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Epreuve anticipée de Français. Epreuve blanche – 1S1. CORRIGE Objet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe à nos jours. CORPUS _________________ ___________________________________________ TEXTE A. Jean de La Bruyère, Les Caractères, 74, 1696 TEXTE B. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre 28, 1721. TEXTE C. Voltaire, L'Ingénu, 1767. I. La question sur le corpus (/4). Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante : Expliquez l’objectif principal qui rapproche les textes de La Bruyère, Voltaire et Montesquieu. Vous analyserez les différents procédés littéraires utilisés. A la suite des grandes découvertes, les récits de voyage alimentent l’imaginaire et l’inspiration des écrivains, moralistes et philosophes, dans une moindre mesure au XVIIe siècle mais très fréquemment au XVIIIe siècle. C’est ce que nous montre les textes du corpus : le texte de Jean de La Bruyère, extrait du chapitre 74 des Caractères est publié en 1696. Le deuxième texte est la lettre 28 des Lettres persanes de Montesquieu. Enfin, le dernier texte est extrait du conte philosophique de Voltaire, L'Ingénu . Il s’agira ici d’analyser quel objectif principal rapproche ces textes et quels procédés littéraires les auteurs utilisent. S’ils appartiennent à des époques différentes – le XVIIe siècle pour le texte A et le XVIIIe siècle pour les textes B et C -, les textes du corpus présentent en revanche la même situation : un regard étranger rend compte des mœurs d'un « pays » lointain dont il a entendu parler ou qu'il visite. Ce sont des œuvres de fiction : la naïveté ou tout simplement le regard neuf qui est porté sur ces contrées en fait ressortir l'originalité : c'est la cour de Louis XIV, avec ses dignitaires, dans les textes de La Bruyère et Voltaire ; ce sont les spectacles dramatiques ou lyriques de Paris chez Montesquieu. Le procédé de l'œil neuf, dérivé des récits de voyages des navigateurs ou des missionnaires, permet à ces trois auteurs de « décaper » la société ou le milieu qu'ils décrivent et d'en mettre en relief les travers, sur un ton appa- remment neutre et objectif. La Bruyère décrit la société française comme s’il la découvrait. Dans le texte de Montesquieu, le voyageur est perse. Il possède donc l’oeil "perçant". C’est évidemment un jeu de mots. Mais il indique aussi le fait que celui qui découvre est plus apte à repérer les défauts, les voient mieux, les remarquent plus facilement. Enfin, l’Ingénu de Voltaire mérite bien son nom puisque la simplicité de sa conduite et de ses réactions, mais aussi de ses jugements et de ses propos le caractérise.C’est grâce à un effet de contraste avec l’attitude naïve mais naturelle et sincère que Voltaire met en valeur les

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Epreuve anticipée de Français.

Epreuve blanche – 1S1.

CORRIGE

Objet d'étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe à nos jours.

CORPUS _____________ ___________________________________________ TEXTE A. Jean de La Bruyère, Les Caractères, 74, 1696

TEXTE B. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre 28, 1721.

TEXTE C. Voltaire, L'Ingénu, 1767.

I. La question sur le corpus (/4).

Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante :

Expliquez l’objectif principal qui rapproche les textes de La Bruyère, Voltaire et Montesquieu. Vous analyserez les différents procédés littéraires utilisés.

A la suite des grandes découvertes, les récits de voyage alimentent l’imaginaire et l’inspiration des écrivains, moralistes et philosophes, dans une moindre mesure au XVIIe siècle mais très fréquemment au XVIIIe siècle. C’est ce que nous montre les textes du corpus : le texte de Jean de La Bruyère, extrait du chapitre 74 des Caractères est publié en 1696. Le deuxième texte est la lettre 28 des Lettres persanes de Montesquieu. Enfin, le dernier texte est extrait du conte philosophique de Voltaire, L'Ingénu. Il s’agira ici d’analyser quel objectif principal rapproche ces textes et quels procédés littéraires les auteurs utilisent.

S’ils appartiennent à des époques différentes – le XVIIe siècle pour le texte A et le XVIIIe siècle pour les textes B et C -, les textes du corpus présentent en revanche la même situation : un regard étranger rend compte des mœurs d'un « pays » lointain dont il a entendu parler ou qu'il visite. Ce sont des œuvres de fiction : la naïveté ou tout simplement le regard neuf qui est porté sur ces contrées en fait ressortir l'originalité : c'est la cour de Louis XIV, avec ses dignitaires, dans les textes de La Bruyère et Voltaire ; ce sont les spectacles dramatiques ou lyriques de Paris chez Montesquieu.

Le procédé de l'œil neuf, dérivé des récits de voyages des navigateurs ou des missionnaires, permet à ces trois auteurs de « décaper » la société ou le milieu qu'ils décrivent et d'en mettre en relief les travers, sur un ton apparemment neutre et objectif. La Bruyère décrit la société française comme s’il la découvrait. Dans le texte de Montesquieu, le voyageur est perse. Il possède donc l’oeil "perçant". C’est évidemment un jeu de mots. Mais il indique aussi le fait que celui qui découvre est plus apte à repérer les défauts, les voient mieux, les remarquent plus facilement. Enfin, l’Ingénu de Voltaire mérite bien son nom puisque la simplicité de sa conduite et de ses réactions, mais aussi de ses jugements et de ses propos le caractérise.C’est grâce à un effet de contraste avec l’attitude naïve mais naturelle et sincère que Voltaire met en valeur les travers des grands.

Le but est de toute évidence critique : critique sociale, politique et morale. Dans le texte A, La Bruyère montre que les courtisans se comportent comme de véritables « sauvages » : rites stéréotypés, comportement superficiel, « débauche », inversion des valeurs, hypocrisie et totale soumission à un roi... Les descriptions sont hyperboliques, mettant en valeur la satire, comme le montre la gradation aux lignes 1 et 2 : « les jeunes gens [sont] au contraire durs, féroces, sans mœurs ni politesse. ». Le but des courtisans est de « plaire », de séduire, d’attirer l’attention au prix d’ « artifices » et d’hypocrisie. Comme leurs mœurs, leur relation avec Dieu n’est pas « nette », comme le suggèrent les rites stéréotypés des hommes à l’Eglise. Les termes suggérant l’apparence sont récurrents : « artifices », « elles croient », « peindre » (ligne 7), « pas nette, mais confuse » (l.10), « cheveux étrangers qu’ils préfèrent aux naturels » (10-11), « ils semblent » (l.17), « ce peuple paraît adorer le prince »(l.18). En effet, La Bruyère critique implicitement la religion dans le texte A où sont dénoncés les rituels stéréotypés et par conséquent artificiels, hypocrites des dévots. Egalement, on voit se profiler l’esprit des philosophes des Lumières dans la citation suivante où La Bruyère se moque des croyances aveugles et de l’obscurantisme des fidèles : « un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ». Ensuite, Montesquieu souligne la superficialité des mœurs des grands dont la vie n'est faite que de mondanités et de galanteries. La satire repose sur une inversion des rôles puisque c’est le public qui représente l’équipe dramatique. Le comique est mis au service de la satire. Quant à Voltaire, il s'en prend à l'administration de Louis XIV qui vit coupée de ses administrés et à son ingratitude envers ceux qui les servent loyalement. Voltaire dénonce en effet la complexité, l’inefficacité, l’arbitraire de l’administration royale en se servant de l’absurde : il est « plus difficile de parler à un ministre qu’au roi lui-même », la vérité étant qu’il n’est pas possible de parler au roi. Le regard étranger permet également à Voltaire de critiquer la guerre et

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précisément ici l’ingratitude de la monarchie envers ses serviteurs : en effet, par deux fois, l’Ingénu rappelle ses hauts faits de guerre « j’ai tué des Anglais » dont il s’enorgueillit mais dont personne ne tient compte. L’ironie est une arme redoutable au service de la critique.

Les trois textes, qui reposent en grande partie sur l'ironie, sont donc des satires violentes des mœurs françaises et ont pour but non pas d'informer mais de dénoncer.

II. Ecriture (/16 points).

Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants :1. Commentaire.Vous ferez le commentaire du texte de Montesquieu (texte B).

Montesquieu est un auteur français du XVIIIe siècle qui adhéra au courant classique. Les Lettres persanes, l’oeuvre la plus connue de cet auteur, raconte le voyage en France d’un persan qui correspond par l’écriture épistolaire avec un ami resté en Perse. Ces lettres sont le prétexte à des réflexions et à des satires sur l’époque de l’auteur et sur ses contemporains. Le principe des Lettres Persanes est d’inverser notra rapport habituel au monde : le fait le plus banal devient surprenant quand il est vu par un étranger. Le texte soumis à notre étude est la lettre 28 des Lettres Persanes. C’est la première lettre que Rica envoie de Paris. Il y raconte sa découverte du théâtre : le théâtre va se faire le miroir de la société et c’est en décrivant le lieu de la représentation théâtrale que Montesquieu va critiquer la société. Il s’agira d’étudier le regard de l’étranger permet une critique virulente de la société française. Dans un premier temps, nous étudierons la description du théâtre par un étranger. Ensuite, nous aborderons la critique de la société.

I. La description du théâtre par l’étranger.

1. Le regard de l’étranger.

Les procédés grâce auxquels Montesquieu rappelle que l’auteur de la lettre est un étranger sont nombreux. D’abord, l’ouverture de la lettre révèle le regard de Rica qui a vu et va décrire « une chose assez singulière, quoiqu’elle se passe tous les jours à Paris » (1). Il y a ici un jeu de mots. « Singulière » peut indiquer « une seule fois », ce qui forme un paradoxe avec la suite de la phrase. Mais l’adjectif peut aussi signifier quelque chose de bizarre, d’étrange. Ce qui paraît habituel, normal semble au contraire étrange à l’étranger. De plus, l’étranger parle par ouïe dire, comme le montre l’expression « on dit que » répétée en anaphore aux lignes 18 et 19. Egalement, l’emploi récurrent du pronom indéfini « on » suggère la distanciation du personnage par rapport aux propos, ce qui rappelle sa position d’étranger. Ensuite, la nécessité de définition renforce cette idée. En effet, Rica découvre une occupation qui lui était jusque là inconnue : il doit donc la définir. Les mots en italique « Comédie », « théâtre », « loge » sont des termes inconnus du personnage qui a besoin de les définir. Ainsi sont-ils suivis de verbes amorçant une définition : « entendu appeler » (l.2-3) « qu’on nomme » (répété aux lignes 3 et 23). L’explication apportée est approximative : « Espèce de scène » (2) ; elle est aussi naïve car souvent minimaliste : « de petits réduits »(4). Enfin, les erreurs d’interprétation ou les marques d’une ignorance avouée restitue le regard naïf de l’étranger : « quelques gens » (12), « des endroits qu’eux seuls connaissent « (13-14), « béquilles » (17), « une comédie particulière »(18), « les princesses » (20). De même, Rica dérit ces « gens d’un âge peu avancé » (12-13) qui sont en réalité les amants, qui trouvaient en l’occasion du théâtre un moyen de séduire certaines femmes. Rica n’a pas compris que ce n’est pas du théâtre. Il confond les acteurs sur scène et les spectateurs qui eux aussi jouent un rôle. Cette inversion des rôles est ménagée par l’utilisation du vocabulaire pour désigner le public qui devient alors acteur : « des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes » (4-5), « une troupe de gens debout » (9-10), « des salles où l’on joue une comédie particulière » (17-18), « il semble que le lieu inspire la tendresse. »(19-20). Ce dernier exemple, par l’euphémisme qu’il comporte,

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renforce la naïveté du personnage et annonce l’ironie de l’auteur qui dénonce ici l’artifice des mondanités lesquelles sont réduites à un jeu théâtral.

2. Description du théâtre de l’époque   : un intérêt historique.  

Montesquieu indique par ailleurs l’époque : « Il y a en bas une troupe de gens debout »(9-10). Pendant le classicisme, les théâtres à la Française étaient faits de telle sorte que les gens pauvres étaient debout sur le parterre central, et que les gens plus riches prenaient place dans des loges situées en hauteur. Ensuite, le théâtre évolua et le parterre central disparaîtra, laissant place à des sièges notamment. L’auteur n’invente donc rien. Ainsi, le lecteur peut reconnaître les lieux et l’action que Montesquieu décrit.  Montesquieu nous apporte une information intéressante sur le plan historique : « Je vis hier une chose assez singulière, bien qu’elle se passe tous les jours à Paris » (1). L’indication temporelle « tous les jours » traduit l’habitude : on en peut déduire qu’à cette époque, le théâtre tient une place relativement importante.  Egalement, l’auteur met en évidence les classes sociales de l’époque : "Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas" Il y a une antithèse entre le haut et le bas, associée aux classes sociales. L’auteur met en relief le contraste qu’il y avait entre les modestes et les plus riches, et peut être même le côté méprisant des plus riches à l’égard des plus pauvres. En effet, cette antithèse du haut et du bas peut montrer une certaine recherche de la domination, et par la même d’une certaine méprise.  Montesquieu indique enfin le lieu où les personnages se rencontrent pour les mondanités : "Enfin, on se rend à des salles où l’on joue une comédie particulière..." Ces salles représentent les foyers, où les actrices viennent être remerciées/complimentées par les spectateurs les plus influents. On peut remarquer une comparaison avec le théâtre perse : « à peu près comme celles qui sont en usage en notre perse »(5). La comparaison permet ici d’élargir la portée du tableau : l’auteur montre que ce qu’il se passe en France est valable partout, et notamment en Italie, berceau du théâtre. Il ne cible donc pas uniquement les spectateurs français, mais tous les moeurs de son époque qui gravitent ou possèdent un rapport avec le théâtre.

II. La satire sociale

1.   Les stratégies de l’argumentation indirecte.

-L’ironie : "Tout le peuple s’assemble..." Cette expression est mise à la place du "Tout-Paris ". Elle montre donc bien les pensées de l’auteur. « On en voit même qui, par un prodige qu'on n'aurait osé espérer de leurs béquilles, marchent et vont comme les autres. » (16-17).

- Le genre de la lettre fictive comme couverture. Il n’y a pas de destinataire, et un seul sujet est abordé. A l’époque, le courrier coûtait cher. Écrire une lettre de trente lignes était du gaspillage. De plus, il n’y a aucune demande de réciprocité et aucune formule de politesse. La lettre est donc bien utilisée comme support d’une critique. C’est la forme qui soutient le fond.

 -Le registre comique : La description de ce théâtre est hyperbolique et en decrescendo, ce qui donne un effet comique, par la démesure.

2. La satire du théâtre   :

  Montesquieu fait une description du jeu théâtral : "dévore, amante affligée, toutes ces passions peintes sur les visages et exprimées avec une éloquence...etc" Il y a dans cette lettre un champ lexical de l’émotion et de l’interprétation qui semble démesuré dans certains

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aspects.  Il y a aussi une satire des artistes de l’époque : « on dit...et si on excepte.., où elles sont assez sauvages.. » Le « on dit » désigne la pensée générale, sauvage est assez péjoratif, surtout lorsque l’on sait que ce mot désignait dans un sens les esclaves. ET bien que les actrices soient rehaussées en "princesse", leur rôle est une "ivresse" et elles sont sauvages quand elles jouent. C’est donc une impression négative et acteurs/actrices qui se dégagent à cette époque. La double satire : "tout ce que je te dis là se passe à peu près de même dans un autre endroit qu’on nomme opéra" La satire porte non seulement sur le théâtre, mais aussi sur l’opéra. Cette phrase montre aussi que les Persans ne connaissaient pas l’opéra, et que Rica en possède une image négative.

3. La satire des moeurs   : l’inversion des rôles.

On peut observer que l’auteur a inversé les rôles, puisque c’est le public qui représente l’équipe dramatique.  Les acteurs sont désignés par les termes suivants : « une amante affligée » (6), « une troupe de gens qui sont en haut sur le théâtre » (10). C’est le public qui représente la troupe théâtrale. L’ambiguïté du terme « comédie » (18) résume le passage fondé sur une inversion complète du regard. Le comique du renversement des rôles joue sur l’allusion : « les princesses qui y règnent ne sont point cruelles » (20) fait allusion aux mœurs réputées légères des actrices de tragédies, l’implicite étant ici renforcé par la litote « ne sont point ». De même, le décalage est constant entre les comportements décrits et la réalité. Par exemple, Rica décrit l’empressement démesuré des séducteurs, spectateurs peu attentifs qui vont de loge en loge pour saluer leurs occupants (spécialement les femmes), transformant le théâtre en un lieu de mondanités et de galanterie. Rica met l’accent sur leur agitation, le mouvement incessant traduit par le rythme rapide, énumératif des phrases et l’abondance des verbes d’action : « ils passent […], montent avec une adresse surprenante d'étage en étage ; ils sont en haut, en bas, dans toutes les loges ; ils plongent […] ils reparaissent ; souvent ils quittent le lieu de la scène et vont jouer dans un autre. » (13-16). Egalement, les multiples effets de miroirs participe à ces jeux de séduction : par exemple, les regards échangés entre les « acteurs » comme le suggère l’hyperbole « dévore des yeux son amant » (6), ou entre les loges et le parterre. Le spectateur sourit de la devinette qu’il doit déchiffrer et du tableau bouffon, burlesque de la vie mondaine. Ainsi l’auteur nous donne-t-il une image des moeurs de son époque placées sous le signe de la séduction.

4. La comédie sociale.

Egalement, Montesquieu dénonce l’agitation et le mensonge de la comédie sociale. Les rapports sont réduits à une gesticulation chez les hommes comme le montre la récurrence des verbes d’actions : « ils passent » (13), « montent »(14), « ils plongent »(15), « ils quittent »(15), « marchent et vont »(17), «on commence par des révérences, on continue par des embrassades »(18) –on note ici le rythme binaire et la gradation des révérences aux embrassades.  Chez les femmes, l’expression des sentiments est impudique, contrastant avec la prétendue modestie de leur mise : «les actrices ne paraissent qu'à demi corps, et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher leurs bras. »(8-9). La négation restrictive « ne paraissent que » ainsi que l’apposition du groupe nominal « par modestie » renforce l’ironie de l’auteur : à l’époque, la mode était en effet au contraire très décolletée. Tout n’est qu’apparence : rien n’est dit sur les paroles échangées qui semblent secondaires (effet de l’ignorance du persan qui vient d’arriver en France et ne connaît pas la langue). La seule allusion à la conversation est placée au service de la critique de la superficialité des intellectuels : « la connaissance la plus légère met en droit d’en étouffer un autre »(19). Le superlatif masque ici l’ironie et la critique des débats superficiels entre intellectuels. L’auteur critique l’art de la conversation. Enfin, tout est incohérence, contradiction entre la réalité et l’apparence : « on dit que les princesses qui y règnent ne sont point cruelles et, si on en excepte deux ou trois heures du

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jour, où elles sont assez sauvages, on peut dire que le reste du temps elles sont traitables et que c'est une ivresse qui les quitte aisément. »(20-22). L’actrice de tragédie est prise entre son être propre et le rôle qu’elle joue : elle peut être emblématique de toute la société où tout est masque, rôle distribué à l’avance.

Conclusion :

Le texte présente un double sens d’interprétation. D’une part, il possède un intérêt historique certain, montrant la situation de l’époque à propos d’un sujet précis. D’autre part, cette lettre est le support d’une satire sur le monde du théâtre et plus particulièrement sur la société mondaine. Un tableau en forme d’énigme proposé à la subtilité du lecteur qui doit découvrir le sens implicite de la description d’un personnage naïf mais qui fait en réalité tomber les masques et révèle la futilité et l’insincérité du monde, lui-même devenu théâtre.

2. Dissertation.La fiction littéraire a-t-elle seulement pour but de divertir le lecteur ou peut-elle servir à l’argumentation ?Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les textes et œuvres que vous avez étudiés ainsi que sur vos lectures personnelles.

Les titres en gras et soulignés ainsi que la présentation des différentes idées à l’aide de tirets ou de retours à la ligne servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie. Rappel : un axe= une succession logique de paragraphes déterminés par une idée soutenue par au moins un argument et illustrée d’au moins un exemple. Dans un axe, il y a autant de paragraphes que de numéros (1. = 1e paragraphe ; 2. = 2e paragraphe…).

IntroductionPour éduquer les enfants, on recourt aux histoires peuplées de personnages

inventés, souvent destinées à forger leur vision de la vie ou à les édifier. L'âge adulte oublie un peu ce goût du récit, considéré en tout cas comme moins sérieux que les autres formes d'argumentation. Cependant, des écrivains comme La Fontaine et Voltaire savent le parti que l'on peut tirer de la force argumentative de la fiction. Pour La Fontaine : « Une morale nue apporte de l'ennui/ Le conte fait passer le précepte avec lui » ( « Le Pâtre et le Lion », VI, 1) Il s’agira ici de s’interroger sur la fonction de la fiction littéraire : a-t-elle seulement pour but de divertir le lecteur ? Pourquoi certains écrivains ont-ils recours à des fictions pour faire passer leur message ? D’abord, nous mettrons au jour la fonction divertissante de la fiction littéraire, avant d’étudier sa force argumentative.

AXE 1. La fiction: un divertissement pour le lecteur.La force de persuasion de la fiction : du côté du lecteurLe récit fictif s'adresse plus à l'affectivité, à l'imagination ; il est plus propre à persuader. Le charme de la fiction...Exemples : certaines situations et certains personnages poétiques, comme le Jardinier dans Electre de Giraudoux...

1. Une affaire de plaisir Le plaisir de la lecture : la saveur du divertissement.

Faire appel au goût pour les histoires : on s'intéresse aux personnages, aux rebondissements, à l'action : « Au moment où je fais cette moralité, / Si Peau d'Âne m'était conté, / J'y prendrais un plaisir extrême » ( « Le pouvoir des fables », VIII, 4).

Apprécier l’art de l’écriture de l’auteur, en particulier des poètes. Exemples : -l’art de la versification dans les tragédies classiques (Phèdre, Racine : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ») ou les drames romantiques de Victor Hugo ;

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-les fables de La Fontaine : le travail sur les sonorités (allitération pour traduire la violence du fléau : « Un mal qui répand la terreur,/ Mal que le Ciel en sa fureur/Inventa pour punir les crimes de la terre,/La Peste » dans la fable « Les Animaux malades de la Peste ») l’hétérométrie (alternance vers courts et vers longs dans le discours du roi Lion : « Même il m'est arrivé quelquefois de manger/ Le Berger. »

2. Le plaisir de l'évasion La fiction permet l'évasion dans d'autres mondes : l’Eldorado dans Candide, l’Espagne dans Ruy Blas de Hugo. Ou d’autres époques : l’antiquité dans Antigone de Anouilh.Le lecteur admet le merveilleux dans en lisant des contes : un univers imaginaire qui divertit le lecteur immergé dans un monde et une époque lointains (début de conte traditionnel : « Il était une fois, dans un pays lointain… »)

3. Les stratégies pour déjouer la censure   : le regard de l’étranger   au service de la critique.Une stratégie de dénonciation largement diffusée, comme le montrent les textes du corpus.Le cas des personnages non humains et de l'apologueExemples :-Le Persan Rica découvre et décrit la société française, prétexte à la satire dans Les Lettres Persanes de Montesquieu. Précisément, par le regard de l’étranger l’auteur dénonce le caractère démesuré et l’hypocrisie des courtisans dans le chapitre 24 « De la Cour » ; ailleurs, Usbek tente de définir « le gouvernement le plus conforme à la raison » et décrit la justice dans différents pays qu’il a parcourus, ce qui permet à Montesquieu de critiquer virulemment la monarchie de Louis XIV.-L’Ingénu de Voltaire (texte C).-Des personnages non humains : la démonstration, animaux ou objets, végétaux, dans les fables, les contes, les apologues en général. Cela facilite le « passage » à la critique : on admet aisément la critique d'un personnage différent de soi, d'un autre monde, présenté comme fictif.Exemples : « Les animaux malades de la peste », « Les Obsèques de la Lionne », La Fontaine. Rhinocéros, Ionesco : les animaux permettent à l’auteur de représenter de façon implicite, détournée la propagation des idées nazies.

4. Le type de «   raisonnement » qu'implique le recours à la fiction d'un récit : le lecteur sollicitéCela met le lecteur dans de bonnes dispositions pour entendre le message.

Après l'imagination, le travail de la raison...La démarche inductiveDe l'exemple à la généralisation, du concret à l'abstrait : vertu de l'exemple.Parle à l'imagination avant de parler à l'esprit.Le lecteur suit l'histoire sans penser à la morale : il se laisse entraîner et surprendre par la logique du raisonnement (inductif).Un lecteur actifNécessité d'interpréter, de faire des hypothèses pour saisir le message.Le recours à la fiction oblige le lecteur à un effort d'interprétation : il doit réfléchir pour « traduire » l’histoire. Exemple : Rhinocéros, Ionesco nécessite la réflexion du lecteur pr comprendre le sens implicite, symbolique de la « rhinocérite » qui touche peu à peu tous les personnages et dont seul Bérenger se trouvera épargné.

Dans tout texte, le lecteur doit décoder les intentions de l’auteur. Lors d’un commentaire de texte précisément, le lecteur analyse les procédés d’écriture et

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cherche à les interpréter : qu’a voulu suggérer l’auteur ? Les procédés d’écriture sont autant d’indices laissés par l’auteur afin que le lecteur découvre le sens caché, implicite du texte. Le plaisir de décoder les intentions de l'auteur (comme dans la devinette).

Bilan/ Transition : La fiction littéraire est avant tout un divertissement destiné à détendre et procurer du plaisir au lecteur. Mais une fiction ne peut être dénuée d’un message que l’auteur veut transmettre et que le lecteur doit décoder. La fiction est plus propre à persuader et convaincre.

AXE 2. La fiction au service de l’argumentation.

1. Un message plus facile à comprendre Une façon différente de faire passer et de comprendre le message.

• Des idées en action, des idées incarnées (exemples), plus concrètement perçues.Persuader plus que convaincre.Évite le discours théorique ou le limite ; pas de ton didactique apparent.Touche un large public, lecteur ou spectateur, de tous âges (les fables - quoi qu'en pense Rousseau -, idéales pour les enfants... et les adultes !).Une affaire d'émotion : fait appel aux émotions, à l'affectivité (on s'attache aux personnages). La sympathie au sens propre avec le personnage.Au théâtre, la fiction du récit s'impose avec d'autant plus de force au spectateur que le personnage est vu et entendu : l'illusion théâtrale joue par le biais des sensations.

Simplification et grossissement pour mieux démontrer.Possibilité de grossir une des caractéristiques d'un personnage pour rendre la démonstration plus claire, plus évidente. Ils sont plus frappants.Exemples : Harpagon et son avarice (Molière, L’Avare) ; Alceste et sa misanthropie (Molière, Le Misanthrope) ; personnages des contes philosophiques de Voltaire (Candide)...

2. Plus vrai que le réel Le « traitement » de l'histoire et des personnages, le style et le savoir-faire de l'écrivain peuvent parfois faire croire qu'il s'agit d'histoires réelles.Exemples : Balzac, qui voulait « faire concurrence à l'état civil », donne à ses personnages de la Comédie humaine un nom et un prénom ; une origine, un passé ; un physique très précis (le mollet du père Goriot) ; unesituation sociale, une profession. Mais tout cela reste fictif. Le cas des mythes, propres à la transformation et à la réécriture, c'est-à-dire intemporels et universels : plus vrais que le réel

Ils sont fictifs, ils préexistent à la création littéraire, mais sont tellement « représentatifs » d'un trait ou d'un comportement au-delà des époques, qu'ils en deviennent presque vrais. Ils en prennent plus de force persuasive.Exemples : Les personnages mythiques : Antigone du Ve siècle avant J.-C. (Sophocle) et du XXe siècle(Anouilh) ; et Dom Juan et les réécritures depuis l’œuvre de Molière, notamment au XIXe siècle : Baudelaire « Don Juan aux Enfers », Balzac, L’Elixir de longue vie.

3. Convaincre grâce à la transposition dans la fiction. La fiction peut aussi développer une argumentation. Les genres de la fiction sont variés :

L’apologue (fable, conte philosophique =récit fictif souvent plaisant où l’action mouve-mentée est mis au service d’une leçon morale ou philosophique. Exemples : « Les ob-sèques de la Lionne » La Fontaine ; Candide de Voltaire qui dénonce par exemple l’ab-surdité de la guerre décrite comme une « boucherie héroïque » ; Le théâtre. Exemple : Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu : un plaidoyer pour la paix juste avant que la seconde guerre mondiale n’éclate. Les lettres fictives échangées entre Usbek et Rica, deux persans qui voyagent en Eu-

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rope et précisément en France. Le roman épistolaire Les Lettres Persanes de Montes-quieu est une critique de l’absolutisme sous Louis XIV et une dénonciation des régimes autoritaires, comme le montre la lettre 80 où l’auteur par l’intermédiaire de l’étranger dé-finit « le gouvernement le plus conforme à la raison ». Le roman : Le roman à portée sociale. La situation fictive permet d'exprimer de ma-nière indirecte un état de fait que l'on veut critiquer : la misère du peuple dans Les Misé-rables de Hugo, la vie des mineurs dans Germinal de Zola.

4. Les différents registres au service de la défense d’une cause. Les auteurs vont employer les différents registres pour persuader et convaincre le

lecteur. L’ironie au service de l’argumentation. Les exemples :-Voltaire chapitre 6 de Candide au cours duquel Candide et Pangloss sont arrêtés et

condamnés, « l’un pour avoir parlé et l’autre pour avoir écouté avec un air d’approbation ». Les cachots deviennent des « appartements d’une extrême fraîcheur dans lesquels on n’était jamais incommodé par le soleil ». De même, chapitre 3 où Candide assiste au désastre de la guerre entre les bulgares et les abares : « Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. » L’ironie est chez Voltaire une arme de dénonciation très efficace pour dénoncer l’absurdité de « cette boucherie héroïque » (on note ici également un oxymore !).

L’humour permet d’amener le lecteur à réfléchir sur les dangers de l’obscurantisme contre lequel les philosophes des Lumières ont lutté.Exemple : la naïveté des personnages de contes philosophiques chez Voltaire L’Ingénu, Candide, Micromégas…).Mais aussi à d’autres époques où la dérision a permis de dédramatiser la gravité d’un contexte et aussi de se protéger de la censure.Exemples :-Hugo utilise l’humour dans ses poèmes satiriques des Châtiments.-Jarry Ubu Roi : le burlesque pr critiquer les abus du pouvoir.-« les Guignols de l’info ». Le registre pathétique (Zola Germinal, discours d’Etienne Lantier adressé aux mineurs appelés à la grève, description du travail des enfants).

Conclusion. La littérature qui s'éloigne du réel et nous transporte dans l'imaginaire permet

souvent de mieux comprendre le monde. La fiction répond au désir de « plaire et instruire ». En effet, si elle est avant tout un divertissement pour le lecteur, elle est surtout le moyen d’un engagement de l’auteur, le lieu de la diffusion d’idées : la littérature est engagée. Néanmoins, l’imagination ne peut se passer de la réalité. Ainsi la combinaison de la réalité et de la fiction, de l’argumentation directe et indirecte permet-elle d'engager toutes les sortes de public dans les débats d'idées : dans l'Antiquité, le jeune qui voulait faire carrière dans la politique, exercer des responsabilités dans la cité, devait maîtriser toutes les techniques de l'art oratoire et de la persuasion, en recourant aussi bien aux « histoires » avec des « personnages » qu'aux arguments directs. Il en va de même de nos jours.

3. SUJET D’ECRITURE SUPPLEMENTAIRE – Dissertation : Le texte théâtral et sa représentation.Attendez-vous que les décors, les accessoires, les costumes évoqués dans le texte théâtral soient tous pris en compte par le metteur en scène pour la représentation ? Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et sur vos lectures personnelles.

Les titres en gras et soulignés ainsi que la présentation des différentes idées à l’aide de tirets ou de retours à la ligne servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.

Rappel : un axe= une succession logique de paragraphes déterminés par une idée soutenue par au moins un argument et illustrée d’au moins un exemple. Dans un axe, il y a autant de paragraphes

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que de numéros (1. = 1e paragraphe ; 2. = 2e paragraphe…). 

IntroductionLa représentation d'une œuvre théâtrale est une création collective et incarnée. Une fois écrite, la pièce échappe à son auteur et ne lui appartient plus : ce sont les acteurs qui donnent corps à l'œuvre. Dans cette création collective, les accessoires, les décors et les costumes jouent un rôle important et les dramaturges eux-mêmes y accordent une attention particulière. Lors de la représentation, le metteur en scène doit-il suivre scrupuleusement les indications de l'auteur et prendre en compte tous les éléments concrets mentionnés dans le texte théâtral ? Certes, il faut rester fidèle aux directives de l'auteur, mais le théâtre, par sa nature, autorise (et peut même exiger) des entorses à la fidélité absolue. Une mise en scène réussie doit satisfaire les trois « créateurs » d'une pièce : l'auteur, le metteur en scène et le public.

AXE I.   La fidélité à l'auteur et au texte

1.   Pas d'amputation du texte, pas de solution de facilité L'auteur est le créateur premier, le mieux placé pour savoir comment servir au mieux

la pièce. Ne pas suivre ses indications, c'est risquer de la dénaturer.L'objet est un élément de la pièce à part entière, il fait partie du texte. Le théâtre du XVIIe siècle comporte très peu de didascalies. Plus tard, elles se multiplient : les dramaturges, Hugo, puis au XXe siècle Beckett, pensent que les éléments concrets enrichissent la pièce.

Si le metteur en scène ne tient pas compte des didascalies, il ampute l'œuvre. Ainsi de Don Juan et Sganarelle, au début de l'acte III de la comédie de Molière : ils sont habillés l'un en médecin, l'autre en habit de campagne ; si Sganarelle n'est pas en médecin, il ne peut plus prétendre parler sous l'influence de son habit de médecin (« Cet habit me donne de l'esprit... ») et on perd toute l'intention de Molière.

2.   Costumes et décors servent d'indicateurs Objets, costumes et décors permettent d'identifier la pièce au premier coup d'œil, et

de saisir l'essentiel de l'action de la pièce et son atmosphère. Don Juan est vêtu en maître, Sganarelle en valet et, dès l'abord, les rapports sociaux sont instaurés.Le rôle des éléments scéniques est d'autant plus important pour les pièces à sujet historique ou situées historiquement : ils mettent en place une toile de fond indispensable à l'action. Hugo précise dans le détail les costumes de ses drames historiques : pour faire revivre l'Espagne de Charles Quint dans Hernani, la « vieille » duègne est « en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais, à la mode d'Isabelle la Catholique ».

3.   Costumes, accessoires et décors indispensables -Inscrits dans les répliques, ils déterminent quelquefois les mouvements des personnages, guident la mise en scène et dictent alors leur loi au spectacle. La carotte qu'Estragon mâche dans En attendant Godot est le centre des jeux de scène et de la discussion des deux clochards.-Ils sont parfois les piliers de l'intrigue. C'est la statue du Commandeur qui, dans Dom Juan, entraîne le personnage aux Enfers. C'est sur le jeu des costumes - riche manteau de Premier ministre qui, rejeté, laisse voir la livrée de valet - qu'intervient le coup de théâtre final de Ruy Blas, lequel revendique son statut d'homme du peuple.-Le changement de costume est un élément de complication de l'intrigue fréquent au théâtre : c'est alors lui qui soutient la construction dramatique. Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux repose sur un quadruple travestissement qui provoque une série de quiproquos et sert de support à l'« expérience » amoureuse et sociale de Silvia (la maîtresse), devenue Lisette (la servante) et de Dorante (le maître), devenu Arlequin (le

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valet). Au point qu'ils ne savent plus qui ils sont et qui ils aimeraient être : seuls le spectateur et l'auteur peuvent démêler ce nœud créé par les costumes eux-mêmes, qui prennent le pas sur la volonté de ceux qui les portent. Ils dirigent le discours, chacun devant tenir les propos correspondant à son habit et non à sa véritable identité : on pourrait presque dire que ce sont eux qui parlent ! Quelle plus grande importance peut avoir un élément dans une pièce ?-Enfin, si on ne prend pas en compte certains objets, on peut aboutir au non-sens et le spectateur ne comprend plus rien à la pièce. Si Rodrigue ne sort pas son épée ensanglantée, la réplique de Chimène : « Quoi ! Du sang de mon père encor toute trempée ! » perd son sens. De même, si la fiole de poison est absente de la scène du dénouement dans Hernani, la mort des amants est incohérente.

4.   «   Les objets sont signifiants   » (Artaud) Enfin, certains éléments dépassent le statut de simples objets : ils donnent son sens à la pièce, ont une valeur symbolique et véhiculent son « message » essentiel. Ainsi, la livrée de Ruy Blas lui « colle » à la peau : c'est l'image de son statut de valet qui montre que le peuple ne peut échapper à ses origines ; elle représente, en la concrétisant, la fatalité sociale qui pèse sur le peuple, « grand » mais esclave de son rang. Dans En attendant Godot, la carotte n'est pas qu'un légume banal : elle est l'image de la vie entière, qui perd son « goût » à mesure que l'on vieillit.

AXE II.   Laisser une marge de souplesse à l'interprétation

L'histoire du théâtre montre une évolution dans le domaine des objets, des décors, des costumes : on passe de l'absence d'exigences des dramaturges dans la tragédie et la comédie grecques ou classiques, à l'hypertrophie des didascalies dans le théâtre contemporain.

1.   S'adapter à l'évolution du public Une pièce a trois créateurs : l'auteur, la troupe, mais aussi le public. Or, changement d'époque signifie changement de perception, de sensibilité, de mentalité, de centres d'intérêt et de conditions matérielles des spectateurs. Pour s'adapter aux attentes du public, il faut transposer. Ainsi, le Tartuffe d'Ariane Mnouchkine se « joue » en terre d'islamisme. De nos jours, en effet, il n'y a plus de faux dévots au sens du XVIIe siècle ; or, le problème de la religion se pose toujours, mais en d'autres termes.Les objets ou les costumes n'ont pas la même valeur symbolique selon les époques : cela autorise les « variantes » pour mieux faire comprendre le sens de la pièce. On peut ainsi remplacer la cassette d'Harpagon par un coffre-fort... Certains costumes sont mieux adaptés au spectateur d'aujourd'hui : pour représenter une oppression militaire ou une dictature, le choix de tenues de soldats du IIIe Reich est plus proche de nous.

2.   La recherche légitime de l'originalité Le metteur en scène est lui aussi créateur de la pièce : une place doit être laissée à sa créativité vis-à-vis de l'objet.-Certains metteurs en scène trouvent plus expressif de changer les costumes pour changer d'époque, ce qui convient à certains genres, surtout à la comédie. Dans la version de Michael Hoffman d'un Songe d'une nuit d'été (Shakespeare), la pièce, qui est censée se passer en Grèce chez Thésée et Hippolyte, se déroule en Italie, vers la fin du XIXe siècle où l'on se déplace à bicyclette... Cependant, comme la pièce est fantaisiste, cela se conçoit.-Le metteur en scène peut aller au-delà des intentions de l'auteur et « déployer » l'objet, qui « occupe » toute la scène. Dans la mise en scène des Fourberies de Scapin à la Comédie-Française, le sac dans lequel se cache Géronte bouge d'une façon comique sous l'effet des mouvements du vieillard et devient presque un personnage autonome.-Le théâtre est une création continue, en perpétuelle évolution. Chaque mise en scène

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recrée la pièce et la « plasticité » de certaines œuvres (notamment celles du théâtre classique) laisse une large place à l'innovation et autorise la prise de distance par rapport aux indications de l'auteur : ainsi, la statue du Commandeur dans les mises en scène de Dom Juan a pris de multiples formes (Bluwal, Delcampe...) ; chez Mesguich, ce sont des statues de femmes qui s'animent, images des anciennes conquêtes de Don Juan.

III.   Bon sens et juste mesure Il faut sans doute trouver un juste milieu et refuser toute tyrannie, de l'objet, de l'auteur, ou du metteur en scène.

1.   Que l'objet et le costume restent à leur place Objets, décors et costumes ne sont pas le plus important dans une pièce. Le spectateur vient entendre un texte, voir une action mise en scène, et non des costumes. Ils sont là pour seconder le texte, et c'est en ce sens qu'il faut respecter les indications de l'auteur en tant qu'elles sont utiles et pertinentes. L'objet et le costume doivent être traités de façon à assurer la pérennité, l'universalité et la survie de la pièce. Ainsi, certains metteurs en scène optent pour une modernisation radicale du costume afin de donner une nouvelle dimension à la pièce ou d'en montrer l'actualité. Jouer Dom Juan en costumes contemporains se justifie car cela aide à reconnaître la valeur intemporelle et universelle de ces pièces. Jouer Phèdre en costumes de notre époque, c'est reconnaître que les Phèdre existent toujours, c'est donner une portée humaine à la pièce, élargir son sens (mise en scène de Patrice Chéreau où les costumes sont dénués d’ancrage temporel : robe noire pour le personnage de Phèdre très éloigné du costume antique ou du XVIIe).Or, certains dramaturges se substituent au metteur en scène et verrouillent toute interprétation : l'œuvre ne peut pas évoluer, les règles du jeu du théâtre ne sont plus respectées, la pièce ne peut pas être « interprétée » ; or les « pièces sont faites pour être jouées » (Molière) et rejouées. Le metteur en scène est alors en droit de ne pas obéir à ces auteurs tyranniques et de se démarquer des exigences surabondantes - et parfois excessives - d'un Ionesco ou d'un Beckett.

2.   Des metteurs en scène inutilement iconoclastes Cependant certaines interprétations opèrent de graves déformations et trahissent le texte. Le Malade imaginaire a été joué comme une tragédie : Argan, hâve et pâle, dans une robe de nuit blanche qui ressemble à un linceul, a été interprété comme un vrai malade ; Thésée, dans Phèdre, revient à Trézène avec des valises comme un vulgaire voyageur contemporain... Or, Thésée est un héros qui a une autre envergure.Ionesco, dramaturge, s'indigne qu'on l'ait trahi et dépossédé de sa pièce dans une mise en scène de Rhinocéros à New York, où figuraient des matchs de boxe entre ses personnages. Il s'irrite des inventions incontrôlées de certains metteurs en scène, souvent excentriques, voire absurdes... Le costume est souvent un élément déterminant dans ces trahisons.

ConclusionCostumes, objets, décors sont des éléments indispensables de la création

dramatique. Ils contribuent à l'élaboration du sens de la pièce. Mais leur exploitation exige bon sens et juste mesure. La bonne mise en scène est celle qui parvient à rester fidèle à l'esprit de l'auteur, à laisser une marge de créativité au metteur en scène et à l'acteur, et à s'adapter au public et à lui faciliter la compréhension de la pièce. Comme dans tout travail d'équipe, la réussite naît de l'harmonie entre les différents participants à la création.