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N o 22 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 DOSSIER Tarif standard: 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus: 5 • Tarif de soutien : 10 SCIENCE COMMENT FAIRE DE LA RECHERCHE SUR L’ÉVOLUTION ? par Clémence Grandlarge TRAVAIL SANTÉ, UN RAPPORT À FAIRE VIVRE par Pierre Dharréville ENVIRONNEMENT LE SCÉNARIO NÉGAWATT par Bertrand Cassoret LES FORMES DE L’EAU

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No 22 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

DOSSIER

Tarif sta

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: 5

€ • T

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n :

10

SCIENCECOMMENT FAIRE DE LA RECHERCHE SUR L’ÉVOLUTION ?par Clémence Grandlarge

TRAVAILSANTÉ, UN RAPPORT À FAIRE VIVREpar Pierre Dharréville

ENVIRONNEMENTLE SCÉNARIO NÉGAWATTpar Bertrand Cassoret

LES FORMES DE

L’EAU

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

ÉDITO Sortir du nucléaire ou sauver le climat : il va falloir maintenant choisir ! Amar Bellal ..................................................... 3

DOSSIER LES FORMES DE L’EAU .................................................................................................. 6

ÉDITO Histoires d’eaux Ivan Lavallée .................................................................................................................................................. 7Planète bleue Marie-Françoise Courel ..................................................................................................................................................... 8Ressources en eau et utilisations dans le monde. Idées reçues et réalités Jean Margat ........................................................... 11Allons-nous bientôt manquer d’eau? Ghislain de Marsily ............................................................................................................... 16L’eau comme menace : analyse de la tempête Xynthia Jeannine Le Rhun et Marie-Françoise Courel .......................................... 19L’eau et la production d’eau potable : un enjeu majeur du XXIe siècle Stéphane Sarrade........................................................... 24Fleuves internationaux. L’exemple du Mékong Nguyễn Ngọc Trân ............................................................................................... 26Pour aller vers une gestion de l’eau comme bien commun Yannick Nadesan ............................................................................ 28Du développement durable à la paix : l’eau au cœur de nouveaux défis Belaïde Bedreddine ................................................ 31

BRÈVES ....................................................................................................................................................................................... 33

SCIENCE ET TECHNOLOGIENUCLÉAIRE CIVIL Alerte rouge : le nucléaire français n’a plus de haut-commissaire Sylvestre Huet .......................................... 34NUMÉRIQUE Aux origines de la révolution numérique, la machine de Turing Ivan Lavallée ........................................................ 36JEUNES CHERCHEURS Comment faire de la recherche sur l’évolution ? Clémence Grandlarge ...................................................... 38

TRAVAIL - ENTREPRISE - INDUSTRIESERVICE PUBLIC Santé au travail : un rapport parlementaire à faire vivre Pierre Dharréville ......................................................... 40INDUSTRIE AZF/Total : dix-sept ans après, quels enseignements retenir ? Rémy Jean ................................................................. 44DROITS Un an d’ordonnances Macron : haro sur les droits collectifs Dorian Mellot ...................................................................... 47

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉÉNERGIE Les certificats d’économies d’énergie : un exemple de l’escroquerie du capitalisme « vert » Jérémie Giono ........ 50ÉNERGIE Le scénario Négawatt : des hypothèses problématiques Bertrand Cassoret .................................................................. 52ÉCONOMIE Enjeux environnementaux des cryptomonnaies Samuel Sigg ..................................................................................... 54

HORS LES MURS........................................................................................................................................................................ 57

LIVRES........................................................................................................................................................................................... 58Les sciences et les techniques au féminin: France Bloch-Sérazin ............................................................................................. 60

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Progressistes (trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 13 41 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François BolzingerDirecteur de la rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints : SébastienElka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Rubrique Science : Arnaud Vaillant • Rubrique Travail : Léa Bruido • Rubrique Environnement : Jean-ClaudeCheinet • Brèves : Emmanuel Berland • Livres : Delphine Miquel • Jeux et stratégies : Taylan Coskun • Comptabilité : Mitra Mansouri • Abonnements : FrançoiseVarouchas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona • Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Jean-Claude Cauvin, Clément Chabanne,Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Claude Frasson, Clémence Grandlarge, Michel Limousin, George Matti, SimoneMazauric, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Françoise Varouchas • Informatique : Joris Castiglione • Conception graphique et maquette : Frédo Coyère •Expert associé : Luc Foulquier • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75167 Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0922 G 93175 • No ISSN :2606-5479 • Imprimeur : Public imprim (12, rue Pierre-Timbaud, BP 553, 69637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

ous y sommes : 2018 est une des annéesles plus chaudes de l’histoire récente dela planète. Le réchauffement climatique

est à un niveau de + 1 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, et les experts du climat dont les travauxsont recensés par le GIEC estiment maintenantque, à ce rythme, il pourrait bien atteindre + 3 °C,voire + 5 °C d’ici à la fin de ce siècle.+ 3 °C de plus? « Ce n’est pas si grave. La Bretagnesera plus agréable durant l’été, les vignes serontcultivées un peu plus au nord en France… Ce n’estdonc pas si catastrophique que cela. » De tels propos,assez courants, relèvent d’une grave erreur d’éva-luation… À ce titre, lorsque l’on pose la questionau public : À combien de degrés de refroidissementcorrespond l’ère glaciaire, quand les glaciers recou-vraient la moitié de l’Europe?, les réponses sonttrès instructives… Alors, combien de degrés avons-nous en moins par rapport à cette époque? 10 °C?15 °C? 20 °C? Non! La réalité c’est qu’une glaciationcorrespond à un refroidissement global de la Terrepar rapport aux températures actuelles d’à peine2 à 3 °C, pas plus. Dit autrement : à + 3 ou + 5 °Cde réchauffement, la Terre sera complètementméconnaissable. Ainsi, un voyageur qui auraitséjourné dans l’espace, en hibernation, durantcinquante ans aura du mal à reconnaître notreplanète à son retour, même depuis l’espace, tantles couleurs et la végétation auront changé. Celadonne la mesure de la transformation radicaleque subira notre planète, qui s’en relèvera, elle,ce n’est pas le problème… Quant à l’humanité,c’est une autre histoire. L’Afrique, géant démo -graphique de demain, et d’autres régions densémentpeuplées seront en partie transformées en vastesdéserts, et les événements et catastrophes climatiquesintenses deviendront beaucoup plus fréquents.Cet ordre de grandeur en nombre de degrés deréchauffement et la comparaison avec l’ère glaciairegagneraient à être popularisés : on saisit mieuxquelle sera l’étendue du désastre si on ne fait rien.Et si on ajoute à cela le délai très court pour agir– il ne nous reste pas plus de quinze ans d’aprèsJean Jouzel, climatologue mondialement connu

–, on comprend qu’il ne faut plus se tromper decombat et utiliser toutes les techniques à notredisposition et déjà éprouvées pour décarbonernotre production d’énergie, aussi bien concernantl’électricité que la production de chaleur.Quinze ans, c’est court, et on ne peut pas demanderaux scientifiques et aux ingénieurs de trouver dujour au lendemain un moyen révolutionnaire destockage massif de l’électricité, condition pouravoir une part significative de production électriquepar le solaire et l’éolien – l’Allemagne commenceà prendre conscience de ce plafond technologique!–, et ensuite de déployer à l’échelle industriellecette hypothétique découverte par des prototypes(à supposer qu’on fasse cette découverte scientifiqueaujourd’hui). Penser que par cette voie on pourrane serait-ce que réduire la part du nucléaire dansle monde, c’est au mieux méconnaître les réalitésscientifiques et industrielles, au pis pécher parexcès de dogmatisme en posant la « sortie dunucléaire » comme un préalable absurde au regardde la catastrophe en cours. Cela rejoint le sens dudernier rapport du GIEC, qui préconise à l’échellemondiale d’augmenter le nombre de réacteurs, àcôté bien sûr de mesures favorisant les énergiesrenouvelables – très efficaces dans la productionde chaleur, nettement moins pour l’électricité –,et les mesures d’efficacité énergétique : isolationdes logements, économie circulaire, transports encommun, voiture propre, etc.Les pays avancés technologiquement ont le devoirainsi de maintenir leur part de nucléaire, et mêmede le développer, afin que d’autres puissent dansun premier temps utiliser des énergies plusconventionnelles en attendant de pouvoir à leurtour développer cette filière. C’est en ce sens quela France s’engage dans la mauvaise voie enposant la réduction du nucléaire comme un pos-tulat, en contradiction flagrante avec les conclu-sions du GIEC.

Ne pas se tromper de combat ni de calendrier.Entre le combat pour la « sortie du nucléaire » etle climat, il va falloir choisir… Et le temps presse. n

AMAR BELLAL,RÉDACTEUR EN CHEF DE PROGRESSISTES

Sortir du nucléaire ou sauver le climat : il va falloir maintenantchoisir !N

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COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

N°19 BITCOIN, BLOCKCHAIN, TRADINGHAUTE FRÉQUENCE OUVA LA FINANCE?Un dossier inédit sur la finance et les tech-nologies numériques. Avec une contributionnotable de Nicole El Karoui, spécialisteen mathématiques financières. Retrouvezaussi les autres rubriques avec entre autresun texte sur la fameuse équation E=mc2,l’aménagement du territoire et le travail àdomicile. Enfin, nous rappelons l’engagementde Martha Desmureaux, ouvrière, avecune pétition demandant son entrée auPanthéon.

No 21 CHINE, PRÉSENT ET FUTURSCe dossier soumet à la réflexion les évolutionsrécentes des forces productives chinoisespour comprendre la voie spécifique surlaquelle s’est engagé le géant asiatique. Retrouvez aussi les autres rubriques avec,entre autres, un entretien avec l’astro -physicien Roland Lehoucq, un texte surla cobotique, la robotique collaborative etune contribution traitant des spéculationssur les denrées alimentaires par GérardLe Puill.

N°18 SCIENCES ET TECHNIQUES,DES RÉPONSES PROGRESSISTESLes réponses du PCF sur les grands sujetsscientifiques et techniques: santé, énergie,écologie, recherche, OGM, climat, numérique…Nous abordons aussi la précarité énergétiqueavec une contribution de Minh Ha-Duong,membre du GIEC. À noter un article de SergeAbiteboul sur la sous-traitance par la DGSE denos données à une entreprise états-unienne,un texte sur la souffrance des femmes au travailde Karen Messing ainsi qu’une contribution deGérard Le Puill sur le glyphosate.

N° 20 LE NUCLÉAIREÀ L’INTERNATIONALUn dossier qui dresse un panorama dunucléaire civil dans le monde, des avancéesde la recherche et des coopérations inter-nationales existantes. On trouvera aussi un appel à distinguer le vrai du faux dansles médias par Sylvestre Huet. Retrouvezaussi les autres rubriques avec, entre autres,un entretien avec Jacques Treiner sur l’intérêtde mettre la science à la portée de tous,un texte sur la sécurité au travail et unecontribution sur l’eau Cristaline.

N°17 BIODIVERSITÉLa biodiversité est aujourd'hui appropriéeet mise en péril au nom de logiques éco-nomiques et financières. Quelles politiquesmener pour la préserver ? C’est le thèmedu dossier. Nous faisons aussi le pointsur l'économie du pétrole avec les contri-butions de Pierre-René Bauquis et DenisBabusiaux. À lire aussi, les rapports entrehumains et animaux au travail par JocelynePorcher, Sylvestre Huet sur les énergiesrenouvelables, et un texte de Gilles Cohen-Tanoudji sur le CERN.

N°15 PÉTROLE, JUSQU’À QUAND?Grand oublié des débats sur l’énergie.Ce numéro revient sur les enjeux écono-miques, écologiques et géopolitiquesactuels et à venir autour de l’extractiondu pétrole. À lire aussi, « La science éco-nomique est-elle expérimentale ? » parAlain Tournebise, « D’autres choix politiquespour retrouver un haut niveau de sécuritéferroviaire » par Daniel Sanchis, ou encore« Loi “travail” : quand le Web rencontrela rue » par Sophie Binet.

N°14 INDUSTRIE PEURSET PRÉCAUTIONFace aux peurs et à la désindustrialisation,comment lier sûreté et développement indus-triels ? Ce numéro montre que des conver-gences existent pour repenser la gestion del’industrie afin qu’elle soit propre, sûre etutile. On lira aussi : « Scénarios 100%renouvelable, que valent-ils ? », « Jumelageentre syndicats français et cubains », etencore « L’intérim, un essor spectaculairementcontradictoire ».

N°13 JEUNESSE, REGARDSUR LE PROGRÈSDonner la parole à des étudiants commu-nistes de toute la France sur des sujetsaussi divers et fondamentaux que l’écologie,les transports, l’énergie, l’industrie, l’agroa-limentaire ou encore la révolution numérique.Dans ce numéro, on lira également « Linky,mythes et réalités sur un compteur électrique »de Valérie Goncalves, « Faut-il débattredes terroristes ou du terrorisme ? » parNicolas Martin ou encore un article sur lesjeux d’échecs par Taylan Coskun.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

LES FORMES DE L’EAU

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

PAR IVAN LAVALLÉE*,

être que vous chérissez le plus au monde contient 70 %d’eau. C’est dire si les enjeux qui sont liés à l’eau et à samaîtrise – eau de mer, eau douce, eau potable – nous

concernent tous personnellement, sont vitaux pour l’humanitéet sont des enjeux politiques et géopolitiques majeurs.La quantité d’eau sur la Terre est immuable à l’échelle de notrehumanité, mais ce n’est pas un « stock » : c’est un flux, et ce fluxest sujet à maints problèmes géopolitiques dès lors qu’il est celuide grands fleuves traversant plusieurs pays.L’article du professeur NguyễnNgọcTrân soulève les problèmesque pose la gestion de l’eau du Mékong, qui arrose six pays : la Chine, le Myanmar, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam.Jean Margat, expert auprès de l’UNESCO et de la FAO, nous montrecomment appréhender la complexité de ce flux hydrique, de l’eaudes océans à celle qui coule au robinet, celle douce et celle potable.Il y a de l’eau, oui, même qu’elle recouvre la plus grande partie de laplanète, mais il convient d’y prendre garde et d’en comprendre ladynamique et les enjeux. Stéphane Sarrade, chercheur au Commissariatà l’énergie atomique, s’intéresse à l’approvisionnement en eaupotable de l’humanité, et donc à sa production et à sa gestion.Ghislain de Marsily, de l’Académie des sciences, examine quantà lui les effets conjugués du réchauffement climatique et de l’ac-croissement démographique sur l’accès à l’eau des populations.Jeanine Le Rhun, et Marie-Françoise Courel, respectivement

maître de conférences et directrice d’études émérite à l’EPHE,traitent ici de l’eau comme menace eu égard aux événementsmétéorologiques au travers, entre autres, du cas de la tempêteXynthia. Mme Courel revient aussi, dans un deuxième article, surle cas des zones semi-arides.Yannick Nadesan est président de Eau bassin rennais et conseillermunicipal PCF délégué à l’eau, au contrôle budgétaire et servicesconcédés de Rennes. Il propose trois pistes pour que l’eau potablene devienne pas une marchandise pour privilégiés.Belaïde Bedreddine, vice-président du conseil départemental dela Seine-Saint-Denis et adjoint au maire de Montreuil, revientpour ce qui le concerne à partir des l’objectifs de développementdurable (ODD) définis dans l’Agenda 2030 de l’ONU sur la loiOudin-Santini et les politiques des collectivités dans la gestionlocale de l’eau. Il montre que si l’accès à l’eau se raréfie apparaîtraun facteur supplémentaire d’instabilité politique, et qu’il convientdonc d’avoir une gestion orientée vers la satisfaction des besoinsde la collectivité plutôt que de laisser cette ressource vitale auxmains du privé et du marché. n

HISTOIRES D’EAUX

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*IVAN LAVALLÉE est directeur derédaction de Progressistes.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

PAR MARIE-FRANÇOISE COUREL*,

lanète bleue, c’est le très beaunom donné à la Terre. 70 %de sa surface est en effet recou-

verte par les eaux, ce qui en représentequelque 1400millions de kilomètrescubes. Mais 97,3 % de cette eau estsalée, donc 2,7 % seraient disponiblespour la consommation. Eh bien non!seul 1 % est disponible pour laconsommation humaine. Cette partiede l’hydrosphère est en recyclageconstant, mais c’est un volume finiet malheureusement dégradé partoutes les pollutions que l’on sait.Avec près de 7 milliards d’hommessur la planète, les besoins en eau sonten augmentation constante : besoind’eau potable, développement indus-triel consommateur d’eau, urbani-sation croissante, irrigation pourl’agriculture… Cette dernière est àl’origine de la formidable augmen-tation de la consommation d’eaudurant ces dernières décennies: pro-gression de plus de 60 % depuis lesannées 1960. Ces prélèvements repré-sentent 70 % du total des prises, etce taux atteint 90 % dans les pays envoie de développement.Ces statistiques mondiales doiventêtre manipulées avec précaution.Traduire par un indicateur uniqueles situations de pays aussi différen-ciées en étendue, en répartition despopulations, en répartition des res-sources en eau fragilise la significationdes comparaisons mondiales, car lefaire revient à comparer des paysnon comparables.Quelques exemples : on nous dit,« plus d’un milliard d’êtres humainsserait actuellement privé d’accès àl’eau saine » (Johannesburg 2001,Kyoto 2002…).On ne peut pas se contenter du chiffreglobal ; il faut analyser la géographie

de ces déficiences en distinguant lasituation des populations, les diffi-cultés d’accès à l’eau et les coûts demobilisation de cette eau. Il est trèsdifférent de comparer les ressourcesen eau par habitant et les taux d’accèsdes populations à l’eau saine, calculésen moyenne par pays. Ce n’est pasen zone aride et semi-aride que vitla plus grande partie des populationssans accès à l’eau mais en zonehumide intertropicale, zone où lesressources en eau sont pourtant abon-dantes. Attention aux idées reçuesqui sont bien différentes de la réalité.Il faut revisiter la notion de ressourcesen eau renouvelable – à ne pas confon-dre avec la répartition des stocksd’eau douce –, ne pas oublier que leseaux superficielles et les eaux sou-terraines sont interdépendantes (cyclede l’eau) et que la géographie desressources en eau est à mettre enrelation avec les densités de popu-

lations. Ainsi, la pauvreté traduit bienplus les défauts d’accès à l’eau potabled’une partie de l’humanité que larareté des ressources elles-mêmes.Cela pour dire que l’eau mondialeest un sujet terriblement complexe,comme le dit Jean Margat du BRGM,c’est « un thème de choix pour lesanalystes de l’état du monde, les chan-tres du développement durable, lesprospectivistes, les économistes, lesexperts et les communicateurs ».Et si l’eau exige de la gouvernancemondiale, le rôle de la recherche est

PLANÈTE BLEUELa maîtrise de cette ressource précieuse qu’est l’eau se pose de plus en plus fortement sur la planète.Dans un contexte d’internationalisation de cette problématique, son étude en zones aride et semi-aridefournit un cadre privilégié pour penser les orientations futures souhaitables.

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Si l’eau exige de la gouvernancemondiale, le rôle de la recherche est de travailler en profondeur sur la compréhension des fonctionnementsdes systèmes environnementaux qui intègrent les interrelations entre les sociétés et la ressource.

“ “P

FOYERS DES CIVILISATIONS HYDRAULIQUES ET MILIEUX BIOCLIMATIQUES

(D’après Bethemont, 1981).

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

s

de travailler en profondeur sur lacompréhension des fonctionnementsdes systèmes environnementaux quiintègrent les interrelations entre lessociétés et la ressource.

L’ÉCLAIRAGE DE L’HISTOIREL’histoire nous montre que les grandescivilisations, en particulier dans leszones arides, sont nées de la maîtrisede l’eau, en témoigne le rayonnementde l’Égypte ancienne par le dévelop-pement des systèmes hydrauliquesdu Nil, ou encore la prospérité de laMésopotamie par la naissance del’irrigation.Ce sont les archéologues (JacquesCauvin, 1981, Olivier Aurenche, 1982,Jacques Bethemont, 1982) qui, lespremiers en France, se sont interrogéssur la conversion de certains groupeshumains à l’agriculture hydrauliqueet ont posé le problème du déter-minisme environnemental, tout enprivilégiant le déterminisme socio-culturel.

L’histoire de l’irrigation au cours dessix derniers millénaires a été envisagéepar les archéologues et les historiensen relation avec les variations duclimat et de l’environnement, lestransformations des techniques, l’ur-banisation, l’émergence de formationssociales complexes jusqu’à l’État etle rôle des autorités centrales dansl’aménagement du territoire. Cesmises en relation ont donné lieu àdifférentes théories.

ASPECTS DE LA PROBLÉMATIQUEACTUELLEEn prenant en compte l’échelle régio-nale marquée par l’histoire des amé-nagements, le monde de l’irrigationest bien plus riche de situations localeset régionales.Dans les zones arides et semi-arides,l’eau n’échappe pas aux enjeux pla-nétaires, mais elle présente des par-ticularités significatives : fragilité desécosystèmes secs et limites des res-sources disponibles, salinisation des

eaux et des sols, pollution, déserti-fication accélérée depuis trente anstémoignent de la crise actuelle.Entre 1996 et 2030, l’augmentationdes prélèvements en eau pour l’agri-culture sera élevée (plus de 100 %)dans 14 pays, et relativement élevée(50 à 100 %) dans 21 autres pays. Ellerestera inférieure à 20 % dans 33 pays.Pour préfigurer les enjeux futurs ettenter une approche prospective, lesscientifiques doivent aborder l’objeteau comme un système complexequi recouvre aussi bien les systèmesnaturels de l’écosphère que les sys-tèmes artificiels, construits parl’homme. Il s’agit bien de différenciercertaines entités (hydrogéologie, cli-mat, usages, gestion) et d’étudiercomment elles interagissent demanière complexe.Des exemples concrets d’action plu-ridisciplinaire de recherche montrentdifférentes approches du fonction-nement de l’eau comme les systèmesirrigués des oasis du Taklimakan, enChine, ou encore l’irrigation paraspersion en zone hyperaride (Arabiesaoudite et Libye).L’accumulation de sels est responsablede l’endommagement grave des terresde culture.L’évaporation, faute d’un drainagesuffisant, est la cause principale dela salinisation des sols. Dans les airesirriguées, l’eau infiltrée en excès faitremonter vers la surface non seule-ment les sels qu’elle a dissous, maisaussi les sels préexistants dans dessols déjà salins. La forte évaporationfavorise les remontées capillaires, etla faiblesse des précipitations limitele lavage naturel des sols. Le gypse,sel le plus fréquent, est mal tolérépar la plupart des plantes : il contribue

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Terres salées dansles bordures du

Taklimakan.

AUGMENTATION DES PRÉLÈVEMENTS POUR L’AGRICULTURE

Source : FAO, 2002.

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à imperméabiliser le sol et bloque lapénétration des racines. L’excès desels dans le sol et dans l’eau d’irrigationsoumet les plantes à des stresshydriques ; une sécheresse physio-logique se développe, les échangesd’eau finalement s’inversent de laplante vers le sol. De plus, une tropgrande irrigation provoque uneremontée de la nappe phréatique(lorsqu’elle est proche de la surfaceirriguée) qui s’évapore, contribuantainsi à l’augmentation de la salini-sation du sol et à l’engorgement.La pollution des sols est plus sévèredans les milieux secs car le drainagedes polluants accumulés y est difficileen raison de la nature du sol, et ledéficit en eau empêche leur éva -cuation, surtout dans les bassinsendoréiques.Les eaux utilisées pour l’irrigationont presque toujours un niveau desalinité élevé, qui s’accentue del’amont vers l’aval du bassin hydro-graphique. En effet, les réseaux dedrainage des zones irriguées ont sou-vent pour exutoire le fleuve lui-même,ce qui provoque vers l’aval une accu-mulation d’eau salée non diluée. Deplus, les barrages et réservoirs ontune évaporation importante, ce quia pour conséquence la concentrationde sels minéraux dans les eaux des-tinées à l’irrigation.Le problème de manque de drainagedes terres concerne environ 100 à110 millions d’hectares de terres irri-guées situées en régions arides etsemi-arides. À l’heure actuelle, laperte annuelle est de 0,25 à 0,5 milliond’hectares pour la production ali-mentaire. Par conséquent, le drainagedes terres irriguées est un besoinmajeur.

QUESTIONS LIÉES AUX PRÉLÈVEMENTS DANS LES GRANDS AQUIFÈRESLa surexploitation des aquifèresentraîne la baisse du niveau de lanappe phréatique; de ce fait, les coûtsde pompage deviennent prohibitifs.De plus, en zone côtière, elle favoriseles intrusions d’eau saumâtre (péné-tration sous le continent du biseaumarin, notamment en Égypte, Israëlet Libye).Le renouvellement des grands aqui-fères se pose en termes stratégiqueset patrimoniaux en fonction de leur

degré d’utilisation. L’utilisation pourla grande irrigation des aquifères fos-siles pose problème si l’on se placedans une perspective de développe-ment durable : il y a, par exemple,risque d’épuisement des aquifèrescontinentaux fossiles en Arabie saou-dite, en Libye et au Yémen, au détri-ment des générations futures.Les nappes souterraines ont été surex-ploitées dans de nombreux pays, desorte que la baisse annuelle de cesnappes dans les principaux pays àdéficit hydrique s’élèverait à environ160 km3 d’eau.Cela signifie que quelque 180 millionsde tonnes de céréales, soit environ10 % de la récolte mondiale, seraientproduites au moyen de prélèvementsqui épuisent les ressources en eaunon renouvelables. Paradoxalement,une proportion équivalente ou plusimportante de la production ali-mentaire est menacée par la montéedu ni veau des nappes d’eau souter-

raines dans les zones irriguées oùle drainage est insuffisant.

CONCLUSIONDans une perspective du dévelop-pement durable, l’objet eau en zonesaride et semi-aride constitue une« entrée » privilégiée pour l’analyseet fournit un cadre exceptionnel pourétablir des orientations futures.Le panorama de l’eau aujourd’huise caractérise à la fois par une mutationet une internationalisation croissante.La mutation est d’abord institution-nelle, notamment en ce qui concernela ressource et les différents usagesque l’on en fait (agricole, industriel,domestique). Cette mutation va depair avec une prise en considérationcroissante des questions environne-mentales. L’internationalisation résideavant tout dans la mondialisationde la question de l’eau, même si lagestion est l’apanage des États. Laproblématique et les enjeux sontappropriés par les instances inter-nationales, et l’or bleu s’impose dansla conscience collective comme ladenrée la plus convoitée du XXIe siècle,avec en toile de fond la menace des« guerres de l’eau ». La suprématiede l’amont des cours d’eau a, depuisdes millénaires, été comprise par leshommes qui savent que le pouvoirréside dans la maîtrise de cette res-source vitale. n

*MARIE-FRANÇOISE COUREL estdirectrice d’études émérite à l’École pratiquedes hautes études.

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Une folie: l’irrigation par aspersion en zone désertique.Ici, l’exemple de l’Arabie saoudite (vue satellitaire et détail).

EXPLOITATION DES EAUX SOUTERRAINES DANS CERTAINS PAYS

PAYS PRÉLÈVEMENTS TOTAUX (en %)

Koweït 46,5

Bahreïn 40,2

Malte 32,2

Émirats arabes unis 70,9

Qatar 14,9

Libye 90,0

Jordanie 17,5

Arabie saoudite 79,7

Source : Water Resources of the Near East Region : a review (FAO,2002).

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PAR JEAN MARGAT*,

RESSOURCES EN EAU ET MASSESD’EAU DE L’HYDROSPHÈREPour s’en tenir aux idées les plus cou-rantes : Est-il pertinent de mesurerles ressources en chiffrant les volumesd’eau de la planète? De confondreles ressources avec toute l’eau queson cycle met en mouvement sur lescontinents, en assignant au cycle del’eau le rôle premier, sinon exclusif,de pourvoyeur de ressource pourl’humanité? De réduire leur géogra-phie à celles des seules variables ducycle de l’eau, objet des scienceshydrologiques? D’évaluer séparémentdes ressources en eau de surface etdes ressources en eau souterraine?D’incriminer la nature de mal répartirces ressources au regard des besoinsde l’humanité, voire d’imaginer leurpartage mondial par des transports?Puis de lier les inégalités d’utilisationd’eau dans le monde aux seules dis-parités de développement et derichesse, ou encore de voir dans lespénuries d’eau un obstacle au « déve-loppent durable » ? Enfin, d’imputerà la rareté des ressources le manqued’accès à l’eau potable dont souffreaujourd’hui un cinquième de l’hu-manité? Sur toutes ces questions, lesréalités sont assez éloignées des idéesreçues et parfois les contredisent.Petite phrase type abondammentrépétée: « L’eau constitue la ressourcela plus abondante sur la planètepuisqu’elle recouvre environ 71 % desa superficie et correspond à un volumede 1400 millions de kilomètres cubes. »Renouvelables pour l’essentiel, lesressources en eau sont constituées

par des flux et non par des stocks, àla différence de bien d’autres matièrespremières minérales, et ces flux d’eaudouce sont naturellement entretenuspar le cycle de l’eau dans ses emprisescontinentales. Il ne faut donc pasassimiler les ressources en eau et lesmasses d’eau de l’hydrosphère.

QUELLES GÉOGRAPHIES DES RESSOURCES EN EAU?Donner des images de la répartitiondes eaux douces sur les terres émer-gées est le propos de cartographiesvariées, mondiales ou régionales etgénéralement à petite échelle, pré-sentées comme « géographies desressources en eau ». Cependant, cescartographies privilégient surtout larépartition des flux d’apport d’eaulocaux, déduits de données hydro-logiques mesurées ou calculées, dif-féremment représentés :

– soit exprimés en hauteur moyenneannuelle (mm/an) ou en flux moyenpar unité de surface et cartographié :• comme des variables régionalescontinues, similaires et comparablesaux précipitations (ex. : la carte mon-diale de L’vovich, 1974) ;• ou bien de manière discrète, parmaille (ex. : la carte mondiale de run -off établie suivant une modélisationpar l’université de Kassel, 2002);

• ou encore en « densité moyenne »estimée par pays (exemple : carteétablie par la FAO en 2003, ou parbassin (exemple : carte établie parl’université de Kassel, 2002, reproduitedans la publication Water for Life,2007, et dans UN World WaterDevelopment Report).– soit exprimés en flux moyen annuel(km³/an) cumulé et rapporté à desaires définies: zone climatique, conti-nent, pays, région ou bassin fluvial,et traduits en cartographie par descartogrammes, des mosaïques(classes) ou des anamorphoses.Ces cartographies très parlantes met-tent bien en évidence l’extrême dis-parité de répartition des apportsmoyens à toutes échelles (elles pour-raient et devraient être utilementcomplétées par celles des régimeset des variabilités des apports dansle temps). Mais suffisent-elles à décrireune géographie des ressources eneau?En se focalisant sur la genèse desécoulements – données hydrologiquescertes primordiales –, elles entérinentl’identification apports-ressourcesmais délaissent les autres fonctionsdu territoire vis-à-vis des ressourcesen eau.Tout territoire (pays, région, bassinhydrographique) exerce en effetquatre fonctions naturelles principaleset indissociables sur la dynamiquedu cycle de l’eau dans son étape ter-restre. Fonctions :– de réception des apports météo-riques et de génération des écoule-ments superficiels ou souterrains(par ruissellement ou recharge desaquifères), en somme de « produc-

RESSOURCES EN EAU ET UTILISATIONSDANS LE MONDE. IDÉES REÇUES ET RÉALITÉS

L’eau est un sujet majeur de la géographie physique, aussi bien qu’humaine et économique du mondeau XXIe siècle, un thème de choix pour les analystes de l’état du monde, les promoteurs du déve -loppement durable, les prospectivistes et les communicateurs. Pourtant les visions générales et les

présentations médiatisées sur les ressources en eau du monde et leurs utilisations humaines ne sont pasexemptées d’idées reçues qu’il convient de mettre en regard des réalités.

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Renouvelables pour l’essentiel, lesressources en eau sont constituées par desflux et non par des stocks et ces flux d’eaudouce sont naturellement entretenus par lecycle de l’eau dans ses emprisescontinentales.

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tion » des ressources en eau renou-velables (eaux bleues) ;– de collecte et de transport par lesréseaux hydrographiques et les aqui-fères (souvent interconnectés), doncde distribution ;– de stockage par les réservoirs naturelssuperficiels ou souterrains, à fonctionplus ou moins régulatrice, et par lespotentiels de stockage artificielsofferts (sites de barrage de retenue) ;– de perte par évaporation à partirdes plans d’eau et des zones humides.

Chacune de ces fonctions a sa propregéographie et peut être sujette à car-tographie : c’est leur ensemble, etnon pas seulement la première, quiconstitue une géographie complètedes ressources en eau physiques.Pour évaluer les ressources en eaud’un territoire, la géographie desstructures (réseaux hydrographiqueset bassins-versants, systèmes aqui-fères) qui organisent et régularisentplus ou moins les écoulements etcommandent largement l’accessibilitéimporte autant que celle des apports.Décrire la répartition de l’eau là oùelle peut être prise et/ou stockée(réservoirs potentiels), par exemplepar une cartographie des fleuvesclassés par débit moyen, est sansdoute plus directement instructif etpréférable.

EAUX DE SURFACE ET EAUXSOUTERRAINES, DES RESSOURCESINDÉPENDANTES?Il ne faut pas confondre mode d’accèset de prise de l’eau avec source d’ap-provisionnement et ressource. Leseaux superficielles, courantes oustagnantes, des fleuves, rivières etlacs, et les eaux souterraines des aqui-fères sont bien distinctes, à unmoment donné, par les lieux et lesmodes de leur circulation aux visi-bilités radicalement opposées. Leurconnaissance relève de spécialistesdifférents – hydrologues ou hydro-géologues – de même que les tech-niques de leur mobilisation: captageset barrages ou puits et forages, ce quifavorise la comptabilité séparée deleurs prélèvements. Mais dans leurcircuit terrestre les unes et les autressont très intercommunicantes etéchangeantes.Plus le territoire considéré est étendu,plus grande est généralement la part

des eaux courantes qui peut être tourà tour superficielle ou souterraine.Globalement, d’après les estimationsde la base FAO/Aquastat pour chaquepays (2002) :– 25 % de l’écoulement total des eauxde surface proviennent des eaux souterraines ;– 90 % du flux des eaux souterraines(recharge des aquifères) rejoignentles cours d’eau.Ces liaisons entre aquifères et coursd’eau, notamment la transformationdes écoulements souterrains en débitde base des rivières – bien comprisepar les hydrologues – sont encoretrop méconnues (elles sont souventabsentes des schémas du cycle del’eau) et négligées dans les évaluationsde ressources.

Les chiffrages séparés des écoulementssuperficiels fondés sur les donnéeshydrologiques mesurées ou calculéeset des flux d’eau souterraine fondéssur l’alimentation estimée des aqui-fères aboutissent généralement à desdoubles comptes, et sont donc incom-plètement additifs. Il faut déduire de leurs sommes les parties com-munes (overlap des statistiquesFAO/Aquastat), à l’exception des casparticuliers où les utilisations suc-

cessives des eaux prélevées en surfacepuis des eaux souterraines issues duretour de celles-ci permettent un« double emploi » (comme cela sepasse en Égypte, par exemple).Les estimations de recharge des aqui-fères et les cartographies de leurvariation régionale ne doivent doncabsolument pas être présentéescomme des évaluations ou des cartesde « ressource renouvelable en eausouterraine ».Ainsi, dans un territoire défini, notam-ment un bassin fluvial, les ressourcesen eau de surface et en eau souterrainerenouvelable additives ne doiventpas être estimées en fonction de l’ori-gine présumée – ruissellement ouinfiltration – des eaux en circulation:ce sont les parts respectives de la res-source en eau renouvelable globaleque l’on choisitde mobiliser de pré-férence par captage en surface oupar puisage ou pompage dans lesaquifères, en fonction de différentscritères pratiques et économiqueset en prévenant le risque de concur-rence conflictuelle entre usagers.

L’EXCEPTION DES RESSOURCESEN EAU SOUTERRAINENON RENOUVELABLESUne partie notable, souvent majeure,des stocks d’eau souterraine desgrands réservoirs aquifères profonds,à nappe généralement captive, esttrès peu connectée au cycle de l’eaucontemporain: leur renouvellementest infime (de durée multiséculaireà multimillénaire) et leur liaison avecles eaux courantes est négligeableen état naturel.

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Que les eaux douces renouvelées soienttrès diversement réparties sur les terresémergées est une donne de la nature ; qu’elles soient inégalement distribuées parrapport aux populations est d’abord uneconséquence de la répartition de celles-ci.

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Entre 50 % et 70 % du débit du Niagarasont détournés dans de gigantesquestunnels loin en amont des chutes pouralimenter des turbines hydroélectriquesqui approvisionnent en électricité les

parties états-uniennes et canadiennesenvironnantes; loin en aval des chutes

elle est reversée dans la rivière.

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L’exploitation « minière » de ces eauxdites souvent « fossiles » (parce queleur mise en réserve est très ancienne,généralement préhistorique) est pos-sible lorsqu’elles sont accessibles etde qualité acceptable, mais ne peutêtre durable, comme celle de touteindustrie extractive. Toutefois, seulsles réservoirs aquifères dont la réserveest à la fois considérable et exploitablesans impact appréciable sur des eauxsuperficielles ou souterraines renou-velables offrent des ressources eneau non renouvelables réelles ; c’estessentiellement en zone aride, oùles ressources en eau renouvelablesinternes sont très faibles, et mêmenulles, que cette possibilité existe et est avantageuse.Dépendant à la fois des conditionshydrogéologiques et climatiques, lagéographie mondiale des principauxaquifères offrant des ressources nonrenouvelables exploitables est inven-toriée et peut faire l’objet d’une car-tographie de ressource indépendante.Les volumes d’eau extraits de ces« mines d’eau » (actuellement de l’or-dre de 30 km³/an, concentrés enquelques pays: Arabie saoudite, Libyeet Algérie cumulent plus de 80 % dutotal mondial) peuvent être ajoutésà l’exploitation présente des ressourcesrenouvelables, mais les ressourcesen eau non renouvelables offertesne peuvent être estimées qu’en termesde stock exploitable, non additif auflux moyen de ressources en eaurenouvelables, et dont la durée d’ex-ploitation minière est un choix éco-nomique et politique.

LES RESSOURCES EN EAUSONT-ELLES « NATURELLES »?Il est traditionnel pour les hydrologuesd’identifier les ressources en eaurenouvelables à tout l’écoulement,ou runoff, superficiel et souterraindes eaux continentales, en sommeà un fruit de la nature. La plupart desmonographies nationales pratiquentla même assimilation, fondée surune hydrogéographie et des donnéeshydrologiques plus ou moins richeset détaillées.Cette vision hydrologique des res-sources en eau dites « naturelles »appelle pourtant à la fois un bémol– une restriction – et un dièse – unélargissement, surtout pour les com-parer aux besoins humains.

Pour ce qui est du bémol, à la questionde savoir si toutes les eaux doucescontinentales renouvelées par lecycle de l’eau sont des ressources eneau dont l’humanité peut « disposer »,on répondra bien évidemment parla négative, et ce pour plusieurs rai-sons, toutes aussi fortes :– du fait de son inégale accessibilité,de sa variabilité ou des défauts dequalité naturels de l’eau pour tel outel usage, tout l’écoulement engendrédans chaque territoire n’est pas maî-trisable et utilisable en pratique, età des coûts acceptables (suivant leniveau de développement et lesvaleurs d’usage attribuées ; l’« utili-sabilité » est donc une notion relativeet évolutive) ;– dans nombre de pays, les écoule-ments sont en grande partie trans-frontaliers (60 % de l’écoulement

mondial), et offrent donc des res-sources à partager entre plusieurs,ce qui induit des contraintes amontou aval qui peuvent limiter fortementles « disponibilités ».– l’humanité doit partager les eauxdouces de la nature avec d’autresconvives de la biosphère, notammentavec les écosystèmes aquatiques quirequièrent la préservation de volumes,de flux et de qualité ; elle ne peut, nedoit, donc accaparer toutes les eaux« naturelles ».La conjonction de critères socio-économiques, géopolitiques et éco-logiques ramène les ressources eneau réelles, exploitables, globalementà l’ordre du tiers (environ 13000 à15 000 km³/an) de l’écoulementmoyen mondial, avec des proportions

évidemment variées dans chaquepays.Faire correspondre les ressourcesaux seules eaux écoulées considéréesen hydrologie, les eaux bleues, négligel’utilité d’une grande partie de l’autreflux de retour du cycle de l’eau surles terres émergées : le flux d’évapo-transpiration réelle consommé parles cultures ou d’autres végétationsutiles, dit eaux vertes ou ressourcespluviales, que les hydrologues qua-lifient à tort de « pertes ». Bien queces eaux vertes constituent des res-sources d’une autre nature, non direc-tement aménageables, elles contri-buent largement à la vie de l’humanité– par les productions alimentaires –en évitant à l’agriculture de recourirà l’irrigation, donc en épargnant leseaux bleues. Le chiffrage des eauxvertes est plus malaisé, et leur som-mation a moins de sens que celle deseaux bleues bien que leur flux globalsoit du même ordre que celui deseaux bleues exploitables (environ8000 km³/an en moyenne), et leurgéographie tout autant contrastéepeut aussi s’esquisser.

EST-CE L’EAU OU L’HUMANITÉQUI EST « MAL RÉPARTIE »SUR LA TERRE?Il est classique et pertinent, relati-vement facile et largement pratiqué,de comparer les ressources en eaurenouvelables « naturelles », ou exploi-tables, aux populations plutôt qu’auxsuperficies des territoires de chaquepays pour juger de l’abondance oude la rareté de ces ressources etconstruire une géographie des res-sources en eau par habitant. Il estmême plus expressif de fonder cettegéographie des ressources en eaurelatives sur le ratio inverse, en repré-sentant la variété des densités depopulation par rapport aux unitésde ressource (toujours calculées parpays) dénommées « indice de com-pétition » (Malin Falkenmark, 1997).Les disparités seraient encore pluscriantes si l’on se référait aux seulesressources exploitables1 et si l’onrégionalisait davantage les compa-raisons dans certains pays, notam-ment en zones aride et semi-aride.Suivant les statistiques et les projec-tions démographiques moyennes,les populations affectées seraient auminimum (sans prendre en compte

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Que faut-il entendre par disponibilités en eau, un terme sansunicité d’acception?Pour les uns, c’est la part des eaux naturelles mobilisables ou« captables » (la part manageable) pour couvrir les besoinssociaux et économiques de l’humanité, évaluée suivant descritères spécifiés : en somme c’est le synonyme de ressourcesexploitables.Pour d’autres, ce sont les ressources naturelles rapportées auxpopulations, exprimées en m³/an par tête, comme l’équivalentanglais availability (exemple : Igor Shiklomanov, 2003).Pour d’autres, c’est la part des ressources en eau naturelles ouexploitables non encore exploitée (prélevée) ou, à une échelleplus régionale, non encore consommée finalement, à un stadede développement donné.Enfin les termes disponibilités et ressources sont parfois employésindistinctement dans la littérature… Cette pluralité de sens etles risques de malentendus conduisent à juger préférable d’exclureces termes.

RESSOURCE ET DISPONIBILITÉ

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des diversités internes dans certainspays) les suivantes (tabl. ci-dessous) :

Que les eaux douces renouveléessoient très diversement réparties surles terres émergées est une donnéede la nature ; qu’elles soient inéga-lement distribuées par rapport auxpopulations est d’abord une consé-quence de la répartition de celles-ci. La prolifération moderne de popu-lations en régions à ressources eneau rares n’est pas imputable à lanature.Cette inégalité traduit surtout l’ab-sence de relation entre les quantitésde ressources en eau renouvelableslocales et les densités de population.En particulier la rareté de l’eau, conséquence majeure de l’aridité,n’empêche pas la croissance démo-graphique : on observe même, glo -bale ment, une croissance de popu-

lation (notamment urbaine) en zonearide et semi-aride plus rapide quedans le reste du monde au XXe siècleet en projection au XXIe siècle ! Ainsi,les ressources moyennes en eau(naturelles) par habitant en zonesaride et semi-aride du mondedécroissent plus fortement que dansles zones humides : elles seraientpassées de 14,5 % de celles des zoneshumides (tempérées et intertropi-cales) en 1950, 10,3 % en 2000 etpourraient tomber à 8,6 % en 2025et à 7 % en 2050.

LES TRANSPORTS D’EAU,UN PALLIATIF AUX DÉFAUTSDE RÉPARTITION DES RESSOURCES?Dès la plus haute Antiquité, des canauxet aqueducs ont relié, déjà sur d’assezgrandes distances (100 km pour lesaqueducs de Rome, par exemple),des sites propices aux prises d’eau(fleuves ou sources) aux lieux d’habitatou d’utilisation d’eau, villes ou airesd’irrigation, ce qui a atténué lescontraintes d’accès à l’eau des ins-tallations humaines, mais sans consti-tuer de véritables transferts entrezones climatiques.L’ambition de péréquation des res-sources en eau par des transfertsentre régions inégalement dotées,en vertu du principe de solidarité etde partage, dans le cadre d’un mêmepays, est moderne. Elle a la faveurdes aménageurs, est une pièce maî-tresse des plans directeurs de diverspays comportant des zones de pénurieet a déjà donné lieu à des réalisations,par exemple dans plusieurs paysméditerranéens (Égypte, Espagne,France, Israël, Italie, Libye, Tunisie),mais toujours restreintes au cadrenational.Le développement futur de tels trans-ferts se heurte toutefois à différentesdifficultés: hostilité des régions « four-nisseuses », oppositions « écologistes »,compétitivité accrue de solutionsd’approvisionnement « alternatives »…Des transferts internationaux mar-chands restent encore à l’état deprojet. Au surplus, les quantités d’eaumises en jeu, même si elles peuventêtre appréciables (d’une à quelquescentaines de millions de mètres cubespar an pour la plupart, jusqu’à2 km³/an en stade final, dans les meil-leurs cas), ne sont pas à l’échelle desdisparités naturelles…

Des transferts d’eau à grande échelleentre zone humide et zone sèchene sont pas économiquement fai-sables échelle entre zone humideet zone humide ne sont pas écono-miquement faisables. En fait, ce sontles transports d’eau virtuelle induitspar le commerce mondial de biensalimentaires qui en tiennent lieu etqui sont d’un tout autre ordre degrandeur : les flux correspondantsactuels s’élèveraient globalement àprès de 1300 km³/an et dessinentune nouvelle géographie mondialede l’eau (Chapagain et al., 2002).

PAYS RICHES ET PAYS PAUVRES :UTILISATION ET GASPILLAGE DE L’EAULa croyance que les pays riches (déve-loppés) consomment plus d’eau –notamment par habitant – que lespays pauvres « en développement »,de même qu’ils consomment plusd’énergie et autres biens, est ancréedans l’idéologie tiers-mondiste etlargement médiatisée, voire « alter-mondialisée ». Il en résulte souventd’une confusion entre le seul secteurde l’alimentation en eau potable –où c’est en effet le cas (cf. ci-après)– et l’ensemble des utilisations d’eau,sans parler de la confusion, nonmoins répandue, entre prélèvementet consommation.

LA RARETÉ, CAUSE MAJEUREDES MANQUES D’ACCÈS À L’EAUPOTABLE DANS LE MONDE?Selon les estimations présentées auxrécentes conférences mondiales(Johannesburg 2001, Kyoto 2002)2,plus d’un milliard d’êtres humainsseraient privés d’accès à l’eau saine.Même si les statistiques disponiblesà ce sujet ne sont pas à l’abri des cri-tiques – le concept d’« accès à l’eausaine » (safe water), à distinguer du« taux de desserte », ne semble pasdéfini partout de manière homogène(un effort d’évaluation plus fiable etrégulièrement actualisé à ce sujetserait sans doute opportun) –, cettesituation pose à l’évidence un pro-blème majeur à l’échelle mondiale ;mais il importe de ne pas se contenterd’un chiffrage global, si frappant soit-il : il faut aussi examiner la géographiede ces déficiences pour mieux enanalyser les causes, en distinguantdonc bien la situation des populations,

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Comme la densité de population, le calcul sur la base desstatistiques nationales est beaucoup trop globalisant dans lespays très étendus où les populations comme les ressources eneau locales sont réparties très diversement (par exemple : Brésil,Canada, Chine…). C’est un premier défaut de comparativitédes indicateurs nationaux.Deux autres limitations sont imputables :– au degré d’exploitabilité réelle des ressources en eau, naturellesinternes, ainsi qu’au degré d’indépendance des ressources eneau totales (internes et externes), très différents suivant lespays ;– aux différences de besoins en eau en fonction du climat, qui,suivant les pays, nécessite ou non l’irrigation pour couvrir lesbesoins alimentaires.En particulier, considérer comme ressource exclusivement leseaux bleues néglige la contribution des eaux vertes à la productionvégétale de chaque pays.Traduire par un indicateur unique les situations de pays aussidifférenciés en étendue, structure et degré d’indépendance desressources en eau, et répartition des populations, tempère àl’évidence la signification de la comparaison mondiale voulue :c’est comparer des pays non comparables.

LES RESSOURCES EN EAU (NATURELLES) PAR HABITANT,UN INDICATEUR ASSEZ PERTINENT DE LA RICHESSE

OU DE LA PAUVRETÉ EN EAU D’UN PAYS?

Ressources en eau « naturelles » par habitant (moyenne par pays)

Populations(en millions d’habitants)

500 à 1000 m³/antension

2000 2025*146

(10 pays)629

(14 pays)< 500 m³/anpénurie

110(19 pays)

223(24 pays)

Ensemble < 1000 m³/an 256(29 pays)

852(38 pays)

Seuil de tension (ou « pauvreté en eau ») : 1000 m³/an deressources en eau naturelles moyennes par habitant ou1000 hab./km³/an de ressources.Seuil de pénurie : 500 m³/an de ressources en eau naturelles parhabitant ou 2000 hab./km³/an de ressources.*D’après les medium projections des Nations unies de 2001 pour2025, et de 2004 pour 2050.

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les difficultés et les coûts de mobi-lisation de l’eau dont ces populationsauraient besoin. Il n’est que de com-parer les géographies respectives desressources en eau (naturelles) parhabitant et les taux d’accès des popu-lations à l’eau saine, calculées enmoyenne par pays.Faut-il rappeler que la productiond’eau potable représente à peine ledixième des demandes totales mon-diales en eau, et moins encore enzone aride et semi-aride où c’est l’ir-rigation qui prend une part écrasantedes demandes en eau? En revanche,

une relation statistique est plus évi-dente entre ce taux d’accès et leniveau de développement, mesuréencore par le PNB par tête : c’est visi-blement dans les pays les plus pau-vres, même ceux de régions tropicalesà ressources en eau abondantes, queles taux d’accès sont en moyenneles plus bas – mais aussi les plus dis-persés, ce qui révèle l’effet des dif-férences de politique publique –tandis que dans la plupart des paysde la zone aride ou semi-aride mieuxdéveloppés – grâce notamment aupétrole – les taux d’accès sont aussi

élevés que dans les pays industrialisés.Ce sont les défauts de gouvernancebien plus que la faiblesse des res-sources qui expliquent généralementles manques d’accès à l’eau saineainsi qu’à l’assainissement.

EN CONCLUSIONSUne vision plus pertinente de lagéographie mondiale des ressourcesen eau et de leurs utilisations, fondéesur une conception plus réaliste etexcluant quelques idées faussestrop répandues est opportune,notamment à l’intention des ensei-gnants, des communicateurs etmême des responsables des poli-tiques de l’eau.Désigner par « ressources en eau »la totalité des flux d’eau douce ter-restres et a fortiori tous les volumesd’eau douce de l’hydrosphère est abusif et doit être abandonnédéfinitivement.L’analyse du cycle de l’eau commebase d’estimation physique des res-sources en eau doit être pertinente,ne pas se limiter au calcul des apportsmétéoriques ni négliger l’interdé-pendance entre eaux superficielleset souterraines.L’évaluation des ressources en eaurégionales ou mondiales ne peut êtrel’affaire des seuls hydrologues ouingénieurs « aménageurs » – dont lescontributions restent primordiales–, car elle relève tout autant de choixde société.Comparer les ressources en eau auxpopulations et à leurs « besoins » eneau n’a de sens qu’en se référant àdes territoires pertinents et compa-rables.Les appréciations de stress

hydrique ou de pénurie d’eau nedevraient plus se fonder sur un« modèle de besoins en eau » humainsuniversel et uniforme mais tenircompte autant des eaux vertes quedes eaux bleues utilisables pour lacouverture de ces besoins.Les échanges commerciaux mondiauxde biens, notamment alimentaires,dont la production nécessite uneconsommation d’eau significative,contribuent beaucoup plus que destransports d’eau à compenser l’inégalerépartition des ressources en eauentre les populations dans le monde:l’eau virtuelle est une forme de partagede l’eau.Ne plus comparer les quantités d’eau« utilisées » et les niveaux de déve-loppement socio-économique dechaque pays en choisissant lescontrastes qui servent une thèse eten occultant ceux qui la desservent,au mépris des complexités des situa-tions réelles.La mobilisation de ressources finan-cières importe beaucoup plus quecelle des ressources en eau pour amé-liorer l’accès à l’eau saine des popu-lations qui en sont privées. n

*JEAN MARGAT est hydrologue (Bureaude recherches géologiques et minières),expert auprès de la FAO et de l’UNESCO.

1. Ce qu’empêche le manque d’unicitéuniverselle de définition, dont les critèressont propres à chaque pays et souvent nonexplicités.2. En 1995, 1,3 milliard, dont 500 millionsen Chine, selon la Commission mondialesur l’eau (2000) ; 1,1 milliard selonOMS/UNICEF, 2000, privés d’« access toimproved water supply », dont les 2/3 enAsie et 1/4 en Afrique, et une populationrurale en grande majorité (950 millions).

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Le gaspillage de l’eau est associé généralement à l’appréciationde consommation excessive, de « surconsommation » etd’« utilisation inutile » ; en somme au fait de « mal l’utiliser »,ce qui relève d’un jugement éthique autant qu’économique etimplique des normes de « bon usage »…, mais le terme peutqualifier – et mettre en accusation – des pratiques très diverses :– inutiliser l’eau prélevée ou fournie ;– utiliser l’eau prélevée avec un faible rendement : pertes detransport, défaut d’efficience, notamment en irrigation ;– utiliser l’eau pour des productions de faible valeur sociale ouéconomique.Il ne peut donc exister d’indicateur unique permettant d’évaluerles diverses utilisations de l’eau de chaque pays ou secteurd’eau suivant un même critère.En particulier, l’efficience de l’irrigation (estimée en moyennedans le monde par la FAO à 50 %) ne peut être répartie aisémententre pays développés ou en développement si l’on ne distinguepas l’efficience technique – liée aux modes de transport etd’arrosage – de l’efficience économique – liée aux choix culturaux;et si l’on ne tient pas compte de la possibilité de recyclage deseaux épandues apparemment en excès (par exemple en Égypte).En somme si l’analyse du système d’utilisation de l’eau esttronquée. Là encore les jugements accusateurs de « gaspillages » relèventsouvent davantage d’apriorisme que de critères objectifs et pertinents.

QU’EST-CE QUE LE GASPILLAGE D’EAU?

La production d’eau potable représenteà peine le dixième des demandes totalesmondiales en eau.“ “

Un exemple dezone ou l’accès à l’eau saine est difficile,

le Katmandou.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

PAR GHISLAIN DE MARSILY*,

eau sur Terre est à 97 % conte-nue dans l’océan (fig. ci-contre). C’est pour l’essentiel

le flux des précipitations dues à l’éva-poration qui constitue l’essentiel de la ressource. Le flux des précipi-tations continentales est d’environ113000 km3/an d’eau bleue et d’eauverte. L’eau bleue (35 % des précipi-tations à l’échelle du globe) est l’eaudouce qui s’écoule en surface dansles cours d’eau et les lacs, ou quicircule de façon souterraine, dansles nappes souterraines, et aboutiten général à la mer ; s’y ajoute l’eaude la fonte des icebergs des continentsglacés qui alimente les océans. Cetteeau bleue peut être captée pour lesusages domestiques, industriels etagricoles, et distribuée dans les cana-lisations. L’eau verte (65 % des pré-cipitations) correspond à l’eau depluie qui est stockée provisoirementdans les sols superficiels et devientdisponible pour les plantes, qui yaccèdent grâce aux racines. C’estl’eau invisible, seulement accessibleaux végétaux.En termes d’utilisation, ce que l’onconsidère comme « ressources eneau », l’eau bleue, est réparti entreeau domestique, eau industrielle etpour l’énergie, eau pour le transport(bateaux, canaux…), eau agricoled’irrigation, et eau pour les écosys-tèmes. L’eau verte est souvent ignoréedans les statistiques. De ce fait, ilpeut y avoir ambiguïté sur la consom-mation d’eau agricole selon que l’onprend en compte l’agriculture pluviale,donc l’eau verte, ou seulement l’eaud’irrigation, donc l’eau bleue, ou lesdeux.

RESSOURCES EN EAUET BESOINS DE LA SOCIÉTÉNotre ressource en eau, c’est pourl’essentiel les flux annuels du cyclede l’eau qui constituent l’eau bleue.Cette quantité globale a peu varié

depuis environ 6000 ans, c’est surtoutsa répartition spatiale et temporellequi varie. La figure ci-dessousdonneune indication sur les zones quiconnaissent aujourd’hui un déficitchronique en eau bleue (représentéici par le débit des rivières pour l’année2000). Les causes de ce déficit sontle changement et la variabilité cli-matique, et les activités humaines.Nous « consommons » aujourd’hui

7 % du flux d’eau bleue, soit2500 km3/an, mais les prélèvementsatteignent 13 %, soit 4700 km3/an.Nous prélevons aussi un peu d’eaufossile sur les stocks contenus dansles grands aquifères de quelques pays(Inde, États-Unis, Chine, Pakistan,Iran, Mexique…), principalementpour l’irrigation des cultures, au rythmed’environ 100 km3/an, soit 2 % desprélèvements totaux d’eau pour l’ir-rigation. Cette situation n’est pas dura-ble. En effet, les stocks de ces aquifèresseront épuisés en quelques décennies,ce qui nécessitera d’aller chercher del’eau par canaux dans les grandsfleuves, comme ceux descendant del’Himalaya (Yang zijiang, Gange…)ou de dessaler de l’eau de mer. Parailleurs, la fonte des glaciers de hautemontagne du fait du réchauffementclimatique suralimente en eau certainsfleuves issus des Alpes, de l’Himalaya,des montagnes Rocheuses et, aussi,de la cordillère des Andes.

ALLONS-NOUS BIENTÔT MANQUER D’EAU?Le problème de l’eau suscite de plus en plus d’interrogations inquiètes dans le contexte de réchauf-fement climatique et d’accroissement de la population mondiale. Dans cet article, un spécialiste enhydrologie, membre de l’Académie des sciences, fait le point sur la situation et ouvre des perspectives

pour y répondre.

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L’

Déficit économique en eau: les ressources sont abondantes par rapport aux usages, mais la sous-alimentationsévit. La capacité financière en moyens d’équipement fait défaut. Le manque de nourriture ne sévit pas dansla zone de déficit physique en eau mais dans la zone de déficit économique, pourtant très arrosée.

ZONES SUBISSANT EN 2000 UN MANQUE CHRONIQUE DE RESSOURCES EN EAU BLEUE

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EAU ET ACTIVITÉS HUMAINESLes besoins en eau se décomposenten eau domestique, eau industrielle,eau agricole. L’eau virtuelle est l’eauutilisée dans un pays ou une régiondonnée pour produire un bien maté-riel, lequel est ensuite transportédans un autre pays ou une autrerégion pour être consommé. La zonequi importe ce bien matériel bénéficieainsi de l’eau qui a été utilisée pourproduire ce bien, sans avoir à utilisersa propre ressource en eau. L’eau vir-tuelle peut être bleue ou verte, suivantl’origine de l’eau utilisée.La quantité d’eau domestique prélevéeen moyenne globale va de 20 à 500 L/jpar personne (soit de 7 à 180 m3/an),selon les pays.

En 2050, la population mondialedevrait croître jusqu’à 9,77 milliards,et à 11,2 milliards en 2100, avec unecroissance importante, principale-ment en Afrique (1 milliard en 2000 ;

2,53 milliards en 2050; 4,47 milliardsen 2100…). La quantité totale d’eaubleue domestique nécessaire poursatisfaire les besoins de la planèteen 2050 représenterait 980 km3/an,soit 0,87 % des précipitations ou 2,7 %de toute l’eau bleue.L’accès à l’eau pour les besoins domes-tiques n’est donc pas un problèmede quantité, mais d’infrastructuresd’adduction et de traitement, carl’eau doit presque toujours être traitéepour être rendue potable. L’humaniténe manquera jamais d’eau domes-tique si elle se décide à financer etconstruire à temps les infrastructuresnécessaires.Au coût de l’adduction et du traitementde l’eau potable s’ajoute celui de lacollecte et du traitement des eauxdomestiques usées, très supérieurau coût de l’adduction d’eau potable.Mais si l’assainissement n’est pasconstruit en même temps que l’ad-duction, l’état sanitaire des popula-tions se détériore, car les eaux salescourent dans les rues et polluent lescours d’eau, qui sont sources d’eaupotable en aval.L’eau nécessaire aux activités agricolesest le terme dominant de nos besoinsen eau (fig. ci-contre). Pour nourriraujourd’hui 7,2 milliards d’habitants,nous utilisons : 6500 km3d’eau vertetombant sur 1,5 milliard d’hectares

d’agriculture « pluviale » et sur 3,2 mil-liards d’hectares de terres en pâtures;3500 km3d’eau bleue prélevés dansles rivières et nappes pour arroser280 millions d’hectares irrigués. C’estdonc 10000 km3 d’eau par an qu’ilnous faut pour nous nourrir.

EAU ET ALIMENTATIONPrès de 800 millions d’habitantsseraient aujourd’hui sous-alimentés1,principalement en Asie du Sud-Estet en Afrique subsaharienne, dansdes zones très arrosées et non pasdans des zones arides. Dans les zonesarides, où sévit principalement lasous-nutrition, de nombreux payssont incapables de produire la nour-riture nécessaire par manque d’eauou, parfois, de terres cultivables ; ilsdoivent désormais importer de lanourriture depuis les pays aux pro-ductions excédentaires (Amériquedu Nord et du Sud, Europe, Australie,certains pays d’Asie comme laThaïlande…). Les pays en déficithydrique équilibrent ce déficit nonpas en important de l’eau mais de lanourriture, qui a nécessité de l’eaupour être produite. Pour payer cesimportations, les pays concernésvendent des matières premières éner-gétiques ou minérales, développentdes activités industrielles ou tertiaires,promeuvent le tourisme ou encorebénéficient des retours financiers deleur diaspora émigrée.

ET DEMAIN? RESSOURCES ET CHANGEMENT CLIMATIQUELe changement climatique associéà la hausse des températures a etaura des effets considérables surtoutes les composantes des systèmeshydrologiques, car ces phénomènesinteragissent les uns avec les autres,qui plus est en fonction des conditionslocales. La variation de la répartition,de la quantité, de l’intensité et de la

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L’accès à l’eau pour les besoinsdomestiques n’est donc pas un problème de quantité, mais d’infrastructuresd’adduction et de traitement. L’humanité nemanquera jamais d’eau domestique si ellese décide à financer et construire à tempsles infrastructures nécessaires.

“ “LES COMPOSANTES DU CYCLE DE L’EAU

(Adapté de Rockström, 1999.)

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fréquence des précipitations ainsique l’augmentation des températuresvont modifier les conditions d’équi-libre des neiges de montagne et desglaciers, augmentant considérable-ment leur fonte, vont incrémenterla présence de vapeur d’eau dansl’atmosphère, la teneur en eau dansle sol et dans la végétation, l’évapo-transpiration, et changeront l’intensitédu ruissellement ainsi que le fluxd’eau dans les rivières…

Chaque degré d’élévation de la tem-pérature de l’air devrait correspondreà une augmentation d’environ 7 %du contenu en vapeur d’eau de l’at-mosphère, conduisant à une inten-sification du cycle global de l’eau, viaprincipalement des modificationsde l’évaporation et des précipitations.Le réchauffement climatique aurapour effet d’augmenter les contrastes.Les régions continentales des hauteslatitudes recevront davantage de pré-cipitations en raison de l’augmen-tation du contenu en eau de la tro-posphère dans un climat plus chaud.L’effet le plus important est attendusur l’Amérique du Nord et le nord del’Eurasie ; on s’attend en revanche àune diminution des précipitationssur les latitudes moyennes et lesrégions semi-arides de la planète. Ledéplacement des zones climatiquesvers les pôles prévu dans un climatplus chaud devrait entraîner une ari-dification des latitudes subtropicales,particulièrement de la région médi-terranéenne, du sud-ouest des États-Unis et du sud de l’Afrique. Ces phé-nomènes devraient s’accompagnerd’une diminution du débit des rivièresen Europe du Sud et au Moyen-Orient.Au contraire, dans les hautes latitudes,le débit des fleuves devrait augmenter,en réponse à l’accroissement desprécipitations. Les modèles suggèrentde plus une nette augmentation del’intensité des événements extrêmes(crues, sécheresses), rendant la situa-tion encore plus difficile à gérer.

La figure ci-dessous donne, pour 2100,les variations attendues de la tem-pérature et des précipitations de laplanète, pour deux scénarios d’émis-sion de gaz à effet de serre, le RCP 2.6,optimiste, entraînant une augmen-tation de température moyenne de2 °C en 2100 (par rapport au débutde l’ère industrielle), et le RCP 8.5,pessimiste, entraînant une augmen-tation de température moyenne de3,7 °C en 2100.

DEMAIN? RESSOURCES EN EAU, DÉMOGRAPHIE ET ÉVOLUTION DE LA DEMANDE…En 2050, pour alimenter toute l’hu-manité, il faudra consommer11000 km3d’eau (verte et bleue) paran, contre 8 250 km3 aujourd’hui.C’est possible si les pays déficitairesont les moyens d’acheter leur nour-riture auprès des pays exportateurset que ces derniers acceptent de pro-duire au-delà de leurs propres besoins.Ces 11000à 13000 km3/an se répar-tiront entre agriculture pluviale etirriguée : on va devoir partout aug-menter les rendements ainsi que lessurfaces cultivées Le dessalementde l’eau de mer a un coût de l’ordrede 0,70 €/m3 et une consommationélectrique de 2 à 4 kWh/m3 : c’estenviron dix fois trop pour de l’eaud’irrigation, mais acceptable pourl’eau domestique.

En 1998, une forte sécheresse en Asiedu Sud-Est (Chine et Indonésie) aentraîné des achats massifs de céréalessur les marchés mondiaux, avec uneforte réduction des stocks, qui seraientdevenus insuffisants si la sécheresses’était prolongée. Les stocks sont pas-sés de 10 mois de consommationmondiale il y a vingt ans à environ2 mois aujourd’hui. Ces années deforte sécheresse en zone de moussonsont liées à des événements El Niñotrès intenses qui se produisent enmoyenne deux fois par siècle.À cette image inquiétante des besoinsde production agricole future onpeut opposer tout d’abord la maîtrisede la croissance démographique et la réduction des gaspillages.Aujourd’hui, environ 30 % de la nour-riture achetée est gaspillée dans lespays développés2 ou, dans les paysen développement, perdue par mau-vaise récolte ou mauvaise conser-vation. On peut opposer aussi lasobriété des régimes alimentaires,car la quantité d’eau nécessaire pournourrir un humain varie de 600 à2500 m3/an selon les pays : les paysdéveloppés consomment deux foistrop de produits animaux par rapportaux besoins nutritionnels, les paysémergents sont en moyenne au bonniveau, les pays en développementsont en moyenne un tiers en dessousdes besoins nutritionnels.

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Le changement climatique associé à la hausse des températures a et aura des effets considérables sur toutes les composantes des systèmeshydrologiques, car ces phénomènesinteragissent les uns avec les autres.

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Pour satisfaire les besoins alimentairesdes pays en déficit hydrique, il y atrois options : transférer de l’eau pargrands canaux, comme cela se faiten Chine; transférer de l’eau virtuellesous forme de nourriture; ou, en der-nier ressort, accepter la migrationdes populations des pays déficitairesvers les pays plus riches en eau, despopulations chassés de chez ellespar des émeutes de la faim et desconflits sanglants, dont l’histoirerécente a donné des exemples sinistres(Rwanda…).

CONCLUSIONNous n’allons pas manquer d’eau !Malgré le changement climatiqueet malgré l’augmentation de lademande, il y a encore assez d’eaudouce sur Terre pour apporter chaqueannée l’eau verte dont ont besoinl’agriculture pluviale et les écosys-tèmes naturels, ainsi que l’eau bleuepour l’irrigation, les besoins industrielset domestiques, et ceux des écosys-tèmes aquatiques. Cette ressourceconnaît aussi de fortes variationsdans le temps (années sèches).Il faut cesser de considérer que l’eauest un bien gratuit et accepteraujourd’hui de lui consacrer un finan-

cement approprié. Les solutionstechniques pour accroître l’acces-sibilité de l’eau demandent un finan-cement, important. Dans les paysen développement, le financementest souvent problématique. Une for-mation des dirigeants à l’aménage-ment et à la gestion des eaux peutêtre un préalable.Le « problème de l’eau » est d’abordun problème technique, qui aboutità un problème sociétal des plus déli-cats. Quand une population se trouveconfrontée à un déficit en eau, chro-nique ou accidentel, un éventail desolutions s’offre à elle: a)économiser,être plus sobre, réduire les fuites etle gaspillage ; b) chercher de l’eau àdistance, éventuellement constituerdes stocks (barrages, ou stockagessouterrains dans des aquifères rechar-gés artificiellement) ; c) traiter et recy-cler les eaux usées, dessaler l’eau demer ; d) modifier les allocations deressources entre les différents utili-sateurs (eau domestique, eau pourles écosystèmes naturels qu’il ne fautpas oublier, eau industrielle et eauagricole) ; e) si la production agricolese trouve alors affectée, choisir lesespèces végétales les mieux adaptéesaux climats secs et importer la nour-

riture nécessaire pour les besoins dela population, en l’achetant sur lesmarchés internationaux (principa-lement les céréales), organiser l’activitééconomique (extraction des matièrespremières, industrie, tertiaire…) pourgénérer les revenus nécessaires pourfinancer ces achats. Si cet ensemble de solutions tech-niques est insuffisant, ou inapplicable,et que la démographie continue àaugmenter, il ne reste qu’un recours:se déplacer au sein du continent (cequi est classique ; par exemple enAfrique les populations de l’intérieurmigrent vers les côtes) ou vers d’autrescontinents; une telle migration devientinévitable si la démographie continueà augmenter. Ainsi la question démo-graphique concerne tout le monde,et pas seulement les pays où elle estincontrôlée. n

*GHISLAIN DE MARSILY est membre del’Académie des sciences et professeurémérite à l’université Pierre-et-Marie-Curie, UMR METIS (CNRS), Paris.

1. Thomas Pogge (université de Yale) penseque cette estimation de la FAO est inférieure àla réalité d’un facteur pouvant aller jusqu’à 2.

2. http://www.banquemondiale.org/themes/crise-alimentaire/rapport/fevrier-2014.html

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Il est de violents phénomènes naturels qui ne sauraient sérieusement s’expliquer par le ré-chauffement climatique, et c’est le cas de Xynthia. Cela dit, la gravité de leurs conséquences– imputable à des facteurs sociaux et, surtout, économiques – fait apparaître comme une im-

périeuse nécessité la coordination entre les différents acteurs : scientifiques, autorités, éventuelles victimes…

L’EAU COMME MENACE:ANALYSE DE LA TEMPÊTE XYNTHIA

PAR JEANNINE LE RHUN*,ET MARIE-FRANÇOISE COUREL*,

ans la nuit du 27 au 28 février2010, la tempête Xynthia,annoncée par les prévision-

nistes 48 heures avant son arrivéesur les côtes françaises, a frappé lelittoral atlantique de la France avecune violence qui a particulièrementsurpris les habitants et les servicesde secours, entraînant de nombreuxdécès par submersion marine decommunes vendéennes de l’anse de

l’Aiguillon.Les dommages matérielsont été aussi importants : 4600 habi-tations inondées dans des quartiersrésidentiels situés au-dessous duniveau atteint par la mer, 75 km dedigues et 40 km de réseaux routiersdétruits, 160 exploitations agricolestouchées.L’analyse dans la durée des phé-nomènes naturels et celle des épi-sodes passés permettent de mieuxcomprendre comment les événe-ments du présent peuvent atteindreune telle ampleur. Mais le contexte

actuel, qui lance systématiquementen avant l’hypothèse d’un réchauf-fement climatique, contribue àfaire oublier qu’il s’est toujoursproduit des épisodes extrêmes,souvent dus à la conjonction dephénomènes climatiques et littorauxbien connus des spécialistes. Enoutre, il s’agit de prendre aussi encompte l’histoire de la constructionde ces paysages particuliers, lesobjectifs qui ont prévalu à leursaménagements et, enfin, le com-portement des occupants.

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LA CONSTRUCTION DES PAYSAGESDE L’ANSE DE L’AIGUILLONLe Marais poitevin correspond à unvaste plateau calcaire érodé lors dela dernière glaciation. Il y a environ10000 ans, le niveau des mers amorceune lente remontée qui conduit aucomblement progressif du golfe,notre golfe des Pictons. Au Xe siècle,l’ensemble du Marais poitevin actueln’était encore qu’une vaste baie maré-cageuse et insalubre où se jetaientquelques petits fleuves côtiersDu XIe au XIIIe siècle, de riches com-munautés religieuses lancent, etfinancent, les premiers travaux d’en-diguement, après concession desterres par les seigneurs locaux ; lesvillages ruraux et hameaux se déve-loppent sur les anciennes îles dumarais constituées de calcaires plusrésistants, et sur les pourtours del’ancien golfe des Pictons.

La deuxième phase de conquêtes surles lais de mer s’organise au XVIIe siècle,avec le Syndicat de marais du PetitPoitou et le maître de digues, quiavait pour fonction d’entretenir lescanaux, de gérer les niveaux d’eau,d’organiser les travaux pour que lesespaces agricoles ne soient jamaisinondés. Cela participe au grandmouvement productiviste de laseconde moitié du XVIIIe siècle quiexonère d’impôts les endiguements.Le mouvement est interrompu parla Révolution, et repris dans la secondemoitié du XIXe siècle (fig. 1). La fonctionde maître des digues a perduréjusqu’en 1970.Terres agricoles gagnées sur ledomaine maritime, les marais des-séchés et les polders ne correspondentplus toujours, au XXe siècle, à leurdestination initiale qui était l’aug-mentation de la production agricole.Or celle-ci n’est plus dépendante del’augmentation des surfaces cultivéesmais de la productivité dans uneEurope dont les marchés agricolessont saturés. Le développement descongés payés et des activités bal-

néaires dans les années 1930, lesmesures sociales de l’après-guerrepour faciliter l’accès à la propriété,mais aussi la prise de conscience del’importance de la « conservationde la nature » à partir des années1960 traduisent l’évolution des men-talités face au paysage rural et fontnaître de nombreux antagonismes,

les gagnants étant très souvent lespromoteurs qui soudoient les pou-voirs locaux.Cette évolution des mentalités s’ac-compagne d’une forte pression surle littoral. Ainsi, le village rural deL’Aiguillon-sur-Mer voit un nouveauhameau prendre de l’ampleur surl’autre rive du Lay. Plusieurs épisodesdestructifs contraignent à des travauximportants, dont des constructionsde digues destinées à contenir le Lay.Après la guerre (en 1947), de grandsprojets envisagent même la fermeturecomplète de l’anse de l’Aiguillon,option vite abandonnée. Pourtant,le hameau de La Faute-sur-Mer, àvocation essentiellement balnéaire,prend son indépendance et devientcommune en 1953.

L’OUBLI DES CATASTROPHESDU PASSÉÀ chaque épisode catastrophique,beaucoup de témoins pensent etaffirment que, de mémoire d’homme,on n’a jamais connu de telles condi-tions et qu’aucune catastrophe decette ampleur ne s’est jamais produite.Pourtant, dans les environs de LaFaute-sur-Mer, des mentions d’épi-sodes de submersion peuvent êtreretrouvées dans les archives : 1075,1351, 1509, 1638, 1738, 1740, 1763,1838, 1850, 1882, 1906, 1926, 1928-1929, 1930, 1937, 1940, 1996, 1999et, bien sûr, 2010 sont quelques annéesmémorables à ce titre. Cette successionde dates, onze en moins de deux siè-

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Il s’agit de prendre aussi en comptel’histoire de la construction de ces paysagesparticuliers, les objectifs qui ont prévalu à leurs aménagements et, enfin, le comportement des occupants.“ “Figure 1. – Les prises de l’anse de l’Aiguillon : étapes des conquêtes sur la mer.

Le quartier récent de Claire Joie à La Faute-sur-Mer (2003).

Estuaire du Lay : lotissements inondés.

© Photo PQR/Ouest-France.

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cles, montre que chaque générationa pu connaître au moins un épisodede ce type.Mais cette conviction est accrue parle fait que les résidents manquentsouvent désormais de racines localeslongues, la mobilité globale despopulations faisant que l’on est demoins en moins originaire des lieuxque l’on habite. Le fantasme de lamaison individuelle dont on seraitpropriétaire reste très ancré, rêveconcrétisé parfois au moment de laretraite où nombreux sont ceux quiquittent un appartement dans unegrande agglomération pour unpavillon acquis quelques annéesauparavant comme résidence secon-daire. Ainsi, alors que la déprise agri-cole est nette, 3000 maisons ont étéconstruites dans les années 1980derrière une digue en terre crééeaprès les tempêtes de 1926 et 1929.Ces résidences neuves sont souventdes pavillons standards, construitsà moindre coût par des promoteursdans des zones où les terrains sontpeu chers et mal protégés par unréseau de digues vieillissant et malentretenu.

LA CONJONCTION DE PHÉNOMÈNES LITTORAUX ET CLIMATIQUESSi on considère un à un chacun desphénomènes naturels qui ont contri-bué à engendrer cette catastrophe,aucun, pris individuellement, n’estexceptionnel.La marée, phénomène bien connuet très observé depuis le milieu duXIXe siècle, est un mouvement oscil-latoire du niveau de la mer. Sa gran-deur comme sa périodicité sont étroi-tement liées aux positions relativesdes astres, Lune, Soleil et Terre. Auterme de la période qui ramène lamême position relative des troisastres, la hauteur du niveau de la merau-dessus du niveau d’équilibredevrait revenir identique. Cela seproduit toutes les 223 lunaisons.Cette période de 18 années de365 jours + 15,32 jours qui règleapproximativement le retour deséclipses de Lune et de Soleil est ap -pelée « saros », ou encore période«chaldéenne».Cet intervalle se retrouve assez aisé-ment dans les tables de coefficientsde marée établies et diffusées par le

Service hydrographique et océano-graphique de la marine (SHOM) : enFrance, on associe à l’amplitude del’oscillation de la marée semi-diurneun coefficient, dit « coefficient demarée », qui permet de façon simpleet rapide de connaître l’importancede la marée un jour donné. C’est unnombre sans dimension comprisentre 20 et 120 qui varie d’un joursur l’autre.Si on analyse ces tables, on peutretrouver à peu près les mêmes valeurstoutes les 18 années juliennes et11 jours, ce qui correspond au sarosdans notre calendrier. Cela est par-ticulièrement visible pour les faiblescoefficients (marées de petite morte-eau) [fig. 2].

Par contre, pour les forts coefficients(marées de grande vive-eau) onobserve un rythme de 4 à 5 ans, soitune périodicité qui correspond auquart de la période chaldéenne. Celas’explique par le fait que la longitudedu périgée lunaire varie de 360° enun peu moins de 9 ans. Ainsi, tousles 4,5 ans, les vives-eaux d’équinoxese reproduisent lorsque la Lune estsituée au voisinage du périgée. Lesquatre composantes semi-diurnesde la marée se trouvent alors sensi-

blement en phase, et l’amplitude dela marée est accentuée.La marée du 28 février est une maréede coefficient 102, ce qui correspondà une grande marée de vive-eau, maispas à une vive-eau exceptionnelle :globalement, 8 % des marées ont eneffet un coefficient supérieur à cettevaleur. Ces phénomènes de maréesont ainsi très bien connus, et lesprédictions largement diffusées parle SHOM.Du point de vue météorologique, latempête Xynthia, certes violente, n’apas atteint pour autant le caractèreexceptionnel des tempêtes Lothar etMartin (décembre 1999) ni celui deKlaus (janvier 2009). Les rafales maxi-males relevées, 160 km/h sur le littoralet de 120 km/h à 130 km/h dans l’in-térieur des terres, sont inférieures àcelles enregistrées lors des événementsde 1999 et 2009, où l’on relevait prèsde 200 km/h sur le littoral et 150 à160 km/h dans l’intérieur des terres.De même, Xynthia ne peut être qua-lifiée de « tempête explosive » : uncreusement de la pression atmo-sphérique de 20 hPa (hectopascals)en 24 heures a pu être observé. Maiscela est une caractéristique classiqued’une dépression hivernale sur lacôte atlantique : lors de la tempêteMartin (1999), on a observé un creu-sement de 32 hPa sur le même lapsde temps.La tempête apparaissait donc commemajeure dès le vendredi 26, mais pasexceptionnelle. Elle empruntait unetrajectoire sud-ouest, ce qui est fré-

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Si on considère un à un chacun des phénomènes naturels qui ont contribué à créer cette catastrophe, aucun, pris individuellement, n’est exceptionnel.“ “

Figure 2. –Amplitude desmarées et cyclesastronomiques.

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quent sur le proche Atlantique enjanvier-février.Le samedi 27, la dépression remontele long de la péninsule Ibérique et secreuse à 975 hPa. La vigilance rougeest diffusée par Météo-France surquatre départements pour « très fortetempête ». L’alerte évoque des risquesde « débordements prévisibles descours d’eau atlantiques » du fait desprécipitations associées, mais pas demenace d’envahissement par la mer,risque qui n’était en outre pas codifié

parmi les alertes. À 16 heures, les pou-voirs publics, mal informés, diffusentune alerte météo qui recommandeà la population de rester chez elle etd’éviter toute activité extérieure.

LA CONCOMITANCEDES PHÉNOMÈNESComment expliquer qu’avec des phé-nomènes marqués, mais sommetoute pas exceptionnels, on ait connuune telle catastrophe?Arrivée sur les côtes françaises dansla nuit du samedi 27 au dimanche28 février aux alentours de 2 heuresdu matin, la tempête frappe le littoralvendéen au moment de la pleinemer d’une marée à fort coefficient.C’est la coïncidence de plusieursphénomènes qui permet de com-

prendre la démesure des phénomènesrésultants.Dès 1 heure du matin le 28, la pressionatmosphérique baisse rapidement.La courbe de pression atmosphériqueà La Rochelle (fig. 3) montre qu’elleatteint son minimum vers 6 heuresdu matin (courbe noire). La pleinemer est prévue le 28 pour 4 h 25(courbe verte), avec une hauteurd’eau de 6,49 m: coefficient 102.La dépression, qui atteint localement980 hPa au niveau de la mer (pressionmoyenne: 1013 hPa), s’accompagnede manière naturelle d’une élévationsupplémentaire du niveau de la mer,ou « surcote », prévisible de l’ordrede 35 cm.Par ailleurs, les vents forts associés

« poussent la mer à la côte ». Ventset dépression associés provoquentune surélévation rarement atteinte,de 1,53 m au marégraphe deLaRochelle. De plus, alors que la plu-part des vents violents dans cettezone sont des vents d’ouest, la tempêteXynthia s’accompagnait de ventssoufflant en puissantes rafales desud-ouest et de vagues de forte ampli-tude, qui ont poussé les flots vers lacôte, et notamment vers l’anse del’Aiguillon et vers l’entrée du cul-de-sac que constitue l’estuaire du Lay.

LE BILANCompte tenu du niveau atteint parla mer, certaines zones submergéesont pu être noyées sous plus de 2 md’eau. Le secteur agricole a été dure-ment touché : certaines terres inon-dées lors de la submersion marine(fig. 4) ont été brûlées par le sel etrisquent de rester infertiles pendantplusieurs années.Mais c’est dans le secteur de La Faute-sur-Mer que la montée des eaux aété la plus rapide et dévastatrice.Dans cette commune, la plus touchée,la submersion des quartiers sinistrésest due à des processus divers :– pour les quartiers nord, la rupturedu cordon dunaire par les vagues àla Belle-Henriette, côté océan à l’ouest,a été favorisée par la présence debrèches ménagées dans le cordondunaire pour faciliter l’accès auxplages ;– le long de l’estuaire du Lay, l’effetdes vagues a été peu important, maisau niveau des parties les plus basses

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Figure 3. – Le déroulement de la tempête Xynthia, 27-28 février 2010.

C’est la coïncidence de plusieursphénomènes qui permet de comprendre la démesure des phénomènes résultants.“ “

Figure 4. – Les surfaces inondées autour de l’anse de l’Aiguillon.

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des digues et des structures de pro-tection contre la submersion, le dépas-sement des cotes sommitales par lamer a entraîné des phénomènes desurverse.– brèches ou ruptures des digues lesplus fragiles, et souvent mal entre-tenues pour des raisons administra-tives de coût et de diversité des modes

de gestion, mais aussi souvent parune perte globale de la consciencedu danger, ont aggravé le phénomèned’inondation en augmentant lavitesse de l’écoulement en arrièredes protections.Les quartiers les plus atteints (fig. 5)correspondent aux derniers secteursconstruits. Dans ces lotissementsd’habitat récent, les maisons sontbasses selon les normes d’urbanismeen vigueur. En pleine nuit, leurs habi-tants, souvent des personnes âgées,se soumettant à la directive diffusée,ont été surpris dans leur sommeilpar la montée de l’eau, parfois jusqu’auplafond de leur chambre à coucher,ne leur laissant aucune chance des’échapper. En l’absence d’étage, ilsse sont retrouvés bloqués derrièredes volets électriques ne fonctionnantplus, volets installés très souvent par

crainte des cambriolages. Ceux quiont pu échapper aux flots se sont enfait réfugiés sur le toit de leur maisonen attendant d’être secourus au matinpar des sauveteurs venus en héli-coptère ou ou en canot.Le nombre important de décès sur-venus a remis en cause la conceptionde l’urbanisation du littoral, l’entretien

des digues et les systèmes d’alerteutilisés depuis plusieurs années.Toute une zone a été déclarée « noire »,et les habitants ont été déplacés, mal-gré les résistances de certains.

QUE RETENIR?Un oubli proche du déni des cata -strophes du passé. L’expression cou-rante « de mémoire d’homme, on n’ajamais vu ça » en témoigne, alorsque l’histoire atteste au moins troisou quatre événements présentantdes caractéristiques proches parsiècle.Le rêve de la maison individuelle seconcrétisant souvent au moment dela retraite, les nouveaux habitantsn’ont que peu de connaissance etd’expérience de l’histoire du lieu oudu milieu qui va les accueillir. Sollicitéspar une propagande trompeuse, ils

font confiance à des promoteurs dontle seul intérêt est le profit, souventen accord avec l’administration localedans une politique de développementtout sauf durable des communes lit-torales. Ainsi, 3000 maisons ont étéconstruites dans les années 1980dans ce secteur mal protégé face àce type d’événement.Les modèles prévisionnels et déci-sionnels ne peuvent être efficacesque s’ils sont précédés d’une analysesystémique englobant l’ensembledes paramètres et des composantesenvironnementales, y compris lescomportements humains. Ils ne doi-vent en aucun cas être développésau service d’un postulat. De plus, ilssont en général incompatibles avecl’échelle très locale des phénomènesparoxysmaux.

CONCLUSIONSFace à un épisode tel que Xynthia, ilapparaît un manque flagrant de coor-dination entre des services, compé-tents chacun dans leur domaine maisne communiquant pas entre eux.L’alerte initiale a porté uniquementsur l’aspect météorologique, sansréférence à l’aspect océanographiqueet sans analyse des comportementssociaux. C’est essentiellement lemanque de coordination qui a pro-voqué la catastrophe que l’on sait.Le nombre important de décès etl’ampleur des pertes matérielles ontremis en cause l’urbanisation du lit-toral, l’entretien des digues et lesméthodes d’alerte à vigilance.Face aux conséquences d’un phé-nomène naturel d’ampleur mais nonexceptionnel, il apparaît que l’expé-rience et la « mémoire vernaculaire »sont essentielles dans toute opérationd’aménagement durable.Cela démontre aussi qu’en matièrede prévention du risque, chercheurset opérateurs issus de différentes dis-ciplines doivent définir et construireensemble leur programme inter -disciplinaire, en aucun cas il ne peuts’agir d’un vernis à la surface d’unprojet conçu par un spécialiste d’unediscipline unique. n

*JEANNINE LE RHUN est maîtresse de conférences à l’École pratique des hautes études,

MARIE-FRANÇOISE COUREL est directriced’études émérite à l’École pratique des hautes études.

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Les modèles prévisionnels et décisionnels ne peuvent êtreefficaces que s’ils sont précédés d’une analyse systémiqueenglobant l’ensemble des paramètres et des composantesenvironnementales, y compris les comportements humains. “ “

Figure 5. – Urbanisation et inondation à La Faute-sur-Mer et à L’Aiguillon-sur-Mer.

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PAR STÉPHANE SARRADE*,

LES RESSOURCES EN EAU DOUCENous savons depuis toujours que laTerre est recouverte d’eau. En effet,notre planète contient environ1400 millions de kilomètres cubesd’eau, répartis majoritairement entreles océans, les calottes glaciaires, lesrivières et les lacs. Toutefois, seulement0,003 % de cette quantité considérable,c’est-à-dire 45000 km3, constituentnos ressources en eau douce. En théo-rie, cette ressource peut être utiliséepour la consommation humaine :l’hygiène, l’agriculture et l’industrie.En pratique, cette réserve n’est pasaccessible dans sa totalité. Les pol-lutions aqueuses liées à l’agricultureou à l’industrie ainsi que des événe-ments climatiques, comme les inon-dations saisonnières, rendent l’eauextrêmement difficile à dépolluer oubien à capturer avant qu’elle ne se

déverse dans des rivières éloignées.Selon l’Organisation des Nationsunies pour l’alimentation et l’agri-culture (FAO), seuls finalement 9000à14000 km3 sont économiquementaccessibles et disponibles pour l’uti-lisation humaine. Si nous mettionstoute l’eau de la Terre dans une bai-gnoire, l’eau douce accessible àl’homme tiendrait dans une simplecuillère à thé. Il faut noter que l’agri-culture représente en moyenne 70 %de l’utilisation de l’eau dans le monde,proportion qui peut monter jusqu’à90 % dans les pays en voie de déve-loppement. La pression démo -graphique que nous connaissons,avec plus de 7 milliards d’habitants

actuellement, va normalement s’am-plifier pour atteindre 9 milliards d’ha-bitants entre 2030 et 2050. À celas’ajoute le changement climatiquequi malheureusement va accentuerla pénurie en eau douce. Tout d’abordla multiplication des épisodes cli-matiques extrêmes (tempêtes, oura-gans…) que nous allons connaître,en Europe en particulier, va entraînerdes précipitations importantes etlocalisées qui vont avoir des difficultésà rejoindre les réservoirs naturels(rivières, lacs, nappes…) sans subirde pollutions chimiques ou micro-biennes. De plus, dans le futur, l’aug-

mentation de quelques degrés de latempérature à la surface de la planèteva induire deux phénomènes : il vamoins pleuvoir là où nous en aurionsbesoin, c’est-à-dire dans les zonesgéographiques en situation de stresshydrique, et il va beaucoup plus pleu-

voir là où nous ne le souhaitons pas,en particulier au niveau des pôles,accélérant la fonte des réserves d’eaudouce.La question qui se pose actuellementest de savoir si d’ici à 2030, la ressourceen eau douce sera suffisante poursoutenir la vie humaine. Au-delà dela quantité à produire, la qualité del’approvisionnement en eau est éga-lement importante. Les océans et lesmers recouvrent plus de 70 % de lasurface terrestre. Aussi, pour combattrela pénurie en eau potable, sensibledans de nombreux pays, le dessale-ment semble être la solution la plusappropriée.Il faut noter que, pour la premièrefois dans l’histoire des civilisationshumaines, il va falloir utiliser del’énergie pour produire de l’eau, alorsque jusqu’à présent cela a été l’inverse.Il faudra de l’énergie pour construireles usines de dessalement, puis pourles faire fonctionner. Et même si nouspouvons payer pour cette énergie,la pollution due à la combustion descombustibles fossiles (charbon etgaz) nous oblige à envisager majo-ritairement des sources d’énergiedécarbonées : nucléaire, éolien ou

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L’EAU ET LA PRODUCTION D’EAU POTABLE: UN ENJEU MAJEUR DU XXIe SIÈCLE

Les avancées de la recherche en matière de dessalement de l’eau seront déterminantes pour assurerun accès à l’eau potable dans les décennies à venir. Stéphane Sarrade revient sur les enjeux autour de cette technique, ses principes et l’état de la recherche.

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Si nous mettions toute l’eau de la Terre dansune baignoire, l’eau douceaccessible à l’hommetiendrait dans une simplecuillère à thé.

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La question qui se pose actuellementest de savoir si d’ici à 2030, la ressource en eau douce sera suffisante pour soutenir la vie humaine.“ “

Usine dedessalement d’eaude mer par osmoseinverse à Oman.

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solaire. Logiquement, l’énergie hydro-électrique n’est pas envisageablepour des pays en stress hydrique.

LES PRINCIPES DU DESSALEMENTLes principaux procédés de dessa-lement se répartissent en deuxfamilles. Il s’agit tout d’abord desprocédés thermiques, avec en premierlieu la distillation multiétagée, laquelleutilise de l’énergie thermique, souventd’origine fossile. À l’heure actuelle,le dessalement solaire thermique faitl’objet de beaucoup de recherchespour répondre à des besoins localisésdans des zones de fort ensoleillement.L’autre famille regroupe les procédésmembranaires, avec en particulierl’électrodialyse et l’osmose directeou inverse. Pour des usines centraliséesproduisant plusieurs centaines demillier de mètres cubes par jour, leprocédé d’osmose inverse s’imposedepuis plusieurs années comme unstandard industriel.L’osmose inverse repose sur l’utili-sation d’une membrane semi-perméable, un filtre en matériaupolymère très sélectif alimenté eneau de mer ou en eau saumâtre. Ilfaut appliquer à l’eau entrante unepression de l’ordre 40 à 60 bar, biensupérieure donc à la pression osmo-tique de l’eau de mer (environ 25 bar).Après passage à travers ce filtre, del’eau dessalée est récupérée dans leperméat. Le procédé ne nécessitepas de changement de phase et s’opèreà température ambiante, ce qui per-met de maîtriser la consommationd’énergie et de séparer les impuretésorganiques et neutres. Cependant,en raison du fonctionnement à pres-sion élevée, des pompes sont néces-saires, et elles sont d’autant plus oné-reuses que le débit demandé estimportant. En outre, une alimentationen eau à concentration saline tropélevée ne convient pas à ce procédé:il faut dans ce cas prétraiter cette eau pour le bon fonctionnement des membranes.

LES ENJEUX AUTOUR DES PROCÉDÉS DE DESSALEMENTL’enjeu principal du dessalement estson coût de production. Il faut leréduire au minimum afin de pouvoirinstaller des usines de dessalementdans des zones du monde en stresshydrique, des zones souvent pauvres

économiquement. Les progrès réaliséssur la technologie des pompes et demembranes ont permis de diminuerde manière continue les coûts desprocédés d’osmose inverse. Desrécents progrès technologiques ontconduit à des couplages avec dessources de chaleur existantes pourfaire des systèmes hybrides avec unerécupération d’énergie accrue. Àl’heure actuelle, le coût de 1 m3d’eaudessalée produit dans les plus grandesinstallations existantes est de l’ordrede 0,4 €/m3. Dans des installationsde taille intermédiaire (quelquesdizaines de milliers de mètres cubespar jour), comme au Brésil, l’utilisationde gaz naturel conduit à des coûtsde production compris entre 0,7 et1,6 €/m3.

Au-delà de l’aspect financier, le lienentre l’énergie, l’eau et l’environne-ment devient prédominant lorsqu’ilest envisagé un futur développementd’usines de dessalement, notammentdans des économies de pays sousstress hydrique. Les nouvelles géné-rations de procédés ou d’installationsde dessalement doivent prendre encompte des exigences strictes enmatière de prélèvements et de rejetsdans l’environnement. Même si lesprocédés restent hautement efficacesen termes d’énergie et durabilitélorsqu’ils produisent de l’eau potablede bonne qualité, il faut prendre encompte le fait que les sources d’eau,qu’elles soient saumâtres ou marines,sont devenues de plus en plus conta-minées tandis que la demande decapacités de dessalement augmentedans le monde. Les récents progrèsautour du dessalement de l’eau demer par osmose inverse sont orientésvers la minimisation des impactsenvironnementaux associés à laconstruction et à l’exploitation dessystèmes de prélèvements et d’éli-mination des saumures, la partie àforte concentration en sel.Pour les prélèvements en mer (souvent

préférables pour un aspect visuel parrapport aux prélèvements côtiers),les systèmes de captage peuvent pro-voquer des collisions et l’entraînementde divers organismes marins. Cesimpacts peuvent être minimisés enlocalisant la prise d’eau dans unezone géographique où la productivitémaritime est faible. De plus, des sys-tèmes d’aspiration à faible vitessevont réduire les impacts en minimisantle nombre de poissons entraînés. Ledéveloppement de nouveaux systèmesd’écrans mobiles peut aussi permettred’atténuer la destruction de certainsorganismes marins.En fin de procédé, l’élimination dessaumures dans l’océan peut avoirun impact local sur la faune et la floreaquatiques si le rejet salin est maldilué. Ces impacts peuvent être atté-nués en utilisant des systèmes dediffuseurs adaptés et localisés enfonction de la modélisation en tempsréel du courant marin et du débit derejet adapté.

L’USAGE DE CE PROCÉDÉDANS DIFFÉRENTS PAYSDans le monde, nous produisonschaque jour plus de mètres cubesd’eau douce que de barils de pétrole.En effet, environ 47 millions de mètrescubes d’eau douce sont produitschaque jour à partir d’eau de mer.Cela correspond à 660 m3d’eau douceproduits par dessalement chaqueseconde. Cela ne représente finale-ment que 0,45 % de l’eau douceconsommée chaque jour, mais autotal cela représente près de 21 mil-liards de mètres cubes d’eau chaqueannée. Nous ressentons déjà demanière aiguë le stress hydrique dansde nombreuses parties du monde,en particulier dans le Bassin médi-terranéen, au Moyen-Orient et danscertaines parties de l’Asie. De nom-breux pays ont investi ou vont investirdans les procédés de dessalementd’eau de mer.Israël est particulièrement significatifdans ce domaine, car il conjugue unbesoin croissant en eau associé à unesituation géopolitique tendue. Avecplus de 8 millions d’habitants, le payspossède aujourd’hui une capacitéde traitement de l’ordre de 2 millionsde mètres cubes d’eau salée par jour,soit 500 millions par an, destinés àla consommation humaine, l’industrie

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L’enjeu principal du dessalement estson coût de production. Il faut le réduire au minimum afin de pouvoir installer des usines de dessalement dans des zones du monde en stress hydrique, des zonessouvent pauvres économiquement.

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PAR NGUYễN NGọC TRÂN*,

LA CHINE ET LE MÉKONGLe Mékong prend sa source au plateaudu Tibet et termine son cours dansla mer de l’Est, après avoir traverséla Chine, le Myanmar (Birmanie), le Laos, la Thaïlande, le Cambodgeet le Vietnam. Sa longueur s’étendsur 4 909 km ; son bassin couvre795 000 km2, 185 000 km2 pour lebassin supérieur et 610000 km2pourle bassin inférieur ; son débit moyenannuel est de 16000 m3/s1.Ce qui est moins connu, c’est qu’enterritoire chinois le Mékong s’appelleLancang. Ce n’est pas une simplequestion de nom, car la Chine aexploité le Lancang, son bassin etson eau sans tenir compte des impactssur l’écosystème du bassin inférieur,notamment des répercussions surla vie de la population en aval. Ainsi,la Chine a projeté plus d’une vingtainede barrages sur le Lancang2, certainsont été achevés, d’autres sont enconstruction… Ceux de l’extrêmesud du bassin supérieur retiendraiententre un tiers et la moitié des sédi-

ments3qui, jusqu’à l’entrée en servicedu premier barrage (Manwan), en1995, nourrissaient les cinq régionshydroécologiques du bassin infé-rieur, où vivent plus de 60 millionsd’habitants. Tout cela sans consul-tation préalable des cinq autres paysriverains.

Plus significatif encore, la Chine necommunique ni les données hydro-logiques du Lancang ni les régimesde fonctionnement des barrageshydroélectriques. Face à la demandepressante et justifiée des autres paysriverains, la Chine a accepté à partirde l’année 2003 de communiquer leniveau d’eau et la précipitation auxstations Jinghong et Manan pendantles cinq mois de la saison des pluies4.La Chine exploite l’eau du Lancang-

Mékong pour le bien du peuple chi-nois, c’est son droit. Mais la Chinene peut pas ignorer ses responsabilitésenvers les peuples des autres paysriverains, car le Lancang-Mekongn’est pas un fleuve domestique de laChine. Il a des relations transfronta-lières, il est international.

OÙ COMMENCE LE MÉKONG?Dans les contextes politique et his-torique des années 1950-1960, leComité du Mékong a été créé par leCambodge, le Laos, la Thaïlande etle Vietnam (Sud) en 1957 afin de gérerl’exploitation du fleuve. En 1978, lerégime des Khmers rouges a retiréle Cambodge dudit comité, qui estdevenu par la suite le Comité inté-rimaire du Mékong (Interim MekongCommittee [IMC]). En 1995, laCommission du fleuve du Mékong(Mekong River Commission [MRC])a été créée par le Cambodge, le Laos,la Thaïlande et le Vietnam pour gérerensemble les ressources en eau com-munes et le développement durabledu fleuve. La MRC fonctionne sur labase de l’Accord sur la coopération

La Chine exploite l’eau du Lancang-Mékong pour le bien du peuple chinois, c’est son droit. Mais la Chine ne peut pasignorer ses responsabilités envers les peuplesdes autres pays riverains.“ “

et l’agriculture. En 2014, le dessalementreprésentait 35 % de la productiontotale d’eau potable. En réponse àla démographie croissante du pays,les autorités israéliennes prévoientun accroissement des capacités dedessalement d’eau de mer entre 2020et 2050 pour atteindre 1,5 milliardde mètres cubes par an, répondantainsi à 60 % de la demande en eaupotable d’Israël. Les trois usines dedessalement de plus forte capacité(> 200000 m3/jour) existantes se trou-vent à Hadera, Ashkelon et Palmachim.Cinq installations produisant plusde 100000 m3/jour d’eau potableseront construites entre 2025 et 2050,à cela va s’ajouter la mise en œuvred’installations de recyclage des eauxusées (municipales et industrielles)

et de traitement des eaux saumâtres.Israël investit énormément dans larecherche et développement inno-vante dans ce domaine. Les tensionsentre Israël et la Palestine sont aussi

lisibles à l’aune de l’accès à l’eaupotable. L’eau est aussi un enjeu poli-tique, et Israël fait évoluer sa politique:la construction de l’usine israélienneHadera Inland (274m3/jour) devraitcommencer dès 2020, elle a donné

lieu à un accord avec l’Autorité pales-tinienne pour la fourniture d’eaupotable. Cette dernière a indiqué quecet accord serait important pour laPalestine, mais qu’en aucun cas il nepermettrait de régler les causes duconflit israélo-palestinien.Le XXIe siècle verra sûrement germerdes conflits importants autour del’accès à l’eau potable. En effet, nousrisquons de manquer d’eau potableavant de manquer de pétrole. n

*STÉPHANE SARRADE est chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), directeurdu département de physico-chimie à la Direction de l’énergie nucléaire du CEA Saclay, président du Club françaisdes membranes et de l’associationInnovation Fluides supercritiques.

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FLEUVES INTERNATIONAUX. L’EXEMPLE DU MÉKONGLe cas du Mékong, fleuve qui arrose six pays asiatiques, illustre les enjeux autour de la bonne gestiond’un cours d’eau international aussi bien pour la préservation de l’environnement que pour le développe-ment économique des régions concernées.

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Dans le monde, nous produisonschaque jour plus de mètres cubes d’eaudouce que de barils de pétrole. Environ47 millions de mètres cubes d’eau doucechaque jour à partir d’eau de mer.“ “

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pour le développement durable dubassin du Mékong (MekongAgreement).La MRC se veut une plate-forme pourla diplomatie de l’eau (water diplo-macy) et pour la coopération régionaledans laquelle les États membres par-tagent les bénéfices des ressourcesen eau communes malgré les diffé-rents intérêts nationaux. Elle se pro-pose d’agir aussi comme un centrerégional de connaissances sur la ges-tion des ressources en eau et apportesa contribution aux processus deprise de décision fondée sur la preuvescientifique. La mission de la MRCest bien définie. Cependant, il y aune omission dès le départ : leMyanmar (3 % de la superficie dubassin) et, surtout, la Chine (21 %)ne sont pas membres mais unique-ment partenaires de dialogue (dialogpartners). Omission pour avoir suiviles traces du Comité du Mékong,alors que le contexte du milieu desannées 1990 a profondément changépar rapport aux années 1950, ou refusde participation du Myanmar et dela Chine? Quoi qu’il en soit, les consé-quences sont là.D’abord, n’étant pas liée au MekongAgreement, la Chine vient aux réu-nions de la MRC quand il s’agit deses intérêts, et s’absente quand ils’agit de ses obligations. Ensuite, oùcommence le Mékong dans l’appel-lation de la MRC? La question mérite

d’être posée car le domaine de com-pétence de la MRC se limite au bassininférieur du fleuve. Si le « Mékongde la MRC » commence à la limitedes deux bassins, tous les projetsexaminés et les études menées parla MRC dans le bassin inférieur ris-quent d’être illusoires, puisque ceMékong n’a pas de source : il n’a queles précipitations recueillies sur lebassin inférieur et la quantité d’eauque la Chine veut bien lâcher de sesbarrages. Enfin, par cette restrictionau bassin inférieur, la MRC admetindirectement de facto l’existenceséparée du Lancang et du « Mékongde la MRC », et par là laisse la Chinedisposer à sa guise de l’eau du« Mékong en territoire chinois ».

LE MEKONG AGREEMENT À AMÉLIORERDes promoteurs et des investisseursde toutes les nationalités soulignentle potentiel hydroélectrique du Laosqui est si grand que ce pays pourraitdevenir la « batterie énergétique »de toute l’Asie du Sud-Est. Dans lebassin inférieur, onze projets de cen-trales hydroélectriques (quatre chi-nois, quatre thaïlandais, deux viet-namiens et un malaisien) sur leMékong et une trentaine sur lesaffluents ont été avancés dans ledébut des années 20005. La premièrecentrale, Xayaburi, est en constructiondepuis 2012 malgré les effets néfastesprévisibles sur l’environnement, déjàendommagé par les barrages chinoisen amont, malgré les protestationsdes riverains, malgré les appels dereport de dix ans pour des étudesapprofondies supplémentaires6 etmalgré l’absence de consensus ausein de la MRC à l’issue du stade desPNPCA (procedures for notification,prior consultation and agreement).La deuxième, Don Sahong, suit lemême parcours et est en constructiondepuis 2016. La troisième, Pakbeng,au stade de la PNPCA, a été reportéepar les investisseurs car jugée nonrentable comparée à d’autres formesd’énergies.

Une des stipulations de base duMekong Agreement, la PNPCA appa-raît clairement insuffisante pour lagestion de l’eau du fleuve. La MRCa publié en janvier 2018 un rapport7

qui acte, dans ses recommandations,

qu’il était « urgent que les États mem-bres étudient les solutions énergétiquesen remplacement de l’énergie hydrau-lique», que « le développement durablede l’eau du Mékong, objectif de basede la MRC, ne saurait être atteint pardes décisions unilatérales des Étatsmembres » et que « les États riverainsdu bassin partagent l’eau du Mékong.Il est indispensable qu’ils élaborentdes projets de codéveloppement à l’échelle du bassin pour l’intérêtcommun ».Lors de la réunion consultative durapport tenue en mars 2018, organiséepar le secrétariat de la MRC à Hô-Chi-Minh-Ville, l’auteur de cet articlea également insisté sur la nécessitéde répondre à la question « Où com-mence le Mékong dans l’appellationde la MRC?». Sans réponse, les recom-mandations du rapport reviendraientà construire des châteaux en Espagneet ce qui se déroule dans le bassininférieur du Mékong ressemblerait

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Centrales hydroélectriques sur le Mékong Source : Mekong River Commission, 2010.

Zoneshydroécologiques dubassin du Mékong. Source : SEA MekongMainstream Dams,

2010.

La Commission du fleuve du Mékongse veut une plate-forme pour la diplomatiede l’eau dans laquelle les États membrespartagent les bénéfices des ressources eneau communes malgré les différents intérêtsnationaux.

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Les États riverains du bassin partagentl’eau du Mékong. Il est indispensable qu’ilsélaborent des projets de codéveloppement àl’échelle du bassin pour l’intérêt commun.“ “

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à un spectacle que l’on peut intitulerainsi : « Assis sur les hauteurs, mani-puler et regarder les tigres s’entre-déchirer en bas. »

POUR UNE MRC RÉNOVÉE DANSTOUTE LA PLÉNITUDE DU MÉKONGIl est temps de restituer au Mékongson caractère international et indi-visible. Pour cela, premièrement, ilfaut s’accorder pour reconnaître quele Mékong est un et indivisible, duTibet à la mer. Ce fleuve constitue unélément de première importance dela biosphère du globe. L’eau du Mékongest un bien commun des six paysriverains, mais aussi de l’humanitéeu égard aux besoins d’autosuffisancealimentaire mondiale et à la raréfactionde l’eau douce dans le contexte duchangement climatique. Ensuite,comme l’exploitation de l’eau duMékong suscite inéluctablement desdifférends d’intérêts nationaux, elledoit être réglementée pour le bénéficede tous les pays riverains, pour lecodéveloppement et pour la préser-vation de l’environnement du bassintout entier, piliers du développementdurable de la région. Par conséquent,les six pays riverains doivent s’accordersur un principe de base concernant

l’usage des ressources communes eneau, selon lequel droits et intérêts dechaque pays doivent être accompagnésdes responsabilités et obligationsenvers tout le bassin. Il convient debâtir une nouvelle institution com-prenant les pays riverains et d’élaborerun nouvel accord à la lumière de cequi a été positif ainsi que des insuf-fisances du PNPCA que la réalisationdes projets Xayaburi, Don Sahong etPakbeng a révélées. Plus simplement,il pourrait aussi s’agir d’élargir l’actuelleMRC et d’améliorer l’actuel MekongAgreement. Dans l’immédiat, le par-tage entre les pays riverains des don-nées hydrologiques et du calendrierde fonctionnement des barrageshydroélectriques doit être une obli-gation, indispensable pour la bonnegestion des risques provenant duchangement climatique global. LaLMC (Lancang-Mekong Cooperation),créée en mars 2016 par la Chine, pour-rait apporter une contribution appré-ciée à la MRC nouvelle formule,pourvu qu’elle œuvre dans le mêmeesprit des considérations fondamen-tales énoncées plus haut.Rénover la MRC et le MekongAgreement est une tâche longue etdifficile. Mais la bonne gestion d’un

grand fleuve international mérited’être menée à bien par un effortcommun tant au niveau régionalqu’international. n

*NGUYễN NGọC TRÂN, docteur ès sciences, est vice-président de la commission des Relations extérieuresde l’Assemblée nationale du Vietnam.

1. http://www.mrcmekong.org/mekong-basin/2. https://wle-mekong.cgiar.org/wp-content/uploads/Mekong_A0_2016_Final.pdf3. Colin Thorne, George Annandale,Jorgen Jensen, Review of SedimentTransport, Morphology, and NutrientBalance, section de The MRCS XayaburiPrior Consultation Project Review Report,université de Nottigham, Royaume-Uni,mars 2011.4. En 2009, ces deux stations sont équipéesdes instruments de mesure automatiques,aux frais de la MRC mais gérés par la Chine.Informations du secrétariat de la MRC.5. Il s’agit, du nord vers le sud: Pakbeng,Luang Prabang, Xayaburi, Pak Lay,Xanakham, Pak Som, Bankoum, Lak Sua,Don Sahong (Laos), Stung Treng, Sambor(Cambodge).6. Mekong River Commission, StrategicEnvironmental Assessment of Hydropoweron the Mekong mainstream, rapport final,octobre 2010.7. http://www.mrcmekong.org/assets/Publications/the-CS-reports-cover.pdf

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POUR ALLER VERS UNE GESTION DE L’EAUCOMME BIEN COMMUN

Cet article propose trois orientations essentielles pour évoluer vers une gestion de l’eau répondant auxbesoins de l’humanité – une partie considérable de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable–, vers une gestion qui fasse de l’eau autre chose qu’une marchandise pour privilégiés.

ressources, au manque d’investisse-ment, à l’accroissement des inégalitéset aux déstabilisations géopolitiquespourrait nous faire entrer dans unenouvelle phase où l’objectif d’accèsà l’eau pour tous s’éloignerait.À l’opposé de ce qui amène la pollutionde nappes phréatiques pour l’extrac-tion de gaz de schiste aux États-Unisou la confiscation de la ressource eneau au détriment du peuple pales-tinien, cette situation devrait nousobliger à développer aux échellesmondiale, régionale, nationale etlocale des modalités de gestion plus

PAR YANNICK NADESAN*,

après un rapport de 2017de l’OMS et de l’UNICEF,quelque 2,1 milliards de

personnes, soit 30 % de la populationmondiale, n’ont toujours pas accèsà des services d’alimentation domes-tique en eau potable et 4,4 milliards,soit 60 %, ne disposent pas de servicesd’assainissement gérés en toute sécu-rité. Si l’accès à l’eau potable a étéen progression constante ces dernièresdécennies, le dérèglement climatiquecumulé à la mauvaise répartition des

coordonnées, plus démocratiques,plus justes et plus durables.

LA MAÎTRISE DÉMOCRATIQUE DU PARTAGE DE L’EAUSi certaines régions du mondeconnaissent des déficits en ressourcesen eau depuis des décennies, le stresshydrique saisonnier ou permanentest une réalité de plus en plus présentedans des régions jusqu’alors épar-gnées. Le dérèglement climatiquevient en effet renforcer les tensionsliées à la mauvaise répartition desressources, à leur mauvaise gestion,

D’

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aux fuites sur les infrastructures, auxmanques de processus de productioncomme d’équipements hydro -économes, aux manques d’inter -connexions, aux développementséconomique et démographique…Si la désalinisation et le re-use – lerecyclage de l’eau potable déjàconsommée pour une nouvelle uti-lisation avant rejet dans le milieunaturel – constituent des réponsesà développer pour faire face auxbesoins de l’humanité en eau potable,ils sont extrêmement coûteux et nesuffisent pas à régler les questionsde juste répartition entre les usages.En fait, les réponses efficaces pourfaire face aux besoins de l’humanitése situent dans la combinaison d’unemeilleure gestion démocratique dela répartition des ressources et d’im-portants investissements matériels.Le grand projet de désalinisation (oudessalement) et d’aqueduc depuisla mer Rouge pour alimenter Israël,la Jordanie et la Palestine est uneillustration de la nécessaire gestionpartagée, sans laquelle la réalisationd’infrastructures coûteuses ne peutpas répondre aux besoins prioritaires.En l’occurrence, il s’agit d’un inves-tissement évalué à 1 milliard dedollars, et son objectif est de permettreun surplus d’approvisionnement eneau potable de 300 millions de mètrescubes par an et de sauver la merMorte, dont la superficie ne cesse dediminuer. Or, si important soit-il, cetensemble ne règle ni la juste attri-bution de ressources à la Palestine,ni la souveraineté palestinienne surdes ressources en eau présentes surson territoire (de fait quasi inexistante

entre le non-respect des accordsd’Oslo et l’absence d’actualisationde ceux-ci pour la répartition desressources aquifères, l’occupationmilitaire de la zone C, soit 67 % duterritoire cisjordanien, etc.), ni lescauses profondes de l’assèchementde la mer Morte (détournement deseaux du lac de Tibériade en amont,exploitations intensives de potasse,etc.), ni la juste priorisation entre lesdifférents usages (alimentation,hygiène, agriculture, productiond’énergie).

Ici comme ailleurs, l’eau peut êtreune arme de guerre tout comme ellepeut être une chance pour la paix.Du IXe au XXe siècle ont été signés3600 traités portant sur le partagedes ressources en eau, et de 1948 à2008 les deux tiers des règlementsde conflits transfrontaliers ont conduità plus de coopération entre les paysconcernés.En France, dans un contexte de bienmeilleure disponibilité de la ressourceet de rapports beaucoup plus apaisés,les conflits d’usage de l’eau sontmalgré tout bien présents. Ainsi, laconcurrence entre les territoires pourattirer ou maintenir des activités

industrielles conduit à une quasi-omniprésence d’une logique dedégressivité des prix de l’eau, avecpour conséquence une sous-valori-sation du prix de l’eau pour les indus-triels compensée par une survalori-sation du prix de l’eau dont lesparticuliers font les frais. Autre exemplequi nécessiterait des remises en cause,celui de l’eau en bouteille : les pro-ducteurs bénéficient d’un accès quasigratuit à la ressource naturelle pourvendre l’eau 150 à 1000 fois plus cherque celle distribuée à domicile viale robinet.La conjugaison d’une gestion localedes services de l’eau avec un enca-drement à l’échelle départementale(intégrant des représentants des asso-ciations, des collectivités et de l’État),pour assurer un partage des ressourcesdurable et solidaire s’appuyant lui-même sur les recommandations descommissions locales de l’eau, per-mettrait en France une meilleuregestion démocratique et partagéeentre les territoires. On pourrait enoutre imaginer un système plusmutualisé, allant vers des tarifs nationaux, nous faisant sortir de lalogique de concurrence économiqueentre les territoires au détriment dela gestion durable de la ressource,avec notamment l’interdiction de la dégressivité des prix.

LA GRATUITÉ DE L’EAU POUR LES BESOINS FONDAMENTAUXLe système français, où le financementdes services d’eau est assuré par leprix payé par les usagers, exclut de

On pourrait imaginer un système plus mutualisé allant vers des tarifsnationaux, nous faisant sortir de la logiquede concurrence économique entre les territoires au détriment de la gestiondurable de la ressource.

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Le scandale des producteurs d’eau en bouteille qui bénéficient d’un accès quasi gratuit à la ressourcenaturelle pour nous vendre l’eau 150 à 1000 fois plus cher que celle distribuée à domicile via le robinet.

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fait toute forme de gratuité totale(pas de rentrée budgétaire, pas deservice)… et c’est plutôt une bonnechose. En effet, si la gratuité de l’eaupour les usages alimentaires et sani-taires est à rechercher, il est à l’inverselogique qu’il y ait un prix à payerquand l’eau sert à des usages luxueux(piscine individuelle…) ou commematière première pour de la produc-tion de richesse privée (agroalimen-taire et autres industries, centresaquatiques privés…).

Depuis 2015, Eau du bassin rennaiset Rennes Métropole ont mis en placeune tarification progressive intégrantla gratuité des 10 premiers mètrescubes d’eau consommés par an (eaupotable et assainissement), compen-sée par la surfacturation des mètrescubes d’eau consommés au-delà du100e mètre cube. Cette décision sejustifie par l’idée qu’on se fait dudroit à l’eau garanti pour les besoinsfondamentaux que sont l’alimentationet l’hygiène, reconnus en 2010 parune résolution de l’Assemblée généralede l’Organisation des Nations unies.Développer et conforter à l’échellenationale une telle démarche de gra-tuité pour les besoins fondamentauxserait tout à fait imaginable ; ellepourrait s’appuyer sur un fondsmutualisé abondé par un transfertconséquent des profits réalisés par

des activités économiques qui nesont aujourd’hui pas mises à contri-bution alors qu’elles induisent uneutilisation importante d’eau ou génè-rent des polluants émergents (produitscosmétiques, pharmaceutiques, entreautres, à l’origine de micro polluantsperturbateurs endocriniens présentsdans les piscines individuelles, leseaux en bouteille…).

LA MAÎTRISE PUBLIQUE DIRECTEDES RESSOURCES ET DES INFRASTRUCTURES DE PRODUCTIONAprès une période où les multina-tionales de l’eau ont profité de leurprésence préférentielle sur le marchéfrançais, nous avons connu ces der-nières années un accroissement dela maîtrise publique des servicesd’eau. Ce virage heureux a pris desformes diverses, de la délégation deservice public très encadrée à la régie;il porte aussi sur des interventionstrès différentes : la protection d’uncaptage, la gestion d’usines de pro-duction, le relevé de compteurs,l’émission des factures, etc. Ces inter-ventions participent d’un même ser-vice, mais il convient de discernerleur caractère stratégique. Ainsi, y a-t-il lieu de se glorifier de la créationd’une régie de distribution d’eaupotable (c’est-à-dire la gestion destuyaux par lesquels on alimente leslogements, des équipements, desentreprises…) si la collectivité ne

maîtrise pas la gestion du captage etles usines de production? La questionse pose d’autant plus qu’un des enjeuxmajeurs de la gestion publique directeest d’appliquer une stratégie de gestiondurable des ressources, à l’inversede l’opérateur privé d’autant plusrémunéré que le volume d’eau produitest élevé.Ainsi, le développement de la maîtrisepublique devrait s’appliquer en prio-rité à la protection des ressources(lutte contre les pollutions et gestionquantitative) et aux infrastructuresde production.Et, soyons lucides, le passage en régien’entraîne pas la disparition d’ungrand nombre de contrats avec desentreprises privées : il n’existe, parexemple, pas d’entreprise publiquede construction d’usines de traite-ment, de tuyaux et de compteurs.Par ailleurs, en comparaison d’en-treprises multinationales dotéesd’une grande expérience, de moyensphénoménaux humains et en capital,la prise en main directement par unecollectivité des services d’eau n’estpas toujours évidente, notammentpour les collectivités les plus petites,dont l’approvisionnement est com-pliqué et nécessite des processus depotabilisation complexes.C’est la raison pour laquelle, pourappuyer le développement de la maî-trise publique locale, la création d’uneagence nationale de l’eau permettraitla mise à disposition de moyens d’ex-pertise pour la gestion directe del’eau (appui juridique, ressourceshumaines, aide à la création…) oul’encadrement des délégations deservice public à des entreprises privées(rédaction des marchés, contrôle del’exécution des contrats). Elle pourraiten outre faciliter l’ouverture de prêtsà taux zéro pour l’acquisition dematériel et de locaux pour les opé-rateurs publics en création, organiserun groupement d’achat, etc. Enfin,une telle agence pourrait coordonnerun pôle de recherche pluridisciplinaire,liant les universités et les servicespublics de l’eau pour mettre en phaseles attentes en matière de recherchefondamentale et les besoins d’ap-plication décentralisés. n

*YANNICK NADESAN est président de Eaubassin rennais et conseiller municipal PCFdélégué à l’eau, au contrôle budgétaire etservices concédés de Rennes.

Depuis 2015, Eau du bassin rennais et Rennes Métropole ont mis en place une tarification progressive intégrant la gratuité des 10 premiers mètres cubes d’eauconsommés par an compensée par la surfacturation des mètres cubes d’eauconsommés au-delà du 100e mètre cube.

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Y a-t-il lieu de se glorifier de la création d’une régie de distribution d’eaupotable si la collectivité ne maîtrise pas la gestion du captage et les usines de production?“ “

Usine detraitement des eaux usées.

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PAR BELAÏDE BEDREDDINE*,

n 2015, dans l’Agenda 2030,l’ONU a fixé 17 objectifs dedéveloppement durable

(ODD) pour répondre aux grandsdéfis du climat et du développementdurable. L’heure est à la mise en œuvrede ces objectifs. La responsabilitédes États, de l’Europe, des autoritéslocales et des collectivités est engagéepour atteindre ces objectifs.L’engagement citoyen, des acteurset des mouvements sociaux est éga-lement à l’ordre du jour, dès lors querelever ces défis pose la problématiquede l’intervention et du contrôle parles citoyens, d’autant que l’avenir dela planète est en jeu.L’objectif de développement durable« Eau propre et assainissement »(ODD 6) concerne directement lagestion de l’eau. La loi Oudin-Santini(février 2005) et les politiques exté-rieures des collectivités permettentà celles-ci, aux syndicats et agencesde l’eau de mobiliser jusqu’à 1 % deleur budget de fonctionnement pourdévelopper les coopérations inter-nationales au service du droit à l’eauet à l’assainissement, s’inscrivantainsi dans l’ODD 17 (« Partenariatspour la réalisation des objectifs »).Hélas, trop peu d’acteurs utilisentpleinement cette possibilité, souventpar manque de volonté politique,parfois par méconnaissance. Et pour-tant, l’accès à l’eau et à l’assainisse-ment demande encore des engage-ments concrets et lisibles.Des milliers de femmes, d’hommes,d’enfants meurent chaque année desmaladies à transmission hydrique,et ce notamment faute d’assainisse-ment. Les déplacements de popula-tions pour des raisons climatiques

montrent l’aggravation d’une situationhumanitaire qui demande desmesures urgentes et que la compas-sion seule ne réglera pas. Il faut del’engagement, une nouvelle concep-tion de la coopération internationaleau service de ceux qui souffrent, maisaussi en matière de codéveloppementet de nouvelles relations internatio-nales. Face aux drames des peuples,développer de fortes coopérationsdécentralisées et internationales estun devoir de solidarité auquel per-sonne ne devrait se soustraire.

AU-DELÀ DE L’HUMANITAIRECes coopérations ne sont pas seu-lement des devoirs humanitaires,elles peuvent s’inscrire dans d’autresobjectifs.Ainsi, la mise en œuvre de l’ODD 9,qui concerne l’industrie, l’innovationet les infrastructures peut se traduireen termes d’économie circulaire.Prenons l’exemple de la capitale duLaos, Ventiane, qui a développé un

programme de traitement des bouesde fosses septiques de 50000 habi-tants : la mise en service d’une stationà base de filtres plantés permet latransformation de ces boues enhumus, utile à l’agriculture. Cetteexpérience est conduite dans d’autrespays, comme au Vietnam.Toujours dans l’économie circulaire,et pour répondre à l’ODD 7, ilconvient de développer la produc-tion de biogaz à partir des eauxgrises et la réutilisation, après trai-tement, des eaux usées dans l’agri-culture, le but étant de réduire lerecours aux énergies fossiles.

DU DÉVELOPPEMENT DURABLE À LA PAIX: L’EAU AU CŒUR DE NOUVEAUX DÉFIS

L’eau est au cœur de différents conflits dans le monde. Pour que l’eau ne soit pas un facteur supplé-mentaire d’instabilité politique, Belaïde Bedreddine nous explique les principes et les enjeux autour del’hydrodiplomatie.

Les 17 objectifs de développementdurable fixés parl’ONU dansl’Agenda 2030.

E

L’eau est au carrefour de politiquesindispensables à l’avenir de la planète ; elle est vecteur de nouvelles solidarités, de nouveaux rapports de coopérations dansle monde. L’eau n’est pas seulement un enjeutechnique ou économique : elle est, pourtoute l’humanité, le cœur de son devenir.

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Mais aussi la réalisation de l’objectifODD 11, avec pour enjeu la réhabi-litation des villes et des grandes méga-poles au bénéfice de l’humain, avecla création de puits de fraîcheur pourgérer les eaux pluviales.Et que dire de l’ODD 14 qui vise à laprotection des mers, océans et deleur biodiversité? Il faudrait généraliserl’interception des déchets solidesdans les installations de traitementdes eaux grises: les milieux maritimesne peuvent survivre aux océans deplastique et de déchets qui s’y déver-sent faute d’assainissement.Chacun des objectifs de développe-ment durable mis en œuvre est unapport à la construction d’une destinéecollective, humaine et solidaire.Atteindre ces objectifs d’ici à 2030est bien plus que l’addition de bonnesintentions, c’est un appel à repenser

de nouvelles stratégies en matièrede transition écologique, d’atténuationde l’impact anthropique sur le climatet de développement durable. L’eauest au carrefour de politiques indis-pensables à l’avenir de la planète ;elle est vecteur de nouvelles solidarités,de nouveaux rapports de coopérationsdans le monde. L’eau n’est pas seu-lement un enjeu technique ou éco-nomique : elle est, pour toute l’hu-manité, le cœur de son devenir.

L’HYDRODIPLOMATIEC’est en cela que, par bien des aspectspour l’activité humaine, le cycle del’eau doit être au centre des politiquespubliques et internationales. Chaquefois qu’elles s’inscrivent dans unobjectif de développement durable,elles contribuent à donner du sensà la réussite des 17 objectifs fixés parl’ONU et à repenser l’écologie commeun maillon de transformationssociales, sociétales, économiques et environnementales.Considérée sous cet angle, l’eau estaussi un facteur de paix et de codé-veloppement, en cohérence avec

l’ODD 16. En cela, les actions portéespar l’UNESCO en matière d’hydro-diplomatie sont affichées commeune des priorités de son action inter-nationale. Faut-il rappeler que la plupart des conflits sont liés à desfrontières et à l’appropriation desrichesses ? L’eau est devenue au fildes conflits cette richesse convoitée,disputée, pour assoir de nouvellesdominations. L’eau se moque pourtantdes frontières : il n’est pas rare quede grands cours d’eau traversent leterritoire de plusieurs États.Si la ressource en eau devient unenjeu majeur du fait du stresshydrique, l’eau, élément vital, est deplus en plus menacée par les pollu-tions et le dérèglement climatique.Aujourd’hui, des zones habitablesdeviennent désertiques, d’autres sontnoyées par la montée des océans.Les catastrophes climatiques de cesdernières années mettent en évidencela fragilité de l’avenir des populationset, plus globalement, de la planète.Et même la capacité d’adaptationdes pays riches serait insuffisante

pour répondre aux défisqu’elles mettent au jour.Nous le savons, l’impactsur les océans, les milieuxnaturels, serait catastro-phique pour tous si rienne bouge.

Seule une mobilisation générale peutéviter la tragédie, ce qui nécessiteque les acteurs, y compris quand ilssont en conflit, se parlent autour desbassins-versants communs. Dansun premier temps sur des enjeuxtechniques, le maintien des étiagesdes cours d’eau par les barrages, laprotection des points de collectepour l’eau potable, des schémas direc-teurs pour l’assainissement, la pro-tection de la biodiversité. C’est vraidans de nombreuses zones du globe,mais encore plus quand il s’agit duJourdain, au cœur du conflit duMoyen-Orient. Libanais, Jordaniens,Israéliens et Palestiniens doiventpouvoir se rencontrer pour réfléchiret travailler sur cette question del’eau, car elle n’est pas seulement aucœur du conflit, et des conséquencesimposées au peuple palestinien ; eneffet, un fleuve asséché et pollué –le risque n’est pas une vue de l’esprit– aurait un impact pour toutes lespopulations de l’ensemble de la zone.Ces rencontres techniques devraientdevenir politiques pour modifierl’impact de l’homme sur ce fleuve.Un tel acte politique pourrait faciliterle retour de contacts diplomatiques,sur la question de l’eau pour com-mencer, sur les autres sujets par lasuite… jusqu’à la paix. La paix estaussi une condition indispensablepour sauvegarder l’avenir des océans,des fleuves et des rivières et garderles côtes et les terres habitables.L’eau, si elle devient trop rare, serademain un facteur supplémentaired’instabilité politique. L’eau, facteurde paix ou facteur de guerre : voilàl’enjeu de l’hydrodiplomatie. n

*BELAÏDE BEDREDDINE est vice-président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et adjoint au mairede Montreuil.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

L’eau est devenue au fil des conflitscette richesse convoitée, disputée, pourassoir de nouvelles dominations. L’eau semoque pourtant des frontières : il n’est pasrare que de grands cours d’eau traversent le territoire de plusieurs États.

“ “s

Vue en contre-plongée au large de Hawaï. La viemaritime est menacée par les masses de plastique etde déchets qui s’y déversent faute d’assainissement.

Le PCF a édité L’eau : un besoin, un droit, uncombat, disponible entéléchargement libre surhttp://ecologie.pcf.fr/sites/default/files/exe_brochure_eau_web.pdf

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LES RECETTES DE LA LUTTE CONTRELA FRAUDE FISCALE EN BAISSEL’administration française a encaissé 9,4 milliardsd’euros en 2017 dans le cadre de lutte contre lafraude fiscale, contre 11,1 milliards un an auparavant.La DGFIP a indiqué que la lutte contre la fraudefiscale avait moins rapporté en 2017 en raisonnotamment d’une diminution de l’activité desguichets de régulation des évadés fiscaux. Lafameuse « cellule de dégrisement » pour lesdétenteurs de comptes à l’étranger et soucieux de se régulariser.Depuis 2010, à Bercy 3 000 emplois ont étésupprimés dans les services de lutte contre lafraude. Pour rappel, la fraude fiscale fait perdreentre 60 et 80 milliards d’euros par an à la France.La somme monte à 1000 milliards pour l’Unioneuropéenne. n

LE VŒUX PIEUX DES CONSTRUCTEURS DE TÉLÉPHONESC’est une scène désormais courante et bien connue :la recherche du chargeur de téléphone qui va avecson appareil. En 2009, pas moins de quatorzefabricants, dont Apple, Samsung, Huawei et Nokia,avaient signé sur la base du volontariat un protocoled’accord en vertu duquel ils acceptaient d’harmoniser

les chargeurs des smartphones destinés à êtrecommercialisés deux ans plus tard, le but affichéétant d’épargner aux utilisateurs les tracas de larecherche de ce « bon » chargeur. Par la suite,certains d’entre eux avaient signé des « lettresd’intention » en 2013 et en 2014 pour prolongerla force de cet engagement. Mais le capitalismesemble s’évertuer à montrer qu’il ne veut ni nepeut s’autoréguler. Dix ans plus tard, les déchetsélectroniques constitués uniquement de vieux char-geurs sont estimés à plus de 50000 tonnes annuellesrien qu’en Europe. n

RECULER L’ÂGE DE LA RETRAITEAUGMENTE LES ARRÊTS MALADIEDepuis 2014, la hausse des arrêts de travail aété continue. Et les dépenses en indemnités jour-nalières ont augmenté de 6 % durant les cinqpremiers mois de 2018. Deux raisons à cela.D’une part, les cas de burn-out explosent, et bienque l’Assurance maladie ne les reconnaisse pascomme constituant une pathologie, les affectionsengendrées sont identifiées : dépression, anxiété…Une personne sur deux connaîtrait une telle situationde fragilité au travail. D’autre part, le recul dudépart à la retraite de 60 à 62 ans mis en placeavec la réforme de 2010 implique que la duréedes arrêts maladie s’allonge. En effet, les plusde 60 ans effectuent en moyenne un arrêt maladiede deux mois et demi, contre un mois pour lesemployés moins âgés. n

Le Nautile victime de l’obsolescenceprogrammée?Le Nautile, le sous-marin emblématique de l’Ifremer, est sur la sellette. Malgréses 2000 plongées depuis 1984, sans aucun incident, il ne tiendrait plus le coup.Certes, il faut débourser 3 millions d’euros pour assurer son bon état defonctionnement et procéder à quelques mises à jour (flottabilité, charge des bras

mécaniques). Le Nautile a un concurrent, le toutrécent Victor, aux prouesses réelles : 72 heuressous l’eau sans remonter, caméras 3D intégrales…Faut-il pour autant les opposer ? C’est l’objet dudébat à l’Ifremer qui, faute de P-DG à sa tête etde signaux sonars du côté de la bulle élyséenne,s’interroge. Pourtant l’Ifremer l’avoue lui-même :«L’abandon du Nautilepriverait la communauténationale d’un outil unique en termes de vision

directe, de compréhension en 3D, de capacité d’emport et de réactivité sur le fond. »Les 11 millions de kilomètres carrés de fonds marins que possède la Franceméritent bien deux sous-marins d’exploration. Seuls les États-Unis, la Russie,la Chine et le Japon possèdent des sous-marins civils de recherche.Les océans recouvrent environ 70 % de la surface du globe, leur profondeurmoyenne est de l’ordre de 3800 m. D’un point de vue écologique, on estimequ’au moins 50 % de la biosphère globale se situe à plus de 1000 m de profondeur.Ce monde nous est encore largement inconnu. n

Sida : comment résorber la pandémie?

La prévention contre le VIH traverse une crise. Despopulations particulièrement vulnérables demeurenthors de portée du système de santé mis en place dansle monde pour lutter contre la pandémie de sida.C’est le cri d’alerte lancé par quarante-sept expertsengagés dans la lutte contre le VIH, responsable deplus de 35 millions de morts. Les aides internationalestendent à diminuer, à tel point que l’objectif mondiald’en finir avec le VIH en 2030 semble s’éloigner. Et ce malgré de réelles avancéesréalisées dans le traitement de la maladie aussi bien que dans sa prévention.Depuis le début de la pandémie, c’est le modèle concentré sur le VIH qui domine.Or il semble que le système d’actions qui en découle ne répond plus aujourd’huiefficacement au défi posé. Pour les experts, une approche globale liée auxprogrammes de santé visant les maladies liées serait préférable. À l’initiative del’International AIDS Society (IAS), les experts invitent à ce changement d’approche :aborder le VIH dans son ensemble, et non de front, c’est-à-dire uniquementdans sa prévention ou son traitement un fois le virus contracté. n

Vers l’infini et l’au-delà

Les travaux de construction d’un nouveau Grand Collisionneur de hardrons (ditLHC, pour Large Hadron Collider) ont commencé cette année sous l’autoritédu CERN. Son rôle? Augmenter le nombre de collisions par seconde avec desfaisceaux de protons, ce qui permet d’augmenter la production de particules oude réactions rares, et donc d’étudier celles-ci plus facilement en un tempsraisonnable, plus court qu’une vie entière, ce qui est fort pratique. La livraisonde ce nouvel LHC, appelé HL-LHC, est prévue pour 2025-2026.Le LHC en service depuis 2010 a atteint son but principal initial, à savoir la miseen évidence, en 2012, du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH). Les chercheursont pu préciser et vérifier les prédictions du modèle standard de la physique deshautes énergies et commencer à explorer l’origine des masses des quarks et desleptons formant la matière en montrant que, là aussi, intervenait la physiquedu boson de BEH via les couplages de Yukawa. nPour en savoir plus : https://youtu.be/-EWTfCLdjzs

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PAR SYLVESTRE HUET*,

UNE VACANCE DÉLIBÉRÉEDepuis la fin du mandat d’YvesBréchet, fin septembre, la fonc-tion de haut-commissaire àl’énergie atomique est vacante.Ce n’est pas une surprise. Legouvernement savait depuis lemois de mai qu’Yves Bréchet nedemanderait pas à poursuivreau-delà de sa fin de mandat.Cette vacance délibérée de lafonction est donc une faute gouvernementale, de premièreimportance. Elle révèle que lepouvoir politique actuel ne traitepas avec le sérieux nécessairela question nucléaire, tant civilque militaire. Le haut-commis-saire exerce, par exemple, un rôle de contrôle dans la gestion des stocks de plutonium.Explications.

Haut-commissaire à l’énergieatomique, c’est un poste spécial,atypique dans le paysage de lahaute fonction publique, crééau départ pour Frédéric Joliot-Curie, qui en fut viré en 1950car il refusait de participer à lamise au point de la bombenucléaire française. Aujourd’hui,

plusieurs textes définissent sonrôle. Nommé en Conseil desministres, il conseille simulta-nément le « patron » du CEA –son titre exact est administrateurgénéral, actuellement FrançoisJacq – et l’exécutif : le présidentde la République, le Premierministre, le ministre de laDéfense, celui de la Rechercheet ceux liés aux enjeux énergé-tiques. Comment exercer cettedouble fonction, apparemmentcontradictoire?

LIBRE DE TUTELLEHIÉRARCHIQUELa solution, élégante et efficace,fut de lui éviter toute fonctionopérationnelle et hiérarchiqueau CEA (Commissariat à l’énergieatomique et aux énergies alter-natives), dont il n’est même pasmembre. Mais aussi de le sous-

traire à toute tutelle hiérarchique(il ne dépend pas de l’adminis-trateur général). Il siège danstoutes les instances décision-nelles du nucléaire, peut accéderà sa demande à tout documentet à tout employé du CEA – doncobtenir toute l’informationnécessaire, et il n’est pas recom-

Mitterrand qu’il valait mieuxarrêter le plus vite possible lesfrais pour la navette spatialeHermès, un très bon conseil. Lemême fut tout aussi réactif etfranc pour dire à un adminis-trateur général que redémarrerun réacteur (Phénix) sans avoirvraiment compris un incidentqui s’y était produit n’était pasacceptable. Et l’administrateurgénéral obtempéra. L’un desintérêts de l’histoire est qu’il futalerté par des jeunes ingénieursayant « shunté » toute leur hiérarchie.Pour que cette fonction soit bienexercée, il est donc nécessaireque le pouvoir politique ait laconnaissance des personnesqu’il y nomme – ce qui n’est pasévident au vu de l’abîme quisépare les viviers du politiqueet ceux de la science –, et surtoutne les nomme pas à l’instigationde l’administrateur général enposte (ce qui fut d’ailleurs le caspour Yves Bréchet, poussé parBernard Bigot ; seule la person-nalité de Bréchet permit de ren-

mandé d’essayer de lui cacherquelque chose. Cela, c’est pourl’information. En revanche,exempt de toute tutelle hiérar-chique, il est libre de dire etd’écrire ce qu’il veut au pouvoirpolitique. Par fonction, il estdonc l’oreille du Président là oùles enjeux nucléaires – la bombecomme les centrales nucléaires– sont traités. Une fonction d’au-tant plus importante que le pou-voir politique, depuis trente ans,échoue à mettre en place unestructure de conseil scientifiquevéritablement opérationnelle,compétente et indépendante,pérenne au-delà des alternancespolitiques.La liste des hauts-commissairesest riche de personnalités forteset indépendantes d’esprit.Depuis Joliot-Curie, on peutnoter Francis Perrin, René Pellatou Robert Dautray… Certainsont pu donner au gouvernementdes conseils extra-atomiques,comme lorsque René Pellat fitsavoir avec une franchise unpeu brutale à François

Alerte rouge : le nucléaire françaisn’a plus de haut-commissaire

Pour que la fonction de haut-commissaire soit bienexercée, il est donc nécessaire que le pouvoir politiqueait la connaissance des personnes qu’il y nomme – ce qui n’est pas évident au vu de l’abîme qui sépare les viviers du politique et ceux de la science.

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n NUCLÉAIRE CIVIL

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Depuis la fin septembre 2018, la France ne compte plus de haut-commissaireà l’énergie atomique. Retour sur une vacance qui dénote une vision politiquecourt-termiste des enjeux industriels, scientifiques et technologiques.

Article paru le 27 septembre 2018 sur le blog {Sciences²} du site lemonde.fr, et publié avec l’aimable autorisation de son auteur.

Yves Bréchet, ici à droite.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

verser cette faute de méthode).Le pouvoir politique actuel enest-il capable?

LA DISPARITIONDES HAUT-COMMISSAIRES?Yves Bréchet fut l’un de ceshauts-commissaires à la parolelibre, dérangeante et nécessairetant pour le pouvoir politiqueque pour la direction du CEA(mais discrète et totalementnon médiatique). Or, alors mêmequ’il a de nouveau démontrél’intérêt de la fonction, non seu-lement elle est vacante, maisen plus elle est menacée de dis-parition. L’actuel administrateurgénéral, dit-on, verrait d’un bonœil l’effacement d’une fonctionsusceptible d’être exercée parune personne libre vis-à-vis delui, de facto et non seulementde jure. Son action depuis saprise de fonction (après undépart précipité de la directionde l’Ifremer1) avec des nomi-nations contestées en interneet des frictions avec des scien-tifiques de haut niveau, comme

à Cadarache, incline à penserque le président de la Républiquedevrait la compenser par l’arrivéed’une forte personnalité auposte de haut-commissaire.

LA BOMBE…Quoi que l’on pense de labombe nucléaire, tant qu’elleest là il faut la gérer avec com-pétence et rigueur absolue.L’ancien directeur de laDirection des applications mili-taires, puis administrateur géné-ral du CEA entre 2015 et 2018,Daniel Verwaerde, était connupour ces deux qualités. C’estd’ailleurs probablement pourcela qu’il a sauté au plafonden découvrant qu’une cher-cheuse alors employée au CEAavait « arrangé » des résultatsde recherche pour en obtenir

Le CEA doit gérer la construc -tion, difficile, du réacteur JulesHorowitz3, à Cadarache. Retardset coûts volontairement sous-estimés au départ se sont accu-mulés. On eût aimé que le haut-commissaire de l’époque alertele pouvoir politique sur ce pointau lieu de voir le CEA copier lamauvaise habitude des éluslocaux qui lancent des pro-

grammes en en sous-estimantvolontairement le coût. Mais,et surtout, un tel réacteur derecherche n’a aucun intérêt s’iln’est pas en support d’une optionnucléaire de long terme (saufpour faire des radio-isotopespour la médecine, mais personnene prétend qu’on va se le payeruniquement pour ça). Or, oùest le choix de long terme affirméde manière claire, par le pouvoirpolitique? Seule une telle optionpeut justifier un tel investisse-ment, par un programme derecherche sur des réacteurs élec-trogènes futurs, post-2035.

SCIENCES ET INDUSTRIEMais le CEA, c’est aussi la phy-sique des particules, l’astro -physique spatiale, la physiquenucléaire en recherche fonda-mentale, la climatologie, lamicroélectronique, la biologiestructurale, l’énergie solaire etles neurosciences, la responsa-bilité d’équipements nationaux(le synchrotron Soleil à Saclaypour lequel son expertise enaccélérateurs de particules estcruciale, le Centre national deséquençage génétique à Évryqu’il gère)… Dans tous cesdomaines, la technoscience auservice de la recherche est cru-ciale. Rater le train de la tech-nologie de pointe signifie joueren deuxième division mondiale.Quant aux enjeux industrielset économiques, ils sont déci-sifs, et l’erreur se paye trèscher. Fallait-il vraiment se lan-cer dans une nouvelle aventure

de diminution de taille enmicroélectronique ou misersur l’intégration des compo-sants ? La question des bat -teries pour les voitures élec-triques est un enjeu énorme –aujourd’hui, les constructeurseuropéens fabriquent… 1 %des batteries mondiales –, pourlequel il faudra mobiliser uneffort de recherche en parte-

nariat public et privé majeursi l’on veut éviter une dépen-dance absolue vis-à-vis desfabricants asiatiques4… là aussi,le conseil scientifique au pouvoirpolitique est indispensable.Ce n’est pas la première foisque le pouvoir politique laissevacant ce poste. Mais la dernière(en 2012) fut pour une bonneraison: laisser le soin à un éven-tuel nouveau pouvoir issu desélections à venir le soin de nom-mer un haut-commissaire afinde ne pas entacher son actionpar un soupçon politique sursa nomination. Là, elle sonnecomme une surprenante dés-involture vis-à-vis d’enjeuxmajeurs. Quant à l’idée d’ensupprimer la fonction, elle seraitvraiment dangereuse. n

*SYLVESTRE HUET est journalistescientifique.

1. http://huet.blog.lemonde.fr/2018/07/02/sans-pdg-lifremer-veut-abandonner-le-nautile/2. C’est l’affaire Peyroche, du nomd’Anne Peyroche, qui, alors qu’elleétait membre du cabinet ministériel à la Recherche, avait été bombardéeP-DG par intérim du CNRS lestée d’un CV encore modeste au regard duposte, puis débarquée lorsqu’il devintévident que les soupçons deméconduite ne pourraient demeurerconfinés. Je parie ma chemise dudimanche que dans la feuille de routedonnée à François Jacq par le pouvoirpolitique il y a, à l’oral ou implicite,l’item « étouffer l’affaire Peyroche ».3. http://www.cea.fr/Pages/domaines-recherche/energies/energie-nucleaire/reacteur-de-recherche-jules-horowitz-RJH.aspx4. Martin Beuse et al., in Sciencedu 14 septembre 2018.

une publication plus accéléra-trice de carrière2. Un compor-tement d’extrême rigueur quin’est peut-être pas étranger àson départ du CEA, puisqu’ilaurait pu l’occuper jusqu’à lami-2019 en raison de son âge.Le haut-commissaire est undes maillons de la chaîne decontrôle des matières nucléaires,surtout du plutonium (avec lehaut fonctionnaire de Défense).La complexité des matériels del’arme nucléaire suppose queles décideurs (ministre de laDéfense, président de laRépublique) puissent avoir uneconfiance absolue dans leconseil du haut-commissaire,indépendant de la hiérarchiedu CEA qui les fabrique.

… ET LES CENTRALESNUCLÉAIRESLes enjeux civils ne sont pasmoindres. Le nucléaire fait partiedes options de long terme pourl’approvisionnement en élec-tricité du pays. Un vecteur éner-gétique dont on dit qu’il doit

s’étendre aux transports routiersà l’avenir. Or les technologiesen jeu et leurs temps typiques– un demi-siècle, voire plus pourla gestion des déchets nucléaires– supposent de confier au CEAdes missions sur cet avenir loin-tain, dont les effets politiques,et non seulement énergétiquesou économiques, se feront sentirbien longtemps après la fin del’exercice du pouvoir par lesdirigeants actuels. Dépassertoute réflexion de court terme,et donc tout intérêt politiciendans les décisions à prendre,suppose un sens de l’État trèsélevé et une connaissance éten-due des enjeux et possiblestechnoscientifiques. Dans cetexercice, le rôle de conseil scien-tifique au pouvoir politique estcrucial.

Rater le train de la technologie de pointe signifie joueren deuxième division mondiale.

Dépasser toute réflexion de court terme, et donc toutintérêt politicien dans les décisions à prendre, supposeun sens de l’État très élevé et une connaissance étenduedes enjeux et possibles technoscientifiques.

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Yves Bréchet, ici à droite.

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Aux origines de la révolution numérique,la machine de Turing

Le concept de machine de Turing, qui renouvelle et définit formellement le concept de calcul, émerge dans un contexte scientifique bouillonnant, et représente un événement significatif de cette première moitié du XXe siècle

si scientifiquement prolixe.

PAR IVAN LAVALLÉE*,

LE « DIXIEME PROBLÈME »L’année 1900 est la dernièreannée du XIXe siècle. La charnièreentre le XIXe et le XXe siècle estriche de découvertes et avancéesscientifiques et philosophiquesqui vont marquer l’avenir et quinous interpellent toujoursaujourd’hui, qu’il s’agisse de la théorie d’Einstein et de lafameuse formule E= mc2 (1905)qui permet de caractériser l’équi-valence énergie/matière qui

préoccupait la science del’époque, ou de la démonstrationpar Louis Bachelier de la carac-térisation mathématique dumouvement brownien, ouencore de l’émergence duconcept de complexité avec leproblème à trois corps abordépar Henri Poincaré, et GastonBachelard, le facteur philosophequi publie le Nouvel Esprit scien-tifique en 1934. Au tout début du XXe siècle paraîtune critique rationaliste etmarxiste de l’empiriocriticisme,doctrine à la mode à l’époque,par Vladimir Illitch Oulianov,dit Lénine, sous le titreMatérialisme et Empiriocriticisme

(1908) qui ouvre la voie philo-sophique à la révolution bol-chevique. Le décor scientifico-philosophique est posé !C’est en 1900 que, pour ce quinous concerne ici, les chosesprennent racine. Le mathéma-ticien David Hilbert va poser aucongrès des mathématiques deParis une série de vingt-troisproblèmes, dont le dixième vaconduire à une révolution, à lafois conceptuelle, mathématiqueet philosophique, à l’émergenced’une nouvelle discipline scien-

tifique. On peut donner une ver-sion « grand public » de cedixième problème, et surtoutde sa reformulation en 1928sous le nom allemand deEntscheidungsproblem, ou pro-blème de décision ; en fait il secompose de deux parties, deuxconjectures1.Première partie de la conjecture:il existe une façon unique deposer tout problème de mathé-matique.Deuxième partie de la conjec-ture: si cette première partie dela conjecture est vraie, alors ilexiste une façon unique de résou-dre tout problème de mathé-matique. Je laisse là imaginer

un peu l’enjeu. C’est dans lesannées 1930 que des réponsesvont être données.

NAISSANCE DU CONCEPTD’INDÉCIDABILITÉEn 1931, le mathématicien logi-cien Allemand Kurt Gödel vaprovoquer un séisme en publiantdeux théorèmes, dont le premier,dit « théorème d’incomplétude2

de Gödel », est le plus puissantpour ce qui nous préoccupe. Ilpeut s’énoncer comme suit :Dans n’importe quelle théorierécursivement axiomatisable,cohérente et capable de « forma-liser l’arithmétique », on peutconstruire un énoncé arithmé-tique qui ne peut être ni démontréni réfuté dans cette théorie.Passons sur « récursivement

axiomatisable », qui ne parlequ’aux spécialistes et dont cen’est pas ici le lieu de développerla signification. Kurt Gödel, àvingt-quatre ans, vient là debalayer tous les espoirs de laconstruction cohérente de l’édi-fice mathématique que le pres-tigieux mathématicien BertrandRussel poursuivait ; et l’espoird’une théorie parfaite et close.Le concept d’indécidabilité estné ! Mais la démonstration enest particulièrement abstruse.C’est Alan Mathison Turingqui va donner une réponsenettement plus simple et lumi-neuse à ces problèmes dansun article, majeur encoreaujourd’hui, « On computablenumbers with an applicationto the Entscheidungs problem »3.

Ce concept de machine de Turing est d’une puissancephénoménale ; il est à l’origine de l’informatique, et partant de la révolution numérique.

n NUMÉRIQUE

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Pour ce faire, Turing avance unconcept abstrait de machine,qu’on appellera par la suitemachine de Turing4. Ce concept5

va permettre de refonder leconcept de calcul, celui de pro-blème, puis de solution d’unproblème en formalisant ce quiva devenir fondamental par lasuite, le concept d’algorithme.

ET TURING ADVINTQuoique son nom de « machine »puisse conduire à imaginer unobjet matériel, palpable, lamachine de Turing est unconcept, une entité abstraite,un objet mathématique, ce qu’onappelle aussi « une expériencede pensée ». Une machine deTuring est constituée des élé-ments suivants :1.Un ruban infini (c’est d’ailleursce qui fait de la machine deTuring un être abstrait) diviséen cases consécutives. Chaquecase contient un symbole et unseul parmi un alphabet fini6.L’alphabet contient un symbolespécial ( ) appelé « symboleblanc » et plusieurs autres sym-boles. Le ruban est supposéinfini tant à droite qu’à gauche;la machine doit toujours avoirassez de longueur de ruban pourson exécution. On considèreque les cases non écrites duruban contiennent le symbole« blanc » ou « vide ».2.Une tête de lecture/écriturequi peut lire et écrire les symbolessur le ruban, et se déplacer versla gauche ou vers la droite duruban d’une seule case à la fois,ou ne pas se déplacer.3.Un registre d’étatqui mémo-rise l’état courant de la machinede Turing, et celui-ci seulement.Le nombre d’états possibles esttoujours fini, la machine possèdedonc un alphabet d’états.4. Une table d’actions, table àdouble entrée7dans laquelle onlit en ligne le symbole qui vientd’être lu sur le ruban, en colonnel’état de la machine, et la casecorrespondante de cette tableà double entrée indique à lamachine quelle action effectuersur le ruban en fonction de son

<

état courant et du symbole pré-sent dans la case sous la tête delecture/écriture: effacer le sym-bole lu, écrire un symbole surle ruban, comment déplacer latête de lecture (par exemple« G » pour une case vers lagauche, « D » pour une case versla droite, « N » pour neutre, c’est-à-dire stagnation), et dans quelnouvel état passer éventuelle-ment, toujours en fonction dusymbole lu sur le ruban et de

l’état courant de la machine.Ce concept de machine de Turingest d’une puissance phénomé-nale ; il est à l’origine de l’infor-matique, et partant de la révo-lution numérique. Du point devue logique, même si au plantechnologique ce n’est pas toutà fait vrai, tous les ordinateursséquentiels modernes sont fon-dés sur ce principe. Ce conceptpermet d’appréhender toutesles activités humaines, et plus :il permet de modéliser y comprisdes phénomènes qui sont horsdu champ mathématique,comme le comportement des

type de problème mathématique(et beaucoup d’autres accessoi-rement) en codant l’énoncé surle ruban. Mais, ce n’est pas parceque l’on sait poser de façonunique tout problème de mathé-matique qu’on sait nécessaire-ment le résoudre. En introduisantce qu’il est convenu d’appelerle problème de la halte, Turingdonne une démonstration ori-ginale du premier théorème deGödel.Le problème de la halte consiste,dans une acception « grandpublic », à poser la question desavoir si une machine de Turinguniverselle va s’arrêter pour uneécriture donnée sur le ruban.Dans le cas général, la réponseest « on ne peut pas répondre »,c’est indécidable ! n

*IVAN LAVALLÉE est directeur de rédaction de Progressistes.

1. En mathématiques, une conjectureest un énoncé qu’on a toutes les raisons de penser être vrai, mais qu’on ne sait pas démontrer et pour lequel on n’a jusqu’à présentaucun contre-exemple.

2. Le second porte sur la cohérencelogique d’une théorie. Il dit ensubstance qu’une théorie sera dite cohérente lorsqu’on ne peut y démontrer une proposition et son contraire, A et non A.

3. « Sur les nombres calculables avec une application au problème de la décision ».

4. Voir une description simple dansl’Homme et les techniques, Messidor-La Farandole, 1991, p.48.

5. N’en déplaise à Deleuze et Gattari,les mathématiciens aussi créent desconcepts !

6. En fait, on montre – mais ce n’estpas ici le lieu de le faire – que cetalphabet peut se résumer à [0,1]dans ce qu’on appelle la machine de Turing universelle, c’est-à-dire lamachine de Turing capable de simulertoute machine de Turing spécifique.

7. C’est une représentation parmid’autres, on pourrait présenter çaautrement.

8. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00814812v2 et aussihttps://arxiv.org/abs/1304.5604

9. Leslie Valiant, Probablementapproximativement correct (trad.),Cassini, 2018.

10. Le symbole signifie ici le « blanc ».

<

espèces animales8, ou la théoriede l’évolution de Darwin9.Il s’agit ici (ci-dessus) d’unemachine de Turing particulièrequi effectue une addition commeon l’apprend aux enfants, avecdes bûchettes.Là par exemple, à partir de laposition au départ, la machinelit (I,q0), c’est-à-dire qu’elle litle I alors qu’elle est dans l’étatq0, elle efface alors le contenude la case du ruban10 « » puisopère un décalage à droite « D »

puis la machine passe dans l’état« q1 », et ainsi de suite…On peut aussi coder chacun deces symboles avec des 0 et des1, auquel cas, à la suite de petitesmanipulations de codage, onobtient une machine de Turinguniversellequi permet de simulertoute machine de Turing parti-culière comme celle-ci.Par rapport à la double conjec-ture énoncée par Hilbert, Turingdonne le moyen de répondrepositivement à la première par-tie ; la machine de Turing uni-verselle permet effectivement– théoriquement – de poser tout

<

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Ce concept va permettre de refonder le concept decalcul, celui de problème, puis de solution d’unproblème en formalisant ce qui va devenir fondamentalpar la suite, le concept d’algorithme.

Représentation d’une machine de Turing avec quelques itérations.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

PAR CLÉMENCE GRANDLARGE*,

LES MÉCANISMES ÉVOLUTIFSDe l’origine des espèces a étépublié par Darwin en 1859.L’ouvrage a posé les bases de lathéorie de l’évolution. Cettethéorie, qui s’est imposée aucentre de la biologie, ne cessed’être consolidée par larecherche, en particulier engénétique. Les gènes subissent des muta-tions en permanence. Ces muta-tions sont majoritairement annu-lées par des mécanismes deréparation, ou restent sansconséquences. Si la mutationest héritable, c’est-à-dire qu’ellese produit dans les cellules ger-minales (pour la reproduction),une partie de la descendancede l’espèce sera porteuse decette mutation. Si cette mutationdevient avantageuse pour lesindividus qui en sont porteurs,alors ceux-ci, sur du long terme,permettront au gène muté dedevenir l’unique copie du gèneoriginel.L’évolution par mutation et lesdifférents processus de sélectionont donné lieu à une immensediversité d’espèces vivantes. Si99 % des espèces ayant existéont aujourd’hui disparu, chaqueannée de nouvelles espèces sontdécouvertes, particulièrementdans les groupes taxonomiquesdes insectes ou des bactéries.Aussi, chaque être vivant que

nous considérons nous est appa-renté, de près ou de loin. Plusla divergence avec l’ancêtrecommun est importante entredeux espèces, plus les deuxespèces sont génétiquementdifférentes.Les différences et les similaritésentre deux espèces sont dues àleur matériel génétique respectif.Les gènes contiennent les infor-mations de base pour la fabri-cation des protéines, qui elles-mêmes ont des fonctions dansl’organisme. On dit que le gène« code » pour la protéine. Aussi,la couleur de nos yeux, le fonc-tionnement de nos cellules, denos organes, ainsi que la joie oula tristesse par exemple, sontrégulés en partie par nos protéines.Lorsqu’un nouveau gène apparaît,si la protéine qu’il code est avan-tageuse pour l’individu, le gèneaura plus de chances de se trans-mettre, et de se répandre danstoute l’espèce. Néanmoins, leschoses se compliquent lorsqu’onprend en compte les réseaux d’in-teractions des protéines. En effet,une protéine n’est jamais utiletoute seule. Sa fonction tient obli-gatoirement à son interactionavec d’autres protéines.L’ÉVOLUTION DU COUPLELIGAND-RÉCEPTEURIl existe plusieurs types d’inter-actions protéiques. On trouvepar exemple les interactionsenzyme-substrat, protéine-ADN,anticorps-antigène. Au cours

de mon doctorat, avec les cher-cheurs de l’équipe qui m’avaitaccueillie, nous avons travaillésur les ligands et les récepteurs,des protéines qui fonctionnenten binôme, comme une clé etune serrure. Les récepteursmembranaires sont des protéinesprésentes dans la membraneplasmique des cellules. Lesligands protéiques endogènessont des protéines provenantdu milieu extracellulaire. J’aicherché à comprendre commentces interactions protéiquesétaient apparues au cours del’évolution et s’étaient ajustéespour fonctionner à deux.Globalement, mon travail s’estconcentré sur différents pointsclés. En tout premier lieu, nousavons cherché à comprendre

si, dans l’évolution des animaux,les récepteurs et leurs ligandsrespectifs étaient apparus enmême temps. Pour cela, nousavons déterminé plusieurs tour-nants évolutifs cruciaux dansla phylogénie des animaux. Parexemple, la séparation de l’an-cêtre des organismes non ver-tébrés de celui des organismesvertébrés ou encore de l’ancêtre

des mammifères de celui desreptiles sont des tournants évo-lutifs déterminants. Une foiscette chronologie définie, nousavons utilisé des logiciels dephylogénie pour savoir si leséléments du couple étaient appa-rus en même temps. Nous avonsensuite comparé nos résultatsà ceux obtenus par un modèleprobabiliste. Et la réponse futoui ! : les ligands et leurs récep-teurs apparaissent plus souventen même temps que s’ils étaientindépendants l’un de l’autre.Ça semble intuitif, mais il n’enest rien. Beaucoup de récepteursaujourd’hui restent sans ligandsconnus, et inversement. Aussi,savoir que l’évolution favorisela coapparition ouvre de nou-velles perspectives.

Par la suite, nous nous sommesdemandé comment s’étaientmises en place les interactionspour les cas moins courants oules deux partenaires n’étaientpas arrivés en même temps. Lemodèle que j’utilise est fondésur un algorithme simple. C’estun algorithme avec lequel jesimule ma population de départ.Puis je la fais évoluer, en ajustant

Comment faire de la recherchesur l’évolution?Une jeune chercheuse retrace pour Progressistes son parcours scientifique jusqu’à sathèse, brillamment soutenue en décembre 2018. Clémence évoque le cadre théo-rique de son travail, son expérience de doctorante et ses recherches sur la génétique,et elle nous dit aussi ses inquiétudes quant à son avenir.

Si 99 % des espèces ayant existé ont aujourd’huidisparu, chaque année de nouvelles espèces sontdécouvertes, particulièrement dans les groupestaxonomisques des insectes ou des bactéries.

n JEUNES CHERCHEURS

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

mes paramètres pour favorisercertaines mutations de liaison,etc. Enfin, dans un dernier temps,nous nous sommes intéressésau poids qu’avaient les événe-ments de duplication complètede génome dans les remanie-ments des couples ligands-récep-teurs. Pour cela, nous avons crééun algorithme qui nous per-mettait de faire des recherchesdans tous les arbres phylo -génétiques des humains. Pourles curieux, l’algorithme est enligne sur GitHub, dans le projetOrthofishing1.

LA PRATIQUEDE LA RECHERCHEPersonnellement, j’ai adoré êtreen doctorat. Soutenir une thèse,toucher à la fin d’une expérience

aussi prenante que passionnante,c’est beaucoup d’émotions.Malgré des moments de grosdoutes, de panique même, celareste une chance inouïe d’êtrepayée pour lire des articles à lapointe de la connaissance, pourmonter des hypothèses, desexpériences. C’est une satisfac-tion immense de travailler surun projet dont on ne connaîtpas les débouchés. La modéli-sation, par exemple, a été lapériode la plus stimulante demon travail. Le modèle créé estcomme une formule magique :on la fabrique, on l’applique, etle résultat peut être complète-ment inattendu.Et puis, disons-le, faire partied’une communauté scientifiqueest aussi très flatteur. Aujourd’hui,les scientifiques construisentle socle de connaissancesreconnu par la société. Aussi,être de ceux qui apportent des

le plus de postdocs… C’est ter-rible de se dire qu’après tantd’études on n’est qu’à la moitiédu chemin, qu’il va falloir pos-tuler pour des postdoctorats,se « vendre », partir à l’étranger,parler anglais, apprendre denouvelles techniques, publier,vite, bien, dans les meilleursjournaux. Et donc travailler leplus tard le plus souvent. Fairedes manips le soir, du terrain leweek-end. Puis trouver un nou-veau postdoc, rebouger, recom-mencer encore. Jusqu’à ce quenotre CV nous semble assezgonflé pour tenter les concoursen France. Et là, c’est reparti. Ilfaut postuler, monter son dossier,monter son projet de recherche;le réécrire, le réadapter à chaque

offre. Beaucoup de chercheursfinissent par trouver un posteà l’étranger, faute de place dansnotre propre pays. Moi, je vou-drais faire ma vie en France, etsi jamais je ne trouve pas deposte, je ne sais pas si j’aurai lecourage de vivre à l’étranger…ou de tout recommencer.L’âge moyen pour avoir un postedans la recherche est de 33 ans.C’est plutôt angoissant commenouvelle. Surtout pour unefemme. Beaucoup de cher-cheuses ont déjà des enfantslorsqu’elles accèdent à leur pre-mier emploi. Plusieurs facteurs

d’ailleurs limitent l’accès dessciences aux femmes. Déjà pourl’accès au doctorat, les chiffresmontrent qu’il y a moins defemmes que d’hommes dansnos disciplines. Dans mon expé-rience personnelle, c’est quelquechose qui m’a marqué. Pendanttoutes mes années de licenceen biologie, nous étions unelarge majorité de filles ; en mas-ter 2 recherche, nous étions alorsune classe mixte, ce qui signifieque les hommes, moins nom-breux, se sont majoritairementdestinés à une carrière derecherche. Dans mon cursus enbio-informatique, la différenceétait beaucoup plus marquéedès la licence: il y avait beaucoupplus d’hommes que de femmes.Outre les différences genrées,on trouve bien sûr des problèmesplus connus dans le mondescientifique. Les revues danslesquelles nous publions sontpayantes, au profit de grandesentreprises. Les thésards n’ontpas tous le même traitement :il dépend beaucoup de leursdirecteurs. Les thésards scien-

tifiques sont rémunérés, maisce n’est pas systématiquementle cas dans d’autres disciplines,ce qui crée d’énormes injustices.Malgré cela, la thèse aura étéune belle expérience que je sou-haite à tout le monde. Larecherche scientifique reste ununivers extrêmement stimulant.Rendre l’ensemble des donnéesde recherche publiques et acces-sibles à tous serait un premiergrand pas pour promouvoir legoût des longues études. n

*CLÉMENCE GRANDLARGE estdocteure en biologie évolutive.

réponses est extrêmemententhousiasmant. Pendant ledoctorat, j’ai eu la chance deprendre part à des congrès scien-tifiques, qui m’ont beaucoupapporté. Pendant mes troisannées de doctorat, j’ai aussiété amenée à donner des cours.Cette expérience a définitive-ment orienté mes choix profes-sionnels. Aujourd’hui, j’aimeraisêtre enseignante-chercheuse :

coupler l’activité de rechercheet de transmission est, pour moi,le métier parfait. Toute cettebelle expérience m’a motivéepour rechercher un postdoctoratou un contrat de recherche àl’étranger. En sciences, c’est unpeu le passage obligatoire àsignaler sur un CV si on veuttenter les concours pour devenirchercheur. Néanmoins, penserau chemin qu’il me reste à par-courir me génère beaucoup de stress.

PERSPECTIVESPROFESSIONNELLESPersonnellement, je ne voudraispas travailler dans le privé.Pourtant, les postes dans lesuniversités et les laboratoirespublics sont de plus en pluscompliqués à obtenir. Il faut unCV « béton », avec le plus depublications possibles, et dansles revues les plus prestigieuses,

J’ai cherché à comprendre comment ces interactionsprotéiques étaient apparues au cours de l’évolution et s’étaient ajustées pour fonctionner à deux.

L’âge moyen pour avoir un poste dans la recherche est de 33 ans. C’est plutôt angoissant comme nouvelle.Surtout pour une femme.

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Représentation schématique de l’algorithme génétique utilisé dans mes recherches. Chaque étape représente un événement que subit la population.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

PAR PIERRE DHARRÉVILLE*,

UNE COMMISSION D’ENQUÊTESUR LES MALADIESPROFESSIONNELLESLe rapport auquel a abouti letravail de la commission parle-mentaire, bien qu’il se focalisesur le secteur industriel, nemanque pas de formuler despropositions qui peuvent êtreétendues à toutes les entreprises.Le choix de me centrer sur lesecteur industriel n’est pas ano-din, puisque je suis issu de la13ecirconscription des Bouches-du-Rhône, qui comporte unezone industrielle majeure denotre pays, avec notamment lessites de Lavéra (Martigues) etde Fos-sur-Mer.Ce travail a consisté en vingt-trois auditions1, mais aussi en

des déplacements et des visitessur site dans trois départements:Bouches-du-Rhône, Seine-

Maritime, Loire. Le rapport portel’ambition d’un nouvel élandans le domaine de la santé autravail. Il y a besoin de replacerla santé au cœur du travail afinde continuer à produire et contri-buer à l’essor de notre pays sansêtre obligé d’y sacrifier sa santéau passage, car le développementéconomique doit servir l’humainau lieu de l’asservir.

Les conclusions auxquelles lacommission est parvenue à l’issuede ces six mois de travail amènentà la formulation de quarante-trois propositions, suivant lestrois objectifs qui figurent dansl’intitulé du rapport :1. Mieux connaître, approfon -dir la connaissance des risquesprofessionnels au sein des entreprises.

2. Mieux reconnaître, améliorerla reconnaissance des maladiesprofessionnelles.

3. Mieux prévenir, dévelop -per un véritable système de prévention des maladies professionnelles.

Le rapport, scindé en deuxgrandes parties, fait d’abordle constat de politiques foca-lisées sur la prise en chargeassurantielle – perfectible –des maladies professionnelleset insuffisamment tournéesvers la prévention, avant deformuler des propositions faceà la nécessité de mettre enplace de meilleurs outils deprévention pour viser à l’éli-mination des maladies pro-fessionnelles. J’ai en effetd’abord tenu à souligner le faitque les maladies profession-nelles sont loin d’avoir disparudans le secteur industriel, pourensuite formuler les constatsd’une sous-déclaration et d’unesous-évaluation des maladiesprofessionnelles.

DES POLITIQUESINSUFFISAMMENT TOURNÉESVERS LA PRÉVENTIONSi la majorité des salariés estimeque leur travail n’a pas d’in-fluence sur leur santé, aujour -d’hui plus de 3 millions d’entreeux sont exposés à des risquescancérogènes. Si 10 % des salariéssont exposés à un produit chi-mique cancérogène, le tauxpasse de 18 % à plus de 30 %dans les secteurs de l’industrie2.Au-delà des risques et affectionsphysiques, les maladies psy-chiques sont loin d’épargnerl’industrie, bien que les statis-tiques de l’assurance maladiene permettent pas aujourd’huide déterminer avec précisionle nombre de maladies causéespar les risques psychosociauxdans l’industrie.Toutefois, il s’agit de reconnaîtreles efforts et les actions menées,en particulier au sein des CHSCT,qui ont produit de réels effets

Santé au travail :un rapport parlementaire à faire vivre

Chaque année 50000 personnes en moyenne se voient reconnaître une ma-ladie professionnelle. Partant de ce constat, une commission d’enquête sur lesmaladies et pathologies professionnelles a été mise en place à l’Assemblée

nationale à l’initiative des députés communistes, qui ont exercé leur droit de tirageavec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Pierre Dharréville, rapporteurde la commission, nous présente son rapport intitulé « Maladies professionnelles dansl’industrie : mieux connaître, mieux reconnaître, mieux prévenir », adopté à l’issue desix mois de travaux.

Il y a besoin de replacer la santé au cœur du travailafin de continuer à produire et contribuer à l’essor de notre pays.

n SERVICE PUBLIC

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« C’est au carrefour des enjeux sociaux,économiques et environnementauxque se situe la santé au travail. »

« Des femmes, des hommes meurent encore de travailler au XXI e siècle. »

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sur la santé au travail. Ces effortsdoivent être poursuivis, car denouveaux risques se dévelop-pent, tandis que de nombreusesmaladies continuent d’être sous-évaluées et/ou sous-déclarées.

Une sous-évaluation aux causes multiplesL’audition d’institutions repré-sentatives de la médecine dutravail a permis de mettre enlumière que « les statistiquescontinuent […] de donner desmaladies professionnelles unevision bien éloignée de la réalité»3.Par exemple, entre 5 % et 15 %des 300000 nouveaux cancersconstatés chaque année enFrance sont dus à une expositionprofessionnelle, soit entre15000 et 45000 cas. Or, en pra-tique, seulement 2000 cas decancers sont reconnus d’origineprofessionnelle. Les facteurs dela sous-évaluation sont multi-ples, ils vont des stratégies dedissimulation menées par lesentreprises dans un contextede course au profit incessanteà la méconnaissance des risqueset des droits par les salariés, enpassant par le renoncement dessalariés couplé au manque detemps et de formation des méde-cins traitants.

Un affaiblissement des dispositifs et des acteursde la santé au travailL’évolution du système de pro-duction, par le recours accru àla sous-traitance, à l’intérim et

aux travailleurs détachés, par-ticipe au dispersement des obli-gations de l’employeur à l’égardde la prévention. Les témoi-gnages apportés devant la com-mission d’enquête montrent

que trop souvent les dispositifscontraignants du Code du travailne sont pas mis en œuvre, d’au-tant plus que la puissancepublique exige rarement le res-pect des obligations et que lessanctions sont loin d’être dis-suasives. Par exemple, il arriveque des documents, tels que ledocument unique d’évaluationdes risques (DUER), ne soientpas intégralement rédigés oumême pas rédigés du tout.De plus, certaines réformesrécentes ont participé à la déres-ponsabilisation des employeursen matière de suivi et de pré-vention. Notamment l’affaiblis-sement des dispositifs de tra-

çabilité a entraîné l’abandonde la fiche d’exposition, laquelleaurait pu être enrichie – au lieud’être supprimée – et transfor-mée en un outil pertinent retra-çant les conditions d’exposition

réelles des salariés dans leurposte de travail. On peut éga-lement citer la suppression desCHSCT. Car, si le Code du travailimposait leur création au-delàdu seuil de 50 salariés, aujour -d’hui la création d’une com-mission santé, sécurité et condi-tions de travail (CSSCT) n’estimposée que dans les entreprisesde plus de 300 salariés. Si lesCSE reprennent les missionsdes CHSCT, l’inconvénient d’unetelle instance unique risqued’être qu’elle se focalise sur d’au-tres sujets au détriment de celuide la santé au travail – créantun vide donc pour les entreprisesde moins de 300 salariés – etqu’elle conditionne cet enjeuaux performances économiques.Ainsi, l’une des mesures préco-nisées est de généraliser la créa-tion d’une CSSCT dans toutesles entreprises d’au moins50 salariés et présentant unrisque élevé d’accidents du travailet de maladies professionnelles.Le constat de l’affaiblissement

des acteurs et des dispositifs neprésage rien de bon pour conti-nuer les progrès réalisés enmatière de santé au travail. D’oùla nécessité de mettre en placede meilleurs outils de préventionpour viser à l’élimination desmaladies professionnelles dansl’industrie.

POUR DE MEILLEURSOUTILS DE PRÉVENTIONLa toute première propositionformulée dans le rapport estcelle de réactiver l’obligationexistante faite à tout médecinde signaler toute maladie pou-vant avoir un caractère pro-fessionnel, et de mettre enplace un dispositif de collectede ces signalements, sans quoiil ne s’agirait que d’une pétitionde principe. La clé d’une meil-leure connaissance des mala-dies professionnelles est lacoopération renforcée desacteurs existants, à qui l’ondonne les moyens, outils etresponsabilités nécessaires.

Si les CSE reprennent les missions des CHSCT,l’inconvénient d’une telle instance unique risqued’être qu’elle se focalise sur d’autres sujets au détriment de celui de la santé au travail.

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 Progressistes

Les facteurs de la sous-évaluation sont multiples, ils vont des stratégies de dissimulation menées par les entreprises dans un contexte de course au profit incessante à la méconnaissance des risqueset des droits par les salariés, en passant par le renoncement des salariés couplé au manque de temps et de formation des médecins traitants.

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Julien Borowczyk (LREM) et Pierre Dharréville (PCF) remettant le rapport de la commissiond’enquête à François de Rugy, président de l’Assemblée nationale.

© Nicolas Robertson

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Dans cette perspective, il estégalement proposé de mettreà profit les données de la Sécuritésociale pour mettre en placedes dispositifs permettant demieux appréhender les maladiesprofessionnelles. Par exemple,prévoir la création de cadastresdes postes de travail, ou encorede registres des cancers et mala-dies professionnels afin de mieuxidentifier les lieux à risques ouà forte exposition.

Responsabilisation des donneurs d’ordre et miseen place d’un responsable de l’environnement de travailLe droit français reste marquépar un modèle de responsabilitédésormais dépassé par les nou-velles formes de travail. Il estloin le temps des manufacturesoù tous les ouvriers étaientemployés par la société pro-priétaire. Le développement denouvelles formes de travail,telles que l’intérim ou la sous-traitance, entraîne la réductiondes dispositifs de préventionqui placent l’employeur commegarant de l’environnement detravail alors qu’il a tendance àcontrôler de moins en moinscet environnement. Si le Codedu travail prévoit pour l’em-ployeur un rôle de coordinationet d’information entre tous lesacteurs présents sur le site, lerapport préconise de franchirun nouveau degré de protection.Il est proposé d’introduire lanotion de « responsable de l’en-vironnement de travail », unresponsable rattaché à un véri-table devoir de vigilance et deresponsabilité en cas d’expo-sition à des risques profession-nels ne relevant pas de la déci-sion de l’employeur. Ce devoirde vigilance incomberait alorsaux entreprises donneuses d’or-dre à l’égard de leurs salariés,mais aussi à l’égard des activitésde leurs filiales et de leurs par-tenaires commerciaux. Une loisur le devoir de vigilance existedepuis 2017, le rapport proposede l’appliquer dans un champplus large que celui des seulesgrandes entreprises.

Valorisation des métiers de la médecine du travailLe rapport insiste sur la nécessitéde revaloriser les acteurs et ins-titutions en charge de la santéau travail. Les CARSAT et les ser-vices de santé au travail doiventconserver leur place d’interlo-cuteurs privilégiés. De plus, lamédecine du travail doit acquérirune nouvelle dimension. De laformation des généralistes auxproblématiques de santé au tra-vail à la valorisation des diplômesdes infirmiers (-ères) du travail,en passant par l’objectif de dou-bler en dix ans les effectifs desmédecins du travail, le rapportsouligne la nécessité de se donnerles moyens afin que les problé-matiques de santé au travail ne

restent pas cantonnées au milieude l’entreprise, mais aussi afinque les services de santé au travailsoient renforcés pour un meilleursuivi des travailleurs, et ce enœuvrant à leur indépendanceà l’égard des employeurs.

Développement de la formation et de l’information des salariésEnfin, il est crucial de développerla culture de prévention dansl’entreprise en associant les sala-riés et leurs représentants à lapolitique de prévention. Celapasse notamment par le déve-loppement de l’information etde la formation initiale des sala-riés, et partant par la promotionet le respect des métiers, donc

des qualifications, au lieu dedériver vers des logiques decompétence et de formation àla tâche qui accroissent lesrisques et le mal-être au travail.Beaucoup de salariés sont expo-sés à leur insu à des risquesmajeurs, et l’une des mesuresphares serait dans cette pers-pective la transmission systé-matique au salarié de la fichede risques établie pour chaqueposte de travail.

Prévoir des dispositifs de financement ambitieuxLa question de la préventionest essentielle, aussi le rapportn’occulte-t-il pas les moyensqui doivent être accordés à lamise en œuvre des propositions

Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

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n SERVICE PUBLIC

En 2016, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a recensé en France 626227 accidents du travail, dont 514 mortels.

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formulées. En termes de finan-cement des politiques de pré-vention menées, le rapportpointe du doigt le manque d’am-bition. En effet, selon les pré-visions inscrites dans le projetde loi de financement de laSécurité sociale pour 2019, labranche AT-MP connaît depuisplusieurs années un excédentde plus de 1 milliard d’euros.Cet excédent s’explique engrande partie par l’absence deprise en compte de nouvellespathologies liées au travail etpar la sous-déclaration des acci-dents du travail et maladies pro-

fessionnelles, ce qui reporte la charge de la réparation surla branche maladie. Ces excé-dents doivent être mobilisés.Actuellement seulement 4 %

sont consacrés à la prévention,le rapport préconise de consacrerl’intégralité des excédents aurenforcement des actions deprévention menées. Cela nesignifie pas qu’il faille en resterà un tel degré de sous-recon-naissance, bien au contraire.

Pour un service publicnational de prévention des risques professionnelsEnfin, les actions de préventionmenées doivent être regroupéesau sein d’un organisme publicnational unique. La préventiondes risques professionnels doit

prendre la forme d’un servicepublic adossé aux caisses d’as-surance retraite et de la santéau travail (CARSAT). L’appui surdes acteurs existants au service

de l’intérêt général est essentiel.Les CARSAT disposent de pou-voirs étendus de contrôle et derecueil de données qui peuvents’avérer extrêmement utiles. Deplus, elles peuvent participer àl’incitation des entreprises autravers d’un système de tarifi-cation des cotisations AT-MPqu’elles appliqueraient selon le taux de sinistralité avéré desentreprises.

QUEL AVENIRPOUR CE RAPPORT?Le rapport est ambitieux, porteurde mesures qui pourraient avoirun impact concret et positif surla santé des travailleurs, qu’ilssoient dans l’industrie ou ailleurs,à condition qu’il soit entendu.En effet, il est en concurrenceavec deux autres rapports com-mandés par le gouvernementsur le thème de la santé au travail.L’un, sur la prévention et la tra-çabilité du risque chimique, futcommandé par la ministre duTravail, au professeur PaulFrimat ; l’autre fut commandépar le Premier ministre à la dépu-tée LREM Charlotte Lecocq.Si le rapport Frimat est restéjusqu’ici dans les tiroirs du gou-

vernement, car proposant desmesures coercitives, le rapportLecocq a, lui, fait l’objet d’unemédiatisation avancée, le gou-vernement laissant entendrequ’il servirait de base au futurprojet de loi sur la santé autravail, prévu pour 2019. Ce rap-port propose une sorte de bigbang du « système d’acteurs »,fondé sur le diagnostic selonlequel les entreprises n’ont pasde retour sur investissementsuffisant et sur l’idée que lesobligations formelles n’ont pasles effets annoncés. Ainsi, lesfonctions de contrôle et deconseil des CARSAT seraientscindées, ce qui nous sembleaugurer d’un affaiblissementdes outils de santé au travail,en plus d’une diminution desobligations.Le rapport auquel je me suisconsacré augurait pourtantd’une possible entente entreparlementaires de différentessensibilités sur un sujet de santépublique majeur et largementlaissé de côté. Il contribuera ànourrir le débat qui vient pourouvrir le champ à une nouvelleétape de la santé au travail.Les salariés et leurs organisationsont des propositions à faire. Ilfaudra repartir de l’enjeu: parlerde santé au travail, c’est parlerde santé tout court, et c’est aussiparler de travail. C’est aussiparler de compétitivité, de pro-ductivité, de management, demodes de production, de travailréel, d’investissement… Ce quise passe à l’entreprise a desconséquences sur toute la vie.Faisons respecter l’humain autravail. n

*PIERRE DHARRÉVILLE est députéPCF des Bouches-du-Rhône.

1. L’ensemble de ces auditionspubliques est disponible en formatvidéo sur le site internet del’Assemblée nationale et sous la formede comptes rendus écrits.

2. Source : enquête « Surveillancemédicale des expositions aux risquesprofessionnels », 2010.

3. Audition d’institutionsrepre�sentatives de la me�decine du travail, 15 mars 2018.

Campagne de sensibilisation sur les troubles musculosquelettiques (TMS) du ministère du Travail en 2009.

La branche AT-MP connaît depuis plusieurs années un excédent de plus de 1 milliard d’euros. Cet excédent s’explique en grande partie par l’absence de prise en compte de nouvellespathologies liées au travail et par la sous-déclarationdes accidents du travail et maladies professionnelles.

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PAR RÉMY JEAN*,

AZF/TOTAL: RESPONSABLEET COUPABLECe livre est le fruit de la volontécommune de quatorze acteursdu combat pour la vérité et lajustice dans l’affaire de l’explo-sion de l’usine AZF survenue leen septembre 2001.Représentants d’associationsde victimes, syndicalistes, avo-cats de parties civiles, chercheursou experts en santé et sécuritéau travail se sont rencontrés etrapprochés au fil de l’instructionjudiciaire et des procès successifsqui ont abouti en octobre 2017à la confirmation par la courd’appel de Paris de la condam-nation de l’entreprise et de sondirecteur pour manquementsà leurs obligations de sécurité.C’est à l’issue de ce second pro-cès en appel que les acteurs ontconçu et réalisé cet ouvragedans le dessein que soient tiréestoutes les leçons de cet accidentindustriel majeur. Le livre revientainsi sur les causes de l’explosion,met au jour la complète res-ponsabilité de l’industriel à cetégard et relate ce que fut le com-bat des victimes face à la puis-sance des moyens déployés parle groupe Total pour échapperà la sanction.Il montre notamment commentTotal a agi dès les premières

heures pour diriger les enquê-teurs et l’opinion publique versde fausses pistes, cacher desinformations essentielles, ins-trumentaliser les salariés, para-siter, ralentir et complexifier partous les moyens à sa dispositionle parcours de la justice. Il montreaussi les carences inadmissiblesdes autorités de tutelle et la fai-blesse, voire la bienveillance,de notre institution judiciaireenvers cette multinationale quise verra accorder un statut pri-vilégié lors de l’enquête et dontla direction ne sera jamais miseen cause.

LE RECOURS À LA SOUS-TRAITANCE,FACTEUR DÉTERMINANT DE L’ACCIDENTLes causes de l’accident sontaujourd’hui bien établies.L’explosion a été provoquée parune réaction chimique résultant

de la mise en contact du nitrated’ammonium (NH4NO3) stocké

dans le hangar 221 avec un pro-duit chloré (le dichloroisocya-nurate de sodium [DCCNa])transféré dans ce hangar par unsalarié d’une des entreprisessous-traitantes intervenant dans la collecte des déchets surle site.L’enchaînement des faits ayantconduit à cette mise en contacta été le suivant :– deux jours avant l’explosion,un salarié d’une entreprise sous-traitante découvre un big bagpercé contenant du produit chi-mique dans un bâtiment (335)dédié à l’entreposage de déchetsindustriels dits banals (bois,plastiques, cartons…) ;– le salarié vide le contenu dece big bag sur le sol du bâti-ment 335 et le transvase par pel-letage dans une benne à déchets;– le 21 septembre au matin, ildemande au chef d’atelier duservice expéditions l’autorisation

de transférer le contenu de cettebenne dans le hangar 22 ; l’au-

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Total a agi dès les premières heures pour diriger les enquêteurs et l’opinion publique vers de faussespistes, cacher des informations essentielles,instrumentaliser les salariés, parasiter, ralentir et complexifier par tous les moyens à sa dispositionle parcours de la justice.

n INDUSTRIE

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Vient de paraître aux éditions Syllepse un ouvrage qui retrace les résultats des multiplesenquêtes qui ont eu lieu après l’accident industriel majeur survenu le 21 septembre2001 à l’usine AZF de Toulouse. Pour les auteurs, il s’agit de tirer les enseignements decet accident. Cet article se propose de revenir sur les faits et de discuter les causesprincipales, aujourd’hui bien établies.

AZF/Total : dix-sept ans après,quels enseignements retenir ?

Rémy Jean, qui fut mandaté parle CHSCT d’AZF pour une missiond’assistance à la commission d’en-quête qu’il constitua après l’acci-dent, a coordonné avec PhilippeSaunier le livre AZF/Total, respon-sable et coupable. Histoires d’uncombat collectif.Dans cet ouvrage, quatorze acteursde ce combat – militants asso-ciatifs, syndicalistes, avocats,représentants du personnel, cher-cheurs et experts en santé et sécu-rité au travail – prennent la parole.Ils donnent à voir toutes les facettesde la stratégie du groupe Totalpour masquer ce qu’il savait,échapper aux sanctions et continuerà faire primer ses intérêts écono-miques sur les impératifs de sécu-rité. Ils mettent également enlumière le laisser-faire injustifiabledes institutions publiques enverscette multinationale.

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torisation lui est accordée sansprocéder à un contrôle de cecontenu alors qu’il s’agit d’uneopération inhabituelle ;– un quart d’heure environ avantl’explosion, le salarié déversele contenu de la benne dans lesas d’entrée du hangar 221.

L’enquête judiciaire aboutira àla certitude que cette bennecontenait du DCCNa provenantde sacs d’emballage non vidésentreposés dans le bâtiment 335alors que ce bâtiment ne devaitnormalement recevoir aucundéchet chimique. L’incompatibilité du nitrated’ammonium et des produits

chlorés était connue et l’explo-sivité spontanée du mélangeNH4NO3/DCCNa dans les condi-tions particulières du stockagedans le hangar 221 a été démon-trée par l’enquête.Il sera en effet également établique ces conditions de stockagen’étaient pas conformes à l’arrêtépréfectoral autorisant l’exploi-

tation de ce bâtiment. Alors quecet arrêté prévoyait que le soldu hangar 221 devait être étancheet cimenté, le nitrate d’ammo-nium stocké reposait sur unedalle en béton en très mauvaisétat: la partie de cette dalle situéeà l’entrée de la zone de stockageétait particulièrement dégradée,la couche de béton y avait pra-tiquement disparu sous l’effetde la corrosion et de l’actiondes engins de manutention, leferraillage du béton y était appa-rent, et les opérateurs retrou-vaient parfois de la terre et desgraviers dans les godets desengins. Et, constamment ouvertet exposé au vent d’autan, ce

hangar connaissait fréquem-ment des conditions d’humiditéimportante où le sol dégradé seremplissait de flaques d’eau etse recouvrait par endroits d’unevéritable boue de nitrate.Telles sont en résumé les prin-cipales anomalies et dérives quiont conduit à l’explosion. Ellessont fondamentalement liées

au fait que l’exploitation desbâtiments concernés avaientété confiée à des entreprisessous-traitantes. En l’occurrence,trois entreprises sous-traitantesdifférentes intervenaient dansce processus: l’une était chargéedu tri des déchets, l’autre dunettoyage, la troisième d’unepartie des expéditions.En se désengageant de l’exploi-tation du hangar 221 par cerecours à la sous-traitance, AZFs’est aussi désengagé de factode sa responsabilité concernantles conditions de stockage. Undésengagement qui l’a conduità se désintéresser de la réalitéde ces conditions de stockage,mais aussi des conditions de

travail et des activités déployéespar les sous-traitants dans l’ex-ploitation du bâtiment. L’enquêtemettra notamment en évidenceles manquements d’AZF enmatière de réalisation des plansde prévention obligatoire pourchaque utilisation d’entrepriseextérieure et en matière de for-mation qui se limitait à desaccueils sécurité de quelquesheures – qui ne permettent quedes survols – ou, au mieux, àune journée censée résumer ceque les salariés de l’établissementmettent des semaines à assimiler.Ce désengagement et cetteméconnaissance de la réalitéétaient d’autant plus importantsque les effectifs organiques dusecteur expéditions, dont dépen-dait le stockage, avaient étéréduits au minimum et ne pou-vaient assurer qu’une supervi-sion très distante.

Et, plus globalement, le recoursà la sous-traitance a nourri unedésorganisation et un défaut demaîtrise collective des processusde collecte, de tri et de gestiondans la filière déchets, d’où unesérie d’anomalies et de confu-sions inadmissibles dans la cir-culation et l’entreposage desdifférents types de déchets. Unprocessus qui échappait pourune large part au contrôle dudonneur d’ordre en raison del’opacité réciproque de l’activitédes multiples sous-traitants etdes personnels du site, des dif-ficultés de coopération et decommunication entre ces dif-férents acteurs et, là aussi, dela faiblesse des effectifs orga-

niques dédiés au fonctionne-ment de la filière.L’ouvrage développe et appro-fondit ce lien de causalité fon-damental entre recours à la sous-traitance et fragilisation de lasécurité sur les sites à risques.

LES MANŒUVRES DE TOTALPOUR ÊTRE DISCULPÉTotal n’a jamais accepté les juge-ments qui ont condamné sa filialeet s’est à nouveau pourvu en cas-sation contre le verdict de 2017de la cour d’appel de Paris. Toutindique pourtant que le groupeavait pleinement conscience dela crédibilité de la piste dumélange chimique explosif.C’est ainsi que la commissiond’enquête interne de l’entrepriseécrivait dans son rapport du5 décembre 2001: « La visite quela commission a effectuée aulocal 335 a montré qu’il s’y trou-

Le recours à la sous-traitance a nourri unedésorganisation et un défaut de maîtrise collectivedes processus de collecte, de tri et de gestion dans la filière déchets, d’où une série d’anomalies et de confusions inadmissibles dans la circulation et l’entreposage des différents types de déchets.

En se désengageant de l’exploitation du hangar 221par ce recours à la sous-traitance, AZF s’est aussidésengagé de facto de sa responsabilité concernantles conditions de stockage. Un désengagement qui l’a conduit à se désintéresser de la réalité de ces conditions, mais aussi des conditions de travailet des activités déployées par les sous-traitants.

Toulouse, 2001: l’explosion de l’usine chimique AZF aura fait 30 mortset2500 blessés; 100000 demandes d’indemnisation auront été posées.

© Thierry Bordas

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vait, parmi une majorité de sacsvides d’urée et de nitrates,quelques emballages vides, maisnon lavés, de divers produitschimiques. Certains n’auraientdû aucunement se trouver dansle local puisqu’ils étaient couvertspar une procédure “déchets spé-ciaux”. Il est difficile de connaîtreles quantités de produit quiauraient pu se trouver dans cesemballages. […]Nous sommesdonc amenés à examiner com-ment des quantités hypothétiquesde ces divers produits, mis aucontact du nitrate d’ammoniumhumide dans le box du 221,auraient pu réagir rapidement.[…] Compte tenu de la concor-dance de temps entre la livraisonde la benne et l’événement etaussi de l’incompatibilité fortede certains produits incriminésavec le nitrate d’ammonium,cette piste nous paraît devoirêtre approfondie en priorité,parmi celles dont l’étude nousparaît bien relever du champcouvert par notre commissiond’enquête.1 »

Loin d’être approfondie, cettepiste fut au contraire referméeau plus vite, et le livre rappellecomment Total a passé soussilence les résultats des expé-riences que l’entreprise avaitfait réaliser par le Laboratoirede combustion et de détoniquede Poitiers et qui ont démontré

l’explosivité spontanée dumélange NH4NO3/DCCNahumidifié. Des résultats queseule une visite du SRPJ deToulouse dans les locaux dulaboratoire a permis de sortirde la confidentialité.Cette volonté de fermer cettepiste fut manifeste à chaqueétape des multiples enquêtesmenées après l’accident. Commeen témoignera le commissaire

Saby, chargé de l’enquête depolice: « Est apparue doucementmais sûrement la Commissiond’enquête interne. Eux, je ne lesavais pas vus arriver. Ils sont ren-trés sur le site et ont fait leurenquête. Ils sont passés en certainsendroits de l’usine bien avantmoi. J’ai su les choses après…

J’ai fait confiance à certainscadres supérieurs de l’entreprise,j’ai eu tort. J’aurais dû, dans laprocédure, écrire davantage surce point. Je me suis fait avoir. »Ou encore l’inspectrice du travaildu site qui sera immédiatementdénigrée par cette commissiond’enquête interne lorsqu’elledécouvrira la présence dans lebâtiment 335 d’un sac de produitchloré au milieu de sacs de

nitrate, et donc la possibilitéd’un mélange fatal avec le nitrated’ammonium. L’ouvrage montrequelles furent ces manœuvreset comment Total a cherché partous les moyens à se faire passerpour le défenseur des salariéset de leur avenir sur le site, etdans le groupe, alors qu’il nedéfendait que son intérêt biencompris.Nous espérons qu’il permettraà ses lecteurs de comprendreque la catastrophe d’AZF ne doitrien à la fatalité et que les mêmescauses produiront les mêmeseffets si l’action citoyenne, syn-dicale et politique n’impose pasles changements nécessairesdans la gestion des sites indus-triels à risques majeurs pour lessalariés et la population envi-ronnante. n

*RÉMY JEAN est expert en santé et sécurité au travail, chargé d’étudesau cabinet CIDECOS.

1. Jugement correctionnel du 19 novembre 2009, no 1110/09,TGI de Toulouse, p. 293-294.

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Total n’a jamais accepté les jugements qui ont condamné sa filiale. Tout indique pourtant que le groupe avait pleinement conscience de la crédibilité de la piste du mélange chimique.

La catastrophe d’AZF ne doit rienà la fatalité. Les mêmes causesproduiront les mêmes effets enFrance et ailleurs dans le mondesi l’action citoyenne, syndicale

et politique n’impose pas les changements nécessaires

dans la gestion des sitesindustriels à risques majeurs.

n INDUSTRIE

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Un an d’ordonnances Macron : haro sur les droits collectifs

Les ordonnances Macron imposées en 2017 ont déjà produit leurs premiers effets. Nous revenons ici sur leurs impacts sur la négociation, la représentationdu personnel et les licenciements, l’ensemble confirmant le bouleversement

du droit social dénoncé par nombre de juristes.

PAR DORIAN MELLOT*,

DES ACCORDSSANS SYNDICATS« Ce qu’est la négociation col-lective : à la fois une restrictionaux pouvoirs unilatéraux ducapital et une acceptation de laméthode de discussion par lesreprésentants du travail, doncun moment, le moment créateur,de l’affrontement des classes [...]La négociation collective est leprocessus par lequel les pouvoirsdu patronat et du travail, ayantatteint le maximum de leurdéploiement, atteignent leuréquilibre et parviennent ainsi àla création de nouvelles règlesde Droit.1 »

Le syndicalisme français arevendiqué historiquementdes mesures législatives per-mettant de pallier l’inégalitéqui existe entre différentesentreprises ou régions, la loiétant gage d’égalité et de sta-bilité, contrairement à l’accord.Cela n’était pas incompatibleavec la négociation collectivegrâce à la règle du plus favo-rable, c’est-à-dire qu’un accord

puisse prévoir des mesuresplus favorables pour les salariés.Le capital a un intérêt objectifà briser ces garanties apportéespar la loi en privilégiant lesnormes négociées, particuliè-rement au niveau de l’entreprise.

Il se fonde sur l’inflation nor-mative et la complexificationdu droit dont il est responsablepar ses demandes incessantesde dérogations aux droits col-lectifs. La priorité donnée à l’ac-cord collectif lui permet ainsiun rapport de forces plus favo-rable et la mise en concurrencedes droits sociaux pour répondreà des objectifs de compétitivité.Les ordonnances, loin de faciliter

la négociation, facilitent laconclusion d’actes juridiquesayant la valeur d’accords col-lectifs. En 2016, plus de 40 %des textes enregistrés par lesdirections régionales des entre-prises, de la concurrence, de laconsommation, du travail et del’emploi (Direccte) sont desactes n’ayant pas fait l’objet d’unaccord. Deux voies sont ouvertesen ce sens :1.Les projets d’accord. Dans lesentreprises de moins de 20 sala-riés, l’employeur peut soumettreun projet d’accord à l’approba-tion des salariés. Dans ce cas,il n’y a aucune intervention dessyndicats, puisque le documentest élaboré par l’employeur. S’ilest validé par référendum, cequi aurait dû n’être qu’un enga-gement unilatéral a la valeurd’un accord, qui peut en consé-quence déroger à des normessupérieures sans qu’il y ait euun processus de négociation.2. Les accords « imparfaits ». Il

s’agit des accords minoritairesqui, ne faisant pas l’objet d’uneapprobation suffisante des syn-dicats, peuvent être soumis àvalidation par référendum. Lesordonnances permettent à l’em-ployeur d’organiser ce référen-dum de sa propre initiative, sansque les syndicats minoritairesaient à le demander comme leprévoyait la loi « travail ». Enoutre, la conclusion d’accordsavec des salariés n’ayant pas demandat syndical a égalementété ouverte. Ce sont 364 accordsqui ont été adoptés de la pre-mière manière et 582 selon laseconde entre janvier et sep-tembre 2018.

Le référendum présente uncaractère individuel en ce sensque chaque salarié est consultéet s’exprime seul par son vote,contrairement à l’expressioncollective portée par un syndicat,qui bénéficie, qui plus est, deprotections. Le référendumémiette le collectif et isole lesalarié face à un employeur quidispose de tous les moyens finan-ciers et techniques pour défendreson point de vue.

LE CSE: DES ÉLUSPROFESSIONNALISÉS,ÉLOIGNÉS ET DÉSARMÉSLe comité social et économique(CSE) se substitue au comitéd’entreprise, aux délégués dupersonnel et au CHSCT. Loin

Le syndicalisme français a revendiqué historiquementdes mesures législatives permettant de pallierl’inégalité qui existe entre différentes entreprises ou régions, la loi étant gage d’égalité et de stabilité.

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de procéder à la fusion annoncée,il abaisse leurs attributions, quine sont pas toutes maintenues,comme les réunions mensuellesavec les DP ou la possibilité denégocier sur la majorité desthèmes d’information et deconsultation. Les budgets sontdiminués avec des charges sup-plémentaires, en termes d’ex-pertise notamment. Un systèmede vases communicants est crééentre le budget de fonctionne-ment et celui des activitéssociales et culturelles, systèmequi pourrait permettre de rever-ser une partie de l’un au détri-ment de l’autre, souvent du bud-

get de fonctionnement qui per-met d’assurer des dépensesimportantes imprévisibles,comme des frais de justice. Le

recours à l’expertise est égale-ment remis en cause par sonfinancement qui, dans certaines

hypothèses, peut être mis à lacharge du CSE à hauteur de 20 %alors que les expertises étaientà la charge de l’employeur. Il y

a aussi un risque de mise enconcurrence budgétaire deséventuelles commissions et

expertises (sollicitées par lescommissions et demandées parle CSE). On a également uneréduction d’un tiers du nombred’élus sur les 8800 CSE créés,avec une hausse des heures dedélégation pour compensercette baisse. Résultat : des élusprofessionnalisés et extraits deleur poste.Le CHSCT est, quant à lui, tota-lement balayé : il disparaît auprofit d’une commission santé,sécurité et conditions de travail,obligatoire seulement dans lesentreprises d’au moins 300 sala-riés, contre les entreprises d’aumoins 50 salariés pour le

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Le capital a un intérêt objectif à briser ces garantiesapportées par la loi en privilégiant les normesnégociées, particulièrement au niveau de l’entreprise. Il se fonde sur l’inflation normative et la complexificationdu droit dont il est responsable par ses demandesincessantes de dérogations aux droits collectifs.

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CHSCT2. Il devient égalementune modeste commissiondépourvue de délégués spé-cialisés. Ses attributions sontnégociables et dépendantesdu CSE qui délègue tout oupartie de ses attributions à lacommission. Elle perd égale-ment son droit d’expertise ouencore d’alerte.

DIMINUER LE POIDS DES SYNDICATSLe CSE peut fusionner, paraccord, avec les délégués syn-dicaux pour créer le conseild’entreprise. Ce conseil, vieillerevendication patronale, seradonc un CSE dans lequel lessyndicats continueront de nom-mer leurs représentants, maisceux-ci n’ont plus d’existence

en dehors de cette instance, etn’ont donc plus la maîtrise deleurs attributions premières :revendiquer et négocier.C’est ce conseil qui a la chargede la négociation. Il désignedonc un groupe de négociateurs,voire élit une commission –comme c’est le cas dans le pre-mier accord à ce sujet – qui aurala charge de mener les négocia-tions. Dans cette situation, unsyndicat pourrait être écarté dece groupe faute de voir son délé-gué désigné dans celui-ci. Celamodifie également les règles devalidité de l’accord, qui ne devraplus être signé par les déléguésdes organisations syndicalesmajoritaires mais devra êtreapprouvé par la majorité desmembres du conseil d’entreprise,diminuant donc le poids dessyndicats dans l’approbationdes accords. Or la consciencepolitique et la formation syn-

dicale sont nécessaires pourêtre en capacité de négocier etd’évaluer un accord.

FLEXISÉCURITÉ: SALARIÉS FLEXIBLES,PATRONS SÉCURISÉSLes ordonnances Macron libè-rent les employeurs des angoissesdes prud’hommes. Elles per-mettent de diminuer et de rendreprévisible le coût d’un licencie-ment illégal, ce qui relèveraitmême de l’intérêt général selonla décision du 21 mars 2018 duConseil constitutionnel. Entre2016 et 2017, les saisines duConseil des prud’hommes ontdiminué de 15 % du fait de l’ap-plication de la loi El Khomri etdes premiers effets, dissuasifs,des ordonnances.

Cela passe par la barémisationqui encadre l’attribution d’uneindemnité en cas de licencie-ment sans cause réelle etsérieuse. Est fixé notammentun plafond d’indemnisation encontradiction avec le principede réparation intégrale du pré-judice subi. Auparavant, on éva-luait l’entièreté du préjudicepour déterminer le montant del’indemnité à verser au salariélicencié illégalement ; cetteindemnité ne pouvait être infé-rieure à six mois de salaire, carà la création de ce plancher ladurée moyenne du chômageétait de six mois. Désormais, ilfaudra justifier de cinq ans d’an-cienneté pour atteindre l’in-demnité équivalente à six moisde salaire, et encore, ce ne seraque le plafond…L’employeur voit son obligationde motiver le licenciementassouplie. En effet, « si le licen-

ciement d’un salarié intervientsans que la procédure requise[…] ait été observée […] le jugeaccorde au salarié, à la chargede l’employeur, une indemnitéqui ne peut être supérieure à unmois de salaire »3. La motivationdu licenciement, c’est ce quipermet au salarié de contesterce qu’on lui reproche et au jugede déterminer les limites dulitige. Ce faisant, on prive lesalarié de sa capacité de sedéfendre et le juge de sa capacitéde juger. Et il en va ainsi de toutvice dans la procédure de licen-ciement, procédure qui estpourtant la garantie du respectdes droits des salariés. Les sala-riés n’ont d’ailleurs plus que12 mois, contre 24 auparavant,pour contester leur licencie-ment, avec une maigre indem-nisation à la clé.

CONTRAINT À ACCEPTER LE DÉCLASSEMENTLes licenciements sont égale-ment facilités par la créationdes ruptures conventionnellescollectives. C’est comme unerupture conventionnelle indi-viduelle, mais au lieu de négo-cier individuellement les condi-tions de la rupture on négocieun accord collectif auquel lessalariés pourront adhérer. Lecontrat de travail sera alorsrompu. Cela crée une situationinédite : ce qui auparavant rele-vait de mécanismes liés au plan

de « sauvegarde » de l’emploi,c’est-à-dire une situation danslaquelle l’entreprise rencontredes difficultés économiques,est aujourd’hui utilisable endehors de toute difficulté.On renforce également le pouvoirde l’employeur sur le salarié parle biais des accords de perfor-mance collective. Ces accordspermettent de déroger aux règlesrelatives à la durée du travail etaux salaires afin de « répondreaux nécessités liées au fonction-nement de l’entreprise ou en vuede préserver, ou de développerl’emploi »4. Jusqu’ici le contratde travail résistait à l’accord col-lectif plus défavorable, désormaisce n’est plus le cas. Désormais,le salarié peut être licencié, pourun motif préjustifié, s’il refusel’application d’un accord plusdéfavorable que son contrat de travail. n

*DORIAN MELLOT est juriste en droit social.

1. GérardLyon-Caen, « Critique de la négociation collective », in Droitsocial, 1979, p. 350.2. À l’exception des entreprisesclassées Seveso et installationsnucléaires, dans lesquelles la commission doit exister même en dessous du seuil des 300 salariés.3. Article L. 1235-2 du Code du travail, issu de l’article 5 de la troisième ordonnance.4. Article L. 2254-2 du Code du travail issu de l’article 3 de la première ordonnance.

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On a également une réduction d’un tiers du nombred’élus sur les 8800 CSE créés, avec une hausse des heures de délégation pour compenser cette baisse.Résultat : des élus professionnalisés et extraits de leur poste.

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Présenté comme « un des principaux instruments de la politique de maîtrisede la demande énergétique », le dispositif des certificats d’économies d’éner-gie, alléchant en principe, facilite en fait des manœuvres spéculatives au

détriment des consommateurs : ménages, collectivités territoriales…

PAR JÉRÉMIE GIONO*,

RÉALISER DES ÉCONOMIESD’ÉNERGIELe dispositif des CEE (certificatsd’économies d’énergies) a étémis en place en France en 2006,et il existe dans plusieurs payseuropéens. L’objectif affiché estd’inciter les fournisseurs d’éner-gie à générer des opérationsd’économies d’énergie auprèsde leurs clients, selon le principelouable de la responsabilitésociale et environnementaledes entreprises. Mais derrièreces intentions « vertes » se cache

une véritable usine à gaz tech-nocratique qui fonctionne detelle sorte que, au final, le soutienaux actions d’économies estpayé par le consommateur, etqui permet à une multitude d’in-termédiaires financiers de seservir au passage.En apparence, le principe estsimple : tout vendeur d’énergie(fioul, gaz, électricité…), qu’onappelle alors « obligé », estcontraint par la loi de récolter

un certain quota de certificatssur une période donnée, sansquoi il devra payer des pénalitésfinancières proportionnelles àla quantité non collectée. Etpour obtenir ces certificats, ildoit justifier d’actions d’écono-mies d’énergies : rénovations,programmes de sensibilisations,etc. L’unité du CEE est le kilo-wattheure cumulé et actualisé(kWh cumac), qui correspondà une quantité d’énergie éco-nomisée (établie selon des for-mules théoriques), le gouver-nement éditant un ensemblede fiches qui définissent ces cal-

culs pour chaque type d’opé-ration1.Par exemple, pour l’isolationd’un mur, vous multipliez uncoefficient lié au type de bâti-ment et un coefficient lié à lazone climatique par la surfaced’isolant posé. Pour un chan-gement de chaudière, vous pre-nez en compte la surface chauf-fée, le type de bâtiment et lazone climatique. Et ainsi desuite.

SPÉCULATIONS ET FRAUDESJusque-là, tout va bien, encoreque… En effet, on s’aperçoitque les choses sont bien confusespour un particulier ou une petite

entité sans connaissance dudomaine. Là où les choses secompliquent, c’est que les obligéspeuvent soit obtenir par eux-mêmes des certificats, soit les

Les certificats d’économies d’énergie :un exemple de l’escroqueriedu capitalisme « vert »

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En apparence, le principe est simple : tout vendeurd’énergie est contraint par la loi de justifier d’actionsd’économies d’énergies (rénovations, programmes de sensibilisations).

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acheter à d’autres entités lescollectant, sur l’équivalent d’unmarché boursier. S’organise

alors toute une communautéde sociétés financières dont leseul but est la collecte et larevente de ces certificats, le touten vue de réaliser de juteusesplus-values spéculatives… Etla plupart du temps il ne s’agitpas de générer effectivementde nouvelles opérations d’éco-nomies d’énergie mais de « valo-riser » des opérations déjà pré-vues, en passant par les artisans,les chambres des métiers ou lescollectivités locales.Cerise sur le gâteau, les servicesdu ministère chargés de la déli-vrance de ces certificats n’étantpas épargnés par les politiquesd’austérité, il a été décidé à partirde 2015 de passer d’un systèmed’attribution avec contrôle sys-tématique des dossiers déposésà un système « déclaratif » aveccontrôle aléatoire a posteriori.En clair, vous déposez un dossierqu’on ne vous demande pas dejustifier, mais vous pourrez fairel’objet d’un contrôle plus tardpour vérifier que vous avez bienles justificatifs. Ce changementde système a représenté unebelle aubaine pour les petitsmalins, puisque les cas de fraudesse multiplient : Tracfin (l’orga-nisme du ministère des Financesen charge de la lutte contre leblanchiment d’argent) estimeà plusieurs millions d’euros lafraude aux CEE2 et de grosacteurs du secteur ont été misen examen durant l’été 20183.Enfin, on pourrait penser quele coût du dispositif soit portépar les entreprises vendeusesd’énergie, comme le laisse penserla logique apparente. Or il n’enest rien: la Commission de régu-

lation de l’énergie (CRE), le « gen-darme » du marché de l’énergie,préconise clairement d’aug-

menter les tarifs pour permettreaux fournisseurs d’absorber lessurcoûts liés au dispositif desCEE4.

QUELQUES GAGNANTSET DE NOMBREUX PERDANTSPlusieurs effets collatéraux peu-vent être également observésen parallèle des logiques de fonddécrites plus haut. D’un côté, c’est une aubainepour la grande distribution –vendeuse d’énergie via ses sta-tions essence notamment – quipeut récupérer des certificatsde ses clients en échange debons d’achat, souvent clairementsous-valorisés, et ainsi remplirune part non négligeable de sesobligations à peu de frais, surle dos des consommateurs, touten faisant passer ça pour un« geste commercial ».

De l’autre, des entreprises ontpu se spécialiser dans cedomaine, construisant unmodèle économique « oppor-tuniste » ciblé sur tel ou tel typede travaux, se finançant sur larécupération des CEE corres-pondants. Si dans certains casces artisans sont tout à fait hon-nêtes et compétents, une partnon négligeable tire les coûtsvers le bas au détriment de laqualité et de la main-d’œuvre(en faisant appel au travail déta-ché par exemple). L’exemple

des « isolations de combles à1 € » a donné lieu à de nom-breuses plaintes pour des travauxfaits à la va-vite, sans parler decas d’escroqueries où les par-ticuliers ont avancé l’argent sansêtre remboursés5.Enfin, les collectivités sont ellesaussi ciblées, en tant que maîtresd’ouvrage directs de travauxconséquents ou en tant qu’ac-compagnateur de particuliers,

via les « plates-formes localesde rénovation énergétique » :sur fond de baisse des dotations,les spéculateurs profitent deleur méconnaissance du dispo-sitif pour récupérer cette manneen la sous-valorisant, et lesregroupements de collectivitésqui essayent d’incarner unealternative 100 % publique –permettant une valorisation auprix réel du marché – doiventparfois même batailler avec desassociations institutionnelles

« écologiques » qui se font lerelais des prestataires privésafin de toucher leur part dugâteau…

ILLUSIONSDU CAPITALISME « VERT »Résumons. Nous avons doncun dispositif censé favoriser leséconomies d’énergies qui repose,dans les faits, surtout sur la valo-risation de travaux dont le coûtcomplet est payé par les consom-mateurs, qui crée de formidablesopportunités de fraudes et d’es-

croqueries et où une myriaded’acteurs financiers prennentune marge non négligeable aupassage. C’est un exemple moinsconnu que celui des « droits àpolluer », mais il est tout aussiéclairant de l’absurdité cynique,de l’inefficacité et du parasitismedu capitalisme « vert ».Une piste de revendication alter-native consisterait à remplacertout ce système par une taxation

draconienne sur les profits desspéculateurs de l’énergie, et àfinancer un fonds de subventionsaux travaux des particuliers, col-lectivités et entreprises. Cela n’arien de révolutionnaire, maisce serait au moins bien plus effi-cace et transparent. Une autresolution serait de reconstituerun pôle public de l’énergie, souscontrôle démocratique, etconstruire un plan pluriannuelambitieux en termes de réno-vations. Davantage révolution-naire, mais à coup sûr indis-pensable pour conduire unevraie transition énergétique. n

*JÉRÉMIE GIONO est conseiller en énergie et secrétaire de la fédération PCF de l’Isère.

1. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/operations-standardisees-deconomies-denergie2. https://www.economie.gouv.fr/tracfin-presentation-rapport-analyse-2016-terrorisme-blanchiment3. http://www.leparisien.fr/economie/fraide-aux-certificats-d-economies-d-energie-nous-avons-depose-deux-plaintes-27-11-2017-7417233.php4. https://www.capital.fr/entreprises-marches/tarifs-reglementes-delectricite-le-regulateur-juge-necessaire-une-hausse-de-0-8-12656545. https://www.ladepeche.fr/article/2018/03/16/2761007-isolation-combles-1-e-plus-500-clients-occitanie-ont-ete.html

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Tracfin estime à plusieurs millions d’euros la fraudeaux certificats d’économies d’énergies.

Sur fond de baisse des dotations, les spéculateursprofitent de leur méconnaissance du dispositif pourrécupérer cette manne en la sous-valorisant.

Les obligés peuvent soit obtenir par eux-mêmes des certificats, soit les acheter à d’autres entités les collectant, sur l’équivalent d’un marché boursier.

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En 2018, l’association Négawatt a proposé un scénario de transition énergé-tique où les énergies renouvelables couvriraient la quasi-totalité des besoins en énergie consommée d’ici à 2050. Si ce scénario est a priori séduisant,

est-il pour autant crédible?

PAR BERTRAND CASSORET*,

DES INVESTISSEMENTSCONSIDÉRABLESParmi les scénarios de transitionénergétique, Négawatt 2017-2050 est sans doute le plusconnu, élaboré par l’associationdu même nom. Il concerne latotalité de l’énergie consomméeen France, et pas seulementl’électricité. Alors que les énergiesrenouvelables ne couvraient en2017 que 10,5 % de nos besoins,elles en couvriraient la quasi-

totalité en 2050. La mise enœuvre de ce scénario permettraitdonc de se passer à la fois desénergies fossiles et nucléaire.L’examen de ses hypothèsespermet de mieux appréhenderle niveau de difficulté de leurvérification.Ce scénario supposerait desefforts considérables dans lesénergies renouvelables, en par-ticulier l’éolien et le photo -voltaïque qui connaîtraient unecroissance spectaculaire. L’éoliendevrait fournir 247 TWh en 2050,contre 24 TWh en 2017, dix foisplus donc ! Cela supposeraitenviron 20000 éoliennes ter-restres et 4000 éoliennes mari-

times, contre environ 7000 ter-restres et aucune en mer actuel-lement. La puissance totale duparc installée devrait atteindre77 GW, contre 13 GW en 2017.La durée de vie de ces machinesétant inférieure à vingt-cinqans, il faudrait dans le futurtripler le rythme actuel d’ins-tallation (1,2 GW par an enmoyenne ces cinq dernièresannées) rien que pour maintenirles 77 GW de puissance installée.Le photovoltaïque devrait fournir147 TWh par an, contre 9 TWh

en 2017 ; la puissance du parcphotovoltaïque devrait pourcela passer de 8 à 140 GW !Sachant que l’on a installé 0,8 GWpar an en moyenne ces cinqdernières années et que la duréede vie des panneaux ne dépassepas trente ans, il faudrait dansle futur un rythme d’installation7 fois supérieur au rythme actuelrien que pour maintenir la puis-sance installée de 140 GW!Je ne suis pas sûr que les usinesde fabrication d’éoliennes et depanneaux soient capables decette production si tous les payssuivaient cette voie, ni qu’onarrive à disposer de suffisammentd’emplacements et de personnel

qualifié. Je ne suis pas sûr nonplus qu’un tel développementdu photovoltaïque soit très éco-logique compte tenu des impactsenvironnementaux non négli-geables liés à la fabrication despanneaux, de son médiocre tauxde retour énergétique (sa fabri-cation est fortement consom-matrice d’énergie), et surtoutde son incapacité à produire lesoir, lorsque la consommationest la plus élevée.Les problèmes d’intermittence(pas de production les soirs sansvent) seraient essentiellementréglés par la production et lestockage d’hydrogène et deméthane. Il faudrait donc desinvestissements considérablesdans des usines de transformationde l’électricité exédentaire engaz, une technologie actuellementau stade expérimental (commentet où construire les usines, com-

ment stocker le gaz?) et dont lesrendements sont faibles.

L’OPTION DE LADÉCROISSANCE DE L’ÉNERGIEMais l’essentiel n’est pas là.Malgré ces efforts très impor-tants, il faudrait, selon Négawatt,réduire la demande en énergieprimaire de 65 % alors que lapopulation augmenterait de15 %. Cette énorme réductiondevrait venir de l’efficacité etde la sobriété énergétique.L’efficacité consiste à améliorerles techniques pour rendre lesmêmes services en consommantmoins ; elle fait la quasi-unani-mité mais n’est pas pour autantfacile à mettre en œuvre et necontribuerait à la baisse qu’àhauteur de 40 %. L’essentielviendrait de la sobriété énergé-tique qui consiste, toujours selonl’association, à privilégier lesusages les plus utiles, à « res-treindre les plus extravagants etsupprimer les plus nuisibles » ;de beaux débats en perspectivepour juger ce qui est utile ounuisible… Il faudrait accéder àmoins de biens et de services,c’est-à-dire vivre de manièremoins « riche ».

Le scénario Négawatt :des hypothèses problématiques

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Malgré ces efforts très importants, il faudrait, selonNégawatt, réduire la demande en énergie primaire de65 % alors que la population augmenterait de 15 %.

Le scénario de l’associationNégawattest consultable en ligne(https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050-hypotheses-et-resultats).

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La consommation résidentielleet tertiaire diminuerait de 49 %grâce à une stabilisation dunombre d’habitants par foyer(moins de célibataires ?), undéveloppement de l’habitat enpetit collectif (faudra-t-il interdire

de construire des maisons indi-viduelles ?), un ralentissementde la croissance des construc-tions (le nombre de logementsconstruits chaque année seraitdivisé par 3, leur surface bais-serait de 25 %), l’optimisationdes systèmes de chauffage etd’isolation des logements.

LE LOGEMENTDANS LE VISEURIl faudrait, selon Négawatt, rénoverchaque an jusqu’à 780000 loge-ments pour les amener à uneconsommation moyenne de40 kWh/m² par an pour lesbesoins du chauffage. Est-ce pos-sible? La réglementation ther-mique 2012 en vigueur exigequ’un logement neuf (bâtimentbasse consommation) consommemoins de 50 kWh/m² par an,donc plus que 40, mais on saitque la consommation réelle estsouvent supérieure; les logementscollectifs neufs ont d’ailleurs droità des dérogations. La consom-mation moyenne des logementsfrançais est actuellement prochede 200 kWh/m², très loin doncde 40!En 2012, l’État français avait fixél’objectif de rénover 500000 loge-ments chaque année, un objec -tif qualifié dans le journalle Mondedu 4 juin 2014 de « défi-nitivement hors d’atteinte ». Laloi relative à la transition éner-gétique pour la croissance verteadoptée en 2015 prévoyait éga-lement, sans préciser d’objectifde consommation, 500000 réno-vations par an, objectif nonatteint puisqu’on en rénovemoins de 300000 chaque année.Le plan Hulot annoncé au prin-

temps 2018 en prévoit lui aussi500000, un objectif bien inférieuraux 780 000 de Négawatt. Etrénover un logement ne signifiepas que sa consommationatteigne un niveau suffisammentbas : on peut gagner beaucoup

sur des logements mal isolés,passer par exemple de 300 à150 kWh/m² par an, mais il esttrès difficile dans l’ancien dedescendre en dessous de 50.

L’OPTIMISME SUFFIT-IL?Ces considérations m’amènentà penser que l’objectif deNégawatt est extrêmement opti-miste. Un point crucial, puisquele chauffage est la premièrecause de dépense d’énergie desbâtiments, et que ceux-ci repré-sentent le premier secteur dedépense énergétique français,devant les transports et l’indus-trie. Je pense que la consom-mation d’énergie pour le chauf-fage atteindra une moyenne de40 kWh/m² par an quand l’éner-gie manquera et que les habitantsauront froid.Dans les transports, le nombrede kilomètres parcourus parpersonne chaque année dimi-nuerait de 26 %, ce qui irait àl’encontre de l’évolution quenous connaissons depuis tou-jours. Ainsi, il y aurait moitiémoins de déplacements de plusde 1500 km, il n’y aurait plus devols intérieurs, les vols interna-tionaux diminueraient d’untiers. L’usage de la voiture in -dividuelle telle que nous laconnais sons actuellement dimi-nuerait de moitié dans les cam-pagnes et serait exclu dans lesgrandes villes. Le taux de rem-plissage des voitures individuellesdans les campagnes devrait aug-menter de 50 %, avec unemoyenne de 2,4 personnes parvéhicule, contre 1,59 actuelle-ment. Le transport des mar-chandises diminuerait de 17 %.

Se déplacer moins, ce n’est passeulement moins partir envacances, c’est aussi moins voirsa famille et ses amis, avoir moinsd’échanges avec les étrangers,avoir plus de difficultés à tra-vailler, à se fournir en nourritureet matériaux de construction…La consommation énergétiquede l’industrie diminuerait grâceà un gain en efficacité et à unebaisse des besoins en matériaux:– 26 % d’acier, – 35 % de plastique,– 39 % de ciment, – 41 % de verre.Cette baisse signifie une dimi-nution de la consommation deproduits manufacturés s’ins-crivant dans une économiedécroissante que bien peu depolitiques souhaitent, avec pro-bablement de nouvelles ferme-tures d’usines en perspective…

DES CONSÉQUENCESPEU RÉJOUISSANTES Entre autres réjouissances, onpeut noter également : baissede 29 % de la quantité d’eauchaude consommée par per-sonne; baisse de 22 % du nombrede cycles de lave-linge ; baissede 18 % du nombre de cyclesde lave-vaisselle ; baisse de 18 %du taux d’équipement en sèche-linge ; baisse de moitié du tauxd’équipement en congélateur ;baisse de 33 % de l’usage du ferà repasser ; passage de 8 à5 heures d’éclairage par jourdans le tertiaire; disparition desconsoles de jeux ; baisse d’untiers du nombre d’écrans parfoyer ; division par 3 du nombre

d’ordinateurs par foyer; divisionpar 2 du nombre de lecteursmusicaux, etc.D’une manière générale, jeconstate que les changementsproposés auraient des consé-quences considérables et peuréjouissantes sur nos modes devie, et je vois mal comment une

vaste prise de conscience col-lective des enjeux environne-mentaux pourrait les imposerdans la joie et la bonne humeur.On peut se demander si ceschangements sont compatiblesavec la démocratie : ils impli-quent des mutations de modede vie si importantes qu’il estpossible qu’il faille les imposerpar la force. Il est probable qu’uneforte sélection se fera par l’argent:ceux ayant les moyens conti-nuant à vivre dans le confort,les pauvres devant se débrouilleret avoir une vie plus dure.Certes, la baisse inéluctable dela disponibilité des énergies fos-siles forcera tôt ou tard leshumains à consommer moins,et l’intérêt de ce scénario est deles y préparer. Toutefois, je luireproche de présenter demanière édulcorée les énormesdifficultés humaines de la baissedrastique de la consommationd’énergie, et de vouloir à toutprix sortir du nucléaire. Il estprobable que l’objectif de cer-tains membres de cette asso-ciation soit avant tout de montrerqu’il est possible de se passerdu nucléaire sans grandes consé-quences. Comme on ne peutdécemment compter sur lesénergies fossiles polluantes niaffirmer que les renouvelablesseront suffisantes, il ne leur restealors comme solution que d’af-firmer que la baisse de laconsommation énergétiquen’est pas un problème. Je crainsque cette baisse soit si difficile

que les humains continuerontà consommer goulûment lesénergies fossiles, tant leur pro-duction est aisée et leur apportimportant. n

*BERTRAND CASSORET est maîtrede conférences à l’université d’Artois,auteur du livre Transition énergétique:ces vérités qui dérangent !

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Les changements proposés auraient des conséquences considérables et peu réjouissantes sur nos modes de vie.

On peut se demander si ces changements sont compatibles avec la démocratie : ils impliquentdes mutations de mode de vie si importantes qu’il est possible qu’il faille les imposer par la force.

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n ÉCONOMIE

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PAR SAMUEL SIGG*,

UNE CONSOMMATIONÉNERGÉTIQUEEXPONENTIELLE…À l’heure où les monnaies vir-tuelles sont décriées ou encen-sées, les critiques visent souventnombre d’aspects bien spéci-fiques: anonymat, spéculation,financement du terrorisme…,et elles se concentrent quasiexclusivement sur leur préten-tion à justement « faire mon-naie », oubliant souvent leurcôté « virtuel ». Le caractèrenumérique du bitcoin, de l’ether,du ripple et autres cryptomon-naies est en effet souvent omisdans les analyses, qui privilégientune approche traditionnelle dela monnaie, sans que sa naturemême soit interrogée. Or lescontradictions de ces monnaiesnumériques sont à cherchernon seulement dans leur for-mation, mais aussi dans leursusages.Les cryptomonnaies sont untype de monnaie numérique,utilisant un contrôle décentraliséet ne dépendant pas d’une auto-rité centrale. Sans entrer dansdes considérations techniques,il est important de noter qu’ellessont produites par des « mi -neurs », soit un ordinateur ouun groupe d’ordinateurs quivérifient et valident les trans-

actions avec la monnaie virtuelle.En échange de quoi, ils reçoiventdes cryptomonnaies en récom-pense. Théoriquement, chaqueindividu peut prendre part àleur production, même si la réa-lité est assez différente. En tantque monnaie numérique, elleest donc produite à l’aide d’or-dinateurs, qui font des calculsde plus en plus complexes àmesure qu’elle se développe, etqui consomment de l’énergieen proportion de la complexitéde leurs calculs.En l’état actuel de la technologie,les cryptomonnaies soulèventde plus en plus de préoccu -pations sur les questions éco -logiques, notamment en raisonde leur consommation d’énergie.

En novembre 2017, selon leBitcoin Energy ConsumptionIndex, le protocole Bitcoin avaitbesoin de 29,05 TWh d’électricité,soit plus que la consommationde 159 pays dans le monde, pourrépondre à ses besoins en éner-gie. À titre de comparaison, lamême année la consommation

de la République d’Irlande étaitégale à 27 TWh d’électricité(Agence internationale de l’éner-gie, 2017). Un peu plus de sixmois plus tard, en août 2018, la

consommation d’électricitéannuelle de Bitcoin était d’en-viron 73,12 TWh (Digiconomist,3 août 2018), plus que ce qu’unpays comme l’Autricheconsomme en un an. Si Bitcoinétait un pays, il serait ainsi le40e consommateur mondiald’électricité, et la croissance de

sa demande énergétique ne s’in-terrompt pas. En outre, la pro-duction de bitcoins et de bitcoinscash (une sous-catégorie de bit-coins) représentait un peu moinsde 50 % de la capitalisation bour-sière totale des cryptomonnaiesen août 2018 (48,66 % au 2 août).La consommation d’énergiesemble plus que proportionnelle(la consommation d’Ethereumest de 20,72 TWh et sa monnaie,l’ether, représente 15,59 % dela capitalisation: par un simpleproduit croisé, on constate quela consommation de Bitcoindevrait être de l’ordre de64,6 TWh), et l’on peut doncsupposer que la consommationagrégée des différentes crypto-monnaies est de plus de 130 TWhpar an, soit l’équivalent de laconsommation de la Suède.

En novembre 2017, le protocole Bitcoin avait besoin de 29,05 TWh d’électricité, soit plus que la consommation de 159 pays dans le monde, pour répondre à ses besoins en énergie.

Des monnaies comme le bitcoin nécessitent des instruments puissants et énergivores.Aussi, plus qu’une question de législation, leur fonctionnement pose une véritable pro-blématique environnementale : la consommation énergétique des cryptomonnaiessera-t-elle pérenne? La question énergétique est-elle le cœur même d’une contra-diction majeure à laquelle ces monnaies vont devoir faire face?

Enjeux environnementauxdes cryptomonnaies

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Enjeux environnementauxdes cryptomonnaies

À défaut d’avancées technolo-giques au niveau du matériel,des algorithmes ou de logiciel,cette consommation va conti-nuer à augmenter: plus un nom-bre important de bitcoins estextrait, et plus les calculs sontcomplexes et énergivores. Enconséquence, le risque que cetusage particulier de l’électricitéait un impact sur les réseauxélectriques se développe, et lebien-être social pourrait ainsiêtre en jeu.

… ET SES CONSÉQUENCESPOTENTIELLEMENTDRAMATIQUESLa quantité d’énergie étant limi-tée dans un pays à un momentdonné, le « minage » pourraitainsi affecter la consommationdes ménages, voire l’approvi-sionnement industriel et médi-cal. Si ce scénario ne sembleêtre encore qu’une prévision,quel ques exemples existent déjà:au Venezuela, de plus en plusde gens sont attirés par le minagede monnaies virtuelles pourgagner rapidement de l’argentavec un faible investissement,l’électricité étant subventionnéepar le gouvernement. De nom-breuses pannes d’électricité yont déjà été signalées, et desprocès ont été engagés par l’Étatcontre la consommation abu-sive d’énergie. Si l’« exploitationminière » menace la fournitured’électricité aux particuliers,de plus graves conséquencespeuvent être envisagées : si une« ferme » produisant des bitcoins

se trouve à proximité d’un hôpi-tal ou de tout autre infrastruc-ture pour laquelle une ruptured'approvisionnement en élec-tricité pourrait représenter undanger pour les citoyens, laquestion devient vitale.D’un point de vue géopolitique,une augmentation de la consom-mation d’électricité conduiraitde fait certains pays à être davan-tage dépendants d’autres. En

effet, tous les pays de l’Unioneuropéenne étaient des impor-tateurs nets d’énergie en 2015 ;une dépendance énergétiqueaccrue placerait la souverainetéde ces États en porte-à-faux, les laissant à la merci des paysayant le contrôle des ressourcesénergétiques.En plus de cet argument deguerre économique, le fonc-tionnement des monnaiesnumériques est susceptibled’avoir un impact sur les tem-pératures locales. Si des étudesn’ont pas encore été menéessur un éventuel réchauffementdes zones autour des « exploi-tations minières », la chaleurrejetée dans l’atmosphère pardes fermes rassemblant parfois

plus de six cents ordinateurs estimportante. Des pays commel’Islande ou le Kazakhstan sontconsidérés comme les nouveauxEldorados pour les mineurs :l’électricité y est relativementbon marché, et les températuresbasses permettent de refroidirnaturellement les ordinateurs.À cet égard, on comprend qued’autres pays sont désavantagés.En effet, dans les pays où le

climat est plus chaud, les entre-prises sont obligées de maintenirles machines à basse tempéra-ture, ce qui induit une consom-mation d’électricité d’autantplus importante. Véritable cerclevicieux, plus la consommationd’énergie augmente pour pro-duire des monnaies virtuelles,plus les besoins en énergie pourrefroidir les machines vont aug-menter, conduisant à uneconsommation énergétique dis-proportionnée pour la produc-tion d’une monnaie qui n’a pasde valeur garantie par un Étatou un matériau comme l’or.Enfin, la production de crypto-monnaies nécessite des ordi-nateurs puissants, tournant àplein régime à longueur de jour-

née, et ayant donc une duréede vie limitée. Si la productionde ces ordinateurs et des maté-riaux qui les composent (métaux,terres rares, etc.) n’est souventpas prise en compte dans lebilan écologique des monnaiesnumériques, elle constitue néan-moins un enjeu majeur, notam-ment en termes de protectionde l’environnement.Si ces considérations énergé-tiques ne sont pas propres auxmonnaies virtuelles et concer-nent d’autres activités humaines,il n’en demeure pas moins queles monnaies virtuelles se révè-lent ainsi extrêmement énergi-vores. Cette consommation sem-ble ne pouvoir qu’augmenterdans les mois à venir, du fait dela complexification croissantedes calculs pour vérifier les trans-actions. Or, contrairement auxmonnaies garanties par lesbanques centrales des États, ouindexées sur le dollar ou desréserves de matériaux précieux,les cryptomonnaies n’ont pourprix que l’énergie qui a étéconsommée pour les « pro-duire ». Cette énergie ne peutbien évidemment pas être res-tituée, et le cours de ces mon-naies numériques ne reposeque sur la confiance des inves-tisseurs et des utilisateurs, quiattribuent une valeur à une mon-naie sans garantie aucune. Enoutre, chaque transaction réa-lisée par Visa, par exemple, estmoins énergivore que les trans-actions en bitcoins ou ethers1 :l’intérêt de monnaies privéesparallèles est donc une questionqui soulève de nombreux doutes,car consommant une très grandequantité d’énergie sans remettreen cause la nature privée desentreprises certifiant les échan -ges d’argent des citoyens.

QUE FAIRE?Le minage de cryptomonnaiesapparaît donc comme un gas-pillage pur d’énergie, dans unmonde où celle-ci est un enjeude plus en plus crucial. Face auxenjeux climatiques qui entourentla production et la consomma-tion d’énergie (rejets de CO2

La production de ces ordinateurs et des matériaux qui les composent (métaux, terres rares, etc.) n’estsouvent pas prise en compte dans le bilan écologiquedes monnaies numériques, elle constitue néanmoinsun enjeu majeur, notamment en termes de protectionde l’environnement.

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Progressistes OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018

par les centrales thermiques,extraction de minéraux et d’hy-drocarbures peut soucieuse del’environnement, gaspillageénergétique…) surgit la ques-tion de l’utilité sociale des mon-naies numériques. Monnaiesindépendantes des États, dontseules quelques grandes entre-prises contrôlent la quasi-tota-lité de la production, et quipermettent d’échapper auxcontrôles fiscaux, elles s’ins-crivent dans la visée liberta-rienne – et capitaliste – de leurspromoteurs, qui ne va aucu-nement dans le sens du plusgrand nombre. Pis, ces mon-naies permettent une spécu-lation effrénée, ce qui encouragedans des pays en voie de déve-

loppement à y chercher unesource de profit rapide2. Cespays ayant souvent des pro-blèmes d’approvisionnementen électricité, le minage descryptomonnaies conduit à uneaggravation de leurs difficultés,au détriment bien sûr des pluspauvres. Deux options d’évo-

lution apparaissent donc àcreuser.La première, qu’expérimenteprogressivement la Chine, estl’interdiction pure et simple descryptomonnaies. Alors que plusde 50 % des bitcoins sont minéspar quatre grandes entrepriseschinoises, la Chine, soucieusede sa souveraineté tant moné-taire qu’écologique et énergé-tique, est en passe de bannir lescryptomonnaies. En effet, l’ob-jectif de réduction de 15 % dela consommation d’énergie parunité de PIB d’ici à 2020, fixépar le XIIIe plan quinquennal,apparaît aujourd’hui contra-dictoire avec un développementdes monnaies virtuelles. Faceaux défis de la décarbonation

de son énergie, cette solution,radicale sans aucun doute, paraîtnéanmoins la mieux adaptéepour mettre un terme au plusvite à ce gaspillage d’une énergieprécieuse pour le développe-ment du pays.L’autre option est développéepar la République bolivarienne

du Venezuela : celle-ci a lancésa propre cryptomonnaie, lepetro, au printemps 2018.Indexée sur le prix du baril depétrole et garanti par les réservesde pétrole du pays, cette mon-

naie numérique « étatique » nepeut être produite qu’au traversd’une inscription sur un registreétatique et échappe théorique-ment à la spéculation. Si laconsommation d’énergie de -meure (de façon bien moinsimportante que celle du bitcoinnéanmoins), celle-ci est inhé-rente à la production de mon-naies, qu’elles soient matériellesou immatérielles.Face à ces nouvelles monnaies,si un conservatisme refusant lanouveauté n’est pas la solution,un positivisme sans borne estdangereux: utiliser chaque annéeautant d’énergie que la Suèdepour des monnaies n’ayant

aucune valeur intrinsèque pourla seule raison que les crypto-monnaies « sont l’avenir » estune pure perte de ressourcespour la société au nom du progrès.La piste de monnaies digitales

étatiques semble intéressante,et plusieurs États, dont notam-ment la République populairede Chine, envisagent ainsi delancer leur propre cryptomon-naie. Les cryptomonnaies éta-tiques, qui n’existent pour l’instantqu’au Venezuela, apparaissenten effet comme beaucoup plustraditionnelles. Si la technologiedu blockchainest un point com-mun majeur dans la formationde ces monnaies, l’idée sous-jacente est diamétralement oppo-sée : souveraineté étatique etmonnaie comme outil d’échangecommun d’un côté, privatisation,profits et bénéfices individuelsde l’autre.Simple lubie ou début d’un phé-nomène qui s’inscrira dans ladurée ? Il est encore tôt pour ledire, mais la question écologiquesoulevée par les cryptomonnaiesse pose actuellement, et lesÉtats devront y faire face dansle cadre tout autant de leurspolitiques environnementalesque de leurs politiques écono-miques et financières. n

*SAMUEL SIGG est étudiant à Toulouse, membre de l’UEC.

1. https://www.clubic.com/antivirus-securite-informatique/cryptage-cryptographie/crypto-monnaie/actualite-833314-crypto-monnaie-minage-consomme-islande.html2. https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2017/09/big-in-venezuela/534177/

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n ÉCONOMIE

Face aux enjeux climatiques qui entourent la production et la consommation d’énergie, surgit la question de l’utilité sociale des monnaiesnumériques.

Face à ces nouvelles monnaies, si un conservatismerefusant la nouveauté n’est pas la solution, un positivisme sans borne est dangereux : utiliserchaque année autant d’énergie que la Suède pour des monnaies n’ayant aucune valeur intrinsèque pour la seule raison que les cryptomonnaies « sont l’avenir » est une pure perte de ressourcespour la société au nom du progrès.

s

À la différence des cryptomonnaies, la monnaie «physique» dépend d’une autorité centrale, qui en garantit la stabilité.

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ette année encore le repas de votre revue à la Fête del’Humanité a été un grand succès ! Pour sa quatrièmeédition, nous fêtions les cinq ans de Progressistes. Pour

l’occasion, toute l’équipe avait vu grand, et les convives ont éténombreux au rendez-vous. Scientifiques, travailleurs dans différents secteurs, intellectuels,syndicalistes, dirigeants politiques, militants et, surtout, lecteursde la revue, engagés ou non, se rencontraient dans cette soiréeannuelle – certains sont désormais des habitués. Une même envieanimait tout ce monde : échanger des idées, vivre un beau momentde convivialité et célébrer ensemble l’union du monde du travailet des sciences pour le progrès. Une exposition retraçant la vie,les recherches et l’engagement militant de Jean-Pierre Kahane

accueillait les participants à cette rencontre fraternelle, inauguréepar un joyeux apéritif qui a réuni quelque 250 personnes. AndréChassaigne et Fabien Roussel, députés communistes, ont introduitle repas en rappelant combien le contenu de notre revue étaitutile à leur travail parlementaire.Le menu avait été concocté par des militants de la Fédération dela Gironde. Alors, forcément, huîtres du bassin d’Arcachon,entrecôte et cannelés bordelais ont régalé les convives !Cette manifestation de notre revue est désormais un rendez-vousincontournable lors de la plus grande et belle fête populaire de l’Hexagone. Rendez-vous est pris pour l’an prochain ! L’équipe prévoit déjàquelques surprises pour l’édition 2019… n

Présente à de nombreux congrès fédéraux aucours du mois de novembre, l’équipe de Progressistesne pouvait pas manquer le congrès national du Parti communiste français à Ivry les 23, 24 et 25 novembre. Amar Bellal, notre rédacteur enchef, est intervenu pour défendre l’importance dela diffusion de Progressistes et, plus généralement,de l’ensemble des revues que des militants éditentau sein du Parti. n

CONGRÈS DU PCF

LE REPAS DES PROGRESSISTES À LA FÊTE DE L’HUMANITÉ

C

LOGOTYPES PCF

Le premier logo est le format à utiliser principalement. Les deux autres sont à utiliser si le support ne permet pas une optimisation du premier.

Le PCF s’est doté d’un nouveau logo àl’occasion du congrès.

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Un peu de science ça ne peut pas faire de malJACQUES TREINERCassini, Paris 2017, 192 p.

Un bijou de concision, de clarté et de per-tinence que cette trentaine de petits textesissus d’émissions radiophoniques sur lessciences, souvent articulés avec des choix

de société de grande actualité ! C’est un livre de format modestequi, dans la mesure du possible, explique, donne le pourquoi desaffirmations qu’il avance – en contraste avec les effets d’annonce,souvent tapageurs et purement descriptifs qui constituent lequotidien de la littérature de vulgarisation scientifique. Et les rai-sonnements sont tellement clairs que, après lecture, on se senten possession non pas d’une opinion mais d’un savoir bien fondé,propre à nourrir, en connaissance de cause, des discussions etdes choix.Les textes se terminent par une rubrique bibliographique « Pouraller plus loin » qui concerne essentiellement des sites internet,ce qui intègre naturellement ce petit livre dans le contextenumérique de notre société.Plusieurs textes expliquent et illustrent la transition énergétiquedans le cadre du changement climatique. On y apprend, enparticulier, la différence fondamentale entre puissance installéeet puissance délivrée, démontant ainsi nombre de raisonnementsfallacieux qui nourrissent la cacophonie ambiante, dont les conclu-sions disparates peuvent faire croire que nous sommes devantun éventail de possibilités : la dure réalité montre le caractèreillusoire de buts que le volontarisme ne saurait surmonter,restreignant énormément ces possibilités. Le plaisir de comprendreest parfois amer…D’autres textes concernent des sujets tels que l’âge de la Terre,les trous noirs, la démographie mondiale, le hasard, et même…le rôle de la peur ! Chacun y trouvera, quel que soit son niveau deconnaissances, matière à réfléchir, à reconsidérer sous un autreangle ce qu’il savait, à nourrir des échanges et discussions fructueux.Pourquoi de textes de ce type ne sont-ils pas plus largementdiffusés et connus? n EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

Les Trajectoireschinoises de modernisation et de développementJEAN-CLAUDE DELAUNAYÉditions Delga, Paris, 368 p.

Dans la première partie de ce livre, l’auteurexamine les trajectoires réelles de la Chine

après Mao. Il montre comment son développement industrielconstitue en lui-même une vraie révolution, puisqu’il met unterme à plusieurs millénaires d’histoire agricole. Dans la secondepartie, il étudie les trajectoires idéologiques et théoriques qui ontfavorisé ce développement.Les sujets de préoccupation ne manquent pas aux lectrices etlecteurs de la presse communiste, aussi cette étude leur sera-t-elleutile dès à présent. Elle permet de comprendre que la Chine d’au-

jourd’hui est le fruit d’une dynamique. Le PCC a mis du temps àen percevoir la spécificité, les conséquences du planning familial,le besoin de doter la petite paysannerie chinoise de rapports deproduction lui permettant de nourrir la population, la nécessitéd’ouvrir le pays sur le monde pour développer l’industrie. Le rôledu PCC à la tête de l’État chinois, les débats internes et la dynamiquecontradictoire que ces débats impulsaient ont débouché sur leconcept d’économie socialiste de marché. Face à cette étrangeté,Jean-Claude Delaunay propose une analyse de ce que fut le marchébien avant la mainmise du mode de production capitaliste surcette structure. Il montre qu’on doit éviter de confondre présenced’entreprises capitalistes dans une économie et nature capitalistede cette économie. L’économie chinoise est orientée vers la satisfactiondes besoins populaires par l’intermédiaire de ce que les dirigeantschinois nomment « la dictature du peuple ». Il existe bien uneliaison intime entre le socialisme et le marché, mais le marché dusocialisme est radicalement différent du marché capitaliste.n

PAULE LANTA

Le Mensonge de la financeNICOLAS BOULEAUÉditions de l’Atelier, 222 p.

L’auteur, mathématicien, a été un précurseuren créant une formation aux mathématiquesfinancières à l’école des Ponts. Il est rare qu’un

fin connaisseur des techniques mathématiques utilisées en finances’exprime sur les marchés financiers, archétype de la notion demarché chère aux économistes néo-classiques qui pèsent sur lavie économique et sociale d’un poids implacable.Il n’est pas possible de traiter tous les sujets abordés dans sonlivre, aussi me limiterai-je à deux points qui me semblent cruciaux:la remise en cause des analyses de Friedrich Hayek, KennethArrow et Gérard Debreu concernant l’équilibre des marchés ainsique l’extension aux marchés incertains et l’analyse des marchésde ressources non renouvelables.Pour ce qui est du premier point, Nicolas Bouleau s’attaque audogme de l’efficience des marchés et du postulat qui suppose quetoute l’information nécessaire pour les agents intervenant sur lesmarchés se trouve dans les prix des marchandises. Il réussit àdonner au lecteur les éléments mathématiques nécessaires à lacompréhension de son propos sans être trop technique. Il montreà l’intérieur même des théories mathématiques comment la spé-culation généralisée rapproche le fonctionnement des marchésfinanciers de l’idéal néo-classique et comment apparaît alorsinexorablement la volatilité qui génère un « brouillard » sur lesprix. Ce « brouillage » vient alors invalider l’efficience des marchéspostulée par la théorie néo-classique: les prix n’indiquent plus lesbons choix à faire. L’application de cette analyse aux marchés deressources non renouvelables – second point –, tel le pétrole, ouencore les biens agricoles ou halieutiques qui deviennent nonrenouvelables pour cause de surexploitation, touche des sujetschauds et au cœur des discussions sur l’avenir de la planète.Sans partager toutes les analyses de l’auteur sur ces sujets, il mesemble que les choix des grandes compagnies pétrolières inter-nationales d’investir massivement dans les gaz et pétroles deschistes et autres sables bitumineux à la fin de la décennieprécédente, alors que le prix du baril était au-delà de 100 dollars,relève de cet effet de brouillard. C’est par dizaines de milliards

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massives qui finiront en supernovæ et en étoiles à neutrons, nonsans avoir synthétisé en leur cœur, au cours de leur existencebrûlante, tous les éléments (carbone, oxygène, métaux) quiconstituent notre monde terrestre. 2. « Le nouveau monde desgalaxies » décrit l’incroyable variété et l’extraordinaire multiplicitéde ces vastes familles d’étoiles, ainsi que leur vie turbulente. 3. « La cosmologie, science de la globalité de l’Univers » passe enrevue dans ses chapitres le fameux big bang, et l’expansion proprementvertigineuse qui s’en est suivie. 4. « Astres singuliers et cataclysmesdans des conditions extrêmes » nous parle de monstrueusesexplosions des supernovae, d’étranges étoiles à neutrons, de quasars,et bien sûr des trous noirs, qui émettent des ondes gravitationnelleslorsqu’ils entrent en collision. 5. « Planètes proches et lointaines »permet de comprendre les similitudes entre nos planètes et lesexoplanètes qui gravitent autour de bien d’autres étoiles.Alain Omont retrace quelques-unes des grandes étapes que lesastrophysiciens ont parcourues depuis un bon siècle, les découvertesqui ont ébranlé leurs certitudes, les doutes qu’ils ont su surmonter,et les problèmes qui leur donnent encore des inquiétudesaujourd’hui, tels que la matière noire invisible dans l’Univers,sans laquelle son rythme d’expansion ne se comprendrait pas.Fascinant ! n GEOFFREY BODENHAUSEN

Parlez-vous cerveau?LIONEL ET KARINE NACCACHEOdile Jacob, Paris, 2018, 215 p.

Ce livre est issu d’une série de courtes émis-sions radio destinées à vulgariser les connais-sances en neurobiologie. Grâce à l’utilisationsystématique de nouvelles technologies,dont l’IRM (imagerie par résonance magné-

tique), ce domaine est en rapide développement… et les médiassignalent chaque jour des avancées, souvent mal décrites etpeu intelligibles.Le neurologue Lionel Naccache, avec le concours de son épouse(non spécialiste), réussit à passer en revue les bases générales decette discipline passionnante en utilisant des analogies et desdescriptions facilement compréhensibles pour le non-initié. Enparticulier, la terminologie nécessaire est introduite et expliquée,ce qui donne son titre au livre ; mais celui-ci est bien plus, c’estbel et bien une description claire, bien que sommaire, de l’étatde connaissances actuelles en la matière.Bien entendu, il serait illusoire d’attendre de ce petit livre àla lecture agréable une vision précise des phénomènes neu-robiologiques, souvent paradoxaux et éloignés des idées reçues.Ainsi, le fonctionnement des neurones miroirs (probablementà l’origine de l’empathie) ou « la perception est une construction »sont particulièrement intéressants. Les passages sur la conscienceet la prise de conscience ont été certainement insuffisantspour dissiper mon ignorance ; en revanche, j’ai particulièrementapprécié la description du fonctionnement normal de notrecerveau, qui en recevant une information construit automa-tiquement un modèle du futur ou d’un éventail des futurs pos-sibles, que la suite des événements conduit à corriger, à modifieret à affiner, tout en construisant simultanément le nouveaufutur possible ; c’est ce que les auteurs traduisent par la formule« le cerveau parle au futur présent » (notre cerveau ne cessedonc pas d’anticiper ce qu’il va vivre, cela fait partie de notrecondition humaine).n EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

de dollars que ces compagnies ont dû dévaloriser leurs actifs dansles années qui ont suivi. Hélas, l’exploitation des gaz et pétrolesde schistes a encore des conséquences écologiques désastreuses.Un livre donc très utile pour les débats sur les marchés financiers,la transition énergétique et l’avenir écologique de la planète.n

PEPPINO TERPOLILLI

Les Références de temps et d’espace…CLAUDE BOUCHER (DIR.) AVEC LE CONCOURS DE PASCAL WILLISHermann, Paris, 2017, 476 p.

Les références servent à exprimer des coordonnéesd’espace et de temps de la façon la plus efficace.

L’ouvrage, coordonné par Claude Boucher, président du Bureaudes longitudes, et dont les contributeurs sont les meilleursspécialistes français en la matière, offre un panorama de cesquestions en les abordant sous l’angle historique, puis en endécrivant de manière très pédagogique les conceptions contem-poraines, avant d’envisager les perspectives de leur évolution.La première partie présente les progrès historiques de la connaissancede la figure du monde, des mouvements de la Terre et de son orien-tation, de la mesure du temps et des premiers catalogues d’étoiles.La création des premiers observatoires, puis les expéditions astro-nomiques et géodésiques ainsi que les progrès des instrumentset des horloges font progressivement apparaître l’aplatissementde la Terre aux pôles ou l’irrégularité de la durée du jour.La deuxième partie aborde la science sur laquelle reposent lesnotions contemporaines sur les références, dont la relativitégénérale forme le cadre théorique. Les horloges atomiques permettentdes mesures de temps qui en valident les prédictions. Les échellesde temps sont réalisées en comparant plusieurs centaines de telleshorloges. La rotation de la Terre est précisément modélisée etobservée, et permet de lier le repère céleste, attaché aux quasarsdepuis la fin du xxe siècle, au repère terrestre, réalisé au niveau dumillimètre par les techniques de la géodésie spatiale.Les références contribuent à des applications scientifiques dehaute précision : tests de physique fondamentale, suivi des sondesspatiales ou satellites artificiels… Parmi ceux-ci, les satellitesd’altimétrie mesurent la hausse du niveau des océans liée auchangement climatique, tandis que les systèmes de navigationrendent des services quotidiens en fournissant une position entout point de la Terre.n JONATHAN CHENAL

À l’orée du cosmosALAIN OMONTEDP Sciences, Paris, 270 p.

Il n’est, hélas, pas fréquent qu’un astrophysiciende renom publie un texte accessible à un largepublic. C’est le mérite d’Alain Omont d’avoirrésumé les grands enjeux actuels de la cos-mologie dans cet ouvrage de la collection

« Une introduction à… ».Ce livre s’articule en cinq volets: 1.« La compréhension approfondiedes étoiles » traite de la vie mouvementée des étoiles, notammentcelles qui, comme notre Soleil, sont destinées à se transformerd’abord en géantes rouges puis en naines blanches, ou les plus

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Les sciences et les techniques au féminin

France Bloch-Sérazin

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Née Françoise Bloch le 2 février 1913, celle qui deviendra France évolue dans un milieu intellectuel riche (son père est l’écrivain Jean-RichardBloch) et se passionne très jeune pour la philosophie, la littérature et les sciences avant de finalement se tourner vers la chimie. Elle commenceà travailler en 1934 au laboratoire de l’École nationale supérieure de chimie de Paris, sous la direction de Georges Urbain. Ses sujets de rechercheportent alors sur la chimie physique, notamment la chimie organique et l’étude des thioacides. Parce que juive et communiste, elle est excluede son laboratoire lors de l’instauration du régime de Vichy.

L’année 1941 marque le début des annéesde lutte pour France, qui met ses compé-tences de chimiste au service du groupedes Francs-tireurs et partisans commandépar Raymond Losserand. Claudia – c’étaitson nom de résistante – dirige le labora-toire clandestin installé dans son logementparisien de l’avenue Debidour, où sont fa-briqués des bombes et des explosifs né-cessaires à la lutte armée. Elle remet enétat l’armement des FTP et les forme àl’utilisation de grenades de sa conception.Présente sur le terrain, elle participe éga-lement aux premières opérations de dyna-mitage les voies ferrées : « Il faut, dit-elle,que je vérifie la qualité de mes explosifs ! »Arrêtée par la police de Pétain le 16 mai1942, elle est exécutée un an plus tard àla prison de Hambourg. La dernière lettreadressée à son mari, le métallurgiste FrédoSérazin, communiste et résistant lui aussi,témoigne de son engagement : « Je meurspour ce pourquoi nous avons lutté, j’ailutté, tu sais comme moi que je n’auraispas pu agir autrement que je n’ai agi, onne se change pas. »

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