"Des ordinateurs revivent au Nigeria" (21/03/2012 - L'Express)

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MERCREDI 21 MARS 2012 L’EXPRESS - L’IMPARTIAL GROS PLAN 3 Computer Mega City, l’un des secteurs de Computer Village. SP-ALICE SALA L’ethnologue Alice Sala a séjourné plusieurs fois à Lagos. DAVID MARCHON Computer Village attire la foule. SP-ALICE SALA NORD-SUD Une chercheuse neuchâteloise s’intéresse à un marché d’un type particulier à Lagos. On y revend des PC usagés provenant de pays du Nord. Des ordinateurs revivent au Nigeria NICOLAS HEINIGER Un quartier résidentiel recon- verti en marché géant, où l’on vend des ordinateurs, des impri- mantes, des téléphones porta- bles et toutes sortes de compo- sants électroniques. Voilà à quoi ressemble Computer Village, à Lagos, au Nigeria. Détail impor- tant, la plupart de ces appareils ont connu une première vie aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie, avant d’être envoyés en Afrique. C’est à ce lieu un peu particulier qu’Alice Sala, assis- tante en ethnologie à l’Universi- té de Neuchâtel, a décidé de consacrer sa thèse. Agée de 31 ans, la chercheuse a découvert Computer Village un peu par hasard: «J’étais au Nigeria pour étudier Nollywood, l’indus- trie cinématographique du pays, la deuxième du monde en terme de quantité (réd: derrière les pro- ductions indiennes de Bolly- wood et devant Hollywood). A Lagos, j’ai eu besoin de faire réparer mon téléphone portable. Je suis al- lée dans ce marché et ça a été le coup de foudre.» Depuis, l’ethnologue est re- tournée à quatre reprises dans la capitale économique nigé- riane et envisage d’y séjourner une année entière dès mi-2013. Elle s’applique à comprendre à la fois le fonctionnement in- terne de ce marché informati- que, le plus grand d’Afrique, mais également de comprendre sa place au sein d’un réseau plus vaste. Observation participante Lors de ses précédentes visites, Alice Sala a emmené avec elle une cargaison d’ordinateurs de seconde main. «Etre une parte- naire économique est la meilleure façon de faire de l’observation par- ticipante. Sinon, il est difficile de faire de la recherche avec des busi- nessmen, ils n’ont pas besoin de moi.» L’ethnologue n’hésite pas à donner de sa personne: «Je suis en train d’apprendre l’igbo, la lan- gue que parlent la plupart des ven- deurs, ça prend du temps...». Cette Tessinoise d’origine a éga- lement travaillé quelques temps comme aide dans l’une des échoppes du marché. «Il est intéressant de voir com- ment ce qu’on considère chez nous comme des déchets devient là-bas une marchandise convoitée», ana- lyse l’ethnologue. Qui met toute- fois le doigt sur un point sensi- ble: selon la convention de Bâle, un traité international en vi- gueur depuis 1992, les pays «ri- ches» n’ont pas le droit d’expor- ter leurs déchets vers les pays en voie de développement. Ces or- dinateurs sont donc envoyés à Lagos en tant qu’«aide au déve- loppement». Si certains retrou- vent une seconde vie, d’autres ne peuvent pas être réparés et finis- sent dans de vastes décharges, non loin de Computer Village. Bref, comme le résume Alice Sala, «la frontière entre matériel de seconde main et déchets est assez ténue». La chercheuse décrit Compu- ter Village comme un lieu «très dense: il y a du monde partout, tout le temps». Beaucoup de bruit également: comme la plus part du temps il n’y a pas de ré- seau électrique, chaque vendeur s’alimente en énergie grâce à sa petite génératrice à essence... Quant aux clients, «il s’agit au- tant de jeunes qui cherchent des portables pour surfer sur Facebook que de revendeurs d’ordinateurs venus de Côte d’Ivoire, du Came- roun ou du Mali qui achètent des grandes quantités», note Alice Sala. «Computer Village est une plaque tournante du commerce d’ordinateurs pour toute l’Afrique de l’Ouest.» Un «magasin» d’imprimantes de seconde main dans Computer Village, à Lagos. SP-ALICE SALA « La frontière entre matériel de seconde main et déchets est assez ténue.» ALICE SALA ETHNOLOGUE La BBC a consacré un documentaire au Computer Village de Lagos. Les journalistes de la chaîne de télévision britannique se sont ren- dus au marché informatique et ont racheté 17 disques durs de seconde main. Ils les ont en- suite fait analyser par un spécialiste à Zurich. Les enquêteurs ont ainsi découvert que des données sensibles (dont des numéros de compte bancaires) des premiers propriétaires des appareils pouvaient facilement être ex- traites des disques. Les personnes concernées, des Anglais qui avaient confié leur ordinateur hors d’usage à une filière de recyclage, étaient pour le moins surprises... Les journalistes concluent en invi- tant les possesseurs d’ordinateurs à soigneuse- ment purger le disque dur avant de s’en débar- rasser. L’ethnologue Alice Sala, qui a visionné ce re- portage, trouve «intéressant le fait que l’on se soit intéressé à la possibilité que d’hypothétiques cri- minels nigérians puissent utiliser ces données». Et d’ajouter: «D’après ce que j’ai vu sur place, la première chose que les vendeurs font, c’est de refor- mater les disques durs qui fonctionnent encore». Pour la chercheuse, les acheteurs «sont avant tout mus par le désir de se connecter à internet, d’accéder à une modernité que tout le monde veut.» Alice Sala indique que chaque mois, 500 conteneurs remplis de matériel informatique arrivent à Lagos. «Je pense qu’ils ont autre chose à faire que de pirater des données, même s’il est vrai que le risque existe.» Pour l’ethnologue, «les problèmes sont surtout d’ordre environnemen- taux et sanitaires, ainsi que d’inégalités sociales entre Nord et Sud.» NHE Données bancaires dans la nature En Suisse, la législation et les différents ré- seaux de récupération en place laissent penser qu’aucun appareil électronique en fin de vie ne finira dans une décharge africaine à ciel ou- vert. PCWorld Informatique, à Neuchâtel, est l’un des nombreux prestataires qui s’engagent à éliminer dans les règles de l’art votre vieux PC. Renseignement pris, l’entreprise se contente de désassembler les pièces de l’ordinateur pour les emmener ensuite à la déchetterie. Dans le cas de figure d’un ordinateur encore en état de marche, celui-ci est révisé et remis en vente. En Suisse ou ailleurs? En l’absence du proprié- taire, nous n’avons pas obtenu de réponse. Par- ticularité, en désaccord avec l’ordonnance fé- dérale sur la restitution, la reprise et l’élimination des appareils électriques et élec- troniques, cette entreprise demande un dé- dommagement pour recycler votre vieil ordi- nateur. Entreprise d’élimination, Job Eco, au Locle et à Neuchâtel, fait ce travail gratuitement. Après démontage, tout ce qui ne peut être recyclé est remis à des partenaires pour valorisation. Le reste est réduit en sable. Parmi ces prestataires, l’entreprise Immark, à Regensdorf, rappelle que l’exportation de certains types de matériel (pol- luant) est interdite. Il arrive que les douanes in- terceptent des conteneurs avec de vieux frigos, TV ou ordinateurs à destination de l’Afrique. «Nous recevons ce matériel en retour et procédons à son démantèlement. De manière générale, nous parvenons à recycler 95% du matériel sur le marché des métaux; le reste est incinéré. C’est rentable!», explique Patrick Jeker, responsable des ventes de l’entreprise zurichoise. STE Filières de valorisation rentables LA QUESTION DU JOUR La Suisse a-t-elle raison de ne pas envoyer ses ordinateurs usagés en Afrique? Votez par SMS en envoyant DUO ORDI OUI ou DUO ORDI NON au numéro 363 (FR. 0,30/SMS) ou sur le site www.arcinfo.ch

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Alice Sala, una ricercatrice dell'Università di Neuchâtel, si interessa a un mercato particolare a Lagos, in Nigeria, dove si rivendono computer usati provenienti dai paesi occidentali.

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MERCREDI 21 MARS 2012 L’EXPRESS - L’IMPARTIAL

GROS PLAN 3

Computer Mega City, l’un des secteurs de Computer Village. SP-ALICE SALA L’ethnologue Alice Sala a séjourné plusieurs fois à Lagos. DAVID MARCHON Computer Village attire la foule. SP-ALICE SALA

NORD-SUD Une chercheuse neuchâteloise s’intéresse à un marché d’un typeparticulier à Lagos. On y revend des PC usagés provenant de pays du Nord.

Des ordinateurs revivent au NigeriaNICOLAS HEINIGER

Un quartier résidentiel recon-verti en marché géant, où l’onvend des ordinateurs, des impri-mantes, des téléphones porta-bles et toutes sortes de compo-sants électroniques. Voilà à quoiressemble Computer Village, àLagos, au Nigeria. Détail impor-tant, la plupart de ces appareilsont connu une première vie auxEtats-Unis, en Europe ou enAsie, avant d’être envoyés enAfrique. C’est à ce lieu un peu

particulier qu’Alice Sala, assis-tante en ethnologie à l’Universi-té de Neuchâtel, a décidé deconsacrer sa thèse.

Agée de 31 ans, la chercheuse adécouvert Computer Village unpeuparhasard:«J’étaisauNigeriapour étudier Nollywood, l’indus-trie cinématographique du pays, ladeuxième du monde en terme de

quantité (réd: derrière les pro-ductions indiennes de Bolly-wood et devant Hollywood). ALagos, j’ai eubesoinde faireréparermon téléphone portable. Je suis al-lée dans ce marché et ça a été lecoup de foudre.»

Depuis, l’ethnologue est re-tournée à quatre reprises dansla capitale économique nigé-riane et envisage d’y séjournerune année entière dès mi-2013.Elle s’applique à comprendre àla fois le fonctionnement in-terne de ce marché informati-que, le plus grand d’Afrique,mais également de comprendresa place au sein d’un réseau plusvaste.

Observation participanteLors de ses précédentes visites,

Alice Sala a emmené avec elleune cargaison d’ordinateurs deseconde main. «Etre une parte-naire économique est la meilleurefaçon de faire de l’observation par-ticipante. Sinon, il est difficile defaire de la recherche avec des busi-nessmen, ils n’ont pas besoin demoi.» L’ethnologue n’hésite pas àdonner de sa personne: «Je suisen train d’apprendre l’igbo, la lan-gue que parlent la plupart des ven-deurs, ça prend du temps...».Cette Tessinoise d’origine a éga-lement travaillé quelques tempscomme aide dans l’une deséchoppes du marché.

«Il est intéressant de voir com-ment ce qu’on considère chez nouscomme des déchets devient là-bas

une marchandise convoitée», ana-lyse l’ethnologue. Qui met toute-fois le doigt sur un point sensi-ble: selon la convention de Bâle,un traité international en vi-gueur depuis 1992, les pays «ri-ches» n’ont pas le droit d’expor-ter leurs déchets vers les pays envoie de développement. Ces or-dinateurs sont donc envoyés à

Lagos en tant qu’«aide au déve-loppement». Si certains retrou-vent une seconde vie, d’autres nepeuvent pas être réparés et finis-sent dans de vastes décharges,non loin de Computer Village.Bref, comme le résume AliceSala, «la frontière entre matérieldesecondemainetdéchetsestassezténue».

La chercheuse décrit Compu-ter Village comme un lieu «trèsdense: il y a du monde partout,tout le temps». Beaucoup debruit également: comme la pluspart du temps il n’y a pas de ré-seau électrique, chaque vendeurs’alimente en énergie grâce à sapetite génératrice à essence...

Quant aux clients, «il s’agit au-

tant de jeunes qui cherchent desportables pour surfer sur Facebookque de revendeurs d’ordinateursvenus de Côte d’Ivoire, du Came-roun ou du Mali qui achètent desgrandes quantités», note AliceSala. «Computer Village est uneplaque tournante du commerced’ordinateurs pour toute l’Afriquede l’Ouest.» �

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Les personnes concernées, des Anglais quiavaient confié leur ordinateur hors d’usage àune filière de recyclage, étaient pour le moinssurprises... Les journalistes concluent en invi-tant les possesseurs d’ordinateurs à soigneuse-ment purger le disque dur avant de s’en débar-rasser.

L’ethnologue Alice Sala, qui a visionné ce re-portage, trouve «intéressant le fait que l’on se soitintéressé à la possibilité que d’hypothétiques cri-minels nigérians puissent utiliser ces données».Et d’ajouter: «D’après ce que j’ai vu sur place, lapremière chose que les vendeurs font, c’est de refor-mater les disques durs qui fonctionnent encore».Pour la chercheuse, les acheteurs «sont avanttout mus par le désir de se connecter à internet,d’accéder à une modernité que tout le mondeveut.» Alice Sala indique que chaque mois, 500conteneurs remplis de matériel informatiquearrivent à Lagos. «Je pense qu’ils ont autre choseà faire que de pirater des données, même s’il estvrai que le risque existe.» Pour l’ethnologue, «lesproblèmes sont surtout d’ordre environnemen-taux et sanitaires, ainsi que d’inégalités socialesentre Nord et Sud.» � NHE

Données bancaires dans la natureEn Suisse, la législation et les différents ré-

seaux de récupération en place laissent penserqu’aucun appareil électronique en fin de vie nefinira dans une décharge africaine à ciel ou-vert. PCWorld Informatique, à Neuchâtel, estl’un des nombreux prestataires qui s’engagent àéliminer dans les règles de l’art votre vieux PC.Renseignement pris, l’entreprise se contentede désassembler les pièces de l’ordinateur pourles emmener ensuite à la déchetterie. Dans lecas de figure d’un ordinateur encore en état demarche, celui-ci est révisé et remis en vente.En Suisse ou ailleurs? En l’absence du proprié-taire, nous n’avons pas obtenu de réponse. Par-ticularité, en désaccord avec l’ordonnance fé-dérale sur la restitution, la reprise etl’élimination des appareils électriques et élec-troniques, cette entreprise demande un dé-

dommagement pour recycler votre vieil ordi-nateur.

Entreprised’élimination, JobEco,auLocleetàNeuchâtel, fait ce travail gratuitement. Aprèsdémontage, tout ce qui ne peut être recyclé estremis à des partenaires pour valorisation. Lereste est réduit en sable. Parmi ces prestataires,l’entreprise Immark, à Regensdorf, rappelle quel’exportation de certains types de matériel (pol-luant) est interdite. Il arrive que les douanes in-terceptent des conteneurs avec de vieux frigos,TV ou ordinateurs à destination de l’Afrique.«Nous recevons ce matériel en retour et procédonsà son démantèlement. De manière générale, nousparvenonsàrecycler95%dumatériel sur lemarchédes métaux; le reste est incinéré. C’est rentable!»,explique Patrick Jeker, responsable des ventesde l’entreprise zurichoise.� STE

Filières de valorisation rentables

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