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  • pistmologie Dfinition de la sant et de la maladie

    PISTMOLOGIEPISTMOLOGIECours 5 Les dfinitions de la sant et de la maladie : des

    normes de la mdecine scientifique aux normesindividuelles et sociales

    Pr Cline LEFEVE

    Ce document est un support de cours datant de lanne 2012-2013 disponible sur www.tsp7.net 1

    I. La conception objective et quantitative de la sant et de la maladieA. L'apport de la physiologie de Claude BernardB. Lidentit de nature des tats normaux et pathologiques aux variations quantitatives prsC. La physiologie, science du normal et du pathologique

    II. La conception subjective et qualitative de la sant et de la maladieA. La philosophie biologique de Georges CanguilhemB. La critique de la dfinition bernardienne du normal et du pathologique: Il ny a pas de science du normal et du pathologique (Georges Canguilhem)

    III. Conclusion: linscription des normes individuelles dans les normes sociales

  • pistmologie Dfinition de la sant et de la maladie

    Objectifs du cours : Montrer que les dfinitions de la sant et de maladie, du normal et du pathologique varient selon les

    moments de lhistoire et, aussi, selon que lon adopte le point de vue du mdecin ou le point de vue dumalade, ou encore que lon suive les normes de la mdecine scientifique ou bien la normativit dusujet.

    Montrer linsuffisance de la conception objective et quantitative de la sant et de la maladie commetats physiologiques identiques par nature, conception hrite de Claude Bernard (1813-1878).

    laide de la lecture de G. Canguilhem (1904-1995), dfinir le normal et le pathologique comme desexpriences du vivant qui est une individualit tissant une relation toujours singulire et normative son milieu de vie.

    Tirer les consquences de cette dfinition biologique du normal et du pathologique pour le patient etpour la mdecine : le normal et le pathologique sont des expriences globales, la fois biologiques,psychologiques et sociales, dun patient toujours singulier. La mdecine apparat non comme unescience, mais comme un art ou une technique qui na affaire qu des individualits et dont les activitsessentielles sont la clinique et la thrapeutique.

    Il en ressort que le patient est une personne et un sujet dont on doit prendre en compte, dans chaqueacte mdical, lexprience, les valeurs et le point de vue.

    I. LA CONCEPTION OBJECTIVE ET QUANTITATIVE DE LASANTE ET DE LA MALADIE

    A. L'apport de la physiologie de Claude Bernard

    1. La dcouverte du milieu intrieur et le concept de rgulation

    Pour Claude Bernard la vie nest pas seulement dans lorganisme mais aussi dans la relation dchanges etdajustement entre le milieu intrieur et le milieu extrieur (La vie nest pas borne lorganisme). La physio-logie veut connatre et comprendre la rgulation du milieu intrieur qui sajuste aux variations du milieu ext-rieur (homostasie).

    2. Lindividualit biologique et son rapport au milieu

    L'organisme vivant est une totalit indivisible, une individualit et les phnomnes physiologiques l'int-rieur de l'organisme sont interdpendants les uns des autres (c'est--dire quils sont intriqus et quils sin -fluencent). Ds lors, si lon veut faire des exprimentations, il faut analyser l'organisme (le dmonter, le dcom -poser) mais, en fin de compte, il faut aussi rinscrire le mcanisme dans le tout (faire une synthse). L'analyse elle seule tant ncessaire la comprhension mais insuffisante. (Cf les textes 7-10 du chapitre 2 et le texte de C.Bernard en mthodologie)

    B. Lidentit de nature des tats normaux et pathologiques aux varia-tions quantitatives prs

    Pour Claude Bernard, les phnomnes pathologiques comme les phnomnes normaux s'expliquent par ledterminisme (pense selon laquelle tous les phnomnes biologiques ont une cause et les mmes causes pro-duisent les mmes effets) et par le matrialisme (pense selon laquelle les phnomnes biologiques, qu'ilssoient normaux ou pathologiques, s'expliquent par leurs proprits physico-chimiques). De ce fait, Claude Ber-nard en conclut que les phnomnes pathologiques sont identiques et de mme nature que les phnomnesnormaux, seules leurs conditions varient. Ceci conduit une dfinition se ramenant aux variations quantitativesprs de la dfinition du normal et du pathologique ; Dans la maladie, les constantes des fonctions physiolo -giques (glycmie, oxygnation du sang, taux de fer, temprature...) varient quantitativement, soit en excs, soiten dfaut (Cf le texte 2) : pour Bernard, la physiologie et la pathologie sont des sciences identiques.

    Cette ide de la dfinition du normal et du pathologique comme variation quantitative de Claude Bernard,hrite du mdecin franais du dbut du XIXme sicle Broussais (Cf texte de Canguilhem dans les textes com-menter), s'oppose Bichat sur la nature des phnomnes normaux et pathologiques. En effet, pour Bichat, lasant et la maladie obissent des lois diffrentes : la sant traduit la supriorit des forces vitales contre lesforces matrielles de mort dans l'organisme et la maladie traduit l'infriorit de ces forces vitales (pour Ber-nard, il sagit l dun rsidu de philosophie mtaphysique quil critique vivement). Ainsi, comme sant et mala-die relvent de lois diffrentes (selon Bichat), elles relveront aussi de sciences diffrentes (Cf le texte 1).

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    La conception qu'a Claude Bernard du normal et du pathologique lui vient en particulier de la dcouverte dela fonction glycognique du foie et des mcanismes du diabte sucr. En effet, avant lui on croyait que la glyc-mie (prsence de sucre dans le sang) tait un phnomne pathologique ; Claude Bernard pose alors un certainnombre dhypothses et constate la prsence de sucre dans le sang chez tous les sujets humains (1 er constat),et une lvation de la glycmie chez les diabtiques (2e constat). Il remarque aussi que la glycosurie (prsencede sucre dans les urines) chez les diabtiques est plus leve que chez les sujets sains (3 e constat). Il en dduitque la glycosurie est la consquence dune glycmie excessive et quelle existe aussi chez les sujets sains maisqu'elle est seulement faible (sur ce point il a tord) : entre la glycosurie des sujets sains et celle des diabtiques,la relation est quantitative. Claude Bernard conclut que la glycosurie leve, un phnomne pathologique, s'ex -plique en dfinitive par la fonction glycognique du foie qui est seulement quantitativement drgle ; le dia -bte repose pour lui sur une modification quantitative de la fonction physiologique normale de la glycognie(production de sucre par le foie dcouverte lors de lexprience du foie lav).

    Pour Claude Bernard, le diabte est une maladie consistant seulement dans le drangement d'une fonc-tion normale (Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, page 34), par le mot drangement Ber-nard entend variation quantitative (en plus ou en moins). La maladie est donc une variation quantitative de lasant et le pathologique est une variation quantitative du normal (Cf le texte 5). Il ny a pas de diffrence dequalit entre ces 2 tats, selon Bernard, et cest pour cela quil dsigne la physiologie comme science du nor-mal et du pathologique.

    C. La physiologie, science du normal et du pathologique

    Pour Claude Bernard, la physiologie runit la fois la connaissance des fonctions normales et celle des tatspathologiques de l'organisme (rupture pistmologique avec Bichat, Cf le texte 1) : la physiologie et la patholo-gie ne sont qu'une seule science et pour connatre le pathologique il suffit alors de connatre le normal. La th -rapeutique n'tant que l'application de la science physiologique, pour soigner, il suffit de savoir ; pour tre unbon mdecin, il suffit d'tre un bon scientifique ; la mdecine n'est qu'une application de la science. Cest uneconception scientiste ou positiviste de la maladie (courant philosophique selon lequel la science est le moteurde tous les progrs humains et sociaux, ainsi le progrs mdical vient du progrs scientifique).

    Cette conception scientifique de la mdecine est caractristique des XIXme et XXme sicles avec, parexemple, lhyginisme par lequel on va amliorer les conditions de vie de la population et rtablir lordre moralde la socit en sappuyant sur les progrs de la science : la politique ne peut aller que vers le progrs si ellesappuie sur la science.

    II. LA CONCEPTION SUBJECTIVE ET QUALITATIVE DE LA SANTET DE LA MALADIE

    La dfinition du philosophe et historien de la mdecine Georges Canguilhem (1904-1995) est oppose etcomplmentaire de la sant et de la maladie par rapport celle de Claude Bernard. Cette dfinition est centresur le sujet (subjective) et affirme qu'il y a une diffrence de qualit et non pas de quantit.

    BIOGRAPHIEBIOGRAPHIE DEDE GEORGESGEORGES CANGUILHEMCANGUILHEM

    N en 1904, il fut d'abord philosophe avant d'tre mdecin, lve de l'cole Normale Suprieur, agrg dephilosophie. Il commence enseigner la philosophie la fin des annes 1930 et paralllement commence destudes de mdecine. Il entre dans la rsistance et soutient sa thse de mdecine en 1943 dans la facult demdecine de Strasbourg (replie Clermont-Ferrand cause de l'occupation) : Essai sur quelques problmesconcernant le normal et le pathologique, il la rditera pour y mettre plus de textes, publie en 1966 sous letitre de Le normal et le pathologique. Ce nest ni une thse purement mdicale ni purement historique maisplutt une thse philosophique qui interroge les conceptions du normal et du pathologique que produit lamdecine depuis le XIXme sicle. Elle dgage aussi les liens entre les normes mdicales, politiques etsociologiques, et renseigne sur la formation de ces normes mdicales.

    Ce philosophe dcide donc de faire des tudes de mdecine non pas pour pratiquer la mdecine mais pourla connatre et parce qu'il repre quelle se trouve au carrefour entre les sciences et techniques d'un ct et lasocit de l'autre. Ce qui intresse plus particulirement Canguilhem est la question du normal, de ce que l'ondfinit comme une norme ; les normes mdicales sont au carrefour entre les normes scientifiques ettechniques et les normes politiques et sociales. Il veut savoir comment, dans une socit donne, on dfinit cequi est normal et ce qui est pathologique. Il veut comprendre comment la mdecine dfinit ses normes (santet maladie, normal et pathologique) en tenant compte de linfluence des normes politiques, religieuses,thiques, esthtiques, sociales, culturelles etc.

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    De plus, Canguilhem arrive penser une conversion du regard sur la sant et la maladie. Si les mdecins duXIX sicle (comme les scientifiques actuels) regardent la sant et la maladie du patient dun point de vueextrieur et donc objectif : ils font du patient un simple objet de connaissance (ce qui correspond ladfinition mme de lobjectivit), Canguilhem, lui, va tudier la sant et la maladie selon le point de vue dusujet : on parle de subjectivit (du patient).

    A. La philosophie biologique de Georges Canguilhem

    1. Les sources vitalistes de Georges Canguilhem : Xavier Bichat, ClaudeBernard et la spcificit du vivant

    LA SANT ET LA MALADIE SONT DES PHNOMNES PROPRES AU VIVANT LA SANT ET LA MALADIE SONT DES PHNOMNES PROPRES AU VIVANT SPCIFICIT DU VIVANT ET DE LA BIOLOGIESPCIFICIT DU VIVANT ET DE LA BIOLOGIE

    Il reprend l'ide de Bichat selon laquelle la sant et la maladie sont des phnomnes propres au vivant, parconsquent ils font la spcificit de la biologie qui est irrductible la physique et la chimie. Il souligne en effetqu' il est normal de tomber malade du moment qu'on est vivant (Georges Canguilhem, Une pdagogie dela gurison est-elle possible ? , crits sur la mdecine).

    Cette phrase a deux sens : La vie inclut la fois la sant et la maladie, la maladie est une preuve normale de la vie, si on veut

    connatre la vivant il faut tenir compte de l'alternance entre la sant et la maladie (significationbiologique de la vie). En ce sens, la maladie devient une proprit spcifique au vivant et cest quandon retourne la matire que lon ne tombe plus malade.

    Cette phrase a aussi des implications mdicales et sociales puisque, dans nos socits contemporainesoccidentales, on a tendance considrer la maladie comme quelque chose d'accidentel, d'anormaldans le sens d'vitable, qui traduirait un chec et une impuissance de la mdecine. Or, la maladie faitpartie de l'existence, elle est mme une autre norme de vie qui a une autre qualit que la sant, ellen'est pas un accident extrieur la vie mais fait partie de l'existence (Georges Canguilhem, crits sur lamdecine).

    Canguilhem reprend son compte l'pistmologie vitaliste de Claude Bernard, selon laquelle, il faut poserdes questions spcifiques (par ex : Comment les fonctions sont-elles interdpendantes ?) et adopter des d-marches spcifiques pour connatre le vivant. Pour Claude Bernard, il y a une spcificit de la biologie (par rap -port la physique-chimie) avec des questions, des concepts (milieu intrieur), des mthodes spcifiques (exp -rimentation sur le vivant, vivisection), des sciences spcifiques (biologie). Cependant, Bernard et Canguilhem sedistinguent dans la mesure o Claude Bernard in fine rduira la biologie la physique et la chimie (tout ph-nomne biologique s'explique par des proprits physico-chimiques) alors que pour Canguilhem il y aura tou-jours une autonomie de la biologie cause de cette spcificit du normal et du pathologique et des conceptspropres au vivant.

    L'ORGANISME EST UNE INDIVIDUALIT, UN TOUT INDCOMPOSABLEL'ORGANISME EST UNE INDIVIDUALIT, UN TOUT INDCOMPOSABLE

    Canguilhem reprend aussi son compte la dfinition de Claude Bernard de l'organisme comme individuali-t, un tout indcomposable, une globalit.

    LA VIE RSIDE DANS LA RELATION DE L'ORGANISME ET DE SON MILIEULA VIE RSIDE DANS LA RELATION DE L'ORGANISME ET DE SON MILIEU

    Canguilhem garde aussi de Claude Bernard l'ide que la vie rside dans la relation de l'individu avec son mi-lieu, il nest pas isol : on parle dcosystme.

    2. Quest-ce que la normativit de lindividu vivant ?

    Comme Canguilhem reprend son compte la physiologie de la rgulation de Claude Bernard, il dfinit lasant et la maladie comme des relations qui sont respectivement rgule et drgule par rapport au milieuextrieur. La sant implique une manire rgule de se rapporter au milieu extrieur, c'est l'tat d'quilibrephysiologique par lequel l'individu vivant s'ajuste activement aux variations du milieu extrieur et en demeurerelativement indpendant, par exemple aux agressions extrieures (microbiennes, toxiques, traumatiques). Lediabte est une mauvaise rgulation du milieu intrieur en fonction de l'effort physique et de l'alimentation. La

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    maladie se dfinit comme une manire drgule de se rapporter au milieu, elle empche le vivant de s'ajusteraux variations du milieu extrieur, qui devient vulnrable ce milieu extrieur. A noter que lors dune infection,par exemple, le corps va se dfendre mais aussi se fragiliser ; alors, il sera moins indpendant et fragilis faceaux variations extrieures. Le pathologique se dfinit comme un risque de ractions catastrophiques.

    Lorsqu'un tre vivant rgule sa relation son milieu grce au milieu intrieur, cette rgulation est valorisepar le vivant, apprcie par lui, et est considre comme normale ; il pourra s'y dvelopper et s'y reproduirec'est--dire que ladaptation au milieu sera rendue possible. La rgulation possde une certaine plasticit mais,quand le vivant ne parvient pas une relation rgule au milieu, il dvalorise cette relation au milieu ; il lui at-tribue une valeur ngative, elle est pour lui anormale car elle rend impossible son adaptation au milieu.

    Cette rgulation et cette valorisation s'effectuent de manire biologique (chez les espces autres quel'homme elle n'est pas psychologique) et inconsciente. Elle est partage et prfre par tous les tres vivantset, ds lors que la reproduction et la survie deviennent impossibles, le vivant peut soit changer de milieu ouchanger son milieu (inventer de nouvelles normes de vie en changeant de proie ou de partenaire sexuel, instau-rer de nouvelles relations au milieu, etc). En revanche s'il est atteint d'une pathologie, le vivant ne peut modi -fier cette relation, et c'est l qu'il devient soumis au milieu extrieur. Le vivant n'est jamais indiffrent son mi -lieu, il lui donne toujours une valeur positive ou ngative : Vivre c'est, mme chez une amibe, prfrer et ex-clure (Georges Canguilhem, Le normal et le pathologique, 1943, page 84).

    QU'EST CE QUE LA NORMATIVITQU'EST CE QUE LA NORMATIVIT ??

    Cette capacit du vivant de rguler sa relation au milieu extrieur est une capacit de poser des valeurs :c'est la capacit biologique de donner une valeur positive ou ngative la relation au milieu, de la prfrer oude la repousser, de l'apprcier ou de la dprcier, de la valoriser ou de la dvaloriser. Canguilhem appelle nor-mativit cette capacit de rguler et de valoriser sa relation au milieu. Cette capacit biologique est partagepar tous les tres vivants, vgtaux, animaux et sujets humains. Tout vivant est normatif.

    POURQUOI LE TERME DE POURQUOI LE TERME DE NORMATIVITNORMATIVIT ??

    Le terme de norme (du grec norma signifiant mettre lquerre en gomtrie) est un terme pratique,qui renvoie l'action humaine (on a d'ailleurs vu dans le chapitre 2 d'thique) : c'est le synonyme de valeur :c'est une rgle qui oriente la conduite, qui permet de la juger et ventuellement de la corriger. Cest aussi unrepre, une rfrence qui permet de hirarchiser diffrentes valeurs ou diffrents comportements.

    Dire qu'une conduite est normale, la considrer comme la norme, c'est la considrer comme prfrable toute autre norme, celle qui vaut le plus. C'est une prfrence, un idal atteindre, une rgle ou conduite la -quelle on attribue une valeur suprieure : on valorise cette norme. Une conduite normale est aussi une rf-rence, une mesure, un lment par rapport auquel on value.

    Par exemple, l'interdit du meurtre constitue la norme, c'est--dire la rgle fondatrice des socits hu-maines : le meurtre est choisi comme le crime le plus grave partir duquel il est possible de hirarchiser tousles dlits, cest la rfrence pour juger des autres comportements anormaux. Un autre exemple : dans les an -nes 1980, le gouvernement avait annonc une norme scolaire, il fallait que 80% d'une classe d'ge atteigne leBaccalaurat, un idal propos la jeunesse de la socit. Avoir son Baccalaurat est considr comme normal,c'est--dire prfrable, il sert aussi de rfrence pour juger d'un CV par exemple.

    La normativit dsigne le fait de produire, d'noncer des normes ou encore de hirarchiser des valeurs :tout vivant est normatif et pose ses propres valeurs. Puisque le vivant attribue des normes sa relation au mi-lieu, on peut dire que ces relations constituent des normes. La sant et la maladie sont donc des relations res-pectivement adaptative ou non adaptative, valorise ou dvalorise, des valeurs tantt positives, tantt nga-tives, des relations normales ou anormales pour l'individu : le vivant est capable de normativit.

    PRCISIONS SUR LES NOTIONS DE SUJET ET D'INDIVIDUPRCISIONS SUR LES NOTIONS DE SUJET ET D'INDIVIDU

    On parle d'individu pour tout vivant en tant qu'il est indivisible, singulier et reli un milieu, hommecompris.

    On parle de sujet lorsque ce vivant a une conscience de cette relation : c'est--dire qu'il a la conscienced'en jouir ou d'en ptir (par ex, le sujet humain).

    3. Lexprience individuelle et subjective du normal et du pathologique

    Tout vivant a conscience de la jouissance quapporte la bonne sant ou, au contraire, de ptir c'est--direde souffrir de ses relations au milieu bouleverses par la maladie. Cette prise de conscience de laltration ounon de la relation au milieu reprend une dfinition du normal et du pathologique selon le point de vue du sujet.

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    QU'EST CE QUE LE NORMALQU'EST CE QUE LE NORMAL ??

    Pour tout individu vivant, le normal consiste en un ensemble de fonctions physiologiques (pouls, pressionartrielle, temprature, immunit) qui lui permettent de s'ajuster activement aux variations de son milieu, etd'avoir des comportements biologiques inventifs ou changeants dans son milieu, c'est le pouvoir de changer sarelation au milieu. Par exemple, faire un effort, changer de milieu selon les saisons ou les migrations, luttercontre une maladie et s'en remettre, lutter contre un changement de milieu viral ou bactriologique, etc...

    C'est la capacit pour le vivant d'tre acteur de son comportement biologique. Dans la maladie, le compor -tement biologique change ; si l'individu ne fait que se soumettre aux variations du milieu extrieur, il est dansun tat pathologique : par exemple chez le malade du SIDA, il y a des modifications immunitaires du sujet quine font que s'adapter passivement aux rencontres que l'on fait avec telle bactrie, virus, maladie, ce n'est pasvraiment une adaptation mais une soumission d'une immunit en retard par rapport aux vnements bact -riens et viraux extrieurs. La normal, c'est pourvoir s'adapter activement tel virus ou bactrie, et surmontercette rencontre.

    La sant ou le normal, c'est la capacit d'instituer, d'inventer des relations au milieu ou des normes de viequi permettent de s'y adapter activement. Le normal est donc conu par Georges Canguilhem comme capacitindividuelle d'adaptation active et inventive au milieu. Le normal, c'est la pleine possession de la normativit el -le-mme ou autrement dit cest une capacit dinvention normative, possde cette souplesse et cette mobilitadaptive. Cette normativit est prfre, valorise, considre comme normal par l'individu lui-mme. Le nor-mal, c'est la sant en tant qu'elle est vcue et valorise, prfre par l'individu lui-mme. Le milieu qu'il valo -rise est celui dans lequel il n'est pas enferm, dans lequel il est capable d'instituer d'autres relations, d'autresnormes de vie. Prenons lexemple de la sant mentale : tre en bonne sant psychique implique dimproviserdes ractions appropries des situations varies, de sadapter des preuves. Pour cela, on invente, on pro -duit, on cre dautres normes de vie. Un individu qui perd son emploi, sil est en bonne sant, va rflchir sonavenir professionnel, va envisager de changer de vie. videmment pour faire face ce genre de situation il y aaussi des conditions conomiques et matrielles prendre en considration : il faut notamment prendre encompte les ressources conomiques pour mesurer la capacit faire face et renverser ses normes de vie. Cestla capacit dtre inventif qui permet de garder une libert daction ; cest tre le sujet, lacteur de son exis -tence, et non en tre lobjet.

    Qu'est-ce que le normal pour un sujet humain ?

    Pour un tre humain, vivre dans un tat normal c'est tre capable d'effectuer non seulement les activitsqui lui sont ncessaires pour tel milieu donn (se lever le matin, aller au travail, avoir des relations sociales,manger dans un restaurant universitaire, effectuer un voyage...), mais aussi tre capable d'improviser de nou-velles activits sans tre restreint dans sa libert daction (aller au travail pied s'il y a une grve des trans -ports, prendre les transports en commun pour s'y rendre, pouvoir changer son rgime alimentaire, faire des ef -forts physiques) mais aussi tre capable de changer son milieu, de le conformer ses propres normes et va-leurs et non pas seulement de s'y conformer. Tous les sujets humains crent leur propre milieu (habitat, archi-tecture, esthtique, communication, relation, alimentation, transport, psychologie...), tous les tres vivantssont normatifs mais les tres humains sont extrmement normatifs ; collectivement dans notre socit nouscrons notre milieu et nos normes de vie sociales, nous dcidons de notre propre vie, du chemin que suit notreexistence, la vie normale est l'autonomie (capacit de se donner ses propres lois), opposer avec l'htrono-mie (qui consiste subir les lois imposes).

    La sant c'est pouvoir inventer activement notre comportement biologique, notre conduite en fonc-tion des exigences de notre existence mais aussi en fonction de ses propres valeurs et projets : cest une puis-sance dagir. tre en bonne sant physique implique de pouvoir marcher mais aussi de pouvoir courir pourprendre son PC3 ;-), porter ses courses mais aussi porter ses enfants, vivre dans son milieu habituel mais aussivoyager. Canguilhem prend l'exemple de l'hypotension : elle permet de se sentir normal basse altitude maisfait qu'on est limit dans ses activits physiques en haute altitude. Cette dfinition vaut aussi pour la dimensionpsychologique : tre en bonne sant psychologique implique de pouvoir affronter des situations varies sanstre restreint dans sa libert d'action (stress, examen, entretien d'embauche, accident, maladie, rupture,deuil...) mais aussi pouvoir inventer de nouvelles relations psychologiques, faire des rencontres, s'insrer dansun univers social, trouver de nouvelles manires de se rapporter sa vie professionnelle, etc. Pour le sujethumain la sant est l'ouverture aux possibles de l'existence, c'est la capacit d'affronter son monde mais aussid'autres mondes, et mme d'inventer son monde. (cf. texte 6 du poly)

    QU'EST CE QUE LE PATHOLOGIQUEQU'EST CE QUE LE PATHOLOGIQUE ??

    C'est la privation de normativit. Pour un sujet humain, le pathologique consiste dans la contrainte qui im-pose de faire moins de choses et toujours la mme chose, sans pouvoir faire face des variations. C'est une r-duction des possibilits d'action du sujet, c'est pourquoi cest un comportement biologique ou une relation au

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  • pistmologie Dfinition de la sant et de la maladie

    milieu qui est dvaloris. Quand on a la grippe, on ne peut faire qu'une chose : rester dans son lit et toujours lamme chose : dormir. Par exemple, dans les maladies chroniques comme le diabte, il y a moins d'activit phy-sique, moins d'cart alimentaire. Le pathologique est la fois une norme de vie rduite, limite, rigide, restric -tive et rptitive.

    Le pathologique est l'anormal qui est la privation de la pleine normativit. Pour tout individu vivant la mala-die rduit sa capacit d'adaptation active aux variations du milieu et en particulier d'autres maladies. Quandon est dans un tat pathologique, cela signifie que toute variation (qui pourrait tre normale chez un sujet sain)du milieu amne un risque d'aggravation : c'est la thorie de la raction catastrophique ou de la raction enchane.

    Exemples : Le diabte fait qu'une infection va comporter des risques d'aggravation plus importants qu'un sujet

    normal (aux yeux de qui l'infection peut apparatre bnigne). Une grossesse (qui n'est pas une maladie) va comporter des risques d'aggravation plus importants si la

    femme enceinte est diabtique que si la personne ne l'est pas. Un sujet qui n'a qu'un seul rein, il peut avoir un mode de vie normal dans un milieu bien dtermin,

    avec un comportement bien dtermin : bonne hygine de vie, boire beaucoup, rgime alimentaireadapt, surveillance mdicale rgulire... Cependant ce sujet est dans un tat pathologique car si sesconditions d'hygine changent et qu'il contracte une infection urinaire trs rsistante auxantibiotiques, il risque de perdre son rein (risque vital).

    Les sujets infects d'une maladie chronique comme le diabte : un sujet diabtique aura une vienormalise : ils vont normaliser leur comportement biologique et social en fonction de leur maladie :ils vont mesurer leur glycmie, s'injecter leur insuline, adapter leur comportement alimentaire, leurexercice physique et vont organiser leur vie en fonction de leur diabte : ils ont donc une vie normaledans certaines conditions dtermines. Mais si ces sujets sont contraints de changer leur activitphysique, leur alimentation (fte, voyage...), de faire des efforts inhabituels, alors ils vont ressentirune souffrance, une incapacit, des difficults. Ils vont eux-mme s'apercevoir de leur absence de lalimitation de leur normativit et cela va rvler qu'ils sont dans un tat pathologique, c'est--direqu'ils mnent une vie selon une norme de vie pathologique, normalise seulement dans certainesconditions, elle est prive de la mobilit, souplesse et capacit d'adaptation voque plus haut.

    Cependant, le pathologique n'est pas le contraire du normal, ce n'est pas une absence de norme mais en -core une norme de vie limite et fige (on peut moins voyager, on peut moins faire d'carts alimentaires, moinsd'excs de boissons...) : on est oblig chez les diabtiques par exemple de manger heure fixe, de bien rpterles gestes de prises de la glycmie et d'injection de l'insuline. C'est en ce sens que le pathologique a une qualitradicalement diffrente de celle de la vie normale, la manire dont la personne malade l'prouve, sa libertdont elle est prive : on est trs loin de la conception objective de Claude Bernard, qui avait adapt le point devue extrieur du scientifique la maladie et tabli la distinction entre sant et maladie une variation quanti -tative. Canguilhem adopte un point de vue subjectif (celui du vivant), le point de vue du malade lui-mme et endduit qu'il y a une diffrence qualitative entre sant et maladie et non quantitative : c'est tout la sant biolo-gique, psychologique et sociale qui est d'une autre qualit, et d'une qualit moindre. (Cf les textes 9, 10, 11, 12et La Connaissance de la vie, pages 165-166, rubrique Mthodologie du polycopi).

    Une anomalie anatomique (le fait de n'avoir qu'un seul rein, qu'un seul bras, un bec-de-livre) ou physiolo-gique (avoir une glycmie leve) n'est pas ncessairement en soi pathologique : cela devient pathologique si lesujet prouve et juge lui-mme que sa vie est anormale (s'il dvalorise sa vie), c'est--dire si l'individu ne s'es -time pas libre d'agir par ses propres normes de vie et ses propres valeurs et que cela gnre en lui de la souf -france (fonctionnellement ce n'est pas le bec-de-livre en lui-mme qui gnre la pathologie mais c'est dans lerapport social aux autres qu'il devient source de souffrance, d'impossibilit et qui limite la libert du sujet quine peut se dvelopper selon ses propres valeurs). Le pathologique est toujours une mauvaise qualit de rela -tion du sujet son milieu. Un sujet handicap moteur depuis longtemps a aussi normalis sa vie autour de sonhandicap (environnement, logement, profession...), cette anomalie ne l'empche pas de vivre dans une vie qu'ilestime normale. Si sa vie n'est pas synonyme de souffrance (s'il ne la juge pas comme anormale et limitant saralisation personnelle) alors on peut dire que sa vie est normale (les personnes handicapes se refusentd'ailleurs souvent ce qu'on les considre comme malades, parce qu'elles ont russi construire une vie nor-male autour du handicap, et se sentir comme des sujets normaux). En revanche, ils basculent dans une normede vie pathologique partir du moment o les transports, l'urbanisme, l'accs aux soins, une profession, lesempche de raliser leur propres normes de vie et valeurs (vie familiale, vie sexuelle...).

    Diversit n'est pas maladie. L'anomal ce n'est pas le pathologique. Pathologique implique pathos, sentimentdirect et concret de souffrance et d'impuissance, sentiment de vie contrarie (Georges Canguilhem, Le nor-mal et le pathologique, page 85).

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    IMPLICATIONS POUR LA MDECINEIMPLICATIONS POUR LA MDECINE

    Premire implication : Il n'y a de normal ou de pathologique qu'individuel. Il n'y a pas de sujet normal oupathologique dans l'absolu : mais seulement dans un milieu, un monde donn.

    La dtermination du normal et du pathologique est relative parce qu'elle porte sur la relation du sujet sonmilieu de vie, son monde. Pour dterminer l'tat normal ou pathologique d'un sujet et en particulier poser undiagnostic, il faut comprendre la relation singulire qu'un sujet tisse avec son milieu de vie singulier. Un dia-gnostic mdical ne porte pas sur un organisme, mais sur la valeur, la qualit qu'un sujet accorde sa relation aumilieu. Le mdecin doit donc comprendre l'existence normale de son patient, quel est son milieu de vie, quellessont ses activits professionnelles, familiales, sportives, ses reprsentations du corps, de la maladie, ses valeurspropres et ses projets. Une mme anomalie peut tre normale pour un individu dans un milieu donn mais pa -thologique si cet individu venait changer de milieu : Canguilhem dit que l'astigmatisme ou la myopie dter -minent un tat pathologique pour un sujet qui veut tre pilote alors que ce mme astigmatisme ou cette mmemyopie peuvent permettre une vie normale dans un milieu agricole comme celui du gardien de troupeau. Ladtermination du normal et du pathologique est relative, et non absolue. Elle est strictement individuelle, etnon collective car pour dterminer ltat normal ou pathologique dun sujet, il faut le comparer lui-mme diffrents moments de son existence et non par rapport dautres sujets.

    La mdecine, parce qu'elle est scientifique, tend dfinir le normal et la pathologique de manire collectiveen fonction de normes statistiques (populationnelles) grce en particulier l'pidmiologie : on considre parexemple qu' partir d'un gramme de sucre par litre de sang la glycmie est trop leve et on va dfinir cettenorme statistique comme tant la limite entre le normal et le pathologique ; ce que nous montre Canguilhem,c'est que le normal et le pathologique ne doivent tre dfinis que de manire individuelle, c'est--dire en fonc -tion du sujet (toujours singulier) et de sa relation au milieu (toujours singulire) et de sa qualit.

    Deuxime implication : Le mdecin doit tenir compte de l'exprience subjective et la souffrance dupatient.

    Le sujet est immdiatement juge de son tat normal ou pathologique, il se sent bien ou non. Il faut tenircompte de son sentiment personnel, de la manire dont il se sent. Le normal est d'abord une exprience vcue,le sentiment de jouir de sa libert. Or il existe des maladies asymptomatiques qui ne font pas souffrir le sujet,qui ne limitent pas ses projets, ses normes de vie, etc... Dans ce cas Canguilhem dit que l'approche du sujetn'est plus la mme : partir du moment o on a diagnostiqu la maladie asymptomatique, partir du momento intervient la prise en charge mdicale, aucune investigation et aucun traitement ne peuvent tre entreprissans prendre en compte l'exprience, le vcu de la personne. Mme dans le cadre de maladies asymptoma-tiques, cette implication vaut. L'annonce d'une maladie asymptomatique est en soi un vnement qui boule -verse la vie, mme si on na pas de symptmes, parce quon sait que l'on va devoir se plier un suivi rgulier,voire des actes prventifs (opration, examens...), elle bouleverse son exprience. Faire un diagnostic mdicaldemande porter attention l'exprience subjective du patient.

    Le mdecin doit tenir compte de l'histoire du patient : le diagnostic et la prise en charge mdicale font en-trer le sujet dans une vie pathologique diffrente de sa vie antrieure, une vie dune autre qualit dont le sujetfait une exprience radicalement nouvelle (cest cette exprience quil faut comprendre et considrer). Le pa-thologique est une rupture dans l'histoire personnelle du sujet, la perte de sa normalit : il y a un avant et unaprs la maladie. C'est partir de cette rupture elle-mme que le sujet est juge : il sent des douleurs et sentqu'il a perdu sa vie normale d'avant la maladie. On va chez le mdecin parce qu'on a le sentiment que quelquechose ne va pas, que l'on ne mne plus une vie que l'on considre comme normale, ce sentiment d'altrationet de perte de libert fait que l'on souffre et que l'on appelle l'aide. Les maladies sont des vnements trau -matiques, une rupture, une reconfiguration complte de lexistence du patient.

    Les maladies de l'homme ne sont pas seulement des limitations de son pouvoir physique, ce sont des dramesde son histoire (Georges Canguilhem, Pdagogie de la gurison , crits sur la mdecine, page 89).

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    B. La critique de la dfinition bernardienne du normal et du patholo-gique : Il ny a pas de science du normal et du pathologique (Georges Canguilhem)

    1. La primaut de lexprience subjective du malade sur la connaissanceobjective de la maladie

    LA DISTINCTION DE L'OBJECTIVIT ET DE LA SUBJECTIVIT LA DISTINCTION DE L'OBJECTIVIT ET DE LA SUBJECTIVIT

    Canguilhem nous rappelle que la sant et la maladie sont d'abord des expriences vcues par le maladeavant d'tre des objets de connaissance pour les mdecins et les scientifiques. Il distingue donc le point de vuedu sujet (qui endure l'preuve de la maladie) et le point de vue du mdecin scientifique (qui analyse les mca-nismes et qui connat la pathologie) : il distingue la subjectivit (dsigne l'exprience consciente que le sujet faitde sa vie) et l'objectivit (consiste faire d'une chose, quelle qu'elle soit, un objet de connaissance). Alors queClaude Bernard adopte le point de vue objectif du scientifique sur la maladie, Canguilhem adopte lui le point devue subjectif du patient qui souffre de sa maladie : il y a donc, avec ce dernier, une conversion du regard (delobjectif vers le subjectif). Subjectif ne veut pas forcment dire psychologique : quand Canguilhem s'intresseau normal et au pathologique, il dit bien que c'est une modification du comportement biologique, psycholo-gique et social (prise en compte de toutes les dimensions). Adopter un point de vue subjectif, c'est adopter lepoint de vue certes psychologique (jouissance, souffrance, angoisse) mais pas seulement ; Canguilhem adoptele point de vue du sujet dans sa globalit. Il ne dit pas que le mdecin doit se fier seulement aux sentimentssubjectifs du patient, ni que le patient sait mieux que le mdecin : la connaissance objective et scientifique del'organisme et de la maladie est videmment indispensable (diagnostic, dpistage, traitement) : ce serait uneerreur de se soumette l'ignorance du malade. Nanmoins, le normal et le pathologique sont d'abord des ex -priences subjectives vcues ; ces expriences engagent la totalit du sujet (biologique, psychologique et so-cial) : c'est aussi une erreur d'ignorer cette exprience, celle-ci doit toujours servir de guide, de rfrence.

    C'est pourquoi le mdecin doit comprendre et prendre en compte l'exprience subjective du patient, avantd'avoir recours au savoir objectif. Il doit d'abord tenter d'adopter le point de vue du malade sur sa propre exis -tence, avant d'adopter le point de vue du scientifique sur sa maladie.

    LES CRITIQUES DE CANGUILHEM CLAUDE BERNARDLES CRITIQUES DE CANGUILHEM CLAUDE BERNARD

    La critique de la conception analytique de la maladie de Claude BernardCanguilhem reproche Claude Bernard cette conception analytique de la maladie : en effet, bien que

    Claude Bernard disait qu'il fallait la fois l'analyse et la synthse, Georges Canguilhem lui reproche d'avoir d -compos l'organisme en mcanismes lmentaires et d'avoir conu le pathologique seulement comme la modi -fication d'un mcanisme fonctionnel isol. Pour Canguilhem, le pathologique est un comportement de l'orga -nisme tout entier - qui est chang - et de toutes ses fonctions, il n'y a de maladie que du tout organique et passeulement de la cellule, du tissu ou de l'organe. Pour montrer cela Canguilhem reprend l'exemple du diabte etdit que c'est une maladie de l'organisme dont toutes les fonctions sont changes, altres : par exemple, le dia-bte est une maladie du rein (se traduisant par une glycosurie), du pancras (hypoinsulinmie), de l'hypophyse(suractivit) : la maladie (et plus particulirement la maladie physiologique) est une maladie rendant l'orga-nisme tout entier vulnrable : par exemple la diabte rend l'organisme plus vulnrable aux infections, c'est laglobalit de l'organisme qui est fragilis, et non pas seulement une partie.

    Cf le texte 3 : C'est la totalit de l'organisme qui ragit catastrophiquement au milieu... Cf le commentaire rdig 2 : Quand on qualifie de pathologiques un symptme ou un mcanisme fonctionnelisols, on oublie que ce qui les rend tels c'est leur rapport d'insertion dans la totalit indivisible d'un comporte-ment individuel .

    La critique de la conception quantitative de la maladie de Claude BernardLe normal et le pathologique sont 2 qualits qui caractrisent notre comportement global, non seulement

    de l'organisme mais aussi du sujet tout entier (avec aussi son comportement psychologique et social). C'estpourquoi Canguilhem conclut qu'il n'y a pas de science du normal et du pathologique, il n'y a qu'une compr-hension clinique du normal et du pathologique : pour lui (contrairement Claude Bernard) la physiologiquen'est pas la science du normal et du pathologique car le normal et le pathologique ne sont pas des faits gnra-lisables, identiques d'un sujet l'autre, ce sont des valeurs individuelles. La physiologie de Claude Bernard ana -lyse des mcanismes, recherche leur cause (explication causale) et quantifie des variations. La science, et enparticulier la physiologie, n'a affaire qu' des faits et occulte les questions de valeur (positive ou ngative), ellen'a pas pour objet d'tudier les qualits de la relation du sujet son milieu. La physiologie donne seulementune explication causale et une traduction quantitative du normal et du pathologique.

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    2. La construction de la norme statistique. La distinction de la norme indi-viduelle et de la moyenne. Le rle de la mesure dans le diagnostic m-dical

    L'EXEMPLE DU DIABTEL'EXEMPLE DU DIABTE

    Pourquoi les mdecins se prennent-ils pour des scientifiques ? Pourquoi, depuis le XIX me sicle, identifie-t-on la mdecine une science ?

    C'est parce qu'on a confondu les deux sens du mot normal , Canguilhem critique la position positiviste etscientiste de la mdecine comme une science, car le mot normal possde deux sens. Un sens prescriptif qui d-signe ce qui est prfrable, c'est--dire un sens normatif (le normal est la pleine libert, la pleine autonomie, unidal de sant qui ne peut tre qu'individuel, chacun a sa norme de vie normale). Le mot normal a aussi un senspurement descriptif : il dsigne ce qui est frquent statistiquement. Il y a une confusion entre ces deux sens dumot norme : entre la norme au sens de frquence statistique exprime par une moyenne et la norme delidal (de sant) au sens de valeur, toujours vcue et value par le sujet lui-mme. Cette confusion est lori -gine de la mdecine contemporaine et saggrave avec la mdecine statistique.

    partir de la critique de cette confusion, Canguilhem nous montre que dans le diagnostic on peut faire r -frence aux mesures des constantes physiologiques du patient mais le diagnostic ne se rsume pas comparerces mesures avec des moyennes (normes) ou avec des mesures statistiques. Ceci car les moyennes crasent lesdiffrences entre les individus mais aussi parce que la notion de moyenne na pas de sens : il faut construiredes fourchettes, des carts qui prennent en compte les variations entre les individus ; ces normes ont tconstruites partir de lobservation des malades. De plus, des rsultats d'analyse n'ont aucune valeur diagnos -tique si elles ne sont pas mises en rapport avec la comprhension du comportement biologique, psychologiqueet social du malade. C'est la qualit du comportement du malade (bonne ou mauvaise, mais aussi vcuecomme bonne ou mauvaise), prouv par celui-ci mme, qui va permettre d'interprter une variation quantita-tive (ou morphologique) comme pathologique ou non, ce n'est pas - par exemple - une variation de la glycmiequi va permettre de diagnostiquer un diabte. C'est la qualit du comportement qui donne du sens la quanti -t mesure : il y a primaut de la qualit sur la quantit ; seule la norme subjective donne un sens la mesureobjective (Cf le texte 5).

    Dterminer l'tat pathologique d'un sujet suppose de comparer ses constantes physiologiques diffrentsmoments de son existence, et non seulement avec des normes statistiques (populationnelles). Faire un dia-gnostic, c'est comparer le sujet lui-mme, et pas le comparer au groupe dont il est issu.

    Cf le texte 3 : On ne peut dterminer le normal par simple rfrence une moyenne statistique mais parrfrence l'individu lui-mme dans des situations identiques successives ou dans des situations varies ,Georges Canguilhem

    Cf le texte Le normal et le pathologique, page 110 rubrique mthodologie du poly : On conteste que les termes plus et moins, lorsquils entrent dans la dfinition du pathologique comme varia-tion quantitative du normal, aient une signification quantitative pure. () Cest par rapport une norme quonpeut parler, dans lordre des fonctions et des besoins physiologiques, de plus et de moins. Lhydratation des tis -sus est, par exemple, un fait susceptible de plus et de moins ; la teneur du sang en calcium galement. Ces rsul-tats quantitativement diffrents nauraient aucune qualit, aucune valeur, dans un laboratoire, si ce laboratoirenavait aucun rapport avec un hpital ou une clinique, dans lesquels ces rsultats prendront valeur ou nondurmie, valeur ou non de ttanie.

    CONCLUSION CONCLUSION

    Le diagnostic se fonde sur la clinique : l'interrogatoire et l'examen cliniques du patient. Il demande l'obser-vation du comportement biologique, psychologique et social du sujet. Il exige un savoir objectif et scientifique.Mais pris sparment, ce savoir objectif n'a pas de valeur diagnostique.

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    3. La distinction entre la science et la mdecine. Lessence technique dela mdecine : son origine et sa vise thrapeutique. Le point de vue dupatient, guide de la pratique mdicale.

    LA CLINIQUE, ORIGINE DE LA MDECINELA CLINIQUE, ORIGINE DE LA MDECINE

    La clinique a une double origine : c'est l'origine date de l'histoire de la mdecine (Hippocrate), mais aussil'origine de toute pratique et prise en charge mdicale. En effet, la mdecine tire son origine de la souffrancedu sujet, de son exprience, de son appel l'aide et par consquent de la clinique, le mdecin doit toujours re -venir l'exprience du malade, la comprhension de ses normes de vie pour interprter ses examens biolo -giques, des mesures et dcider des actes mdicaux (Cf le texte 5). Par ailleurs, c'est dans un autre sens que laclinique est l'origine de la mdecine : c'est l'origine des sciences biomdicales : c'est parce qu'il y a des ma -lades, la clinique et l'observation que les savoir mdicaux se sont constitus, que la mdecine s'est faitescience. Certes il faut s'appuyer sur les sciences en y faisant rfrence (physiologie, bactriologie, immunologie,pidmiologie) mais il ne faut pas oublier que ces sciences sont nes de l'observation des malades et doiventtre mises aux services de la comprhension et du traitement toujours individualiss des malades.

    Cf : le texte 4 : C'est l'anormal qui suscite l'intrt thorique pour le normal. [...] La vie ne s'lve laconscience et la science d'elle-mme que par l'inadaptation, l'chec et le douleur . (Georges Canguilhem, Lenormal et le pathologique, page 56).

    LA THRAPEUTIQUE, FINALIT DE LA MDECINELA THRAPEUTIQUE, FINALIT DE LA MDECINE

    C'est la restauration de la normativit individuelle du sujet, c'est--dire la puissance de jouir de sa libert (=puissance dagir). La finalit de la mdecine est de restaurer une vie que le sujet considrera comme normalepour lui-mme et par lui-mme. C'est de normaliser l'individu par rapport lui-mme et pas par rapport augroupe, la socit, un modle extrieur. Dans un contexte o la mdecine participe au pouvoir politique quiconsiste normaliser la vie des individus ( faire en sorte que les individus pensent, mangent, se reproduisent,votent de la mme manire), Canguilhem veut rtablir la vritable finalit de la mdecine. La vie normale re-cherche par la mdecine est la vie normale voulue par le sujet lui-mme, pas celui impos par la socit.

    LA MDECINE COMME UN ART OU UNE TECHNIQUELA MDECINE COMME UN ART OU UNE TECHNIQUE

    La mdecine n'est pas une science, elle se sert des sciences, prend les sciences comme ses instruments, sesoutils, mais un art (ou une technique) parce qu'elle n'a affaire qu' des individualits, des singularits.

    III. CONCLUSION DU COURS : L'INSCRIPTION DES NORMESINDIVIDUELLES DANS LES NORMES SOCIALES

    Il faut comprendre que la conception du normal et du pathologique de C. Bernard et celle de G.Canguilhem sont toutes 2 prsentes dans la mdecine contemporaine. Lobjectif de ce cours tait demontrer que la mdecine doit les runir et que la premire ne doit pas occulter la seconde.

    Comme tous les vivants, les sujets humains ne sadaptent pas passivement leur milieu mais ils participent sa construction. Pour les sujets humains, cette construction seffectue grce la culture. Ils transformentleur milieu de vie naturel en un monde humain : par ex. au travers du travail et de la technique(lagriculture, lindustrie, larchitecture, les transports, lurbanisme, la mdecine, etc.), mais aussi autravers des normes politiques, conomiques, sociales, culturelles, morales, etc. ou encore grce laconnaissance scientifique et la cration artistique.

    Les socits humaines dfinissent collectivement des normes de vie qui constituent des rfrences et desprfrences collectives. Ces normes sociales conditionnent notamment les reprsentations et les pratiquescorporelles des individus : lactivit physique et sportive, lalimentation, la sexualit et la procration sontle produit des normes sociales. Notre corps est une construction historique et sociale. Par exemple, selonla thorie du genre, la diffrence entre lhomme et la femme, est dabord biologique mais aussi socialepuisque cest une diffrence de comportements au sein de la socit. Ainsi, aujourdhui, le dsir de santparfaite et de matrise du corps est une norme sociale prdominante.

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    Les normes individuelles des sujets sinscrivent donc dans les normes sociales. Le patient retrouve sanormativit individuelle, sa puissance dagir, sa libert ou encore son autonomie lorsquil parvient sapproprier les normes sociales, participer leur invention et leur construction, soit en y adhrant soiten y rsistant. La normativit que la mdecine cherche restaurer nest pas conformation passive auxnormes sociales, mais participation active du sujet la construction des normes sociales. Le normal eststrictement individuel

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