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1 Dédicace A MA MÈRE , qui me fut le sel incorruptible et qui, par delà la tombe, soutint ma plume hésitante, je dédie cette humble étude de notre village. Paul GARCIA.

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Dédicace

A MA MÈRE ,

qui me fut le sel incorruptible et qui, par

delà la tombe, soutint ma plume hésitante,

je dédie cette humble étude de notre village.

Paul GARCIA.

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A SAINT – LOUIS

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Saint-Louis, pays natal, tu vas avoir cent ans.

Tu fus à l’origine un modeste village.

Si tu as prospéré, tu le dois au courage

Et à l’effort tenace de tous tes habitants.

De Sainte-Adélaïde aux onduleuses lignes

De la Forêt ; du lac d’eau douce aux pins Wallon

Et jusqu’aux communaux, là-bas, vers l’horizon,

Tu étales tes champs, tes chemins et tes vignes.

De ce vieux promontoire, caressé par la brise,

Je t’aperçois, baigné de la clarté du soir.

Et de mon cœur ému, monte un chant d’espoir

Vers tes maisons groupées autour de ton église…

P . G

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INTRODUCTION

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C’est sur les instances de M. le Maire de Saint-Louis que j’ai entrepris

l’historique de mon village .Dès le mois d’avril, il me fit part de sa décision de me

confier ce travail. M. le Maire pensait qu’il revenait à un Saint-Louisien de brosser,

à l’occasion de ce centenaire, les grandes lignes de la fondation et du développe-

ment de notre village .Je le remercie de m’avoir fait l’honneur comme je vous re-

mercie d’être venus nombreux pour écouter ma faible voix.

Ma tâche était délicate. D’abord, je n’avais rien des qualités d’un historien. En-

suite, dans mes recherches, je découvris peu de matériaux pour pouvoir étayer ma

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conférence sur des bases solides. Il aurait fallu que les premiers secrétaires de mai-

rie, classant minutieusement les archives, songent déjà à ce centenaire…Mais qui

ose se soucier de ce qui arrivera dans quelques générations ?

J’ai pu, heureusement, retrouver, à peu près intacts, les registres de correspon-

dance du capitaine-directeur, deux feuilles de recensement, très précieuses pour

l’étude des vieilles familles, et les délibérations des conseils municipaux depuis

1870.Le service des archives de la République a bien voulu mettre à ma disposition

un intéressant dossier allant de 1848 à 1878.Pour compléter ma documentation, j’ai

demandé, aux anciens , des faits contemporains de leur jeunesse.

Enfin, je dois remercier le Secrétariat de Mairie, M. le Curé, M. le Gérant de la

Caisse Régionale et Madame la Directrice de l’Ecole des Filles pour les rensei-

gnements qu’ils ont eu l’amabilité de me communiquer.

J’ai mis à profit mes vacances pour entreprendre, dans le calme momentané

de mon école, ce travail captivant. Cependant, je dois l’avouer, dès le début, j’ai

marché parmi des écueils. L’histoire qu’on me demandait

n’était pas une histoire étrangère. C’était celle de mon village, de mes amis, de

mes parents .Avais-je le droit de tout dire, de faire ce que Michelet a appelé une

résurrection intégrale du passé ? J’ai été en proie à un

douloureux soliloque. Mais, finalement en moi, le parti de la sagesse a prévalu et

j’ai voulu qu’on sorte de cette salle, non pas avec quelque amertume sur les lèvres,

mais avec une joie immense dans le cœur.

J’ai divisé mon exposé en dix parties : la situation du village, la fondation et les

premières années, la vie municipale, les fonctionnaires et les employés munici-

paux, la vie religieuse, les vieilles familles, la population musulmane, les fermes,

la vie économique et, enfin, une conclusion ou j’ai laissé parler mon cœur …

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Chapitre I

SITUATION DU VILLAGE

Saint-Louis, village de colonisation, est situé à 25 kilomètres à l’est d’ORAN

sur la route qui, passant par Assi-Ameur, mène à Saint-Denis-du-Sig. Ses coordon-

nées sont les suivantes : 2° 44’ de longitude Ouest et 35° 40’ de latitude Nord. Bâti

sur une colline, son altitude est de 100 mètres environ au-dessus du niveau de la

mer.

Il est formé de seize quartiers groupés symétriquement. Les quartiers extrêmes,

au nombre de huit, longs de 120 mètres, comprennent chacun douze lots

d’habitation de six ares. Les quartiers centraux longs de 80 mètres, comprennent

chacun huit lots d’habitation de six ares également.

Les rues longitudinales sont au nombre de cinq. Le boulevard de l’Est , la rue

de Legrand , l’avenue de Saint-Cloud ou avenue Edouard Bordères , la rue de Fleu-

rus ou rue Paul Boichard et le boulevard de l’Ouest . Elles ont une largeur de 10

mètres, à l’exception de l’avenue Edouard Bordères qui mesure 20 mètres. Les

rues transversales sont aussi au nombre de cinq . La plus large coupe l’artère prin-

cipale en son milieu et , comme celle-ci, divise le village en deux parties égales .

Bâti en amphithéâtre, Saint-Louis offre, au voyageur venant de la route du Sig,

un panorama agréable. Vu de la route d’Oran, il est entièrement caché par une su-

rélévation de terrain et ce n’est qu’à une distance de trois kilomètres qu’on aperçoit

le clocher. Au pied du village se trouve le cimetière avec ses superbes cyprès.

Après les jardins plantés d’amandiers, de figuiers, de grenadiers, le village s’élève

graduellement jusqu’à la route du troupeau et le plateau qui s’étend à gauche des

pins du réservoir. Le tout est embelli par les principaux monuments : l’église qui ,

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vue du trou d’eau ressemble à une basilique, le monument aux morts, la gendarme-

rie et son jardin ombragé , la mairie avec sa spacieuse place carrelée, l’école de

garçons de style mauresque, la mosquée et, depuis un an, notre maison de

l’Agriculture.

Le territoire de la commune de Saint-Louis, d’une contenance de neuf mille huit

cent vingt-quatre hectares, trente ares, vingt centiares, peut se diviser comme suit :

Saint-Louis ………………………. 2.467 ha 28 a.

Sainte-Adelaïde ………………….. 315 ha 40 a.

Toumiat ………………………….. 4.344 ha 85 a.

Concessions Lamur et Manégat… 2.000 ha

Lotissement de 1914 …………….. 516 ha 77 a. 20 cent.

En partant de la croix de mission qui se trouve près de la maison cantonière, ce

territoire a pour limites : la commune de Legrand, les Salines d’Arzew qui

s’avancent en pointe jusqu’à 600 mètres de la ferme Adrien Genthial, la forêt do-

maniale de Mouley Ismaël, le lac d’eau douce ou lac des Gharabas et les com-

munes de Ste-Barbe-du-Tlélat, Mangin, Sidi-Chami, Assi-Ameur, et Legrand.

C’est une plaine entourée à l’est, au sud et à l’ouest de collines, dont le point cul-

minant ( 311 m.) se situe au-dessus de Slatna. Le niveau le plus bas ( 58 m. ) se

trouve près de la ferme Narcisse Magrin au lieu dit El-Djirah.

Le climat est tempéré et salubre. Les plantations d’arbres et de vignes ont

adouci, quelque peu, la sécheresse des étés. La proximité de la mer ( 20 kilomètres

en ligne droite ) est un important facteur de régularisation climatique. Les hivers

sont doux. Les pluies tombent, surtout en décembre et en janvier. Quant à la neige,

elle ne fait son apparition que tous les vingt ans. Je n’ai connu qu’une seule chute,

en 1935, et le grand Communal de la Montagne était très drôle vraiment sous sa

calotte blanche.

Les vents soufflent habituellement du Nord-Est et de l’Ouest. En été, la brise

d’Arzew, qui se fait sentir à partir de trois heures de l’après-midi, rafraîchit la tem-

pérature. En hiver, elle nous envoie les pluies les plus durables. Les vents d’Ouest

moins pluvieux, se déchaînent parfois avec rage, pendant plusieurs jours, sur la

campagne. Je me souviendrai toujours de ce cyclone de l’année 1926 qui jeta la

consternation dans notre laborieuse population agricole. C’était un jeudi et, sur la

fin de la soirée, quand l’ouragan se calma, je vis ma mère pleurer, le front contre la

vitre, en songeant à la récolte détruite.

Le sol est composé d’une couche sédimentaire argilo-siliceuse qui recouvre

des couches calcaires stratifiées. La présence de fossiles

marins ( coquilles de Gastéropodes et de Lamellibranches ) dans la couche cal-

caire, permet de supposer que la plaine Saint-Louisienne faisait partie d’une dé-

pression sous-marine ou géosynclinal qui a été surélevée par des convulsions de

l’écorce terrestre pendant l’ère tertiaire. Cette surélévation a correspondu à

l’époque située entre le plissement lent et continu de l’Atlas Tellien et

l’effondrement du Continent tyrrhénique.

Les terres sont de bonne qualité : terres rouges de la plaine de Mangin qui de-

mandent beaucoup d’eau, terres sablonneuses et humides de la plaine Salée, riches

terres d’alluvions de la forêt d’Ismaël et du Lac. Le territoire

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de la commune se divise en plusieurs parties : la Côte d’Or avec ses vignes de co-

teaux, la plaine Salée, jadis si fertile et rendue maintenant presque inculte par suite

d’un manque de drainage des eaux stagnantes et d’infiltrations provenant des Sa-

lines, Sainte-Adélaïde au pied de la Platrière, le Toumiat compris entre la route

d’Arzew au Tlélat et les Salines, la Forêt d’Ismaël et ses collines onduleuses (1) ,

les terres de Ould Ameur près du Lac, celles de Slatna dominées par la colline El-

Akredj, les plateaux du Mamelon blanc, de Ben-Guermout, de Bou-Fatis et de la

Figuière, le grand Communal de la Montagne, coupé par les ravins El-Krarroub,

Courvoisier et Perrier, les plaines de Saint-Louis et de Mangin avec leurs jardins et

leurs vignobles, le Communal de la Briqueterie recouvert de lentisques et, enfin, la

plaine du Moulin.

Trois routes, bien entretenues, relient Saint-Louis aux villages environnants. Ce

sont : la route nationale n° 13, d’Arzew à Sainte-Barbe-du-Tlélat, le chemin de

grande communication d’Assi-Ameur à Saint-Denis-du-Sig coupant la précédente

route à 4 kilomètres au sud de Saint-Louis et la route rejoignant près de la ferme

Paris, celle qui, par les Hamyans, mène à Saint-Leu. Les chemins vicinaux, au

nombre de trois également, sont : la route de Saint-Louis au douar Gotni, la route

de Sidi-Chami et la route de la plaine de Mangin. Ces deux dernières routes de-

vraient être prolongées jusqu’à ces deux villages.

Les chemins ruraux, très nombreux, sillonnent la commune en tous les sens.

Permettant une circulation facile, ils ont toujours été l’objet de mesures de réfec-

tion et d’entretien de la part des différentes municipalités. La population Saint-

Louisienne s’élevait, au dernier recensement, à 3.250 habitants : 545 européens et

2.975 indigènes (2). Depuis la fondation du village, ces deux fractions chrétienne

et musulmane dont l’amitié est cimentée par des sacrifices communs, ont tou-

jours vécu en excellents termes et n’ont qu’un désir : travailler la main dans la

main à la prospérité et à l’avenir de notre village.

………………………….. (1) Constituées par des terrains argilo-calcaires du pliocène.

(2) En 1898, la population était de 1.738 habitants dont 440 français, 328 étrangers et 1.010 indi-

gènes.

CHAPITRE II

FONDATION ET PREMIERES ANNEES

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La colonie agricole de Saint-Louis a été créée le 19 septembre 1848, en ver-

tu d’un décret de l’Assemblée nationale. Elle devait comprendre les aggloméra-

tions de Saint-Louis, Assi-ben-Fréha, Fleurus, Assi-ben-Okba, Assi-Ameur,

Assi-bou-Nif, Sidi-Ali et Bréa. On lui donna provisoirement le nom de Saint-

Louis, en mémoire du Roi de France Louis-Philippe 1er qui continua la con-

quête de l’Algérie commencée sous Charles X et pendant laquelle ses fils, les

Ducs d’Orléans et d’Aumale, se distinguèrent par de brillants faits d’ armes

dont le plus heureux et le plus hardi, la prise de la Smala d’Abd-el-Kader, porta

un rude coup à la puissance de l’Emir. Dans cette même séance, du dix-neuf

septembre, un crédit de cinquante millions avait été voté pour l’établissement

des colonies agricoles de l’Algérie spécialement destinées à recevoir des fa-

milles ouvrières ou des ouvriers célibataires dépourvus de ressources.

Sur proposition du commandant de Vauban, directeur des fortifications, le

capitaine du Génie Jean-Anne-Eloy Milhroux fut nommé directeur et chargé de

la mise en œuvre de cette colonie agricole. Dès le début d’octobre mil huit cent

quarante-huit, il se rendit sur les lieux, afin de situer l’emplacement de chaque

village. Pour Saint-Louis, il fixa son choix sur la colline qui surplombait le ma-

rabout et le cimetière de Sidi-bou-Fatis.

Avant mille huit cent trente, la petite tribu de Sidi-bou-Fatis, située sur les

terrains occupés par les jardins de la sortie du village, ne devait comprendre

qu’une quarantaine de familles. Elles cultivait la riche plaine qui s’étend au

pied des communaux. La culture des céréales nécessaires à l’alimentation et

l’élevage des moutons et des chèvres, suffisaient à faire vivre cette tribu dont le

chef Messaoud bel Gotni, avait exercé, sous domination turque, les fonctions de

percepteur d’ impôts.

Après l’arrivée des français, ce douar émigra et , désertant la plaine, se fixa

définitivement sur l’emplacement actuel de Gotni.

A l’exception du vieux Bourtal qui, natif de Slatna, mourut plus que cente-

naire, en mil neuf cent trente-huit, personne parmi les vivants que j’ai connus

ne pouvait se souvenir du capitaine Milliroux. Le vieux Bourtal avait traversé la

colline de Sidi-bou-Fatis alors qu’elle n’était pas encore défrichée par les sol-

dats du génie. Des chèvres broutaient le lentisque odorant au son d’un rustique

pipeau. « Et puis, disait l’ancien, un jour, je pouvais avoir quatorze ou quinze

ans, je vis arriver beaucoup de soldats qui , sous la conduite d’un chef ; tenant à

la main un grand papier, commencèrent à tracer des chemins. » C’est tout ce

que pu me dire cet unique témoin quand je l’interrogeai sur l’origine de mon

village.

Dès que les rues furent tracées, on passa au défrichement de toute la colline

et au lotissement. Quelques maisons en bois furent construites, car la première

colonie arriva le 25 novembre. Elle se composait de 141 personnes, dont la plu-

part étaient des Parisiens déportés de 48, anciens ouvriers chassés des ateliers

nationaux et qui avaient combattu contre le Gouvernement provisoire sur les

barricades du Faubourg Saint-Antoine.

Il se trouvait aussi quelques pauvres cultivateurs de Seine-et-Marne et même

du Nord qui, délaissait le lopin de terre familial s’en vinrent chercher, en Algé-

rie, une amélioration à leur petite condition.

Ces colons, sous la conduite du Capitaine Yerlès, qui les avait accompagnés

depuis Paris, débarquèrent à Mers-el-Kébir et, après avoir attendu quelques

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jours aux cantonnements de la Casbah et de la Mosquée d’Oran, furent achemi-

nés sur Saint-Louis.

Les maisons d’habitation n’étaient pas encore construites. Les nouveaux

venus furent obligés de loger sous les tentes et des baraquements en planches.

En décembre, on se mit à construire les premières habitations qui se compo-

saient d’une pièce pour les célibataires et de deux ou trois pièces pour les fa-

milles chargées d’enfants. La compagnie du 12° léger, établi au village travailla

à la route de Saint-Louis à Assi-ben-Fréha, creusa plusieurs puits sur le terri-

toire de la commune et commença à défricher les jardins des colons. Le capi-

taine Milliroux tenait particulièrement à la culture de ces jardins, dont les pro-

duits devaient améliorer la nourriture monotone des premiers mois.

Le régime, auquel étaient astreints les colons, était presque militaire. Ils

prenaient leur repas ensemble ; ils ne pouvaient s’absenter sans l’autorisation

du capitaine et il leur fallait répondre à l’appel du matin et du soir. Cette disci-

pline était nécessaire avec une aussi turbulente catégorie de citoyens. Tous les

rapports moraux sont formels à ce sujet : il y avait, surtout parmi les céliba-

taires, une partie toujours disposée à se plaindre. Et la vie en commun entrete-

nait constamment ce mauvais état d’esprit. Aussi les débuts de la colonisation

furent loin de répondre à tout ce qu’on pouvait en attendre.

Cependant, les soldats et quelques colons commencèrent à défricher le ter-

rain. Il fallait 80 jours de travail pour défricher un hectare de terre. On avait dis-

tribué les instruments aratoires nécessaires et les bêtes de labour. Ainsi, une

paire de bœufs devait servir pour deux familles ; de même pour les gros instru-

ments tels que charrues et tombereaux.

Mais les colons, en général, n’avaient pas l’amour de la culture. C’étaient

des gens indécis, pratiquant des arts divers et qui, s’étant trouvés sans travail à

Paris, étaient venus en Afrique à défaut d’autre ressource. On trouvait là des in-

telligences bornées, des corps faibles, peu aptes à la culture. Parmi cette classe

d’hommes, certains étaient démoralisés et la maladie étant survenue, ils étaient

tout à fait incapables de cultiver la terre. Enfin, quelques-uns ne voulaient pas

travailler et ne tenaient qu’à décourager les autres. Un de ceux-là, fut même

condamné à huit jours de prison pour avoir répondu, d’un ton insolent, au capi-

taine : « Je ne suis pas venu ici pour travailler ! » Aussi, après des admonesta-

tions amicales, le capitaine finit par demander l’expulsion définitive de ces sin-

guliers apprentis colons. Heureusement, quelques colons étaient pleins de

bonne volonté tels Jean-François Vincent qui acclimata des plans de vigne de

Mascara et Henry Costérisan qui acheta un métier à tisser.

Voici les noms des premiers colons de mil huit cent quarante-huit :

Liégeois,Lafont, Boulogne, Guenaire, Logogué , Coutet, Sergent, Joannès, Vi-

vier, Bron, Levasseur, Chevalier, Campeaux, Nevins, Gaudiot, Bruyère, Gas-

ton, Fusilier, Denis, Vigoureux, Lefèbre, Garland, Durand, Henriet, Chauffé,

Chartier, Cercelet, Maire, Vincent, Copin, Caruel, Bellesort, Jeunet, Perrin,

Hurbin, Dubanchet, Nicolas, Hauduroy, Ayel, Gerbeau, Deschamps, Neveux,

Farcy, Badian, Claudel, Boig, Capeille, Brunel, Gautier, Lambrilty, Carrière,

Déveneaux, Costérisan, Boulanger, et Gateau.

En décembre, 1848, pour un motif qui demeure obscur, le nom de Saint-

Louis fut remplacé par celui d’Aboukir, brillante victoire de Bonaparte sur les

Turcs. Vers la fin janvier 1849, l’appellation primitive est rétablie et le directeur

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envoie quelques lignes au Général : « C’est aux ordres supérieurs que j’ai obéi

en remplaçant le nom de Saint-Louis par celui d’Aboukir. Nul plus que moi ne

trouve que Saint-Louis, en versant pour la France son sang et son dernier soupir

sur la terre d’Afrique, avait bien mérité de donner son nom à un pauvre village.

Quand j’ai dû le débaptiser pour nommer ce village Aboukir, quelque glorieux

souvenir que ce nom éveillât en moi à l’honneur de ma patrie ; j’ai bien regretté

le premier nom de notre colonie. Aussi, quand l’ordre est venu de le nommer de

nouveau du nom de Saint-Louis, je n’ai pas été le dernier à saluer la bannière du

Saint-Roi. »

Au début de février 1849, il y avait, à peu près, 14 hectares défrichés et 4

hectares mis en culture et semés en graines potagères. Malgré une demande du

directeur, il n’y avait pas encore d’agent de culture ; quelques jardiniers intelli-

gents guidaient les autres colons. Le village possédait 5 puits d’eau potable et

15 puits pour l’arrosage des jardins. L’élevage était à peu près inexistant : 5

vaches et une chèvre alimentaient en lait les enfants et les malades.

Le cheptel ( 40 bœufs de labour et 5 chevaux de trait ) était gardé le soir dans

un parc, situé sur l’emplacement actuel de la maison Pastor. Cette mesure de

sécurité était nécessaire pour prévenir les nombreux vols occasionnés par des

nomades. La construction des maisons ayant été activement poussée ( on avait

bâti un four à chaux et les moellons se trouvaient à proximité du village )

Une vieille maison de colonisation

Cette maison qui appartenait au colon Vidal Roumieu est occupée actuellement

par son arrière petite-fille Madame Raphaël Ortéga

les colons furent logés dans leurs nouvelles habitations, dès le début d’août. Aussi ,

dans son rapport de fin de mois, le capitaine écrivait : « Depuis que le village est

établi sur la colline et que les colons sont logés dans les maisons, l’état sanitaire

s’est considérablement amélioré ; le pays est salubre ; l’avenir du village me paraît

assuré, l’établissement existe : il ne sera pas abandonné. »

Cependant, le peu de valeur des premiers colons fut une entrave considérable à

l’essor de la colonisation. Ces hommes, habitués à la vie variée de la grande ville,

se faisaient très difficilement à la vie uniforme et pénible du cultivateur. Après

l’exubérance des premières semaines, une incurable nostalgie les poussait à retour-

ner au pays natal. Le capitaine fut assailli par des demandes de rapatriement ; il ne

donna suite qu’à celles motivées par un état physique déficient. La vie relâchée de

certaines familles atteignait même les soldats de la compagnie bivouaquant au vil-

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lage, ainsi que nous le montre une lettre, au général commandant la subdivision : «

J’ai l’honneur de vous demander de vouloir bien, s’il est possible, renouveler les

détachements qui se trouvent dans les villages de la colonie de Saint-Louis. Le

long temps depuis lequel ces détachements sont dans les villages, le relâchement

de la discipline résultant des connaissances qu’ils ébauchent avec les colons, font

qu’il n’est plus possible de ne rien obtenir de la généralité. Ces soldats, en dehors

de leur travail militaire, travaillent pour les colons à un prix plus élevé que celui

donné par l’Etat. A chaque instant, je suis obligé de punir et punirais plus encore si

je ne craignais de paraître trop m’immiscer dans le service de la compagnie. » Aus-

si, le capitaine Caton, commandant le camp de Saint-Louis, reçut cet ordre : «

Tout soldat qui, après l’appel du soir, se trouvera dans la baraque d’un colon ou

même dans les rues du village, sera puni de huit jours de garde. »

Malgré ces petites misères, le travail continuait, dirigé par la poigne de fer et

la grande intelligence du capitaine Milliroux : tracé des terrains de grande culture,

plantation de trois cents arbres, route vers Gotni, creusement de puits, construction

d’une forge et d’une boulangerie, sur l’emplacement actuel de la maison Sarrazin.

Dans son travail administratif, assez considérable, le capitaine était aidé par le ma-

réchal-des-logis Gravelle et le colon Descas. Celui-ci, jouant un double jeux ( il se

posait auprès des colons comme leur défenseur et auprès du capitaine comme leur

accusateur ) , fut remplacé par le sieur Venghert, ancien sous-officier libéré, tra-

vaillant bien et connaissant le service. Le vaguemestre était le colon Lebarbu,

d’Assi-bou-Nif, qui venait, à Saint-Louis, trois fois par semaine.

Pendant l’été, malgré les fièvres, la dysenterie et l’ophtalmie occasionnées par

la chaleur et les brouillards, on continua le défrichement pour que les terres fussent

aptes à recevoir, en automne, les premières semences. Sous un soleil implacable,

les colons se trouvèrent perdus dans leurs hectares, au milieu de ces forêts de

broussailles et de ces mers de palmiers-nains. Des renforts, en soldats, furent de-

mandés pour activer le défrichement, afin que chaque colon pu avoir deux hectares

de terrain défrichés.

Pour lutter contre la monotonie du travail isolé, le capitaine essaya d’associer

les colons : la société formée ne dura que six semaines, puis tout se disjoignit et

chacun reprit son travail isolé. Il manquait à ces premiers colons l’intelligence

agricole, la force et le désintéressement.

Deux entrepreneurs, Joseph Aldeguer et Antoine Ritiano, s’engagèrent à défri-

cher 500 hectares par an, l’administration militaire leur prenant le bois au prix in-

diqué à Oran. Au début de septembre, une pépinière fut créée près de figuières, en

bas du village : cent kilogrammes de graines de mûriers, d’acacias, de figuiers, fu-

rent semés. Afin de protéger les jeunes arbres déjà plantés, il fut interdit de laisser

les bêtes domestiques en liberté.

Dans le village, on continua les constructions, exécutées par l’entrepreneur

Capeille. Les maisons affectées au service de la colonie, étaient la maison du direc-

teur, la maison-chapelle, la maison-école, les bureaux du Génie et la maison de se-

cours où l’on soignait les malades dont l’état ne nécessitait pas le transfert à l’ hô-

pital. Le chirurgien sous-aide, Driard, assurait le service de santé.

Le 22 octobre, commença l’invasion du choléra. L’état sanitaire étant défi-

cient par suite de l’épuisement provenant de la fatigue du travail, la maladie fit

bientôt de terribles ravages. Les corps usés succombaient l’un après l’autre. Une

ambulance fut aménagée : ses 16 lits furent occupés. La maison de secours regor-

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gea de malades. Les maisons inoccupées servaient aussi d’infirmerie. Une sorte de

panique s’empara de la population. Les bien portants voulurent fuir, mais le village

fut consigné. Pendant que les colons voyaient avec anxiété périr les leurs, inquiets

sur la maladie et sur ses suites, les soldats calmes et tranquilles, conduisaient les

bœufs et labouraient le sol. Certains militaires mêmes se moquaient gaiement du

danger, tel le sous-lieutenant de la légion étrangère Schramm qui, monté sur un

âne, se promenait la nuit dans les rues du village en chantant des couplets à la

mode. Une cinquantaine de morts, tel est le bilan de cette sombre épidémie. Lors-

qu’elle s’atténua, certains préférèrent retourner en France, comme l’honnête et

sage colon Bruyère, sculpteur de sa profession, qui eu l’honneur de présenter une

statuette au général, commandant la division, lors de son passage à Saint-Louis.

De nombreuses maisons étaient devenues vacantes et la terre attendait des bras

robustes. Les soldats libérables Merle, Fagès, Fontaine, Couteau, Reine, Lacoste,

Bardt, originaire d’Angleterre, Pétremant, Sombielle, Lehman, et Martinet, furent

placés comme colons, à la fin de 1849 et au début de 1850. Des bretons, des Arié-

geois et des originaires de diverses provinces, vinrent compléter les vides dans le

courant du premier semestre de 1850. J’ai pu relever quelques noms : Maillé, Ruff,

Manaud, Séguillon, Lebars, Guillou, Bastard, Saurat, Bellon, Louet, Ledantec,

Guégon, Bouguesc, Mangeot, Galy, Dejean, Paulet, Petit, Mas, Delyper, Martin,

Housseman, Delannoy, Daigremont, Lemaire, Davout, Rose, Meffrain, Rigal, Ar-

tigouha Bernard, Bouton, Placide, Lapeyre, Clerc, Mottet, et Barloy qui devint

agent de la culture, mais qui, malheureusement, fit peu et parla beaucoup. Les co-

lons s’occupèrent sérieusement de leurs affaires. L’avantage qu’ils avaient sur

leurs devanciers, de trouver une partie du premier travail fait, les mettait à même

d’ensemencer de suite leurs jardins. A quelques-uns échurent des lots où il y avait

peu de choses à faire. La perspective d’une récolte soutenait leur courage. De plus,

ils ne changeaient pas d’état ; ils continuaient un travail qu’ils connaissaient ; ils

s’y livraient avec d’autant plus de plaisir qu’ils ne l’avaient jamais exécuté dans de

meilleures conditions. Autrefois serviteurs des autres, ils travaillaient maintenant

pour eux et ils savaient ne pas s’affliger des misères du commencement.

Le capitaine fit carreler les maisons terminées et relier les maisons exté-

rieures par un mur de clôture, en mortier de chaux. Il chargea le meunier oranais

Joachim Sanchez, de construire le moulin à vent (1). Le ravitaillement était assuré

par le sieur Campillo de Saint-Cloud.

Malheureusement, par suite de sécheresse excessive, la récolte fut mau-

vaise ; une tentative d’acclimatation du coton échoua. L’été particulièrement chaud

et pénible, ramena les fièvres et les insolations.

Au début de novembre, alors que les colons commençaient les labours, le choléra

refit son apparition, plus terrible encore que celui de l’année précédente ; on enre-

gistra 77 décès. Le chirurgien sous-aide Driard, sur pied à toute heure du jour et de

la nuit, se dépensa sans compter et mérita ainsi la médaille du service de santé qui

lui fut décernée par la suite. Certains colons épouvantés, en particulier les Bretons,

renoncèrent à tous les avantages qui leur avaient été concédés et rentrèrent dans la

mère-patrie. L’œuvre colonisatrice, était bien compromise. Il fallut faire appel à

d’autres colons qui arrivèrent à la fin de 1850 et au début de 1851. Ce sont entre

autres, les nommés : Salvy, Soulier, Gérard, Trouin, Phalipon, Desseaux, Capel,

Lacroix, Parisy et Pagès. A ce moment, toutes les habitations, au nombre de 148,

étaient construites. Les chemins menant aux villages limitrophes (Mangin, Assi-

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Ameur et Assi-ben-Fréha), en partie achevés, permettaient une circulation plus fa-

cile. Les plantations d’arbres furent continuées. On construisit les abreuvoirs et le

lavoir, alimentés par l’eau d’un puits, situé dans le village et pourvu d’une noria.

Quelques colons commencèrent à tenir le commerce des choses nécessaires à la vie

usuelle. L’importance de ce commerce était minime ; il ne servait qu’à défrayer les

colons du défrichement qu’ils faisaient faire par des étrangers.

Le revenu de la commune était alors de 750 francs. Il se décomposait ainsi :

Une plantation de figuiers de barbarie de 10 hectares, louée. 100 Frs

Une réserve forestière de trois cents hectares, louée……… 50 Frs

Une boulangerie, louée ………………………………………. 300 Frs

Un moulin à vent, loué ………………………………………. 300 Frs

Ces chiffres d’une époque révolue, amènent le sourire à nos lèvres !

………………………….. (1) Ce moulin qu’on aurait dû conserver comme un fier témoin de la première vie Saint-

Louisienne, a été malheureusement détruit, il y a une trentaine d’années.

Au premier février 1851, la population comprenait 327 habitants, dont 117

hommes, 125 femmes et 45 enfants. Le 11 février, par arrêté présidentiel, le village

était officiellement crée. Voici cet arrêté :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,

Le Président de la République ,

Vu les ordonnances du 21 juillet 1845 , 5 juin et 1er septembre 1847 , sur les

concessions en Algérie ,

Vu le décret de l’Assemblée Nationale du 19 septembre 1848, portant la créa-

tion des colonies agricoles, en Algerie, sur le rapport du Ministre de la Guerre ,

Décrète :

Article 1er. – La colonie créée, en vertu du décret de l’Assemblée Nationale, du

19 septembre 1848, à 24 kilomètres à l’est d’Oran et à 10 kilomètres au sud de

Saint-Cloud, prendra le nom de Saint-Louis.

Article 2 . – Un territoire agricole de 2.492 hectares, 98 ares est affecté à ce

centre de population qui est délimité, conformément au plan annexé.

Article 3 . – Les terres qui resteront disponibles après l’allotissement fait faveur

des colons agricoles, conformément au décret sus-visé et qui ne seront pas com-

prises dans la réserve communale instituée par l’ordonnance du 5 juin 1847, seront

réservées pour des concessions non-subventionnées.

Article 4 . – Le Ministre de la Guerre est chargé de l’exécution du présent dé-

cret.

Fait à l’Elysée National, le 11 Février 1851.

Signé : Louis-Napoléon Bonaparte.

Le Ministre de la Guerre ,

RANDON

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En 1851, la récolte venant encore à manquer, les colons furent obligés de faire

du fourrage autour des Salines et sur le territoire de Gotni.

L’été torride ramena, pour la troisième fois, le choléra. L’épidémie débuta le

10 août et atteignit surtout, le village d’Assi-ben-Fréha. Encore soixante dix-sept

morts pour les deux communes. On dut demander d’urgence une ambulance sup-

plémentaire. Les soldats furent frappés aussi. Un soldat de la Légion étrangère

étant mort, le capitaine Marty, commandant du camp, demanda, au Directeur, du

bois de faire une bière. Celui-ci lui répondit qu’il n’avait pas de bois pour cet

usage. De colère, le capitaine Marty écrivit au colonel, commandant la subdivision

qui, pour toute réponse, traça ces quelques mots sur la missive du capitaine : «

Prière de demander à M. Marty ce qu’il ferait s’il était sur les hauts-Plateaux ? »

Rigueur des temps qui respiraient encore les servitudes et les grandeurs de cette

pénible et héroïque épopée africaine !

La maladie s’atténuant, dès novembre, on commença les semailles. Afin que tous

les colons puissent semer, on porta l’effectif des bœufs, de 106 à 148 ; l’automne

et l’hiver pluvieux, encouragèrent à emblaver le maximum de terres disponibles :

610 hectares furent livrés à la semence.

En 1852, arriva un fort contingent d’Alsaciens-Lorrains, de Francs-Comtois et de

Méridionaux, dont voici les noms : Vallet, Mottes, Lassus, Sarrazin, Bilger, Aubry,

Jeanneret, Bœuf, Thiédey, Boudin, Grambin, Pomel, Fortin, Allembrand, Schakey,

Perrier, Courvoisier, Wilhem, Elchinger, Caralph, Adam, Schmitt, Dufès, Ollier,

Roumieu, Pététin, Amidieu, Gabel, Maugé, Xinxet, Formet, Rafaéli, Lux, Docteur,

Wahl, Schoering, Bouchon, Milliot, Soipteur, Schmalz, Dornier, Girardin, Coulon,

Guy, Roy, Issartel, Braud, Vernet, Genthial, Clément Aldebert et Antoine.

De 1853 à 1858 arrivèrent les familles Gibert, Olivier, Huc, Grouzard, Artigou-

ha Jean-Pierre, Caillau, Michel, Vidal, Vanouche, Castel, Debouche, Bringuier et

Ancessy.

Nous sommes ici, en présence de gens sérieux, bien disposés à coloniser et

ayant, d’ailleurs, toutes les qualités pour cela. Chaque colon avait 5 hectares ense-

mencés. Pendant le mois de janvier 1852, de nouveaux labour eurent lieu pour se-

mer le maïs et diverses graines. Le jardinage offrait quelques ressources pour

l’alimentation. L’outillage était convenable. Les colons avait tous une paire de

bœufs ; une voiture servait à deux familles. L’état sanitaire satisfaisant permettait

un travail régulier. Pour la première fois, depuis la fondation du village, la récolte

fut bonne, et les colons purent livrer à l’administration : 500 quintaux de blé dur,

875 quintaux d’orge, 1.175 quintaux de paille longue et 600 quintaux de paille

courte. Le moulin à vent bluta de la fine fleur de farine. Après tant de déceptions et

de misères, la joie régna, enfin, dans les cœurs. Et le capitaine Milliroux, dont le

mandat touchait à sa fin, écrivit ces quelques lignes qui clôturent la période stric-

tement militaire : « Il est inutile d’accorder de subventions aux colons, car la ré-

colte a été bonne et ils sont pourvus de tout ce qui est nécessaire pour le travail. Ils

ont besoin d’être abandonnés à eux-mêmes et le moment pour le faire est favo-

rable. Ils doivent sentir le besoin de développer l’esprit d’industrie qui seul peut les

sauver. »

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CHAPITRE III

LA VIE MUNICIPALE

De 1848 à 1852, c’est le capitaine Milliroux qui fait fonctions d’officier de l’état-

civil. Il n’existe pas de conseil municipal. Le directeur prend les initiatives, les fait

exécuter par le sous-directeur, le lieutenant Blondin, et entretient une volumineuse

correspondance avec ses supérieurs : les généraux, commandant la division et la

subdivision, le colonel Tripier, directeur de la colonisation et le lieutenant-colonel

De Vauban, directeur des fortifications. Très jaloux de son autorité, il n’admet pas

l’ingérence des premiers colons dans son administration, jugeant avec raison, que

des hommes subventionnés par l’état et considérés presque comme des soldats, ne

sauraient être des citoyens libres. Le colon Mottet ayant écrit au général, afin que

celui-ci conserve aux trois orphelins Sergent la concession de leurs parents, avait

signé sa lettre « Au nom du conseil municipal ». Le capitaine répondit : « Le sieur

Mottet a outre-passé ses droits ; il n’existe pas à Saint-Louis de conseil municipal

et il ne saurait en exister pour le moment ».

D’ailleurs, ces premiers colons ne possédaient que l’esprit critique. Pour lutter

contre l’autorité de leur directeur, ils eurent même l’idée de créer des clubs poli-

tiques, dont le plus actif était celui de Sidi-Ali. Et souvent le capitaine Milliroux

eut à se défendre contre leurs libelles. Il finit par supprimer ces clubs illégaux.

La première commission consultative fut instituée en 1850. Elle n’avait rien des

prérogatives d’un conseil municipal actuel. Elle était destinée seulement à discuter

les intérêts de la colonie. Ce fut le capitaine qui eut l’initiative de sa création, car la

colonisation était assez avancée et de multiples problèmes d’ordre pratique néces-

sitaient l’avis de sages conseillers. Cette commission, présidée par le directeur,

était composée du ministre du culte, l’abbé Malo, du chirurgien Driard, de

l’instituteur Bouton, membres naturels de la commission, du colon Barré, élu à As-

si-ben-Okba, du colon Pommier, élu à Assi-bou-Nif et du colon Glain, élu à Man-

gin.

Cependant, la commission consultative de 1851 ressemble déjà à un conseil mu-

nicipal. Elle comprend le capitaine-directeur, président, l’abbé Malo, l’instituteur

Bouton, le chirurgien de service Frétin, les colons Petit et Vernet de Saint-Louis et

le colon Barot d’Assi-ben-Fréha. A cette époque, le territoire de la colonie se mor-

celle en communes indépendantes. Les villages de Saint-Louis et Assi-ben-Fréha

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forment une seule commune jusqu’en 1886, date de leur séparation définitive.

Dans sa séance du 30 juillet 1851, la commission consultative émet le vœu sui-

vant : « Vu les trois mauvaises années et la maladie,la commission consultative,

réunit ce jour en la maison commune, demande que l’Etat continue cette année la

donation des semences et, jusqu’à la récolte prochaine, la subvention allouée an-

nuellement ».

Le capitaine Milliroux fut un administrateur intègre. Sous des dehors sévères,

c’était un parfait honnête homme et un esprit clairvoyant jusque dans les moindres

détails. Il a, durant ces années de misère et de maladie, bataillé sans relâche pour

l’avenir de sa colonie agricole et le bien-être des colons. Parfois, malgré eux, il a

voulu leur bonheur. De mauvaises gens ont compliqué sa tâche ingrate en

l’accusant de sévérité excessive, de parti-pris et même de vénalité. Il n’en fut rien.

Et voici quelques passages d’une lettre qu’il écrivit le 31 janvier 1849, au général,

pour se justifier des critiques odieuses dont il était l’objet : « J’aime assez

l’homme pour respecter avant tout sa dignité d’homme, beaucoup plus que sa di-

gnité de citoyen, chose d’hier, tandis que je considère sa dignité d’homme comme

chose de toute époque, et je me permettrais de dire avec toute la loyauté d’un hon-

nête homme que, si je suis un bourru personnage, au moins suis-je un bourru bien-

faisant, plusieurs signataires de la dénonciation, la personne elle-même qui, à ma

connaissance, la portait à Paris, ont été l’objet de cette bienfaisance bourrue sans

en avoir conscience. Quant au dévouement, les pétitionnaires me feront difficile-

ment croire que je n’aie jusqu’ici beaucoup donné et que je ne sois prêt, malgré

leurs plaintes causées, en grande partie, par une misère que je reconnais, à leur

donner beaucoup encore de mon temps, de mes peines, de ma santé ».

Au printemps de 1852, le capitaine Milliroux initie un jeune colon, Adolphe

Grambin, à la gestion municipale. Celui-ci travailla quelques mois au bureau du

capitaine, dressant les actes de l’état-civil, recevant les bons conseils du directeur

qui le proposa comme maire à l’autorité supérieure. Nommé le 1er juillet 1852,

Adolphe Grambin fut le premier maire de Saint-Louis. Né à Grenoble, en 1820, il

avait servi dans l’armée d’Afrique comme caporal-fourrier. Son écriture, sa façon

de rédiger un rapport attestent qu’il était rompu au travail bureaucratique. Sa signa-

ture élégante révèle un esprit intelligent et, je dirais même, aristocratique. Sans nul

doute, il était l’homme le plus capable de succéder au capitaine Milliroux. Et ce

choix atteste encore la perspicacité du directeur.

Adolphe Grambin fut maire de Saint-Louis jusqu’en 1860. Il eut comme adjoints

Jean-François Vincent et Alexandre Laloue. Le conseil municipal était complété

par les conseillers Placide, Guenaire, Jomain et Artigouha. La maison commune,

ancienne habitation du capitaine Milliroux, devint, en 1857, le siège de la brigade

de gendarmerie. Adolphe Grambin fit alors bâtir une mairie sur l’emplacement ac-

tuel de l’édifice municipal. Sous son mandat, le village fut érigé en commune de

plein exercice, le 31 décembre 1856.

Nicolas Docteur lui succéda. Né, en 1801, à Simmern ( Bas-Rhin ), c’était un

ancien douanier. Il améliora le réseau routier et fit construire le puits communal,

situé près du jardin public. Ce puits a rendu de grands services aux éleveurs et,

pendant la saison sèche, aux fermiers de la fôret d’Ismaël. Intelligent et sérieux,

Nicolas Docteur a laissé le souvenir d’un administrateur avisé et minutieux. Il eut

comme adjoints Bernard Artigouha et Alexandre Laloue. Malade, dans les derniers

mois de 1865, il du abandonné sa charge et c’est son adjoint d’Assi-ben-Fréha,

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Alexandre Laloue qui le remplaça en 1866. Né, en 1800, à Cambrai, Alexandre

Laloue était un colon qui avait su prospérer, puisqu’il avait bâti une ferme sur le

territoire de Sainte-Adelaïde. Il administra sagement les deux villages, secondé par

les adjoints Antoine Placide et Xavier Salomon.

Antoine Placide, né à Metz, en 1820, fut nommé maire, le 15 octobre 1870. Co-

lon et cabaretier, il agrandit sa concession après avoir élevé une nombreuse fa-

mille. D’une activité débordante, il était aussi très sensible aux misères de ses ad-

ministrés.

Un jour ( c’était en 1873 ), il réunit son Conseil municipal pour l’inviter à faire

la remise aux sieurs Housseman, de Saint-Louis et Félix Bôle, d’Assi-ben-Fréha,

de tout ce qu’ils devaient de semences, vu qu’ils étaient dans l’indigence. Mais le

Conseil municipal, après discussion, à la majorité de quatre voix contre deux, arrê-

ta que les dits Housseman et Bôle devaient payer la quantité de semences qu’ils

avaient obtenue. Le maire regretta vivement que le conseil se fût montré si rigou-

reux, car il prétendait que ces deux colons étaient réellement dans l’indigence,

qu’ils ne pourraient payer et que les frais seraient à la charge de la commune. Mal-

gré cette observation, le préfet, Jules Mahias, ne pu qu’approuver la décision du

Conseil municipal.

Antoine Placide eut comme adjoints Bernard Artigouha et Xavier Salomon.

Sous son mandat, on commença à construire la nouvelle église. A cette époque, le

Conseil municipal comprenant les conseillers européens Acessy, Coulon, Louvet et

les conseillers indigènes Abdallah-ben-Abed et Miloud-ben-Abdallah, était com-

plété par les plus fort imposables de la commune : Bilger, Vernet, Joseph, Olivier,

antoine Phalippon, Courvoisier, Perrier, Roy, Petitdemange et Masson. Dans sa

séance du 28 octobre 1871, le Conseil municipal approuva l’idée de désannexer la

section d’Assi-ben-Fréha pour l’ériger en commune. Du 16 avril 1874 au 18 oc-

tobre 1875, Xavier Salomon fut maire de la commune. Né à Setfontaines ( Doubs

), en 1837, c’était un homme plein de pondération. Il apaisa les querelles qui

s’élevaient souvent au sujet des intérêts des deux sections. Très pieux, il poussa

activement la construction de l’église. Ses adjoints furent Bernard Artigouha et Ju-

lien Landelle.

Justin ANCESSY

( 1853-1905 )

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Du 24 février au 27 mars 1881, le conseiller Antide Olivier fit fonctions de

maire, en vertu d’une délégation du préfet d’Oran. Né, en 1841, à Villemenfroy (

Haute-Saône ), il fit longtemps partie du Conseil

Municipal où il fut, toujours, secrétaire des séances. C’était une figure originale et

sympathique. Quelques vieux Saint-Louisiens se souviennent encore de sa sil-

houette robuste et de ses grosses moustaches tombantes qui lui donnaient l’allure

d’un guerrier Gaulois.

Le 27 mars 1881, Justin Ancessy, né en 1853, à Roquefort des Corbières (

Aude ), fut élu maire. Pour la première fois à Saint-Louis, le maire était, non pas

nommé par le préfet, mais désigné par son Conseil municipal. Pour la première

fois aussi, on relève le nom d’un conseiller étranger : Antoine Galant. Justin An-

cessy fit construire la nouvelle gendarmerie. Il eut comme adjoints Auguste Cou-

lon et Constant Nicod.

Le 1er juin 1884, Jules Masson, né en 1841, à Lallet ( Jura ) lui succéda et fut

maire jusqu’à ce que le village d’Assi-ben-Fréha qui avait pris, le 3 août 1884, le

nom de Legrand ( Général de brigade ayant commandé en Oranie et tué, en 1870,

dans la sanglante bataillede Gravelotte ), devint commune indépendante.

Très respecté, Jules Masson ne manquait pas de venir tous les matins à Saint-Louis

où l’appelait sa charge municipale dans laquelle le secondèrent les adjoints Théo-

phile Najotte et Grégoire Espiard. Il eut à arbitrer de graves conflits, entre les con-

seillers des deux sections, au sujet de la ligne de démarcation des deux communes

et de la construction de la mairie de Legrand. La séparation des deux villages fut

une mesure sage qui mit fin à des rivalités nuisibles aussi bien pour Saint-Louis

que pour Legrand.

Jules Masson ayant été élu maire de Legrand, le 31 décembre 1885, Justin

Ancessy était de nouveau maire de Saint-Louis, avec comme adjoint Auguste Cou-

lon. Pour la première fois dans les annales de la vie municipale, le conseil créa des

difficultés à son maire te à son adjoint.

Pour une raison qui demeure secrète, Messieurs Ancessy et Coulon donnè-

rent leur démission et le Conseil fut convoqué le 16 janvier 1888, afin d’élire le

maire et l’adjoint. Après trois tours de scrutin, Messieurs Jeanneret et Vidal, élus

au bénéfice de l’âge, déclarèrent séance tenante de ne pas accepter ces mandats. A

chaque tour de scrutin, Messieurs Ancessy et Coulon, d’une part, Jeanneret et Vi-

dal, d’autre part, avaient obtenu chacun six voix. C’était la scission du Conseil en

deux parties égales et irréductibles. Le 22 janvier, seconde séance : aussitôt après

lecture de l’ordre du jour, la fraction dissidente demande, au préalable, des explica-

tions sur la démission de Messieurs Ancessy et Coulon. Une vive discussion

s’engage à la suite de laquelle les conseillers Placide, Martinet, Vidal, Artigouha et

Girardot quittent la salle après avoir dit qu’ils ne prendraient point part au vote. Le

président lève alors la séance, sauf à demander des explications à Monsieur le pré-

fet danS le cas ou pareil incident se reproduirait.

Le 5 février, troisième séance ou personne ne se présente. Le 12 février, qua-

trième séance ou seul M.Grouzard est présent. Le 19 février, cinquième séance ou

seul M. Coulon est présent. Le président décide alors de soumettre le cas au préfet

qui sera prié instamment de prendre telles mesures qu’il jugera convenables. Et

c’est la dernière convocation du 2 mars, qui se terminait par cette brève apostille :

« Monsieur le préfet assistera à la réunion ».

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Le 4 mars, le Conseil municipal au grand complet, présidé par M. le Préfet, ac-

corde à l’unanimité un vote de confiance à M. le maire et à M. l’adjoint et prie ces

messieurs de vouloir bien continuer à administrer la commune jusqu’aux élections

prochaines.

Joseph PLACIDE

( 1852-1916 )

Plus que de longs discours, la présence du représentant du Gouvernement, peut-

être en grande tenue pour la circonstance, aplanit les difficultés de ce turbulent

Conseil municipal.

Le 17 mai 1888, Joseph Placide, né en 1852, à Saint-Louis, est élu maire. C’est le

premier enfant du village à ceindre l’écharpe tricolore. Plein d’exubérance et

d’initiative, il était jovial et de bonne société. Bon nombre de Saint-Louisiens se

souviennent du père Placide qui, tout en faisant valoir ses terres, assurait le service

des diligences. Il eut comme adjoint Auguste Girardot, homme instruit et d’une

dialectique subtile. Le 17 octobre 1890, Antoine Duchêne, ancien gendarme, rem-

plaça Joseph Placide démissionnaire. Il géra la commune jusqu’aux élections géné-

rales et eut comme adjoint Auguste Vidal.

Le 15 mai 1892, Hippolyte Bringuier, né en 1861, à saint-Louis, est élu maire (1).

Il était apparenté aux familles phalippon , Genthial et Ancessy toujours représen-

tées au Conseil municipal. C’était un homme d’une rare distinction et d’un grand

cœur. Il n’y a pas longtemps que je le nommais dans une humble famille. On me

répondit : « C’était la bonté même ; c’était le père des pauvres ».

Hippolyte BRINGUIER

( 1861-1927 )

Je l’ai connu. Je pouvais avoir dix ans quand il es mort et je me souviendrai tou-

jours de son air affable, malgré la paralysie qui l’avait frappé. Républicain de la

belle époque où l’on ne manquait jamais de fêter le 14 juillet, sa mémoire est digne

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de respect. Aussi, j’apprendrai aux jeunes à connaître et à aimer son nom. Avec ses

adjoints : François Ruquet ( jusqu’en 1897 ) et George-Antoine Martinet, Hippo-

lyte Bringuier entreprit de grands travaux : construction de la nouvelle mairie et du

clocher de l’église. Ami de l’arbre, il étendit les plantations : oliviers de la route de

la plaine de Mangin, ficus de la place de la Mairie, cyprès du cimetière.

……………

(1) Sa liste avait obtenu 102 voix sur 103 votants.

En 1904, Edouard Bordères, né en 1852, à Montégut (Hautes-Pyrénées) , ancien

instituteur et secrétaire de mairie lui succéda.

Esprit méthodique, d’un abord qui inspirait le respect, c’était un homme connais-

sant à fond les rouages de la vie municipale. Secondé par ses adjoints Georges-

Antoine et Eugène Martinet, colons avertis des choses de la terre, on lui doit de

nombreuses réalisations : école de garçons, école de Gotni, école mixte de la forêt

d’Ismaël, construction d’une troisième classe de filles, création d’une bibliothèque

communale, adduction et distribution de l’eau d’Assi-ben-Okba, plantation des fi-

cus de la grande rue et des pins du Réservoir, entourage de la place de l’église et de

la gendarmerie, carrelage de la place de la Mairie. Edouard Bordères mourut en

décembre 1916, alors que le village avait encore besoin des services de cet homme

éminent. Pour honorer sa mémoire, on a donné le nom d’avenue Edouard Bordères

à l’artère principale de notre village.

Pendant cette sombre année 1916, Saint-Louis perdit aussi son adjoint, Eugène

Martinet, que ses concitoyens tenaient en haute estime. Pendant trois ans, le pre-

mier conseiller Constant Pétremant fit fonctions de maire. Né à Saint-Louis, en

1866 ( ?) , il était conseiller municipal depuis 1900 ( ?). Jusqu’à sa mort , il con-

serva ce mandat. Sa tâche fut lourde, souvent ingrate, mais il s’en acquitta digne-

ment.

En 1919 , des élections eurent lieu et Emile Wahl, né à Saint-Louis, en 1874, fut

élu maire avec comme adjoint François Dornier. Tous deux

étaient les petits-fils de colonisateurs de 1852. Nous leur devons la plantation des

eucalyptus du jardin public, la réfection de nombreux chemins et la création d’une

société musicale qui, sans la mort prématurée des meilleurs de ses membres, était

appelée à un bel avenir. Emile Wahl encouragea les petits cultivateurs, les protégea

contre les usuriers sans scrupules. Certains lui sont redevables d’une position so-

ciale meilleure.

En 1925, M. Auguste Lamur, né à Oran, en 1892, fut élu maire après une pé-

riode électorale mouvementée. De mémoire de Saint-Louisiens, jamais les passions

politiques n’atteignirent un tel paroxysme. Un vent de haine souffla quelques

temps sur cette vieille colline. On pourrait donner, à cette époque, le nom d’une

tragédie de Racine : « La Thébaïde ou les frères ennemis » . Je me souviens d’avoir

vu des scènes qui auraient pu inspirer le talent pictural d’un Goya. Pendant

quelques années, le village resta divisé en deux fractions. Homme cultivé et d’un

grand cœur, M. Lamur secourut beaucoup de misères. On lui doit l’érection du

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monument aux morts et l’électrification du village. Les fêtes patronales, déjà re-

nommées avant lui (1) , ont laissé un souvenir inoubliable.

Désirant se fixer définitivement à Oran, M. Lamur démissionna en 1931, et fut

remplacé par son adjoint Justin Placide qui, né à Saint-Louis en 1864, est le troi-

sième de ce nom élevé à cet honneur. Justin Placide était fort estimé de ses admi-

nistrés qui savaient découvrir sa bonté sous sa rude bonhomie.

En difficulté avec une partie de son Conseil municipal, il préféra démissionner,

en décembre 1932, afin d’éviter des querelles que son esprit conciliant réprouvait.

Il eut comme adjoint Louis Bru.

---------

(1) << La fête de Saint-Louis est une des plus fréquentées de celles des environs d’Oran,grâce

aux nombreuses attractions proposées aux étrangers. Tenez pour certain qu’on s’amuse ferme à

Saint-Louis,alors que quatre soirées de bal ont été une agréable diversion après les moissons,les

dépiquages et les vendanges >>.

<< L’Illustré Algérien >> . Paul Boichard, né en 1876 aux Combes ( Doubs ) , ancien directeur d’école et se-

crétaire de mairie , lui succéda. Sa vie offre des ressemblances frappantes avec

celle d’Edouard Bordères. Ce fut le maire de la concorde. Le temps ayant

éteint bien des rancunes, il fit l’union tant désirée. Sa tolérance, son pardon des

injures ramenèrent tous les cœurs. Rares furent les irréductibles qui n’ont pas dé-

sarmé devant lui. On lui doit l’établissement de nombreux chemins et la réfection

de tous les établissement scolaires. La mort l’empêcha d’exécuter des améliora-

tions qui eussent embelli le village, car cet homme incomparable avait un sens aigu

de la beauté. La cloche qui, en décembre 1935, annonça, par une froide matinée, sa

disparition prématurée, retentit encore tristement dans notre cœur. Une foule

énorme d’anciens élèves, d’amis de tous les horizons, de hautes personnalités poli-

tiques, intellectuelles et agricoles l’accompagna jusqu’au cimetière d’Arzew, où ,

face à la mer qu’il aimait tant, il dort son dernier sommeil.

M. Antoine Genthial, premier adjoint, né à Saint-Louis, en 1884, fut élu maire, le

12 janvier 1936. Pendant près de dix ans, aidé par son adjoint M. Claude Tachon, il

administra notre commune. Fort éprouvé par la disparition brutale de sa digne

épouse, il ne continua pas moins à vaquer consciencieusement à ses obligations de

maire, obligations rendues plus difficiles par ce sombre épisode de notre histoire

contemporaine que l’écrivain Jean Guéhenno a fait revivre dans son « journal des

années noires » . M. Genthial a tenu courageusement le gouvernail de notre com-

mune pendant cette marée opaque. Son honnêteté, sa sagesse, sa profonde connais-

sance du domaine agricole, sont connues de tous et nous ne pouvons que rendre

hommage aux qualités et au dévouement de cette homme si estimable.

La guerre terminée, des élections provisoires eurent lieu et M. Jean Falguière, né

en 1900, à Farès, a été élu maire, le 7 août , son mandat fut renouvelé pour dix ans,

en octobre 1947. Grâce à son dynamisme, surmontant, le sourire aux lèvres, les

pires difficultés matérielles, il a, depuis trois ans, embelli notre village. Nous lui

devons l’aménagement d’un boulodrome, l’amélioration de l’ancien puits commu-

nal par les travaux de galeries et l’installation d’une puissante pompe centrifuge et

d’un réservoir, le déplacement des abreuvoirs remplacés par de superbes jardins

qui donnent une note si gaie à notre artère principale, l’agrandissement des esca-

liers de la place de l’église, la plantation d’arbres. C’est sur son initiative que s’est

construite notre maison de l’Agriculture, siège social de tous nos organismes agri-

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coles et qui abrite, momentanément, notre accueillant foyer rural . Il est aussi dans

les intentions de M. Falguière d’obtenir des Pouvoirs publics intéressés la réalisa-

tion de deux grands projets : l’agrandissement de notre école de garçons, motivé

par la scolarisation de tous les enfants musulmans ; l’édification d’un hôtel des

postes sur l’emplacement de la vieille noria communale M. Falguière, dont nous

louons l’esprit de modernisation, a infusé une trépidante vie nouvelle à notre vil-

lage. Dans la reconnaissance que nous lui devons, pour tant de belles choses réali-

sées si rapidement, ne manquons pas d’associer son adjoint, M. Albert Clarès, ainsi

que notre respectable Assemblée municipale.

A cette vie municipale, si riche de souvenirs locaux, si féconde en réalisations,

qu’il me soit permis d’associer Messieurs Emile et René Bordères, fils d’Edouard

Bordères, ancien maire.

M. le docteur Emile Bordères, ancien délégué financier, éminente personnalité de

la vie politique algérienne a eu, au sein de l’Assemblée des délégations financières,

qu’il a parfois présidée, une influence considérable.

M. le docteur René Bordères est, depuis 1920, notre représentant au conseil gé-

néral où il a toujours défendu, avec succès, les intérêts de sa belle et riche circons-

cription (1) . Sa récente élection triomphale à l’Assemblée Algérienne a montré en

quelle haute estime nous le tenons.

Dans leur ascension magnifique, les frères Bordères n’ont jamais oublié leurs

origines Saint-Louisiennes. Aussi, dirai-je la joie qui se lit sur leur visage quand ils

se retrouvent parmi leurs amis d’enfance, dans le village où leur nom, synonyme

de bonté agissante, de dévouement à toute épreuve, est profondément respecté, ai-

mé et enraciné dans tous les cœurs.

…………….

(1) Le canton de Saint-Cloud dont dépend la commune de Saint-Louis.

CHAPITRE IV

FONCTIONNAIRES ET EMPLOYERS MUNICIPAUX

Saint-Louis a toujours été bien administré. Les différentes municipalités, très

éprouvées à la cause commune, n’ont laissé que d’excellents souvenirs. Il en est de

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même des fonctionnaires et des employés municipaux qui ont assuré leurs fonc-

tions avec un zèle et une conscience souvent admirables. Leurs noms sont insépa-

rables de la vie Saint-Louisienne à laquelle ils ont donné le meilleur de leur intelli-

gence et de leurs forces. Aussi me proposerai-je d’en faire revivre quelques-uns :

membres du corps enseignant, receveurs des postes, brigadiers de gendarmerie,

secrétaires de mairie, gardes champêtres et service de santé.

Membres du corps enseignant

Pendant près d’un an, de novembre 1848 à septembre 1849, il n’y eut pas d’école

à Saint-Louis ; les enfants d’âge scolaire, au nombre d’une trentaine, couraient les

rues, usaient leurs vêtement et souvent tombaient malades d’insolation.

Le 8 juin 1849, le ministre de la guerre décida la création, dans les villages les

plus importants de la colonie, d’une salle d’asile dirigée par une surveillante, d’une

salle primaire pour les filles et d’une école primaire pour les garçons. Dès que ce

décret eût paru, le capitaine Milliroux proposa, comme instituteur, un jeune

homme nommé Lallier, qui lui avait été adressé sous de bons rapports de moralité

et qui avait déjà tenu en France une classe d’enseignement primaire. Mais, ce fut le

colon Brisson qui fut nommé instituteur, le 1er septembre 1849, par décision du

général, commandant la division. Il prit possession de ses fonctions, le 17 sep-

tembre et le capitaine Milliroux lui adressa ces sages conseils : « Vous connaissez,

monsieur, l’importance et les difficultés des fonctions qui vous sont attribuées.

Vous savez que les premières impressions de l’enfant déterminent souvent la vie

entière de l’homme. L’esprit d’ordre en toutes choses est le but vers lequel doivent

tendre tous vos efforts. L’exactitude, aux heures de travail, sera rigoureuse. Le res-

pect de soi-même, l’attachement au devoir donnent droit au respect des enfants.

L’instituteur d’enfants aussi jeunes s’en considèrera comme le père et s’inquiétera

autant de leur éducation que leur instruction. Il apprendra, non seulement à parler

et à écrire correctement la langue, à chiffrer exactement, mais encore à connaître

dans l’ordre moral, ce qu’il y a de vrai, de bien et de beau. » Sur l’emplacement

actuel de l’école de garçons, un logement et une salle de classe avaient déjà été

construits. La salle de classe, rapidement meublée, reçut un matériel complet

d’enseignement.

L’instituteur Brisson resta en fonction jusqu’au 31 décembre 1849. Ayant donné

sa démission, il fut remplacé par Antoine Gauthier. Ancien clerc d’avoué, ancien

greffier de la justice de paix du canton de Massiac, il avait professé la langue fran-

çaise, le dessin, l’arithmétique et les éléments de langue latine en plusieurs pen-

sions, dont les chefs lui avaient donné de bons certificats sous le rapport de la ca-

pacité et de la conduite. Il exerça jusqu’au 30 avril 1850 et démissionna pour ren-

trer en France.

Jean Bouton, fils d’un colon installé au village, rentra en fonctions immédiate-

ment après la démission d’Antoine Gauthier. Il remplit consciencieusement sa

tâche, car le capitaine écrivit dans un rapport : » L’école de garçons est bien tenue,

les enfants sont assidus ». Quand sa famille rentra en France, en 1856, Jean Bouton

se démit de ses fonctions et fut remplacé par Antoine Gayda, nommé par l’autorité

académique. Celui-ci exerça jusqu’en 1861. On relève ensuite les noms de Joseph

Carré (jusqu’en 1868) , d’Antoine Lambicchi ( jusqu’en 1872 ) , d’Eugène Bou-

chon ( jusqu’en 1878 ) et d’Arsène Maillard ( jusqu’en 1882 ) . Ce dernier avait

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une prédilection particulière pour les exercices mnémotechniques. Quand un élève

récitait par cœur un chapitre d’Histoire Sainte , M. Maillard lui donnait, pour le

récompenser, des pommes et des oranges.

Venant de France, où il exerçait depuis une dizaine d’années, Edouard Bordères

fut nommé instituteur à Saint-Louis, en 1882. Pendant une génération, il enseigna

avec autorité et dévouement. Sa classe était chargée : une cinquantaine d’élèves

répartis en quatre cours. Mais grâce à une discipline qui ne permettait pas le même

relâchement, il pu mener à bien sa lourde tâche. Il aimait qu’on travaille avec ar-

deur, mais il aimait aussi le délassement, le chant en particulier, car il était doué

d’une très belle voix.

D’une moralité parfaite, il inculqua à ses élèves les qualités du bon citoyen, son

enseignement ayant toujours été dominé par cette idée : former des hommes ca-

pables de maintenir, par leurs vertus, la grandeur de notre patrie. Aussi, ses anciens

élèves parlent encore de lui avec émotion ; ils étaient des hommes et cependant, du

plus loin qu’ils l’apercevaient, ils le saluaient avec ce respect qu’ils avaient pour

lui quand ils fréquentaient l’école.

Edouard BORDERES

Ancien Maire

Directeur d’Ecole honoraire,

Officier de l’Instruction Publique

Au nom de cette excellent éducateur, qu’on me permette d’associer celui de sa

digne compagne. Les soins dont elle entoura son mari me font rappeler ce que di-

sait Pasteur de sa femme : « Sans elle, je n’aurais peut-être pas pu faire tout ce que

j’ai fait. » Dans leur vie domestique toute faite de sacrifices et de droiture, Ma-

dame et Monsieur Bordères eurent la plus belle des récompenses : des enfants (1)

dont l’intelligence n’a été égalée que par leur amour filial.

En 1933, Edouard Bordères fut admis à faire valoir ses droits à la retraite. Il fut

remplacé par Paul Boichard, ancien élève de l’école normale de Constantine, insti-

tuteur des cours complémentaires de Mascara et d’Arzew. La population scolaire

allant sans cesse en grandissant, le conseil municipal décida de construire une

école à deux classes, la première classe comprenant les Cours préparatoires et élé-

mentaires, la deuxième, les Cours moyen et supérieur.

La nouvelle école était terminée en 1908. Jusqu’en 1932, Paul Boîchard en fut le

directeur. C’était un pédagogue comme on en rencontre peu. Chose unique dans les

annales scolaires de notre village, il créa, de 1907 à 1914, un cours complémen-

taire qui prépara les meilleurs élèves à l’examen du Brevet Elémentaire. Six

d’entre eux furent reçus à cet examen, parmi lesquels M. Gabriel Magrin, François

Godeau, aspirant d’infanterie, mort

…………………

(1) MM. Emile, René et Albert Bordères.

pour la France au champ d’honneur, Camille Martinet, sous-lieutenant d’infanterie,

chevalier de la Légion d’honneur, mort pour la France à bord de la Medjerda.

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Qui de nous ne sent pas l’immense reconnaissance qui monte de notre cœur vers

l’incomparable maître M. Paul Boichard. Nous prenions plaisir à l’écouter jusque

dans les disciplines les plus ardues. Il avait une telle façon d’expliquer les choses,

d’en faire saisir les beautés et les relations les plus secrètes que son enseignement

était une véritable joie.

Mais ce que nous aimions le plus, ce que nous attendions deux fois par semaine

avec une impatience fébrile, c’était la demi-heure de musique et de lecture récréa-

tive. Alors son violon frémissait et nous sentions déjà que la musique peut faire

jaillir de notre âme les plus purs élancements. Je me rappelle aussi le charme de sa

diction quand il nous lisait « les Aventures de Narcisse Nicaise au Congo ». La

cloche nous arrachait à grand’peine à ce captivant récit. En sortant, un de mes con-

disciples s’échappait en disant : « Qu’il me tarde de connaître la suite ! ». Après

plus de vingt ans, il me semble encore entendre la voix de ce camarade disparu

prématurément. Mais elle a perdu son timbre juvénile. Maintenant elle est triste,

comme pour chanter, sur une note nostalgique, la chanson de notre fugitive en-

fance…

Dans ma vie studieuse de collégien, j ‘ai suivi les cours de dévoués professeurs.

Je me suis fort imprégné de leur enseignement. Ce sont eux qui ont fait de

l’adolescent timide que j’étais alors, l’homme sensible que je suis aujourd’hui. J’ai

connu aussi d’excellents pédagogues qui unissaient au désir de rénover les mé-

thodes éducatives surannées, une grande connaissance des lois psychiques enfan-

tines. Je leur dois beaucoup de gratitude. Je ne crois pas qu’aucun n’égale en va-

leur celui qui guida ma première éducation. Aucun ne me rappelle cette conscience

professionnelle, cette humanisme, cette bonté souriante qui auréolaient M. Paul

Boichard d’un prestige si séduisant. Je le tiens, ce bon maître de ma prime jeu-

nesse, pour le plus brillant esprit qui ait jamais vécu à Saint-Louis.

Paul Boichard prit sa retraite, en 1932. Par un geste touchant, ses anciens élèves

fêtèrent son départ dans une cérémonie tout empreinte de déférence et d’émotion.

Ses successeurs, Messieurs Figuérédo ( 1932 à 1935 ), Pailhous ( 1935 à 1938 ) ,

Camilli ( 1938 à 1942 ) , Martinez ( 1942 à 1947 ) , ont laissé le souvenir

d’éducateurs dévoués. Ils quittèrent le village pour d’importantes directions.

Depuis un an, M. Adrien Puech, ancien élève de l’école normale d’Oran, notre

nouveau directeur, a déjà montré ses qualités d’excellent éducateur par le succès de

ses élèves aux différents examens de l’enseignement du premier degré et par le dé-

veloppement qu’il a su donner aux œuvres péri-scolaires, secondé, en ceci, par

Madame Veuve Albert Artigouha qui allie à un sens éminemment chrétien de la

charité, un amour profond du sol natal.

L’école de filles fonctionna à partir de mai 1850, la première institutrice en fut

Marie-Louise Bouton, épouse de l’instituteur Jean Bouton. Mais le budget des ins-

titutrices laïques fut supprimé, la loi Falloux prévoyant leur remplacement par des

religieuses.

Pendant quelques temps, le village se trouva privé d’institutrice et une quaran-

taine de fillettes restèrent inoccupées. En octobre 1850, les religieuses Trinitaires

étaient installées à Saint-Louis. Elles devaient y rester jusqu’en 1886. Parmi les

supérieures, j’ai pu relever le nom de Sœur Pélagie Gallien, originaire de l’Isère.

En 1886, les Sœurs Trinitaires furent remplacées par des institutrices laïques. Le

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Conseil municipal avait été divisé pendant un certain temps au sujet de cette déli-

cate question. Certains conseillers étant partisans du maintien des religieuses,

d’autres de leur éviction, afin, disaient-ils, de prouver leur attachement aux idées

républicaines.

Il y avait alors deux classes à l’école de filles : la maternelle, dirigée par Made-

moiselle Veyrenc et la classe primaire, dirigée par Madame Brandebourg. En 1887,

Madame Brandebourg fut remplacée par Mademoiselle Tendill. En 1890, la direc-

tion de la maternelle fut supprimée et cette classe rattachée à l’école de filles. Ma-

demoiselle Tendil eut pour continuatrice de son enseignement hautement moral et

utilitaire, Madame Jeanne Clostre ( de 1898 à 1904 ) et Mademoiselle Alice Cayot

( de 1904 à 1907 ).

Madame Marie-Thérèse Perrin nommée directrice, en 1907, était une éducatrice

sévère et consciencieuse. Elle eut, comme M.Boichard, de nombreux succès aux

examens. C’est sur son initiative qu’on créa, en 1908, une troisième classe qui

fonctionna pendant une quinzaine d’années. Des chagrins domestiques assombri-

rent la fin de la carrière de Madame Perrin qui dut prendre sa retraite en 1925. De-

puis cette date, notre école de filles a été dirigée avec une incontestable autorité par

Mademoiselle Fagès ( de 1925 à 1930 ) , Mademoiselle Panaget ( de 1930 à 1932 )

et, depuis 1932, par Madame Yvonne Quastana, ancienne élève de l’école normale

d’Oran.

Receveurs des Postes

Jusqu’en 1882, Saint-Louis comme Assi-bou-Nif, Assi-Ameur, Assi-ben-Okba,

Fleurus et Assi-ben-Fréha, n’est pas pourvu d’un bureau de postes. Dans chacun de

ces villages, il n’existe qu’un facteur-boitier qui distribue et expédie le courrier et

se charge des quelques opérations postales. Mais sur la proposition du Conseil mu-

nicipal de Saint-Louis, on installa à Fleurus, point central entre les villages préci-

tés, un bureau des postes et télégraphes.

En 1888, Saint-Louis était doté aussi d’un bureau de postes qu’on installa

quelques années plus tard, dans la maison Ruquet ( occupée aujourd’hui par les

héritiers Carrasco ). La première receveuse en fut Mademoiselle Monclat. Madame

Ragon qui lui succéda en 1882, resta plus de trente ans, où elle prit sa retraite.

De 1923 à 1930, on relève les noms de Messieurs Valadon et Thibaudeau, ce

dernier d’une amabilité rarement égalée en de telles fonctions. En 1930, le bureau

de postes fut installé dans la maison Mâamar, sur la grand’rue, ou il se trouve ac-

tuellement. Depuis 1930, nous avons eu comme receveuses : Mademoiselle Reudet

( de 1930 à 1936 ), très serviable sous des dehors sévères. Madame Winum ( de

1936 à 1938 ) que la population tenait en haute estime. Enfin Madame Steffen qui,

depuis 1938, assure un service parfois ingrat avec un dévouement dont notre vil-

lage lui sera toujours reconnaissant.

Après l’indépendance de l’Algérie ont occupé ce poste : successivement , M.

Mazouni ( de 1962 à 1964 ), M. Medjebeur Hadj Ahmed ( de 1964 à 1966 ) M.

Benzouak Djillali ( de 1966 à 1976 ) , natif du village voisin : Ben-Fréha .

Enfin de 1976 à nos jours et à six ans de sa retraite : M. DAHMANI Tadj.

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Nous pouvons remercier Dieu d’avoir à ce poste un homme si intègre, infatigable

dans son dur labeur de haute responsabilité !

Dans sa tâche si ingrate, M. Dahmani Tadj , a été toujours compréhensif et ser-

viable auprès surtout des nécessiteux : c’est à dire les chômeurs et les retraités.

Tous les Boufatissiens, auront une pensée humide le jour où cet honnête homme ,

originaire de Sebdou ( Tlemcen ) ‘ baissera les rideaux ’.

Bonne continuation mon ami Tadj et bonne retraite ! ! !

Brigadiers de gendarmerie

La brigade de gendarmerie de Saint-Louis a été créée, le 5 septembre 1857.

Jusqu’en 1884, elle a occupé les locaux qu’on désigne sous le nom de « vieille

gendarmerie » . Parmi les brigadiers de gendarmerie qui se sont succédés pendant

cette période, je citerai d’abord François Griette (vers 1870), dont les deux filles

se marièrent à des Saint-Louisiens. Après avoir pris sa retraite, Francois Griette fut

secrétaire de mairie à Legrand où il mourut. Très respecté, il conserva dans la vie

civile la rectitude militaire. On relève ensuite les noms de Louis Gunaud (vers

1875) , Henri Tirnès (vers 1878) et Jean François Chelle (vers 1881).

La nouvelle gendarmerie, construite sur l’emplacement des anciens lavoirs est

un bâtiment spacieux. En 1918, par mesure d’économie, la brigade fut substituée

en poste de deux gendarmes à pied. Mais le service s’averra tellement pénible (il

fallait assurer l’ordre de la Forêt d’Ismaël , à

Assi-Ameur et du lac des Gharabas, à Sainte-Adelaïde) que la brigade de gendar-

merie fut rétablie par décision ministérielle du 26 décembre 1928, par M. Lamur,

maire de Saint-Louis. La population Saint-Louisienne et celle des villages voisins,

n’ont eu qu’à se louer de la correction et de la courtoisie des différents chefs de

brigade. L’actuel brigadier, M. Le Maréchal des logis-chef Fournier, militaire dis-

tingué à qui nous souhaitons une belle carrière dans son arme, jouit de la respec-

tueuse amitié de toute notre population.

Secrétaires de Mairie

Sauf de très rares exceptions, le secrétariat de Mairie de Saint-Louis fut assuré,

jusqu’en 1925, par des instituteurs. Avant l’arrivée d’Edouard Bordères, ses prédé-

cesseurs Gayda, Carré, Lambicchi et Bouchon, avaient été secrétaires de mairie. Le

cumul de ces deux fonctions peut s’expliquer par le fait que l’instituteur étant alors

le seul homme instruit du village, convenait mieux que quiconque pour seconder le

maire dans son travail bureaucratique.

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Edouard Bordères fut secrétaire de mairie de 1882 à 1904. Ayant été sollicité

pour faire partie de la liste électorale qui affrontait les élections, il se démit de ses

fonctions. Elu maire, il choisit comme secrétaire Paul Boichard, instituteur nouvel-

lement installé qui, comme lui, fut, pendant plus de vingt ans, secrétaire de mairie.

Après les élections d’Avril 1925, Paul Boichard donna sa démission. La nou-

velle municipalité nomma alors M. Rocher, adjudant d’administration en retraite

qui resta à Saint-Louis jusqu’à sa mort.

Depuis 1932, M. René Quastana, ancien brigadier de gendarmerie, bureaucrate

ponctuel et minutieux, assure ses fonctions avec amabilité.

Gardes champêtres

Par sa grande étendue, par ses nombreuses limites, avec les communes qui

l’entourent, par le morcellement de ses terres cultivées , par la présence continuelle

de troupeaux qui tendent à occasionner des dégâts dans des propriétés privées, le

territoire de Saint-Louis doit être l’objet d’une surveillance de tous les instants.

Aussi deux gardes champêtres ont toujours été nécessaires pour faire respecter les

droits de chacun et empêcher des déprédations nuisibles à l’agriculture. Presque

tous les gardes champêtres de notre village ont été choisis parmi des Saint-

Louisiens. Je ne citerai que ceux qui sont restés le plus longtemps en fonctions.

Parmi les européens : Louis Gibert, Georges Martinet et Nicolas Schüller,

hommes sévères et justes, Edouard Aubry qui perdit un bras au service de la com-

mune et fut, pendant 25 ans, un garde champêtre très redouté des délinquants et

Emile Martinez qui fit preuve d’une si intelligence activité. Nos actuels gardes

champêtres, MM. Albert Soulier et André Pétremant assurent leur service d’une

façon très diligente.

Parmi les indigènes :Hadi el Miloud ben Zemmour, originaire du douar Menat-

sia, entre 1875 et 1888 ; El Habib Boualem, entre 1885 et 1890 ; Benchâa bel Got-

ni, de 1898 à 1913, ancien adjoint indigène, cavalier infatigable dont je me rappelle

le visage empreint de noblesse et la rare distinction de langage ; enfin, M. Aniba

Larbi, actuellement garde champêtre à Sidi-Chami qui, pendant près de trente ans

(de 1916 à 1945) assura ses fonctions avec une grande connaissance des choses

communales.

Après l’indépendance de l’Algérie, et de 1969 à 1987, ce poste fut assuré par le

très compétent, ancien Moudjahid, M. BOUGHAZI Abdelaziz. Né en 1932, origi-

naire de Maghnia ( TLEMCEN ) , c’est malheureusement le dernier garde cham-

pêtre de l’histoire de Boufatis .

Service de Santé

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A tous ces fonctionnaires municipaux, je ne puis manquer d’associer les noms

de quelques médecins communaux qui, résidant à Fleurus, ont prodigué, avec un

inlassable dévouement, les soins les plus attentifs à nos malades. Puisque j’effleure

cette question du Service de Santé, je me plais à souligner que c’est grâce aux ex-

presses démarches de Justin Ancessy, maire de Saint-Louis, que le poste de méde-

cin communal de Fleurus fut maintenu, alors qu’un projet préfectoral prévoyait, en

1886, sa suppression.

Parmi les médecins qui se sont succédés à Fleurus, citons les noms des docteurs

Vinciguerra, conseiller général, Charron, Giudicelli , René Bordères et Jean-

Baptiste Vincent. Depuis 1925, le docteur Julien Paillard, ex-externe des hôpitaux,

praticien d’une rare science clinique, se dépense sans compter pour soulager nos

moindres souffrances.

CHAPITRE V

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LA VIE RELIGIEUSE

La population des villages de la colonie de Saint-Louis était en majorité catho-

lique. Aussi, dès 1848, un prêtre, l’abbé Brouhot, fut installé à Fleurus, centre de la

colonie. Originaire de l’Ile de France, il vint avec le premier contingent de Pari-

siens. Sous un climat déprimant, obligé de desservir six villages reliés par de mau-

vaises routes, son ministère fut pénible. Cependant, une circulaire du Gouverneur

général prévoyait déjà, un desservant à Fleurus et à Saint-Louis.

L’abbé Brouhot resta à la tête de sa grande paroisse jusqu’à la fin de l’année

1849 et quitta Fleurus pour l’importante cure de Mascara.

L’église communale, comme la primitive Eglise du Christ fut bien pauvre en

ses débuts. Néanmoins, chaque village avait sa propre chapelle. Celle de Saint-

Louis, située sur l’emplacement de la maison Auguste Duplan, et connue sous le

nom de vieille a été, pendant près de trente ans, l’église de notre village.

Après le départ de l’abbé Brouhot, l’abbé Malo vint avec la colonie des Bre-

tons, ses concitoyens. Nommé curé de Saint-Louis, le 1er janvier 1850, c’est notre

premier desservant. Il se distingua par sa charité et son dévouement lors du choléra

de 1851. Il quitta la paroisse, en 1852, avec les colons découragés qui retournaient

dans leur province. Vinrent ensuite les abbés Bonnard (1852 à 1855) et Govillot

(1855 à 1868) . Ce dernier institua le conseil de Fabrique destiné à gérer les deniers

de la paroisse.

Sous le ministère de l’abbé Jérôme Carrière, né en 1839, à Aréou (Ariège), on

construisit la nouvelle église, orgueil de notre village. Ce jeune prêtre fut l’âme de

cette superbe réalisation dont les travaux, qui s’élevaient à 47.000 frs. , furent diri-

gés par l’entrepreneur Champenois, d’après les plans de l’architecte Viala de Sor-

bier. La première pierre a été posée par Mgr Callot, évêque d’Oran. La cérémonie

de la bénédiction des cloches, présidée par monseigneur Vigne, évêque d’Oran, a

eu lieu en 1878. Il y a quatre cloches qui forment un carillon harmonieux. Les trois

principales ont été fondues, en 1875, par Eugène Baudoin, de Marseille. Elles ont

pour noms : Michel, baptisée par Madame et Monsieur Michel Manégat ; Amélie,

baptisée par Madame Amélie Petitdemange et Monsieur Xavier Salomon ; Rose,

baptisée par Madame Marie-Rose Bouchon et Monsieur Bernard Artigouha. Elles

ont été achetées par leurs par leurs parrains et marraines, ainsi que par Mgr Callot,

l’abbé Carrière, Messieurs Dorniers, Courvoisier, Tirnès, Jean-Pierre Artigouha,

Bilger , Olivier, Pétremant, Berson, Sarrazin, Debouche, Soipteur, Landelle, Le-

moine, Docteur, Jonquier, Fortuneau, Wahl, Antoine et Auguste Phalippon.

Les admirables vitraux, œuvre du verrier Charlemagne, de Toulouse, offerts par

de pieux donateurs, laissant tamiser une lumière propice au recueillement. Ils ont,

chacun, leur méditative beauté, leur spiritualité, et je ne puis m’empêcher de les

citer tous :

Saint Hippolyte, évêque d’Ostie, donné par les familles Ancessy et Bringuer.

Saint François de Sales, évêque de Genève, auteur de l’introduction à la vie

dévote.

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Saint Bernard, abbé de Clairvaux, prédicateur de la deuxième croisade, donné

par M. Artigouha.

Saint Augustin, évêque d’Hippône, illustre docteur et nature frémissante, au-

teur des Confessions, journal de sa jeunesse libertine et de sa tardive conversion,

donné par M. Roy.

Saint Jérôme , père de l’église, apologétiste et traducteur de la Bible, donné

par l’abbé Carrière.

Le Sacré Cœur de Marie, donné par M. Berger.

Le Sacré Cœur de Jésus, donné par le père Saillard.

Saint Vincent de Paul, prêtre, parfait modèle de la charité.

Saint Louis , notre patron, l’humilité chrétienne faite roi, donné par le père

Abram.

Saint Irénée, évêque de Lyon et martyr, donné par M.Caillau.

La Trinité Céleste, donné par les Sœurs Trinitaires.

La Trinité Terrestre, donné par M. Sarrazin.

Saint Pierre, premier des apôtres et des papes, pauvres pêcheur du lac de Tibé-

riade, donné par M.Lemoine.

Saint Jacques, le majeur, frère du disciple bien-aimé, donné par M. Salvy.

Saint Barthélemy, le Nathanel qui doutait que de la Galilée pût s’élever un

prophète de quelque valeur, donné par M. Chaldebec.

Saint François-Xavier, évangélisateur de l’Extrême-Orient, donné par Salo-

mon.

Saint Léopold, margrave d’Autriche, donné par M. Tisnet.

Saint Charles et Saint Nazaire, donnés par M. Champenois.

Parmi les statues, nous pouvons citer : le Christ et Saint Jean, du Baptistère, qui

rappellent le début de la troublante aventure : Saint Christophe, protecteur des

voyageurs ; Saint Antoine de Padoue, évangélisateur des Maures, Saint Jude ou

Thaddée, apôtre, frère de Jacques le Mineur, Saint Michel terrassant le démon ;

Saint Roch qui soigna les pestiférés ; le Saint Curé d’Ars, célèbre par ses visions ;

Saint Louis ; Saint Emile, évêque de Carthage et primat d’Afrique ; Sainte Anne,

mère de la vierge ; l’humble Sainte Thérèse de Lisieux ; Sainte Jeanne d’Arc, la

petite bergère de Donrémy ; la vierge ; Sainte Hélène, mère de l’empereur Cons-

tantin ; Saint Vincent de Paul ; Sainte Barbe, vierge de Nicomédie, martyre sous

Maximin et Saint Georges, prince de Cappadoce, martyr sous Diocletien.

Un somptueux autel, surmonté de deux tableaux : la Vierge à la Chaise (1) et

Saint Louis mourant ; deux peintures murales représentant la Grotte de Lourdes et

l’Atelier de Nazareth, une magnifique chaire en chêne sculpté, face à un christ en

Croix, tout empreint de la tristesse du Golgotha, complètent l’ornementation.

L’église à 40 mètres de longueur, 9 mètres de largeur. Son clocher s’élève à 25

mètres. Monument imposant, situé en plein cœur du village, elle force

l’administration de ceux qui la voient pour la première fois et qui s’étonnent que

nous possédions une si belle église. Chaque fois que je l’aperçois, je la trouve plus

grande et plus belle, et je pense que, comme les héros d’un roman de Blasco-

Ibanez, nous vivons à l’ombre d’une cathédrale.

Nommé curé doyen de Mascara, en 1879, l’abbé Carrière fut remplacé par

l’abbé François Vengut, qui, ayant contracté la variole au chevet d’un agonisant,

mourut en 1881. L’abbé Yves Le Gall, né en 1847, à Plougonver (Côtes du Nord),

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lui succéda. Le Conseil de Fabrique se composait alors, de Messieurs Edouard Pe-

titdemange, Bernard Artigouha et Philibert Dornier, de Saint-Louis, Hippolyte Jac-

quet et Xavier Salomon, de Legrand. De chétive santé, l’abbé Le Gall ne pu résis-

ter au déprimant climat algérien et mourut jeune encore, en 1887. Comme ses pré-

décesseurs les abbés Govillot et Vengut, il est enterré, à Saint-Louis. Son succes-

seur, l’abbé Jean-Baptiste Gibert, né en 1851, à Camplong (Aude), se distingua

comme prédicateur. Prêtre d’un grand savoir et d’une rare éloquence, il fut nommé

en 1894, curé de première classe, à Méchéria.

Sous le ministère de l’abbé Louis Mège (1894 à 1897), on construisit le clo-

cher, grâce à une subvention du député Saint-Germain.

……………..

(1) Reproduction du célèbre tableau de Léonard de Vinci.

L’abbé Clément Tardiou (1897 à 1912) était un homme de bien, très attaché à sa

cure. C’est lui qui fit acheter le premier harmonium, car, disait-il, en 1910 : « Les

orgues brillent par leur absence : l’orgue, c’est moi et mes chanteuses ».

Sous son ministère, on érigea, au milieu du rond-point du cimetière, une croix,

en fer forgée, achetée par la commune.

En 1913, l’abbé Joseph Vaysettes nous arriva de France. Sergent infirmier pen-

dant la guerre de 1914-1918, ayant de solides connaissances en médecine. Accueil-

lant, curieux de sciences, étendant sa pitié aux moindres choses sensibles de la na-

ture, il fut pendant une génération notre dévoué ministre. Sa santé délicate,

l’obligea à retourner dans son diocèse d’origine.

Le bon père Philippe, fut nommé curé de Saint-Louis, en 1934. Originaire de

Bretagne, c’était un saint prêtre qui avait couru le monde pour porter, aux peu-

plades sauvages, les paroles de l’Eternelle Douceur. Quand je le voyais, si humble,

si désintéressé, je ne pouvais m’empêcher de le comparer à cette pléiade de grands

cœurs qui, de Saint François d’Assise au dernier missionnaire tué dans la brousse,

ont cimenté de leur humilité et de leur sang, la vieille nef chrétienne. Il mourut

comme il avait vécu, en pauvre soldat du Christ. Devant un tel apostolat, on ne

peut que répéter ces paroles de Bossuet : << Ne nous étonnons pas, qu’une vie si

religieuse ait été couronnée d’une fin si sainte >> .

Sa tombe porte cette simple inscription :

Ci-gît

Don PHILIPPE ,

Curé de Saint-Louis ,

1858-1939

Qui a aimé ses paroissiens

Et qui en a été aimé.

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Sous son ministère eurent lieu, en 1937, l’électrification de l’église et, en 1938,

la pose d’un nouveau chemin de croix peint sur cuivre par un artiste renommé.

Le Père Philippe redonna un grand éclat à la vie religieuse de Saint-Louis. Pour

les stations quadragésimales, il appela d’éloquents prédicateurs, dont les sermons

furent particulièrement goûtés. Et je me souviendrai toujours de cette messe de mi-

nuit de l’année 1934, suivie par une foule nombreuse et recueillie. Tout Saint-

Louis se pressait dans la nef brillamment illuminée. Devant l’autel, se détachait la

haute et mince silhouette du Père Philippe, chantant les airs liturgiques avec un ac-

cent poignant. Et je songeais : « Plus que les doctrines philosophiques dans les-

quelles, par un effort désespéré, nous essayons de découvrir un sens à la vie, ces

rites millénaires entretiennent en nous comme une lueur d’espérance . » Un vieux

prêtre venu des contrées lointaines avait, par la bonté de son cœur, conquis ses plus

rebelles ouailles. Aussi sous l’épais manteau de brouillard de cette nuit merveil-

leuse, le village de Saint-Louis, communiant dans son antique croyance,

s’endormit dans la joie de la Nativité pour recommencer l’année suivante sa vie

laborieuse et chrétienne.

Le Révérend Père Georges Gaillard, né en 1875 à Gand ( Belgique ) succéda à

l’abbé Philippe. Chanoine honoraire de la Martinique, capitaine aumônier de la

guerre 1914-1918, chevalier de la Légion d’honneur, il avait, lui aussi, passé de

longues années dans les missions aux Antilles et en Afrique Noire. Ses sermons

dominicaux, d’une haute élévation de pensée, ont continué l’œuvre de son prédé-

cesseur.

Depuis deux ans, le Révérend Père Logié, missionnaire de l’ordre du Saint-

Esprit, exerce le Saint ministère, secondé par le R.P. Straesle. Leur paroisse s’est

agrandie, puisqu’elle comprend maintenant les villages de Saint-Louis, Legrand,

nouvellement doté d’une chapelle, Fleurus et Assi-ben-Okba. Leur service est pé-

nible, surtout l’hiver. Mais les Révérends Pères, surmontant les fatigues de l’âge et

des travaux anciens, assurent leur sacerdoce avec un zèle qui mérite les éloges les

plus chaleureux.

CHAPITRE VI

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VIEILLES FAMILLES

J’ai cité, précédemment, les noms des pionniers qui, de 1848 à 1858 vinrent

peupler notre village. Presque tous ont disparu. Les causes de cette disparition sont

les trois atteintes du choléra qui décimèrent la population et anéantirent des fa-

milles entières, le retour en France des moins endurants (beaucoup vendirent leurs

concessions dès qu’ils eurent les titres de propriété) , l’exode, depuis une trentaine

d’années, vers d’autres villages et, surtout, vers la ville. Une quinzaine de familles

seulement ont des chances de transmettre à la postérité, des noms Saint-Louisiens

presque centenaires.

La plus ancienne famille existante est, assurément, la famille Pétremant, origi-

naire de Lyon. Dès la fin de 1849, on relève le nom de Roch Pétremant et de ses

fils, dont l’aîné, Denis, avait servi dans l’armée d’Afrique. Denis Pétremant (1)

épousa Rosalie Fromental, d’Assi-Ameur, qui fut un modèle d’abnégation et de

travail. Vénérée de tout le village, la mère Denis mourut en 1931, âgée de 91 ans.

Henry Pétremant, frère puîné de Denis, est le grand-père de M. Pétremant.

La famille Martinet est originaire de la Creuse. Georges Martint vint à Saint-

Louis, le 1er

janvier 1850. En 1858, il vendit sa concession pour habiter Paris. IL

revint à Saint-Louis et assura les fonctions de garde champêtre. Il eut comme fils :

Georges-Antoine, marié à Marie Placide et Eugène (2), marié à Eugénie Artigouha.

La Famille Placide est originaire de Lorraine. Antoine Placide vint, à Saint-

Louis, le 1er février 1850. Il était le beau-frère de Georges Martinet, étant mariés

l’un à Suzanne, l’autre à Ursule Dalaiden. Il eut comme enfants : Joseph, père de

Madame Jean Richard, Auguste, père de Madame Veuve Joseph Artigouha, Domi-

nique, père de Monsieur Emile Placide, Antoine, père de Madame Michel Padilla,

Marie, mère de Monsieur Désiré Martinet, Justin, père de Monsieur Justin Placide

et Etienne, père de

..………. (1) Grand-père de M. Marcel Pétremant.

(2) Père de M. Louis Martinet.

Madame Ruiz. Les descendants d’Antoine Placide, au nombre de 186, pour-

raient peupler un village. Cette famille a donné quatre enfants à la France : Eu-

gène, Albert, Alphonse et Henri. Elle peut être fière d’un tel sacrifice.

La famille Artigouha est originaire des Basses-Pyrénées. Bernard Artigouha

vint, à Saint-Louis, le 12 avril 1850, après avoir séjourné deux ans, à Alger. Il

n’eut que deux enfants : Jean-Albert et Rosalie.

Jean-Albert, marié à Camille Griette, est le père de Mesdames Veuves Martinet

et Clarès et du regretté Albert Artigouha. Rosalie, mariée à Dominique Placide et

connue sous le nom de : Madame Dominique ; était une personne d’un maintien

réservé. Je la revois encore sur son perron, toute menue et triste, songeant sans

cesse à ses deux fils tués à l’ennemi.

Jean-Pierre Artigouha, frère de Bernard, n’eut qu’un fils : Joseph-Auguste qui

épousa Blanche Placide et eut cinq enfants dont Madame Falguière.

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La famille Gérard est originaire des Vosges. Emile-Modeste, épousa Louise

Gabel et eut comme enfants Alexandre (1) , Clémentine (mariée à Joseph Orénès)

et Emile , père de M. Etienne Gérard.

La famille Wahl est originaire de la Meurthe. Nicolas, époux d’Eugénie Rou-

mieu, est le père de Monsieur Nicolas-Louis Wahl.

La famille Jeanneret est originaire du Doubs. Elle n’a plus comme représen-

tants que Messieurs Armand et Emile Jeanneret, enfants de Louis Alexis.

La famille Sarrazin est originaire de l’ain. En 1860, elle émigra, à Relizane où

naquit Jean Soulier qui, après son service militaire, se fixa au village et épousa

Virginie Coulon dont il eut un fils. Excellent ouvrier agricole, il mourut, en 1945,

âgé de 83 ans.

La famille Dornier est originaire du Doubs. Elle a comme représentant, Mon-

sieur Fraçois Dornier.

La famille Gibert est originaire de Tarn-et-Garonne. Louis, époux de Jeanne

Roumieu, est le grand-père de Monsieur Pierre Gilbert.

La famille Lux, originaire du Haut-Rhin, jadis fort nombreuse, ne comprend

plus que Messieurs Antoine et Ferdinand Lux.

La famille Michel, originaire de Toulon, est représentée par Monsieur Jules

Michel.

La famille Schmaltz, originaire du Haut-Rhin, n’est plus représentée au vil-

lage que par Monsieur Jean-Jacques Schmaltz, époux de Louise Coulon.

La famille Vidal, originaire du Tarn a, comme représentants, Messieurs Louis

et Albert Vidal.

La famille Genthial est originaire de la Loire. Joseph Genthial, fils de Pierre,

naquit dans cette commune, en 1860. Epoux de Rosalie Rouanet, il

…………….. (1) Epoux de Zoé Phalippon et père de M. Auguste Gérard.

est le père de Messieurs Antoine et Maurice Genthial. Il mourut, en 1935. Une

voix autorisée a dit, sur sa tombe, les qualités de ce respectable concitoyen.

La famille Ancessy est originaire de l’Aude. Pierre Ancessy vint à Saint-

Louis, en 1858. Son fils Justin, maire de Saint-Louis, à 28 ans, épousa Berthe

Wilhelmine de bailleul. Cette dernière, native de Saint-Malo, fille d’Alfred de

Bailleul, marquis de Croissanville, descendait d’une illustre famille normande

ruinée par la Révolution. Cette vénérable dama a personnifié pour moi, ces ver-

tus familiales si décriées à notre époque et qui disparaissent hélas ! peu à peu.

En Madame Ancessy, j’ai admiré l’accueil affable et cet amour des humbles

sans lequel, selon le mot de Saint-Paul, nous n’avons rien. Elle mourut, en

1940, alors que la défaite endeuillait tous les cœurs. Combien de temps notre

patrie allait-elle souffrir sous une domination obscurantiste et cruelle ? Dans le

désarroi moral qui m’étreignit, il me sembla, quand on descendit dans la tombe

le cercueil de l’ancienne, que c’était un peu de la vraie France généreuse et hu-

maine qui s’en allait aussi !

Justin Ancessy et Berthe de Bailleul eurent comme enfants les

regrettés Henri, ancien maire de Legrand et Alfred, Madame Veuve Albert Ar-

tigouha et Mademoiselle Justine Ancessy.

Je viens de passer en revue, peut-être trop rapidement, les plus anciennes fa-

milles Saint-Louisienne, dont les noms subsistent encore. Mais combien d’autres

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familles ont complètement disparu ? Il y a cinquante ans, elles étaient prospères.

Leurs noms n’existent plus maintenant, tout au moins pour notre village, que dans

les registres de l’état-civil et sur des plaques de marbre tombales. C’est une partie

du vieux Saint-Louis qui s’est évanouie comme s’évanouiront peut-être un jour,

par un ironique destin, les noms des derniers descendants des anciens colonisa-

teurs. Quelques familles, cependant, qui n’ont pas voulu mourir tout à fait, revivent

sous d’autres noms. Sans la crainte d’abuser de votre patience, j’aurais eu le plaisir

d’étudier les ramifications des familles Mottet, Wilhem, Docteur, Elchinger, Pha-

lippon, Caillau, Issartel, Coulon, Aubry, Gabel, Poumieu, dontles noms sont évo-

cateurs d’une attrayante histoire locale.

Depuis la fin de la colonisation officielle, quelques métropolitains se sont ins-

tallés au village et, s’alliant aux vieilles familles, y ont fait souche : Jean-Baptiste

Huc, originaire du Tarn avec Madeleine Elchinger, Jean et Paul Richard, origi-

naires de l’Ariège avec Cécile Placide et Mathilde Petitdemange, Gabriel Cubi-

zolles, originaire de la Haute-Loire, avec Pauline Docteur, Claude Tachon, origi-

naire de l’Allier, avec Mélanie Martinet.

Enfin, entre 1875 et 1900, d’autres familles métropolitaines vinrent se fixer

chez nous. Ce sont les familles Ruquet, originaire de l’ariège (1) ; Bru, originaire

du Tarn, Bousquet, originaire de l’Aveyron ; Neichel, originaire du Bas-Rhin et

Guiraud, originaire de Perpignan.

Dès 1853, par suite de l’apport massif du troisième contingent de colonisa-

teurs, l’avenir du village était assuré. Quelques familles d’origine étrangère vinrent

s’installer à Saint-Louis. Elles demandaient, en échange du travail qu’elles of-

fraient, la possibilité d’élever honorablement leurs enfants. L’agriculture avait jus-

tement besoin de bras robustes et de mains expertes. Il fallait intensifier les défri-

chements, améliorer l’habitat, livrer, à la culture, le plus de terres possible. Aussi le

concours de ces familles ouvrières fut-il bien accueilli.

La plus ancienne famille espagnole, venue habiter Saint-Louis, est la famille

d’Antoine Gil, dont la fille Joséphine, épouse Moralès, née à Saint-Louis, en 1864,

a vécu parmi nous jusqu’à la fin de sa vie.

La famille Ros, originaire de Carthagène vint, à Saint-Louis, en 1867. Bar-

thélemy Ros, fermier à la forêt d’Ismaël, est le grand-père de Monsieur Jean Ros. ……………

(1) La famille Ruquet n’existe plus au village. M. Julien Ruquet, fils de François Ruquet, ha-

bite Mostaganem depuis de longues années. Il ne continue pas moins à aimer son village na-

tal.

La famille Sanchez vint en 1868. Elle était déjà, en Algérie, depuis plus de

vingt ans. Joachim Sanchez, meunier à Oran, construisit le moulin à vent de notre

village. Messieurs Antoine et Ferdinand Sanchez sont ses petits-fils.

La famille Jorro vint aussi, en 1868. François Jorro fut longtemps adjudica-

taire du tournage de la noria communale. Sa femme, Antoinette Pénalva était née à

Oran, en 1836. De leurs nombreux enfants, il ne reste plus que Monsieur Joseph

Jorro.

La famille Bérino, originaire de Gênes, vint en 1869. Etienne Bérino a laissé

un souvenir de droiture et de bonté. Le regretté Alphonse (1) et Monsieur Eugène

Bérino sont ses enfants.

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Les familles Galvagne et Galant, aujourd’hui disparues, vinrent en 1872. An-

toine Galant fut commerçant et membre du Conseil municipal. Son fils Antoine,

négociant à Aïn-Témouchent, très connu dans les milieux agricoles de notre pro-

vince, est décédé depuis peu. Bien qu’ayant quitté le village, il se faisait un plaisir

d’y venir de temps à autre, afin de revoir ses vieux amis.

Les familles Joseph Sanchez et Esclapez vinrent en 1873. La première

n’existe plus, mais tout le monde se souvient de Michel Sanchez, cet ouvrier valeu-

reux. La seconde, originaire d’Alicante, est représentée par les petits-fils de Jean

Esclapez. En 1882, cette grande famille laborieuse se fixa à la forêt d’Ismaël.

La famille Morata vint en 1874. Elle s’allia aux familles Olivier et Vallet.

Madame Veuve Jean Martinez, née Clarisse Vallet, est une petite-fille de Xavier

Morata.

Entre 1875 et 1878, on relève l’arrivée des familles Moralès, Revert qui ont

quitté le village, Munos, Garcia et Caparros qui, malgré l’exil de quelques-uns de

leurs membres, ont toujours habité Saint-Louis.

Entre 1878 et 1882, vinrent les familles Ségarra, Escolar, Lorca, Cortès,

Castano et Clément, dont l’histoire est confondue avec celle de la mise en valeur

des terres de la forêt d’Ismaël, et la famille de Ginès Frutoso qui fut, pendant long-

temps, fabricant de crin végétal.

En 1884, la doyenne actuelle de notre village, Madame Veuve Padilla, née

Isabelle Moralès, vint vivre avec ses frères installés à Saint-Louis depuis quelques

années. Née à Oran, en 1858, Madame Padilla, restée veuve à 25 ans, travailla sans

relâche pour élever ses deux enfants. Sa vie, faite de labeur et de fidélité peut-être

prise en exemple. Aussi, je crois pouvoir être l’interprète de mes concitoyens pour

adresser, à notre admirable doyenne, nos sentiments respectueux et nos vœux de

longue et heureuse vieillesse.

………….

(1) Epoux de Catherine Neichel et père de M. Henri Bérino.

De 1885 à 1905, les familles Pastor, Mathieu et Antoine Torrès, Orénès, Carrasco,

Jean Martinez, Gomis, Pierre Torrès, Joseph Martinez, Escobar, Médina, Belda et

Andrès, se distinguant dans l’agriculture et dans divers métiers, se fixèrent défini-

tivement, à Saint-Louis. Certaines d’entre elles ont acquis une honorable position.

Pour la clarté de ma documentation, j’ai été obligé d’étudier, séparément, les

familles d’origine française et les familles d’origine étrangère. Dans une étude dé-

mographique détaillée, cette cloison n’existerait pas, car ces deux rapports eth-

niques se sont intimement pénétrés par suite d’une longue vie commune. Et je ne

puis m’empêcher, à la fin de cet exposé, de songer à une critique bien arbitraire

d’Anatole France qui, dans son étude philosophique « Sur la pierre Blanche » , dit

à peu près ceci : « La colonisation française en Algérie a surtout, profité aux

étrangers. » Je crois, quant à moi, que l’œuvre magnifique de la France sur cette

féconde terre d’Afrique a profité à tous ceux qui ont eu le courage de

l’entreprendre, de la seconder et de la continuer au milieu de tant de périls et de

difficultés : aux Français des diverses provinces, aux habitants des rivages méditer-

ranéens qui, comme eux maintenant, aiment et défendent la même mère patrie, aux

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autochtones, enfin, qu’elle a tirés de la misère et de l’ignorance et qu’elle conduit

vers un avenir meilleur.

Chapitre VIII

LA POPULATION MUSULMANE

Avant l’arrivée des Français, la population musulmane de notre commune ne

devait guère dépasser 300 habitants. Malgré une forte natalité, elle était en voie de

décroissance, par suite de nombreuses maladies qui frappaient surtout l’enfance.

En temps d’épidémie, le typhus exanthématique et la variole se propageaient rapi-

dement de famille à famille et de tribu à tribu, par suite de la méconnaissance des

lois les plus élémentaires de la prophylaxie. Ces maladies sévissaient surtout en

hiver. En été, le paludisme, alimenté par le foyer pestilentiel du lac des Gharabas,

anémiait les organismes, dont les moins résistants finissaient par succomber. De

plus, le manque d’eau potable (il n’existait pas de citernes) , l’apathie et

l’ignorance contribuaient à entretenir des conditions d’hygiène lamentables.

Souvent la misère précédait ou accompagnait la maladie. Comme maintenant,

il y avait de mauvaises récoltes, parfois consécutives. Pour la tribu qui n’avait pas

beaucoup semé ou qui n’avait pas d’argent pour se ravitailler ailleurs, c’était la fa-

mine. Les impôts pesaient lourdement. Le Turc, cupide et sans pitié, les faisait ren-

trer par la crainte. On dit même qu’il brûla les récoltes de ceux qui ne payaient pas

rapidement. Les fellahs découragés de travailler pour la soldatesque janissaire, se-

maient peu, malgré la quantité de bonnes terres qu’ils possédaient. Il était bien rare

qu’une famille semât plus de dix hectares. On ne cultivait pas la vigne et le jardi-

nage était inexistant. Seul l’élevage était prospère. Avec d’importantes terres de

parcours pour le pâturage, la commune possédait quelques oliviers, des caroubiers

et plusieurs hectares de figuiers de barbarie ; plantés au lieu dit « la figuière » et

autour de la tribu de Bou-Fatis.

La population était divisée en quatre fractions : la fraction de Bou-Fatis, dans la

plaine, près du marabout de Sidi-Mohamed-bou-Fatis (1), la

………………..

(1) Vénéré marabout qui vivait au XVIII° siècle. Sa « ouada » a lieu tous les ans dans le courant

du mois d’août.

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fraction de Ben-Ghermoud, située dans le quadrilatère par la route de Saint-

Louis au Sig, la route nationale n° 13 et les deux chemins de traverse qui se

croisent à gauche de la ferme Delorme ; la fraction de Slatna, sur la pente de la

colline El Akredj, regardant vers la forêt ; enfin, la petite fraction des Ould

Ameur, au-dessus des riches terres qui bordent le lac des Gharabas.

N.B :

Je me souviens avoir toujours eu un peu de terre de Sidi-Boufatis aux fonds des

poches lors de mes divers examens : c’était mon Gri-Gri à moi !

Après 1830, la fraction de Bou-Fatis, conduite par Messaoud-bel-Gotni , se fixa

au milieu de la longue colline El-Toumiat. Elle fut suivie par la fraction de Ben

Ghermoud, dont le chef, Adda, avait combattu, avec ses cavaliers, dans les rangs

français. Ces deux fractions migratrices ont formé l’important douar de Gotni. En

1848, lors de la création du village, le douar commune El-Toumiat leur fut laissé

en toute propriété. La partie occidentale de cette commune fut partagée entre les

familles Bel-Gotni, Ben-Ghermoud et Bou-Krâa. Il subsiste encore, à 160 mètres

d’altitude, sur un plateau battu des vents, les ruines de la ferme Bou-Krâa (1) . ……………….

(1) De ce promontoire, la vue est splendide .On découvre le Murdjajo, les monts du Tessala, le

lac des gharabas, les derniers contreforts de la forêt d’Ismaël, les Salines d’Arzew et la ligne

ondulée des collines qui se terminent à la Montagne des Lions. C’est là que je composai les

quelques vers placés en tête de cet ouvrage. Connaissant l’indulgence de mes lecteurs, je leur

demanderai de ne pas être des censeurs trop sévères. Le plaisir extrême que je pris en écrivant

cette courte poésie dédiée à mon village est ma seule excuse d’avoir osé parler une langue qui

n’est pas la mienne.

Les parties centrales et orientales échurent aux autres familles.

Gotni entretint de bonnes relations avec les nouveaux colons français. Le capi-

taine Milliroux, sentant la nécessité de donner un chef à la population musulmane,

de Saint-Louis, proposa comme caïd Kaddour ben Ghermoud, fils d’Adda. Voici la

lettre qu’il écrivit, le 28 janvier 1849, au chef du bureau arabe d’Oran : « La pré-

sence des Arabes sur le territoire de la commune de Saint-Louis, les relations fré-

quentes que j’ai avec eux et que je désire voir se conserver et se multiplier, pensant

qu’il peut en résulter pour eux et pour nous du bien, font que je m’intéresse à ce

qui se passe dans leur intérieur. Il s’agit, aujourd’hui, me dit-on, de nommer un

caïd sur les deux tribus réunies d’El-Gotni et de Ben-Ghermoud. Si mon opinion et

mon désir avaient quelque valeur en cette circonstance, je dirais que je verrais avec

plaisir notre ami Kaddour ben ghermoud devenir caïd. Cet homme dont le frère

sert dans les spahis, nous est ami. Il a de la tenue, de l’intelligence, l’esprit fran-

çais, je dirai presque » . Kaddour ben Ghermoud, ne fut pas nommé caïd, comme

le désirait le capitaine Milliroux, mais il remplit les fonctions de chef de douar.

Dès leur installation, les arabes de Gotni se mirent au travail. Ils construisirent

leurs habitations groupées en clans. Ils édifièrent le petit marabout de Sidi Abdel-

kader et une modeste mosquée où un taleb enseignait quelques rudiments de

langue coranique.

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En 1852, les soldats du génie creusèrent un puit communal près de la route,

afin que les troupeaux n’aient pas à se déplacer jusqu’au village. Quatre autres

puits furent creusés par la suite. Les premières pentes ayant été défrichées, les fel-

lahs reçurent des semences remboursables à la récolte. Quelques jardins plantés de

figuiers, d’oliviers, de mûriers et entourés de cactus, donnèrent des fruits et des

légumes. Le terrain entourant le marabout de Sidi Abdallah el Raïes el Guethni,

situé à deux kilomètres du douar servit de lieu de sépulture. Des koubbas furent

construites sur la tombe de vénérés marabouts : Mouley Abdelkader es Sedjera et

Sidi bou el Anouar dans la plaine, Sidi el Taïeb et Mouley el Touizrah, sur la col-

line.

Malgré de nombreuses épidémies, la population de Gotni augmenta sans cesse.

En 1910, elle était déjà de 649 habitants. L’école coranique devenant trop exiguë,

un projet de création d’une école enseignant les disciplines modernes fut voté, en

1903. Cette école ouvrit ses portes le 1er octobre 1908. C’est une des plus vieilles

écoles indigènes du département. Spacieuse et accueillante, avec sa grande salle de

classe, son atelier de travail manuel et son jardin, elle a permis, depuis 40 ans, à la

culture française, de pénétrer jusque dans les plus humbles foyers. Grâce à elle,

presque tous les Arabes de Gotni savent lire et écrire et l’ignorance, cette source de

bien des erreurs, a fait place à la connaissance raisonnée. Parmi les instituteurs qui

ont dirigé cette école, citons Messieurs Zerrouki, Ben Mansour, Touta, Mokhtari,

Bel Halfaoui et Hadj Slimane.

Gotni, bâti d’une manière dissymétrique, peut-être divisé en plusieurs quartiers

de grandeur et d’importance inégales :

Le quartier Elbass, au centre, avec la mosquée, l’école, la maison du chef de

douar Boutabout, le clan Bendali et diverses autres familles.

Le quartier Sedjari, avec les clans Bengrine et Bessedjerari.

Le quartier Brouss, avec les clans Boulekras et Benzouak.

Le quartier Souahnia, avec le clan Belhachemi.

Le quartier Gaïa, avec les clans des Berrached et des Benouis.

Enfin, la ferme Benyagoub, près du marabout Sidi et Taïeb.

Ces grandes familles musulmanes ont toujours été très estimées. Les Ben-

grine en particulier, dévoués à la France, ont par le travail et l’épargne augmenté

leur patrimoine. Les principales autres familles sont les Benourrad, Bengaddi,

Benmana, Elghaz, Slimane et Bel Razli dont un membre, Kaddour, fut longtemps

courtier : de petite taille et très malin, il comptait les billets de mille francs devant

le vendeur récalcitrant, afin de le troubler et de lui arracher son consentement.

La tribu de Slatna, près du marabout de Sidi Mohamed es Senni, a eut un dé-

veloppement moins heureux que Gotni, ayant été souvent décimée par la maladie.

Elle comprend une cinquantaine de feux. Les fermes des alentours recrutent leur

personnel parmi les ouvriers de ce douar, dont les principales familles sont les Bel-

hadj, Belhassani, Benabbas, Bensalem, Benouzza, Bensaâda, Smahi, Mazouz, et

Khaldi.

Non loin des premières maisons de Slatna, s’élève la grande ferme de

M.Belhassani el Habib ould Benameur, président de la Djemaâ des douars. Son

exploitation agricole, une des plus importante de la commune, fait vivre de nom-

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breuses familles ouvrières. A un kilomètre de la ferme Belhassani se trouve le dar

Ben Ouzza appartenant à M.Khaldi, propriétaire aisé et hospitalier.

Le douar de Ould Ameur est peuplé de familles originaires d’Assi-Ameur, ve-

nues se fixer près du lac des Gharabas, au début du siècle dernier. C’est la fraction

indigène la moins importante de la commune. Ses principales familles sont les

Benchora, Ameur Youcef, Boutaleb, Bouchakor et Morseli.

Slatna et Ould Ameur ne possèdent pas d’école. A Slatna, un taleb, qui fait

fonctions d’Imam, enseigne la langue coranique. Depuis quelques années, il est

question d’ouvrir, près de la figuière, en bordure de la route nationale, une école

française commune à ces deux douars. Avec le nouveau plan de scolarisation, ce

projet ne tardera pas, sans doute, à être réalisé.

Gotni, Slatna et Ould Ameur qui dépendaient de la commune mixte de Saint-

Lucien, furent annexés à la commune de Saint-Louis, en 1886.Périodiquement, ils

élisent une Djemaâ, assemblée de notables qui, présidée par le maire, discute des

diverses questions intéressant la population musulmane : eau, semences, pâturages,

prestations, etc… Nos trois douars ont toujours été représentés au Conseil munici-

pal. Parmi les conseillers qu’ils y ont envoyés, citons les noms de Labib ben Sli-

mane, Miloud ben Abdellah, Makfi ben Raba, Benchaa bel Gotni, El Habib Bou-

bekeur, L’Houari ben Tahar, Abderhamane bou Médine, Boukra Abdelkader,

Ameur Youcef Abdelkader, Benchora Abdelkader, Bengrine M’Hamed et Benme-

krouf Abdelkader.

En 1880, la famille d’Abdelkader bel Hasna vint habiter le village, suivie

l’année suivante par les familles de Benyebka ben Sabeur et d’Adda bou Rouis.

A partir de 1890, l’installation de familles indigènes va s’accentuant. Parmi

ces très nombreuses familles, dont la fixation définitive, parmi nous, pose un grave

problème d’habitat rural qui ne sera résolu que par la construction d’une cité pour

les indigènes locataires, je ne citerai que quelques noms : Belaouni, dont un

membre combattit à Sedan, Aniba , Néari, Kouider, Lakdar, Amami, Daoud, dont

le chef mourut en allant faire son pèlerinage à La Mecque ( Est-il de plus belle

mort pour un pieux musulman ? ) , Beraho, Benaouar, Boudia, Boulekras dont le

chef Abdelkader, d’une honnêteté extrême, mettait en pratique les plus sages pré-

ceptes du Coran, et Maâmar qui nous donna notre premier caïd, le regretté Agha El

Habib.

Maâmar El Habib, né à Gotni, vers 1860, d’une famille originaire de Mascara,

fut d’abord commerçant. Conseiller municipal, puis adjoint indigène, en 1897, il

reçut le burnous rouge en 1901. Il resta toute sa vie ami de la France. Sévère et

bon, il a fait régner l’ordre et la justice parmi la population musulmane. Le Gou-

vernement de la République reconnaissant des services de ce dévoué fonctionnaire,

l’avait élevé à la dignité d’agha honoraire après l’avoir promu commandeur dans

l’ordre national de la Légion d’honneur. Il mourut au début de 1947 et fut enterré,

selon son vœu, dans la mosquée qu’il avait fait édifier une dizaine d’années aupa-

ravant, près de l’entrée du village ( voir notes ) . Le second fils de l’Agha Maâmar,

Boualem, ancien élève de notre école de garçons, grand voyageur, négociant et

chevalier de la Légion d’honneur, nommé caïd, en 1944, mourut l’année suivante.

Ahmed, frère du précédent, lui succéda dans cette charge. Notre nouveau caïd a

déjà montré dans l’exercice de ses fonctions, les qualités de son vénéré père.

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Notes : Cette mosquée a été consacrée, le 17 décembre 1937, par M. le Profes-

seur de Sciences Zeddour Hadj Tayeb, en présence de M M. Benhalima, délégué

financier, Belarbi Benkadda, conseiller général, l’agha Benchiha Kouider, l’agha

Maâmar el Habib, Genthial, maire, entouré des membres de son conseil municipal,

d’éminentes personnalités religieuses et de notabilités du département.

Le journaliste, Henri Bourrière, envoyé spécial de « l’Echo d’ORAN », qui avait

assisté à l’inauguration de la mosquée de Saint-Louis, en a donné la description

suivante :

« Ce bâtiment, entouré d’un mur de clôture, d’un style très simple, a été entière-

ment conçu par le caïd lui-même. Il comprend une salle de prières,

une école coranique, un jardinet avec jet d’eau et le logement de l’imam.

« La grande salle a 12 mètres de long et 10 mètres de large et comporte six co-

lonnes. Sur un des côtés se trouve, près d’une chaire, le Mirhab, niche aménagée

dans le mur Est et indiquant la direction de la Mecque. Couverture et riches tapis,

décorée de mosaïque, du plus bel effet et de lampadaires électriques, elle reçoit la

lumière du jour par quatre fenêtres mauresques et deux portes de même style y

donnent accès.

« On accède à la terrasse par un escalier extérieur en maçonnerie et le minaret, à

la base carrée, avec galerie à jour, est couronné par un dôme pointu. La chambre

qui en forme la base est destinée à recevoir les hôtes de

passage. Un second escalier à marches étroites contourne le minaret et permet

l’accès à la galerie.

« Quant à l’extérieur de l’édifice, il est très simple, d’une nudité d’ailleurs

voulue par les coutumes musulmanes. »

L’Imam :

A Boufatis comme dans toute l’Algérie et dans tous les pays musulmans : Per-

sonnage le plus important du village !

Après les divers Imams qui étaient chefs de culte à Boufatis dans la période de la

colonisation, M. Hadj ZINE Mekhaïssi, né en 1930, fut nommé Imam de Boufatis

après l’indépendance en 1963.

Elève dès 1943 de l’Erudit Si Ahmed El Ghalemi et doté d’une connaissance

très approfondie du Coran, cet humble homme nous assista dans nos joies et nos

malheurs jusqu’en 2001 : date de sa retraite bien méritée !

Cet homme pieux, originaire de Zaghloul ( Zahana ) , a su par sa sagesse as-

sister toutes les âmes en détresse et mener à bien sa mission dans une période où

le pays était ravagé par la violence. Il a toujours été fidèle à son image : c’est à

dire disponible pour son prochain, juste, intègre et bon médiateur.

Tous les Boufatissiens que tu as consolé dans leurs peines, que tu

as accompagné dans leurs joies, te souhaitent longue vie et un grand MERCI ! ! !

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En conclusion, en ce qui concerne les familles musulmanes, la famille BE-

NABDERRAHMANE Abdelkader nous a donnée notre première Sage-Femme

dotée d’un Don naturel ( Hikma ) pour l’accouchement des femmes musulmanes.

A l’époque, la plupart des Boufatissiens ont vu le jour avec l’aide et la Baraka de

cette femme :

Madame GUENAOUI TANGIR Halima fut la dernière descendante qui

possédait cette « HICKMA », mais malheureusement elle n’eut pas de fille pour

propager cette « BARAKA ». Une pensée donc chaleureuse et pleine d’émotion à

cette merveilleuse femme plein de bonté et d’humilité qui a tant fait pour ce village

en sachant toujours rester dans l’anonymat …

Encore une fois MERCI aux noms de tous les Boufatissiens que tu as vu naître !

CHAPITRE VIII

LES FERMES

Jusqu’en 1865, l’exploitation des terres n’existent qu’autour du village et tous

les rapports des inspecteurs de la colonisation n’indiquent la présence d’aucune

ferme. Cependant, dès 1850, quelques colons du village Mangin font part au capi-

taine Milliroux de leur désir de créer des fermes sur les terrains de la plaine de

Mangin. Ces terrains appartenant à la commune de Saint-Louis n’avaient pas en-

core été lotisés. Le capitaine donna un avis favorable à cette demande et , en prévi-

sion de l’établissement de ces fermes, fit tracer une route. Le Choléra qui décima le

village de Mangin, anéantit ce projet d’exploitation fermière et la plaine de Mangin

fut lotisée, en 1852, au profit des nouveaux colons Saint-Louisiens.

C’est autour de la colline de Saint-Adelaïde qu’on créa les premières fermes.

Elles ne furent, à l’origine, que de simples constructions destinées à abriter les

bêtes et gens qui venaient camper pendant la saison des gros travaux. La grande

distance qui séparait certaines parcelles du village d’Assi-ben-Fréha décida les co-

lons de ce village à devenir définitivement fermiers. Et c’est alors la construction

des fermes suivantes : Laloue, Magrin , Espiard, Calmels, Chaudesaigues, Büsch,

Salomon, et Renaudin. Par suite de la séparation définitive des communes de

Saint-Louis et Legrand, presque toutes ces fermes furent comprises dans le terri-

toire de Legrand, à l’exception de trois :

1° La ferme Paris ( ancienne ferme Etienne Espiard ), près de la route reliant

Sainte-Adelaïde au groupe de fermes des salines ;

2° La ferme Marcel Espiard, près du cimetière de Gotni ;

3° La ferme Gabriel rabisse ( ancienne ferme Salomon ), à gauche du plateau Ed

Debabid (1) .

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A gauche de Gotni, entre Toumiat et les Salines d’Arzew, il existe quatre

fermes : les fermes Roblès et de Torrès, chacune d’une contenance de 25 hectares

environ, la ferme Marcel Espiard et la ferme Narcisse Magrin ( ancienne ferme

Henri Magrin ), en bordure des Salines.

…………… (1) Une partie de cette ferme a été achetée, il y a quelques années par M. Adolphe Salomon, pe-

tit-fils de Xavier Salomon .

Si nous prenons la route d’Arzew au Tlélat, nou arrivons, à deux kilomètres du

croisement, à un groupe de trois fermes que j’appellerai groupe de Ben Ghermoud,

parce qu’à l’origine, ces terres dépendaient de la fraction de Ben Ghermoud. Ce

sont les fermes : du Caïd MAMMAR , Delorme et Bonhomme.

La ferme Delorme (ancienne ferme Lamur), à 140 mètres d’altitude, domine

presque toute la commune.

Elle possède une grande cave, de nombreux bâtiments et une maison de maître, de

style mauresque, au fond d’un grand jardin. Par la proximité du village avec lequel

elle est reliée par téléphone, par son altitude qui lui donne une vue splendide, cette

ferme offre un séjour agréable. Aussi est-elle habitée souvent par son propriétaire,

M. Barthel Delorme, riche viticulteur, qui dirige personnellement son exploitation

(1).

La ferme Bonhomme se trouve près du marabout de Sidi Lakhdar. Ses terres, en

partie plantées en vigne, sont de bonne qualité et l’eau potable de ses puits permet-

tait, sans doute, l’irrigation et le jardinage. La ferme du Caïd Mammar se trouve

juste en face et un peu en retrait ( voir plus haut ) .

Après le croisement, en suivant la route d’Arzew au Tlélat, nous nous dirigeons

vers le groupe de fermes du Lac. A droite existent deux fermes. La première, la

ferme Emile Wahl ( ancienne ferme Antoine Phalippon ), bâtie près du cimetière

de Slatna, est une grande exploitation aux terres magnifiques. Jusqu’en 1944, elle

appartenait à Justine Phalippon épouse d’Emile Wahl, oncle de l’actuel proprié-

taire. La seconde, la ferme Gabriel Vidal ( ancienne ferme Olivier ), située au pied

du ravin El-Féraga, possède un vignoble fort bien cultivé.

A gauche existe un groupe important de fermes qui se sont élevées sur les an-

ciens terrains de la tribu Ould Ameur. Ce sont les fermes Artigouha, Clarès et Mar-

tinet. Les actuels propriétaires sont les petits-fils de Jean

……………. (1) Cette ferme vient d’être acquise par MM. Falguière et Albert Clarès.

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Artigouha qui construisit la première ferme, en 1885. Ils ont agrandi leurs parts

respectives et créé un vignoble de 270 hectares, dont le rendement est toujours éle-

vé, car les terres, en partie alluvionnaires, sont d’une grande fertilité.

En bordure de la forêt, et au-dessus de la tribu Ould Ameur, se trouve le lotis-

sement de 1914 : 516 hectares détachés de la Forêt Moulay Ismaël et qui ont formé

six fermes (1) :

La ferme Haudricourt ( ancienne ferme Veuve Antoine Clarès ), dont la totalité

des terres est plantée en vigne.

La ferme Genthial possède 35 hectares de vigne et une quarantaine d’hectares

de céréales. Ses ravins sont plantés d’arbres fruitiers ( pruniers et pêchers ) qui

produisent des fruits savoureux. M. Antoine Genthial, officier du mérite agricole et

grand ami de l’arbre, dirige son exploitation d’une façon parfaite.

La ferme Flory, appartenant au commandant d’artillerie de réserve Alphonse

Flory, très connu dans la région, possède une vingtaine d’hectares de vigne.

La ferme Tapie ( ancienne ferme Richard ) a d’excellentes parcelles de vigne

sur les penchants.

Les deux autres fermes, Emile Wahl et Delorme ( ancienne ferme Barrachini ),

cultivent surtout les céréales et pratiquent l’élevage des moutons.

Ces six fermes sont d’une exploitation pénible, par suite du manque de routes

carrossables, des accidents de terrain qui interdisent souvent la monoculture, et de

la rareté de l’eau. Il a fallu la ténacité de certains propriétaires pour vaincre ces dif-

ficultés naturelles.

Après le croisement s’étend un quadrilatère de 10 kilomètres de long, traversé

par la route d’Assi-Ameur à Saint-Denis-du-Sig. Sa largeur est inégale : trois ki-

lomètres cinq cent, du début des Salines jusqu’au point le plus éloigné de la limite

forestière, un kilomètre cinq cent du Petit Poste jusqu’à la traverse qui conduit à la

ferme Ségarra.

……………

(1) Ces fermes sont des concessions d’une contenance de 75 à 85 hectares. Leur régime

d’acquisition était le suivant : « Elles peuvent être accordées gratuitement aux Français ou Euro-

péens naturalisés, de préférence aux chefs d’une nombreuse famille, cultivateurs de profession et

possédant des ressources suffisantes pour mettre en valeur leur concession et vivre en attendant

la récolte. Leur superficie peut atteindre 200 hectares. Une résidence personnelle de 10 ans est

imposée au concessionnaire. Toutefois, celui qui, au bout de 5 ans de résidence personnelle, aura

construit des bâtiments d’une certaine importance et réalisé des améliorations utiles et perma-

nentes dont le montant lui aura été indiqué dans l’acte de concession, pourra être affranchi de

l’obligation de résidence personnelle. Le concessionnaire doit exploiter personnellement sa con-

cession. »

Célestin JONNART. ( Exposé de la situation générale de l’Algérie )

Il est limité par la colline Hammar ed Debâa, les salines d’Arzew et la forêt doma-

niale de Moulay Ismaël. Cette étendue de 3.000 hectares environ , peut se diviser

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en deux parties : 1re Une plaine alluvionnaire encaissée entre les premiers contre-

forts du Toumiat et la chaîne de collines qui commence au marabout de Moulay

Abdelkader ; 2e Ces collines elles-mêmes d’une altitude moyenne de 200 mètres,

séparés par des ravins profonds : Ouidga, Hammad, Djira, Seba, Ouazi et Ker-

rouch.

Cette pointe extrême de notre commune est connue sous le nom de Forêt

d’Ismaël. Il y a cent ans, une immense forêt de tuyas, d’arbousiers, d’oliviers, de

chênes-verts et de lentisques s’étendait jusqu’aux pieds des collines, à quelques

centaines de mètres de la route. Très boisée et giboyeuse, elle était, pour les indi-

gènes, une précieuse source de profits. Des tribus l’habitaient et j’ai relevé les ves-

tiges de l’une d’elles, à un kilomètre de la ferme Clément. La plaine, ancien fond

marin colmaté par les alluvions au début du quaternaire, était cultivée, il y a plus

d’un siècle, par une fraction de la redoutable tribu des Gharabas.

Après la conquête, deux lots de 1.000 hectares furent attribués aux capitaines

de l’Armée d’Afrique Jonquier et Manégat. Ces lots qui dépendaient de la com-

mune mixte de Saint-Lucien, ont été rattachés, en 1896, à la commune de Saint-

Louis, après une délibération du Conseil municipal qui approuva une pétition

adressée en ce sens par les fermiers.

La plaine, jusqu’au début des Salines, comprend maintenant les fermes Tachon,

Giudicelli, Zarat et Genthial.

La ferme Tachon ( ancienne ferme Antoine Martinet ) exploite une soixantaine

d’hectares de vigne et de céréales.

La ferme Giudicelli ( ancienne ferme Antoine Vidal ) se livre à l’élevage et à la

culture des céréales. Ses terres sablonneuses, inondées pendant la saison des pluies,

sont les plus fertiles de la Forêt. Bâtie en bordure de la route, elle possède une

grande citerne où viennent s’abreuver les voyageurs de passage. Exploitée depuis

plus de quarante ans par la famille Sévilla, de Fleurus, elle vient d’être acquise par

M. Adrien Genthial, second adjoint au maire de notre commune.

La ferme Zarat ou Dar Ben Chaâ, située près du ravin Boukra, d’une conte-

nance de trente hectares, appartient aux enfants de Ben Chaâ Bel Gotni.

La ferme Adrien Genthial ( ancienne ferme Victoria, Charles Caillau et Carton

) a surtout été mise en valeur par M. Siffrein Carton, pépiniériste, à Fleurus.

C’était, à l’origine, une ferme d’une quarantaine d’hectares. Le Dar el Dahlia,

comme on l’appelle, possède maintenant 110 hectares de bonnes terres, dont 90

hectares de vigne.

Un chemin qui, de la route, conduit au douar Gotni, sépare les derniers terrains

de la ferme Genthial des premières terres du domaine Duplan. Ce domaine, qui

s’étendait jusqu’aux limites extrêmes de la commune, appartenait à Michel Mané-

gat, riche négociant oranais. Ce devait être une ferme-modèle pour la sélection de

l’élevage et l’adaptation de nouvelles cultures. Ce projet échoua faute de techni-

ciens avertis et Michel Manégat loua sa ferme à François Jorro qui, aidé de ses fils,

y travailla pendant une dizaine d’années et fit de superbes récoltes. Des meules

immenses de blé, d’orge et d’avoine entouraient deux aires. La nuit, elles étaient

gardées par un serviteur dont je conserve encore le fusil à pistons. Malgré sa petite

taille, le vieil homme n’avait peur de rien. Et, pendant que les vanneurs se repo-

saient des rudes fatigues de la journée, il veillait attentivement sur la plus haute

meule, comme l’ange gardien, de ces récoltes fécondées par tant de peines.

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Après le départ du métayer Jorro, le domaine Manégat devint la propriété du

Crédit Foncier d’Oran. Un gérant fut chargé de le faire valoir par des cultivateurs

placés sous sa surveillance. Une quinzaine de familles européennes travaillaient

alors à la ferme de la Compagnie. Il subsiste encore les ruines des maisonnettes

bâties par les familles Pérez, Ribès, Escolar et Cortès qui défrichaient et ensemen-

çaient les terres les plus éloignées. Vers 1902, le Crédit Foncier vendit 300 hec-

tares à des religieux de Saint-Denis-du-Sig qui les cédèrent aux familles Ségarra et

Esclapez. Deux fermes furent bâties en 1905 : la ferme Veuve Boronad, née Escla-

pez et la ferme Jean Ségarra. Très éloignées de la route, elles s’adonnent à

l’élevage et à la culture des céréales.

En 1918, la ferme de la Compagnie fut achetée par M. Auguste Duplan, agricul-

teur algérois, qui agrandit les bâtiments, défricha les dernières terres cultivables,

créa un vignoble de 180 hectares et pratiqua en grand l’élevage.

Les terres du domaine produisirent alors jusqu’à 5.000 quintaux de grains que

le nouveau propriétaire dépiqua lui-même avec sa batteuse. Ancien conseiller

municipal de la Forêt, M. Duplan habite maintenant le village où il jouit avec

Madame Duplan d’un repos bien mérité. Le domaine Duplan, est scindé, depuis

1945, en trois fermes : les fermes Parfait et Gilles Duplan et la ferme Roland

Duplan, nouvellement bâtie près de la maison cantonnière.

Le domaine Jonquier fut acheté, vers 1880, par Louis Lamur, le plus impor-

tant propriétaire oranais, qui construisit la ferme dite « du Marabout » . Cette

ferme appartient, depuis 1931, à M.Delorme. D’une contenance de 300 hec-

tares, elle possède un vignoble de 80 hectares, de nombreuses terres de labour,

une belle oliveraie et un réserve forestière très giboyeuse (1).

Le reste du domaine fut fractionné en lots de trente et soixante hectares,

loués avec promesse de vente à des familles nouvellement installées, à Saint-

Louis. C’était en 1882. Vincent Esclapez, Antoine Garri et François Diaz obtin-

rent chacun 60 hectares. Ces trois fermiers eurent des fortunes diverses. Fina-

lement les trois lots revinrent à Vincent Esclapez qui agrandit sa ferme, par la

suite. Cette ferme de 280 hectares fut vendue, en 1932, à M. Malé, de Mascara,

qui créa un vignoble de 80 hectares et construisit une belle cave. Depuis deux

ans elle est la propriété d’un oranais, M. Tari.

Près de l’école existait la ferme Christophe Munoz, possédée aussi par Jo-

seph Esclapez et Pierre Lorca. De cette ancienne et modeste ferme, il ne reste

plus qu’une petite bâtisse en ruines et une dizaine d’hectares de céréales, appar-

tenant à Madame Veuve Sarrazin.

Sur l’emplacement de la ferme Anselme Esclapez, qui possède une quaran-

taine d’hectares de céréales, s’élevait la ferme de François Castano, dit le « tio

Faco », touchante figure de l’ancienne vie Ismaëlienne. C’était un rude travail-

leur, d’une piété exemplaire, qui descendait le samedi soir au village, afin

d’assister à la messe et aux vêpres du dimanche. Pendant son absence, Chris-

tophe Fernandez gardait la ferme. Cet ouvrier travaillait toute l’année à la ferme

Castano. Mais, lorsque les gros labours d’hiver étaient terminés, le démon des

plaisirs citadins le tentaient. Il osait demander un congé à son patron qui le re-

prenait en lui montrant le péril des rues montantes du vieil Oran.

Alors Christophe s’entêtait dans sa pernicieuse idée et lançait une telle ma-

lédiction que le pieux fermier le chassait bien vite en se signant avec épouvante.

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Par la traverse, Christophe s’en allait gaiement au village et la diligence le dé-

posait à Oran. Il y restait jusqu’à épuisement

…………….. (1) Cette importante exploitation ainsi que l’ancienne ferme Barrachini, ont été acquises

dernièrement par MM. Falguière et Clarès.

de ses économies, hantant les cantines où il se saturait d’alcool et d’airs

d’accordéon . . .

Mais tout a une fin en ce monde et cette belle vie ne durait jamais plus de

huit jours. Quand sa bourse était vide, Christophe, le cœur un peu triste, reve-

nait, à Saint-Louis, et gagnait la maison Castano. Bien qu’il connût l’indulgence

de son maître, Christophe appréhendait cette rencontre du samedi. Du plus loin

qu’il l’apercevait, le père Castano lui criait de ne pas l’approcher. L’ouvrier

honteux ( on a honte de ses souillures ) baissait la tête, prenait la bête par la

bride et dételait. Le soir, il soupait près de l’âtre, tandis que le vieux campa-

gnard lui jetait, de temps à autre, un regard sévère.

Le lendemain, en allant à la grande messe, le père Castano apercevait, près de

l’abreuvoir, son ouvrir endimanché qui pénétrait avec lui dans l’église,

s’asseyait près de lui et suivait avec dévotion le sacrifice. A midi, le maître

adouci daignait dire à sa femme d’offrir un verre d’absinthe au nouveau conver-

ti qui dînait silencieusement en famille… A trois heures, on allait aux vêpres.

Après les vêpres, on buvait le café. Christophe attelait le petit break, y plaçait

les vivres de la semaine…

L’heure du départ approchait. Celle du pardon aussi… Le vieux fermier tirait

sa montre et lançait d’un air bourru et amical : « Nous partons ? » Christophe ne

se faisait pas répéter deux fois cette question et alors, sous le regard attendri de

la mère Castano, maître et ouvrier réconciliés s’en retournaient à la Forêt. La

fugue de l’ouvrier prodigue se terminait ainsi chaque année par le pardon du

bon maître et par le retour au bercail. Mais ceci est un peu l’histoire de toutes

les fugues.

La ferme Salomon ( ancienne ferme Jean Esclapez ) d’une contenance de 65

hectares, est située près du ravin abrupt qui, en hiver, charrie une partie des

eaux de la Forêt vers les Salines.

Plus haut, à 160 mètres d’altitude, s’élève la ferme Adréo Clément : 110

hectares, dont le quart planté en vigne. Baptiste Clément et ses fils défrichèrent

et mirent en valeur cette ferme aux terres accidentées, mais de très bonne quali-

té. La ferme Jean-Antoine Esclapez appartenait à Barthélemy Ros, grand-père

de l’actuel propriétaire. Ses terres ( 80 hectares, dont la moitié en vigne )

d’excellente qualité, sont toutes groupées autour de la maison de ferme dotée

d’une cave fort bien aménagée.

La ferme de M. Jean-Sauveur Esclapez, conseiller municipal de la Forêt

d’Ismaël, d’une contenance de 100 hectares, dont 60 en vigne, s’élève sur

l’emplacement d’une ancienne maison forestière. C’est une importante exploi-

tation dotée de tout confort moderne.

La ferme Eulalie Esclapez ( ancienne ferme Trémont ) fut acquise, en 1910,

par Sauveur Esclapez qui y constitua un vignoble de 32 hectares.

La ferme Carrétéro ( ancienne ferme Segarra ) d’une contenance de 65 hec-

tares, dont 36 en vigne, possède une grande cave et des bâtiments spacieux. De-

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vant la ferme se trouve un jardin qui, au printemps, lui donne une parure de

fête. Cette ferme a conservé sa vieille renommée d’hospitalité.

La Forêt d’Ismaël, véritable hameau, comptait 180 habitants, en 1910. Pen-

dant les jours de fête, on s’y amusait aussi bien qu’au village et il régnait parmi

les nombreux fermiers et ouvriers européens, une franche amitié que resser-

raient parfois des liens familiaux.

Une maison cantonnière bâtie en 1898, permit d’assurer le service vicinal

sur une dizaine de kilomètres. Le chemin de grande communication d’Assi-

Ameur à Saint-Denis-du-Sig, très fréquenté, est la grande voie de trafic entre la

plaine de Saint-Cloud et celle du Sig.

Le nombre d’enfants d’âge scolaire étant assez important, le Conseil muni-

cipal vota, en 1911, un projet de création d’une école mixte. Ce projet, approu-

vé par M. l’Inspecteur d’Académie, appuyé par les conseillers généraux Jaeger

et Pitollet, permit la construction de cette école qui fonctionne depuis le 1er oc-

tobre 1913 et qui a rendu de grands services à la population Ismaëlienne.

Depuis 1941, je dirige cette sympathique école de campagne, dont la classe a

été restaurée dernièrement grâce à la bienveillance de notre dévoué maire qui

veut que l’instruction soit dispensée dans les meilleures conditions possibles,

jusque sur les points les plus reculés de la commune.

Il existe, paraît-il, un projet de liaison téléphonique avec le village et

d’électrification des diverses fermes. Si ce projet venait un jour à être réalisé,

notre hameau ne souffrirait plus de ce complexe d’isolement qui lui a été par-

fois préjudiciable.

CHAPITRE IX

LA VIE ECONOMIQUE

Saint-Louis est un village essentiellement agricole. La pauvreté de son sous-

sol ne lui a pas permis d’y faire vivre quelque industrie. Nous n’avons ni car-

rières de marbre comme Kléber, ni sources minérales comme Arzew, ni gise-

ments calcaires comme Fleurus. Toute notre activité depuis un siècle a donc été

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tournée vers l’agriculture et, malgré de mauvais débuts, l’excellente qualité de

nos terres a été le facteur le plus important de notre prospérité. J’ai déjà parlé

des premiers colons, des difficultés qu’ils rencontrèrent et surtout de leur ina-

daptation à la culture et au climat algériens. Les terres étaient belles, mais elles

demandaient beaucoup de travail et leur défrichement fut le grand problème de

l’époque.

De 1848 à 1851, la rareté des pluies pendant les mois décisifs de l’épiage

découragea les meilleurs colons. Ce régime hydrographique n’a pas changé de-

puis (1) . Saint-Louis n’est pas une région à céréales et le capitaine Milliroux

disait déjà, dans son rapport d’août 1849 : « Les ressources qu’on devra recher-

cher plus tard sont dans la vigne, les plantations, les pâturages ; la production

des céréales me paraît ici un accessoire qui, tout d’abord, sera le gagne-pain de

la population jusqu’à ce que la vigne, les plantations, les pâturages aient été

établis ».

Les pluies de 1851 décidèrent, enfin, l’essor de l’industrie d’un assez grand

nombre de colons. Entre temps, on fit beaucoup de plantations. Plusieurs mil-

liers d’arbustres avaient été mis en terre. Très peu résistèrent à la sécheresse ; il

ne resta que ceux qui avaient été donnés à quelques colons intelligents, soi-

gneux et un peu plus aisés que les autres.

…………….. (1) Voici les précipitations atmosphériques des trois dernières années relevées par le service

pluviométrique de l’Institut de Géologie et de Physique du Globe :

1946 : 249 m/m, 9 ;

1947 : 272 m/m, 1 ;

1948 : 386 m/m, 8 ;

Parmi ces colons, j’ai relevé le nom de Gaspard Pomel, transporté politique

qui, grâce à sa conduite réservée et laborieuse, avait obtenu une concession. Ce

jeune homme possédait une instruction remarquable et était honoré de la bien-

veillance du sénateur Elie de Beaumont avec lequel il était en correspondance

scientifique. Il avait entrepris de vastes travaux agricoles, notamment une plan-

tation de deux hectares de coton ; il avait établi une noria pour arroser ses cul-

tures. Un accident survenu à cette noria, au moment d’une grande sécheresse,

occasionna la perte de toute sa récolte.

Le Colon Henri Costérian fit une plantation de mûriers pour l’élevage des

vers à soie.

La première vigne ( deux cents plants de Mascara ) fut plantée par le colon

Vincent. La vendange de ce minuscule vignoble dut être fêtée avec une rustique

allégresse ! Il ne subsiste plus rien des premières vignes Saint-Louisiennes, à

l’exception de celle de Clovis Jeanneret, plantée en 1865, dont les ceps de Cari-

gnan produisent encore du raisin. Ce paysan de France avait donc raison quand

il me disait qu’une vigne bien travaillée, pouvait vivre pendant trois et même

quatre générations !

A part ces rares essais d’acclimatation, on cultivait surtout les céréales :

orge, blé, avoine et un peu de seigle. Les meilleures récoltes s’obtenaient dans

les terres sablonneuses et humides de la plaine Salée. Pendant la désastreuse

année 1881, seule la Plaine Salée produisit du grain, ce qui permit à certains co-

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lons de ne pas s’endetter. Mais quand la récolte était bonne, les dépiquages du-

raient jusqu’à la fête de Saint-Louis.

La mévente du vin n’était pas pour encourager les viticulteurs (1) . On en vit

même arracher de la vigne pour semer du blé, tel Joseph Artigouha, possesseur

d’un important vignoble, à qui un acheteur refusa un jour deux charrettes de rai-

sin sous prétexte que ce raisin était avarié. Les vieux Saint-Louisiens ont connu

le quintal de raisin à cinquante sous. Et Antoine Phalippon, le plus riche pro-

priétaire du village, disait souvent qu’il aurait planté volontiers toutes ses terres

en vigne si le quintal avait valu cinq francs. Ces prix ont été singulièrement dé-

passés !

L’essor de notre vignoble date de l’après guerre. Les prix sans cesse crois-

sants encouragèrent les colons à entreprendre de grandes plantations. Mais dé-

pourvus de caves modernes, ils préféraient vendre le raisin. Quelques-uns ce-

pendant continuèrent à vinifier dans leurs caves. La première cave moderne fut

construite en 1929 par M. Genthial.

……………..

(1) En 1898, le vignoble Saint-Louisien ne couvrait que 450 hectares. Aujourd’hui, il s’étend

sur 2.932 hectares.

Le transport du raisin vers des caves éloignées présentait des inconvé-

nients : fatigue des charretiers et des équipages, usure des véhicules et perpé-

tuelles contestations entre vendeurs et acheteurs au sujet du poids et du degré.

Devant un tel état de choses, la construction d’une cave coopérative pour les pe-

tits et moyens viticulteurs de Saint-Louis et Legrand s’imposait. Paul Boichard

et philippe Holtzscherer, en eurent l’initiative. Un prêt du Gouvernement géné-

ral, payable à long terme, permit d’entreprendre la construction de cette cave

qui est située sur le territoire de la commune de Legrand, à égale distance des

deux villages. D’une contenance primitive de 20.000 hectolitres, elle a été inau-

gurée en 1932. Philippe Holtzscherer en fut le premier président et Paul Boi-

chard qui venait de prendre sa retraite d’instituteur, le premier directeur. Parmi

les membres fondateurs, je citerai : MM . Alfred Ancessy , Justin Placide, et

Paul Rickwaert, de Saint-Louis, Sidoine Landelle, Marcel Espiard et Adolphe

Salomon, de Legrand.

Devant le succès de cette magnifique réalisation, d’autres viticulteurs, appar-

tenant souvent à des villages voisins, demandèrent leurs adhésion. Le conseil

d’administration décida alors, en 1934, l’agrandissement de la cave qui peut lo-

ger maintenant 70.000 hectolitres et qui groupe 130 adhérents. Avec ses qua-

rante-huit cuves, sa quadruple rangée d’amphores, cette cave, véritable usine,

est une des plus importantes du département. Depuis sa fondation, M. René

Holtzscherer, ingénieur de l’institut agricole de Maison-Carrée, a assuré la vini-

fication d’une façon parfaite. L’actuel président, M. Marcel Espiard, est un viti-

culteur expérimenté et un mutualiste de la première heure.

De 1932 à 1938, se construisirent au village, les caves Tachon, Martinet,

Artigouha, Clarès, Gérard, Bru et Falguière. Certains viticulteurs, supprimant

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foudres et cuves profondes, modernisèrent les leurs et adoptèrent le principe de

la réfrigération des moûts qui permet une meilleure et plus sûre vinification.

Une cuverie construite par M. Kruger, négociant à Oran, pour la vinification

des raisins de MM. Belhassani et MAMMAR, fonctionna pendant quelques an-

nées.

Cette période qui va de 1920 à 1939, fut la grande période viticole de Saint-

Louis. Les jeunes vignes, bien travaillées, eurent des rendements élevés : une

parcelle d’alicante de 10 hectares, appartenant à M.Albert Artigouha, produisit

1.200 quintaux. Avant cette sécheresse des années 1940 à 1947 qui a porté un

rude coup à notre vignoble, notre production vinicole a toujours été satisfai-

sante. Les deux plus mauvaises récoltes que nous avons enregistrées sont celle

de 1926, par suite du cyclone et celle de 1946, par suite du siroco (1).

La guerre, la pénurie de matériel et de combustible, le manque de main-

d’œuvre qualifiée, la rareté des pluies printanières ont entravé les replantations.

Néanmoins, quelques viticulteurs surmontant de grandes difficultés, ont déjà

reconstitué leurs plus vieilles parcelles. Afin que nous fêtions ce centenaire

dans une joie toute bacchique, la vendange a

……………. (1) En 1946, la Cave Coopérative n’a vinifié que 18.370 hectolitres de vin, le siroco ayant

anéanti, d’après des estimations pertinentes, 60 % de la récolte. été bonne. Les caves particulières se sont remplies ; la cave coopérative a vini-

fié 51.000 hectolitres. Buvons donc le vin nouveau à la santé de nos familles et

à la prospérité de notre village !

Nos plantations d’arbres n’ont pas eu l’ampleur qui aurait dû leur être donnée.

Cependant, certains essences viennent bien chez nous : le pin odorant, le ca-

roubier, précieuse source de ration, l’eucalyptus ombrageux, le mûrier, dont les

derniers survivants me rappellent les belles années de mon enfance. Seul

l’olivier a été planté un peu partout : le long des chemins, au bord des ravins,

sur les penchants pierreux, parfois même à la limite des vignes. Notre produc-

tion oléagineuse a motivée la création d’une huilerie . Cette Huilerie - Confise-

rie pouvant traiter 10.000 quintaux d’olives et appartenant à M. Pascual, a été

construite il y a deux ans. Elle a déjà rendu de grands services à nos agriculteurs

qui n’ont plus à transporter leurs olives jusqu’à Saint-Denis-du-Sig ou Oran.

Le jardinage familial, encouragé au début de la colonisation par le capitaine

Milliroux, n’existe plus. Depuis une dizaine d’années, quelques jardins de la

sortie du village ( Cubizolles, Pétremant, Daoud ), produisent des légumes et

des primeurs. L’eau de leurs puits, abondante, mais trop chargée de chlorure de

sodium, est malheureusement loin d’égaler celle d’Assi-ben-Okba. Aussi, ces

courageux essais de jardinage, limités d’ailleurs à une petite zone de terres

inondés par les eaux de ruissellement, ne semblent guère avoir de chances de se

développer dans notre commune (1).

Les meilleures terres ayant été plantées en vigne, notre production en cé-

réales n’est pas aussi importante qu’il y a cinquante ans. Le rendement est mé-

diocre : moins de 10 quintaux en moyenne à l’hectare. Cependant, il y eut

quelques exceptions. Les récoltes 1933 et 1939 ont été excellentes et M. An-

toine Genthial a récolté, en 1933, 620 quintaux de blé tendre dans une parcelle

de 20 hectares.

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Mais ces dernières années ont été fatales aux céréaliculteurs. Ceux qui ont

récolté la semence et la ration se sont estimés heureux.

……………….. (1) « Faute d’eau, il y a pas de culture maraîchère à Saint-Louis et les habitants sont obligés

de s’approvisionner aux marchands de légumes qui viennent d’Oran ».

« L’Illustré Algérien », année 1898.

Par une inexorable fatalité, les mauvaises récoltes ont coïncidé avec les années

de guerre. Les colons durent se ravitailler en paille et en grain dans d’autres ré-

gions plus favorisées. Certains dépensaient ainsi le peu d’argent qu’ils réali-

saient avec leur vendange. Cette année, la récolte de céréales a été assez bonne

(1). Aurions-nous, enfin, traversé, comme les Egyptiens antiques, cette longue

suite d’années terribles pour nous acheminer vers un bien durable ?

Ce qui a sauvé notre agriculture durant cette sombre période, c’est surtout

l’appui des organismes syndicaux. C’est grâce à eux que nos agriculteurs n’ont

pas été la proie de profiteurs sans scrupules. Le prodigieux essor des caisses ré-

gionales a fait reculer l’usure. Grâce à elles, les colons ont pu obtenir, à bon

compte, les crédits indispensables à leurs travaux et à l’amélioration de leur ma-

tériel. En matière de crédit agricole, les bienfaisants effets de la mutualité ont

été d’un concours inespéré pour la colonisation.

Le premier syndicat agricole a été créé, à Saint-Louis, le 25 décembre 1920.

Il comprenait : M. Antoine Genthial, président ; M. Albert Artigouha, vice-

président ; M. Louis Martinet, trésorier ; M. Paul Boichard, secrétaire et dix

membres : MM. Alfred Ancessy, René Bordères, Siffrein, Carton, Jean Clarès,

Gustave Espiard, Pierre Gilbert, Joseph Gonzalès, Philippe Holtzscherer, Louis

Jeanneret, Sidoine Landelle, Constant et Gabriel Magrin, MAMMAR Boualem

, Henri Masson et Emétério Pastor.

Ce syndicat auquel étaient rattachées les assurances mutuelles agricoles n’a

cessé de grandir. Au 1er avril 1935, il comprenait déjà 114 adhérents apparte-

nant aux communes de Saint-Louis et Legrand, toujours solidaires en matière

agricole ! Sous la présidence d’honneur

de M. Antoine Genthial, vieux pionnier du syndicalisme, il est dirigé, depuis

1941, par M. jean Falguière, président et M. Gabriel Magrin , vice-président ,

qui ont donné une impulsion nouvelle à cet organisme local.

La situation financière de notre syndicat qui n’était que de quelques milliers

de francs avant la guerre est passée à 26.941 francs pour l’année 1948.

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…………….. (1) Pour l’année 1948, les quantités déclarées ont été les suivantes :

Blé dur : 722 quintaux.

Blé tendre : 3.592 quintaux

Orge : 5.790 quintaux.

Avoine : 538 quintaux.

Devant les angoissantes nécessités nées de la guerre et de cette suite néfaste de

mauvaises récoltes, fut créée, le 26 décembre 1941, la coopérative d’Achats et

Ventes (1) qui groupe 164 adhérents et dont le bilan pour l’année 1946 a été le sui-

vant :

Achats : 7.199.959 frs. 55 ; Ventes : 7.824.430 frs. 35 .

Pendant la guerre, cet organisme a réparti équitablement entre ses adhérents, des

produits œnologiques, très rares par suite de la coupure avec la métropole et des

rations pour le bétail et le cheptel. Il livre, à des prix avantageux, des semences,

des rations, des matériaux de construction et divers produits nécessaires à

l’agriculture : soufre, engrais, anhydride, acide tartrique, carbonate de chaux, sul-

fates de cuivre et de fer.

……………….. (1) Le Conseil d’administration de cet organisme, le second du département après celui de

Saint-Cloud, comprenait à sa fondation : M. Falguière, président ; M. Gabriel Magrin,

vice-président ; M.A. Clarès, administrateur délégué et MM. Antoine Genthial, Tachon,

Albert Artigouha, Jean Clarès et Marcel Espiard.

Pour remédier à la pénurie de plus en plus grande du cheptel qui souffrit

terriblement de la disette des céréales secondaires, fut créée, le 15 février

1944, la coopérative de Travaux agricoles groupant 63 adhérents.

L’initiative de cette création est due à M. Falguière et Corbières qui créèrent,

à Saint-Louis et à Assi-bou-Nif, les deux premières coopératives agricoles

du département.

Pour les communes de Saint-Louis et Legrand, les superficies engagées

sont les suivantes : 436 hectares de vigne et 732 hectares de céréales.

Mais les superficies labourées ont augmenté d’année en année. Cette an-

née 1.732 ha ont été déjà labourés.

Cet organisme possède les machines agricoles suivantes :

1 tracteur Caterpillar de 35/41 chevaux.

1 tracteur Clétrac de 38/46 chevaux.

1 camion Ford de 15 chevaux.

1 camion Berliet-Diesel de 15 chevaux.

2 moissonneuses-batteuses automotrices Massey-Harris, d’une puissance de

60 chevaux et d’une largeur de coupe de 3 mètres 20.

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La première de ces deux moissonneuses-batteuses fut affectée, à titre

d’essai, à la Coopérative de Saint-Louis, par l’office de Répartition du Maté-

riel agricole.

Les labours exécutés avec de puissantes charrues à disques ou à versoirs

ont produit 1.641.967 francs pour l’exercice 1946-1947.

L’impulsion donnée par ce système corporatif de motoculture a été telle

que 80 coopératives de travaux agricoles ont été créées par la suite dans

notre département. Beaucoup d’agriculteurs ont pu alors apprécier ce mode

rationnel de travail qui leur a permis d’exécuter de meilleurs labours et

d’améliorer ainsi leurs rendements.

Indépendamment de ces avantages matériels indéniables, la Coopérative

de travaux agricoles a permis la formation de spécialistes et a ainsi élevé le

niveau de vie des ouvriers agricoles les plus qualifiés.

Concurremment avec la Coopérative de travaux agricoles s’est ouvert

l’Atelier Coopératif devenu indispensable pour la réparation du matériel

agricole de la Coopérative et de ses adhérents. En 1946, tous ces organismes

syndicaux se sont groupés dans la Confédération Générale de l’agriculture

ou C.G.A qui, sous la haute autorité du président Sicard, défend les intérêts

des agriculteurs de notre département.

Cette année, devant les difficultés rencontrées pour obtenir le déplace-

ment des matériels de battages qui ne venaient plus dans notre région qu’en

fin de campagne, s’est créée sous la direction de M. Albert Duplan, la Coo-

pérative de Battages groupant 44 sociétaires pour 700 hectares engagés. Une

batteuse de type allongé, marque Africa-Vierzon, a ét achetée grâce à un prêt

du Gouvernement général. Elle a fonctionné pendant 60 jours et a donné

d’excellents résultats.

La Caisse locale de Crédit Agricole, succursale de la Caisse Régionale

d’Oran (1), a été créée en 1923. Un bureau forain a été ouvert en septembre

1943. Enfin, une agence, installée le 19 février 1945, est dirigée depuis par

M. Maurice Padilla. M. Jean Clarès dont nous sommes heureux de souligner

le dévouement à la cause rurale est, depuis la fondation de cet organisme,

administrateur-délégué au sein du Conseil d’administration de la Caisse Ré-

gionale d’Oran.

En 1958 j’étais le seul ‘musulman’ à jouer le « Quadrille des lanciers »

dans le Foyer Rural pour fêter mon admission en 6eme ! J’aurais tant aimé que

nos descendants en fassent autant ! ! !

……………. (1) Les membres fondateurs de cet important établissement de crédit agricole ont été, surtout,

MM. Pierre Fromental, Charles Courtois et honoré Viala. Le prmier dont la mémoire est

hautement respectée par les agriculteurs de notre arrondissement, n’avait pas hésité à en-

gager ses propres capitaux pour alimenter le crédit agricole naissant.

Par ses prêts hypothécaires permettant la réalisation de gros travaux ou

l’acquisition de terres (1) , par l’institution de warrants et de crédits de cam-

pagne, la Caisse Locale de Crédit Agricole est devenue le soutien de bon

nombre d’agriculteurs. Elle leur a permis de surmonter la crise économique

mondiale de 1932-35 pendant laquelle le prix du quintal de raisin était descendu

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de 120 francs à 36 francs. Sans elle, comment auraient-ils continuer à travailler

durant ces années de guerre où ils ne purent même pas vendre le peu de vin

qu’ils produisaient ?

Devant l’ampleur prise par nos organismes syndicaux, devant l’importance

croissante du chiffre d’affaires ( cette année ce chiffre atteindra 100 millions ) ,

la Caisse Régional d’Oran n’a pas hésité à construire un immeuble moderne,

destiné à devenir notre Maison de l’Agriculture . Cette construction qui a coûté

plus de 6 millions, située en plein centre du village, a été inaugurée, le 18 dé-

cembre 1947, en présence, en présence de M. Bonhomme, sous-préfet de

l’arrondissement d’ Oran, représentant M. le préfet Cuttoli, de M. le conseiller

général René Bordères, de M. le président Sicard, de M. le docteur Jules Aba-

die, président de la Société d’Agriculture, de MM. Courtois, Viala et Pastor,

président, vice-président et directeur de la Caisse Régionale d’Oran et de hautes

personnalités du monde agricole.

Ce bâtiment aux lignes sobres et élégantes, qui comprend une salle de réu-

nion agréablement aménagée, une salle de réception et de travail, un bureau

pour le Président, un bureau pour le Gérant et un appartement moderne, possède

aussi une spacieuse et coquette salle de spectacle qui abrite momentanément

notre Foyer Rural. La création de ce foyer est comme l’apothéose du mouve-

ment syndical agricole. Elle a été décidée à la fin de l’année 1945, à la suite

d’un voyage de MM. Corbières, président du Syndicat Agricole d’Assi-bou-Nif

et Falguière, à Paris. Pendant leur séjour dans la capitale, ces deux actifs syndi-

calistes furent reçus par M. le Ministre de l’Agriculture qui leur donna la mis-

sion de créer les premiers foyers ruraux du département (2) .

Le nôtre, grâce aux avances financières des membres de son Conseil

d’administration (3) pu acquérir de suite un appareil de projections cinémato-

graphiques, amorce de notre futur cinéma éducateur .Il a déjà organisé des

cours de couture, de solfège et de musique instrumentale. Faisant passer au

premier plan les questions d’entraide sociale, il s’est penché avec sollicitude

sur le sort des vieux travailleurs et des infirmes de notre commune auxquels il

vient en aide.

Le gouvernement général a bien voulu récompenser l’activité de notre

Foyer Rural et assurer son avenir en lui octroyant une forte subvention. Cette

subvention a permis l’achat de l’immeuble occupé précédemment par les orga-

nismes syndicaux. Cet immeuble, vous le savez, est celui que le regretté

Edouard Bordères avait fait construire pour y abriter ses vieux jours. Par une

heureuse prédestination, la maison familiale des frères Edouard Bordères ( que

nous remercions d’être venus honorer de leur présence cette intime manifesta-

tion ) va devenir, bientôt, la maison familiale Saint-Louisienne, dans laquelle

notre jeunesse pourra parfaire son éducation et trouver les divertissements que

méritent son labeur et son attachement au terroir.

……………… (1) Quelques prêts furent accordés à des taux très bas, à des agriculteurs, anciens combat-

tants.

(2) Il ya actuellement 30 Foyers Ruraux dans notre département. Des centres aussi éloignés

qu’Aïn-Kermès possèdent leur Foyer Rural.

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(3) Qui comprends : M. Falguière, président ; Clarès Albert, vice-président ; Adrien Puech,

secrétaire ; Maurice Padilla, trésorier ; Vve Albert Artigouha, déléguée aux œuvres so-

ciales.

Et tout dernièrement la construction du Stade Municipal ( lieu de plu-

sieurs exploits de nos footballeurs de l’ U.S.Boufatis ) : ce stade portait le nom

de « Stade Pierre Falguière » en hommage à son ‘réalisateur ’ !

CONCLUSION

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Me voici arrivé au terme de mon exposé et, cependant, il me semble

que je n’ai pas dit la dixième partie de ce qu’il aurait fallu dire autant le sujet

est vaste et attrayant. Je crois, toutefois, avoir tracé devant vous un tableau as-

sez fidèle de la vie Saint-Louisienne. Le sujet me tenait au cœur. Je ne sais si la

majorité de mes concitoyens est comme moi, mais j’aime mon village d’un

immense amour. Je l’aime parce que ma mère (1) y est née ; parce que j’ai vu le

jour dans la maison familiale où j’ai grandi et où je vais de temps à autre me re-

tremper. Je l’aime dans ce qu’il a de magnifique : dans sa large avenue princi-

pale, dans sa mairie où dort la pauvre histoire des générations disparues, dans

son école où j’ai commencé mon éducation sous la conduite d’un maître in-

comparable, dans son église imposante où je suis venu chercher une consolation

aux jours de désespérance solitaire.

Saint-Louis, sans toi, je ne serais pas ce que je suis. Plus que les

voyages, plus que les innombrables lectures de ma jeunesse, tu as façonné mon

être. Je connais les moindres recoins de ton paysage et de ton histoire, le parfum

de tes plantes salées où crissent les sauterelles et l’obscur labeur de tes premiers

fils. J’ai couru le soir dans tes brandes, une fronde à la main, tandis que

l’Angélus qui tintait au loin m’enveloppait d’une voile de tristesse.

Vieux caroubiers des chemins poudreux, mûriers que je dépouillais im-

pitoyablement pour élever mes vers à soie, eucalyptus du jardin public où nous

allions à la nuit tombante surprendre les moineaux, arbres de mon village, que

de fois vous ai-je préférés aux immenses platane sous lesquels j’ai grelotté de

froid.

…………………. (1) Thérèse Jorro, fille de François Jorro et d’Antoine Penalva.

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J’ai appris les sacrifices des plus valeureux des hommes de chez nous.

Trente-sept d’entre eux ( 26 européens et 11 musulmans ) confondus dans notre

pieuse reconnaissance sont morts pour défendre ce que le poète Péguy a appelé

« les pauvres honneurs des maisons paternelles ». Si nous sommes des hommes

libres ( est-il un bien plus précieux que la liberté ? ) , si nous fêtons aujourd’hui

dans l’allégresse, le centenaire de notre village, n’est-ce pas surtout parce que

nos aînés et nos amis opposèrent leurs frêles poitrines à la ruée dévastatrice ? Ils

n’eurent pas la joie de voir l’aube naître et de chanter, dans un hymne délirant,

la fin des sombres cauchemars. Mais du fond de leur souffrance et de leur mort,

ils ne doutèrent jamais du destin de la Patrie .

Il faut avoir le courage de le dire : nous vivons des temps incertains.

Après tant de misères et de deuils, la guerre, épée de Damoclès, plane encore

sur les nations meurtries. Connaîtrons nous un jour, dans un monde réconcilié,

la vraie fraternité humaine ? Pensons-y toujours à cet idéal de justice et

d’amour. Et, si nous nous laissions gagner un instant par la lassitude, regardons

le monument où sont gravés les noms de nos héros (1) .

…………………

(1)

GUERRE 1914 – 1918

Carrasco Michel, Clary Gaston, Colin Marcel, Esclapez Barthélemy, Fructoso Ginès,

Godeau François, Martinet Camille, Marco Jean, Munoz Joseph, Navarro Sébastien, Pe-

neau Victor, Pérez Christophe, Placide Albert, Placide Eugène, Placide Alphonse, Richard

Gaston, Ros Barthélemy, Rodriguez Michel, Santiago Jean, Vidal Marius, Vivès Vincent,

Bekki Lakhdar, Belhachemi Abdelkader, Benaïr Maghnia, Elghaz Mohamed, Morceli El

Habib, Sbaa Ralem, Zarat Abdelkader.

GUERRE 1939 – 1945

Blondelle Marc, Lux Marcel, Clément André, Pétremant René, Placide Henri, Hali-

mi Mohamed, Guenfoud Miloud, Belakhmi Benyebka, Yayaoui Daho.

Dans les jours de fête comme dans les jours de deuil ; dans la joie printanière

comme dans la tristesse automnale ; en hiver sous les longs gémissements des

rafales pluvieuses ; dans la majesté des paisibles nuits d’été ; il semble monter

une garde vigilante au cœur de notre village, pour nous protéger et pour nous

donner, par sa muette et éloquente leçon, les forces de préparer un avenir meil-

leur.

Un siècle s’est écoulé depuis que les premières rues furent tracées. Les dé-

buts de l’installation s’avèrent difficiles. Mais, par un lent et magnifique effort

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auquel tout le monde concourut, Saint-Louis est devenu une bourgade accueil-

lante et prospère. « J’ai foi en son avenir » disait le capitaine Milliroux. Nous

pouvons encore répéter ces paroles prophétiques.

Je sais bien qu’il se glisse quelques ombres dans notre optimisme. La

principale est la lente diminution de la population européenne qui a baissé de

moitié depuis le début du siècle. Si nos foyers n’ont plus d’enfants, qui donc

continuera l’œuvre entreprise par les martyrs de la colonisation ? Ce n’est pas

du tout d’avoir allumé et préservé la flamme, il faut des bras nombreux qui

puissent soutenir le flambeau dans les luttes quotidiennes pour l’existence.

Mais qui peut se flatter de connaître exactement ce qui se passera de-

main ? Malgré une série de mauvaises récoltes, Saint-Louis jouit maintenant,

sinon de la richesse, du moins d’une aisance certaine. Son territoire, dont les

ressources n’ont pas encore été exploitées d’une façon rationnelle, peut nourrir

tous ses enfants : ceux qui sont restés au terroir comme ceux qui, de près ou de

loin, n’aspirent qu’à une chose : venir vivre et mourir au pays natal . Quelles racines profondes a dans notre cœur le pays natal ! Je m’en suis

rendu compte quand les hasards de la guerre me ballottèrent sous diverses lati-

tudes. Le moindre clocher entrevu après une halte, la moindre cheminée qui

fumait dans l’âcre odeur du soir, me rappelaient mon vieux village. J’ai traversé

des paysages enchanteurs et cependant, comme le sauvage de la Floride, je ne

pensais qu’au lieu qui me vit naître. Par une présomptueuse philosophie ,

j’avais cru être un homme de partout et je n’étais qu’un homme de chez moi.

Quand je revins, j’allai, par un après-midi de septembre, faire une courte

promenade jusqu’aux Pins Wallon. Un livre à la main, je m’assis au pied d’un

arbre. Le jour était sur son déclin. Soufflant d’Arzew, la brise faisait à inter-

valles réguliers, l’orgue des pins mélodieux. « L’ombre était déjà mêlée à la

lumière comme l’amertume à toute joie ».

Et la rêverie me transporta dans un village inconnu où le caprice d’une

nomination aurait bien pu m’envoyer. Des gens polis, mais distants,

m’accueillaient et je sentais dans leurs manières que je ne serais pour eux un

étranger. J’étais perdu parmi ces visages nouveaux. Si je voulais ébaucher une

connaissance, je ne rencontrais qu’étonnement et jalousie. Pour vaincre le

temps, je m’enfermai jusqu’aux vacances dans le travail et la solitude.

L’heure qui sonna à l’horloge me rappela à la réalité. Je levai la tête. Alors

la Patrie me fut montrée. Je l’avais cherchée en vain dans les livres sans me

douter que je ne vivais que pour elle. Et, intérieurement réjoui de cette décou-

verte, j’eus ce désir secret : vivre au milieu de ceux qui peuvent me souvenir

dans la mauvaise fortune et se réjouir avec moi dans les jours heureux, sans ja-

mais connaître ce douloureux exil auquel Chateaubriand quand il mit ces pa-

roles dans la bouche de l’indien Chactas : « O que de larmes sont répandues

quand on abandonne la terre natale, lorsque du haut de la colline de l’exil, on

découvre pour la dernière fois le toit où l’on fut nourri et le fleuve de la cabane

qui continue de couler tristement à travers les champs solitaires de la Patrie ».

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En termes émus, Monsieur le Maire adressa,

au nom de l’auditoire, ses remerciements au confé-

rencier qui lui répondit en ces termes : « Je vous re-

mercie, Monsieur le Maire, de vos aimables paroles.

Elles me touchent et elles me confondent. Mais

comme disait Cecil Rhodes au poète Kipling « Je ne

suis qu’un fellow ». Ce que j’ai fait ne payera qu’une

petite partie de la dette immense que j’ai contractée

envers mon village. »

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