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UNIVERSITE DE PARIS VIII U.F.R. PSYCHOLOGIE, PRATIQUES CLINIQUES ET SOCIALES MEMOIRE DE D.E.A. ETUDES DE PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PATHOLOGIQUE L’ELEVE, LINDIVIDU, SON HISTOIRE SCOLAIRE. La construction institutionnelle des élèves en échec Septembre 2001 Présenté par Sous la Direction de Monsieur le Professeur Nathalie SCHLATTER épouse MILON Tobie NATHAN

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UNIVERSITE DE PARIS VIII

U.F.R. PSYCHOLOGIE, PRATIQUES CLINIQUES ET SOCIALES

MEMOIRE DE D.E.A.

ETUDES DE PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PATHOLOGIQUE

L’ELEVE, L’INDIVIDU,

SON HISTOIRE SCOLAIRE.

La construction institutionnelle des élèves en échec

Septembre 2001

Présenté par Sous la Direction de Monsieur le Professeur

Nathalie SCHLATTER épouse MILON Tobie NATHAN

D’après un tableau de Geoffroy, 1882 Bibliothèque des Arts décoratifs

« Et sur les indications du diable, on créa l’école. L’enfant aime la nature : on le parqua dans des salles de classe closes. L ‘enfant aime voir son activité servir à quelque chose : on fit en sorte qu’elle n’eût aucun but. Il aime bouger : on l’obligea à se tenir immobile. Il aime manier des objets : on le mit en contact d’idées. Il aime se servir de ses mains : on ne mit en jeu que son cerveau. Il aime parler : on le contraignit au silence. Il voudrait raisonner : on le fit mémoriser. Il voudrait chercher la science : on la lui servit toute faite. Il voudrait s’enthousiasmer : on inventa les punitions. (…) Alors les enfants apprirent ce qu’ils n’auraient jamais appris sans cela. Ils surent dissimuler, ils surent tricher, ils surent mentir. »

Adolphe FERRIERE, cofondateur en 1921 de la Ligue Internationale de l’éducation nouvelle Cité in, SCIENCES HUMAINES, L’éducation nouvelle : liberté, créativité, autonomie,

HORS SERIE N° 30, septembre 2000, p. 34

Remerciements

Lorsqu’on fait un stage, une recherche, il est de coutume de remercier tous les protagonistes ayant approché de

près ou de loin, le stagiaire, le chercheur.

Je me plie volontiers à ce rituel car, sans tout ce monde, jamais je ne serais arrivée dans mon cheminement de

femme, de professionnelle, de chercheur et aussi de mère, là où j’en suis aujourd’hui.

Un grand merci et une éternelle reconnaissance d’emblée à tous.

A vous, Professeur T. Nathan. Par votre enseignement, par vos travaux et vos ouvrages, vous m’avez ouvert la

voie des possibles. En me repoussant dans mes retranchements, en refusant l’énoncé d’une réponse toute faite

à mes questionnements, en me contraignant à aller toujours plus loin, à ne pas me satisfaire de l’évidence, vous

m’avez sortie de ma passivité intellectuelle. Votre humour, parfois vos coups de gueule, la rigueur que vous vous

imposez, cette rapidité à saisir avant moi ce que le terrain était en train de me montrer et parfois aussi vos

silences (un des meilleurs inducteurs de pensée), toutes ces qualités humaines qui vous honorent, ne peuvent

que me rendre encore plus humble…

A vous, Monsieur L. Hounkpatin et évidemment à tous les membres du groupe du vendredi. Ce travail vous

revient tout particulièrement. Vous m’avez appris à ne jamais m’installer dans une routine, vous m’avez fait

douter. Vous avez su activer en moi cette tension nécessaire grâce à laquelle la pensée reste féconde.

A vous, Madame N. Zajde. Sans votre expérience du groupe de parole qui m’a portée et nourrie à chaque fois

que je travaillais avec les élèves, jamais je n’aurais pu exploiter la richesse de cette technique clinique de

recherche.

A toute la communauté éducative et spécifiquement à Monsieur Martel, à Madame Chevalier, à Madame

Bouguennec-Mahé, à Madame Pocher, à Madame Racapé qui ont accueilli mon projet sans réticence, m’ont

ouvert leurs portes et surtout qui, jamais, ne se sont opposés à mes pratiques. Vous m’avez écoutée, vous

m’avez donné. Merci.

A tous les élèves de la 4ème C, mais aussi aux autres, ceux qu’il m’arrivait de rencontrer ponctuellement, sans

lesquels ce travail d’investigation n’aurait jamais pu se réaliser… Je leur souhaite bon vent.

A toi, Yolande, pour ton soutien, ton encouragement et la confiance que tu m’as accordés.

A toutes mes collègues du service social en faveur des élèves et spécialement à Karine qui a assuré mes

fonctions pendant le temps de mon congé formation et qui a eu la patience d’accueillir mes états d’âme et mes

doutes, d’écouter les ébauches d’analyse qui me taraudaient lorsque rarement nos chemins se sont croisés.

A toi, Fabrice, mon pote et complice de cette aventure universitaire depuis tant d’années sans oublier tous les

étudiants du séminaire de recherche. Vous avez essuyé mes inquiétudes, mes vacillements et vous avez

toujours su me remettre sur les rails.

A toi, Joëlle. Au-delà d’une complicité, c’est une communion d’intérêts et de pensées qui nous a rassemblées.

Cette année de DEA, je te la dédie tout particulièrement. Bien des fois, tu as été là lorsque SDF, je ne savais pas

où j’allais échouer. A chaque fois, tu as été là lorsque devant l’écran et le clavier, ni mon cerveau, ni mes doigts

n’étaient capables de la moindre production. Merci.

A Harry, à Anne-Sophie et à Alice, vous qui supportez depuis si longtemps mes angoisses, mes mauvaises

humeurs, mon indisponibilité, mes absences, vous qui, jamais, ne me le reprochez, au contraire vous me

soutenez, vous inventez toute sorte de choses pour que je continue sans culpabilité. Ne le dirai-je jamais assez,

vous êtes mes rayons de soleil, mon coin de ciel bleu dans ma tourmente universitaire.

A mes parents enfin, à ma ‘petite maman’ et à tous les miens qui me regardent de là où ils reposent mais sans

lesquels je ne serais rien…

Sommaire

PREAMBULE 1

INTRODUCTION 2

METHODOLOGIE 4

PROJET DE RECHERCHE ? 5

UN COLLEGE D’UNE PETITE VILLE BRETONNE 7

DEUX MOIS HYBRIDES 10

DISPOSITIF IMPOSSIBLE ? 11

UNE NOUVELLE PORTE D’ENTREE 15

Le groupe comme dispositif clinique technique de recherche 16

Description du dispositif 17

Difficultés 19

DES PISTES INSTITUTIONNELLES 20

L’espace du Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté 21

Le conseil de discipline 23

La salle des profs 23

Echanges intemporels, informels : activation de l’expertise 23

L’ELEVE DANS SON CONTEXTE 25

‘COLLEGE POUR TOUS, MAINTIEN JUSQU’EN 3EME !’ 27

LES DIFFERENTES PROFESSIONS ET LEURS OUTILS 31

L’HISTOIRE D’UNE CLASSE 40

EDUQUER ? 53

CONCLUSION 59

BIBLIOGRAPHIE 62

1

Préambule

Assistante sociale depuis 1984, j’ai éprouvé le besoin de compléter ma formation initiale d’un éclairage

psychologique. A cette fin, j’ai entrepris un cursus universitaire dans le cadre de l’enseignement à distance il y

a maintenant 9 ans, ce qui m’a permis de poursuivre mon engagement professionnel en parallèle. Amenée à

suivre mon époux dont la mobilité professionnelle nous conduisait à déménager en moyenne tous les 3 ans,

j’ai eu tant accès à de multiples domaines d’activité ouverts aux travailleurs sociaux qu’à des politiques

sociales différentes selon la région où je me trouvais. C’est ainsi que j’ai exercé en polyvalence de secteur, au

sein d’une entreprise, en milieu hospitalier et depuis 1997, au sein de l’Education Nationale, plus

spécifiquement auprès des élèves du second degré. Là encore, j’ai eu l’opportunité de travailler au sein de

deux inspections d’académie, plus, j’ai exercé aussi bien en cité scolaire englobant un lycée général et

technologique et un lycée professionnel qu’en collège rural avec internat ou en collège rural avec une section

d’enseignement général professionnel adapté (cf infra).

Lorsque je me suis engagée dans l’aventure intellectuelle d’un cursus universitaire, je n’imaginais pas un

instant m’orienter vers la pratique clinique. C’était méconnaître le principe actif de telles études qui tel un

« virus » vous infiltre et vous façonne de l’intérieur…

Les thématiques des deux mémoires universitaires1 ayant ensuite jalonné mon parcours ne sont, en ce sens,

pas anodines. Un fil conducteur les met en tension et continue de m’animer…

Si le mémoire de Maîtrise m’a fait prendre conscience qu’à travers son écriture, je réinscrivais mon histoire

dans une matrice logique donnant naissance à une « nouvelle » Nathalie, celui du D.E.S.S., diplôme

sanctionnant une formation universitaire par un titre professionnel, poussait mon questionnement dans les

profondeurs de mon être, me conduisant dans les méandres de l’analyse des processus induits par

l’ethnopsychiatrie : l’infiltration de ses principes, la déconstruction de mon noyau, le réordonnancement de sa

substance, la difficile question de ma fabrication professionnelle initiale se fracassant sur le constat,

finalement logique, de ne plus pouvoir exercer ma profession d’origine à partir de la même position. A moins

que ça ne soit, plus radicalement, l’impossibilité de son exercice !

1 Biographie Critique d’un psychologue clinicien. Fabrication d’une psychanalyste. Juin 1998. Université de Paris 8 ; Construction de cadre dans le

dispositif ethnopsychiatrique. Fabrication d’une étudiante en psychologie clinique. Juin 1999. Université de Paris 8.

2

« La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a pas de crise de l’enseignement ;

il n’y a jamais eu de crises de l’enseignement ; les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ;

elles sont des crises de vie ; elles dénoncent, elles représentent des crises de vie

et sont des crises de vie elles-mêmes ; elles sont des crises de vie partielles, éminentes,

qui annoncent et accusent des crises de vie générales. […] Une société qui n’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas,

qui ne s’estime pas, et tel est précisément le cas de la société moderne. »

Charles PEGUY. 19?? 2

Introduction

Ce travail se veut une recherche qui s’inscrit dans une double démarche. Si elle s’intéresse avant tout à une

certaine population scolaire, les élèves stigmatisés au sein de et par le milieu scolaire, en interrogeant les

fondements en raison d’un tel jugement, elle s’appuie également sur une analyse à l’arrière plan de ce que le

chercheur en sciences humaines produit comme données et comment il les articule à partir de ses propres

objets en les confrontant avec des questionnements, des concepts et des récits déjà existants.

Si ce mémoire peut donner à penser qu’il s’agit pour partie d’une sorte de ‘carnet de route’, il n’en demeure

pas moins une réflexion approfondie étayée sur les mouvements internes du chercheur-clinicien et les butées

nées du terrain qui surgissent au cours d’une recherche et qui peuvent, par leur émergence imprévisible et

donc incontrôlée d’emblée, le faire vaciller en le surprenant, en contestant ses propositions d’analyse.

En acceptant l’expertise du terrain, en s’essayant à la fréquentation du multiple, le chercheur-clinicien prend

des risques mais c’est à cet endroit que sa démarche sera la plus riche et qu’il produira de la véritable

pensée.

C’est ce défi que je me suis lancé et j’en sors grandie.

Il va sans dire que l’essentiel du récit qui va suivre tient fondamentalement d’un lieu, d’un espace, d’un

contexte, d’une situation et de personnes bien déterminés et que, corrélativement, les « noyaux » que j’ai pu

faire apparaître leur sont étroitement reliés.

3

J’ai choisi de construire ce mémoire autour de quatre grands axes :

A. La première partie, principalement méthodologique, rapporte la rencontre du chercheur-clinicien avec

son terrain, leurs interactions, ses impasses, ses contraintes à fabriquer des pièges à pensée, ses

moments de désarroi, ses inquiétudes, bref, leur quotidien.

B. Dans un second temps, j’ai voulu m’installer à la source de l’institution scolaire. Je suis partie à la

rencontre de ses parties enfouies et oubliées, celles qui intéressent l’archéologue, parce qu’elles nous

présentent aujourd’hui les choses comme des données d’évidence. En interrogeant les idées allant de

soi, j’ai essayé de mettre en lumière combien l’institution assignait les jeunes à un rôle duquel ils avaient

ensuite peu de possibilités de se dégager, surtout lorsque le rôle les confinait au statut d’élèves difficiles,

réfractaires.

C. Avec la troisième partie, plus clinique, j’ai choisi d’expérimenter les processus dégagés précédemment

en les problématisant autour de l’histoire d’une classe de 4ème, très vite perçue comme « mauvaise

classe » en raison de certains élèves qualifiés de perturbateurs et d’anti-scolaires.

D. Enfin, je bouclerai cette étude en requestionnant la façon dont notre société pense les moments de

passage d’un état à un autre chez la personne, principalement celui qu’elle appelle l’adolescence et qui

est celui qui intéresse les élèves de cette recherche. A partir des quelques « noyaux durs » que j’ai pu

rendre saillants, il m’a semblé en effet pertinent de se demander si finalement, tous ces élèves

stigmatisés, construits en tant que tels par l’institution scolaire, ne constituent pas une sorte de collectif

qui, de manière réflexive, vient interroger ses démiurges. Vaste question à peine ébauchée qui peut

ouvrir sur une proposition technique de travail mais qui mériterait qu’on s’y arrête plus sérieusement.

2 Cité par J. Leroy en Préface, in L’école de Chateaubriand à Proust, Librio, 2000, pp. 5-6.

4

Méthodologie

L’ethnopsychiatrie telle qu’elle a été pensée et développée par Tobie Nathan et telle qu’elle se pratique au

Centre Georges Devereux ou dans son laboratoire de recherche est surtout connue pour l’originalité de sa

prise en charge des patients migrants qu’elle appréhende à partir de leurs multiples attachements ainsi que

pour la créativité qu’elle déploie sans cesse dans la mise en place de dispositifs thérapeutiques spécifiques

tenant compte des logiques culturelles sous-jacentes aux désordres présentés tant par les patients migrants

issus de cultures non occidentales que par des groupes minoritaires en Occident.

Mais l’ethnopsychiatrie, c’est encore plus qu’une discipline et une pratique cliniques concernant la

psychopathologie des migrants.

En soi, elle constitue une véritable méthode clinique parfaitement applicable aux différents champs des

sciences humaines. Et c’est cette particularité qui est venue me saisir et me contraindre à interroger les

fondements de ma formation initiale, qui est venue questionner et éprouver les présupposés et les idées sur

lesquels j’avais construit ma pratique.

L’approche ethnopsychiatrique repose sur quatre principes généraux3 :

A. L’observation doit être le principe de « fondation » de toute étude clinique et de toute intervention d’ordre

thérapeutique. Ne peut-on dire que toute rencontre induit forcément des effets immédiats chez chacun

des protagonistes ? En cela, toute rencontre est d’emblée ‘thérapeutique’. En posant l’observation

comme préalable à toute investigation, le clinicien ou le chercheur se voit contraint d’abandonner toute

tentation de penser a priori son objet d’étude, toute tentation de l’inscrire de force dans des catégories

préexistantes.

B. De la sorte, le clinicien ou le chercheur est mis dans l’obligation de penser les dites catégories

préexistantes qui lui permettaient d’appréhender jusque-là son objet d’étude. Il se doit d’interroger leur

mode de fabrication, leur pertinence, leur validité, leur limitation au regard de l’objet qu’elles prétendent

justement saisir. Eprouvées de la sorte par l’observation, elles pourront logiquement, soit se voir

validées, soit se voir rejetées. En cas d’invalidation, elles pousseront le clinicien ou le chercheur dans ses

retranchements, l’exposant aux risques du terrain lorsque à son tour, il esquissera une pensée

susceptible d’appréhender l’objet observé.

C. On l’aura compris, le seul véritable objet d’intérêt se situe, non pas dans l’observation d’une prétendue

‘nature’ de la personne, mais bien dans l’action du thérapeute, celle du clinicien comme celle du

chercheur. Ce troisième principe s’avère le seul permettant de construire une authentique théorie de

l’interaction, contraignant le clinicien comme le chercheur à penser son action en termes de : « j’ai fait

ceci, et ceci a provoqué cela. »

3 Les principes de l’ethnopsychiatrie sont ainsi ordonnés par F. Sironi, in « L’universalité est-elle une torture ? », Nouvelle Revue

d’Ethnopsychiatrie, 34, 1997, La Pensée Sauvage, pp. 43 – 58.

5

D. Le dernier principe, décrit par Tobie Nathan dans son article « Pas de psychiatrie hors les cultures »4

invite le chercheur en sciences humaines à soumettre ses interventions à l’expertise des personnes et

des groupes réels, ceux précisément qu’il prétend décrire, comprendre et analyser. En conséquence, le

chercheur a tout intérêt à ne jamais produire d’énoncés sur les personnes ou les groupes sans

participation effective et « contradictoire » des « sujets-objets-de-discours » à la fabrication de tout

énoncé. Par culture, il faut entendre, selon Nathan, une façon de légitimer les connaissances des autres

pour parvenir enfin à une anthropologie véritablement symétrique. « Réhabiliter le mot culture », conclut-

il, « c’est soumettre les chercheurs en sciences humaines à l’expertise de ceux qu’ils décrivent. Voilà qui

constitue, à mon sens, un nouveau programme passionnant sur le plan théorique et comportant de

nouveaux enjeux éthiques majeurs ».

Passé le moment de saisissement à partir duquel je prenais conscience que le chercheur en sciences

humaines, de surcroît le professionnel ( !) avait sa part d’interprétation « à chaque stade, depuis le recueil des

données sur le terrain jusqu’aux conclusions, [que lorsqu’il] note des observations dites ‘brutes’, ses

jugements interprétatifs sont déjà à l’œuvre dans le choix de ce qui est pertinent, dans l’omission de ce qui

est tenu pour acquis et dans le fait de rédiger les données dans une prose qui les présente comme des

‘choses vues’ 5», je réalisai combien il me serait difficile dans cette perspective de mettre en œuvre les

missions institutionnelles auxquelles j’étais soumise sans les remettre sur le métier. Un tel réaménagement

cognitif et substantiel qui fondait en raison chacun de mes actes professionnels s’imposa à moi mais me

laissa bien isolée parmi mes collègues !

Une double contrainte m’habita alors : continuer de participer comme co-thérapeute au sein d’un groupe de

consultation au Centre Georges Devereux6 tout en trouvant une façon de donner sens au vécu paradoxal que

cette circulation de la pensée entre deux espaces aux logiques opposées allait renforcer.

Ouvrir le monde de l’enseignement aux principes de l’ethnopsychiatrie m’apparut la seule voie possible.

PROJET DE RECHERCHE ?

J’ai ainsi passé une année de transition entre mes missions d’assistante sociale scolaire, spécialement au

sein de 2 collèges de la moitié Sud-Est de la Bretagne, et mes « premiers pas » de clinicienne dans « le

groupe de consultation du vendredi »7 au Centre Georges Devereux, sis au sein de l’université de Paris 8,

Saint-Denis-Vincennes.

4 T. Nathan, « Pas de psychiatrie hors les cultures », in Libération, 30 juillet 1997.

5 R. Barrett, 1996, « La traite des fous. La construction sociale de la schizophrénie », tr. fr. 1998, nouvelle édition 1999, Les Empêcheurs de Penser

en Rond, p. 22.

6 Centre universitaire d’aide psychologique, fondé en 1993 par le Pr Tobie Nathan, le Centre Georges Devereux est à la fois un laboratoire de

recherche intégré à l’UFR de psychologie, pratiques cliniques et sociales de l’Université de Paris 8, réunissant enseignants, chercheurs, doctorants et étudiants de troisième cycle, un lieu, donc, de formation, et un lieu clinique proposant des consultations d’ethnopsychiatrie destinées aux personnes et familles issues de la migration ou concernées par une problématique en lien avec les recherches de l’équipe.

7 Le Centre Georges Devereux est organisé selon divers espaces de consultation et groupes de recherche réunissant chacun une dizaine de co-

thérapeutes – étudiants, stagiaires, enseignants, chercheurs – sous la responsabilité d’un clinicien universitaire de l’équipe. « Le groupe de consultation du vendredi » est, en l’occurrence, sous la responsabilité de Monsieur L. Hounkpatin, Maître de Conférence à l’Université de Paris 8 et chercheur au Centre Georges Devereux.

6

La particularité de ce groupe de travail est que, très régulièrement, nous sommes mandatés par les juges

pour enfants dans le cadre de mesures concernant principalement des adolescents, issus de la migration ou

de 2ème génération, en âge d’obligation scolaire mais en voie de déscolarisation, sinon déjà en errance, suite

à des faits ayant donné lieu à leur exclusion définitive de leur établissement de rattachement. J’avais, à

chaque fois, la sensation de me trouver en terrain connu même si au sein des collèges où j’officie, la majorité

des élèves n’est pas concernée par un parcours migratoire8 !

En effet, parmi les enfants scolarisés, une part non négligeable d'enfants sont repérés comme posant

problèmes vis-à-vis de l'institution scolaire à partir d’une grille de symptômes assez large : absentéisme,

attitude a-scolaire, refus de travail, manque d'intérêt pour l'acquisition de connaissances, devoirs non faits,

défaut de matériel, inattention en classe ou perturbation du cours, résultats scolaires inquiétants,

comportement agité hors du temps de classe, comportement inhibé, non intégration au groupe classe, voire à

l'institution9….

Bien que minoritaire, cette proportion d'enfants va croissant. Ces enfants sont en première intention pris en

charge au sein de l'institution par la vie scolaire (dont le conseiller principal d’éducation est le représentant

avec l’ensemble de l’équipe des surveillants) ; parfois ils transitent directement par la direction ; puis en cas

d'échec, ils sont "signalés" au secteur médico-social scolaire. Si de nombreux cas sont efficacement traités

selon ce modus operandi, il n'en demeure pas moins que certains élèves restent "réfractaires" et perçus

comme marginalisés, voire "irrécupérables10".

Je puisai dans le travail du groupe de consultation à Paris 8 des pistes de traitement possible qui vinrent me

conforter dans l’idée qu’il devenait impérieux de modifier la façon dont la communauté éducative pensait ces

élèves.

Timidement et insidieusement, je me suis efforcée de mettre en œuvre des esquisses de déclinaison de

réponse, entraînant avec moi une partie du corps enseignant ou de l’administration dans cette voie,

spécifiquement dans l’un des établissements de mon secteur d’intervention. Lorsqu’un adulte de la

communauté éducative venait me parler d’un élève, quels qu’en soient les motifs, je l’engageais à tenir le

collégien informé de sa démarche, puis l’invitais à venir en sa compagnie répéter ses propos. Je faisais alors

en sorte que l’adulte ne s’adresse plus directement à l’élève mais qu’il parle de ce dernier, devant lui, à la

troisième personne. Bien que cet exercice ne soit pas toujours aisé, il produit généralement, chez le collégien,

la capacité de réagir tout en étant dégagé des tensions initiales générées par la relation duelle « enseignant /

enseigné ». Par ailleurs, j’insistais pour que les parents soient le plus souvent possible intégrés à ce type de

rencontre.

8 Ma gageure est de montrer que l’ethnopsychiatrie, bien que son essor clinique s’appuie initialement sur le traitement des populations migrantes,

constitue une pratique clinique tout aussi efficace dans la prise en charge de la population autochtone.

9 D’aucuns appelleront ces faits « incivilités » jusqu’à un certain degré ; terreau, pour d’autres, des violences scolaires médiatisées à outrance.

10 A ce stade, le signalement à la justice est potentiellement activable, associé parfois à la machinerie interne (exclusions temporaires en cascade,

conseils de médiation, conseils de discipline). Lorsqu’il s’agit d’enfants de migrants et que le corps de la magistrature pour enfants a connaissance des deux outils proposés par le Centre Georges Devereux (médiations et consultations ethnopsychiatriques), une telle indication est négociable. Ce sont les jeunes dont je fais référence plus haut.

7

L’engouement de certains, conjugué à la présence opportune d’une aide-éducatrice, animatrice de formation,

en charge annuellement de la direction d’un centre de vacances, responsable de surcroît de la formation de

stagiaires « BAFA », m’encouragea à inscrire ces modifications techniques dans une logique de légitimation.

C’est pourquoi, le glissement vers le cursus universitaire de 3ème cycle -école doctorale, recherche et

enseignement universitaires- s’imposa à moi comme devant ponctuer la suite logique de ma

« métamorphose ».

Un projet spécifique, certainement en tout début de gestation, a commencé de m’animer. Il me fallait rendre

contradictoires les pensées sur l’élève, devant l’élève et sa famille, de manière à faire surgir les mondes en

présence et à freiner les processus actuels de rigidification des positions des différentes parties. En mettant

en évidence les théories conflictuelles, en faisant émerger les objets d’interrogations de l’élève, peut-être

arriverais-je à initier la co-construction d’un monde commun ?

Forte de ma petite expérience dans le groupe de consultation, j’imaginai, certainement de manière

analogique11, un dispositif groupal similaire réunissant autour de l’élève en crise avec l’institution, sa famille,

les adultes de la communauté éducative concernés, l’aide éducatrice comme « médiatrice » du fait de sa

place privilégiée auprès des collégiens dans l’établissement et moi en tant que responsable de l’espace.

C’était oublier qu’une recherche n’est pas le fait d’une personne seule mais qu’elle concerne tout un groupe

social réuni autour d’intérêts et d’objectifs communs.

C’était oublier la forteresse institutionnelle que constitue l’Education Nationale.

Si j’ai pu partager une communauté d’intérêts avec l’aide-éducatrice et quelques enseignants, je n’ai pas

réussi à engager de la même façon l’administration. Mon projet séduisait mais je devais l’expérimenter

ailleurs.

UN COLLEGE D’UNE PETITE VILLE BRETONNE

Je me suis donc tournée vers le second collège dans lequel j’exerçais depuis deux années scolaires, malgré

une courte période de disponibilité du fait de mes études. La direction accueillit positivement l’idée d’un

nouvel outil, d’autant que l’ « atmosphère » se dégradait d’année en année.

Depuis que j’ai intégré l’Education Nationale, tous les établissements où j’ai été affectée se sont situés en

milieu rural ou dans une commune du département excentrée de la ville phare.

Au sud de Rennes, la commune, de 5300 habitants, comprend en son sein un étang de 35 ha qui offre à ses

habitants un espace de loisirs permanent. Ayant vraisemblablement traversé les siècles, depuis l’époque

néolithique, elle préserve les traces de son histoire comme en témoignent encore aujourd’hui divers

monuments mégalithiques qui font sa fierté. Adjacente à deux autres départements, elle constitue aussi une

11 A ce moment-là, je ne le réalisai pas. C’est au bout de plus de 6 mois, en voulant analyser les raisons de toutes les butées contre lesquelles

s’érode mon sujet de recherche que cette logique analogique implicite m’est apparue. Agissant ainsi, je ne faisais que transplanter et plaquer un prototype dans un milieu ; ce qui, bien sûr, est une grossière erreur méthodologique. Elle ne produit même pas du semblable, elle est stérile !

8

sorte de lieu de transit, comme un passage obligé entre différents territoires. Elle a donné naissance dans le

passé à d’éminents personnages locaux qui pour certains n’ont eu de cesse de lui porter louanges. Cette

partie de l’Ille et Vilaine (comme bien d’autres) est riche en légendes, en traditions et conserve un patois

propre même si la langue parlée par la population est en évolution sensible et constante en raison de

l’enseignement longtemps exclusif du français, de la diversification des moyens de communication, du

développement des moyens de transport et des accès routiers. Il n’en demeure pas moins qu’elle véhicule, et

surtout dans la campagne, une sorte de succédané de vieux dialectes moyenâgeux, néanmoins en grande

perte de vitesse. Ce patois aux tournures de langage très spéciales anime encore essentiellement les

personnes âgées, mémoires de ces lieux. Les jeunes pour leur part s’en éloignent de plus en plus au profit

d’un code propre à leur génération.

Indépendamment de cela, cette commune et son canton représentent également un lieu d’accueil pour

différentes populations : ceux qui travaillent sur Rennes mais préfèrent un havre de paix à la campagne au

tumulte de la ville, ceux qui ne s’en sortent plus socialement sur Rennes et espèrent trouver en milieu rural

une possible mise au vert, ceux enfin qui viennent d’ailleurs et choisissent la province de préférence au stress

des grandes cités… Signalons aussi que, faute d’avoir un secteur d’activités offrant le plein emploi, beaucoup

de familles se sont orientées vers l’accueil d’enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance.

Ce sont tous ces univers, ces multiples cultures qu’accueillent en leur sein les deux collèges et les deux

lycées publics et privés de cette commune. Il est important de constater en cet endroit que, dans l’état actuel

de mes données, la majorité des personnels des établissements publics ne vivent pas sur place. Ils viennent

tous d’horizons différents et méconnaissent les spécificités de ce territoire sinon à titre d’habillage culturel et

folklorique.

En tant que professionnelle, je n’ai eu accès qu’aux établissements publics. Cette étude ne sera menée, je le

rappelle, que sur le collège public.

Ce dernier, à moins de 5 minutes du lycée général, présente la particularité de se trouver à proximité de 2

espaces commerciaux locaux, sources de diverses « tentations » ainsi que d’une gare routière qui draine

chaque jour 2000 élèves environ. Le rassemblement, en un même espace, de la population scolaire, tant du

privé que du public, réactive parfois certaines « tensions » et donne lieu à certains règlements de compte. Il

offre également des « proies » faciles à certains jeunes ou à certains adultes mal intentionnés. Ceci contribue

à entretenir un climat glauque et pesant qui n’a qu’à traverser la rue pour affecter l’ambiance même du

collège…

L’essentiel de la population scolaire du collège provient des communes et villages environnants (plus de 80%

des élèves sont dits « transportés »). Ils sont donc, pour beaucoup, également demi-pensionnaires. Les

collégiens passent en conséquence la majeure partie de leur temps (de 8h30 à 17h) dans l’établissement

qu’ils ne peuvent quitter, sauf dérogation expresse parentale, qu’au moment de reprendre leur car. Lorsqu’ils

ne sont pas en cours, ils sont le plus souvent concentrés en salle de permanence. Sur le temps de midi, des

activités sportives, musicales ou autres leur sont également proposées.

Dans l’établissement, deux institutions cohabitent : le collège général comportant environ 650 élèves répartis

sur quatre niveaux (6ème, 5ème, 4ème et 3ème) et la section d’enseignement général professionnel adapté

(S.E.G.P.A.) accueillant environ 50 élèves. Ces derniers sont orientés dans cette voie, après accord de leurs

9

parents12, sur décision de la commission de circonscription du second degré (C.C.S.D.) ou dès la fin du

primaire, de la commission de circonscription préélémentaire (C.C.P.E.), toutes deux émanations de la

commission départementale d’éducation spéciale (C.D.E.S.), à partir d’une multiple évaluation médico-

psycho-pédagogique et sociale.

Le collège est sorti de terre dans les années 70. Dans l’enceinte même de l’établissement, un bâtiment

héberge l’administration, l’accueil et les différents logements de fonction afférents. Aujourd’hui, seuls le

couple des agents d’accueil et la famille de l’intendant y demeurent. Un des appartements a été utilisé en

partie comme local pour les dossiers des élèves, le classement des archives et comme espace réservé pour

les permanences du Conseiller d’Orientation Psychologue ; une autre pièce a été attribuée au bureau de

l’assistante sociale le temps de travaux. Dans le corps principal se trouvent les salles de classe, le CDI

(centre de documentation et d’information), le bureau du directeur de la SEGPA, celui de l’infirmière, la salle

des profs et le bureau de la vie scolaire. Ce dernier jouxte le préau qui dessert le réfectoire, les cuisines et les

sanitaires.

Le collège fonctionna en internat jusque vers 1985. Avec l’amélioration du service des transports scolaires

proposé par le conseil général, les candidatures à l’internat diminuèrent très rapidement ce qui provoqua la

fermeture de la partie hébergement. Cette dernière abrite depuis l’administration en charge du primaire.

Une particularité spécifie les lieux. L’accueil est assuré par le même couple depuis plus de 25 ans. Ils prirent

leurs fonctions avec l’arrivée du second principal et depuis, ils ont vu passer 5 chefs d’établissement

différents.

Après tant d’années d’activité, ils constituent en quelque sorte la mémoire des lieux. Aujourd’hui, il leur arrive

d’être au contact d’élèves dont ils ont connu les parents autrefois collégiens !

Il y a trois ans, le département a accordé le financement de la rénovation des locaux. Le collège est donc

engagé dans une restructuration de ses bâtiments qui constitue un facteur potentiel de désordre tant dans la

quotidienneté de la vie scolaire que dans l’organisation matérielle des différents enseignements.

Une autre particularité de l’établissement tient au poste de Conseiller Principal d’Education en charge de la

vie scolaire. En trois ans, la titulaire a été très régulièrement absente sans être forcément remplacée. Il tenait

alors à la principale adjointe de prendre en charge certaines tâches relatives à la gestion des actes

d’indiscipline. Lorsqu’elle était remplacée, la situation s’était tellement dégradée entre-temps qu’aucune

planification d’actions touchant aux missions « éducatives » ne s’avérait possible. Gérant finalement au

quotidien les exclus de cours, « gendarmant » plus que n’éduquant, les meilleures volontés finissent toujours

par s’épuiser.

Par ailleurs, le fait de ne pas relever d’une ville pilote généralement porteuse d’expérimentations et

d’orientations politiques et sociales innovantes comme peut l’être la ville de Rennes qui compte à la fois le

rectorat d’Académie et l’inspection d’Académie d’Ille et Vilaine, les différents services partenaires, de justice,

12 Rien ne peut obliger les parents à signer la saisine de cette commission. Quand bien même les équipes constitueraient un dossier, ces derniers

sont en droit de faire appel de la décision. Les décisions d’orientation en S.E.G.P.A. sont toujours douloureuses et sujettes à tension avec les familles. Si, à l’origine, étaient ciblés les élèves en difficultés « purement » scolaires du fait d’une relative « déficience » établie sur la base de tests à la charge des psychologues scolaires pour le primaire et des C.O.P. pour le secondaire, on observe depuis quelques années un glissement vers une tendance à orienter les élèves présentant des résultats scolaires catastrophiques pour de multiples raisons.

10

éducatifs et sociaux, relègue inévitablement le collège à une place difficile : celle de se sentir à part, en

quelque sorte non pris en compte dans sa spécificité.

C’est pourquoi, sur la base de l’interaction de tous ces paramètres, tant la C.P.E. que les enseignants

cherchent très vite à quitter cet établissement. La rotation du personnel est par conséquent importante, ce qui

peut expliquer pour partie l’impression de non investissement des équipes.

DEUX MOIS HYBRIDES

N’ayant pas encore obtenu l’accord pour un congé formation, ni la décision de la commission pédagogique de

l’université quant à ma candidature pour le D.E.A., c’est en tant qu’assistante sociale scolaire que j’entrepris

de débuter ma recherche.

Je portais en moi ce projet ainsi que les implicites qui le sous-tendaient. Comment allais-je négocier sa mise

en œuvre ?

Cette nouvelle année scolaire démarra sur les chapeaux de roue. Qu’est-ce qui pouvait agiter ainsi toute une

communauté scolaire ? J’entamais ma troisième année dans cet établissement et les « problèmes »

apparaissaient de plus en plus vite, de plus en plus tôt.

Une nouvelle C.P.E. fut nommée sur le poste pour l’année. Psychologue clinicienne de formation initiale,

diplômée à 23 ans mais trouvant difficilement un poste du fait de son « jeune » âge, elle s’orienta vers

l’Education Nationale où elle exerçait depuis quelques années en qualité de conseillère principale

d’éducation. Reçue au concours deux ans auparavant, elle était en cours de stagiairisation.

Je me réjouis d’emblée de cette opportunité, pensant ainsi être en mesure de réarticuler le projet de mon

dispositif à partir de sa position. Le seul achoppement que j’y trouvais tenait au statut de sa fonction, trop

« institutionnelle » en regard de la place privilégiée auprès des élèves tenue par l’aide éducatrice dans le

projet initial. J’entrepris néanmoins auprès d’elle une campagne de sensibilisation à ce projet, lui confiant un

exemplaire le décrivant, explicitant mon intention13 principale. Par ailleurs je lui proposai de recevoir en

binôme les élèves pour lesquels elle aurait à intervenir, ce qu’elle accepta. Mais une butée institutionnelle vint

freiner le début de notre association. En tant que C.P.E., elle était présente dans les bâtiments tous les jours,

de 8h30 à 17h et participait à de multiples instances auxquelles une assistante sociale scolaire n’est pas ou

peu conviée. Du reste, mon temps de présence au sein du collège se limitait à deux journées par semaine !

Difficile avec un tel handicap de travailler dans la continuité d’une même logique. Lors de mes absences, le

collège continuait de « tourner », les élèves d’être exclus ou de solliciter la C.P.E., laquelle mettait en pratique

les outils accumulés pendant sa formation. Ainsi pour elle, le principal outil de travail demeure l’entretien duel

avec l’élève. A contrario pour moi, le moteur de mon action consiste à réintroduire les parents et à réarticuler

13 Essayer de changer le regard porté par les adultes de la communauté éducative sur les élèves réfractaires au système scolaire ordinaire et co-

construire un monde commun avec les parents et l’institution.

11

les éléments à partir de ce qui est alors rapporté, quant aux faits impliquant l’élève dans l’établissement, aux

fins d’insuffler du mouvement, de permettre la circulation de la pensée.

Elle était prise au quotidien par ses missions institutionnelles, ses propres interrogations qui ne rejoignaient

pas mes préoccupations.

Composant avec tous ces facteurs, je m’obstinai à ne pas parler de l’élève sans l’élève, à ne pas le recevoir

seul, à faire en sorte que les parents (ou au moins l’un des deux) soient informés et conviés avec leur enfant

à en échanger avec l’institution scolaire. Mais je réalisai très vite que beaucoup d’événements se produisaient

en mon absence et étaient « traités » en fonction des logiques de chacun. Les jours où j’étais présente dans

l’établissement, on pouvait faire appel à moi lorsque finalement le fait impliquant l’élève était analysé comme

allant au-delà de l’« éducativement gérable14 ».

Par ailleurs, il était très difficile d’obtenir l’adhésion générale des adultes de la communauté à rester présents

dans l’établissement au-delà de leurs heures de cours. La tâche de nous rassembler autour d’une situation

avec l’enfant et ses parents s’en trouva fort complexifiée. De façon marginale, je parvenais à recevoir l’élève

avec un de ses parents et, tantôt la C.P.E., tantôt la principale adjointe, tantôt un des professeurs.

DISPOSITIF IMPOSSIBLE ?

Je fus mise officiellement en congé formation à compter du 1er novembre, de sorte qu’au retour des congés

de Toussaint, j’étais en mesure de me positionner comme étudiante chercheur au sein du collège.

Si jusque-là, j’avais eu à tenir compte du trouble que pouvait induire ma double casquette, je me pensais à

présent dégagée de cette étreinte, pouvant articuler ma recherche avec la collègue qui allait me remplacer.

La situation particulièrement critique d’un élève me permit d’organiser la rencontre avec ses parents à partir

du principe du dispositif groupal et pluriel.

Alexandre est un adolescent de 13 ans, scolarisé en 5ème, ayant préoccupé la communauté éducative dès son arrivée au collège l’année précédente. Né avec le membre supérieur droit atrophié, non appareillé, il a surpris le collège par son handicap. En effet, personne de l’institution, ni même du secteur médical n’avait été averti de cette singularité, ce qui a nécessairement soulevé beaucoup d’interrogations et de commentaires. Les parents expliquèrent alors qu’ils agissaient ainsi pour que leur fils soit [traité] comme les autres enfants». Alexandre, dans le milieu scolaire (mais aussi familial et sportif), fait preuve de beaucoup de violence à l’égard de ses camarades qu’il intimide et influence négativement ; il provoque facilement ses enseignants ; il est réputé n’avoir aucune crainte des gendarmes15. Très vite, il collectionne les mots de professeurs relatant ses inconduites tant dans le cahier de bord de classe que dans son carnet de liaison16.

14 J’entends par ce néologisme le fait que l’adulte de la communauté ne trouve pas de réponse adaptée dans sa boîte à outils usuelle (règlement

intérieur, sommation des faits dépassant les bornes -soit inefficacité des réponses…)

15 Une brigade spéciale sans mandat OPJ intervient dans les collèges afin d’informer les élèves sur les incivilités, les vols, le racket, et les sanctions

encourues. C’est l’absence de réaction, d’émotion lors de leur passage dans la classe d’Alexandre qui fit tirer de telles conclusions par les adultes dans l’après coup.

16 Je décrirai la fonction de ces deux outils dans la prochaine section.

12

« Alexandre n’aime pas les reproches, tout le monde lui en veut, l’anglais ‘l’emmerde’. Il n’a pas ses affaires, se retourne tout le temps, ne fait pas signer ses mots, perturbe ses camarades. Alexandre perturbe les cours de maths : toujours en balance sur sa chaise, parfois les pieds sur la table, il est déjà tombé. Il intervient à haute voix, n’accepte pas les remarques… Quant à son travail écrit, il est très négligé et très incomplet. Il a déjà eu des mots sur son carnet ou des devoirs supplémentaires. Que reste-t-il ? »

Finalement, mi-octobre, il est frappé d’une journée de mise à pied aux motifs suivants :

« J’ai le regret de vous informer de l’attitude d’Alexandre qui ne respecte pas le règlement intérieur : il a été pris sur le fait en train de fumer dans les vestiaires d’EPS. Il mérite à ce titre une mise à pied puisqu’il multiplie les infractions au règlement. Il fera le travail demandé qu’il présentera à son retour. Persuadé que vous aurez à cœur de le convaincre de la voie à suivre (les non-respects du règlement intérieur, des personnes et des biens se multiplient dans le collège et dans le car scolaire)… »,

assortie entre autres d’un travail inhabituel : recenser les articles de journaux concernant un nageur originaire d’Ille et Vilaine ayant participé aux Jeux Paralympiques de Sydney, préparer ensuite une lettre d’invitation à son intention17. Mais le jour de la rencontre :

1. Je n’ai pas pu réunir préalablement les membres de la communauté pour préparer la séance et

rappeler les objectifs puisque chacun est arrivé à son rythme en même temps que la famille,

2. Tout le monde s’est installé alors que, partie à la recherche de la principale adjointe, je n’étais pas

présente pour ouvrir et m’assurer de l’explicitation de ces objectifs,

3. Je n’avais eu aucune possibilité de faire connaissance avec ma remplaçante, encore moins de lui

faire part de mes préoccupations.

4. Comble de tout, je n’avais pas mon dictaphone sur moi : la séance, cette première, ne serait pas

enregistrée18 !

Bien évidemment, lorsque je rejoignis le groupe, sans la principale adjointe qui devait arriver quelques

minutes plus tard, quelqu’un avait pris en charge les présentations (plus précisément le médecin scolaire) et

avait engagé les échanges.

J’ai essayé de prendre les rênes au vol, opération délicate s’il en fut. Néanmoins, il me semblait important et

nécessaire d’expliciter mon noyau professionnel, le parcours qui l’avait fondé et l’intérêt que je porte aux

élèves réfractaires au système scolaire dans l’intention de faire émerger de nouvelles matrices de pensée les

concernant. En déplaçant les interrogations de la nature du psychisme de ces élèves vers l’identification de

ce qui les agite, je pus dans ma présentation introduire Alexandre comme étant celui qui permettait la réunion

de toutes les personnes sollicitées.

L’arrivée de la principale adjointe a stoppé la construction du cadre que je pensais mettre en œuvre ; le

médecin scolaire reprit l’initiative des débats qu’il a ouverts sur le parcours scolaire de l’enfant où s’est

aussitôt engouffrée la principale adjointe pour détailler l’ensemble des faits reprochés par le collège à

17 Courrier qu’il mit plus de 3 mois à rédiger.

18 Je n’ai pas pu prendre de notes de sorte que je me suis empressée de jeter l’essentiel des éléments qui me restaient en mémoire immédiatement

après.

13

Alexandre, exposer les sanctions encourues et sensibiliser le jeune et ses parents au processus d’escalade

déjà engagé.

J’ai aussitôt recentré les propos autour de la famille, interrogeant la place dans la fratrie d’Alexandre ce qui

m’a permis de signifier qu’il était celui qui était venu fermer la porte. J’avais en tête que cet enfant était un être

particulier, je le pensais comme l’incarnation d’une interrogation. Je m’appuyais sur son statut de dernier, son

atrophie de naissance, son agitation que ce soit à l’intérieur de la maison ou au dehors -club sportif, école.

J’ai alors demandé ce qu’on (la famille, l’entourage) avait dit à la naissance en découvrant l’absence de

l’avant bras19. Mais ce ne sont pas les parents qui se sont saisis de mon interrogation. En effet, le médecin

scolaire s’est installé à cet endroit pour dérouler une investigation médicale classique. L’échographie avait-

elle montré l’anomalie ?

La mère nous apprit que la haute technicité n’avait rien dévoilé. Elle avait découvert le handicap de son bébé

à la naissance. Le choc fut tel qu’elle s’enferma chez elle avec son fils pour le cacher. Je proposai alors :

« Madame D. a cherché à le protéger du regard des autres. »

Ce furent les grands-parents maternels qui ouvrirent la porte de la maison. Ils vinrent chercher la mère et

l’enfant pour les amener avec eux en vacances. Alexandre fit ses premières promenades spécifiquement

avec son grand-père qui le montrait au grand jour. Avec ce grand-père, Alexandre devenait un bébé comme

les autres. Ce dernier est décédé lorsque Alexandre avait 6 ans.

Bébé, Alexandre a été appareillé dès son 9ème mois. Puis les médecins ont expérimenté 2 prothèses

articulées. L’année dernière encore, une nouvelle prothèse fut fabriquée pour Alexandre. Malgré cela, il

préfère rester avec son moignon qu’il abîme et blesse de façon ostentatoire. Les parents ont scolarisé l’enfant

très tôt (2ans) sur les conseils du médecin. La période de la maternelle s’est déroulée sans problème. Le

passage en C.P. a signé le début de l’agitation d’Alexandre.

Alexandre avoue ne pas supporter le regard des autres. La mère s’associe aussitôt et reconnaît que, pour

elle, c’est encore et toujours insupportable de penser le regard des autres sur son fils. Elle n’a alors comme

seule arme :

« Je les insulte. »

Arme qu’Alexandre utilise en classe, au football et à la maison.

Finalement les échanges se sont tissés, d’une part, à partir du médecin scolaire et de ses objets ; d’autre

part, à partir de moi-même, de mes objectifs de recherche, d’une certaine tension liée à l’obsédante idée qu’il

fallait que je prouve la pertinence du point de vue que j’énonçais : changer la qualité de regard sur ces élèves.

19 Les habitants originaires de cette région, ouverte sur l’Europe grâce à la présence et aux actions du lycée général récemment installé (8 années

scolaires), au carrefour de plusieurs départements, portent dans leurs tréfonds la logique d’un système étiologique millénaire : la sorcellerie des campagnes. Avec ma question, je cherchais à connaître la nature de l’enveloppe qui clôture cette famille. Ou plutôt qui ne clôture plus cette famille.

14

Par ailleurs, très vite la principale adjointe me fît part discrètement qu’elle n’avait pas sa place en ce lieu. En

exposant la position de l’administration par rapport aux actes posés, elle avait assuré sa mission, le « reste »,

bien qu’elle lui reconnaisse une importance indéniable20, ne la concernait plus.

J’ai pris l’initiative de clôturer la séance en engageant les parents et Alexandre à rechercher un espace

thérapeutique pour la famille, en leur proposant toutefois de les recontacter ultérieurement et d’entretenir un

contact régulier avec eux pour faire le lien avec les enseignants.

Voici comment la principale adjointe traduisit dans le cahier de bord de classe les mouvements de cette

rencontre :

« - Rappel de la loi et de la règle dont on ne peut accepter la transgression. Les parents subissent les mêmes agressions. Le problème du handicap d’Alexandre est majeur : il ne supporte pas le regard curieux / bras droit. Ce qui est prévu : . aider les parents à l’accompagner, . mettre en place une rencontre avec J. P. (nageur sans bras aux Jeux Paralympiques) Alexandre est invité à prendre l’attache de son P.P. (prof principal) pour régler par la parole contrôlée ses difficultés. »

Et comment finalement certains enseignants se saisirent de l’information :

« F. R. a eu en 6ème un gamin à qui il manquait une main ; il est maintenant en 5ème et c’est I. qui l’a eu. Elle disait « ce gamin est d’une violence extraordinaire parce que son handicap n’a jamais été reconnu par les parents. » Il faut que nous, on puisse en parler, en discuter, pour savoir quelle attitude pertinente avoir avec lui pour ne pas le blesser encore plus, pour essayer de l’aider à vivre ça, pour mieux l’intégrer dans un groupe parce que, justement, comme lui-même ne reconnaît pas son handicap, il agresse les autres. »

Cette rencontre fut la seule que je pus organiser de la sorte. Les effets qu’elle a produits ne sont guère

évaluables. Alexandre a continué d’être stigmatisé. Par ailleurs, la mise en congé maladie de son professeur

principal et son remplacement assuré par différents enseignants, le retour d’un congé maternité du professeur

d’anglais à la même période, tous certainement moins impliqués et étrangers au travail entrepris, ont

contribué à laisser la situation en l’état voire à la renforcer au fil des mois (16 remarques dans le cahier de

bord de classe entre fin octobre et fin janvier, essentiellement par deux enseignants : prof d’anglais et de

maths).

D’autre part, j’aurais souhaité intéresser l’assistante sociale me remplaçant ; l’ ‘intéresser’ dans le sens que

donne I. Stengers : « Intéresser quelqu’un à quelque chose signifie d’abord et avant tout s’arranger pour que

cette chose -dispositif, raisonnement, hypothèse, dans le cas des scientifiques- puisse le concerner, intervenir

20 Souvent, à l’occasion d’échanges informels avec elle, nous avons longuement débattu à ce sujet : qu’est-ce qui appartient au domaine strictement

privé qui ne doit pas « pénétrer » dans le collège ? Vaste question ! Dans l’institution scolaire, a-t-on uniquement affaire avec des élèves et des enseignants, auquel cas se pose la question de la façon de faire taire leur être ; ou derrière les élèves et les profs ne s’agit-il pas plutôt d’adolescents et d’adultes et de tous leurs objets ?

15

dans sa vie, éventuellement la transformer. »21 L’expérience peu convaincante de cette séance groupale

pluridisciplinaire autour d’un élève, les référentiels professionnels de l’assistante sociale et ses missions

institutionnelles, sa légitimité professionnelle dans le cadre pur de l’institution scolaire -que je n’avais plus

avec mon statut de chercheur psychologue clinicienne qui me faisait passer en dehors de cet univers- ne

m’ont pas permis de faire en sorte qu’elle ajuste ses jours de présence dans l’établissement avec les miens.

Du reste, ayant trouvé un meilleur emploi, elle démissionna du poste dès les vacances de Noël22.

Finalement que pouvaient bien signifier ces multiples achoppements ?

Tout simplement que le terrain produisait de la récalcitrance. Il me rappelait à l’ordre et me renvoyait aux

fondements de la méthodologie : je posais le principe de modifier le regard porté sur les élèves « difficiles »

mais n’avais-je pas moi-même un regard a priori sur les adultes de la communauté ? En mûrissant mon projet

de réunir ensemble tous les adultes concernés par la situation d’un élève avec celui-ci et sa famille, j’avais eu

l’illusion d’avoir compris quelque chose de la logique de l’institution. Le terrain m’a ramenée à la place que je

dois occuper : celle d’une clinicienne-chercheur en devenir, inscrite en quelque sorte dans un mouvement

permanent, devant se laisser surprendre et vaciller. Un chercheur qui défriche le terrain pour le peupler du

multiple et non un chercheur réducteur qui simplifie pour imposer ce qu’elle croyait avoir saisi, c’est-à-dire ce

qu’elle prenait comme allant de soi !

C’est comme si j’avais inversé la logique. Il me restait maintenant à interroger le terrain et à essayer de

repérer dans leur détail les logiques l’organisant, à chercher d’autres portes d’accès à ces élèves stigmatisés.

UNE NOUVELLE PORTE D’ENTREE

Le principal et son adjointe me permirent un nouvel angle d’approche. Ils avaient réuni au retour du congé de

Toussaint l’ensemble des parents d’élèves d’une classe de 4ème stigmatisée en vue de clarifier les faits et

réponses apportées, à l’attention des parents qui commençaient de se plaindre du laxisme de l’administration

eu égard à certains « éléments perturbateurs ». Je ne fus pas invitée à cette rencontre mais j’eus la surprise

de lire dans le cahier de bord de classe :

« Après la rencontre parents-professeurs, intervention bilan de cette réunion auprès des élèves faite par la principale adjointe et le professeur principal : Mise au point sur les 2 premiers mois et les débordements multiples. Invitation à « tourner la page » en changeant radicalement d’attitude : 3 maîtres-mots Politesse Participation positive à l’oral Travail personnel Ceci devrait détendre l’atmosphère de la classe et permettre aux enseignants de faire part des progrès constatés. Prochaine médiation de Mme Milon.

21 I. Stengers, « La volonté de faire science. A propos de la psychanalyse », Les Empêcheurs de penser en rond, Le plessis Robinson, 1992, p. 17.

22 Une autre collègue prit le poste à la rentrée de janvier, plus « complice » mais ses impératifs organisationnels ne permirent pas notre

collaboration.

16

Suivi régulier dans ce cahier pour voir qui fera l’objet d’un éventuel « contrat » de comportement. »

Les deux responsables m’avaient introduite en quelque sorte comme ‘experte’ de ces élèves auprès des

parents puis des élèves, enfin des professeurs sans m’en tenir informée !

S’est posée la question de la position à tenir face à une telle démarche de l’équipe de direction. S’il est vrai

que pendant les deux mois qui ont précédé mon congé formation, j’ai eu écho de difficultés avec cette classe,

je n’avais eu à intervenir comme A.S. qu’individuellement auprès de 3 élèves. Autrement dit, le traitement que

j’avais initié, à ce moment-là, touchait plus l’adolescent dans son rapport entre son milieu familier habituel et

le monde de l’Education Nationale pris dans sa globalité. A présent, on me positionnait ailleurs, à l’interface

entre deux entités : le groupe-classe et l’équipe éducative de cette classe. De surcroît on m’y installait comme

« médiatrice » !

Ce que je ne pouvais pas être :

1. Je n’étais pas adolescente, élève de cette classe ; en cela je ne pouvais guère représenter les élèves,

2. Je n’étais pas enseignante, et de plus, je n’appartenais plus à la communauté éducative du collège ; en

cela, je ne pouvais guère représenter les adultes de l’équipe enseignante.

Mais à me référer au groupe de parole tel que l’a conçu N. Zajde23, je crus pouvoir aborder cette classe de

4ème comme telle et ainsi m’offrir une nouvelle entrée sur les élèves récalcitrants au système scolaire

ordinaire. Ce faisant, je savais qu’il me fallait parallèlement insuffler une reprise de la communication entre les

deux « mondes », circulation jusqu’à présent figée dans la colère pour chaque partie, tout du moins pour

certains.

Le groupe comme dispositif clinique technique de recherche

Lorsqu’on s’intéresse à la littérature relative aux groupes restreints comme dispositif clinique technique de

recherche, on ne trouve, à ma connaissance, aucun auteur qui discute de cet outil en tant que tel.

Le groupe est perçu comme phénomène social, comme espace thérapeutique possible sous couvert de

formation ou de recherche, jamais comme espace purement technique susceptible de peupler le monde avec

de nouveaux « êtres » et, ce faisant, ayant un impact clinique sur chacun de ses participants, y compris sur le

chercheur-thérapeute lui-même.

La première à avoir porté son regard sur cette entité comme dispositif clinique technique est N. Zajde lorsque

sa recherche portant sur la transmission du traumatisme chez les descendants des victimes de la Shoah l’a

conduite à penser devoir réunir ces derniers dans le cadre d’un groupe de parole.

La particularité de sa démarche tenait, pour une part, au fait que tous les participants avaient dans leur

généalogie des ancêtres juifs. Or, il est intéressant de remarquer que les juifs se pensent comme peuple et

non comme individu d’une société donnée. De la sorte, les participants au groupe de parole de N. Zajde, non

seulement se sont constitués comme groupe par leur histoire singulière en tant que descendants de

23 N. Zajde, Enfants de survivants, Odile Jacob, coll. OPUS, Paris, 1995. Titre original : Souffle sur ces morts et qu’ils vivent, La Pensée Sauvage,

Grenoble, 1993.

17

survivants ou de victimes de la Shoah mais au-delà, par leur appartenance au monde juif. « On est juif avant

tout par naissance, indépendamment de tout choix personnel24 ».

N. Zajde a donc pris le parti de poser la question de la transmission du traumatisme non pas en fonction

d’une catégorie de la psychopathologie, ni même de la psychologie des individus participants, mais à partir de

leur judéité quasi biologique puisque de naissance. Qu’est-ce à dire ? Le monde juif fut décliné selon ses

logiques propres, ses objets propres en référence au paradigme des recherches en ethnopsychiatrie :

«1. Les groupes fabriquent des objets spécifiques (langues, rituels, théories, mythes, divinités,

substances, choses, manières de faire…),

2. Ces objets, à leur tour, fabriquent un à un les sujets de ce groupe (Nathan, 1994, 1999, 2000),

3. Les objets de ce groupe ne sont pas métissables »25.

Par ailleurs, étant donné que :

«1. Les dispositifs thérapeutiques "fabriquent" les patients auxquels ils s’adressent, les

construisent en tant que cas,

2. Ce faisant, ils tendent à affilier ces derniers aux théories qui les sous-tendent et aux réseaux

qu’ils constituent »26,

Selon ces principes, on peut penser que, par la réactivation des objets spécifiques du peuple juif, N. Zajde a

permis le tissage de liens parmi des individus qui se croyaient seuls et coupés de tout.

Description du dispositif

J’acceptai la mission qu’on me proposait à condition de m’adjoindre la présence de la Conseillère Principale

d’Education. J’aurais souhaité que l’assistante sociale me remplaçant y participe mais je rencontrai les

mêmes difficultés à l’intéresser que précédemment.

Dans le même temps, le principal et son adjointe me demandèrent d’intervenir auprès de l’équipe éducative

de cette même classe ; ce qui me paraissait incontournable. Je préférai néanmoins commencer le travail avec

la classe, voir ce que j’allais faire émerger avant de me « jeter à l’eau » avec les professeurs.

J’avais dans l’idée qu’il serait intéressant de faire apparaître deux élèves comme représentants de leur classe

et de la même façon deux professeurs comme représentants de l’équipe éducative afin de les rendre

médiateurs entre leurs matrices de pensée respectives. Ordinairement, ce type de « place » est implicite

derrière la notion de délégués de classe et de professeur principal en interaction avec un espace de parole

24 C. Gransard, Psychologie et psychopathologie des métis judéo - chrétiens. Propositions pour une approche spécifique, in Psychologie Française,

N°46-1, 2001, pp. 89-97.

25 Op. cit.

26 Op. cit.

18

singulier, l’heure de vie de classe bimensuelle prévue dans les textes depuis quelques années, en vue de

gérer justement les difficultés d’une classe autres que purement scolaires. Il n’est pas anodin de remarquer

qu’avec cette classe « sur-stigmatisée », aucun de ces outils n’ait été fonctionnel.

Si pour les groupes constitués par N. Zajde,

1. les personnes ne se connaissent pas, bien qu’ayant en commun d’être des descendants de survivants ou

de victimes de la Shoah,

2. ces mêmes personnes ne se voient qu’au cours des séances (du moins rien d’autre avant le groupe ne

les réunissait physiquement),

S’agissant du groupe classe,

1. les élèves pour certains se connaissent déjà,

2. ils se côtoient régulièrement en dehors des séances du fait même du groupe classe.

De sorte que se pose la question de la gestion des processus après chaque séance, laquelle revient

directement aux professeurs qui ne partagent pas forcément le même regard sur eux. C’est pourquoi, ils

interfèrent à cet endroit.

J’ai travaillé avec ce groupe classe lors de 9 séances, les trois premières en binôme avec la C.P.E., les 6

autres, seule avec les élèves. Une dernière séance, d’évaluation a été programmée courant mai pour clôturer

ce travail de groupe.

La 1ère séance d’une heure n’a pas pu être enregistrée. Aucune prise de notes ne fut assurée. A partir de la

seconde rencontre qui dura deux heures, j’enregistrai systématiquement les débats.

L’échange avec l’équipe pédagogique fut également enregistré.

En janvier, entre les grèves des enseignants et les sorties pédagogiques, je n’ai pas pu réunir les élèves. A

partir de février, j’ai organisé une rencontre bimensuelle sur 1h de permanence. Après plusieurs semaines

sans les avoir rassemblés, j’ai eu l’impression de « recommencer à zéro ». Les séances tenues sans la

C.P.E., occupée à d’autres tâches institutionnelles, m’apparurent totalement différentes tant dans leur

contenu que dans les interactions !

Je proposai enfin aux enseignants un entretien individuel avec chacun d’entre eux pour leur restituer le fruit

du travail fait avec ces élèves.

J’ai uniquement pu rencontrer le professeur principal dans ce cadre. Notre échange fut enregistré. Les autres

enseignants préférèrent me rencontrer en équipe et refusèrent, sur l’initiative de l’un d’eux, l’enregistrement

de la rencontre.

Par ailleurs, je profitai du travail demandé par l’université dans le cadre du module technique « vidéo » pour

filmer ces élèves à l’occasion de certains de leurs cours. Pour ce faire, je demandai, d’une part leur accord

aux élèves en les engageant à en parler à leurs parents, d’autre part celui des enseignants lorsque j’organisai

notre première rencontre. D’emblée, chez ces derniers, certains s’y opposèrent, d’autres se montrèrent ravis

19

de pouvoir porter un regard sur leurs pratiques pédagogiques, quelques-uns, enfin, acceptèrent « pour

m’aider dans mon travail ».

Quatre « tournages » ont été réalisés. En fin d’année scolaire, une restitution du matériel a été organisée

avec l’enseignante « volontaire » m’ayant ouvert sa salle de classe27.

Difficultés

Comme je le précise plus haut, si me dégager de ma fonction d’assistante sociale scolaire me semblait « aller

de soi » pour éviter toute confusion quant à ma présence et à mes intentions, jamais je n’avais imaginé que

ce faisant,

1. je créais paradoxalement de la confusion auprès des enseignants28 quant à la logique qui m’animait et

aux objectifs que je poursuivais,

2. je perdais à leurs yeux toute légitimité au sein de leur univers, et en conséquence toute crédibilité dans

mes propositions potentielles.

Avec de la distance et une connaissance a minima du fonctionnement de ce type d’institution, je peux aussi

faire l’hypothèse que le corps enseignant d’un établissement se démarque assez souvent de l’équipe de

direction, c’est à dire de l’administration et autre corps faisant fonction dans l’éducation nationale surtout

lorsque des problèmes de discipline surgissent, venant alors pointer des désordres plus profonds. Ayant été

propulsée à cet endroit par le principal et son adjointe sans ma présence et une explicitation de ma

recherche, je ne pouvais qu’être rejetée par la communauté enseignante, laquelle se reconstitue alors en

corps professionnel dans l’adversité.

Dans ces conditions, ils ne pouvaient que me vivre comme « bolchevique sachante », à moins que je n’aie

moi-même induit cette impression !

Mon changement de statut fut négocié mais pas diffusé largement, tout du moins, les relais n’ont pas

fonctionné comme tels et je me suis laissée surprendre par ce type d’incompréhension.

Lorsque j’ai réuni les professeurs une première fois en décembre, après avoir vu à deux reprises les élèves,

j’ai d’emblée perçu leur scepticisme et leur rigidification à l’égard de ces élèves et de mon intervention inscrite

dans la logique que je leur suggérais. Penser les élèves hors d’une psyché individuelle pathologique, quelle

qu’en soit la genèse, les propulsait à un niveau d’appréhension des événements les impliquant trop

directement, les rigidifiant inévitablement par ricochet !

Si l’administration m’a propulsée là comme réponse aux difficultés des enseignants, c’est à dire comme alliée

des enseignants, je me suis moi-même positionnée comme l’alliée de personne, ni des enseignants, ni des

27 A vrai dire, deux professeurs ont accepté que je filme leurs cours mais l’un d’eux était dans le collège en qualité de remplaçant de sorte qu’il a

quitté l’établissement avant que je ne puisse lui faire cette proposition.

28 Selon certains par manque de communication et de disponibilité à leur égard.

20

élèves, mais comme chercheur susceptible d’apporter des informations auxquelles les enseignants et

l’administration n’avaient pas accès. Mais je ne fus pas perçue comme telle et du coup, n’étant pas « pour les

enseignants », j’étais inexorablement « contre eux » !

Par ailleurs du côté des élèves, je n’étais pas sans rencontrer des « réticences » ! Qui étais-je ?

Quel monde adulte, je représentais ?

Il est « drôle » de s’entendre dire :

« Ils [les adultes de la communauté] chuchotent des trucs derrière vous… Si ça se trouve, quand il y a une réunion, ils vous prennent pour rien en fin de compte ; si ça se trouve, ils prennent même pas votre avis… »

et de s’en distancier pour aller de l’avant :

« C’est leur façon de voir les choses, mais on peut les penser autrement ».

J’ai dû faire face à des collégiens de 12 à 15 ans en pleine rébellion :

censés ne pas tenir en classe,

supposés sous la prégnance de « leaders », de « meneurs », de « mauvais conseillers »,

qui finalement se sont inscrits malgré tout dans les consignes de prise de parole et d’écoute de celui qui

dépose quelque chose,

parfois « usants » nerveusement lorsque leurs apartés sonorisèrent en bruit de fond le moindre énoncé,

qu’il soit issu d’un de leur camarade ou de moi-même,

néanmoins volontaires aux 2/3 à la participation à ce groupe de parole29.

DES PISTES INSTITUTIONNELLES

Comme je l’ai montré ci-dessus, le fait d’avoir glissé du statut d’A.S. à celui de clinicienne-chercheur m’a fait

perdre toute légitimité auprès de nombre de personnels du collège de sorte que je n’ai plus eu accès aux

élèves qui m’intéressaient : ceux qui mettaient en échec les principes mêmes de l’institution. Dorénavant,

c’est à ma remplaçante que les professeurs allaient s’adresser, me reléguant implicitement à la place

d’« étrangère » à leur quotidien. Par contre, du fait du travail entrepris avec les élèves de cette singulière 4ème,

je devenais, à leurs yeux, la spécialiste étrange et inquiétante de cette classe stricto sensu.

Néanmoins, je continuai invariablement de chercher de nouvelles voies d’accès à ces élèves.

29 Je tiens ces « statistiques » du délégué de classe qui a fait un sondage préalable au 2ème conseil de classe dans lequel il demandait : que

pensez de l’intervention de Madame Milon ? Si oui ; Pourquoi ? Si non ; Pourquoi ?

21

L’ambiance du collège se dégradant sans cesse de plus en plus tôt dans l’année scolaire au fil des rentrées,

m’offrit une occasion intéressante : celle de la réactivation d’une instance en sommeil, le CES rebaptisé

CESC depuis 3 ans.

Par ailleurs, si pour certains je représentais l’altérité inquisitrice, une sorte d’espion-remueur de vase, pour

d’autres, je restais une interlocutrice moins négligeable car en mesure d’apporter des possibles négociables.

Je trouvai ainsi tant auprès de la CPE que de la direction (le principal et son adjointe, mais aussi la

gestionnaire, mutée au collège depuis la rentrée avec une expérience de 9 années en région parisienne),

voire de certains enseignants, des partenaires ouverts et s’autorisant la discussion en lieu et place de prises

de position rigides ou rigidifiées.

L’espace du Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté

Début des années 90, Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale, a mis en place des « comités

d’environnement social » destinés à ouvrir les portes du monde fermé de l’instruction scolaire aux fins

d’inscrire l’école dans un réseau politico-socio-éducatif local. L’Education nationale en perdit très vite la

maîtrise, laquelle revint aux politiques urbaines. Fin des années 90, l’Education nationale, cherchant à

reprendre les rênes de cette instance a transformé les C.E.S. en Comités d’éducation à la santé et à la

citoyenneté : elle réintroduisait dans son sein les principes mêmes de sa fondation : « au-delà de ses

missions traditionnelles de transmissions des savoirs, instruire les élèves à la citoyenneté et veiller à ce que

leurs conduites scolaires et extrascolaires soient conformes à ce qui se désignerait aisément comme des

normes citoyennes. »

« Les établissements scolaires sont non seulement des lieux d’acquisition de savoirs mais également des lieux d’apprentissage de la citoyenneté. L’enseignement d’éducation civique, juridique et sociale permet la mise en place d’un travail sur des thèmes de société et d’actualité qui répondent aux préoccupations des jeunes. »30

Mais comme le montre A. Brossat, la citoyenneté telle qu’on la pense aujourd’hui comporte cette prémice

inavouée que les jeunes sont déliés de toute forme d’accès à la politique de par leur expérience propre et

qu’ainsi [elle] doit faire l’objet d’un travail d’implantation, et de culture propre. » 31 Or, on constate que le terme

même de « citoyenneté » est confondu avec la notion de civisme et de morale. Laquelle morale procède, in

fine, des valeurs judéo-chrétiennes qui clôturent notre société. Dans les collèges, la confusion est telle que

l’« éducation civique » s’attache à expliciter les principes démocratiques d’un état et spécifiquement de l’état

français en même temps qu’elle infiltre les notions de droits, de devoirs, d’obligations, de respect. Pour ce

faire, on fait appel à la notion de « métier d’élève » ! En cherchant à faire entendre à l’enfant qu’il exerce un

métier dans le collège, pour mieux l’intéresser32, le rendre acteur de son quotidien scolaire, on l’érige du coup

d’emblée comme citoyen et non comme en devenir-citoyen. Si ce n’est pas de la cité, c’est tout du moins de

l’institution où il se trouve. A. Brossat parle d’une véritable dépolitisation de la notion de citoyenneté, de la

30 Extrait du compte-rendu de l’université d’automne organisée par le ministère de l’Education nationale en novembre 1999, à propos de l’éducation

civique, juridique et sociale au lycée, cité par A. Brossat, Hygiène sociale et citoyenneté, in L’Animal démocratique. Notes sur la post-politique, Tours, farrago, 2000, p. 50

31 A. Brossat, op. cit., p. 51

22

perte de ce qui la fondait autrefois : la dimension du conflit, du contradictoire. On assiste à une indistinction,

entre le disciplinaire et le démocratique ; la citoyenneté devient un enjeu purement comportemental :

l’apprentissage des conduites correctes.

La création de ces espaces fut fortement encouragée dans chaque établissement du second degré.

Ainsi une instance pensée au niveau central se trouva ensuite imposée localement. On laissa évidemment

une certaine souplesse de mise en œuvre aux chefs d’établissement. Néanmoins, on plaquait une logique :

aux établissements de s’en saisir ! La perspective de subventions servit de moteur. Certains établissements

votèrent la création d’un tel comité en sériant les actions citoyennes qu’ils avaient menées les années

précédentes : ce faisant, ils les fédéraient et les légitimaient sous le haut patronage d’une éducation

citoyenne.

Dans le collège, sous l’impulsion de l’ancien principal, un C.E.S. avait pris vie. Depuis 3 années, il s’était

transmuté en C.E.S.C…. dans les textes. Du fait du joug de l’obligation, on lui donna forme concrète cette

année.

Compte tenu des phénomènes d’incivilités se développant et se propageant, on l’anima principalement à

partir de ces questionnements.

Une 1ère réunion se tint en décembre : nous étions peu nombreux. Aucun élève n’était présent. Quatre

parents d’élève, un enseignant, également parent d’élève, huit membres de l’administration dont un parent

d’élève aussi, et moi-même nous retrouvâmes autour de cette problématique qui passa ce jour-là au second

plan, détrônée en l’occurrence par les problèmes de la restauration scolaire et de la qualité des aliments

donnés aux enfants.

Je réussis néanmoins à présenter au peu de parents présents l’objectif de ma recherche et la façon dont

j’espérais la mener.

Malheureusement les parents assistant à ce type de débat ne sont pas représentatifs des parents

susceptibles de m’aider à fabriquer une pensée multiple dans ma recherche :

- 2 appartiennent au corps de l’éducation nationale (ce qui ne les empêche pas d’être

institutionnellement en conflit avec l’Etat, conflit que j’appellerais idéologique ou statutaire)

- Une est assistante sociale devenue formatrice dans un institut de formation de travailleurs sociaux

- Un est professionnel dans l’univers du soin psycho-éducatif33.

A l’évidence, chacun est porté par une théorie proche de celle du monde enseignant lorsqu’il énonce des

pensées sur les élèves posant des actes incivils.

Je profitai de la seconde réunion pour proposer mes services comme secrétaire de séance. A partir de cette

dernière, la thématique resta centrée sur les violences et les incivilités dans le collège. J’obtins l’autorisation

d’enregistrer tous les débats. Le CESC se réunit 5 fois durant l’année.

32 Au sens donné par I. Stengers (cf supra).

33 Psy, psychiatre, éducateur ayant fait une formation psy ?

23

Le conseil de discipline

Courant mars, des déclenchements d’alarme intempestifs, suivis de deux départs de feu volontaires

aboutirent à une agitation paroxystique de la communauté scolaire. La mise en œuvre d’une investigation

quasi policière par les adultes (suspension de tous les cours, assemblée générale, recueil exhaustif du

témoignage écrit de chaque élève nommément repéré, à l’exception des élèves de la classe soupçonnée, en

l’occurrence la classe stigmatisée, et l’épreuve d’un questionnaire écrit sur la notion de violence et les

réponses possibles à de tels actes pour tous les élèves de l’établissement) aboutit à la désignation de 4

coupables dont 3 impliqués dans les départs de feu. Ces 3 élèves firent l’objet d’un conseil de discipline

auquel on m’invita en tant que clinicienne-chercheur ayant fait un travail avec leur classe.

La salle des profs

Cet espace se distribue sur 3 pièces contiguës, ouvertes l’une sur l’autre par une porte de communication

latérale. La première, la plus grande, héberge, outre des tables organisées en carré, différents tableaux

d’affichage, supports d’informations diverses et variées touchant tant à la vie du collège qu’à des domaines

plus généraux de l’Education, les casiers de chaque professeur où ils peuvent entreposer leurs effets

personnels mais où, aussi, l’on peut leur laisser toute forme de message. Pièce principale, en son lieu et

surtout au moment des récréations, circulent nombre d’informations, se déposent des mécontentements, se

partagent des impressions, se prennent parfois des décisions « à chaud ». C’est l’endroit spécifique qui

accueille chaque professeur et permet la rencontre avec les autres personnels de la communauté. Tel un

rituel, chaque profession s’arrange pour passer par la salle des profs au moment des intercours ou des

récréations.

La seconde pièce, tout en longueur, constitue un espace plutôt technique. Salle informatique, avec

photocopieur et mobilier de rangement, elle est la pièce où l’enseignant, corrige ses copies, prépare son

cours, rentre les notes de ses élèves, la pièce où, selon les circonstances, un professeur peut recevoir un

parent d’élève, la pièce, enfin, qui renferme les cahiers de bord, objets de liaison et d’échange d’informations

pour chaque équipe éducative d’une classe donnée. Il en sera plus amplement question dans la prochaine

partie.

La troisième pièce, sorte d’espace de ‘décontraction’, accueille les fumeurs, les buveurs de café, les affamés.

Plus ‘intimiste’, elle opère le partage entre les fumeurs et les non-fumeurs, et ce faisant organise une sorte de

clôture, une sorte de spécification d’un lieu hétérogène aux autres pièces, comme fermé sur lui-même. En

son sein, on observe des échanges d’informations informels, détachés d’une certaine retenue éthique, une

sorte de laisser-aller qui donne à voir ce qui se cache derrière le professeur : son être, ses attachements34.

Echanges intemporels, informels : activation de l’expertise

Il me paraissait inévitable de proposer un retour d’expérience à la communauté éducative. Si, à l’égard des

enseignants, sa mise en œuvre s’avéra complexe (présences dans l’enceinte du collège décalées, rejet de

ma recherche), je me suis arrangée pour en échanger avec la direction et avec la CPE très régulièrement.

34 Au sens défini par Bruno Latour (2001) « Factures / fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », in Ethnopsy. Les mondes

contemporains de la guérison, 2, Les Empêcheurs de Penser en Rond / Le Seuil, 43-66.

24

C’est par ce biais que le principal, à qui j’ai rapporté le point de vue des élèves de la 4ème sur l’une de ses

positions,

« Les adultes, leur outil, c’est le chantage. Quand il y a eu l’histoire de l’encre, le principal nous a dit : ‘Que celui qui a fait ça, se dénonce ; il n’aura rien’. Et le jour où on l’a fait, on a été exclus. Les contrats, ils les tiennent pas ! »

a pu les réunir et clarifier avec eux la sanction qu’il avait décidée.

25

L’élève dans son contexte

Cette section concerne l’étude de la communauté éducative et scolaire à savoir du personnel qui la compose

et des élèves à qui on doit transmettre des savoirs, des savoir-faire et des ‘savoir-être’. J’espère contribuer à

une compréhension de l’élève stigmatisé comme mauvais élève dans son contexte propre en étudiant le

cadre éducatif et scolaire dans lequel ce rôle a été pensé, évalué et pris en charge.

Ce travail s’intéresse principalement aux élèves stigmatisés par la communauté éducative et nécessairement

aux personnels du collège qui appartiennent à des professions différentes mais peuvent travailler en équipe

pour mettre en œuvre des réponses face aux actes posés par les élèves et à leur attitude anti-scolaire.

J’entends mettre en lumière comment ces différentes professions s’organisent entre elles dans un collège et

comment cette forme même d’organisation influence l’appréhension des élèves par chaque membre de la

communauté et les constitue en cas de mauvais élève, élève perturbateur, élève difficile, violent ou à l’inverse

d’élève en danger.

Habituellement les études concernant ce type d’élèves partent du désordre de l’élève perçu en qualité de

sujet conscient et raisonnable pour aller vers son contexte, c’est-à-dire qu’elles s’appuient sur l’implicite que

ce que donnent à voir ces élèves est la manifestation visible d’un trouble dont les racines sont ailleurs et plus

profondes. Avec cette recherche, j’ai voulu renverser la méthode. Il m’a paru intéressant sinon heuristique de

partir du contexte, le collège, pour arriver à l’émergence de ces élèves.

Généralement la population collégienne couvre, avec le jeu du redoublement ou d’un saut de niveau, la

tranche d’âge des 10-16 ans. Il est unanimement reconnu que ces jeunes, tout juste sortis de l’enfance, à

l’aune de ce que l’Occident, pensant le développement du petit d’homme, depuis sa naissance jusqu’à sa

mort, à partir d’un paradigme d’évolution lente et progressive, appelle l’adolescence, se transforment par le

fait même de quitter leur école primaire et d’entrer en 6ème au collège. Cette transformation, qui se joue

également au niveau du corps, se complique d’une organisation de leur quotidien scolaire radicalement

différente. Du professeur des écoles unique en charge de leur dispenser la quasi-totalité des disciplines,

d’une salle de classe nommément identifiée, ils découvrent la multiplicité : à chaque matière correspondent

un professeur et une salle de cours spécifiques. De tels constats ont bien évidemment déjà été posés et

interrogés. C’est pourquoi, aujourd’hui, dès le cycle 3 (CE2, CM1, CM2) et en fonction des projets d’école, les

écoliers expérimentent l’apprentissage de certaines disciplines dispensées par un adulte différent de leur

instituteur. S’ils sont ainsi sensibilisés à la diversification, cet autre qui vient leur enseigner une matière

déterminée reste néanmoins immanquablement identifié comme le maître de telle autre classe. Jamais il

n’incarne la discipline même. Par ailleurs, les élèves continuent de passer la majeure partie de leur temps

scolaire auprès du même adulte référent : leur instituteur.

Du côté du collège également, des réaménagements interviennent depuis quelques temps afin de prévenir et

d’accompagner ce passage du simple au multiple. Le nombre de déplacements des 6èmes dans le collège est

limité : dans la mesure où la matière enseignée ne requiert pas une salle spécifique, ce sont à présent les

enseignants qui vont rejoindre les élèves. Par ailleurs le rôle du professeur principal, fédérateur de l’équipe

éducative d’une classe donnée, vient en quelque sorte rappeler celui de l’instituteur. C’est à lui qu’incombent

de nombreuses articulations : entre ses collègues et les parents, entre ses collègues et les élèves, entre les

élèves et l’administration. Il apparaît doublement représentant : représentant de l’équipe éducative,

26

représentant des élèves de la classe dont il est le professeur principal. De nouvelles orientations sont encore

prévues à compter de la rentrée prochaine avec les nouveaux textes sur le collège unique intervenus courant

avril 2001. En substance, il est peut-être question que certains professeurs assurent l’enseignement de plus

d’une matière au niveau de la 6ème. Pour prévenir les désordres multiples et complexes dont le collège unique

(réforme Habby de 1975) est l’arène depuis près de 15 ans du fait de l’hétérogénéité de sa population

scolaire, l’intérêt est donc porté sur cette brochette de jeunes qui arrivent au collège et qu’on suppose encore

malléables c’est-à-dire possiblement inscriptibles dans une matrice logique de transmission de savoirs, de

savoir-faire et de ‘savoir-être’ à partir d’un système voulu purement éducatif.

Deux logiques se jouent ici :

D’abord, le principe de l’évitement de tout traumatisme. Rappelons à la suite de N. Zajde combien le monde

occidental s’est dépris de toute forme de trauma, préconisant ainsi sa totale suppression dans l’éducation des

enfants. « L’Occident s’est efforcé de promouvoir un modèle ontologique spécifique : la longue tradition

philosophique a proposé des variations théoriques reposant sur un thème essentiel : celui de l’être humain

‘seul au monde’, seul et responsable. La pensée occidentale définit l’humanité comme la seule catégorie de

vivants doués d’intention et capables de gérer la vie ; comme une espèce présentifiée par des êtres à la fois

uniques et identiques (en fait pensés sur le même modèle que le ‘citoyen’) ; comme s’auto-engendrant, c’est-

à-dire ne devant son existence qu’à sa propre espèce. »35

Puis le principe d’éduquer par la maîtrise des corps. En m’appuyant sur les travaux de M. Foucault et

essentiellement sur son analyse des institutions disciplinaires, dont l’institution scolaire, dans Surveiller et

punir36, sur la mise en lumière des contextes et des intentions ayant contribué à leur émergence, sur

l’évaluation de leurs effets sur la maîtrise de notre société du point de vue du « contrôle minutieux des

opérations du corps, qui assurent l’assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de

docilité-utilité »37, j’entends montrer comment le temps, l’espace et l’idéologie du ‘collège pour tous, maintien

au collège jusqu’en 3ème’, sont autant de notions qui permettent « la mise sous contrôle des moindres

parcelles de la vie et du corps »38 de chaque acteur de la communauté et spécifiquement des élèves.

Dans un second temps, je décrirai les différentes professions en charge des élèves, depuis celle qui fonde en

raison l’institution (l’enseignant), en passant par celle qui ordonnance la vie scolaire hors du temps purement

pédagogique (le CPE et son équipe de surveillants), pour faire un détour par celles plus satellites qui sont

actives selon la situation (assistante sociale, infirmière, médecin, COP). Le rôle de la direction (le chef

d’établissement et son adjoint) sera mis en lumière sous son aspect fédérateur, à la croisée des différentes

lectures portées sur les élèves mais aussi sous son aspect plus institutionnel et administratif à savoir comme

élément de prise de décision ultime et péremptoire.

35 N. Zajde, « Le traumatisme », in Psychothérapies, Editions Odile Jacob, Paris, 1998, pp. 226 – 227.

36 M. Foucault, DISCIPLINE, in « Surveiller et punir », Gallimard, coll. Tel, Paris, 1975, pp. 157 – 264.

37 M. Foucault, op. cit., p. 161.

38 M. Foucault, op. cit., P ; 165.

27

‘COLLEGE POUR TOUS, MAINTIEN JUSQU’EN 3EME !’

Deux découpages non superposables scandent la vie de l’institution scolaire.

D’un côté, on observe la partition binaire temps scolaire-vacances scolaires dont l’alternance relève de

considérations bio-psychologiques de l’élève et peut-être plus généralement de facteurs socio-économiques

(répartition des vacances d’hiver et de printemps par zones géographiques aux fins de réguler les afflux de

vacanciers et d’étaler pour les professionnels du tourisme la période commerciale) ;

D’un autre, il s’agit du temps scolaire, à proprement parler, scandé en année scolaire (de septembre à juin),

période durant laquelle l’élève inscrit dans un établissement scolaire, et du fait de l’obligation scolaire, relève

physiquement, en tant que personne mineure, de la responsabilité de la communauté éducative, en premier

lieu du chef d’établissement, à partir du moment où il en franchit le portail - en conséquence, il passe du

dehors au dedans - et que sa présence dans les lieux est requise par le régime auquel ses parents l’ont

astreint. Ce régime est de trois ordres :

Régime 1 : entrées et sorties aux heures normales d’ouverture et de fermeture de l’établissement -

régime obligatoire pour les élèves utilisant le ramassage scolaire. Les élèves relevant de ce régime sont

forcément présents tout au long de la journée scolaire ;

Régime 2 : entrées et sorties coïncidant avec l’emploi du temps habituel de l’élève ;

Régimes 3 : entrées retardées et sorties avancées en cas d’absence de professeurs ou de suppression

de cours par l’administration portées à la connaissance des parents sur le carnet de correspondance, la

veille au plus tard et signé par eux. L’autorisation signée n’est valable qu’après présentation du carnet

signé auprès de la vie scolaire.

Ce qui signifie, de toute façon, qu’un élève, une fois dans l’enceinte de l’institution, ne peut en sortir ni au gré

des impondérables, ni de sa volonté. Ce qui signifie aussi qu’un contrôle de sa présence au sein de

l’établissement au moment où il se doit de s’y trouver constitue l’une des principales préoccupations de

l’appareil disciplinaire que représente l’institution scolaire. Je développerai cet aspect dans la partie portant

sur les différentes professions en détaillant les moyens mis en œuvre et l’impact qu’ils induisent.

L’année scolaire est elle-même divisée en trois grosses phases importantes dans l’histoire scolaire de

l’élève : les trimestres au terme desquels une évaluation synthétique est systématiquement faite à partir de

laquelle chaque élève est alors inscrit dans une classification à la fois horizontale (son rang dans la classe ce

qui le différencie de chaque autre élève tout en le distribuant) et verticale (ses résultats d’un trimestre à

l’autre, généralement associés à une comparaison avec les capacités idéales qu’on lui prête).

Les trimestres sont pour leur part découpés en mi-trimestres, lesquelles sont sanctionnées par le rituel des

relevés de notes envoyés à chaque famille afin que celles-ci soient scrupuleusement intéressées aux

résultats de leur enfant.

Enfin, à partir de la dyade semaine paire versus semaine impaire, l’institution scolaire vit au rythme du temps

journalier, lui-même composé de plages de cours, séparées par des intercours, la récréation du matin et celle

de l’après-midi ainsi que par la coupure de midi.

Sur la base d’une telle distribution du temps est élaboré l’emploi du temps de chaque classe de

l’établissement en interaction avec l’emploi du temps de chacun des enseignants. Cette tâche incombe

généralement à l’adjointe du chef d’établissement et se révèle d’une année sur l’autre un véritable casse-tête

chinois. Du reste, les emplois du temps font régulièrement l’objet de discussions lors des prérentrées des

28

enseignants provoquant parfois du mécontentement. Il arrive aussi que certaines classes voient le leur

réajusté dans les premiers jours de la reprise.

Par ailleurs les emplois du temps sont étroitement liés à la répartition et à l’occupation des différentes salles

de cours, salles de permanence ou autres espaces fonctionnels de l’établissement.

De la sorte, à tout moment de la journée scolaire (entre 8h30 et 17h), il est possible de localiser n’importe

quel élève du collège et de connaître son activité et sous la responsabilité de qui il se trouve mais de la même

façon chaque enseignant de la communauté éducative.

En contrepoint, la moindre absence d’un enseignant ou encore une hémorragie d’élèves exclus de cours

viennent aussitôt mettre un grain de sable dans ce rouage et induire du désordre.

Au temps scolaire s’ajoute le temps pédagogique, c’est à dire celui qui s’attache à la circulation des

connaissances à partir de l’enseignant en direction de l’élève. Son corollaire pourrait être le temps de

l’affirmation des apprentissages, celui imparti aux devoirs du soir. Avec ce dernier, l’esprit de l’institution sort

de son enceinte et s’infiltre dans un autre lieu, celui du foyer de chaque élève, s’attachant en quelque sorte

une nouvelle matière à « contrôler » : les parents et leur rôle dans la formation de leur descendance.

Le programme lié à chaque matière constitue en quelque sorte le contrat scolaire engageant l’enseignant à

l’égard de ses élèves et inversement, contrat non librement consenti, puisque né de l’obligation scolaire, qui

contraint chacun des protagonistes. De son côté, le professeur est pris dans l’obligation de porter les élèves

d’un état de savoir T par rapport à sa matière à un état T + x ; de leur côté, les élèves sont mis en devoir

d’accumuler une certaine quantité de connaissances avec lesquelles bien souvent le degré d’« intimité » est

loin de rejoindre celui de l’enseignant. L’élève est ainsi inscrit dans une sorte de trajectoire culturelle39 obligée

sur laquelle l’institution a un droit de regard prépondérant. En effet, si l’évaluation peut être perçue comme un

moyen pour le professeur de s’assurer de la fonctionnalité de son enseignement, elle peut également être

pensée comme une façon implicite d’obliger les élèves dont le passage au niveau supérieur est fortement lié

à la réussite de l’entreprise. En cas d’échec, seuls les élèves apparaissent perdants.

Cette nécessité pour l’enseignant de « tenir » son programme est si prégnante que toute perturbation est

conçue comme intolérable.

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Alexandre et Julien : en retard au cours d’anglais comme d’habitude ! Je les ai prévenus précédemment que s’ils continuaient à manquer le début de chaque cours, ils seraient punis ! Aujourd’hui encore : retard (à l’infirmerie). RAS-LE-BOL : ils gênent mon cours et perturbent le travail des camarades qui ont du mal déjà à se concentrer ! !… J’ai donc marqué un mot sur les agendas (car ils n’avaient pas les carnets de correspondance : sic ! !) en les prévenant qu’au prochain retard : c’est une retenue ! ! JE NE SUIS PAS UN PERROQUET ET REFUSE DE L’ETRE ! ! »

En conséquence, il y a lieu d’exercer au plus près la maîtrise du processus, c’est à dire de s’assurer la docilité

des élèves. Derrière sa mission d’enseigner, surgit alors un double mouvement qui l’habite : celui d’éduquer

et de discipliner. Tous les moyens de « contrôler » les élèves sont alors recherchés parfois en vain.

39 Au sens d’acquisition d’une culture générale commune à chaque élève.

29

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Problèmes de comportement d’Alexandre et de Julien. 13 observations entraînant 13 définitions à copier pour le lendemain. Par ailleurs, aucun travail, Alexandre n’a même pas ouvert son cartable !

Le lendemain :

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Punitions non faites : élèves exclus. Contamination à prévoir : [désignation de deux autres élèves]. »

Le second paramètre d’importance dans l’institution concerne l’organisation de l’espace : espace même de

l’établissement (la cour, les locaux), espace de la salle de cours.

S’agissant du premier, j’ai décrit plus haut comment le bureau de la vie scolaire situé au rez-de-chaussée du

bâtiment central, à proximité immédiate de l’entrée, autorisait un regard sur la circulation des élèves à

l’intérieur des lieux, dans les couloirs et dans les escaliers, mais aussi un regard sur leur présence et leur

comportement dans la cour, renforcé par la répartition des surveillants auprès même des élèves. Cet

emplacement stratégique est complété par le bâtiment de l’administration, et principalement par l’accueil qui

permet, à partir d’un autre angle, de porter un œil, à la fois sur l’ensemble de la cour pour y repérer ce qui s’y

passe et sur le portail central pour s’assurer des passages et gérer toutes les entrées et les sorties entre le

dehors et le dedans de l’institution. Sans qu’il y ait besoin de la présence continue d’un adulte de la

communauté auprès de chaque enfant, ce dernier, dans l’enceinte de l’institution, se sait observé en

permanence, pris en quelque sorte dans le maillage de la surveillance ‘virtuelle’ de chacun de ses

déplacements, de tous ses faits et gestes.

S’agissant des salles de cours, à l’exception des matières enseignées spécifiques (musique, EPS, ateliers),

les élèves sont le plus souvent répartis 2 à 2 sur trois rangées de tables alignées face au bureau du

professeur et au traditionnel tableau. Cette organisation autorise la circulation de l’adulte entre les rangées

tout en conservant un regard capable d’embrasser l’ensemble des élèves. Mais elle offre aussi la possibilité à

l’enseignant de déplacer physiquement les élèves au gré des nécessités.

«Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Mise en place pendant 30 mn en cours d’anglais d’un plan de classe pour séparer les élèves difficiles et dissipés, nombreux en 5ème C. »

Par exemple, elle sépare les élèves bavards, elle pose à proximité de l’enseignant les élèves inattentifs, oisifs

ou inversement perturbateurs. Elle permet ainsi l’ordonnancement de chacun, en fonction de différents

paramètres évalués entre eux par le seul jugement du professeur, grâce au jeu subtil de la distanciation des

individus entre eux et par rapport à l’adulte. De la sorte, non seulement les élèves sont comparés et classés

selon leurs résultats scolaires, mais ils le sont aussi au regard de leur comportement scolaire.

Un troisième facteur enfin, généralement présenté comme le grand principe d’une démocratisation du

système scolaire, concerne le choix politique du collège unique né de la réforme Habby en 1975. Avec lui,

l’institution scolaire a le monopole de la population scolaire dans la tranche d’âge des 10-16 ans. Placé sous

30

le signe du progrès d’une société, il vise à « favoriser l’égalitarisation des résultats et l’intégration »40, et pour

ce faire, il cherche à traiter les hétérogénéités en déployant « tout un corpus de procédés et de savoir, de

descriptions, de recettes et de données »41. M. Foucault42 a montré comment avec la naissance de l’appareil

disciplinaire, à travers cette technique d’assujettissement, un nouvel objet avait pu se composer : lentement,

du corps mécanique (composé de solides et affectés de mouvements), on est passé à un corps naturel

(porteur de forces et siège d’une durée), susceptible d’opérations spécifiées ayant leur ordre, leur temps,

leurs conditions internes, leurs éléments constituants. Opérations qu’une nouvelle forme de pouvoir était en

mesure de contrôler et ce faisant, ce corps offrait de nouveaux champs de savoir. Au cours du 20ème siècle,

avec l’émergence des sciences humaines (la psychologie expérimentale, les échelles d’évaluation de Binet-

Simon, la sociologie, puis la psychanalyse et aussi la psychologie cognitive, les sciences de l’éducation,

etc.…), ce corps naturel fut de plus en plus observé, segmenté, étudié à la loupe. On a cherché le plus

finement possible à avoir la connaissance, puis la maîtrise, du plus petit processus capable de l’animer. « Fort

des avancées des sciences humaines, le jeune […] n’est alors plus appréhendé comme un adulte en

miniature, soumis au même régime répressif de la punition, mais comme sujet en danger pour lui-même et

pour autrui, dont les actes manifestent les dysfonctionnements internes et ou les désordres familiaux, un sujet

par conséquent à protéger, éducable, susceptible d’être réhabilité en vue de son futur statut de citoyen, par

un traitement approprié. »43

L’outillage résultant, aux multiples facettes puisque réparti entre les différentes professions de la communauté

éducative, se rassemble néanmoins autour d’un même axe, celui d’une loi interne à l’institution : le règlement

intérieur.

Erigé en idéal de conduite et en dogme de vie pour les élèves, il est l’objet à partir duquel l’adulte cherche à

déposer des valeurs sociales, éducatives et civiques aux jeunes mais dans une sorte de double lien, du fait

même qu’il constitue aussi l’objet-couperet, celui qui oriente la nature de la sanction dont est frappé tout

transgresseur.

Véritable ‘code pénal maison’ pour l’institution, il organise en quelque sorte un univers judiciaire scolaire

autonome, une « micro pénalité », comme le souligne M. Foucault44. Toutefois, lorsque l’élève réinjecte le

monde du dehors en posant des actes non spécifiques au milieu scolaire, alors l’institution n’a d’autre

possible que d’activer le réseau légal du droit et de la justice.

Après 25 ans d’expérience du collège unique, et surtout dans la dernière décennie, force est de constater

que, au regard de l’égalitarisation des résultats ou de l’intégration, « c’est tout le contraire qui se passe

actuellement : certains [collèges] s’homogénéisent par le haut, d’autres par le bas, et l’on crée ainsi les

phénomènes de ségrégation avec leur cortège de violences et d’insécurité. Les classes de niveaux créent

40 Interview accordée par A. van Zanten à Martine Fournier, « Ecole : des grands principes aux petits arrangements », in Sciences Humaines, N°

118, juillet 2001, pp. 44 – 47.

41 M. Foucault, op. cit., p. 166.

42 M. Foucault, op. cit.

43 Voir aussi comment J. Honikman montre, à la suite de M. Foucault (in M. Foucault, « Les anormaux. Cours du collège de France 1974-1975,

Paris, Gallimard / Seuil, 1999), dans son travail de recherche de DEA (in J. Honikman, « ETHNOPSYCHIATRIE SUR ORDONNANCE JUCICIAIRE ; Des apports de l’ethnopsychiatrie à l’expertise psychologique », Mémoire de DEA, Université de Paris 8, 2001) comment les avancées des sciences humaines ont orienté la façon dont le jeune est aujourd’hui pensé et appréhendé.

44 M. Foucault, op. cit., p. 210.

31

des effets stigmatisants et des dynamiques ethniques qui n’existaient pas au dehors, du fait que les enfants

d’immigrés se retrouvent regroupés dans les mêmes classes. »45

Cet effet paradoxal tient à la logique de l’appareil disciplinaire. L’institution scolaire doit instruire, éduquer et

discipliner mais pour cela même, elle doit être, pour reprendre les termes de M. Foucault « un filtre qui

épingle et quadrille » ; il faut qu’elle assure une emprise sur toute cette multiplicité, ce grouillement d’êtres.

« Il faut annuler les effets des répartitions indécises, la disparition incontrôlée d’individus, leur circulation

diffuse, leur coagulation inutilisable et dangereuse ; tactique d’anti-désertion, d’anti-vagabondage, d’anti-

agglomération. Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les

individus, d’instaurer les communications utiles, d’interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant

surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure

donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise un espace analytique. […Elle] se

situe sur l’axe qui lie le singulier et le multiple. Elle permet à la fois la caractérisation de l’individu comme

l’individu, et la mise en ordre d’une multiplicité donnée. »46

En se fondant sur les principes de tri, de classification, de distribution, elle ordonnance l’hétérogénéité mais la

reproduit à une autre échelle : ségrégation croissante entre établissements ou entre classes à l’intérieur d’un

même établissement. Et le phénomène se voit renforcé par la pression extérieure des parents qui s’arrangent

pour « choisir » le bon collège, contournant alors le principe de la carte scolaire, par le jeu des options

(langue vivante, latin, classe européenne, classe d’aide et de soutien, classe de sport-études). Ce faisant, ils

organisent les présupposés sur les établissements. Or l’on constate aisément que le seuil de tolérance de la

communauté éducative est inversement proportionnel à l’a priori sur le contexte : plus le climat ambiant d’un

collège est perçu négativement (en termes de violences et d’incivilités), plus le seuil de tolérance des adultes

à l’égard des élèves est bas. La moindre vétille acquiert très vite un caractère inquiétant. On assiste alors à

une augmentation des élèves stigmatisés.

LES DIFFERENTES PROFESSIONS ET LEURS OUTILS

La mise en œuvre de l’appareil disciplinaire s’appuie sur les différentes professions de la communauté

scolaire, sur des objets spécifiques et des façons de faire.

Comme objets spécifiques, on trouve :

L’évaluation

Elle peut être écrite ou verbale.

Chaque profession a besoin de cet outil pour déployer ses missions. Le professeur s’y réfère pour « ranger »

l’élève, le CPE pour comprendre un événement et à son tour penser l’élève, l’assistante sociale pour poser

une indication, l’infirmière pour orienter vers un diagnostic…

L’écrit

45 A. van Zanten, op. cit.

32

En dehors de l’évaluation pédagogique ou du travail purement scolaire (prise de notes des cours, exercices,

devoirs), l’écrit envahit le quotidien de l’institution. Il sert de mise en lien, de transport d’information entre les

différents protagonistes.

Il peut prendre deux dimensions spatiales.

Entre le dedans et le dehors :

Il établit la relation avec la famille (les contrôles à signer, les relevés de notes, les bulletins) ou avec les

instances judiciaires ou éducatives (le signalement administratif à la charge de la direction, le signalement

‘social’ sur l’initiative du travailleur social).

Le carnet de liaison (communauté éducative / famille) constitue le support le plus anodin et concerne le

transfert d’information de l’institution vers la famille et inversement. Depuis l’information la plus banale portant

par exemple sur une modification exceptionnelle d’emploi du temps, en passant par une demande de rendez-

vous, il peut également servir d’avertissement à l’attention des parents sur des faits concernant leur enfant.

Le retour du carnet de liaison signé atteste alors que l’information est bien arrivée à son destinataire.

Les mots aux parents peuvent également servir de transfert d’information mais souvent, ils ont la charge de

rapporter aux familles des événements dont leur enfant a été l’auteur et de les avertir des sanctions

potentielles. Parfois, ils tiennent lieu de convocation.

A l’interne :

L’écrit sert de contrôle sur les activités, les présences des élèves et leur attitude scolaire.

La mallette de la classe, comprenant le cahier de texte (consigne pour chaque enseignant l’avancée du

programme) et le registre d’appel, est l’objet propre de chaque classe remis en début d’année scolaire. Un

élève responsable est désigné. Il est tenu de la présenter à chaque début de cours et de la récupérer à la fin.

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Michel, responsable de la mallette est arrivé un quart d’heure en retard (il laisse volontairement la mallette dans la salle de classe précédente) ! »

Au collège existe le système d’un ‘cahier de bord de classe’ propre à chaque classe, laissé à la disposition

exclusive des adultes dans la « salle des profs », où les enseignants peuvent consigner, au fil des heures de

cours et des jours, les différents aléas qu’ils peuvent avoir connus avec un ou plusieurs élèves ; ceci étant

supposé tenir lieu de communication : entre les profs d’une même équipe pédagogique, avec la direction, le

CPE, l’AS, bref, toutes les professions concernées par les élèves d’une même classe. La tendance est d’y

relater les faits essentiellement négatifs, d’y faire le compte rendu rapide d’actions menées en réponse aux

négativités reprochées.

L’écrit, c’est aussi le support de chaque profession, depuis le dossier scolaire, en passant par le dossier

médical et selon les circonstances par le dossier social. Par ailleurs, il permet la transcription et le compte

rendu de chaque espace de rencontre : entre les différents professionnels ou entre un professionnel et la

famille.

46 M. Foucault, op. cit., p. 168.

33

Le verbal

Incontournables partenaires de l’écrit, l’oral et les jeux de langage sont deux vecteurs de ‘communication’ :

avec l’élève, avec les parents, entre les professeurs, entre la communauté éducative dans son ensemble…

Selon les circonstances et le contexte, on peut noter des modalités différentes.

« Jocelyn : Avec ce prof, j’ai appris des trucs moi-même. J’ai été étonné. Il a dit des choses à mon père, en gros il a menti. Manu : Il a dit à ma mère, Jocelyn est de mauvaise fréquentation. Je fous rien à cause de lui. Jocelyn : A mon père, il a dit la même chose de Manu. Tous les deux, il ne nous saque pas. Donc à la mère de Manu, il dit une chose, à mon père, une autre. Chercheur : tant que les adultes parleront des élèves sans eux. Elèves : ben oui. Les profs devant les parents changent d’attitude. C’est des faux culs. Jocelyn : il m’a dit que j’avais une attitude de connard. De toute façon, ça sert à rien, le prof, c’est le seul juge. »

Il est intéressant de repérer comment un événement survenu pendant un cours est reporté (verbal) et

retranscrit (écrit). Il est indéniable que d’autres arguments que la simple description de l’événement

surgissent pour qualifier ce dernier en acte incivil ou violent. Tout semble tenir d’une question de traduction de

la part de celui qui ‘interprète les faits’47. Très souvent, en cet endroit, se dessine en toile de fond l’usage du

jugement moral. Par exemple, on peut lire dans un cahier de bord de classe :

«- Alexandre encore ! Renvoi de cours ce jour après l’avoir supporté 30 mn. Toujours égal à lui-même : commentaires tout fort, n’a pas ses affaires d’anglais ni son carnet de liaison. Termine par jouer avec sa chaise en criant : ‘comment dois-je faire avec ma chaise cassée ?’ Sans parler de ses regards, plus attitude pleine de haine et d’agressivité ! - Alexandre a été envoyé en permanence la 1ère heure : il est infect, odieux, grossier et n’a aucune notion de discipline (ne serait-ce qu’un minimum…) Se pose continuellement en éternelle victime - aucune remise en cause. »

Mais on peut aussi entendre lors d’un intercours :

« Prof : je vous l’amène. C’est à la limite des sévices physiques [de la part de l’adulte à l’égard du collégien]. Ça fait dix jours que je le supporte. Mes propres enfants ne me parlent pas comme ça. On [l’ensemble de l’équipe] n’en peut plus. Il dépasse le seuil de notre tolérance… »

Dans son livre « La traite des fous »48, Barrett s’est attaché à montrer comment dans un hôpital psychiatrique

moderne d’Australie, derrière la notion de travail en équipe se conflictualisaient les prérogatives propres à

chaque corps professionnel autour de la prise en charge des patients, et ce faisant comment ces derniers

étaient alors constitués en cas de maladie mentale.

47 Notons que les verbes « traduire » et « transférer » connotent tous deux la même notion : celle de faire passer quelque chose d’un point vers un

autre ; pour le premier d’une langue dans une autre ; pour le second d’un lieu dans un autre. A mon avis, c’est bien là qu’il est intéressant de s’arrêter pour interroger les modalités de médiation pertinentes à activer.

48 R. Barrett, op. cit.

34

Si on au sein de l’institution scolaire, l’on ne rencontre pas l’hégémonie d’une profession s’articulant en

complémentarité avec les autres, il n’en demeure pas moins que deux professions occupent une place

prépondérante autour de l’enfant : les enseignants et le CPE.

Les enseignants ne revendiquent en aucune façon la connaissance en profondeur de leurs élèves. Ils

s’estiment comme des spécialistes de l’ ‘appareil cognitif’ de ces derniers, experts en l’art de transmettre les

éléments d’une matière qu’ils côtoient et chérissent de longue date, selon les principes d’un modèle

développemental évolutif par stade : à tel âge, tel niveau de difficultés, à tel autre, on passe au cran

supérieur. Ils assoient leurs pratiques en fonction de cette logique de gradation progressive dans la

complexité et inscrivent leur mode d’évaluation principalement en regard de l’aptitude de l’élève à franchir les

étapes prérequises. Le jeune qu’ils ont en face d’eux apparaît avant tout comme un élève à ‘remplir’. S’ils

peuvent lui reconnaître des états psychologiques et un environnement familial, en aucun cas, ces éléments

n’intéressent la relation qu’ils cherchent prioritairement à établir : la relation pédagogique qui renvoie au

temps pédagogique décrit plus haut. Mais aujourd’hui, en plus de transmettre des connaissances propres à

leur discipline, l’Etat leur demande de « s’attacher à donner aux élèves le sens de leur responsabilité, à

respecter et à tirer parti de leur diversité, à développer leur autonomie… »49, ce qui les contraint à porter un

autre regard sur les jeunes et, dans ce mouvement, déstabilise leur façon d’opérer une certaine maîtrise sur

eux. En leur ouvrant ainsi la voie royale du sujet rationnel, conscient et responsable, ils vont à la rencontre

d’un tout autre type d’élève que celui, docile et discipliné, autrefois recherché. Leur tâche s’en trouve

fortement compliquée ; ce qui les contraint à renforcer les fondements de leur mission et à poser des

exigences de plus en plus rigides par rapport à la notion de loi interne à l’institution. « Summum jus, summa

injuria ! »50

« Profs : Il faudrait créer une commission de professeurs qui décident d’un comportement à adopter, d’un comportement commun et que tout le monde soit bien d’accord. Si les enfants expérimentent qu’il y a d’autres manières de vivre par rapport à ce qu’ils vivent à la maison, ça peut avoir un effet positif. »

Par ailleurs, si les professeurs cherchent ainsi à ‘tenir’ aux mieux leurs élèves dans leur rôle scolaire, en

retour, eux-mêmes sont mis en quelque sorte sous diverses lorgnettes :

1. Ils craignent souvent le regard de leurs collègues de sorte qu’à l’émergence de difficultés, rares sont

ceux qui s’en confient.

« Prof : Souvent, chaque professeur vit une situation difficile ; il la règle comme il le peut et puis, dès qu’il sort de la classe, il oublie très vite. C’est ça le problème. »

2. Mais ils se trouvent aussi pris dans la double hiérarchie du chef d’établissement pour l’administratif et de

leur IPR (inspecteur pédagogique régional) pour le pédagogique.

3. Enfin, ils se sentent observés par les parents d’élèves eux-mêmes, ceux capables de se constituer en

collectif de pression en vue de combattre les désordres nés de la multiplicité.

49 Circulaire n° 97-123 du 23 mai 1997 relative aux missions du professeur exerçant au collège, en lycée d’enseignement général et technologique

ou en lycée professionnel.

35

La vie scolaire que représente le CPE concentre ses missions, comme le signale sa dénomination, autour de

l’enfant pris dans son quotidien au sein de l’institution. Intrinsèquement, depuis que la fonction a perdu son

titre de surveillant général pour devenir conseiller principal d’éducation, le CPE cherche à recentrer ses

pratiques autour de l’éducatif, endossant le répressif avec réticence. Mais c’est ce dernier aspect que les

élèves lui reconnaissent prioritairement.

« CPE : Un CPE n’est pas là que pour les problèmes. Un CPE intervient en tout, les sanctions par rapport aux actes posés et l’échange de discours. Echanger, au-delà de ça, c’est partir de ce que vous pensez de ce qu’on pense. S’il y a des sanctions, c’est comme dans la vie civile. Elève : la vie scolaire, c’est la police du collège. CPE : c’est un infime côté normalement. La vie scolaire, c’est un travail éducatif auprès des élèves, un travail d’intervention individuel comme un travail en groupe comme on fait ici. Un CPE est amené à intervenir dans les classes, en heures de vie de classe, aussi. Mais effectivement, souvent, les enseignants me font appel que lorsqu’il y a des problèmes. »

Ainsi repéré comme premier partenaire des enseignants, le CPE prend en charge le traitement du

comportement de l’élève et en premier lieu s’intéresse à sa présence dans l’institution. C’est lui qui gère les

absences et s’occupe d’en connaître invariablement les raisons.

« CPE : Sur le temps du déjeuner, Jocelyn et Brahim ont quitté le collège et n’ont pas pris de repas au self. Elèves vus à 13h30 dans mon bureau. En fin d’après-midi, Jocelyn a quitté le collège sans autorisation et a ‘renouvelé’ l’expérience lundi 2/10. Appel téléphonique sur le lieu de travail du père. »

Le CPE reconnaît également à l’élève des états psychologiques et un environnement familial et s’y réfère.

C’est lui qui fait parler en premier les attachements51 de l’enfant.

« J’ai parlé avec Brahim et Jocelyn. Comment veux-tu qu’ils ne soient pas en guerre contre la loi ! Jocelyn, son père est très dur à la maison avec lui. Et Brahim, il est en révolte puisque la loi l’empêche d’être avec son père. Je leur ai demandé s’ils ne prenaient pas trop au sérieux ta recherche. Ils m’ont répondu qu’ils n’y pensaient même pas. »

Même si l’enseignant peut de son propre chef rencontrer d’emblée la famille lorsqu’un enfant lui pose

question, souvent l’échange n’est pas investi ailleurs qu’en regard du désordre manifeste présenté par l’élève.

Si d’aventure, il devait se faire le dépositaire d’informations plus personnelles et profondes, alors, il s’en

remettrait d’abord au CPE ou à la direction, puis à l’assistante sociale ou à l’infirmière en fonction des

questionnements activés.

Quoi qu’il en soit, il ne garderait pas, par de vers lui, les ‘données’ obtenues. Parce que c’est une démarche

qui lui est demandée. Pour ce faire, un outil spécifique a été mis en place animé par l’adjointe de direction : le

‘suivi de vie scolaire’ qui réunit les différents partenaires de l’institution et a pour objectif de lister les élèves

50 « Comble de justice, comble d’injustice », adage latin de droit, cité par Cicéron (De officüs, I, 10, 33).

51 Toujours au sens que donne B. Latour à ce terme.

36

perçus à problèmes ou en rencontrant, quelles qu’en soient l’origine et la forme, et de proposer des

indications de prise en charge selon la problématique évaluée. En ce lieu circulent les différentes grilles de

lecture des professionnels selon leur champ de compétence autour de chaque situation d’élève évoquée. A

travers ce prisme, l’élève apparaît sous de multiples facettes, pédagogique, sociale, psychologique, parfois

médicale (cf le croquis ci-dessous).

Que ce soit la direction, les enseignants ou le CPE, ces trois corps professionnels sont impliqués

exclusivement dans un seul établissement, les deux derniers relevant administrativement de la hiérarchie du

collège. Ce n’est pas le cas de l’assistante sociale qui partage son temps de travail entre plusieurs

établissements et qui dépend hiérarchiquement d’une assistante sociale conseillère technique auprès de

l’inspecteur d’Académie, ni du COP, pour les mêmes raisons, avec de surcroît des actions propres à son

institution -le CIO (centre d’information et d’orientation), ni du secteur médical - médecin scolaire et infirmière

- qui a en charge à la fois le premier et le second degrés et qui relève aussi, pour l’un et l’autre, d’un infirmier

et d’un médecin conseillers techniques départementaux. Nonobstant, le chef d’établissement a un certain

droit de regard sur les activités infirmières. Jusqu’il y a deux ans, les infirmières étaient affectées soit en

primaire, soit dans un établissement du secondaire. Or dans un souci de mieux maîtriser les jeunes arrivant

en 6ème, on a décidé de leur faire assurer leurs missions dans les deux degrés afin de repérer les élèves

potentiellement à surveiller, quelle qu’en soit la raison, et de maintenir ainsi le lien entre les actions

entreprises en primaire et celles activables au collège.

Le secteur médical appelé ‘promotion de la santé’ s’inscrit dans la suite logique des suivis assurés par la

protection maternelle et infantile des conseils généraux. Ils ont tous deux la même intention disciplinaire : un

droit de regard sur et la maîtrise de la santé de chacun en ‘s’attachant’ le plus tôt possible à l’individu.

D’aucuns argumentent de telles actions à partir de la notion de prévention. Prévention ou pouvoir insidieux

sur les corps ?

Car à côté de leur travail purement infirmier - prise en charge des différents bobos, vérifications du

développement staturo-pondéral et des vaccinations, appréciation des habitudes de vie (alimentation,

sommeil, activités…) -, les infirmières s’inscrivent dans des missions plus globales portant sur la sexualité, la

contraception, le tabac, l’alcool, les polytoxicomanies … Elles s’intéressent à la façon dont les jeunes sont

informés et s’inquiètent surtout de leur transmettre les valeurs socialement reconnues et confortées par le

modèle médical. Elles se glissent ici dans cette partie intime du jeune, destituant en quelque sorte les parents

de leur capacité de transmettre ‘à leur façon’ les choses de la vie…

Généralement, l’infirmière travaille en collaboration avec le CPE et l’assistante sociale dans ce type

d’entreprise. Elles sont réunies autour de leur mission institutionnelle d’éducation à la santé et à la

citoyenneté, fonction hautement normative de l’école. En effet, « l’école tend à devenir un lieu de prise en

charge polyvalente des tâches de socialisation, de surveillance, de remise au pas des jeunes. [Elle] apparaît

le lieu de détection et de traitement de l’ensemble nébuleux de ce que le récent discours ministériel nomme

‘conduites à risques’. »52

52 A. Brossat, Hygiène sociale et citoyenneté, in L’Animal démocratique, Tours, farrago, 2000, pp. 49 - 72.

37

Ces professionnelles peuvent cependant se trouver en concurrence lorsqu’il s’agit de la prise en charge de

‘jeunes en difficultés’. Le CPE, présent quotidiennement dans l’enceinte du collège a accès immédiatement

au moindre événement impliquant un élève. Il est le premier en contact avec lui. Comme je l’ai déjà souligné,

son outil principal reste l’entretien individuel et parfois la constitution d’un fichier d’élèves pour opérer un suivi

fonctionnel. C’est souvent à partir de son appréciation de la situation que les élèves sont ensuite ‘orientés’

vers l’infirmière ou l’assistante sociale.

Cette dernière inscrit sa mission exclusivement dans l’intégration scolaire la plus égalitaire et la meilleure de

l’enfant. A cette fin, elle s’intéresse plus encore aux attachements du jeune. Que son action soit simplement

matérielle - aide financière à la scolarité - ou orientée vers l’épanouissement psychoaffectif de l’enfant au sein

de sa famille, elle réintroduit l’environnement social et familial de l’élève dans le collège. Ce faisant, elle

participe à la construction de la lecture psychofamiliale des désordres que les enseignants récupèrent

d’emblée au moment où surgissent les difficultés avec un élève.

« A.S. : Mohamed, élève de 4ème C, arrive de Paris où il vivait depuis 1996, date de son retour en France. Né en France, mais ayant été élevé en Tunisie par ses grands-parents paternels de l’âge de trois ans à celui de douze ans, Mohamed exprime par sa relation à l’autre les difficultés qu’il a à négocier ces deux ruptures culturelles. Je vous propose de nous rencontrer assez rapidement afin de trouver ensemble le meilleur moyen pour Mohamed d’accéder à la maîtrise du français. »

Elle participe aussi à la construction de la qualification de la relation que l’établissement peut entretenir avec

les familles.

« Direction : Vous avez rencontré les parents, nous les avons reçus ensemble, vous leur avez indiqué ce qu’il y avait lieu de mettre en œuvre. Ils n’ont rien fait. Ils n’entendent pas. J’ai autre chose à faire que de passer mon temps à gérer les problèmes d’Alexandre. »

Lorsque la famille coopère, l’élève, en plus d’être stigmatisé, devient un enfant difficile et les parents sont

soutenus par les adultes de la communauté. A contrario, lorsque la famille oppose de la résistance, cette

dernière est perçue comme « mauvaise » famille, ce qui tient lieu d’éclairage, voire de causalité au

comportement de l’élève.

« Prof : Manifestement ces élèves à problèmes ont besoin d’être suivis, ont besoin d’avoir une structure qui remplace la structure familiale. Ça peut être relayé par un internat bien fait, évidemment avec les moyens, pas un internat au rabais ! »

A l’orée des deux mondes, celui de l’élève et celui de l’institution, elle cherche à traduire auprès des parents

les logiques scolaires et surtout sociales, auprès de la communauté, les mécanismes dans lesquels lui

semblent pris53 l’enfant et sa famille. A ce titre, elle revendique le titre de conseiller technique auprès de la

direction avec laquelle elle se trouve essentiellement en relation.

53 « Le cas, montre R. Barrett (op. cit.), est une construction spécifique de la personne. C’est le sujet et le produit du travail du professionnel. Le

même sujet peut donner lieu à toute une diversité de cas – produit du travail socio-éducatif, produit du travail judiciaire, produit du travail psychiatrique, etc. Autrement dit, les données sur les personnes sont toujours interprétables en fonction de la matrice dans laquelle s’inscrit la

38

La direction, de par sa position au sommet de la pyramide, de par ses responsabilités engagées auprès de

chaque élève de l’institution, est l’instance fédératrice et régulatrice de l’appareil disciplinaire à l’intérieur

duquel toutes les professions satellites ont imposé, pour l’élève, la notion de sujet psychologique rationnel et

responsable, supposé capable de porter un regard sur ses actes. De la sorte, tout acte irrégulier posé par un

élève sera inévitablement perçu comme un appel à l’autorité et/ou un signal du mal-être qui le traverse.

« Tout problème doit susciter une démarche collective de l’équipe éducative, rassemblant enseignants et responsables d’établissement mais aussi médecin, infirmière, conseiller d’orientation psychologue, conseiller d’éducation, assistante sociale… Bannissant a priori l’action répressive conçue comme ‘fin en soi’, cette démarche place constamment l’accent sur le ‘dialogue’, moyen d’écoute mais aussi de ‘rappel à la loi’ et débouchant sur un ‘traitement’ modulable de l’infraction ou du problème. » 54

En dernier ressort, c’est toutefois au chef d’établissement qu’incombe toute décision relative à un élève - par

exemple, choix de la sanction, regard sur les avis des conseils de classe du troisième trimestre (surtout sur

les décisions de redoublement). C’est aussi ce dernier qui préside le moindre espace de rencontre même s’il

a toujours la possibilité de déléguer ses pouvoirs. Mais son hégémonie trouve sa butée dans l’organisation

même du système ‘Education nationale’ puisque à son tour, le chef d’établissement, personne civique

responsable aux yeux de la loi, est ‘contrôlé’ par l’instance départementale dont l’inspecteur d’Académie est

le représentant et le responsable. La pyramide se ressert autour du recteur puis se centralise à Paris au

Ministère de l’Education Nationale où sont décidées les politiques en matière d’éducation, de santé et de

formation.

rationalité de l’interprète. », in J. Honikman, « ETHNOPSYCHIATRIE SUR ORDONNANCE JUCICIAIRE ; Des apports de l’ethnopsychiatrie à l’expertise psychologique », Mémoire de DEA, Université de Paris 8, 2001, p. 25.

54 A. Brossat, op. cit., p. 65.

39

A.S. I.D.E.

Principal ou Adjointe

Profs C.O.P.Ado Elève

C.P.E.

Parents

Le croquis ci-dessus tente de brosser de façon schématique les différentes interactions, concernant à la fois

le collégien et ses parents, que je viens de décrire. Il met en lumière comment, à partir du moment où d’autres

professionnels que les seuls enseignants, ex-surveillants généraux (actuels C.P.E.) dont la mission

fondamentale relevait originellement d’un rôle purement disciplinaire et ex-censeurs (devenus aujourd’hui

adjoints du chef d’établissement) ont été introduits dans l’enceinte de l’institution scolaire55, le clivage,

initialement recherché et produit : dedans / dehors (en regard de l’institution), autrement dit : élève / individu,

a volé en éclat, ouvrant ainsi une large brèche aux attachements de l’enfant scolarisé. En pénétrant ainsi

dans l’établissement, ces derniers ont obligé les principaux acteurs de l’éducatif à devoir repenser leurs

pratiques et leurs objectifs pour tenter de les adapter car avec ces nouvelles professions, l’enfant scolarisé

est alors devenu sujet d’un façonnage complexe, à partir de multiples ‘objets’56. En effet, « si l’homme est

partout le même, […] en revanche, les objets que les groupes d’hommes fabriquent sont différents »57. En

conséquence, « le noyau des personnes ne se [situe] pas à l’intérieur d’elles, mais dans un espace public,

dans les objets inventés par le groupe et fabriqués par des professionnels. »58 A ce titre, la qualification de

chaque collégien relève bien du regard de chacun des professionnels de l’institution scolaire et non d’une

prétendue nature propre de l’individu...

55 L’introduction de nouvelles professions est étroitement liée aux avancées théoriques des différents champs disciplinaires des sciences humaines.

56 Par objets, il faut entendre des objets fabriqués par des collectifs, non par des individus : les langues, les systèmes de soins, les techniques de

divination, les théories – toutes les théories, les prières, les récits, etc. En l’occurrence, concernant ces nouvelles professions, il s’agit des théories psychologiques, pédagogiques et sociales ou encore des théories des différents champs des sciences humaines.

57 T. Nathan, « psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l’ethnopsychiatrie », in Genèses, 38, 2000, pp. 136-

159. Texte en ligne sur le site : ethnopsychiatrie.net

58 T. Nathan, « L’héritage du rebelle », in Ethnopsy. Les mondes contemporains de la guérison, 1, 2000, Synthélabo, p. 221.

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« … Il ne reste dans les classes ordinaires que les élèves qui font leur humanité… Lorsque le professeur arrive non seulement

comme un inconnu mais encore comme un ennemi, surtout s’il exige que l’on travaille… les classes … sont comme des

instants de liberté pendant lesquelles chacun peut se livrer aux occupations défendues qu’il affectionne. Un professeur a beau

s’évertuer au tableau, il est rare qu’il soit écouté […]. Les retenues, les pensums tombaient dru comme grêle ; c’était là un

crime dont il fallait le punir, et il fut convenu qu’on le ferait ‘sauter’. »

Maxime DU CAMP59

L’histoire d’une classe

Après ce regard archéologique sur l’institution scolaire et ses logiques implicites, cette section s’intéresse

spécifiquement à l’histoire scolaire des élèves de la classe de 4ème avec laquelle j’ai travaillé à partir des

principes du groupe de parole décrits précédemment. En m’appuyant sur les éléments nodaux qui s’en sont

dégagés, ainsi que sur les énoncés des adultes recueillis dans les différents lieux que j’ai investigués, je vais

tenter de rendre saillants les processus en jeu dans la façon dont elle fut très vite stigmatisée et considérée

comme la classe du collège responsable du moindre désordre, tant dans son fonctionnement interne

(relations profs-élèves) que dans la qualité de son inscription dans la vie de l’établissement (passage au self,

propreté des locaux, dégradations des matériels…).

Il est intéressant d’interroger comment cette classe fut constituée : Composée en majorité de garçons (6 filles

pour 18 garçons), les élèves qu’elle rassemble ne sont ni latinistes, ni germanistes, ni bénéficiaires du

dispositif d’aide et de soutien. Comme le montre la sociologue de l’éducation A. van Zanten60 au terme de son

étude menée pendant deux ans dans un collège de la banlieue sud de Paris, il n’est pas sans conséquences

sur le développement de ce qu’elle appelle ‘la déviance’ de regrouper les élèves de même niveau, évalué sur

la base de critères scolaires et comportementaux, dans certaines classes. Selon elle, « les ‘mauvaises

classes’ jouent un rôle central dans la fabrication d’attitudes déviantes par rapport aux valeurs promues par

l’école et par la société à travers les interactions qui s’y développent entre les enseignants et les élèves et

entre les élèves eux-mêmes ». De plus, les élèves ne sont pas dupes et connaissent le ‘niveau’ de leur

classe.

« Elève : on est la plus nulle de ses classes. Il a trois 4èmes. Par rapport aux autres, on est des minables. Il est obligé de nous faire cours. Autrement il nous mettrait à la poubelle. Il

59 Maxime Du Camp, Mémoires d’un suicidé, cité par J. Leroy, in L’école de Chateaubriand à Proust, Librio, 2000, pp. 34 - 57.

60 Interview accordée par A. van Zanten à S. Blanchard, La constitution de classes de « mauvais élèves » alimente la violence au collège, in dossier

« violence scolaire », Le Monde.fr, 5 février 2001.

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s’est déjà fait une idée en début d’année. Il s’est dit qu’il a une classe avec de bons élèves et une classe avec des mauvais élèves. Il nous compare toujours avec les autres. »

Finalement, ces élèves sont là faute d’être réunis autour d’un objet commun d’intérêt : agglomérat d’êtres

hétéroclites aux histoires scolaires complexes, c’est un non groupe.

«Chercheur : je vous dis ce que je pense et vous vous engagez à réagir sans trancher. Elèves : oui

Chercheur : vous n’êtes pas un groupe, vous êtes explosés, les filles sont satellisées sauf Gaëlle. Elèves : on est les déchets. On est une classe normale sans rien. C’est la poubelle du collège. Elève : Vous croyez pas que c’est à cause de tout ça qu’on s’est révolté après tout le monde ? Chercheur : qu’est-ce qui pourrait vous réunir ? Elèves : vous. »

Et c’est ce que ce travail a produit. Si la classe était en fait un groupe artificiel non fonctionnel en tant que

groupe, au sein même de cette collection d’adolescents, les séances avec moi ont délimité les

appartenances. Trois clans ont alors émergé : les non élèves si je peux les qualifier comme tels, les

« mauvais » élèves et les élèves scolaires. Dans ce mouvement, les élèves déjà « stigmatisés » sont

immanquablement apparus, aux yeux de certains enseignants, confortés dans leur rôle. Position que ces

mêmes profs ont à leur tour renforcée en refusant de croire à une potentielle modification de ces adolescents.

Si on peut penser que les adultes de la communauté sont portés par leurs présupposés,

« Elève : En début d’année, John et moi on a entendu Racine, une prof de l’an dernier dire à Molière : ‘Méfiez-vous’ de Dupont et de Morel. Elle ne nous disait rien et elle nous attaque ! C’est comme si elle nous traitait de voyou. Molière, il nous considère comme des primaires, des voyous. »,

il n’en demeure pas moins que les élèves, eux-mêmes, forts de ce qu’ils observent ou entendent se

construisent aussi des a priori.

« Elève : Brahim, il avait déjà été viré en 6ème, Jocelyn, on savait pas d’où il venait… Ils ont pas été ‘futfut’ non plus. Ils savaient déjà qu’avec Brahim, ça allait pas faire un bon mélange, alors avec Stéphane… »

Stéphane est un adolescent de 15 ans, aux cheveux très courts, décolorés, travaillés à la cire, le sourcil garni d’un piercing, les lobes déformés par des anneaux et des clous d’oreille, flanqué d’un jean’s, tee-shirt, baskets. D’allure décontractée, Stéphane rencontre l’adulte comme s’il s’agissait d’un égal et s’adresse à lui en tant que tel. Au cours de l'année scolaire précédente, lors de sa première 4ème, il a agacé et poussé à bout les adultes de l'établissement par son comportement "m'en foutiste", le manque total d'intérêts face à la "chose" scolaire et surtout l'absence de considération des règles institutionnelles. Parallèlement, ses résultats scolaires furent faibles, certainement en lien avec les éléments précédents. Bien qu'il ait été question de cette situation dans le cadre de

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l’espace institutionnel ‘suivi de vie scolaire’, aucun travail psychosocial n'avait été initié spécifiquement. Seules des rencontres à la demande de l'établissement avec la mère -qui répond positivement à chaque interpellation- ont été organisées. Au conseil de classe du 3ème trimestre, le maintien en classe de 4ème fut décidé à l'unanimité par l'équipe éducative. La famille n'a pas fait appel de cette décision, comme il était de son droit. Par ailleurs, la réinscription de Stéphane fut conditionnée à une rencontre entre celui-ci et sa mère et le chef d'établissement ou son adjointe -procédure classique au sein du collège lorsqu'il s'agit d'élèves ayant posé des problèmes de discipline probants. Aucune démarche ne fut à ce moment-là entreprise par les intéressés. Le jour de la prérentrée 2000/2001, Stéphane s’est présenté seul au collège pour rencontrer la principale adjointe et négocier sa réinscription en classe de 3ème. Deux problématiques ont interrogé l’adjointe par rapport à cette tentative de négociation : La réinscription de Stéphane au collège et son engagement vis à vis d'un changement

d'attitude tant du point de vue purement scolaire que de celui de son comportement général ;

L’accès au niveau supérieur. S’agissant du deuxième point, la position, statutaire, de la direction a été maintenue, à savoir qu'il n'était pas envisageable, légalement parlant, de pouvoir l’inscrire en classe de 3ème ; la décision du conseil de classe du 3ème trimestre n'ayant pas fait l'objet d'appel restait alors applicable stricto sensu. Relativement au premier point, il fut demandé à Stéphane de décliner ses nouvelles dispositions -tant comportementales que face au travail scolaire- puis, il lui fut proposé de me rencontrer. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de cet adolescent, "à fleur de peau" vis à vis de l'adulte, en rébellion

face à l'institution et à tout cadre imposé, vécus alors comme autant de non-sens.

Néanmoins, malgré cette façon d'être, il est important de noter que Stéphane :

avait été capable de faire la démarche de solliciter sa réinscription,

avait accepté de parcourir les étapes nécessaires à sa concrétisation et s’y était même plié -entretien

avec la direction, entretien avec moi, engagement contracté face à des items clairement identifiés.

On peut penser que, paradoxalement, de telles démarches n'entraient pas en contradiction avec sa logique

de pensée, celle d'un adolescent se pensant mature et responsable, capable d'assumer actes et dires sans

avoir à recourir à un représentant adulte -en l'occurrence, sa mère. Stéphane, d'ailleurs, n'a de cesse de

demander qu'on laisse sa mère "à l'écart de ses affaires".

Bien qu'il soit réfractaire à toute logique de pensée contradictoire, j'ai offert à celui-ci un espace de transition

possible -venir me rencontrer sans formalisme particulier- dans la perspective de prévenir ou de négocier

toutes les difficultés qu'il pourrait connaître pour tenir l'engagement de ses efforts.

Le matin de la rentrée, Stéphane intégra les effectifs en classe de 4ème ce qui provoqua une vague de

mécontentement chez les enseignants. Stéphane était de retour !

Comble de tout, lorsqu’il négocia, dans la foulée, son changement de classe parce qu’il n’y connaissait

personne, pour une autre de son choix où il retrouverait quelques "têtes connues" et que le principal,

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acceptant l’hypothèse d’un changement de « mentalité » du garçon, lui accorda sa doléance, la salle des

profs fut frappée d’un tollé général. Nous étions au 2ème jour de la rentrée de septembre !

Brahim, jeune adolescent de 14 ans, à la silhouette élancée, au sourire ‘charmeur’ et surtout à l’esprit vif et aiguisé avait fait une 6ème ‘remarquée’ au collège. A l’époque, en tant qu’assistante sociale, on m’avait demandé de le rencontrer avec sa mère en fin d’année afin d’évaluer les raisons de son comportement et de faire en sorte qu’il comprenne qu’en agissant ainsi, il desservait son avenir. La direction, de son côté, avait fait le point avec eux et exigeait pour sa réinscription en 5ème que Brahim s’excuse auprès de chaque enseignant pour sa mauvaise conduite. La maman n’avait alors pas accepté cette condition. Elle inscrivit Brahim en 5ème au collège privé de la commune. Brahim n’acheva pas son année et dès le mois de mai, il fut absent de l’établissement. La maman décida de le changer à nouveau de collège et négocia sa réinscription au collège public. La direction accepta mais imposa à Brahim un ‘contrat de comportement’. Jocelyn, adolescent de 15 ans à l’allure imposante, arrive d’un collège de région parisienne où il a vécu, selon ses parents, des scènes de violence (racket). Redoublant sa 4ème, il affiche une assurance non négligeable tout en montrant une relative passivité à l’égard de sa nouvelle scolarité. Gaëlle, jeune adolescente métisse, née d’un père antillais et d’une mère bretonne, redouble sa 4ème. Flanquée quotidiennement d’un jogging et de baskets, elle affiche, derrière une coiffure ‘afro’, une silhouette androgyne. Férue de football dont elle est un excellent joueur, elle avait réussi à la fin de l’année précédente les épreuves sportives qui lui permettaient d’intégrer un sport études tout en redoublant sa 4ème. Mais l’état de son dossier scolaire (du point de vue de sa conduite et des résultats) ainsi que son attitude lors du recrutement l’ont laissée sur la touche ! Elle faisait donc sa seconde rentrée dans ce collège. Auparavant elle avait été scolarisée dans un collège d’une ville côtière où elle avait déjà été ‘remarquée’. Cette année, elle retrouvait la CPE de cet établissement avec laquelle elle avait eu affaire deux ans auparavant…

Pour ces élèves, mais aussi pour certains de leurs camarades de classe, les choses se sont vite révélées

difficiles. Est-ce par le scepticisme des enseignants face à l'engagement de Stéphane ou est-ce parce que

Stéphane n'a pas maîtrisé ou pas tenu celui-ci ? Est-ce en raison d’a priori à l’encontre de Brahim ou de

Jocelyn ou est-ce parce que ces derniers ont d’emblée fait preuve d’indiscipline ? Est-ce parce que les

professeurs ont affiché d’emblée un certain état d’esprit face à cette classe et que les élèves l’ayant perçu ont

adopté une attitude réactionnelle ? Dès la mi-septembre, on peut lire dans le cahier de bord de classe des

remarques qui individualisent les élèves mais également des impressions générales sur la classe. Soulignons

cependant que ce n’est pas l’ensemble de l’équipe éducative de cette classe qui s’en est plainte mais

principalement trois enseignants, et que les séances du groupe de parole avec les élèves ont fait apparaître

de façon ostensible seulement l’un d’entre eux :

« Profs [à partir du cahier de bord de classe] : - Je ne suis pas bien sûr que Stéphane respecte bien les termes de son contrat. En effet, son travail n’est pas irréprochable. Par exemple, hier, 17/9, il a reconnu ne pas pouvoir noter la correction que je donnais puisqu’il n’écoutait pas. D’autre part, il montre en toute chose une décontraction telle qu’on ne peut qu’y voir de la provocation. Le 15, au début du cours, il vient vers moi le carnet de liaison à la main en me

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demandant d’y mettre un mot puisqu’il n’avait pas fait son travail. Qu’est-ce là si ce n’est pas une volonté délibérée de pousser le système au-delà de ses limites et le rendre absurde ? Il se permet encore, le 17, de juger que ses enseignants sont ‘bêtes’ ou ‘à moitié bêtes’ et que s’ils se montrent plus sévères, les réactions de la classe seront encore pires. - Groupe de 4ème C avec groupe de 4ème A : aucun élève de 4ème C n’a fait signer le document donné la semaine dernière. Travail non fait : [désignation exhaustive des élèves concernés]. Impertinence : [idem]. Bavardages : [idem]. »

On peut penser qu’une sorte de mécanisme de défi a été enclenchée dès la rentrée entre les enseignants et

les élèves. Les professeurs ont cherché à canaliser d’emblée les individus susceptibles de mettre en défaut la

machinerie institutionnelle et ce faisant, en repérant le moindre dérapage, ont finalement inscrit ces

adolescents dans un rôle impossible à changer. A. van Zanten61 parle de professeurs davantage mobilisés

sur la discipline que sur l’exigence scolaire car le problème le plus immédiat qui se pose à eux est celui de la

« présence d’un chahut endémique qu’ils n’arrivent pas à endiguer ». Cela génère, selon elle, un climat qui

« fournit un contexte propice à des attitudes peu équitables de la part des enseignants ».

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Début du cours à 14h45 après avoir l’intention de quitter la salle. Interpellations en tout genre, invectives, propos insolents de Stéphane, ricanements de John. Propos désobligeants à l’encontre de ceux qui veulent malgré tout participer et travailler. La situation s’aggrave ; il n’y a plus que quelques perturbateurs, la classe est dans son ensemble indisciplinée. »

Sont-ce quelques élèves qui ont entraîné dans leur sillage d'autres élèves ou est-ce le résultat d'un contexte

spécifique tel que j’ai pu le décrire ci-dessus ?

« Chercheur : A votre avis, qu’est-ce qui fait que depuis la rentrée scolaire, la 4ème C, ça a fait une sorte de bombe ? Ou alors, vous savez faire des gâteaux ? Qu’est-ce qu’on met dans un gâteau ? Elève : Yaourts, œufs, farine, sucre. Chercheur : Tu viens de m’énumérer des ingrédients. Alors, on va dire que votre classe, vous êtes un élève, un ingrédient différent. Il n’existe pas deux élèves identiques. Et vous vous êtes mélangés à la rentrée scolaire tel que le gâteau qui en résulte, c’est de la dynamite. Alors qu’est-ce qui fait que ce gâteau a raté ? Elève : c’est la cuisson, c’est une sorte de, ça a cramé. »

Or la cuisson, c’est le processus thermique de passage d’un état à un autre. En d’autres termes, on pourrait

penser que pour cette classe, c’est le processus de passage de l’état de jeunes adolescents à l’état d’élèves,

coupés artificiellement de leurs attachements au moment de leur ‘capture’ par le maillage de l’appareil

disciplinaire qui n’a pas été fonctionnel. Avec une cuisson inadaptée, le plat préparé rate ou brûle ; avec la

mise en œuvre uniforme du système scolaire et ce souci de maîtriser le moindre détail, la moindre parcelle de

vie des élèves dans l’institution, avec cette fonction normative en quelque sorte, ces derniers s’agitent et font

voler en éclat les principes même du ‘pouvoir’ disciplinaire.

61 A. van Zanten, op. cit.

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« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : Travail non fait, bavardages, mots non signés par les familles, retards en début de cours, défaut de matériel -livres, cahiers-, obligation de se mettre devant la porte pour empêcher certains élèves de sortir ; motif : le cours ne leur convenait pas. »

Contrairement à A. van Zanten qui décrit les processus inhérents aux relations entre les élèves comme une

adhésion à la loi d’un groupe d’élèves soudés et populaires dans une classe, je crois plutôt que

paradoxalement, c’est à partir des principes mêmes de l’appareil disciplinaire, à savoir le quadrillage,

l’individualisation et la classification de chaque 'corps élève', tous trois recherchés par les adultes de la

communauté, que les élèves finissent par se constituer en clans. C’est leur distribution faite par les adultes

qui les organise comme tels.

« Elève : Parce qu’on a une grande bouche. Parce que ça attire plus que si on n’a jamais rien dit, qu’on est bête, pas dans sa tête mais qu’on est bête comme ça à rien faire. Un clan, ça se forme comme ça. Prenons par exemple ceux qui foutent le bordel et ceux qui foutent pas le bordel. Ceux qui foutent pas le bordel, ils vont partir dans leur truc et les autres, dans l’autre. Déjà, là, ça va faire deux clans ! »

Pour tous ces élèves au moins, l’obligation scolaire et les contraintes de comportement et de travail qui en

découlent constituent autant d’éléments de mécontentement.

«Elève 1 : Moi je trouve qu’il y a trop de devoirs. Quand j’arrive chez moi, je me dis ‘ouais, j’ai plein de devoirs !’ Chercheur : tu les fais ? Elève 1 : non ! Je suis pas content quand même puisque je me dis ‘demain, je vais me faire engueuler !’ Mais sinon quand j’arrive à l’école, je suis content. Elève 2 : On est mécontent au collège, on part content le soir ! »

Si venir au collège reste une perspective de socialisation agréable en tant qu’occasion de rencontrer des

pairs, pour quelques-uns, ceci représente un fardeau insupportable. De sorte qu’ils se réunissent alors autour

d’une dynamique tout autre que celle d’être scolaires. Ils sont des adolescents qui se pensent « en prison » et

se mobilisent contre tout ce qui renforce cette situation.

« Elève : Qu’est-ce qu’on glande en cours ? Alors on fait chier les profs ! Madame Mozart, elle nous comprend ; c’est mieux avec Monsieur Picasso ! Il est arrivé l’autre jour en disant ‘ah ! Mais faites du bordel, du bon bordel !’ Parce que c’était trop calme. On n’a pas foutu le bordel parce que justement il nous l’avait demandé. Ça c’est une bonne technique, la meilleure. »

C’est bien une sorte de défi que ces élèves lancent au monde enseignant. Une sorte de test de passage. La

façon dont le prof réagira va conditionner les relations futures.

« Elève 1 : De toute façon, un prof si on l’aime pas au début de l’année, on l’aimera pas à la fin de l’année ! Elève 2 : non ! C’est pas parce qu’on les aime pas qu’on est obligé de foutre le bordel. Si on les aime pas c’est parce qu’ils nous aiment pas.

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CPE : S’il est copain avec vous, est-ce qu’il a encore un statut de prof ? Elève 2 : pas copain mais sympa ; ça se passe mieux avec nous en fait. »

N’étant pas perçus comme tels par les adultes de la communauté mais seulement comme des

« perturbateurs, des parasites, des incivils voire des non civilisés », ils laissent souvent les enseignants

« dépassés », comme plongés dans du non-sens. C’est à cet endroit que les choses se cristallisent en

générant alors un conflit qui devient stricto sensu un conflit de personne à personne.

« Elève : Les cours de Molière sont bien. C’est sa façon d’enseigner, de l’abus de pouvoir, tout ça parce qu’on est des élèves, il se croit tout permis. Avec lui c’est impossible de parler, on a essayé. »

L’élève n’est pas en guerre contre l’enseignant de telle matière, le professeur n’est pas en guerre contre

l’élève mais il s’agit bien d’une colère versée par Monsieur untel contre le jeune untel et réciproquement. La

seule arme de l’enseignant reste la sanction individualisée et sa gradation. Il lui faut à tout prix empêcher la

formation d’un groupe dont il perdrait alors la maîtrise. Même s’il pense la classe dans sa globalité, il opère

une répartition des élèves selon leur conduite scolaire mais, ce faisant, stigmatise ces derniers.

« Elève : Depuis qu’il y a eu les exclusions, il y a moins de conneries, il y a moins de bêtises. Et puis tout à l’heure, on rentre dans le premier cours et le prof, il commence à nous gronder alors qu’il y a moins de bêtises. Ça y est, on est marqué. Pour eux on est les mauvais élèves, on ne changera jamais. »

Stéphane a, à l'évidence, commencé à se dégager de son engagement initial pour reproduire massivement

les défauts de l'année scolaire écoulée, accentués et plus fréquents. Fin septembre, il faisait partie de la

brochette d’élèves de cette classe dont les parents étaient interpellés et conviés à venir rencontrer le principal

dans les délais les plus brefs.

« Il s’avère que depuis la rentrée, votre enfant n’adopte pas en cours une attitude compatible avec un travail scolaire et perturbe trop souvent la classe. Les remarques qui lui ont été adressées n’ont pas suffi à améliorer la situation. Il est donc nécessaire que nous nous rencontrions dans les meilleurs délais aussi je vous demande de prendre rapidement rendez-vous auprès de l’accueil du collège… »

Je ne fus invitée à participer qu’à la rencontre entre le principal et la maman de Stéphane, lequel refusa d’être

présent. Après avoir exposé à la mère l’objet des griefs à l’encontre de l’adolescent, l’avoir entendue

reconnaître qu’elle-même était ‘dépassée’ par rapport à son fils depuis maintenant un an, le principal

l’encouragea à s’entretenir avec moi.

Je la vis seule puis le lendemain avec son fils. Stéphane était très en colère que le collège ait impliqué sa

mère dans ses affaires. Plutôt que d’apaiser les tensions, cette démarche a renforcé les positions. La

situation empira pour Stéphane dans le collège. Les professeurs refusèrent toute proposition de penser cet

adolescent autrement que capable « d’absentéisme répété, de non respect du règlement intérieur, de travail

scolaire insuffisant voire inexistant ou refusé, de propos insolents, déplacés et grossiers envers les

enseignants, de refus d’obéissance. »

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Il fut exclu de l’établissement pour 3 jours. Mais dès son retour, l’escalade continua. Voici ce qu’en deux

semaines les professeurs consignèrent dans le cahier de bord de classe. Il y est question de Stéphane quasi

quotidiennement.

« Prof [à partir du cahier de bord de classe] : - Stéphane : aucun travail, ne sort pas ses affaires ; cherche à perturber. - Stéphane : aucun travail. Passe son temps debout à la fenêtre. Provoque. - Stéphane n’ayant pas son cahier de TD n’a rien fait de l’heure. Il l’aurait perdu… - Stéphane ne fait rien et provoque sans cesse. - Stéphane n’a pas daigné me rendre une rédaction qu’il devait faire chez lui. Ce ‘non-travail’ sera donc sanctionné d’un zéro (qui est la seule note que j’ai pour lui à l’heure actuelle.) - Stéphane s’est permis de me demander d’un ton agressif : ‘et vous pourquoi n’êtes-vous pas allée à l’enterrement ?’ (atteinte à la vie privée). Autre propos : ‘de toute façon, vous ne vous intéressez qu’aux maths, vous vous foutez du reste…’ - Obligation de se mettre devant la porte pour empêcher certains élèves de sortir : Stéphane, … Motif : le cours ne leur convenait pas. - Stéphane incite ses camarades à ne pas faire le travail donné et à quitter le cours. Après être allé s’asseoir auprès de Michel pour jouer à la bataille navale, Stéphane a quitté la classe. Deux élèves sont allés aussitôt le signaler à la vie scolaire. - Exclusion de Stéphane qui recommence son petit numéro de cow-boy. Sitôt Stéphane parti, John reprend le flambeau. »

Parallèlement à cette focalisation sur Stéphane, certains élèves, comme par solidarité ( ?), ont piégé les

enseignants les plus virulents à leur égard. L’un d’eux a vu son pantalon blanc maculé d’encre bleue, l’autre a

failli s’asseoir sur une chaise sur laquelle on avait déposé de la colle de type super glue. Compte tenu du

contexte conflictuel aigu, les deux affaires furent portées entre les mains de la direction, qui après enquête,

identifia les coupables et décida de leur mise à pied pendant trois jours, assortie d’un travail à présenter à leur

retour dans le cadre d’un entretien préalable à leur réintégration dans la classe. Le principal rencontra deux

parents sur quatre. L’un d’eux retira son fils du collège pour le mettre dans le privé. La direction ne négocia

pas la décision de la famille…

Au même moment, le principal, de plus en plus pressé par l'équipe éducative de la classe, en lien avec

l'aggravation des symptômes comportementaux de Stéphane -notamment l'accentuation de son attitude de

« touriste » au sein du collège lorsqu'il s'y présente en quelque sorte " à la carte"- a décidé de passer à la

vitesse supérieure, à savoir celle de la mise en œuvre du dispositif technique disponible au sein de

l'établissement : le signalement administratif pour absentéisme -parti en direction de l'inspection d'académie

et du parquet. Ce dernier s’étant déclaré compétent a ordonné une enquête sociale auprès de l’aide sociale à

l’enfance.

De mon côté, pressée, à mon tour, par le principal62, j’avais pris contact fin octobre avec l’assistante sociale

de secteur aux fins d'activer les réseaux extérieurs à l'institution scolaire en charge également du mandat de

protection de l'enfance. Une rencontre avec la mère, l’assistante sociale et moi-même fut programmée dès le

retour des vacances. Etant l'interlocutrice initiale, je me chargeai d’avertir la maman de mon initiative.

62 Statutairement, j’étais à ce moment-là assistante sociale scolaire, inscrite dans une mission institutionnelle de protection de l’enfance, article 375

du code le famille.

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Stéphane ne nous a pas laissé le temps d'arriver jusque-là puisque dès le mardi de la rentrée, il a renouvelé

un acte de transgression. S’étant présenté au collège, il en est aussitôt reparti. Le principal a interprété ce

départ comme une "fugue" -ce qui engageait sa responsabilité- ; par conséquent il a signalé le fait à la

gendarmerie. Des gendarmes se sont rendus au domicile familial et faute de rencontrer la mère -absente- ils

ont laissé un avis de passage. Rigidifié et agité tant par ma propre démarche que par celle du principal,

Stéphane est arrivé au collège le lendemain, rempli de colère et demandant à rencontrer ce dernier. L'état de

tension des deux protagonistes était tel que l'échange tenu "hors cadre" -dans la conciergerie devant la

secrétaire de la scolarité et l'agent d'accueil- a tourné à l'altercation et à l'énonciation de propos par

l’adolescent à l'égard du chef d’établissement, vécus comme insultes et menaces par ce dernier. Aussitôt,

Stéphane a fait l'objet d'un nouveau signalement, cette fois pour fait de violence au sein du collège. Il a été

remis à sa mère dans le cadre d'une mise à pied immédiate, suivie d’une mesure conservatoire le maintenant

exclu de l’établissement jusqu’au jour du conseil de discipline que le principal décida alors de réunir aux

motifs suivants :

« Violences verbales et menaces à mon égard, absentéisme répété, non-respect du règlement intérieur, travail scolaire insuffisant voire inexistant ou refusé, propos insolents, déplacés et grossiers envers les enseignants, refus d’obéissance. »

L’éviction d’un ‘élément perturbateur’, ajoutée au changement d’établissement d’un second, n’a en rien

enrayé les relations tendues entre la classe de 4ème et l’équipe éducative, pire, la perception négative de

celle-ci a infiltré l’ensemble de la communauté. Chaque acte d’incivilités, tout désordre lui étaient

invariablement attribués.

Lorsque j’ai réuni ces élèves, d’emblée, je ne savais pas trop comment prendre les choses ni ce que j’allais

produire. J’ai très vite fait surgir cette sorte de guerre existant entre certains profs, l’administration et les

élèves. L’usage de termes virulents tant chez quelques enseignants que chez les élèves est apparu

spontanément.

A partir de cette situation conflictuelle extrême, j’ai choisi de mettre en évidence l’absence de communication

entre l’administration, les enseignants et les élèves. En m’appuyant sur les événements liés à cette classe, j’ai

érigé cette dernière comme symptôme d’un dysfonctionnement plus profond de l’établissement. J’ai en

quelque sorte déplacé le problème strictement d’un individu par rapport à un groupe, à un groupe par rapport

à une institution ; lui renvoyant alors ses transgressions, ses désordres, ses aberrations. Car il faut bien le

reconnaître, dans l’établissement d’autres équipes éducatives se plaignaient de certaines classes, en

stigmatisant de la même façon certains élèves. Plus, chaque niveau avait sa ‘mauvaise classe’. Alors

pourquoi celle-là plus qu’une autre ?

J’ai immédiatement proposé au principal qu’il inaugure un espace de régulation entre l’administration et

l’ensemble des professeurs principaux, lesquels relaieraient ensuite auprès de l’équipe éducative dont ils ont

la charge. Je laissai évidemment entendre que je souhaitais m’inscrire dans cette entreprise avec la C.P.E..

49

Ceci permettrait de lever les malentendus et les colères larvées et cloisonnées dont je pouvais avoir écho en

« salle des profs ». S’il réunit les professeurs principaux des seuls niveaux de 4ème et 3ème, avec son adjointe

et la C.P.E. mais sans ma présence, ce ne fut que pour les sensibiliser à leurs missions autour des problèmes

d’orientation63.

Animer un groupe d’élèves de 13 / 15 ans, en cours de fabrication, à qui un adulte offre un espace

d’expression d’énoncés « libres » fut une tâche bien compliquée pour la triple apprentie que j’étais.

«Chercheur : Moi j’ai des idées. Je ne veux pas vous les imposer sinon on va revenir à un système traditionnel qui est : c’est les adultes du collège qui apportent des pistes et on vous les impose. Pour une fois, vous vous rendez compte du paradoxe ? Vous avez quelqu’un qui vous dit « je veux connaître votre monde, je veux savoir comment vous pensez les choses. Je veux être votre porte-parole auprès des autres de l’établissement pour qu’on fasse changer les choses ». Et vous n’en profitez même pas. Je sais que c’est tout nouveau. Je ne vous demande pas d’apprendre par cœur un bouquin, je ne vous demande pas d’inventer quelque chose, je vous demande de me sortir ce que vous avez dans les tripes. Je ne vous demande pas de vous taire, je vous demande de dire les choses. »

Si les professeurs attendaient de mes interventions que je modifie les élèves dans le sens d’un devenir-

scolaire, pour ma part mon ambition se logeait ailleurs. Bien évidemment, j’étais « obsédée » par une certaine

efficacité, une sorte de reconnaissance du bien fondé de ma démarche mais surtout je cherchais à faire

émerger des « noyaux », des attachements, des objets à partir desquels éclairer la situation conflictuelle.

Il est certain que les élèves n’ont pas l’habitude d’être invités à déposer ce qui les tient, ce qui les agite de

sorte que leur prise de parole fut délicate, souvent « anarchique », difficilement équitable.

A la réécoute des bandes son apparaît nettement le forcing que j’ai eu à entreprendre pour les faire

s’exprimer. Certains restèrent très en retrait. Ceux qui déposèrent le plus de choses furent ceux que les

enseignants puis l’administration avaient stigmatisés.

En partant du principe que l’institution scolaire cherche en première intention à fabriquer un bon élève, c’est à

dire « scolaire », docile et discipliné pour que secondairement chacun puisse y déposer des savoirs, des

savoir-faire et des savoir-être et ceci sans réelle contrainte d’interrogation sur sa façon de faire64, je crois

possible de dire que ces élèves qu’on peut dire « réfractaires au système scolaire ordinaire » sont

fondamentalement récalcitrants à ce type de fabrication d’« êtres semblables et « passifs » à l’égard des

objets qui les construisent ».

« Elève 1 : J’sais pas. On n’apprend pas à savoir être. On est déjà. Là, à l’école, on n’apprend pas à savoir être. Chercheur : tu as appris où à savoir être ? Elève 1 : Plus chez moi qu’à l’école.

63 Il semble cependant que ma proposition a fait son chemin puisque le principal inscrit cet espace dans ses objectifs pour l’année scolaire à venir.

64 Attention ! Bien évidemment, certains enseignants questionnent beaucoup leur pratique et sont ouverts à toute idée novatrice.

50

Chercheur : Je suis d’accord mais comme je l’ai déjà dit, il y a une particularité en Occident, c’est qu’on a pensé qu’il fallait compléter à l’école le savoir être qu’on a chez soi, à la maison dans sa famille, dans son environnement familier habituel. Elève 1 : En donnant des colles ! Chercheur : savoir être pour toi, c’est synonyme de sanction ? Elève 1 : C’est synonyme ici de rester tranquille puis de se taire. Elève 2 : S’il y a la CPE, c’est bien qu’il y a des problèmes et que les parents font pas leur travail. »

En ayant autorisé l’expression de tels énoncés, précisément à ceux qui étaient stigmatisés, j’ai renforcé leur

rapprochement en groupe fermé, à l’exclusion des autres élèves de la classe plus discrets, même si au final

ces derniers se sont vus pris dans le mouvement « moteur ».

« Elève 1 : Vous, vous parlez comme nous. Vous dites ‘je m’en fous, ça, c’est pas grave’. Parfois, il y a des profs qui veulent bien mais il y en a qui vont pas le dire. Elève 2 : Ça dépend des profs. Vous voyez Madame République, un jour, on est arrivé avec une araignée en plastique. Untel l’a mise sur son bureau. Untel a eu un mot sur son carnet. On a essayé de le faire avec Madame Corrida, elle a rigolé ! … CPE : tu t’attendais à quoi en faisant cela ? Elève 3 : Il était pas tout seul, c’est l’ensemble de la classe ! »

Lorsque des épisodes de « bizutage » se tissent à l’attention des profs, on peut voir, en fait, que les adultes

de la communauté cherchent à individualiser l’événement pour l’inscrire dans la logique qui est la leur, mais

que finalement, les adolescents s’en défendent et se déploient comme membres d’un groupe de pairs.

Il est notable de constater que, bien que les enseignants aient cessé de noter la moindre remarque dans le

cahier de bord de classe, le conflit a alors glissé du versant profs / élèves au versant profs / chercheur. Allant

peut-être même jusqu’à supposer que je pusse contribuer à alimenter leurs difficultés.

«Prof : Tu sembles oublier que nous sommes une équipe. Tu aurais dû nous réunir vite fait pour expliquer et alors nous proposer un rendez-vous individuel. C’est trop tard. Tu ne nous as pas fait de retour sur le travail fait avec les élèves. »

Pourtant, dès ma rencontre avec l’équipe éducative en présence de la CPE, du chef d’établissement et de

son adjointe, ce sont les profs eux-mêmes qui ne se sont pas inscrits dans ma proposition technique de

penser ces élèves autrement, ce sont eux qui n’ont pas adhéré, sauf rare exception, à celle de travailler avec

un ou deux d’entre eux à la traduction du monde représenté par ces élèves, ce sont eux enfin qui se sont

d’emblée fermés s’interdisant en quelque sorte de venir m’interpeller au fil des semaines.

Il est surprenant de noter que la proposition de travailler avec les profs fut également suggérée par les élèves

eux-mêmes à propos d’un des enseignants contre lequel les critiques restèrent virulentes tout au long des

séances.

« Elève : Molière, il devrait participer aux séances. Vous entendez bien tout ce qu’on dit sur lui ! Il ne dit rien au moment du fait et au cours d’après, il fait quelque chose. Il déforme ce qu’on dit, il exagère. »

51

Mais je ne me suis pas sentie suffisamment forte pour gérer ce que cela pouvait produire. Je leur ai alors fait

une proposition technique, celle de le prendre à son propre jeu. De jouer en quelque sorte le paradoxe, de le

surprendre : tenir pendant un cours de 50’ le rôle d’élève idéal. Ce à quoi ils adhérèrent malgré le scepticisme

de certains :

« Il trouvera toujours un moyen… »

Certains élèves avaient, quant à eux, déjà imaginé un autre stratagème : depuis quelques cours, ils

l’enregistraient systématiquement en contrebande pour étayer leurs arguments en termes d’injustice,

d’irrespect, d’abus de pouvoir. Ils cherchaient une preuve de ce qu’ils avançaient.

Le cours des événements n’aura pas permis de connaître les effets de ces deux démarches : Une série de

déclenchement d’alarmes intempestives puis, deux départs de feu aboutirent à la veille des vacances de

printemps à l’exclusion de trois d’entre eux dont un avec sursis. Ceux qui précisément s’étaient constitués

comme groupe de non élèves...

Il y a lieu de remarquer cependant que cet enseignant était fondamentalement persuadé que :

« Il y a peut-être un problème de respect. Moi quand je les sanctionne pour un travail qui n’est pas fait, je les respecte. Ça me semble évident, sinon je les trahis ! »,

sans avoir toutefois ressenti le besoin de leur clarifier sa position :

« On ne peut pas expliciter cela, ce n’est pas à nous de le faire ».

Il fait partie de ceux qui ont refusé de m’ouvrir leur salle de cours, de ceux qui pensent ces élèves mal

éduqués, faisant fi des valeurs éducatives de chaque famille au profit des leurs.

« Moi je regrette, il y a un manque d’éducation civique de la part des parents qui est monstrueux. C’est pas étonnant qu’on en arrive à des situations telles que celle là. C’est qu’ils n’ont pas de points de repères d’entrer dans la civilisation des adultes et celle du monde du travail qui les attend ! »

On peut même penser que cette « catégorie » d’enseignants rend de façon univoque les parents

responsables d’un tel gâchis.

« Il y a un minimum de règles, de repères pour être inséré dans une société. Qu’est-ce qu’on peut faire, nous, à ce niveau là ? On va pas s’imposer dans les familles pour leur dire c’est comme ça qu’il faut faire ! »

Et si on s’inquiète de connaître les principes qui fondent en raison leur analyse :

« Pas les meilleures valeurs, ce sont les valeurs de tous les jours, dire « bonjour », dire « au revoir », dire « merci ». Ils ne savent pas. Moi je regrette, c’est la base. Si tu ne l’as pas, tu peux rien faire. »

52

On découvre qu’à partir de simples codes de politesse, ils sont en mesure de prophétiser en multipliant les

responsabilités :

« Il y a tout le monde, l’ensemble de la société. Quel avenir, ils ont ces gosses ? C’est ça, c’est la misère, le chômage. Ça, c’est une mutation de civilisation, ça nous dépasse nous-mêmes ! »

Ma proposition technique de faire émerger des médiateurs des mondes en présence (adolescents, adultes de

la communauté enseignante) n’a donc rencontré aucun écho vraiment favorable tout en déclenchant chez

certains des énoncés syndicalement colorés :

« Utiliser des élèves médiateurs, ça coûte moins cher que de réduire les effectifs. C’est très politique tout ça. C’est un peu comme les commissions que l’on met en place. Le mot citoyenneté c’est devenu de la tarte à la crème ! Les vrais problèmes ne sont pas résolus. Tu peux pas tenir deux discours. Tu peux pas dire d’un côté, on baisse les bras, ce serait pas honnête vis à vis des problèmes, d’un autre on crée des postes. »

Comme si finalement, ayant perdu leur notabilité aux yeux de la population, perte renforcée par la multiplicité

des modes d’accès aux savoirs, les enseignants ne pouvaient que se retrancher derrière la notion de mission

institutionnelle dans une sorte de mouvement de compensation.

« J’ai un devoir d’instruction vis à vis de toute une classe. C’est bien beau de vouloir protéger ces élèves. Il y a tous les autres. Avec un effectif réduit, je sais faire. C’est de la pédagogie différenciée. Qu’on nous donne les moyens ! Les profs en ont marre. »

Et le paradoxe surgit :

Les élèves réfractaires viennent contraindre les profs à être créatifs. Ce sont les premiers évaluateurs, les

premiers critiques des pratiques des enseignants.

« Elève 1 : Les profs, ils font leur cours, ils en ont rien à foutre des élèves. Il y a quelques élèves qui les intéressent. Ils ont besoin de nous pour enseigner mais ils en n’ont rien à foutre de savoir si on a compris ou pas. Elève 2 : C’est nous qui faisons, c’est grâce à nous qu’ils sont payés ! »

L’argent, principal objet de circulation, surtout dans nos sociétés de consommation,

« Elève 1 : Sans argent, on ne peut pas vivre. Elève 2 : Maintenant c’est comme ça. Sans argent, on va pas bien loin »,

vient se loger dans la relation profs / élèves, inversant en quelque sorte les rôles d’interdépendance. Qui a

besoin de qui ?

53

Eduquer ?

Eduquer me rappelle la façon de fabriquer les « braëdele » de chez moi, ces petits gâteaux alsaciens aux

multiples formes et aux saveurs variées qu’on prépare avec patience pendant la période de l’avent en

prévision de la veillée de Noël. A chaque fois qu’on étale une boule de pâte et qu’on y dessine des formes

avec de petits moules, on obtient inévitablement des déchets de matière qu’on rajoute à la boule de pâte

suivante. On procède de la sorte jusqu’à ce que finalement il ne reste qu’une once de pâte. Celle-ci, on la

façonne forcément avec ses doigts, même si l’on essaie de lui faire prendre la forme du moule le plus adapté

à sa quantité.

Lorsque l’enfant passe au filtre et au quadrillage de l’appareil disciplinaire de l’école, il subit les mêmes

mécanismes de ‘formatage’ en regard d’une certaine normativité scolaire. Que fait-on de cette once de

matière à façonner manuellement ?

Autrefois, ce qu’on appelait des incidents scolaires faisait l’objet d’un traitement purement disciplinaire. J’ai

montré plus haut comment, aujourd’hui, vouloir rendre le jeune acteur de sa formation et de son éducation,

modifiait la qualification des incidents scolaires -ils deviennent des incivilités ou des actes de violence- et

comment, en conséquence, ces élèves récalcitrants sont alors stigmatisés et inscrits dans un double

traitement, le premier répressif à partir de la loi interne à l’institution, le second correctif à partir d’un modèle

psycho-socio-médical du désordre. Tantôt rejetés, tantôt portés, toujours responsables.

Les travailleurs sociaux parlent facilement de leur intervention auprès des familles en termes de portage de

ces dernières. Or si on s’intéresse à l’étymologie du verbe « porter », on s’aperçoit qu’il recouvrait au Xème

siècle la signification « être enceint ». Ainsi on peut penser le travailleur social portant une famille comme

étant enceint de celle-ci. Par conséquent, sous le couvert de « (re)donner son autonomie » à cette dernière,

de faire en sorte qu’elle « se (ré)approprie sa vie », non par rapport au monde originel de celle-ci mais par

rapport aux référentiels du professionnel, il cherche finalement à mettre au monde une famille citoyenne,

nécessairement coupée de tous liens avec ce qui l’a constituée.

Comment ne pas faire ici un parallèle avec les enseignants lorsqu’on entend :

« Prof : Il y a des élèves, manifestement ces élèves à problèmes, qui ont besoin d’être suivis, d’avoir une structure qui remplace la structure familiale [défaillante] » ?

Parallèlement, quand avec les familles migrantes, les travailleurs sociaux sont conduits à venir en

consultations ethnopsychiatriques pour une « lecture culturellement éclairée » qui leur rende possible la

transmission de leurs référentiels tout en se retranchant derrière le mandat judiciaire qui circonscrit leur

intervention ; mais qu’à terme, la dynamique technique du thérapeute les fait vaciller, en faisant effraction

dans leurs certitudes, on les observe se raccrochant désespérément à leur mission pour éviter de se perdre.

C’est avec cette même logique qu’on peut penser la réponse de l’enseignant qui se protège derrière son

devoir institutionnel d’instruction.

« Prof : Mais on dépend d’un programme ! Il y a un contenu d’enseignement dans chaque matière et c’est une exigence énorme ! On a un devoir d’instruction. »

54

Autrement dit, dans une démarche de clôture de la famille par le thérapeute, démarche inscrite dans la

construction du cadre de sa consultation, le thérapeute y articule nécessairement les travailleurs sociaux,

lesquels deviennent imparablement un morceau de l’enveloppe entourant la famille. Ils sont ainsi engagés de

toute autre manière dans leurs pratiques professionnelles à savoir qu’il leur devient impossible de cliver leur

univers privé, personnel de leur univers professionnel. C’est pourquoi pour certains, le seul recours possible

consiste à se raccrocher, avec rigidité, à leur contexte institutionnel (mandat judiciaire, mission, définition de

la fonction) et à renvoyer, en les projetant sur les autres, les difficultés et les limites de leur action. Dans un tel

mouvement, d’invite à penser différemment les élèves récalcitrants, les enseignants, pour leur part, tendent à

« psychosociopathologiser » ceux-ci et leur famille.

« L’usage étendu du mot ‘violences’, le caractère élastique des ‘conduites à risques’ permettent [au] discours

médical de déboucher naturellement sur une pathologisation de toute conduite considérée comme déviante,

susceptible, donc d’appeler d’énergiques rappels à la loi »65.

Ce faisant, les enseignants se dégagent en apparence de leur implication, de leur influence, comme s’ils

étaient doués d’une capacité de dédoublement les coupant, en situation professionnelle, de leur être ;

capables donc, tel un robot, rouage nécessaire de la gigantesque ‘machinerie à fabriquer du citoyen’, de

contribuer automatiquement au façonnage d’un nouveau membre de la République, appartenant in fine à

l’Etat…

Il existe un malentendu grave entre l’institution scolaire et les familles. Si je rejoins Ph. Meirieu quand il « fait

l’hypothèse que la famille et l’école sont 2 institutions éducatives », je m’en distingue quand il argumente que

« la famille est organisée autour de la filiation tandis que l’école se structure autour de la transmission des

savoirs. » Ainsi, l’individu aurait besoin de deux espaces singuliers propres à le constituer en tant que

personne, être humanisé…

Pour moi, l’institution scolaire cherche principalement à fabriquer au terme de son action des citoyens, des

êtres civiques, futurs acteurs de la société. A cette fin, elle se doit de leur déposer une somme de savoirs,

savoir-faire et ‘savoir-être’ conformes à sa propre définition de la citoyenneté, à sa propre conception d’une

société humanisée et démocratique ; les familles quant à elles fabriquent un MEYER alsacien, un

KERNANET breton…, fille ou fils de, c’est à dire, au delà de la filiation puisque appartenant à tout un groupe

‘lignager’ organisé autour d’objets propres et spécifiques (pensées sur le monde, interprétations des

négativités, spiritualité, divinité(s), …).

Pour la 1ère, même l’argument de l’avenir du collégien n’est pas un argument prioritairement humaniste centré

sur l’individu, libre et responsable mais plutôt un énoncé parmi d’autres pris dans une logique ‘consumériste’

et de société dite moderne, sous la dépendance d’impératifs économiques et politiques fort puissants.

Car la fabrication du citoyen s’inscrit dans une sorte de suite logique. En 1ère intention, l’école déconstruit

l’enfant pour le fabriquer comme élève afin de le ‘remplir’ de toute cette culture générale basique estimée

nécessaire à sa socialisation. C’est le 1er espace, espace obligé, non ontologiquement mais par voie légale,

qui commence à désaffilier l’enfant de son appartenance familiale, voire de tous ses attachements. Derrière

l’intention démocratique : l’émergence de l’individualité, l’autonomisation et la liberté du sujet, comment ne

65 A. Brossat, op. cit. p. 66

55

pas s’étonner de cette façon qu’une institution peut avoir de penser le ‘bien’ d’autrui en lieu et place de ceux

qui lui ont donné naissance ? « …L’école de la République a depuis ses origines entrelacé le démocratique et

le disciplinaire. Mais aux origines, elle était l’instrument d’un double combat : pour l’élévation du ‘niveau des

mœurs’ (Jules Ferry) et pour l’émancipation de la jeunesse de la tutelle morale et politique de l’Eglise. » 66

On peut alors regarder l’institution scolaire comme une microsociété en soi et lui appliquer des théories

sociologiques et systémiques pour inscrire son fonctionnement ou dysfonctionnement dans une matrice de

sens. Ce faisant, on dénierait la multiplicité d’individualités grouillant en son sein, individualités attachées pour

chacune à un univers privé, peuplé d’objets, de rites, de mythes, de pensées sur le monde.

L’institution scolaire voudrait, on l’a montré, « cliver » l’individu en :

. enfant / élève

. adulte / enseignant

et n’avoir affaire qu’à la partie statutaire de celui-ci.

Si tel était le cas, alors la transmission des savoirs, des valeurs citoyennes pourrait s’inscrire uniquement

dans une logique éducative car à la suite de Nathan, je pense que la relation pédagogique engendre bien du

semblable, ce que par définition doivent être tous les citoyens : libres et égaux en droits et en devoirs.

Les élèves récalcitrants viennent éprouver ce processus et rappeler qu’avant tout chose, tout enfant avant

d’être élève doit d’abord être clôturé en tant que fils ou fille, laquelle clôture ne survient pas à partir d’une

logique purement éducative. Or l’âge de la scolarisation vient se superposer à l’âge de fabrication de l’enfant

en devenir-adulte. Les enfants en cours de construction ne sont pas clôturés individuellement. Ils sont pris

dans l’enveloppe familiale, quelle que soit sa force. Avant la scolarisation, ils accèdent à l’altérité via le filtre

familial. L’entrée dans l’institution scolaire les plonge dans un univers étranger multiple du fait de sa

population hétérogène. L’école cherche à les réunir autour de l’objet « connaissances, apprentissages » qui

n’est pas forcément actif de façon identique chez tout le monde. On peut en effet interroger comment il le fût

jadis pour les parents, grands-parents…

En appliquant ce raisonnement spécifiquement aux enseignants, on questionne les principes organisateurs

de leur fabrication. Comment ont-ils négocié le passage de l’enfant à l’élève, puis de l’enfant à l’adulte, et

enfin de l’adulte à l’enseignant ? Quels outils leur furent-ils fournis pour qu’ils puissent à leur tour en tant

qu’enseignant, cherchant à faire taire leur partie adulte, appréhender l’élève qui donne à voir sa partie

enfant ?

La relation pédagogique n’est pas une relation initiatique, il n’existe pas de logique traumatique capable d’agir

sur l’enveloppe de l’élève pour y déposer après avoir initialisé un temps 0, les valeurs citoyennes, les

connaissances livresques et les savoirs. Par relation pédagogique, j’entends la relation d’un citoyen advenu,

formateur d’un citoyen en devenir. Or dans la réalité, l’enseignant, face à l’élève récalcitrant, opère un

glissement logique insidieux : c’est l’adulte face à l’enfant qui rapporte l’échec de la relation, laquelle, du coup,

n’est plus pédagogique. Une sorte de flou, de confusion s’installe inévitablement. Elle conduit les enseignants

à opposer leur partie adulte aux parents et à disqualifier ces derniers. Agissant ainsi, ils s’accaparent la partie

enfant de l’élève et activent les rouages l’affiliant finalement à l’Etat.

66 A. Brossat, Hygiène sociale et citoyenneté, in L’Animal démocratique, Tours, farrago, 2000, p. 61.

56

Donc on peut porter un regard sociologique sur l’institution scolaire mais aussi de façon analytique un regard

psychologique sur chaque individualité. Or il existe forcément une interaction entre chaque individualité dans

un monde clos muni d’une logique éducativo-pédagogique dont il revendique la mission, le devoir. Lorsque

surgissent le désordre, les négativités, est-ce alors propre à l’individu ou propre à l’institution ?

Pour T. Nathan, « dans nos systèmes éducatifs67 occidentaux, les enfants sont des boîtes noires que l’on

emplit de connaissances et quand le programme est achevé l’enfant est supposé avoir changé d’état, être

devenu adulte et citoyen français68. Les ruptures et les sauts qualitatifs n’ont pas de sens : ce qui différencie

ceux qui sont au cours préparatoire de ceux qui sont au cours élémentaire, c’est une année de travail en plus

et rien d’autre. Nous nous intéressons à l’avoir (c’est moi qui souligne) alors que les sociétés à initiation

s’intéressent à l’être, à la fabrication délibérée de nouveaux êtres. Dans ces dernières, non seulement les

enfants ne sont pas tous de même nature (un enfant peut se révéler réincarnation d’un ancêtre, médium, don

de dieux ou de génies…), mais les connaissances aussi sont à peu près immuables alors que les individus se

modifient tout au long de leur existence. Depuis la naissance, jusqu’au mariage en passant par la puberté,

l’être se métamorphose, change d’état à travers des épreuves initiatiques et acquiert ainsi le savoir être

humain. » 69

Comment comprendre alors :

Qu’un élève frappé d’indocilité et d’acte outrancier (participation au maculage par encre bleue du pantalon

blanc d’un enseignant, lequel a qualifié la chose ‘d’agression physique’), ayant été sanctionné par 3 jours

d’exclusion assortis d’un travail à rendre, soit capable de répéter à l’adulte de la communauté le discours dont

il le sait en attente, tout en ne modifiant pas d’un pouce son attitude ?

« Elève : C’est pas que je suis pas content d’être en classe ; c’est que ça a mal tourné ; voilà ça dégénère. Vu comment ça a commencé, on sait bien comment ça va finir. Soit ils vont éclater la classe, soit il y en a qui vont être virés. A moins qu’on reparte tous à zéro. Elève : Ce qu’il dit John, c’est peut-être vrai, mais encore faut-il qu’il le fasse aussi. Parce que c’est le 1er à dire ça, pour l’instant tout le monde le dit, mais personne ne le fait. »

Tandis qu’un autre élève, pris dans les mêmes processus de stigmatisation, impliqué corporellement dans un

des départs de feu (retour de flammes sur émanation de vapeurs d’essence ayant entraîné une légère brûlure

du nez et roussi quelques mèches de cheveux), sanctionné pour cela par une mise à pied conservatoire et un

passage en conseil de discipline, soit reconnu transformé par les enseignants, capable d’entendre tout

discours scolaire, notamment concernant son avenir ; avoue lui-même avoir eu très peur et dès lors réinscrive

sa conduite passée dans un tout autre récit, précisément celui qu’il réfutait auparavant (cf ‘Les différentes

professions et leurs outils’) ?

67 L’éducation se dit du processus par lequel un être est conduit (du latin ducere) vers un point déterminé. Un tel processus n’a de sens qu’au regard

d’une sorte de manque initial, d’inachèvement.

68 Pour une République, l’idéal de l’école associe dans ses fins l ‘accomplissement humain comme tel, l’exercice éclairé de la citoyenneté et la

formation en vue de l’activité professionnelle.

69 T. Nathan, « le monde de l’éducation », N° de mai 1994, pp. 30 – 31.

57

« Prof : Depuis l’histoire du feu, Manu est totalement transformé. Il a changé d’attitude et est capable d’entendre un énoncé sur son orientation, sur le travail scolaire. Manu : Je ne savais pas que l’essence mélangée à l’eau allait s’enflammer. Ces toilettes fermées, tout le monde le fait, c’est un fumoir pour les élèves. J’ai mis le feu accidentellement. J’ai eu très peur. La nuit suivante, je n’ai pas réussi à dormir ; j’étais encore effrayé. Aujourd’hui je regrette tout ce qui s’est passé. Mon absence de travail. J’étais sous l’influence de Jocelyn, je n’écoutais pas, je bavardais, je ne travaillais pas. »

Au moment du traitement par la sanction de ces incidents scolaires, chacun des deux adolescents a entendu

un discours moral, normatif à visée éducative en présence des parents, lesquels ont été perçus comme

coopérants par le collège. La seule différence notable reste cette expérience de marque sur le corps pour l’un

d’entre eux. Si on peut penser que l’épisode du retour de flamme a pu avoir valeur de trauma pour Manu

(l’insomnie qui suivit en est le révélateur), trauma ‘sauvage’ en quelque sorte ayant forcément induit une

modification radicale de l’adolescent, alors il devient légitime de conclure que le processus même du trauma

(effraction de ‘l’enveloppe psychique’) a permis, dans le réordonnancement induit, la prise des énoncés

éducatifs de l’institution et des parents. Pour John, ces mêmes énoncés ont été déposés dans un seul espace

de communication et n’ont pu être rendus opératoires par la seule parole des adultes.

On a vu que :

L’école républicaine qui éduque, introduit l’enfant dans le monde des citoyens ;

Les sociétés à initiation qui, elles, ‘fabriquent’ en faisant appel à des mécanismes traumatiques

culturellement déterminés et destinés à produire des êtres culturellement syntones, introduisent l’enfant

dans le monde des humains.

Ces deux vignettes que je ne veux nullement paradigmatiques laissent toutefois entrevoir la faille d’un

système éducatif qui rejette toute forme active, codifiée et délibérément ferme dans la construction de

l’individu. C’est un système finalement ‘perverti’ qui préfère la conscience de soi, l’esprit de responsabilité, la

liberté du sujet mais en les déployant rigoureusement du côté d’une normalisation, d’une homogénéisation et

d’une conformité comportementale. Liberté d’expression, liberté d’information : oui ! Mais en fonction de

valeurs citoyennes établies ne souffrant aucun débat contradictoire70. Résultat : ce système produit de la

récalcitrance dont il n’a que faire et qui enraye son mécanisme. Il cherche alors à éluder tout différend entre

dressage et autonomie. Il rejette la sauvagerie, il critique l’« inhumanité » :

« Prof : Expliquer aux enfants comment être civilisés, comment être humanisés tout simplement, c’est quelque chose qui doit être fait à la maison. Il y a là quelque chose qui nous dépasse et l’effet établissement ne marche pas, peut-être parce qu’il n’existe plus, peut-être parce qu’on s’est fait déborder depuis trop longtemps. Par ailleurs, les familles aussi transfèrent leurs responsabilités sur l’école et la seule autorité que rencontre l’enfant, c’est toi, c’est moi ; il vient se heurter à quelqu’un qui résiste. Parce qu’on ne résiste plus dans les maisons non plus. »

70 « Les idées et les valeurs d’égalité, de liberté, de solidarité et de fraternité ne peuvent faire l’objet de débats contradictoires [je souligne, AB], que

la discussion doit faire l’objet d’une pédagogie, que la citoyenneté « se vit à travers les institutions existantes », que réclamer de nouveaux droits engage à respecter de nouveaux devoirs, que le fondement de l’ordre démocratique est le contrat et l’« engagement », par exemple [sic] à bien travailler à l’école… », Université d’automne, cité par A. Brossat, op. cit. p.57

58

Mais le système éducatif n’humanise pas ceux qu’il façonne, il les rend citoyens. Je crois que les termes ne

sont pas équivalents dans leur essence.

Par citoyen, il faut entendre une certaine philosophie du monde et de l’existence, un développement linéaire,

évolutif et naturel de l’homme. L’humanité, le monde des humains, admet forcément une définition multiple,

en fonction de la matrice de sens, de la cosmogonie, qui est activée.

Soyons clairs.

Pour nous, être humains, c’est être une espèce unique faite d’individus identiques civilisés, civiques, citoyens

donc ; pour d’autres sociétés, de telles valeurs ne reflètent en rien l’humanité. Au sein même des humains,

tous les individus ne sont pas de même nature ; en conséquence, il existe des catégories distinctes

d’humains et en fonction de cela, le développement de l’individu pensé en termes de discontinuité, de

passage métamorphosique ne pourra pas s’inscrire dans une sorte de moule préétabli. Ceci en vertu du

principe que :

«1. Les groupes fabriquent des objets spécifiques (langues, rituels, théories, mythes, divinités,

substances, choses, manières de faire…),

2. Ces objets, à leur tour, fabriquent un à un les sujets de ce groupe (Nathan, 1994, 1999, 2000),

3. Les objets de ce groupe ne sont pas métissables. »71

Mais revenons à notre terrain, le collège, à Manu et à John, et à la question que soulève la différence

qualitative des effets du traitement de leur inconduite. Loin de moi l’idée de revendiquer toute forme de

traitement par la violence ; je ne fais que souligner l’innocuité du simple discours éducatif… ; à l’évidence, son

efficace demande à ce qu’il s’inscrive dans une mécanique plus complexe…

« Elève : … dans l’intérêt de l’élève. Chercheur : j’ai pas dit ça. Elève : J’aurais aimé vous l’entendre dire…

Chercheur : tu ne m’entendras jamais dire ça. Pour moi ‘dans l’intérêt de l’élève’, c’est un énoncé hypocrite. Elève : c’est vrai ! Les juges, dans l’intérêt de l’enfant, mon cul ! Ils laissent les enfants à la mère… »

Dans une mécanique qui vient le capturer en énonçant un paradoxe, une pensée autre que celle que s’est

construite l’élève…

71 C. Gransard, op. cit.

59

Conclusion

Au détour de cette recherche, plusieurs interrogations se sont imposées à moi.

Moi qui, dans ma jeunesse, avais traversé sans vagues ni remous l’aventure scolaire proposée, non, imposée

par le système républicain.

Moi qui m’étais laissé porter par ceux que je regardais d’en bas, ceux à qui j’attribuais savoir et pouvoir, ceux

qui m’avaient guidée et conduite jusqu’à un certain état.

Moi que mes parents, mes proches avaient confiée avec fierté et espoir à ce système.

Moi qui, avec mon frère, introduisais pour la première fois le baccalauréat dans la famille…

Moi, enfin, qui ne me suis posé des questions sur ce qu’on avait fait de mon être que bien plus tard…

En imposant la laïcité à l’institution dispensatrice de savoirs et de connaissances, donc en remplaçant le

catéchisme par l’enseignement de la morale et de l’instruction civique, qu’a-t-on produit ? Si on s’intéresse à

l’étymologie, laïcité vient du latin ecclésiastique laicus signifiant « commun, ordinaire », du grec laikos

signifiant « du peuple » par opposition à clericus signifiant « du clergé ». Ainsi, de façon manifeste, on a voulu

radicalement séparer deux forces agissantes du point de vue de la fabrication de l’être biologique en humain.

Mais quel humain ? Un citoyen du monde avec la laïcité. Un enfant de Dieu avec le clergé.

Toutefois, ces deux matrices se retrouvent autour d’une idée commune : l’universalité de leurs pensées sur le

monde.

Le principe d’égalité en constitue une autre forme.

Avec le spectre de l’égalité, on réfute, in fine, les différences ; lesquelles, faute de ne pouvoir être annulées,

se trouvent reléguées au plan privé, tel un accessoire, un habillage culturel, familial, « handicapant ».

Enfin, le principe de liberté est un leurre technique pour mieux s’attacher le citoyen. En effet plus on laisse

entendre à l’autre qu’il est libre et plus on l’aliène. A contrario, si on est inscrit dans une logique d’affiliation

avec ses codes, on devient paradoxalement plus libre de circuler parce que ce type de monde autorise les

négociations, le commerce d’objets. « Les liens qui unissent la personne à son appartenance, à sa lignée, ne

résultent pas de l’application mécanique d’une solidarité artificielle. Ils sont tissage, formes, contraintes et, de

ce fait même, liberté ou plutôt ce qui autorise la liberté de l’être défini comme lié et allié. »72 C’est pourquoi,

dans les sociétés de liberté revendiquée, il existe de plus en plus de groupes d’attachements qui apparaissent

mais dont les logiques sont « sauvages », non codifiées ; par conséquent non fonctionnelles.

Partant du principe d’égalité entre citoyens, voulu universel, élèves et professeurs deviennent par ce

mouvement égaux en droits et en devoirs. Surgit alors la question de la reconnaissance de la citoyenneté :

est-on citoyen de naissance ou à la majorité ?

Dans le 1er cas, la relation de l’élève au prof est logiquement égalitaire. Le prof a la charge d’asseoir, en sus

de la transmission de sa matière, les valeurs civiques à un pair.

Dans le second, la relation est logiquement déplacée, n’intéressant pas l’élève, mais l’enfant. A l’évidence, le

discours devient hypocrite. D’une part, l’enfant est considéré comme en devenir-citoyen, autrement dit, on lui

72 L. Hounkpatin, « Psychopathologie Yoruba », Thèse pour le Doctorat de Psychologie (Psychologie Clinique et Pathologique), Université de Paris

8, 1998, p. 93.

60

reconnaît sa singularité, mais d’autre part, on lui inculque des notions de droits et de devoirs, d’égalité, de

liberté qui vont à l’encontre de la façon dont il est pris en compte : celle d’un enfant à fabriquer.

Ne serait-ce pas toutes ces « dérives » que l’élève récalcitrant viendrait questionner ?

Tout est fait aujourd’hui pour que les événements du quotidien soient pris comme allant de soi. Aujourd’hui,

chaque fait est immédiatement capturé par un concept, supposé explicatif, tout du moins permettant l’usage

de réponses adaptées.

Dans l’institution scolaire plus encore qu’ailleurs. Il n’y a qu’à regarder le corpus des circulaires et des

bulletins officiels : plan de lutte contre la violence à l’école, campagnes de prévention contre les conduites

addictives, contrôle renforcé de l’absentéisme scolaire, prévention et prise en charge des victimes de

maltraitance…

Rien ne doit échapper à la lorgnette du laboratoire scolaire, source jaillissante de sujets rationnels,

conscients, libres mais responsables…

J’espère avoir montré que partir du principe d’un désordre collé à l’enfant, dont il serait alors le seul

responsable, ne sert qu’à accentuer le caractère singulier de ce dernier et ne permet pas son traitement au

sein même de l’institution scolaire ; ce à quoi on assiste aujourd’hui avec la massification des élèves

marginalisés du point de vue scolaire.

En insistant sur la participation institutionnelle à la constitution de ce type d’élève, je cherchais à mettre en

lumière combien il serait intéressant de questionner par réflexivité les mécanismes implicites de l’appareillage

disciplinaire pour au final aboutir à la proposition d’un dispositif régulateur.

Ce dispositif, je l’avais ressenti sans faire cette analyse dès mon arrivée dans l’Education nationale. Il m’aura

fallu cette recherche et ses butées pour confirmer cette impression. Si on veut éviter l’hémorragie d’élèves

récalcitrants au système scolaire ordinaire, il est impératif d’organiser un espace de rencontre pluriel

réunissant les personnels de l’institution impliqués et l’élève avec sa famille ainsi qu’un professionnel de la

médiation, de préférence en binôme, capable d’identifier les attachements de chacun et de créer des

passerelles entre eux.

Faute de cela, soit on continuera à assister à l’orientation péremptoire d’élèves vers des filières, peut-être

instrumentales mais de moins en moins conformes à la philosophie démocratique, citoyenne et républicaine.

Soit on verra se massifier le nombre de collégiens hors circuit, marginalisés, en quête d’un espace de

fabrication ‘sauvage’ puisque non culturellement codé.

L’Education nationale dans son essence est une réalité nécessaire dans nos sociétés occidentales. Il me

semble cependant important de réinterroger la notion même d’éducation et peut-être très modestement de se

mettre à l’école d’autres logiques, non pas pour rejeter les nôtres mais pour nous enrichir mutuellement.

D’autre part, un groupe de parole réunissant des adolescents demeure un outil intéressant quoique semé

d’embûches. Rappelons que les adolescents de cet âge restent des êtres en voie de fabrication, qu’ils

peuvent être porte-parole du monde auquel ils sont affiliés mais qu’il est bien difficile d’identifier leurs

attachements lorsque constitués en groupe, ils se clôturent dans l’adversité.

61

A travailler avec eux, j’ai contribué à déterminer les affinités tout en renforçant le groupe. Alors que

finalement, l’institution scolaire et surtout les profs cherchent perpétuellement à éviter que les élèves ne se

constituent en groupe. C’est pourquoi, ils individualisent sans cesse la population scolaire tant dans le

repérage des élèves à problèmes que dans celui des bons élèves. La classe avec laquelle j’ai travaillé était

stigmatisée comme ‘mauvaise classe’ mais en son sein ce sont des personnes qui furent désignées. Ce sont

des personnes qui furent rendues individuellement responsables puis sanctionnées. Les autres protagonistes

de la classe, paradoxalement, furent pensés comme un tout pris massivement dans le mouvement des

meneurs identifiés. Certains pensent ces derniers « non civilisés » alors qu’intrinsèquement le fait qu’ils se

regroupent les inscrit justement dans un processus de socialisation.

Encourager la communauté éducative à aller au-delà de la simple analyse individuelle, à dépasser le simple

jugement des responsabilités individuelles au regard d’un règlement intérieur se révèle une tâche bien

compliquée. Renvoyer les adultes à d’autres analyses comme le dévoilement de mécanismes institutionnels

ou groupaux les propulse à se trouver de fait engagés autrement par rapport à ces élèves. Ne pouvant plus

faire fi de leurs propres attachements, ils préfèrent alors se raccrocher désespérément à leur contexte

institutionnel (leur mission, la définition de leur fonction) ce qui les confine à « projeter » chez les autres les

raisons de leurs difficultés, les limites de leur action.

C’est pourquoi, il leur semble plus tolérable de penser ces élèves à partir de catégories

psychosociopathologiques. Ils se dégagent de la sorte de toute possibilité d’implication comme si eux-mêmes

détenaient la capacité de se dédoubler en une profession et une personne. Ils sont partie prenante d’une

gigantesque machinerie, celle de transformer des êtres universels bio-psycho-sociaux en individus, athées,

sujets de droit d’une société démocratique. Ce faisant, ils participent de fait à la fabrication des élèves

récalcitrants, tout en se confortant dans leurs analyses.

Un de mes regrets restera de ne pas avoir pu, su voire osé introduire les professeurs au sein du groupe de

parole. Si je ne l’ai pas fait lorsque les élèves me l’ont suggéré, ce fut parce que j’étais seule et que je n’étais

pas sûre que l’enseignant en question accepte d’abandonner ses présupposés. Je ne voulais pas me trouver

en position d’arbitre entre deux univers. Néanmoins, cela reste une piste technique de traitement réellement

non négligeable à partir du moment où les protagonistes se sentent intéressés73 par cette ouverture de

pensée, c’est à dire qu’ils acceptent de mettre entre parenthèses les présupposés qui les habitent.

Par ailleurs, le seul prof qui a finalement « travaillé » avec moi mais dans un autre cadre (la fabrication de

petits films à partir de son cours, ma présence sans caméra à plusieurs autres de ses cours avec cette

classe) se révèle un enseignant « marginalisé » du fait de la matière qu’il enseigne eu égard aux autres

disciplines dites « nobles » ou fondamentales ! Ce même enseignant était disposé et même intéressé par le

groupe de parole mais des contraintes purement organisationnelles ont empêché cette « complicité »

technique. Il est remarquable de souligner que ce prof n’a rencontré aucune difficulté avec cette classe et qu’il

se démarque potentiellement des logiques analytiques de ses collègues à propos de ces élèves.

Gageons que c’est en cherchant, en se laissant surprendre, en faisant des erreurs qu’on avance.

73 Toujours au sens d’I. Stengers (cf supra)

62

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