) en solution aqueuse k pH 8.

Biochim. Biophys. Acta, 263 (i972) 482-495

488 D. GERARD et al.

I1 est ~ noter que les spectres de fluorescence obtenus par Schlesinger 8 pour cette m~me protdine native et d6natur~e sont, par rapport aux n6tres, ddcalds d'en- viron 13 nm vers les grandes longueurs d'onde. Cette divergence, qui doit tenir au dispositif expdrimental utilisd par cet auteur, est importante car elle conduit, comme nous le verrons, ~ une interprdtation tr~s diffdrente des rdsultats.

Rendement quantique Le Tableau I indique le rendement quantique des diffdrentes moldcules dtu-

di6es, pour une excitation X 280 nm.

T A B L E A U I

CARACTERISTIQUES DE FLUORESCENCE POUR UNE EXCITATION A 280 n m

)l,na~: p o s i t i o n d u m a x i m u m du s p e c t r e de f l uo re scence . ~ , ~1, q)~: r e n d e m e n t s q u a n t i q u e s (vo i r t e x t e ) . 7: d u r d e de v i e m o y e n n e de l ' d t a t e x c i t C

Solutions 2 .... (nm) q) q)l 02 T(ns) q~/z ~1~

L - T r y p t o p h a n e / d i o x a n e 33o 0.30 - - - - 4 . 5 ! o . 2 6 .6 . i o 7 - -

N - A c d t y l - L - t r y p t o p h a n - a n l i d e / d i o x a n e 330 o.31 - - - - 4 . 6 ~ o . 2 6.7" 107 - -

L - T r y p t o p h a n e / e a u ( p H 8) 35o o . I 4 - - __ 3.o ~-o.2 4 . 6 . 1 o 7 - - N - A c d t y l - L - t r y p t o p h a n -

a m i d e / e a u ( p H 8) 350 o.14 - - - - 3 - 0 ± ° .2 4 . 6 ' lO7 - - P h o s p h a t a s e n a t i v e

( p H S ) 330 - - 0 .087 o . I 3 - ~ o . o I 4 . 5 ± 0 . 2 - - 2 . 9 ' lO 7 P h o s p h a t a s e d d n a t u r d e

( p H 8) 35 ° - - o.o71 O . l l 3 . 5 ~ o . 2 - - 3.1. lO 7

Les rendements q) du tryptophane et du monom~re correspondant, dans le dioxane, Iq5 = 0.30 et q5 = 0.311 n'avaient pas encore 6td d6termin6s ~ notre con- naissance. Ire f a r qu'ils soient plus dlevds qu'en solution aqueuse Eq) = 0.141 s'inter- pr6te bien si l'on admet, avec Eisinger et Navon 3, qu'en milieu aqueux, la solvatation de la moldcule excitde entraine un abaissement du niveau d'6nergie qui favorise le processus de conversion interne et diminue par suite le rendement quantique d'dmis- sion. I1 est ~t noter que la prdsence de la fonction amide dans la moldcule de monom~re n'entraine pas de modification sensible du rendement quantique, que le solvant soit polaire (tampon aqueux) ou tr&s peu polaire (dioxane).

Pour la phosphatase alcaline, on a ddtermin6 le rendement quantique global q~l et le rendement corrigd q)2. L'6valuation de ce dernier n'est pas immddiate, car elle ndcessite de connaitre la fraction R de la lumi~re incidente absorbde {t 280 nm par le tryptophane. Or, le spectre d'absorption des rdsidus d@end du milieu dans lequel ceux-ci sont placds, comme l'a montrd notre 6tude des monom~res en solution dans l'eau et dans le dioxane.

Pour l 'enzyme ddnaturde, dont tous les rdsidus sont en nfilieu aqueux, la valeur de R e s t donnde par la relation:

I O E 1 R 0.68

I O 81 -}- 2 0 8 I "

dans laquelle el et e'~ d6signent respectivement les coefficients d'extinction molaire

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 489

des monom+res (N-ac6ty l t ryptophanamide et N-ac6tyltyrosinamide) en solution aqueuse.

Dans le cas de l ' enzyme native, on peut a d m e t t r e - - c o m m e nous le verrons plus lo in - -que les r6sidus t ryp tophane sont pra t iquement tous intraglobulaires; on a alors :

I O E 2 R -

io e~ + (hi' ~1' + n(~()

of a e2 et e'2 sont les coefficients d 'ext inct ion molaire des deux monom+res dans le dioxane, n' 1 et n' 2 les nombres de r6sidus tyrosine respectivement extra- et intra- globulaires (n' 1 + n' 2 : 20). Dans l ' ignorance des valeurs de ces nombres, nous avons d6termin6 R dans les deux cas limites oil les r6sidus tyrosine seraient tous intra- globulaires (n' 1 = o, R = 0.63) ou extraglobulaires (n' 2 = o, R = o.71 ) et nous avons ensuite calcu16 ~b 2 en adop tan t la valeur interm6diaire de R ---- 0.67.

Les r6sultats indiqu6s dans le Tableau I mont ren t que la d6naturat ion de la phosphatase entraine une 16g&re diminution des rendements quantiques ~b 1 et q)2, alors que pour des enzymes de m~mes caract6ristiques spectrales A l '6tat nat if (trypsine, chymotrypsinog~ne), on observe au contraire une forte augmenta t ion '2. I1 en r6sulte que la proposit ion de Konev 1, selon laquelle le rendement quant ique de fluorescence des r6sidus t ryp tophane est plus 61ev6 en milieu hydrophile qu 'en milieu hydrophobe, ne dolt pas ~tre consid6r6e comme une r~gle g6n6rale.

Durdes de vie moyenne des chromophores excitds Les dur6es de vie mesur6es A 24 °C sont 6galement rassembl6es dans le Ta-

bleau I. Pour le t ryp tophane en milieu aqueux A pH 8, notre r6sultat est en accord avec celui (3 -}- 0.3 ns) publi6 par de Lauder et Wahl 13, les autres valeurs indiqu6es n ' on t pas encore ~t6 d6termin6es A notre connaissance.

La dur6e de vie de la phosphatase alcaline nat ive (4.5 ns) est relat ivement 61ev6e si on la compare aux r6sultats obtenus par Pikulik et al. 14 avec d 'autres pro- t6ines (1.6 A 4.5 ns). Apr+s d6naturat ion, par contre, la dur6e de vie de la phosphatase (3.5 ns) est tout-A-fait comparable ~ celle des autres prot6ines d6natur~es (3.4 3.6 ns) xa, ainsi qu'A celle (3.5 ns) du t ryp tophane dans l'ur6e 8 M.

Extinct ion de la fluorescence par l'iodure de potassium On sait que diff6rents compos6s, l 'oxyg+ne et l ' iodure de potassium notamment ,

sont des inhibiteurs de fluorescence et p rovoquent l 'ext inct ion de l'6mission. D 'une mani+re g6n6rale, lorsque cette extinction r6sulte d 'une interaction bimol6culaire contr616e par la diffusion, la variat ion de l ' intensit6 de fluorescence I en fonction de la concentrat ion molaire EQI en inhibiteur ob~it ~ la loi de Stern-Volmer:

Io/I ~ i + K[Q 1 -- i + kq-r0EQ~

I 0 et z 0 d6signent respect ivement l ' intensit6 et la dur6e moyenne d'6mission du compos6 fluorescent en absence d' inhibiteur, K une constante et kq la constante cin6tique de la r6action conduisant ~ la d6sactivation de la mol6cule excit~e.

La Fig. 4 repr6sente la variat ion du rappor t Io / I en fonction de la teneur en iodure de potassium, pour des solutions aqueuses de t ryp tophane et de phosphatase alcaline native et d6natur6e. On constate que la variat ion lin6aire pr6vue pour Io / I est bien v6rifide exp6rimentalement, et l 'on peut alors calculer, A partir de la pente K

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

49 °

10" /

j j ~ l ~ j ~

D. GERARD et al.

I | i I

IM 2M 3M 4M

Fig. 4. Variat ion du rappor t Io/1 en function de la concentrat ion molaire en iodure de potass ium pour des solutions aqueuses de L- t ryptophane ( B - - - - B ) , de phosphatase alcaline d6natur6e ( [ 7 - - D ) et native (O 0 ) .

des droites obtenues et de la durfe de vie 3 0 mesur6e pr6c6demment, la constante cinftique kq.

Les valeurs de K et de kq ainsi dftermin6es sont indiqu6es dans le Tableau II.

TABLEAU I I

P A R A M E T R E S R E L A T I F S A L ' E X T I N C T I O N D E L A F L U O R E S C E N C E P A R L ' I O D U R E D E P O T A S S I U M

Solutions K(1.M -1) kq(M-l.s -1) To(ns ) d P

Tryp tophane io 3.3" lO9 3 4 ~r o.27 Phosphatase d6natur6e 3.2 0.9" lO 9 3-5 1.6 ~r o.27 Phosphatase native 0.35 0.o8. lO 9 4.5 (o-14 ~) o.27

DISCUSSION

En dehors des pr6cisions qu'ils apportent sur les propri6t6s de l'6tat excit6 des r6sidus tryptophane dans les prot6ines, ces r6sultats fournissent des indications quant

la localisation de ces r6sidus dans la phosphatase alcaline et ~ leur interaction avec les rfsidus voisins.

Biochim. Biophys. dcta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 491

Localisation des rdsidus tryptophane On peut obtenir des renseignements sur l 'environnement mol6culaire de ces

chromophores ~ part ir de caract6ristiques spectrales et de l 'extinction de la fluores- cence par des inhibiteurs.

(I) Spectres d'absorption On salt que l'6nergie d'excitation d 'un chromophore est d ' au tan t plus faible

que la polarisabilit6 des mol6cules voisines est plus grande 15. Comme la polarisabilit6 des mol&ules organiques est g6n6ralement sup6rieure/~ celle de l'eau, la d6naturation d'une prot6ine se traduit par un d6calage du spectre d'absorption vers les courtes longueurs d'onde, et l ' importance de ce d6calage doit d@endre de la proportion de chromophores dont l 'environnement change lots de la d6naturation, c'est-~-dire de la proportion des chromophores intraglobulaires.

Dans le cas de la phosphatase, la premi6re bande spectrale est essentiellement due ~ l 'absorption des r6sidus t ryptophane et tyrosine. Le fait que l'on enregistre, lots de la d6naturation de l 'enzyme, un d6placement du spectre analogue (3 nm) celui observ6 entre les solutions de monom~res dans le dioxane et dans l 'eau (Fig. I), est un indice global de ce que, dans la phosphatase native, la majorit6 des deux types de chromophores est situ6e ~ l'int6rieur de la macromol6cule.

(2) Spectres d'dmission L'influence du solvant sur le domaine spectral d'6mission du t ryptophane a

fait l 'objet de plusieurs 6tudes 1. On sait maintenant a que les effets observ6s sont dfis, pour l'essentiel, /~ l ' interaction 6lectrostatique du chromophore exci t6--dont le moment dipolaire a vari6 en grandeur et en direction lors de l 'exci ta t ion--avec les mol6cules voisines. Si celles-ci sont polaires et mobiles, elles subissent une r6orien- tation: l'6nergie du syst~me diminue et le spectre d'6mission est d6plac6 vers les grandes longueurs d'onde. Ce ph6nom~ne d@end donc ~ la fois de la constante di61ectrique et de la viscosit6 du milieu: en solution aqueuse et/~ temp6rature am- biante, le t ryptophane 6met vers 350 nm (Fig. 3, Courbe B), alors qu'en milieu non polaire et/ou ~ basse temp6rature, il 6met vers 320 nm (r6f. 3).

Dans le cas d'une prot6ine native, l 'emplacement du maximum du spectre d'6mission d@end du nombre de r6sidus t ryptophane respectivement situ6s l'int6rieur de la macromol6cule (donc en milieu hydrophobe, de grande viscosit6 et de faible polarit6) et ~ l 'ext6rieur de celle-ci (c'est-~-dire en milieu aqueux), n varie ainsi d'une prot6ine ~t l 'autre et, d'apr6s une 6rude de Teale 12 portant sur une ving- taine de prot6ines, il se situe entre 328 et 342 nm.

Pour la phosphatase alcaline, la longueur d'onde du maximum est de 330 nm: elle se classe donc parmi les plus courtes enregistr6es, et elle coincide d 'autre part avec celle obtenue avec les solutions de t ryptophane dans le dioxane, solvant de faible constante di6lectrique (e -- 2.2). Ces deux observations am~nent ~t conclure que, dans cette enzyme, les r6sidus t ryptophane sont en majeure partie situ6s ~ l'int6rieur de la macromol6cule.

Par contre, apr~s destruction de la structure tridimensionelle par d6naturation, on observe, avec la phosphatase comme avec les autres enzymes, l'6mission carac- t6ristique du t ryptophane en solution aqueuse, maximale ~ 35o nm.

(3) Extinction de la fluorescence par l'iodure de potassium La tr~s faible extinction de la fluorescence de la phosphatase native par l'iodure

de potassium confirme, qualitativement, les conclusions pr6c6dentes, ~ savoir que

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

492 D. GERARD et al.

les r6sidus tryptophane sont peu accessibles au solvant aqueux et donc placfs, pour la plupart d'entre eux, en milieu hydrophobe au sein de l'enzyme.

Des indications plus quantitatives peuvent 4tre obtenues 5~ partir des valeurs num6riques de la constante cin6tique d'extinction kq (Tableau II), dont l'expression th6.orique est par ailleurs donnfe par la relationlT:

N k . = A - - (DF + DQ) R {i - - R [ (DF + DQ)To]-½}P

I000

off N d6signe le nombre d'Avogadro, R la distance d'interaction entre les deux mol6cules fluorescente et inhibitrice, dont les coefficients de diffusion sont respective- ment DF et DQ, 3o la dur6e de vie moyenne de l'6tat excit6 du compos6 fluorescent en absence d'inhibiteur. Dans cette relation, A est un facteur st6rique repr6sentant l'angle solide sous lequel une molfcule inhibitrice peut librement s'approcher du chromophore excitfi, et P d6signe la probabilitfi pour que la rencontre des deux mol6- cules induise effectivement la d~sactivation non radiative du chromophore.

Consid6rons d'abord le cas d'une solution aqueuse de tryptophane, pour lequel A = 4 zr. Le coefficient de diffusion de l'ion I - est c o n n u ( D Q = 1.9" IO 5 cm 2. S-1; rff. 18), et celui du tryptophane peut ~tre estim6 ~ partir des coefficients de diffusion dans l'eau de mol6cules analogues TM, h savoir DF ~ o.9"1o -~ cm~'S -1. Compte tenu de ces valeurs et de celle trouv6e expfrimentalement pour la constante kq, on 6value la probabilit6 P de d6sactivation par rencontre I-- tryptophane: P = 0.27.

Dans le cas d'une solution de phosphatase d6natur6e, tous les r6sidus trypto- phane sont en milieu aqueux, mais ils sont inclus dans une chalne polypeptidique dont la structure est celle d'une pelote statistique et les r6sidus environnants s'oppo- sent ~t l'approche des ions inhibiteurs. Si l'on admet que la probabilit6 de d6sactivation par rencontre r6sidu--inhibiteur est la m~me que clans le cas pr6c4dent (P = o.27), on peut 6valuer le nouveau facteur st6rique A ~t partir de la valeur exp6rimentale de ko et de 1'expression th6orique, dans laquelle on pose alors DF = o, car le mouvement de diffusion de la macromol6cule est n6gligeable. La faible valeur (A = 1.6 ~) trouv6e pour l'angle solide d'approche montre l'importance de l'effet d'6cran exerc6e par la chaine polypeptidique sur les r6sidus tryptophane, vis-a-vis de l'inhibiteur.

Le m4me ealcul, effectu6 dans le cas de la phosphatase native, conduit h une valeur de A IO lois plus faible encore (Tableau II). ¢e r6sultat est toutefois sans signification, car on est iei en pr6sence de deux cat6gories de r6sidus tryptophane: les chromophores intraglobulaires, pour lesquels la probabilit6 de rencontre avec l'inhi- biteur est nulle, et les chromophores externes, auxquels on peut, en premi6re approxi- mation, attribuer des caract6ristiques (facteur st6rique et constante cin6tique) iden- tiques h celles des r6sidus tryptophane de la phosphatase d6natur6e (A = 1.6~; k d = o.9.1o 9 cmZ.S 1). En d6signant par ni et h e , respectivement, les nombres de r6sidus appartenant ~t ces deux cat6gories (hi + ne = IO), et en 6crivant que la valeur de la constante kq obtenue pour l'enzyme native est une valeur moyenne, on a:

i

i o

d'ofi l'on tire:

~e = 0 .9 ~ I

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 4 8 2 - 4 9 5

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 493

Ce raisonnement am6nerait ~t conclure ~ la pr6sence d'un seul tryptophane ext6rieur, en milieu aqueux. I1 convient toutefois de remarquer que, comme nous le verrons au paragraphe suivant, sur les dix rfsidus tryptophane que poss~de l'enzyme, moins de la moiti6 seulement participent A l'6mission dans le cas de la prot6ine native. En tenant compte de cette nouvelle donn6e, l'utilisation de la formule pr6c6dente conduit ~ une valeur de ne environ deux fois plus faible (ne ~- o,5), laquelle signifie en fait qu'aucun des r6sidus tryptophane de l'enzyme native n'est totalement "expos6" au solvant, comme le sont ceux de l 'enzyme d6natur6e.

Interactions entre les rdsidus tryptophane et la cha¢ne polypeptidique L'examen du Tableau I I montre que le rendement quantique 42 des r6sidus

tryptophane de la phosphatase est nettement inf6rieur au rendement q~ de l'acide amin6 et du monom+re en solution, aussi bien dans le cas de l 'enzyme native (#~ -- o.13 contre q~ - 0.31 pour le monom+re dans le dioxane) que dans celui de l'enzyme d6natur~e (q)2 = o . i i contre q5 = o.14 pour le monom~re en solution aqueuse). Le noyau indole, lorsqu'il est inclus dans une chalne polypeptidique, est donc soumis de la part des autres r6sidus ~ des processus d'extinction, sur la nature desquels la valeur de la dur~e moyenne d'6mission permet d'obtenir des informations.

En effet, on sait que, d'une mani~re g6n6rale, l'extinction de la fluorescence peut ~tre due ~ deux types d'interaction mol~culaire:

(I) L'une, "dynamique", off la rencontre entre le chromophore excit~ et l'inhibiteur r6sulte d 'un mouvement de diffusion. Dans ce processus, la dur~e de vie moyenne ~ de l'6tat excit6 et le rendement quantique q9 sont r6duits dans les m~mes proportions, et le rapport q)/v reste constant.

(2) L'autre, "statique", qui se manifeste lorsque l'inhibiteur est localis6 au voisinage imm6diat de la mol6cule excit6e. Cette interaction, quasi instantan6e, est trop rapide pour fitre d6cel6e exp6rimentalement sur la courbe de d6clin de l'6mission, de sorte que la dur6e de vie moyenne mesur6e est celle des chromophores non sournis

l'extinction statique. Un tel processus provoque donc une r~duction du rendement quantique sans affecter la dur6e moyenne de fluorescence, et entraine ainsi une diminution du rapport q~/T.

On peut d~terminer la proportion des r6sidus subissant l'extinction statique, en considfirant un schema cin~tique simple d~crivant les principales rfiactions de dfisactivation d'une molecule T de monom~re (N-ac~tyl-g-tryptophanamide) en solution :

he ( i ) T* --~ T + hv ( d ~ s a c t i v a t i o n r a d i a t i v e )

knr (2) T* --~ T -p c h a l e u r ( d ~ s a c t i v a t i o n n o n r a d i a t i v e s p o n t a n 6 e , i n c l u a n t l a c o n v e r s i o n

i n t e r n e e t / o u l ' i n t e r c o m b i n a i s o n s i n g u l e t - t r i p l e t )

Dans le cas d 'un rfisidu T situfi dans la protfiine, on doit envisager, de plus, les processus d'extinction:

kq (3) T* - : Q --~ T -p Q + c h a l e u r ( d ~ s a c t i v a t i o n n o n r a d i a t i v e d y n a m i q u e , i n d u i t e

p a r u n i n h i b i t e u r Q) (4) T* . . . S --+ T . . . S + c h a l e u r ( d 6 s a c t i v a t i o n n o n r a d i a t i v e s t a t i q u e , i n d u i t e p a r

u n r~s idu v o i s i n S)

Dans ce schfima, oil ]'excitation est d6not6e par une ast6risque, les coefficients

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 4 8 2 - 4 9 5

494 D. GERARD et al.

k d~,signent les constantes de vitesse des diff6rentes rfactions, et l'on admet, s'agis- sant dans les deux cas du noyau indole, que kf et knr sont les m~mes pour la mol6cule et le r~sidu.

Le rendement quantique ~M et la dur6e de vie d'dmission VM des solutions de monom~re sont alors donn6s par:

(ibM -- kf (kf @ knr) -1 TM : (hr + k,lr) - 1

Off

((~/'t')M --" kf

Dans le cas de la protfine, on a, en d6signant par ~o la traction des r6sidus soumis fi 1'interaction statique :

~ -- (I -- c,~) kr (k~ + knr + kq [QI) 1 Vprot - - (hf ~- knr + kq EQI) -1

d'ofl

( ~ / T ) , r o t - ( i - ~ ) k f

On dfiduit de ces relations:

( D = I (¢/~)~

et, tenant compte des valeurs du rapport (/)/v indiqu~es dans le Tableau II, on obtient o) = 0.58 pour la phosphatase nativc et o) = 0.22 pour la phosphatase d~natur6e.

Ces diff6rents r6sultats appellent les commentaires suivants: (a) Les dur~es de vie de l 'enzyme native et d~natur6e 6tant tr~s voisines de

celles des solutions de monom~re dans le dioxane et dans l'eau respectivement, on peut tout d'abord exclure l'existence d'une extinction dynamique des r~sidus trypto- phane par d'autres groupements de la chalne polypeptidique. Cette premiere con- clusion n'est d'ailleurs pas inattendue puisque les mouvements internes de la chaine (m~me dans le cas de l 'enzyme d6natur6e) sont vraisemblablement trop lents pour amener par diffusion un groupement au contact d 'un r6sidu excit6, durant la dur6e de vie de ce dernier.

(b) Par contre, les valeurs de oJ trouv~es ci-dessus montrent que, sur les dix r6sidus tryptophane de la phosphatase, six dans le cas de l 'enzyme native et deux dans celui de l'enzyme d6natur~e, sont soumis fl une extinction statique, c'est-fl-dire situ~s au voisinage imm~diat d 'un groupement inhibiteur. Le fait que le nombrc de r~sidus subissant cette extinction soit plus ~lev6 pour la prot~ine native s'explique aisdment, puisque l'action inhibitrice peut y ~tre due non seulement fl des r6sidus contigus de la chalne (ce qui est 6galement le cas pour la prot6ine d6natur6e), mais aussi h des groupements non adjacents que la conformation compacte et repli6e de la chaine place au contact du noyau indole.

CONCLUSION

L'~tude comparative des caract6ristiques de l'6tat excit6 le plus bas d'une prot~ine et de compos~s modules (prot6ine d6natur6e, amino-acides et amides N- ac6tyl6s correspondants) permet ainsi d'obtenir un certain nombre de renseignements sur le microenvironnement des r6sidus tyrosine et tryptophane, et, par lt~, sur la

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495

FLUORESCENCE DE LA PHOSPHATASE ALCALINE. I 495

conformation de la chaine polypeptidique. Dans le cas de la phosphatase alcaline, 6tudi~e dans ce travail, on a pu montrer que les propri6t6s moyennes du milieu intraglobulaire devaient ~tre proches de celles du dioxane, que les dix r6sidus trypto- phane 6talent presque tous situ6s ~ l'int6rieur de l 'enzyme et que six d 'entre eux devaient se trouver k proximit6 imm6diate de groupements inhibiteurs engendrant l 'extinction statique des chromophores excit6s. L 'examen des donn~es de la litt6- rature TM fait d'ailleurs penser que cette extinction statique se produit dans de nom- breuses prot6ines, et des t ravaux sont actuellement en cours au laboratoire pour d6terminer les r6sidus qui en sont responsables.

Rl~SUM]~

On 6tudie les propri~t6s de l '6tat excit6 singulet le plus has de la phosphatase alcaline d'Escherichia coli: spectres d 'absorption et d'6mission, rendement quantique et dur6e moyenne de fluorescence, d6sactivation par l'iodure de potassium. Les r~sultats sont confront~s h ceux obtenus avec des solutions de compos6s modules: enzyme d6natur6e, aminoacides aromatiques et amides N-ac6tyl6s correspondants. On montre ainsi, notamment , que le milieu intraglobulaire de la prot6ine est assez bien repr6sent6 par le dioxane, que les io r6sidus t ryptophane sont presque tous (8 ou 9) situ6s ~ l'int6rieur de l 'enzyme, et que 6 d 'entre eux sont, de plus, localis6s proximit6 imm6diate de r6sidus poss6dant des propri6t6s inhibitrices de fluorescence.

REMERCIEMENTS

Nous remercions Mademoiselle J. Dobruszkes pour sa collaboration ~ ce travail, qui a pu 8tre r6alis6 grace A l'aide de la Caisse Nationale de l'Assurance Maladie des Travailleurs Salari6s.

B I B L I O G R A P H I E

i S. V. Konev, Fluorescence and Phosphorescence of Proteins and Nucleic Acids, Plenum Press, New York, 1967 .

2 G. Weber, Biochem. J., 73 (196o) 335. 3 J. Eisinger et G. Navon, J. Chem. Phys., 5 ° (1969) 2069. 4 M. S. Walker, T. W. Bednar et R. Lumry, J. Chem. Phys., 47 (1967) lO2O. 5 C. Lazdunski, Th~se Facult~ des Sciences, Marseille, 1969. 6 F. R o t h m a n et R. Byrne, J. Mol. Biol., 6 (1963) 33 o. 7 C. Lazdunski et M. Lazdunski, Biochim. Biophys. Acta, 147 (1967) 280. 8 M. J. Schlesinger, Brookhaven Syrup. Biol., 17 (1964) 66. 9 G. Laust r iaL G. Pfeffer, H. Lami et A. Coche, Acta Phys. Polon., 26 (1964) 449.

IO G. Laustr ia t , G. Pfeffer, H. Lami et A. Coche, Colloque International d'electronique Nucleaire de Paris, i963 .

i i C. F. Lapp et G. Laustr iat , J. Chim. Phys., 68 (1971 ) 1333 . 12 F. W. J. Teale, Biochem. J., 76 (196o) 381. 13 w . B. de Lauder et P. Wahl, Biochemistry, 9 (197 o) 2750. 14 L. C. Pikulik, M. Y. Kostko, S. V. Konev, et E. A. Chernitskii, Dokl. Akad. Nauk. SSSR,

IO (1966) 6. 15 I. Tinoco, A. Halpern et W. T. Simpson, Polyamino Acids, Polypeptides and Proteins, Univ. of

Wisconsin Press, Madison, Wisc., 1962, p. 147. 16 M. J. K r o n m a n et L. G. Holmes, Photochem. Photobiol., 14 (1971) 113. 17 R. Voltz, Th~se Sci. Phys. , Strasbourg, 1965. 18 Handbook of Chemistry and Physics, The Chemical Rubber Company, Cleveland, 5oth edn,

1969.

Biochim. Biophys. Acta, 263 (1972) 482-495