Entretiens Sur Descartes

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Entretiens sur Descartes Alexandre KOYRE ________________________ 1. Le monde incertain La philosophie progressant lentement, les réponses que fournissent les grands philosophes aux questions simples (l'être, la cce, l'homme) demeurent importantes pendant des siècles: "l'actualité philosophique s'étend aussi loin que la philosophie ellemême", et mis à part Platon, nulle pensée n'est plus actuelle que celle de Descartes ; depuis trois siècles, toute la pensée européenne s'oriente par rapport à son oeuvre, qui constitue une des plus grandes révolutions intellectuelles pour la libération spirituelle. Or les intérêts spirituels de ses contemporains différaient des nôtres : le Discours de la Méthode (DM) était pour eux tout autre chose qu'il n'est pour nous, à savoir "un charmant petit livre qui contient surtout et avant tout une autobiographie spirituelle de Descartes; les fameuses quatre règles dont nous ne savons que faire (...); une petite esquisse de morale, assez stoïcienne et passablement conformiste; un petit traité de métaphysique, fort abstrus, avec le fameux "je pense donc je suis" et un exposé passionant pour l'historien, mais fort ennuyeux pour l'honnête homme de nos jours de recherches scientifiques faites et à faire", avec ses appendices (Dioptrique, Météores et Géométrie) qui ne sont plus lus aujourd'hui ; à l'époque, au contraire il s'agissait d'un gros bouquin contenant trois traités scientifiques novateurs et capitaux et agrémentés d'une longue préface philosophique, iè que pour ses contemporains et pour Descartes luimême, "le DM introduction à une science nouvelle, annonce d'une révolution intellectuelle dont une révolution scientifique sera le fruit est une préface" ; c'est qu'aujourd'hui, les traités sont dépassés tandis que le discours reste actuel. Le dernier traité de méthode en date, le Novum organum, se voulait également novateur en décrivant une science opérative et non plus contemplative pour déjà faire de l'homme le maître et possesseur de la nature; mais Descartes ne fait pas que la théoriser, il en montre l'application concrète dans ses traités qui seule permet de comprendre le sens des règles vagues et banales qui sont à vrai dire des lieux communsque donne le DM. Descartes n'était alors connu que dans le cercle littéraire et savant ; grâce à Mersenne, avec qui il gardera contact (cette boîte à lettres du monde savant, pour Huygens, et le procureur général de la République des Lettres pour Hobbes), son livre, bien qu'anonyme, est attendu et ne déçoit pas tant pour sa partie scientifique, très originale, que pour sa préface étonnante puisqu'il y conte, chose saugrenue, non seulement les voies par lesquelles il est parvenu à sa méthode mais aussi sa biographie ! Selon lui, cet exposé sert à ce que ses lecteurs puissent tirer profit de sa découverte, mais puisqu'il pourrait très bien se tromper, il ajoute que "mon dessein n'estil pas d'enseigner ici la Méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne (...) ne proposant cet écrit que comme une histoire ... ou comme une fable, en laquelle parmi quelques exemples qu'on peut imiter, on en trouvera peutêtre aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre ... J'espère qu'il (cet écrit) sera utile à quelquesuns, sans être nuisible à personne, et que tous me seront gré de ma franchise". La sollicitude (désir de venir en aide) envers ses contemporains est l'un des motifs les plus puissants de l'oeuvre de Descartes, mais elle demeure ici insuffisante pour expliquer ce fait : c'est que Descartes est un homme prudent et discret, qui pense à ce qu'il dit et ne dit pas ce qu'il pense; on se souvient de l'épisode Galilée, alors que son message est bien plus dangereux, puisque sa science nouvelle brise le cosmos en plus de chasser l'homme de son centre, et qu'il vient de mettre au point la plus formidable arme de guerre contre l'autorité et la tradition; et il tente déjà, et 1

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  • EntretienssurDescartesAlexandreKOYRE________________________1.LemondeincertainLaphilosophieprogressantlentement,lesrponsesquefournissentlesgrandsphilosophesauxquestions simples (l'tre, la cce, l'homme) demeurent importantes pendant des sicles:"l'actualit philosophique s'tend aussi loin que la philosophie ellemme", et mis partPlaton,nullepensen'estplusactuellequecelledeDescartes ;depuis troissicles, toute lapenseeuropenne s'orientepar rapport sonoeuvre,qui constitueunedesplus grandesrvolutions intellectuelles pour la libration spirituelle. Or les intrts spirituels de sescontemporainsdiffraientdesntres : leDiscours de laMthode (DM) taitpour eux toutautre chose qu'il n'est pour nous, savoir "un charmant petit livre qui contient surtout etavanttoutuneautobiographiespirituelledeDescartes; lesfameusesquatrerglesdontnousne savons que faire (...); une petite esquisse de morale, assez stocienne et passablementconformiste;unpetittraitdemtaphysique, fortabstrus,avec le fameux"jepensedonc jesuis"etunexpospassionantpourl'historien,maisfortennuyeuxpourl'honntehommedenos jours de recherches scientifiques faites et faire", avec ses appendices (Dioptrique,MtoresetGomtrie)quinesontpluslusaujourd'hui;l'poque,aucontraireils'agissaitd'ungrosbouquin contenant trois traits scientifiquesnovateurset capitauxetagrmentsd'une longue prface philosophique, i que pour ses contemporains et pourDescartes luimme,"leDM introductionunesciencenouvelle,annonced'unervolution intellectuelledontunervolutionscientifiqueseralefruitestuneprface";c'estqu'aujourd'hui,lestraitssontdpassstandisquelediscoursresteactuel.Lederniertraitdemthodeendate, leNovumorganum,sevoulaitgalementnovateurendcrivant une science oprative et non plus contemplative pour dj faire de l'homme lematreetpossesseurde lanature;maisDescartesne faitpasque la thoriser, ilenmontrel'application concrte dans ses traits qui seule permet de comprendre le sens des rglesvaguesetbanalesquisontvraidiredeslieuxcommunsquedonneleDM.Descartesn'taitalorsconnuquedans lecercle littraireetsavant ;grceMersenne,avecqui ilgarderacontact (cettebote lettresdumondesavant,pourHuygens,et leprocureurgnraldelaRpubliquedesLettrespourHobbes),sonlivre,bienqu'anonyme,estattenduetnedoitpas tantpour sapartie scientifique, trsoriginale,quepour saprfacetonnantepuisqu'ilyconte,chosesaugrenue,nonseulement lesvoiespar lesquelles ilestparvenusamthodemaisaussisabiographie !Selon lui,cetexpossertcequeses lecteurspuissenttirerprofitdesadcouverte,maispuisqu'ilpourraittrsbiensetromper, ilajouteque"mondesseinn'estilpasd'enseigner ici laMthodequechacundoitsuivrepourbienconduiresaraison,maisseulementde fairevoirenquellesorte j'ai tchdeconduire lamienne (...)neproposant cet crit que comme une histoire ... ou comme une fable, en laquelle parmiquelquesexemplesqu'onpeut imiter,onen trouverapeuttreaussiplusieursautresqu'onaura raisondenepas suivre ... J'esprequ'il (cetcrit) serautilequelquesuns, sanstrenuisiblepersonne,etquetousmeserontgrdemafranchise".Lasollicitude(dsirdeveniren aide) envers ses contemporains est l'un des motifs les plus puissants de l'oeuvre deDescartes,maiselledemeureiciinsuffisantepourexpliquercefait:c'estqueDescartesestunhommeprudentetdiscret,quipensecequ'ilditetneditpascequ'ilpense;onsesouvientde l'pisode Galile, alors que son message est bien plus dangereux, puisque sa sciencenouvellebriselecosmosenplusdechasserl'hommedesoncentre,etqu'ilvientdemettreaupoint laplus formidablearmedeguerre contre l'autoritet la tradition;et il tentedj,et

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  • sincrement,derduirelaportedecettemthodequin'estquelarvisionsystmatiqueetcritiquedetoutenosidesauxsiennes.Pourquoiseraconteildoncnous?Lesraisons lgresqu'ildonne impliqueraientquecettemthode,quidoit"amenerlaNHsonplushautdegrdeperfection",n'auraitqu'unevaleurstrictementpersonnelleetsubjective,etquechacunpourraitychoisircequiluiplat;or,rienn'estmoinscartsien,puisqu'elleformeunblocdontonnepeutrienextraireetqu'elleestlavoie, la seule, qui nous conduise la connaissance. Elle n'est certes pas d'une applicationuniverselle,longueetpniblequ'elleest,etservleradangereusepourceuxquinesontpascapablesde la suivre jusqu'aubout ;Descartesn'critdoncpaspour la foule,pasplusquePlatonouAugustin, ilnenousracontepassaconversionspirituellepournousfaireconnatrecequ'elleadesinguliermaispournousfairefaireretoursurnousmmesetnousyfairevoirl'expressiondelasituationessentielledel'hommedesontemps,laquelleseformuleendeuxmots:incertitudeetdsarroi.LeXVImesiclefutpossdd'unevritablepassionde ladcouverte(scientifique)etde laredcouverte(delaphilosophiegrecqueetorientale)etopraunlargissementsanspareildel'imagehistorique,gographiqueetscientifiquedel'hommeetdumonde,letoutreposantsurladestructiondesanciennescroyances (lapensehumaineestpolmique)sansque riennesoitreconstruit.Danscetamasderichessesetdedcombres,l'hommesesentperdudansunmondedevenuincertain,orienn'estsrettoutestpossible,etdoncorienn'estvraietoseulel'erreurestcertaine.C'estentoutcasleconstatd'Agrippa(Del'incertitudeetdelavanitdessciences),deSanchez(onnesaitrien)etdeMontaigne(l'hommenesaitrienparcequ'iln'estrien).Encestempsdecrise,laquestionn'estplusosuisje(dfinirl'hommeparrapportaucosmos)maisquesuisje:lecosmossedsagrgepuisqu'incertain,c'estpourquoiMontaignechercheenluimmelefondementdelacertitude,etcen'estpasdesafautes'ilnetrouvequefinitudeetmortalit,nant;maisiladmetsonchec,etsesEssaisnesontpasuntraitdudsespoirmaisuntraitdurenoncement.Or lescepticismen'estpastenable la longue,car l'hommeabesoindesedirigerdanslavie:aussinatauXVIImesicleunmouvementderaction,celuideCharron,BaconetDescartes(lafoi,l'exprience,laraison).DanslesTroisVrits,etDelasagesse,Charronopposel'incertitudenaturelledelaraisonlacertitude surnaturelle de la foi. Si son fidisme sceptique eut peu de succs, c'est que le"sentimentreligieux"taitinconnusonpoque,leDieudesonsicletantunDieuprouv.Baconlui,estunhommed'Etatetneseproccupepasdebatitudevenirmaisdebientreactuel : la raison thorique est certes encombre de chimres, mais c'est dans l'action,l'expriencequesetrouvent lesbasessresetcertainesdusavoir ; laraisonspculativeestdonclafolledu logisquis'garedsqu'ellequitte l'exprience,aussifautil l'alourdirpardesrgleset la contraindre l'usageempirique. l'incertitudede la raison livreellemme,Baconopposelacertitudedel'exprienceordonne(DeLaDignitetduProgrsdesSciences).Mais larformebaconienneatunchecparcequ'elleavoulusuivre l'ordredeschosesetnoncelledesraisons,parcequel'empirismenemnerienetquetouteexpriencesupposeunethoriepralable,unlangagedanslequelonposelesquestionslanature.Larvolutioncartsienne, elle, en librant la raison au lieu de l'entraver, a t un succs.ConcernantAristoteet lesscolastiques, ilnes'agitpourDescartesquede les remplacer,carsonvritableadversaire,etenmme temps sonvritablematre,estMontaigne. Il combatl'attitudesceptiqueenlapoussantjusqu'aubout;etparcequ'ilestpartoutalljusqu'auboutc'estlsaplusgrandevertuqu'ilapusesauverdel'erreur.

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  • 2.LecosmosdisparuOn pourrait appeller le DM itinraire de l'esprit vers la vrit. La premire des crises deDescartesestunecrisedejeunesseausortirdel'cole:crisededouteetdedceptionfacecequ'ilaappris.Toutescesconaissancesnesontcertespassansvaleur,maisellesnesontniclairesni certaines,alorsqu'on luiavaitpromisune scienceautantqu'une sagesse.Aucunen'estindispensablenimmetrsutileetrienn'estcertainendehorsdesmathmatiques;dela philosophie, qui est la plus douteuse puisqu'elle est au principe de la science scolaire,Descartesne sauveque les certitudesqui n'endpendent pas : la croyance enDieu et lesMathmatiques. Son tat d'esprit est celui de l'honnte homme de l'poque excd par lascolastiqueet lasciencedesontemps"Sittque l'gemepermitdesortirde lasujtiondemesprofesseurs, jequittaientirement l'tudedes lettres ;etme rsolvantdenechercherplusd'autresciencequecellequisepourraittrouverenmoimmeoubiendanslegrandlivredumonde[//Montaigne],j'employailerestedemajeunessevoyager,voirdescoursetdesarmes ...Et j'avaistoujoursunextrmedsird'apprendredistinguer levraid'avec lefaux,pourvoirclairenmesactions,etmarcheravecassuranceencettevie";maispourquoiquitterParis pour s'engager dans une arme trangre? La Hollande, alors une grande puissancemaritime et allie de la France, tait pleine de franais.De plus le voyage tait considrcommeunecoledelavie,branlantlesdernirescertitudes;jusqu'ici,toutestdoncnatureletnormal.C'estqu'ilnes'agitpasd'unecrisepersonnelledeDescartes,maisdelacrised'uneculture.Descartespropose,commeMontaigne,d'tudieren luimme,maissurvientdans lepoleune cassure : les sciences s'tantconstituespetitpetit,ellesnepossdentaucunecertitude et n'enseignent pas l'ordre vritable des choses ; il faut donc que quelqu'unentreprenne,unebonnefoispourtouteetcommepourlapremirefois,delesreconstruireetdelesmettreenordre.Descartesannoncedoncunevritablervolutionscientifiquedansdespagespourtantprudentesetrticentes."Pour ce que nous avons tous t enfants avant que d'tre homme (...) il est presqueimpossiblequenos jugementssoientsipursnisisolidesqu'ilsauraienttsinousavionseul'usageentierdenotreraisondslepointdenotrenaissance[etpascellequenouspossdonsl'gemr,encombred'erreurs],etquenousn'eussionsjamaistconduitsparelle":seulAdam est n en possession de toute sa raison, de sa raison essentielle. L'ide n'est pasnouvellemaisDescartesestlepremierl'avoirpriseausrieuxetentreprendrederendrenotreespritsapuretnative:rvolutionintellectuellequi,avecunradicalismeetuneaudaceinoue, proclame l'autocratie absolue de la raison, mme s'il cherche ensuite la rendreinoffensive quant aux vrites rvles (i religieuses), car il n'est pas un rvolutionnairepolitique:c'esttrssincrementqu'iltientlatranquilitetl'ordrepubliccarilenabesoinpour poursuivre ses recherches scientifiques. Le fait qu'il prenne les devants, de part saprudence,estlapreuvemanifestequ'ilcomprenaitlaporteuniverselledesamthode.Ilneveutpas rformer les idesdes autres, seulement les siennes : rformer, i crerde toutepice une logique, une physique et mtaphysique, suffit cet homme si modeste.L'homme, et l'humanit, a besoin une fois dans sa vie de se dfaire de toutes ses idesantrieures et reues (croyances et opinions) pour les soumettre toutes au contrle et aujugementde laraison, ise librerdetoutestraditionsetdetoutesautorits.Lesceptiquearaisondedouterdecertainesopinions,maisilnepeutpasdistinguerlesvraiesdesfausses;laseulesolutionestdevidersonespritcompltement(cfLettreauPreBourdin:"Sivousavezun panier de pommes dont plusieurs sont pourries et qui, partant, empoisonnent le reste,commentfairesinon levidertoutentier,etreprendre lespommesuneune,pourremettrelesbonnesdans votrepanier et jeter au fumier lesmauvaises");maisdenepas ensuite lelaisservide,puisquec'estparcettemmeraison,dcrasseetayantretrouvesaperfection

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  • naturelle, i capable de discernement, que le tri se fera, ne gardant que les ides qui "seprsenteraientsiclairementetsidistincementmonespritquejen'eusseaucuneoccasiondelesmettreendoute".Ledouteestlapierredetouchedelavritetdoitdonctreradical:ilnousfautdouterdetout,paslamanired'untatmaiscommeuneaction,unactelibreetvolontaire ( laphilosophieprsuppose cetteaffirmationeffectivede la libert);alorsque lesceptiquesubitsondoute,Descartesl'exercelibrement,ils'enestrendumatreiqu'ils'enestlibr.Possdantuncritredevrit, ilpeutexercerunecritique iun jugement,unchoix.Maisquellessontcesidesclairesetdistinctesquiformerontlargle,leniveauauquell'espritdevra ajuster toutes les autres ? Aux ides qui nous viennent de la tradition et des sens,Descartesopposelesidesmathmatiques,maislesmathmatiquesdoiventtreellesmmesrformes en gnralisant leurs mthodes i qu'il faut dgager l'essence mme duraisonnementmathmatique, l'esprit qui anime le droulement de ces longues chanes deraisons dont les gomtres ont coutume de se servir : il consiste dans le fait que lemathmaticien,quelsquesoientlesobjetsparticuliersdesontude,essayed'tablirentreeuxdes relationsouproportionsprcises,etde les relierspardes sriesde rapportsordonns.L'essence de la pense mathmatique est l'invention de rapports et d'un ordre entre cesrapports;pourelle,laraisonestsynonymedeproportionetderapport.lesrglesduDiscoursnous en enseignent les lois (hors mis la premire qui concerne simplement l'exercice dudoute):divisertoutrapportcomplexeenautantderapportssimplesqu'ilestpossible "dediviserchacunedesdifficults...enautantdeparcellesqu'ilsepourraitetqu'ilseraitrequispourlesmieuxrsoudre..."commencerparlesquationslesplussimplesetdelremonterpardegrsetenordreauxquationspluscomplexes"conduireparordremespensesencommenantparlesobjetslesplussimplesetlesplusaissconnatre,pourmonterpeupeu,commepardegr,jusqu'laccedespluscomposs..." intercaler des termes entres les termes extrmes en supposant tous les termes reliablesentreeuxparunesrie "...ensupposantmmede l'ordreentreceuxquineprocdentpasnaturellementl'undel'autre..."prendresoindenepaslaisserundestermesouunedesinconnuesduproblmenonrelisaux autres et ne pas crire moins d'quations que d'inconnues "... de faire partout desdnombrementssientiers,etdesrevuessignralesquejefusseassurdenerienomettre".LaplusgrandeconquteintellectuelledeDescartesestl'applicationdecettealgbrenouvellelagomtriequilarendindpendantedel'imaginationettransformel'espaceenuneentitpleinement intelligible (i la gomtrie algbrique, ou gomtrie analytique), et il en al'intuitionds1619,ainsiquedesesdeuxidesmatresses: l'unit des mathmatiques : les mmes mthodes, savoir algbriques, s'appliquent engomtrie et en arithmtique i aussi bien au nombre qu' l'espace; ce qui prouve que lachoseimportanten'estpasl'objetmaislamthode,ilesoprationsquireliententreeuxcesobjetsdansunordrefcondetvivantetnonunordrestatiquedesgenresetdesespcesdelalogiquescolastique, idansunordredeproductionetnondeclassement,ochaque termedpenddeceluiquileprcdeetdtermineceluiquilesuit;sibienqu'onvapouvoirtraduiretout rapport numrique en rapport spatial, et inversment, pour dgager une science,beaucoupplus gnrale,des rapportetde l'ordre, "science,purement rationnelle,et toute

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  • clairepour l'esprit,puisqu'en elle l'espritn'tudie riend'autre que sespropres actions, sespropresoprations,sespropresraisons"Koyr.etcelledessciencesetdetoutlesavoirhumainquinesontriend'autrequel'esprithumaindiversement appliqu aus objets : l'algbre nouvelle sera donc lemodle de toute sciencehumaine.Ainsi,ilestridiculedeclasseretdediviserlessciencesselonleursobjets.C'estdoncencommenantparlesidesdel'esprit(etsonordredecompositionimmanent)etnonparlaperceptiondes chosesque l'on retrouvera l'ordre vritabledes sciences, savoir l'arbredusavoir dont la philosophie est la racine, la physique le tronc et la morale le fruit. Lesfondements, les "semences", de cette nouvelle science se trouvent en nous, i que notreraisonn'estpasvideetnedoitpastoutrecevoirdudehors,ellecontientdesidesinnes,ouvritsternelles,essencespurementintelligibles,quervlerontl'ascserigoureusedudoutemthodique.MaisDescartes s'apperoitbienvitequec'estplus faciledirequ' faireetavouerammetretrsmalaisdesavoirquellessontaujusteces idesclairesetdisctinctes.IlrepartdoncenvoyagependantsixanspuisretourneParisoleclimats'estdgrad:l'honntehommeestdsormais franchementsceptique, libertin,diste (Mersennecompte50000athesdansParis) et une norme littrature apologtique s'abat sur lui.Au dbut,Descartes ignore cedbat, il vient de trouver les ides simples par o commencer, celles l mmes que lesphilosophes trouvent lesplusdifficiles : lesnotionsdemouvement,d'tendue,dedure,etsurtoutd'infini,et ilcrit sa logique (lesRegulae,o iloppose la richesseet la fconditdel'intuition intellectuelle la strilit de la rectitude formelle du syllogisme). Descartes estcroyant,mmesisonDieuestceluiduphilosophe,etcroitqu'ilya,endehorsdesmystressacrsdelareligionrvle,unevritreligieuseparfaitementaccessiblelaraisonhumaine, savoir l'existence de Dieu et de l'me ; cependant, il sait, avec les sceptiques, que lesargumentsquedfenseursdelafoileursassnentnevalentrien,euxquitententdeprouverDieupartous lesmoyens(ycomprispardesfaitsmerveilleux),etnesontpasseulementdescroyantsmaisaussidescrdules.Carmmeleursargumentsrationnelss'appuiesurl'anciennelogiquedductived'Aristote (du classementetdu concept,du fini), sur l'anciennephysiquefonde sur la donne immdiate des sens et le sens commun, et sur l'ancien cosmos djbranl par la science moderne, auxquels Descartes oppose une logique intuitive (de larelation et du jugement, fonde sur la primaut intellectuelle de l'infini), une physiquemathmatique (physique des ides claires, qui chasse toute donne sensible d'un universdevenu strictement mcanique, la plus invraissemblable pour un philosophe!).Cefaisceaudedcouverteconstituelarvolutioncartsienne.PourAristote,lecosmosestunmondeordonnetfiniochaquechoseasaplace,etestanimed'unetendances'yrendre,dtermineselonsavaleur,etafortioripourlechrtien,ilestbtipourl'homme;Descartesledtruitetleremplacepardel'tendue(lafoisespaceetmatireetdonclafoissansfinetsans limite) et dumouvement (sans fin ni but), soit presque rien; touts les lieux se valentparfaitement, ainsi que les choses, et il n'y pas plus de lieux propres, lemonde n'est pasordonn,iln'estpaschellehumainemaisl'chelledel'esprit.Savictoireestdonctragique:danscemondeinfinidelasciencenouvelle,iln'yaplusdeplaceni pour l'homme, ni pour Dieu ; c'est donc dans l'me qu'il nous faut chercher Dieu.3.L'universretrouvAprs la logiqueet laphysique,vient tardivement (9anssontpasss) lamtaphysiquepourrpondreunedoubleexigencedesapense:unbesoindecertitudereligieuse:sonuniversmcaniquene laisseplusdeplaceDieu,et

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  • pourtant Descartes est sincrement croyant ; cf ses Cogiationes privatae, Trois merveillesfaitesparDieu,savoirquelquechosederien [l'actecrateurdeDieuquipose lemondeune distance infinie de Luimme franchit l'infinie distance qui spare leNant de l'Etre] ,l'HommeDieu[l'Incarnationunit l'infinitdivine lafinitudehumaine]et le librearbitre[lalibertestuneralisationdel'infinidanslefini]enlesquellesserencontrentlefinietl'infini.cfLettreElisabethdu15/09/1645:l'hommeestcettrequipossdel'ideinnedeDieu;puisLettre Mersenne du 15/04/1630 : Descartes est un croyantphilosophe, il estime quel'existencedeDieupeutetdoittreprouve;orsaphysiqueadtruitlecosmoshirarchique,sa logiquearendu impossible lespreuvestraditionnelles (causede largression l'inifini).Cette mtaphysique, il ne l'a pas encore labor, mais il est en train d'en esquisser leprogramme:"Mtaphysiqueplus libre,moinsdiscursive,quecellede l''cole;mtaphysiqueproccupesurtoutdel'intuitionintellectuelledesprincipes,mtaphysiquequichercheraDieudansl'me,ainsiquejadisl'avaitfaitAugustin;etquis'efforcerademettreenoeuvrelagrandedcouvertecartsiennede laprimaut intellectuellede l'infini" (Koyr);enfin,Brulle,etsesamis, le somment de la formuler, s'tant mis d'accord sur le caractre prim del'apologtiquecourante,surlaruineameneparl'allianceavecAristote,etsurlancessitderemonter,pardel lethomismeet lascolastique,Augustin;onest laveilledePortRoyal,ungrandmouvementaugustiniencatholiqueseprpare;maisDescartesn'estpasunsimplediscipled'Augustin:alorsquecederniersecontentedeconnatreDieuetsonme,Descartes,lui,veutencoreunephysique,uneconaissancedumondepourpouvoiragirlibrement,etpourcefaireunemtaphysiqueilacautiondivine.unbesoindecertitude scientifiquedoncaussipuisqu'il faut fondermtaphysiquement lesbasesde la sciencenouvelle, car la science, loind'treautonome,doit commencerparunemtaphysique,alorsqu'ellen'enestque lecouronnementdans lescoles (premireen soi,elletaitdoncdernirepournous).Carlapensecartsienneestprogressive,ellevadesidesauxchosesetnonl'inverse,dusimpleaucomplexe,delathoriel'application,etnepartpasd'undiversdonnpourremonterdell'unitdesprincipesetdescausesquilesfondent.Ledonnn'estpaspourDescartes lesobjets complexesde la sensationmais l'objet simpledel'intuition intellectuelle. Comment parvientil bannir toute force et toute qualit de laphysique?N'estclairquecequel'intelligenceconoitsansaucunconcoursdel'imaginationetdusens,iquecequiestmathmatique,oudumoinsmathmatisable(note1l'idemmedevien'apassaplace,entrelapenseetl'tendue,iln'yarien).Maisdequeldroitconcluredel'ide(quin'estclairequepourmaraison)lachose?Onpeutparfaitementavoiruneideclaire de quelque chose qui n'existe pas. Pour Aristote, la rigueur et l'exactitude de lagomtries'expliquentpar le faitqu'ellenes'occupequedestresabstraits,c'estpourquoil'espaceeuclidien, infini,est justementunespace irrel,quin'existequedansnotreesprit ;tandis que le rel lui est riche de toutes les qualits que les sens y peroivent ; aussi, lagomtrienepourrajamaisexpliquerlemonderel.Lamtaphysiqueest lasciencedecequiest,etde laconnaissancedecequiest,etpour lafonder, ainsi que la physique comme science du rel, il faut dcouvrir un point o notrejugement concide avec le rel : cette foisci, le doute ira plus loin et englobera jusqu'auxmathmatiques ; ilnousfautcondamner lesens (lerveet lafolie),puis leraisonnementetl'intuitionintellectuelleellemme(erreurdecalcul,dedmonstration),inventerdenouvellesraisonsdedouter,avecl'hypothsedumalingnie.Maisc'esttoujoursparunedcisionlibrequejedoute;"laphilosophiedeDescartesnedmontrepaslalibertdelavolonthumaine.Ellelaprsuppose,etla"prouve"parsonexistencemme;commejadisDiogne"prouvait"lemouvementenmarchant" (Koyr).Or, si jeme trompe toujoursetpartout, il fautbienquemoi,quimetrompe,jesoisouj'existe,etadmettantquecesidessoienttoutesfausses,ilestbiencertainquejelesaies.Lapenseimpliquel'tre:jepensedoncjesuis,etjesuisuntrequipense,doute,nie, iun tre imparfait et fini etqui le sait ;or commentpercevoirma

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    propreimperfectionsijen'avaisenmoimmeuneidedequelquechosed'infinietdeparfait,Dieu."En effet, la logique cartsienne nous apprend que l'ide positive et premire, l'ide quel'espritconoitparellemme,n'estpas,comme lecroit levulgaireet lascolastique l'idedufini;mais,bienaucontraire,cellede l'infini.Cen'estpasenniant la limitationdufiniquel'espritseformelanotiondelanonfinitude.C'est,aucontraire,enapportantunelimite,doncunengation, l'idede l'infinitudeque l'espritenarrive concevoir le fini. Levulgaire selaisseabuserparlalanguequiconfreunnomngativeuneidepositive(etinversement).Maislalangueesttrompeuse,c'estausenscommun,d'ailleurs,qu'elles'adresse,commeaussic'estlesenscommunquilaforme.Pourlesenscommun,etpourl'imagination,l'infiniestsansdoute impossiblesaisir.Lefini,pourceuxl,vientd'abord.L'infini,parcontre, jamais ...[laraisoncartsienne]comprendquel'ideclairedufiniimpliqueetenglobecelledel'infinitude".LevulgaireauneidedeDieuetdeluimme,maisellessontobscurcies;pourDescartes,laconsciencedesoiimpliquelaconsciencedeDieu,etl'hommen'estriend'autrequel'trequiaune idedeDieu,etcette ideest siclairequ'elle implique sonexistence,demanirebienpluscertaineencorequelesplussimplespropositionsarithmtiques.Voildoncunesecondeide claire dont l'objet est rel : Dieu existe, car j'existe, moi qui ai une ide de Dieu.Dieuexiste,Dieuestcertain,orc'estluiquinousadonnl'tre,etc'estdeluiqueproviennentnosides;maisuntreparfaittelqueDieunepeutnoustromper:nosidesclairesetsimplessontdoncvraies ipeuvent fonderdes jugementsd'existence,ellesnousrvlent lerel telqu'ilestitelqueDieul'acre.Crateurdel'ideetdel'tre,Dieuaccordelesdeux.Unathelui ne pourrait tre sr de rien, tandis que la croyant, s'appuyant sur la vracit divine(l'existencedeDieugarantie lavaleurdes idesclairesetsimples),peut faireconfiancesaraison:laphysiqueestfonde.Et le fait que j'ai pu me comprendre sans rien connatre encore du mondetendue medmontreque jen'endpendspas,que jenesuispastenduenmoimme,que l'men'estpasliaucorps.Aujourd'hui, la primaut intellectuelle de l'infini demeure vraie mme si la mtaphysiquecartsienne s'estprime;etdemmeque laphysiquedeDescartestaitune revanchedePlaton, la physique d'Einstein est une revanche deDescartes, et ralise le vieux rve de larductiondelaphysiquelagomtrie;notrephysiquen'estpluscelledeDescartes,elleestpluscartsiennequelasienne.Certes lerelestplusrichequ'ilne l'acru, iln'estpasqu'tendueetmouvement;certes,samthodeestd'inquitudeetd'effort,puisqu'infinie,maissonmessagenoussembleplusactuelquejamais.