Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
1/42
Umberto Eco
Smiologie des messages visuelsIn: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 11-51.
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Eco Umberto. Smiologie des messages visuels. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp. 11-51.
doi : 10.3406/comm.1970.1213
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1213
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_134http://dx.doi.org/10.3406/comm.1970.1213http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1213http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1213http://dx.doi.org/10.3406/comm.1970.1213http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_134 -
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Umberto
Eco
Smiologie
des messages visuels1
1.
LES
CODES
VISUELS
1.1. Lgitimit de
la
recherche.
1.1.1. Personne ne met
en
doute, au niveau des faits
visuels,
l'existence
de
phnomnes
de
communication; mais
on
peut
douter du
caractre linguistique
de ces phnomnes.
Cependant,
la contestation,
raisonnable en
elle-mme,
du
caractre
linguis
tique
es phnomnes
visuels a souvent conduit refuser
aux
faits visuels toute
valeur de signe, comme
s'il
n'y avait de signes qu au niveau de
la
communication
verbale
(de
laquelle,
et
de laquelle
exclusivement,
doit
s'occuper
la linguistique).
Une
troisime
solution, essentiellement contradictoire mais
couramment
adopte,
consiste
dnier
aux faits
visuels
le
caractre de
signes
et
les interprter cepen
dant n termes linguistiques.
Mais si
la smiologie
est une discipline autonome, elle l'est justement en
tant
qu'elle
arrive
mettre en
forme diffrents
vnements communicatifs en
laborant des catgories
propres
telles que,
par
exemple, celles de code
et
de
message, qui comprennent,
sans
s y rduire, les phnomnes dcrits par les
linguistes comme langue et parole. Naturellement, la smiologie se sert
des
rsultats
de
la linguistique, celle
de
ses
diffrentes
branches
qui s'est dveloppe
de
la
manire
la
plus
rigoureuse. Mais,
dans
une
recherche smiologique,
il
faut
toujours
considrer
que
les phnomnes de communication ne sont
pas
tous expli
cables
avec
les
catgories
de
la
linguistique.
Une
tentative pour
interprter smiologiquement les communications visuelles
prsente donc
l'intrt suivant :
elle permet la smiologie
de
mettre
l'preuve
ses
possibilits d indpendance
par rapport la linguistique.
Puisqu il
existe des phnomnes de signification bien plus imprcis que les
phnomnes
de communication visuelle proprement
dits
(peinture, sculpture,
1. Ce texte est la
traduction
des quatre premiers chapitres de la seconde
partie,
iB. Lo
sguardo
discreto (Semiologia
dei messaggi
visivi)
,
pp. 105-164 de la Strultura
assente, Milano, Bompiani, 1968.
Il
reprend avec quelques complments et modifications
la
seconde
partie,
B.
Semiologia
dei messaggi
visivi
,
pp.
97-152,
d'un ouvrage ant
rieur : Appunti per una semiologia
dlie
comunicazioni
visive,
Milano, Bompiani,
1967.
(N.D.L.R.)
il
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Umberto Eco
EN
SOI
EN RAPPORT
A
L'OBJET
EN RAPPORT
A
l interprtant
Qualisign
Sin-sign :
Legisign :
Icne :
Indice :
Symbole :
Rhme:
Dici-sign
Arguments
:
dessin,
signalisation, cinma ou photographie), une smiologie
des
communicat
ions
isuelles pourra constituer
un pont
vers
la
dfinition smiologique des
autres systmes
culturels (ceux,
par exemple, qui
mettent
en jeu
des
ustensiles
comme
l'architecture
ou
le
dessin
industriel).
1.1.2.
Si
nous prenons
en
considration
les
distinctions
triadiques
proposes
par
Peirce,
nous nous apercevons
qu
chaque dfinition du signe peut corre
spondre un phnomne de communication visuelle.
une
tache
de couleur dans un
tableau abstrait,
la
couleur
d'un
vtement, etc.
le portrait de Monna
Lisa,
la
prise directe
d'un
vnement
tlvisuel,
un signal
routier.
une
convention iconographique, le
modle
de
la croix, le type
temple plan circulaire
...
le portrait
de
Monna
Lisa, un diagramme, la
formule
d'une
structure...
une
flche
indicatrice, une
tache
d eau
par
terre...
le
panneau de sens
interdit, la
croix, une
convention
iconographique...
un signe visuel
quelconque
en
tant
que
terme
d'un nonc possible.
deux signes visuels
lis de
manire
en faire
jaillir un
rapport.
un syntagme visuel complexe
qui met
en
rapport des signes de diffrents types; par
exemple
cet
ensemble de communications
routires
: (puisque) route glissante (donc)
vitesse
limite
60
km
.
Il est facile de comprendre,
partir de ce
rapide
catalogue, comment
peuvent
apparatre des combinaisons varies (prvues par Peirce) comme, par exemple,
un sin-sign
iconique,
un legisign iconique, etc.
Pour
notre
recherche,
les classifications concernant le signe en
rapport
avec
l objet
proprement
dit
apparaissent particulirement intressantes
et,
cet
gard,
nul ne songera nier
que
les symboles visuels
font
partie d'un
langage
codifi.
Les
cas des indices
et
des icnes paraissent plus discutables.
1.1 .3 . Peirce
observait
qu un indice est
quelque
chose qui
dirige l'attention
sur l objet indiqu
par une impulsion
aveugle. Indubitablement, quand
je vois
une
tache d eau,
je
dduis
immdiatement de cet indice qu il est tomb de
l eau,
de
mme
que
quand
je vois une
flche
de
signalisation, je
suis
port
me
diriger
dans la
direction
suggre
(tant pos,
naturellement, que
je suis intress
par cette communication; dans tous les
cas,
je recueille la suggestion de direc
tion). Toutefois, tout indice
visuel
me communique quelque chose,
travers
une impulsion
plus
ou moins
aveugle,
par rapport un systme de conventions
ou
un
systme d'expriences
apprises.
De traces sur le terrain,
je
conclus
la
prsence de
l animal
seulement si j ai appris
poser
un rapport conventionnalis
entre
ce signe
et
cet animal. Si les traces sont traces de quelque chose que
je
n ai
jamais vu (et dont on ne m a jamais
dit
quelles traces cela laissait),
je
ne
reconnais
pas
l'indice comme indice, mais je l'interprte comme un
accident
naturel.
On peut donc
affirmer
avec
une certaine
assurance
que
tous
les
phnomnes
visuels interprtables comme indices
peuvent
tre considrs comme des signes
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Smiologie des messages visuels
conventionnels.
Une lumire
inattendue
qui
fait battre mes paupires
m'amne
un certain
comportement
sous
le coup d'une
impulsion aveugle,
mais
aucun
processus de
semiosis
ne se
produit; il s'agit simplement d un
stimulus
physique
(mme un
animal
fermerait
les
yeux).
Au
contraire,
quand,
de
la
lumire
rose
qui se rpand
dans
le
ciel, je conclus
un imminent lever
du soleil,
je rponds
dj
la prsence d un signe
reconnaissable
par
apprentissage.
Le cas
des signes
iconiques est
diffrent et
plus douteux.
l.II. Le signe iconique.
1.11.1. Peirce
dfinissait les
icnes comme ces
signes qui
ont une certaine
ressemblance
native
avec
l'objet
auquel ils se rfrent1. On
devine en
quel sens
il
entendait la
ressemblance native
entre un
portrait
et la
personne peinte;
quant
aux diagrammes, par exemple, il affirmait
que ce sont des
signes iconiques
parce
qu ils
reproduisent
la
forme
des
relations
relles
auxquelles
ils
se
rfrent.
La dfinition
du
signe
iconique a
connu
une
certaine fortune
et
a
t reprise
par
Morris ( qui on
doit
sa
diffusion
et
aussi parce qu elle constitue
une
des tentatives
les plus
commodes et
apparemment les plus
satisfaisantes pour
dfinir smantiquement une
image).
Pour Morris, est
iconique
le signe
qui
possde
quelques proprits de Vobjet reprsent, ou, mieux qui a les proprits
de ses denotata 2 .
1.11.2.
Mais
ici, le
bon
sens, qui semble
d accord
avec cette
dfinition,
est
trompeur. Nous nous apercevons que, approfondie
la
lumire du
bon
sens
lui-mme,
cette dfinition est une
pure
tautologie. Que
signifie
le fait de
dire que
le portrait de la reine Elisabeth peint par Annigoni
a
les mmes proprits
que
la
reine
Elisabeth? Le
bon
sens
rpond
:
il
a
la
mme
forme
d'yeux,
de
nez,
de bouche, la mme
carnation, la
mme
couleur de cheveux, la mme stature...
Mais
que
veut dire la mme forme de nez ? Le nez a trois dimensions,
tandis
que
l'image du nez
en
a
deux.
Le nez,
observ
de prs, a des pores
et
des protu
brances minuscules, sa surface
n'est
pas lisse, mais
ingale, la diffrence
du nez du portrait. Enfin, sa
base,
le nez a deux trous, les narines,
tandis
que le
nez
du
portrait
deux
taches noires qui
ne
perforent
pas
la toile.
La reculade du bon sens s'identifie celle de la smiotique morrisienne : Le
portrait d'une personne est iconique jusqu
un
certain point,
il
ne l'est pas
compltement, parce
que
la toile peinte n a
ni
la
texture
de peau,
ni
la
facult
de parler
et
de bouger qu a la personne dont elle est le portrait. Une pellicule
cinmatographique
est
plus
iconique,
mais
elle
ne
l'est
pas
encore
compltement.
Pousse
l'extrme,
une vrification de
ce
genre ne
peut
que
porter
Morris
(et
le
bon sens)
la
destruction de
la
notion :
Un
signe compltement iconique
dnote
toujours, parce qu il est lui-mme un
denotatum
ce qui revient
dire
que le
vrai signe iconique complet de
la
Reine Elisabeth n'est pas
le
portrait
d
Annigoni mais la Reine elle-mme
(ou
un ventuel double de
science
-fiction).
Morris lui-mme, dans les
pages
suivantes,
inflchit
la rigidit de la notion et
affirme :
Un
signe
iconique, rappelons-le, est le signe semblable, par
certains
1. Collected
papers .
2.
Charles
Morris,
Signs, language
and
behaviour,
New
York,
Prentice
Hall, 1946.
Sur Morris,
voir
Ferruccio
Rossi-Landi,
Charles Morris, Rome, Boccas,
1953.
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Umberto Eco
aspects,
ce qu il
dnote.
Par consquent, l'iconicit est
une
question de degr 1.
Ensuite,
et
en se rfrant
des
signes iconiques non-visuels, il parle mme
d onomatopes
mais
il
est clair
que
la notion de degr est extrmement lastique
car la relation
d'iconicit
entre
l onomatope
italienne
chicchiricchi
et
le
chant
du
coq
est
trs
faible
pour
les
franais,
pour qui
le
signe
de
l onomatope
est
cocorico
.
Le
problme
rside tout entier dans le sens donner l'expression
par
certains
aspects
. Un signe iconique est semblable
la
chose par certains aspects.
Voil une dfinition
qui
peut contenter
le
bon
sens, mais pas
la smiologie.
1.II.3. Examinons une
annonce
publicitaire. Une main tendue me prsente
un verre d o dborde, mousseuse, la bire qu on vient
d y verser.
Sur le verre,
l'extrieur,
un mince
voile de
bue,
qui donne
immdiatement (comme
indice)
la sensation de fracheur.
Il
est
difficile
de ne
pas
en
convenir, ce syntagme visuel est
un
signe iconique.
Et
pourtant nous voyons
quelles
proprits de
l objet
dnot
il
a.
Sur
la
page,
il n'y
a pas de
bire,
pas de
verre,
pas de
patine humide et glace. Mais en
ralit,
quand je vois
un
verre de bire
(vieille
question psychologique qui emplit l'histoire
de
la philosophie) je perois bire,
verre
et fracheur, mais je
ne les sens pas :
je
sens
au contraire quelques stimuli
visuels,
couleurs,
rapports
spatiaux,
inc
idences de lumire, etc. (donc
dj
coordonns dans
un
certain champ perceptif),
et
je les coordonne
(dans
une opration transitive complexe)
jusqu
ce
que
s'engendre une
structure perue qui,
sur
la base d'expriences acquises,
provoque
une srie de synesthsies
et
me permet de penser : bire glace dans un verre .
Il
en
est de mme devant
un
dessin :
j prouve
quelques stimuli
visuels
et je les
coordonne
en
structure
perue.
Je travaille
sur
les
donnes d'exprience fournies
par
le
dessin
comme
je
travaille
sur
les
donnes d'exprience
fournies
par lasensation
:
je
les
slectionne
et
les
structure
selon
des systmes
d'expectations
et d'assomptions dus l'exprience prcdente, et donc par
rapport
des tech
niques apprises, c'est--dire
d'aprs des
codes.
Ici, le rapport
code-message
ne
regarde
pas
la
nature du
signe iconique,
mais
la mcanique elle-mme de la per
ception, qui, la limite, peut
tre
considre comme un fait de communication, comme
un
processus qui
s'engendre
seulement quand,
par rapport
un apprentissage,
on a
confr une
signification des stimuli dtermins
et
pas
d'autres
2.
On
pourrait donner
comme premire
conclusion
que : les signes iconiques ne
possdent
pas les
proprits de
l'objet
reprsent
mais
reproduisent quelques
conditions
de
la
perception
commune,
sur
la
base des
codes
perceptifs normaux et
en slectionnant ces stimuli
qui
d'autres stimuli tant
limins
peuvent me
permettre
de
construire
une
structure
perceptive
qui
possde
par
rapport
aux
codes de l'exprience
acquise
la mme
signification
que l'exprience
relle
dnote
par
le signe iconique.
Apparemment, cette dfinition ne
devrait
pas
branler profondment
la
notion
de signe
iconique
ou
d'image
comme
quelque chose qui
a une ressemblance
1. Charles Morris,
op. cit., VII,
2.
2.
Sur
la nature
transactionnelle de
la
perception cf. Explorations
in transactional
psychology, New York
Univ.
Press,
1961;
La perception,
P.U.F. 1965. Jean
Piaget,
Les
mcanismes
perceptifs,
P.U.F.,
1961. U.
Eco,
Modelli
e
strutture
,
in
//
Verri,
20. Sur
la
notion
de
Signification
cf.
J.
A.
Greimas,
Smantique
structurale,
Paris,
Larousse,
1966,
p. 6.
14
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
6/42
Smiologie
des messages visuels
native avec
l objet
rel. Si avoir une
ressemblance
native signifie ne
pas
tre
un signe arbitraire mais un signe
motiv,
qui tire son sens de la chose reprsente
et
non de
la convention
reprsentative, dans ce
cas,
parler de
ressemblance
native
ou
de
signe
qui
reproduit
quelques
conditions
de
la perception
commune
devrait
revenir au mme. L image (dessine ou photographie) serait encore
quelque
chose d' enracin dans
le
rel
,
un exemple d' expressivit naturelle
,
immanence
du sens
la chose1, prsence de la ralit dans
sa
significativit
spontane
.
Mais si la notion de signe iconique est mise en doute, c'est prcisment parce
que
la smiologie a
la
tche de ne s'arrter ni aux apparences ni l'exprience
commune.
A
la
lumire de
l'exprience commune, il n'est
pas
ncessaire
de se
demander
par rapport
quels
mcanismes nous percevons : nous percevons,
un
point
c'est
tout.
Pourtant
la psychologie
( propos de
perception) ou la
smiol
ogie
propos de communication) s'instaurent prcisment au moment o l'on
veut
ramener
l'intelligibilit un processus
apparemment
spontan
.
C'est
une donne
de
l'exprience commune
que
nous
pouvons
communiquer
non
seulement par des signes verbaux (arbitraires, conventionnels, articuls
par
rapport
des units
discrtes), mais encore
travers des signes figuratifs
(qui
apparaissent
naturels et
motivs,
lis intimement
aux
choses et
se
dvelop
pante long d'une sorte de continuum sensible) : le
problme
de la smiologie des
communications visuelles est
de
savoir comment un signe, graphique ou
photo
graphique,
qui n a aucun lment
matriel en
commun avec les choses, peut
apparatre gal
aux choses. S il n'y a pas
d'lments matriels
communs, le
signe
figuratif peut communiquer, au moyen de supports trangers, des
formes
rela
tionnelles gales. Mais
le problme
est justement de savoir ce que sont
et
comment
sont
ces relations, et comment elles
sont communiques.
Sinon,
toute
reconnais
sance
e
motivation
et
de
spontanit donne
aux
signes
iconiques
se
transforme
en une
sorte de
consentement
irrationnel
un phnomne magique et
mystr
ieux,
inexplicable
et
acceptable seulement dans
un
esprit de dvotion
et
de
respect,
par le
fait mme qu il apparat.
1.II.4. Pourquoi la reprsentation de la patine glace sur
le
verre
est-elle
iconique? Parce que, en face du
phnomne rel, je
perois sur
une
surface
donne,
la prsence
d'une
couche uniforme
de matire
transparente
qui,
frappe
par la
lumire,
donne
des
reflets argents. Dans le dessin, j ai,
sur
une
surface
prexistante, une
patine de matire
transparente
qui, dans le contraste
entre
1.
L'image
n'est pas l'indication d'autre chose qu'elle-mme, mais
la
pseudo
prsence
de
ce
qu'elle-mme contient... Il y a expression
lorsqu'un
sens
est en
quelque
sorte
immanent une chose,
se dgage
d'elle directement,
se
confond
avec sa
forme
mme... L'expression
naturelle (le paysage, le visage)
et l'expression esthtique
(la
mlancolie
du
hautbois
wagnrien)
obissent
pour
l'essentiel au
mme
mcanisme
smiologique
; le
sens se dgage
naturellement
de l'ensemble
du
signifiant, sans
recours un
code.
(Christian Metz, Le Cinma
: langue ou
langage?
in
Communic
ations
.)
2. La ralit n'est que
du cinma
en naturel; Le
premier
et
le principal
des langages
humains peut tre
l'action mme
; donc les units minimales de la langue cinmato
graphique sont
les divers objets
rels qui composent un cadrage .
P. P. Pasolini
dans
la
langue crite de
l'action , confrence
prononce
Pesaro
en juin 1966 et publie
dans Nuovi
argomenti,
avril-juin
1966.
A
ses
positions
nous rpondrons
plus
complte
ment
n 4.1.
15
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8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
7/42
Umberto
Eco
deux tons
chromatiques
diffrents (provoquant
eux-mmes l'impression de lumi
nosit incidente), donne des reflets argents. Une certaine
relation
se maintient
entre
les stimuli,
gale
dans
la ralit et
dans le dessin,
mme
si le support
matriel
travers lequel
est ralise la stimulation est diffrent. Nous pouvons
dire
que,
si
la
matire
de
la stimulation est change, la relation
formelle
ne
l'est
pas. Mais mieux rflchir, nous nous apercevons
que
cette
relation formelle
prsume est
elle-mme
assez
vague.
Pourquoi la patine
dessine,
qui
n'est
pas
frappe par une
lumire
incidente, mais
est
reprsente comme frappe par une
lumire
reprsente, parat-elle donner
des
reflets argents?
Si
je
dessine la plume
sur une
feuille de papier la
silhouette
d'un
cheval, en
la rduisant
une ligne continue et
lmentaire,
chacun
sera
dispos reconnatre
dans mon dessin
un
cheval
et pourtant
l unique proprit
qu a
le cheval du dessin
(une ligne
noire
continue) est
l unique
proprit
que
le vrai cheval
ri
a pas. Mon
dessin consiste en
un signe
qui dlimite
1
espace dedans = cheval en
le spa
rant
de
1 espace dehors = non cheval
,
alors
que
le cheval ne possde
pas
cette
proprit.
Dans
mon dessin
je
ri
ai
pas
reproduit
des
conditions
de
perception,
puisque
je perois
le
cheval
d aprs
une grande
quantit de stimuli
dont aucun
n'est
comparable
de prs
ni
de loin
une ligne continue.
Nous
dirons
alors
que : les signes iconiques
reproduisent
quelques conditions
de
la perception
de V objet,
mais aprs les avoir
slectionnes selon
des
codes de recon
naissance
et les avoir
notes
selon des
conventions
graphiques par lesquelles un
signe
arbitrairement
donn
dnote
une condition donne
de
la
perception ou,
globalement, dnote un peru
arbitrairement rduit
une
reprsentation
sim
plifie
1.
1.II.5.
Nous
slectionnons
les aspects fondamentaux du
peru
d'aprs des
codes
de
reconnaissance
:
quand,
au
jardin zoologique,
nous voyons
de
loin
un
zbre,
les
lments
que
nous
reconnaissons immdiatement
(et
que
notre
mmoire
retient)
sont
les
rayures,
et
non
la silhouette
qui
ressemble vaguement
celle
de l'ne ou du mulet.
Ainsi,
quand nous dessinons
un zbre, nous nous proc
cupons de rendre reconnaissables les rayures, mme si
la
forme de l animal est
approximative et peut, sans
rayures,
tre remplace par celle d un cheval. Mais
supposons
qu il
existe une
communaut africaine
o
les
seuls
quadrupdes
connus
soient
le
zbre et
l'hyne
et o soient inconnus chevaux, nes,
mulets :
pour
reconnatre le zbre,
il
ne
sera
pas
ncessaire
de percevoir des rayures
(on
pourra
le
reconnatre de
nuit,
comme ombre,
sans en
identifier la robe)
et pour
dessiner
un
zbre,
il sera
plus
important d'insister
sur la forme du museau
et
la longueur
des
pattes, pour distinguer
le quadrupde reprsent de l'hyne (qui a elle aussi
des
rayures
:
les
rayures
ne
constituent
donc
pas
un
facteur
de
diffrenciation).
Ainsi,
mme les codes de reconnaissance
(comme
les
codes
de la
perception)
concernent les
aspects
pertinents
(c est
le cas
pour
tout
code).
De la slection
de ces
aspects
dpend la possibilit de reconnaissance du
signe iconique.
Mais les
aspects pertinents
doivent
tre communiqus. Il existe donc un code
iconique qui
tablit V
quivalence entre
un
certain signe graphique et
un
lment
pertinent
du
code de reconnaissance.
1. Malgr la diffrence des
positions
et des objectifs,
on
peut trouver nombre d'obser
vations utilises in Herbert
Read,
Education through art, Faber
&
Faber, London, 1943.
De
mme
chez Rudolf
Arnheim,
Art
and
Visual
Perception,
University
of
California
Press,
1954.
16
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
8/42
Smiologie des messages visuels
Observons un
enfant de quatre ans :
il s'allonge
plat
ventre sur un guridon
et, pivotant sur ses hanches, commence
tourner
comme
l'aiguille d'une boussole.
Il
dit
: Je suis
un
hlicoptre . De toute faon, de
la
forme complexe de
l hl
icoptre,
il
a
retenu,
d aprs
les
codes
de
reconnaissance
:
1)
l aspect
fondamental
par lequel il se distingue
des
autres machines
:
les pales tournantes; 2) des trois
pales tournantes,
il
a retenu seulement l'image de deux pales
opposes,
comme
structure lmentaire dont la
transformation
produit les diffrentes pales; 3)
des
deux
pales, il
a retenu
la relation gomtrique fondamentale; une
ligne
droite
pivotant de 360 degrs autour d un
axe
central. Ayant acquis cette relation
de base,
il
l a
reproduite dans et avec son propre corps.
Je
lui
demande
alors
de
dessiner un hlicoptre,
pensant que,
puisqu il en
a
saisi
la structure lmentaire,
il la
reproduira dans le dessin. Or,
il
dessine mala
droitement
un
corps
central tout autour
duquel
il plante
des
formes parallli-
pipdiques, comme
des
pieux, en nombre indtermin (il en
ajoute
de plus en
plus)
et en
ordre
dispers comme
si
l objet
tait
un
hrisson,
en
mme temps
qu il
dit
: Et
l,
il
y
a
beaucoup, beaucoup
d'ailes
.
Alors
qu en
utilisant son
corps,
il
rduisait l'exprience une structure extrmement simple,
en
utilisant son crayon
il porte l'objet
une structure trs complexe.
D un
ct
sans aucun doute
il mimait
avec, son corps
mme
le
mouvement
que,
dans le
dessin,
il
ne parvenait pas mimer
et
qu il
devait donc
rendre
en
fichant
des
ailes apparentes; mais il aurait
pu
rendre
ce
mouvement comme ferait
un
adulte,
par
exemple
en dessinant
des lignes droites s'entrecroisant
en leur
milieu, en toile.
Il
est de
fait
qu il ne peut
pas
encore mettre en code (graphique)
le type
de
structure
qu il est
parvenu,
avec son corps, si bien reprsenter
(puisqu il
l a
dj caractris, modlis ).
Il peroit
l'hlicoptre,
en
labore
des modles de reconnaissance, mais
il
ne sait
pas
tablir Vquivalence
entre
un
signe
graphique conventionalise
et
le
trait
pertinent
du
code
de
reconnaissance.
C'est
seulement quand
il
parvient cette opration (et, cet ge, cela arrive
pour
le
corps humain,
les
maisons et
les automobiles) qu il
dessine
d'une manire
reconnaissable.
Ses figures
humaines
font
dj partie
d'une
langue ; son hli
coptre, au contraire,
est
une
image
ambigu qui doit tre relie
une
explication
verbale,
donnant
les
quivalences
et
faisant
office de code
1.
1.II.6. Quand
les
instruments s'acquirent, alors un certain signe graphique
dnote
membre
infrieur
, un autre il , etc.
Il
n'est
pas
utile d'insister sur
la
conventionalit de
ces
signes
graphiques,
mme si, indubitablement, ils parais
sent
tructurs
de
manire
homologue
certaines relations qui
constituent l objet
reprsent. Mais, ici
aussi, il
convient de ne pas
confondre relations
conventionnel-
lement
reprsentes
comme
telles
et
relations
ontologiques.
Que
la
reprsen
tation
chmatique
du soleil consiste en
un cercle d'o
partent des lignes
suivant
une symtrie rayonnante, pourrait
nous faire
penser
que
le
dessin
reproduit
rellement
la
structure, le systme de relations
entre
le
soleil
et
les rayons de
lumire qui en
partent. Mais nous nous apercevons immdiatement
qu aucune
doctrine
physique ne nous permet de reprsenter l'ensemble des
rayons
de
lumire
mis par le
soleil
comme un cercle de
rayons
discontinu.
L image
convent
ionnelle (l'abstraction scientifique)
du
rayon lumineux isol qui se propage en
1. Ici
l'on
parle d'un
usage
rfrentiel
du
signe iconique.
Du
point de vue esthtique,
l'hlicoptre
peut
tre
apprci pour
la
fracheur,
l'immdiatet
avec
lesquelles
l'enfant,
sans possder de code, a
d inventer
ses propres
signes.
17
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Umberto
Eco
ligne droite domine
notre
dessin. La
convention
graphique s'exprime dans
un
systme de
relations
qui ne
reproduit
en aucune manire le systme de
relations
typique
d'une
thorie, qu elle
soit
corpusculaire ou ondulatoire, concernant la
nature de
la
lumire.
Donc,
au
maximum,
la
reprsentation iconique schmatique
reproduit certaines des proprits
d'une autre
reprsentation schmatique,
d'une
image conventionnelle, ici celle
selon
laquelle le soleil
est
une
sphre
de feu d o
manent
des lignes de lumire.
La dfinition
du
signe iconique comme tant
celui qui
possde certaines
pro
prits de
Vobjet
reprsent,
devient donc
encore plus problmatique. Les proprits
communes sont-elles les proprits de
l objet que
l on voit ou
celles que
l'on
connat? Un enfant dessine le profil
d'une
automobile, mais les quatre roues sont
visibles
:
il identifie et reproduit
les proprits qu il
connat;
puis
il apprend
mettre
en code
ses signes
et
reprsente
l automobile avec deux roues (les deux
autres, explique-t-il,
ne se
voient
pas) :
il
ne
reproduit alors que
les
proprits
qu il
voit.
L'artiste de la Renaissance reproduit les proprits qu il voit, le
peintre
cubiste,
celles
qu il
connat
(mais
le
grand
public
est
habitu
ne
reconnatre
que
celles qu il voit et ne reconnat
pas
dans
le tableau
celles
qu il
connat). Le
signe
iconique peut
donc
possder, parmi les proprits de l'objet, les proprits
optiques
(visibles),
ontologiques (prsumes) et conventionnelles
(modlises,
connues
comme
inexistantes
mais comme dnotant efficacement : ainsi les rayons
de soleil en baguettes).
Un
schma
graphique reproduit
les
proprits relationnelles
d'un
schma
mental.
1.II.7. La convention
rgle
chacune de nos oprations figuratives. Face au dess
inateur qui reprsente le cheval
par une
ligne filiforme
et
continue qui n'existe
pas dans
la
nature, l aquarelliste peut s'attacher avant
tout
aux
donnes naturelles
:
en
fait,
s'il dessine
une
maison
sur
fond
de
ciel, il ne
circonscrit
pas
la
maison
dans son
contour,
mais rduit
la diffrence entre
figure
et fond
une diffrence
de
couleurs
et d'intensit
lumineuse
(principe mme auquel s'attachaient les
impressionnistes, qui voyaient dans les diffrences de tons des variations d'intens
itumineuse). Mais de toutes
les
proprits
relles
de l objet
maison et
de
l objet ciel , notre peintre choisit au fond
la moins stable et la
plus ambigu :
sa capacit d'absorber
et de
reflter
la
lumire.
Et
que
la diffrence de ton repro
duise une diffrence d'absorption de la
lumire
par une surface opaque, cela
dpend
encore une fois
d'une
convention.
Cette
constatation est
valable
pour
les
icnes graphiques comme
pour
les icnes photographiques.
La
conventionalit
des
codes
imitatifs
a bien t souligne par Ernest Gombrich
dans
Art
et
illusion,
o
il
explique,
par
exemple,
ce
qui advint
Constable
lors
qu'il labora une
nouvelle technique
pour rendre la prsence de la lumire dans
le paysage. Le tableau de Constable, Wivenhoe
Park,
a
t inspir par une
potique
de la
restitution
scientifique de la
ralit,
et il nous
apparat
nettement
photographique , dans sa
reprsentation
minutieuse des arbres, des
animaux,
de l eau
et
de la luminosit
d'une
zone de pr frappe par
le soleil.
Mais nous
savons que sa
technique
des contrastes tonals, quand
ses
uvres furent exposes
pour la premire
fois, ne fut pas
perue comme une
forme
d'imitation
des rapports
rels de lumire, mais comme
un
arbitraire bizarre.
Constable
avait
donc
invent
une nouvelle
manire de mettre en
code notre perception de la lumire et de
la transcrire sur la toile.
Gombrich, pour
montrer
la
conventionalit
des systmes de notation,
se
rfre
aussi
deux
photographies de Wivenhoe
Park prises
sous
le
mme angle,
qui
18
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Smiologie des messages visuels
montrent avant tout que le
parc
de Constable avait peu de
choses en
commun
avec
celui de la
photographie, sans pour autant, en
seconde
instance,
dmontrer
que
la photographie constitue le paramtre sur
lequel
juger l'iconicit de la
peinture.
Que
transcrivent
ces
illustrations?
Certes,
il
n'y
a
pas
un
centimtre
carr de la photographie
qui
soit, pour
ainsi dire,
identique
l'image
qu on
pourrait avoir sur place en
utilisant
un miroir.
On le
comprend.
La
photographie
en blanc et noir ne donne
que des
gradations
de ton
dans une gamme trs
limite de
gris.
Aucun de ces tons, videmment, ne
correspond
ce que nous
appelons
la ralit .
En
fait, l'chelle
dpend
en grande partie
du
choix
du
photographe au moment
du dveloppement du
tirage,
et
c'est
en
grande partie
une
question de technique. Les deux
photographies
reproduites proviennent du
mme
ngatif.
L une tire sur une chelle trs limite de gris, donne un effet de
lumire voile; l'autre plus contraste, donne
un
effet diffrent. Pour cette raison,
le tirage
n'est
mme
pas
une pure transcription du ngatif... Si cela est vrai
pour
l'humble activit
d un photographe, ce le sera encore plus
pour
celle d un
artiste.
En
fait,
l'artiste, lui
non
plus,
ne
peut
transcrire
ce
qu il
voit
:
il ne
peut
le traduire
que
dans les termes
propres
au moyen dont il dispose
1.
Naturellement, nous parvenons
saisir
une solution
technique donne comme
reprsentation
d'une
exprience
naturelle
parce
que,
en
nous, s'est form un
systme
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
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Umberto Eco
graphique
tacitement
accepte, mais dans d'autres
cas,
la reprsentation iconque
instaure de vritables crampes de la perception, et nous sommes ports
voir
les
choses
comme les signes iconiques strotyps nous les ont
depuis
longtemps
prsentes.
Il
y
a,
dans
le
livre
de
Gombrich,
de
mmorables exemples
de
cette
attitude.
Villard
de
Honnecourt, architecte et dessinateur
du xme
sicle, affirme
copier
un
lion
d aprs
nature
et
le reproduit
suivant
les conventions hraldiques de
l poque les plus
manifestes (sa perception
du
lion est conditionne par
des
codes
iconiques en usage
;
ses
codes
de transcription iconique ne lui permettent
pas de transcrire
autrement la
perception;
et il est
probablement si habitu
ses
propres codes
qu il croit transcrire ses
propres
perceptions de la
manire
la plus
convenable).
Durer
reprsente
un
rhinocros
couvert
d caills
et de
plaques de
fer
imbri
ques, et cette image du rhinocros se perptue au moins deux
sicles
et
rappar
at
ans les livres des
explorateurs et
des zoologues (qui
ont
vu
de
vrais
rhino
cros
et
savent
qu ils
n'ont
pas d caills
imbriques,
mais
ne
parviennent
pas
reprsenter
la rugosit
de
leur
peau
autrement
que par ces cailles, parce qu ils
savent
que, seuls, ces signes graphiques
conventionalises peuvent
dnoter
rhinocros
pour
le
destinataire
du
signe
iconique J).
Mais
il
est vrai que Durer
et ses imitateurs
avaient tent de
reproduire
d'une
certaine
manire certaines conditions de la perception
que
la reprsentation
photographique du rhinocros, au contraire, laisse de ct ; dans le livre de
Gomb
rich, le
dessin
de
Durer est
indubitablement
risible
ct de
la photo d un vrai
rhinocros, qui apparat avec une peau presque lisse
et
uniforme ; mais nous savons
que, si
nous examinions
de prs
la
peau d'un rhinocros,
nous
y verrions
un
tel
jeu de rugosits
que,
sous un certain angle
(dans le
cas, par exemple, d un parall
le
ntre
la
peau
humaine
et
la
peau
de rhinocros)
l'emphatisation graphique
de Durer, qui
donne
aux
rugosits une
vidence excessive
et stylise, serait bien
plus
raliste que l'image
photographique qui, par convention, ne
rend que
les
grandes
masses
de
couleurs et uniformise
les surfaces opaques en les
distinguant
au plus par des diffrences de ton.
1.II.9. C'est
dans
cette continuelle prsence
des facteurs de
codification
qu il
faut
donner aux
phnomnes
d
expressivit
d'un dessin
leur
vritable dimens
ion.
ne curieuse exprience sur le
rendu des
expressions
du visage
dans
les
comics 2 a donn des rsultats inattendus. D habitude,
on
retenait
que
les dessins
des comics (qu on pense aux
personnages
de Walt Disney) sacrifiaient nombre
d'lments ralistes pour mettre au maximum
l accent sur
l'expressivit
;
et
que
cette
expressivit
tait
immdiate,
si
bien
que
les
enfants,
mieux
encore
que
les
adultes,
saisissaient les
diverses
expressions de
joie,
pouvante, faim, colre,
hilarit,
etc.
par une sorte de participation inne.
L'exprience
a montr, au
contraire, que la capacit de comprhension des expressions
crot avec
l ge
et
le degr
de
maturit et qu elle est rduite chez
les
petits
enfants. Signe
donc
que
dans ce cas
aussi, la
capacit de reconnatre l'expression d pouvant ou de cupi
dittait connexe
un systme
d'attentes,
un code
culturel, qui se lie,
sans
aucun
doute,
a des codes de V expressivit labors dans d'autres
priodes
des arts figu-
1.
Gombrich,
op. cit.,
chapitre
2, Vrit et formule strotype
.
2.
Fabio Canzani,
a
Sur
la
comprhension
de certains lments
du
langage
des
bandes dessines
par
des
sujets gs
de six
dix
ans , Ikon, septembre
1965.
20
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
12/42
Smiologie des messages visuels
ratifs.
En d'autres
termes,
si nous portions plus loin
la
recherche, nous nous
apercevrions probablement qu un certain
lexique du
grotesque et
du comique
s appuie sur
des
expriences
et
des
conventions qui remontent
l'art expres
sionniste,
Goya,
Daumier,
aux
caricaturistes
du
xixe
sicle,
Breughel
et,
peut-tre, aux
dessins
comiques de la peinture des
vases
grecs.
Le fait
que
le signe iconique ne
soit
pas
toujours aussi clairement reprsentatif
qu on
le
croit, est confirm par le
fait que
la plupart
du temps
il
est
accompagn
d un
texte
crit;
que,
mme s'il est reconnaissable,
il
apparat
toujours
charg
d'une certaine ambigut,
dnote
plus
facilement l'universel
que le particulier
(le rhinocros et
non
tel rhinocros); et c'est pour
cela
qu il demande, dans les
communications qui visent
la
prcision
rfrentielle,
tre ancr
par un
texte
verbal l.
En
conclusion,
ce
qu on pourrait dire
de
la
structure vaut aussi
pour le signe
iconique :
la
structure
labore
ne
reproduit pas une
structure
prsume
de
la
ralit;
elle
articule une
srie
de
relations-diffrences
suivant
certaines oprations,
et ces oprations, par
lesquelles les
lments
du
modle
sont mis
en relation
sont les mmes
que
celles
que
nous accomplissons quand nous nous mettons
en
relation
dans
la
perception des lments pertinents de l objet connu.
Donc
le
signe
iconique construit
un modle de relations (entre phnomnes
gra
phiques)
homologue
au modle de relations perceptives
que nous
construisons en
connaissant
et en
nous rappelant
l'objet. Si
le signe
a des proprits
communes
avec quelque chose,
il
les a non avec
l'objet, mais
avec le modle perceptif de
l objet; il
est constructible
et
reconnaissable d aprs les mmes
oprations
ment
ales que
nous accomplissons pour
construire
le peru, indpendamment
de
la
matire dans laquelle ces
relations
se ralisent.
Toutefois, dans
la
vie
quotidienne,
nous
percevons sans
tre
conscients
de
lamcanique
de
la
perception,
et,
donc,
sans nous poser
le
problme
de
l'existence
ou de
la conventionalit
de ce que nous
percevons. De mme,
devant des signes
iconiques,
nous pouvons affirmer qu on peut indiquer comme signe iconique
ce qui
nous
parat
reproduire
certaines des
proprits de
l'objet reprsent.
Dans
ce sens,
la
dfinition
de
Morris,
si proche de celle
du
bon
sens,
est utilisable,
pourvu qu il
soit clair qu'on l'utilise comme
artifice
de commodit, et non comme une
dfinition
scientifique.
Et pourvu
que
cette
dfinition ne soit pas
hypostasie
d'une manire
qui interdise une analyse ultrieure de reconnatre
la conventionalit
des signes
iconiques.
l.III.
La
possibilit
de codifier les
signes
iconiques.
i.III.l. Nous
avons
vu
que,
pour
raliser des quivalents iconiques de
la
perception, certains aspects pertinents
sont slectionns
et d'autres pas. Les
enfants
de moins
de
quatre ans
ne font pas du torse
un
trait
pertinent et repr
sentent
l'homme avec seulement la tte
et
les membres.
La prsence de
traits
pertinents dans la langue
verbale
permet
d'en
faire un
catalogue
prcis
:
dans une langue, un nombre donn de
phonmes
fonctionnent
et
le jeu des diffrences
et
des
oppositions signifiantes s'articule par
rapport
eux. Tout
le reste constitue une
variante
facultative.
En
revanche,
au niveau
des codes iconiques, nous sommes
devant
un
panorama plus
confus. L'univers
1.
Cf. Roland
Barthes,
Rhtorique
de
l'image >, in Communication, n 4.
21
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
13/42
Umberto Eco
des
communications
visuelles
nous rappelle
que
nous
communiquons
sur la
base
de
codes
forts (comme la
langue)
et
mme trs forts (comme l alphabet morse),
et
sur la base de
codes
faibles, trs peu dfinis, en continuelle mutation, dont les
variantes facultatives prvalent
sur
les
traits
pertinents.
Dans
la
langue italienne, le mot cavallo (cheval) peut se prononcer de plu
sieurs
faons :
en aspirant le c initial
la
manire
toscane ou en liminant le
double
1 la manire
vnitienne,
avec des intonations
et
des accents diff
rents; toutefois,
il reste
quelques
phnomnes
non redondants
pour
dfinir les
limites dans lesquelles
une mission
de son donne
signifie
le
signifi
cavallo
et
au-del desquelles
l'mission
de son ne signifie plus
rien ou
signifie autre
chose.
1. 1 1 1.2. Au contraire, au niveau de
la reprsentation
graphique, je dispose d'une
infinit de
moyens pour
reprsenter le
cheval,
le suggrer, l voquer par des jeux
de clair-obscur, le
symboliser
par une
calligraphie,
le dfinir avec un ralisme
minutieux
(et en
mme temps pour
dnoter
un
cheval
arrt,
en course,
de trois
quarts,
rampant,
la
tte
baisse en
train
de
manger
ou
de
boire,
etc.). Il
est
vrai
que
verbalement je
peux aussi
dire
cheval
en cent langues
et
dialectes
diff
rents; mais alors qu on peut codifier et
cataloguer les
langues et
les
dialectes,
si
nombreux
soient-ils, les mille
moyens
de dessiner
un
cheval ne sont pas
prvisi
bles;t,
alors
que les langues
et dialectes
ne sont comprhensibles que
pour
qui
dcide de les apprendre, les
cent
codes de
dessin
d un cheval peuvent trs bien
tre
utiliss par
celui qui
n'en
a jamais eu connaissance
(mme
si, au-del d'une
certaine mesure de codification,
il n'y a
plus
reconnaissance
de la
part
de celui
qui ne possde
pas
le
code).
1.111.3.
D autre
part, nous
avons
vrifi
que
les codifications iconiques existent.
Nous
nous
trouvons
donc
devant
le
fait qu'iZ existe
de
grands blocs
de
codification
dont
il
est
cependant
difficile
de
discerner
les lments
d'articulation.
On peut
pro
cder par
preuves
de
commutation successives
pour voir, par exemple, tant
donn
le
profil d'un cheval,
quels traits
il faut altrer pour
que la reconnaissance
soit
rduite; mais
l'opration
ne nous permet de codifier
qu un
secteur infinit
simal u processus de
codification iconique, celui
qui consiste
rendre
schma-
tiquement un
objet
par son seul contour linaire K
Dans
un
syntagme iconique, au
contraire,
interviennent des
rapports contextuels
si complexes quil parat difficile de distinguer parmi eux les
traits
pertinents des
variantes
facultatives. C'est aussi parce
que
la langue procde par
traits
discrets,
qui se
dcoupent
dans le
continuum
des
sons
possibles,
tandis
que, dans les
phno
mnes iconiques,
on
procde souvent par utilisation d'un continuum chromatique
sans
solution
de
continuit.
C'est
le
cas
dans
l'univers
de
la
communication
visuelle,
et
non,
par
exemple, dans celui de la
communication
musicale o le
continuum
sonore
a t subdivis
en
lments
discrets
(les
notes
de
la
gamme);
et si, dans la musique contemporaine,
ce
phnomne ne
se
vrifie
plus (avec le
retour
l'utilisation
de
continua
sonores
o
se mlent sons
et
rumeurs, dans
un
magma indiffrenci) ce
phnomne
a
justement
permis aux
partisans de l'iden-
1. Voir les
exercices de Bruno
Monari
[Arte corne mestiere, Bari, Laterza,
1966)
sur la
possibilit de
reconnatre
une flche
travers des simplifications
successives,
sur les
dformations et
les
altrations
d'une marque,
sur les
cent quarante manires
de dessiner
un
visage humain
de
face
(ceci
est
li
au
problme
abord dans
le
paragraphe
prcdent)
jusqu
la limite
de
l'identification...
22
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
14/42
Smiologie des messages visuels
tification communication-langage de poser le problme (soluble mais rel) de la
communicativit
de
la
musique
contemporaine
*.
1.III.4. Dans le continuum iconique,
on
ne distingue
pas
d'units discrtes
susceptibles
d'tre
catalogues
une
fois
pour
toutes, mais
les
aspects
pertinents
varient
:
tantt,
ce
sont
de
grandes
reprsentations reconnaissables
par
convent
ion,antt de
petits
segments de ligne, points, espaces blancs, comme dans le
cas d'un profil humain o un point
reprsente
l'il, un
demi-cercle
la
paupire.
Nous savons que, dans
un
autre
contexte,
le mme type de
point et
de demi-
cercle reprsentent,
par
exemple,
une
banane
et un
ppin de raisin. Les signes
du
dessin ne
sont
donc
pas des
lments
d'articulation
correspondant
aux pho
nmes
de
la
langue parce
qu'ils
n'ont
pas de valeur
positionnelle et opposition-
nelle, ils
ne signifient
pas
par
le fait d apparatre
ou
de ne pas apparatre;
ils
peuvent
assumer
des signifis
contextuels
(point = il, quand
il
est
inscrit
dans
une
amande)
sans avoir
de
signifi en
propre,
mais ils
ne se constituent
pas en un
systme de diffrences rigides
par
lequel
un
point
signifie pour
autant qu il
s oppose
la
ligne droite
ou
au
cercle.
Leur valeur
positionnelle
varie selon
la
convention
que
le type de dessin institue et qui peut varier sous la main d un
autre
dessinateur, ou au moment o
le
mme
dessinateur adopte
un
autre style.
On
se
trouve
donc
devant un tourbillon d'idiolectes, certains reconnaissables par
beaucoup,
d'autres
non, o les variantes facultatives
deviennent
traits perti
nents et vice-versa selon
le
code
dcid
par
le
dessinateur (qui, avec une
extrme
libert, met en crise
un code
prexistant
et en
construit
un
nouveau
avec les
rsidus du ou des
autres).
Voil en
quel
sens les
codes
iconiques, s'ils existent, sont
des codes
faibles.
Ceci
nous
aide
aussi
comprendre pourquoi,
alors
que quelqu un qui parle
ne nous parat
pas
avoir un don particulier,
celui qui
sait dessiner nous
apparat
au
contraire
dj
diffrent
des autres,
parce
que
nous
reconnaissons en
lui
la capacit d'articuler
des
lments d un code qui
n'appartient pas
tout le
groupe; et nous lui reconnaissons une autonomie par rapport aux systmes de
normes,
que
nous
ne
reconnaissons
aucun utilisateur du langage,
sauf
au pote.
Celui qui dessine
apparat
comme
un
technicien de
l'idiolecte
parce
que,
mme
s'il use
d'un
code
reconnu
par
tous,
il
y introduit plus d'originalit, de variantes
facultatives, d'lments de style individuel, qu un
sujet
parlant n'en
introduit
dans sa
propre langue
2.
1. II 1.5. Mais si loin qu aille le signe iconique dans
l'individualisation
des
caractristiques
de style , son
problme n'est
pas fondamentalement diffrent
de
celui qui se
pose pour les variantes facultatives et les lments
d'intonation
individuelle dans
le
langage verbal.
Dans
un essai consacr
l'information
de style verbal 8
Ivan Fnagy
parle
de ces variations dans l usage du
code
au niveau
phontique.
Alors
que
le
code
phonologique prvoit
une srie de
traits
distinctifs
catalogus
et distincts discr
tement les uns des autres, nous savons
que
celui qui parle, mme s'il utilise de
manire reconnaissable les diffrents phonmes prvus
par
sa propre langue,
les
colore
pour ainsi dire par
des
intonations individuelles,
que ce
soit
ce
qu on
1. Cf.
Nicolas Ruwet,
Contradictions du
langage
sriel.
2. Cf. Christian
Metz,
op. cit., p. 84 : a Quand un langage
n'existe
pas
encore
abso
lument,
il
faut
dj
tre
un
peu
artiste
pour
le parler,
mme
mal.
3. L'information de
style
verbal
in Linguistics,
4.
23
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
15/42
Umberto Eco
appelle les traits supra-segmentaux ou les variantes facultatives. Les variantes
facultatives sont de simples gestes d'initiative libre dans l excution des sons
dtermins (ainsi certaines prononciations individuelles ou rgionales) tandis
que
les traits supra-segmentaux sont de purs
et
simples
artifices
signifiants : telles
sont,
par
exemple,
les
intonations
que
nous
donnons
une
phrase
pour
lui
faire
exprimer
alternativement la crainte, la menace, la peur ou l'encouragement, etc.
Une injonction du
type
Essaie peut avoir
une intonation
qui
signifie
Attention
toi, si tu essaies ou, au
contraire,
Essaie, courage
ou encore
: Je t en
conjure, fais quelque chose si tu m aimes .
Il
est clair qu on ne peut cataloguer
ces intonations en
traits
discrets
mais
qu elles appartiennent un continuum
qui peut aller
du
minimum au maximum
de
la
tension, de
l'pret ou
de
la
tendresse.
Fnagy
dfinit
ces
elocutions
comme
un
second message qui s ajoute
au message
normal
et qui est prcisment
dcod
par
d'autres moyens,
comme s'il
y avait, dans la
transmission
de l'information, deux
types
d'metteurs
auxquels
correspondraient deux types de
rcepteurs,
l'un
capable
de
transformer en
message
les
lments
se
rapportant
au
code
linguistique, l'autre
les lments
d un
code
prlinguistique.
Fnagy
avance
l'hypothse qu il
existe une sorte
de
lien naturel entre ces
traits
non
discrets
et
ce qu ils veulent communiquer; qu'ils ne sont pas arbi
traires et
qu'ils
forment un continuum
paradigmatique priv de traits
discrets;
et qu'enfin,
dans l'exercice de ces
variantes
dites
libres , le
sujet parlant peut
mettre
en lumire des qualits de
style et
d autonomie d'excution qu il ne peut
exercer en
utilisant
le code
linguistique. Nous nous apercevons que nous
sommes
dans la situation dj esquisse propos des messages
iconiques.
Mais
Fnagy
observe
galement
que
ces variantes libres sont sujettes des
processus de codification;
que
la
langue travaille continuellement
conven-
tionaliser
jusqu aux
messages prlinguistiques; observations qui deviennent
beaucoup plus claires si l on pense
la
manire dont
une mme intonation
signifie deux choses diffrentes dans deux
langues
diffrentes (la diffrence est
son apoge lorsqu on
confronte
aux langues occidentales des
langues
comme le
chinois, o
l'intonation
devient
prcisment
un
trait
diffrentiel
fondamental).
Il
termine
en
citant un passage de Roman Jakobson renvoyant une thorie
de la
communication
(dans
laquelle la linguistique
se nourrit
de la
thorie de
l'information)
la possibilit
de
traiter, par rapport
des
codes
rigoureux,
mmes
les
variations prtendues
libres
x . Les
variantes libres,
qui pourtant paraissent
si originellement expressives, se structurent donc comme systme de diffrences
et
d'oppositions, mme si cette structuration n'est
pas
aussi nette
que
celles des
traits
distinctifs,
des
phonmes,
l'intrieur
d'une
langue
et
d'une
culture,
d un
groupe qui
utilise
la langue
d'une
manire
dtermine; et souvent en particulier
dans le
cadre
de l usage
priv
d un
seul
sujet
parlant, o
les
carts d avec la
norme
s'organisent
en systmes prvisibles d'vnements. Entre le maximum
de
la
conventionalisation totale
et
le minimum d'exercice de l'idiolecte, les
variations d'intonation
signifient
par
convention
2.
Ce qui se produit pour la langue peut se produire pour les codes
iconiques.
Ce
phnomne apparat si
clairement et avec
si peu d quivoque qu il donne
lieu
des
classifications
en
histoire de
l'art
ou en psychologie. Ainsi
lorsqu'une manire
1. Jakobson, op. cit., chap. v.
2.
Cf.
l'tude
de
L.
Tracer,
Paralanguage
:
A
first
Approximation
(Dell
Hyme,
Language
in Culture and Society,
New
York, Harper and
Row,
1964).
24
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
16/42
Smiologie
des messages visuels
de tracer des
lignes est
dite
gracieuse
,
une
autre
nerveuse
,
une
autre lgre ,
une
autre
pesante ... Les psychologues se servent
pour
certains tests de
figures
gomtriques qui communiquent clairement des tensions ou des
dynamismes
:
par exemple
une
ligne
oblique
sur
laquelle
on
dispose,
en
haut
sur
le ct, une
sphre, communique une sensation de
dsquilibre et
d instabilit; tandis qu une
ligne oblique avec une
sphre
son pied communique l'arrt, le terme d un
processus. Si ces diagrammes
communiquent
des situations physio-psycholo-
giques,
c'est manifestement
parce
qu ils reprsentent des tensions relles,
s'ins-
pirant de l'exprience de la pesanteur ou de
phnomnes
analogues;
mais
ils les
reprsentent
en
en
reconstruisant
des
relations
fondamentales
sous
forme de
modle abstrait. Et,
si
lors
de
leur premire
apparition, des
reprsentations
de ce
genre se
rclament explicitement
du
modle
conceptuel de
la relation communiq
uelles acquirent ensuite une valeur conventionnelle
;
dans la igne gracieuse
,
nous ne relevons
pas le sens
d'agilit,
lgret, mouvement sans effort, mais
la
grce
tout
court
(si bien
qu il
faut ensuite de subtiles phnomnologies
d'une
catgorie stylistique de
ce
genre
pour
retrouver,
sous
l habitude,
la
convent
ionalisation,
l appel
des
modles perceptifs
que le
signe
retranscrit l).
En
d'autres
termes, si devant
une image o une solution
iconique
adopte
est
particulirement informative, nous pouvons
recevoir
l'impression de grce
,
parce
que,
l'improviste,
nous dcouvrons, dans l usage improbable et
ambigu
d'un signe
la
reconstruction
et la
re-proposition d'expriences perceptives
(d'motions
imagines comme tension
entre
les lignes, des
lignes mises
en
ten
sion
qui
nous rappellent les motions), en
ralit,
dans la
plus
grande partie
des
impressions de grce que
nous
pouvons relever dans
un
manifeste publicit
aire,
ans une icne quelconque, nous lisons la connotation grce dans un
signe
qui
connote directement la catgorie esthtique (non l'motion
primaire
qui
a
donn
lieu
une
reprsentation
informative,
un
cart
d avec
les normes
iconiques,
et
de l
un
nouveau
processus d'assimilation et de conventionalis
ation .
ous
sommes dj un niveau
rhtorique.
En
conclusion
:
nous pouvons dire
que
dans les signes iconiques prvalent
ce
que nous appelons dans le langage verbal des variantes facultatives
et
des
traits
suprasegmentaux;
parfois, ils y prvalent de
manire
excessive. Mais le
reconnatre ne revient pas affirmer que les signes iconiques chappent
la
codification
2.
1.III.6. De
ce que
le signe graphique est relationnellement homologue
au
modle
conceptuel,
on
pourrait
conclure que
le signe iconique est analogique.
Non
au
sens classique du terme analogie
(comme
parent secrte
et
mystr
ieuse
et
donc
inanalysable,
au
plus
dfinissable comme une
sorte
de
proportion
imprcise), mais au sens
que
donnent
au
terme les constructeurs et
oprateurs
de cerveaux
lectroniques.
Un calculateur
peut
tre
digital (il procde par choix
binaires
et
dcompose le message
en
lments discrets) ou analogique (il
exprime,
par
exemple, une valeur numrique
par l'intensit
d un courant,
en
tablissant
1.
Voir, par exemple,
Raymond Bayer, Esthtique de la
grce, Paris, Alcan, 1934.
2. A propos de l'image filmique, laquelle il reconnat une
motivation
et une pr-
gnance, Metz (op.
cit.,
p. 88)
rappelle
toutefois
que
les
systmes paradigmatique
incertaine peuvent tre tudis en
tant
que systmes paradigmatique incertaine,
par
des
mthodes
appropries
;
nous voudrions
ajouter
qu'il
faut
faire
cependant
son
possible
pour
rendre
le
paradigme moins incertain.
25
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
17/42
Umberto
Eco
une
quivalence
rigoureuse
entre
deux grandeurs). Les ingnieurs de la
communic
ationrfrent
ne pas parler
de code
analogique ,
comme
ils
parlent de code
digital
,
mais
de
modle analogique
. Ce
qui suggrerait que
la codification
analogique
s'appuierait
en
tout
cas
sur
un
fait
iconique
et
motiv.
Cette
conclusion
doit
-elle
tre considre comme dfinitive?
A propos de ce
problme,
Roland
Barthes
observe que :
la
rencontre
de
l analogique
et
du non-analogique
parat donc indiscutable, au
sein
mme
d'un
systme unique.
Cependant,
la smiologie ne pourra se contenter
d'une
descrip
tionui
reconnatrait
le compromis
sans
chercher le systmatiser, car
elle
ne
peut
admettre
un
diffrentiel continu, le sens,
comme
on le
verra,
tant
art
iculation (...)
Il est
donc probable
qu au
niveau de la smiologie la plus gnrale
(...)
il s'tablit une sorte de
circularit
entre
l analogique et l'immotiv
:
il y a
double
tendance (complmentaire) neutraliser
l'immotiv et
intellectualiser le
motiv
(c'est--dire
le
culturaliser). Enfin, certains auteurs
assurent que le
digitalisme lui-mme,
qui
est
le
rival
de
l analogique,
sous sa
forme
pure,
le
binarisme,
est lui-mme une
reproduction
de certain
processus physiologiques,
s'il est vrai
que
la vue et l'oue fonctionnent par slections alternatives1.
Quand
nous parlons
de ramener le
code
iconique au
code
perceptif (que
la psychologie
de
la
perception cf. Piaget a
dj
renvoy des choix binaires) et
que
nous
cherchons
reconnatre
aussi au niveau
des choix
graphiques
la
prsence
des
lments pertinents (dont la prsence et
l'absence causent
la perte ou l acquisi
tion
u signifi, y compris dans les cas o le
trait
ne se manifeste comme pertinent
que
par
rapport
au contexte), nous
cherchons
prcisment nous dplacer dans
cette direction, la seule
qui
puisse tre fconde, scientifiquement parlant. La
seule qui
nous
permette d'expliquer ce
que
nous
voyons
en
termes
de quelque chose
(mais
qui permet
l'exprience de la ressemblance iconique).
1.III.7.
En l'absence
d'explications de ce genre,
on
peut sans
doute se
contenter
de
modles
analogiques :
s'ils
ne se structurent pas
par
oppositions binaires ils
s'organisent cependant par degrs (c'est--dire non par oui ou non mais par
plus ou moins ).
Ces modles
pourraient tre appels
codes
dans la mesure
o ils
ne
dissolvent
pas le
discret dans
le continu
(et donc
n'annulent pas la
codification) mais fractionnent en degrs ce qui
apparat
comme continu. Le
fractionnement en
degrs prsuppose, au
lieu d'une
opposition entre
le
oui
et
le non , le
passage
du plus
au
moins . Par exemple, dans
un code
iconolo-
gique, tant donn
deux
conventionalisations X
et Y
de
l'attitude
de sourire ,
on
peut prvoir la forme Y comme
plus
accentue
que
la forme X, et ce suivant
une direction
qui,
au degr suivant,
donne
une
forme Z trs proche d'une ven
tuelle
forme
Xt
qui
reprsenterait
dj le
degr
infrieur
de
la
conventionali
satione l'attitude
clat
de
rire
.
Reste
savoir si
une codification de
ce
genre
est
absolument et
constitutionnellement non rductible
la
codification
binaire
(et donc en reprsente
l'alternative
constante, l'autre ple d'une oscillation
continuelle
entre
quantitatif
et
qualificatif)
ou bien si,
au
moment o
des
degrs
sont
introduits
dans le continu,
ces
degrs ne fonctionnent pas dj dans la
mesure o il leur appartient un pouvoir de signification par exclusion rciproque,
mettant
donc en place une forme d'opposition
2.
1.
lments de smiologie,
11.4.3.
2.
La
tendance courante reconnat
encore
une opposition insoluble
entre
arbitraire
et motiv. Cf.
E.
Stankiewicz,
Problems of emotive language
in
Approaches to
26
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
18/42
Smiologie
des messages visuels
Toutefois, cette opposition
entre
analogique
et digital
pourrait se rsoudre
en
dernire
analyse
en une victoire
du motiv.
C'est prcisment l
que,
une fois
dcompos
en units
discrtes
un quelconque
continuum
apparent, surgit la
question : de quelle manire
reconnaissons-nous
les units
discrtes?
Rponse :
d'aprs
une
ressemblance
iconique.
I.III.8.
Mais nous avons vu que
la psychologie,
dans ses analyses les plus
dlies des mcanismes
perceptifs,
reporte
la perception
des
faits immdiats
des
oprations probabilistes complexes, o
le
problme
de
la digitalisation
possible
du
peru
se fait jour
nouveau.
La science
musicale
nous offre ici un excellent
modle
de recherche. La musi
que,
en tant que grammaire d'une
tonalit et
laboration
d un systme
de
nota
tion,
dcompose le
continuum
des sons en units discrtes
(tons et
demi-tons,
battements du mtronome, noires, rondes, croches, etc). En articulant
ces
units
on
peut
faire
tout discours musical.
Toutefois, on peut
objecter
que, mme si
la
notation prescrit, d aprs le
code
digital, comment parler
musicalement,
le
message particulier
(l excution)
s'enrichit
de nombreuses
variantes
facultatives non codifies. Si bien qu un
glissando,
une
trille,
un rubato, la
dure d'un point
d'orgue,
sont considrs
(dans le langage commun comme dans le langage critique) comme des faits
expressifs.
Mais, tout
en
reconnaissant ces fits expressifs, la science
de
la
notation
music
ale ait tout pour codifier aussi les variantes. Elle codifie le tremolo, le
gliss,
elle
ajoute des
notations comme avec sentiment
, etc. On
observera
que
ces
codifications ne
sont pas
digitales, mais
analogiques,
et
procdent par degr
(plus ou
moins) sommairement dfinis. Mais si elles ne sont pas digitales, elles sont
digitalismes.
La
dmonstration
ne se fait
pas
au niveau de la notation
pour
l'interprte
mais
au
niveau
des
codes techniques
de transcription
et
de
repro
duction du son.
La
moindre
variation
expressive
dans les
sillons que V
aiguille du gramophone
parcourt sur
le disque,
correspond
un signe.
On dira aussi que ces signes ne sont pas
articulables
en units discrtes, qu ils
procdent comme un continuum de
courbes,
d'oscillations
plus
ou moins accentues.
Soit. Mais considrons maintenant le processus physique par lequel, de ce cont
inuum
de
courbes
gradues, on passe travers
une squence
de signaux
lec
triques
conscutifs
et une squence
de
vibrations
acoustiques la rception
et
la retransmission du son
travers
l'amplificateur.
Ici, nous
revenons
Vordre
des grandeurs digitalismes.
Du
sillon
l'aiguille
et
au
seuil
des
blocs lectroniques
de
l'amplificateur,
leson
est
reproduit
travers
un
modle continu;
mais
des
blocs lectroniques
la
restitution
physique du son travers l'amplificateur, le processus devient
discret.
La
technique
des
communications tend toujours
plus, mme dans les
calcula
teurs, transfrer en
codes
digitaux les modles analogiques. Et
le
transfert
est
toujours
possible.
Semiotics;
D.
L.
Bolinger, Generality,
Gradience
and the All-or-None, Aja,
Mouton,
1961;
T. A. Sebeok,
Coding in
Evolution
of
Signalling Behavior ,
in
Beliavioral
Sciences, 1962; P. Valesio, Iconi e schemi nella struttura
della
lingua in Lingua e
Stile, 3, 1967; Sur les codes visuels
R.
Jakobson, On Visual and Auditory Signs
, in
Phonetica, II,
1964;
About
Relation between Visual
and Auditory
Signs
, in Models
for
the
perception
of
Speech
and
Visual
Form,
M.I.T.,
1967.
27
-
8/10/2019 Eco Umberto Semiologie Des Messages Visuels
19/42
Umberto Eco
1.III.9. Certes, cette reconnaissance d un
ultime
caractre
discret
ne regarde
que les
ingnieurs; eux-mmes
sont souvent
amens, pour diverses
raisons,
considrer
comme
continu
un
phnomne
qui
ne se dcompose
en
traits discrets
qu au niveau
des vnements
lectroniques qu'ils dterminent sans
les contrler
pas
pas.
Ceci
revient
dire
encore une
fois
que
la
reconnaissance d'iconicit
analogique,
que
nous
sommes
contraints
d'oprer
devant certains
phnomnes,
reprsente une solution de commodit qui convient trs bien
pour dcrire
ces
phnomnes
au niveau de gnralit o nous les percevons
et
les utilisons, mais
non
au niveau d'analyticit o ils
se
produisent et o ils
doivent
tre postuls.
Il faut
distinguer les solutions pratiques
des
affirmations
thoriques.
Pour
laborer des codes
smiologiques, il
peut
suffire
de reconnatre
et
de
classer des
procds
analogiques
(puisque la
digitalisation
se fait un niveau
qui
ne concerne
pas
l'exprience commune).
Mais
cela ne
signifie
pas
que, dans la ralit,
il
y ait
des parents
natives et
inanalysables
*.
(Certes, le fait que le
signe
iconique
puisse
tre rduit une structure digitale ne signifie
pas automatiquement qu il
soit
conventionnel.
Si
le
cerveau humain
fonctionne
d'une
faon digitale,
nous
avons
l
un
exemple de processus digital
et
naturel
la
fois. Mais une des raisons
pour
lesquelles on est conduit
refuser
l'iconique toute
convention alit
est
la
difficult de le rduire
un code semblable
ceux des
systmes arbitraires. La
digitalisation
de l analogique,
possible
en principe, rsout cette difficult premire).
2.
LE DOGME DE
LA
DOUBLE
ARTICULATION
2.1. La dangereuse tendance
dclarer
inexplicable
ce
qu on
n explique
pas
immdiatement
avec les instruments dont
on
dispose, a conduit de curieuses
positions
et,
en
particulier,
au
refus
de reconnatre
la
dignit
de
langue
des
systmes de
communication
qui ne possderaient
pas
la double articulation
reconnue comme constitutive de
la
langue verbale. Devant l'vidence de
codes
plus faibles que celui de
la langue,
on a dcid
qu il
ne
s'agissait
pas de
codes;
et
devant
l'existence
de blocs de
signifis
comme
ceux
constitus par
les
images iconiques
on a
pris
deux
dcisions
opposes :
ou en nier la
nature
de
signe, parce qu'ils paraissaien