D l A B V l b r a h i m a -...

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D l A B V l b r a h i m a L E R E C l T COU RT =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0= EMILIA PARDO 1 B A ZAN THEr"1ATI qUE =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0= ET PROCEDES NARRATIFS Thèse pour le Doctorat de 3ème Cycle Présentée devant l'Université de Paris-Sorbonne CP a ris IV) -= -=-=-= -=-= -=- Directeur de recherches Monsieur le Professeur Maurice MDLHD 1 9 8 3

Transcript of D l A B V l b r a h i m a -...

  • D l A B V l b r a h i m a

    L E R E C l T COU R T=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

    EMILIA PARDO1

    B A ZAN THEr"1ATI qUE

    =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

    ET PROCEDES NARRATIFS

    =o~o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=o=

    Thse pour le Doctorat de 3me Cycle

    Prsente devant l'Universit de Paris-Sorbonne

    CP a ris IV)

    -= -=-=-= -=-= -=-

    Directeur de recherches

    Monsieur le Professeur Maurice MDLHD

    1 9 8 3

  • l N T R o D u c T l o N

    =0=0=0=0=0=0=0==0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0

  • - 2 -

    I~ 0 u sn' a v 0 >l.?, vou l u tu die rIa u cou r s du pr sen t t ra -

    1vailJqu'une partie de l'oeuvre d'Emilia Pardo Bazan ses rcits

    courts, nous proposant de suivre chez elle la formation de l'art

    du conte, genre littraire qui, considr souvent comme mineur,

    est en ralit un des plus exigeants,car il oblige l'crivain

    une grande conomie de moyens et une pleine ma!trise dans l'or-

    ganisation de la matire narrative.

    Au moment de b~tir notre plan de travail, il nous a

    sembl qu'il ne fallait pas nous borner l'analyse de quelqu~s

    textes particulirement significatifs ou spcialement russis,car

    nous tions convaincu qu'Emilia Pardo Bazcin n'est pas seulement

    l'auteur d'une srie de contes d'intrt variable, mais l'archi-

    tecte d'un monument unique dans la littrature espagnole des der-

    nires dcennies du XIX me sicle, d'une vraie Comdie Humaine

    hispanique comparable celle de Balzac ou celle de Benito Prez

    Galdo's.,

    Ces deux vastes ensembles taient constitus par des grands:,

    tableaux - romans - celui de Do~a Emilia par des contes.

    Comdie Humaine miniaturise, certes,mais qui ouvre un ventail

    thmatique plus large qu'aucun autre avec ses 568 contes o dfile

    toute la socit espagnole de l'poque et,

    ou se posent tous les

    problmes qui agitaient les esprits des contemporains.

    Un si vaste ensemble constitu par des rcits crits

    et publis a toutes les poques de la vie de l'auteur, c'est--dire

  • - 3 -

    de 1879 a 1921,devait forcment avoir un caractre volutif. Nous

    essayerons~~n consquen~e,de faire apercevoir au lecteur la mul-

    tiplication progressive des penses, des cratures et des sujets,

    c'est--dir~ l'volution du contenu des cont~s au fur et mesure

    qUE!' le XIX me sicle touch~ sa fin et que se lve l'aube du

    XX me , au fur et mesure aussi que la romancire devient sensible

    de nouveaux problm~s ou qu'elle se fait l'cho de nouvelles

    proccupations~tant5tparticulires aux espagnols de l'poque,

    tantet plus gnralement ressenties dans l'Europe entire.

    Une autre volution que nous voulons suivre travers

    le vaste corpus qui fait l'objet de notre tude est celle des

    techniques narratives. Il s'agit presquE de surprendre l'crivain

    lorsqu'il met de l'ordre dans son domaine imaginaire, et, l, si-

    gnaler ses efforts lorsqu'il construit le rcit, ou dceler ses

    ruses lorsqu'il veut tonner parvenir enfin dnombrer les trs 1

    divers procds narratifs employs par Pardo Baz~n. On se risquera

    m~me, surtout pour des rcits appartenant l'poque de l'appren-

    tissage de Dona Emilia dans l'art de conter, d'en sonder les fai-

    blesses.

    En effet, notre travail se veut presque purement

    critique. Nous laisserons de ct la biographie de Dona Emilia,

    bien connue dE nos jours gr~ce l'admirable thse de Madame

    N. Clmessy nous ngligerons aussi - et pour la mme raison -

  • 4 -

    tout ce qui concerne le~Jid~es morales ou philosophiques de la

    Comt~sse lorsqu'elles n'interviennent pas directement dans l'uni-

    vers de ses fictions narratives.

    Nous pr~frons - rp~tons-le - demander compte la

    romancire des secrets de son faire, en essayant de nous initier

    ses habilits, ses clairages, a ses techniques de composi-

    tion. Nous voudrions surtout parvenir analyser efficacement sa

    manire personnelle de distribuer la matire narrative, de condui-

    re l'action, de s'attaquer aux difficults propres chaque type

    de rcit court.

    ~

    C'est d'aillers dans ce sens que Dona Emilia

    elle-mme, dans ses crits thorico-historiques, concevait la

    critique, une critique qui ne condamne jamais subjectivement les

    oeuvres dont elle rend compte et qui n'en fait pas non plus l'apo-

    logie, mais les analyse pour en dgager les traits qui les ren-

    dent originales, uniques, sans hsiter, l'occasion, en mon-

    trer les dfauts de fabrication ou signaler ces fautes pour

    lesquelles un grand crivain devient, l'espace d'un paragraphe,

    un artisan maladroit.

    Contenu et forme du r~cit sollicitent donc en mme

    temps notre attention sans pour autant l'parpiller. Bien au con-

    traire, il serait souvent difficile de sparer l'un de l'autre,

  • - s -

    puisqu len littrature chaque sujet choisi se doit de comporter

    sa propre forme d'expression et que lorsque l'crivain entreprend

    de raconter une histoire, mme la plus simple, il se voue un

    travail d'laboration, de composition, de construction dont le

    rsultat sera sans aucun doute dtermin par les rapports qui

    s'tablissent entre ses lments constitutifs lesquels posent,

    selon la nature de chaque sujet,des exigences irrductibles.

    En somme, et pour terminer, les questions que nous

    suggre la collection de rcits courts d'Emilia Pardo BazJn se-

    raient les suivantes:

    sur quels centres d'intrt porte sa com~unication avec le lec-

    - quels sont les thmes qui la composent?

    ii

    C' est--dirJ1,

    teu r ?

    - Comment se prsente chaque priode de la vie

    littraire de l'auteur le contenu objectif de ses rcits?

    - Sous quelle forme se ralise la communication

    auteur-lecteur? (Prsence de l'auteur dans la narration, forme

    autobiographique, monologue intrieur, narrateur (ou narrateurs)-

    tmoin (s), dialogue, discours indirect libre etc ... )

  • - 5 -

    - Sou squ e). s art i fic e s s t ru c tu rel s son t pr sen ts

    les pisodes de l'histoire? (Rele du premier et du dernier para-

    graphe du conte - annonce et mot de la fin -).

    - Et finalement, jusqu' quel point peut-on encore

    parler au sujet d'Emilia Pardo Baz~n et de ses contes de ralisme,

    de naturalisme ou de symbolisme?

    Dernire question tout fait subsidiaire, notre

    avis, car la codification de chaque rcit selon la tendance re-

    prsente par ces ismes est en fait insparable de son sujet et d~

    sa forme expressive. Nous poserons nanmoins la question la

    production courte de Doha Emilia dans le seul but de ne pas n-

    gliger l'insertion historique de l'oeuvre, tout en avouant que

    nous sommes en la matire plus sceptique encore que ne l'tait

    la Comtesse elle-mme laquelle, vrai dir!!!, n'avait jamais accep-

    t d'endosser aucune de ces discutables tiquettes; elle tait

    parfaitement convaincue d'un fait: au cas o ralisme voudrait

    dire copie de la ralit il y avait de fortes chances que plus

    la copie serait fidle et efficac~ plus elle s'lverait la

    catgorie de symbole de la vie humaine, atteignant par l, lib-

    re des contingences de temps et de lieu, ce degr de gnralisa-

    tion que l'on attribue l'idalisme.

    Tel est, en somme, le programme de la prsente tude,

  • - 7 -

    qui pourrait se rsumer en deux mots

    le qUOI et le COMMENT dans les contes d'Emilia

    1Pardo Bazan. Subsidiairement dans le cours du travail il faudra

    sans doute ~ plusieurs reprises rpondre ~ la question QUAND?

    A QUEL MOMENT?

    Nous tenons ~ remercier ici Monsieur le Professeur

    MOLHD qui a bien voulu diriger nos recherches et Madame Blanca

    MDLHD qui nous a toujours aid de ses conseils et de ses sugges-

    tians.

  • Pre m i re par t i e

    -:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

    LA THEMATIQUE DE LA PRODUCTION DE

    =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

    ~ 1

    DONA EMILIA PARDO BAlAN

    =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

  • CHA PIT REl

    =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

    ETENDUE THEMA1IqUE DU RECIT COURT

    -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-1

    D'EMILIA PARDO BAlAN: UN PANORAMA EXHAUSTIF

    -=-=-=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=~=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

    DE LA SOCIETE ESPAGNOLE DE LA RESTAURATION

    -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

    LE MILIEU RURAL: LES PAYSANS - LE HOBEREAU - LES CURES - LES

    MEDECINS - LES BOUTIqUIERS - LES OUVRIERS - LES RELIGIEUSES - LES

    MARGINAUX - LES MALFAITEURS - LA FEMME CAMPAGNARDE.

    LES GENS DE LA MER.

    LE MILIEU URBAIN : LA VILLE DE PROVINCE.

    MADRID SPLENDEURS ET MISERE DE LA CAPITALE - LES METIERS

    INCONGRUS - LES PETITS EMPLOYES - LE SOUS-EMPLOI - LES NANTIS.

    LES PROBLEMES ETERNELS: L'AMOUR ET LA CONJUGALITE - LES PERVER-

    SIONS SENSORIELLES - L'EUTHANASIE - LA PEINE DE MORT - LA POLITIQUE -

    LA MORALE - LA RELIGION - LE FANTASTIqUE - L'EVOCATION IDEALISTE DU

    PASSE.

    -==0000000000000==-

    En choisissant comme sujet du prsent travail l'ensemble

    des rcits courts de Dona Emilia Pardo1

    Bazan, nous avions certes

    espr nous trouver en prsence d'un vaste panorama de la vie

    meespagnole du XIX sicle. Mais le voir de prs, ce panorama,

  • - 10 -

    aux composantes les plus diverses, nous a surpris par son carac-

    tre presque exha~if, au point qu'il nous semble aujourd'hui le

    plus large qu'un crivain espagnol de cette poque ait russi

    brosser.

    En effet, aucun des romanciers de la Restauration

    n'a apport la littrature narrative un rpertoire de person-

    nages aussi complet que celui qu'offre l'ensemble des rcits

    courts de Dona Emilia, lequel embrasse toutes les classes et

    toutes les couches de la socit espagnole du XIX me sicle

    finissant. Rappelons seulement, pour appuyer notre affirmation,

    que le romancier qui passe pour le plus grand peintre de la vie

    ,~ /espagnole sous la monarchie restau.er~~~oes 8B~~~bons, Benito Perez

    , ~' (Q...

    .1 C s..Galdos, dont l'oeuvre est considp~e~ la ~~mdie Humaine

    de l' [spagn e con t empora i n e a beau \~;ai re. ~1c~r!Jm)e;Jalzac lu i-m~me,, l ' . l \c", ./ / concurrence a 'etat CiVl sa gra\r.1:G,7 f-r'esQ,ljJ'-e/de la vie quoti-

    ":~~dienne de son pays comporte nanmoins de grandes lacunes. En

    effet, le monde rural manque presque totalement car le romancier

    n'accorde aux paysans que de rarissimes r~les de personnages

    secondaires. Il Y a, bien sr, d'autres productions encore plus

    limites du point de vue qui est pour l'instant le n~tre. C'est

    le cas de Valera, de l'aristocratique Valera, lequel se rvle

    incapable de peindre les petits gens de l'atelier ou de la

  • 11 -

    boutique, les terrassiers ou les mineurs, les hommes de la mer

    ou les esclaves du sillon. Dans ses oeuvres, seuls l'aristocrate

    et le bourgeois trouvent droit de cit, si ce n'est les villa-

    geois plus ou moins styliss de son Andalousie natale.

    Quant Pereda, c'est encore autre chose le roman-

    cier de la Montana est toujours mal l'aise dans la peinture

    du beau monde de Madrid. Il ne sait dpeindre que ~hobereau

    de la rgion de Santander, le paysan aux moeurs ancestrales de

    sa province, le p~cheur de ses c~tes et les rudes habitants de

    ses montagnes et)au mieux,la bourgeoisie commerante de Santander,

    la ville portuaire.

    Qu'il nous soit permis de n'opposer Dona Emilia

    que ces trois cas significatifs pour appuyer notre premire

    affirmation Pardo Baz~n est le seul crivain de la fin du

    XIX me sicle qui a t capable de promener son regard du haut

    en bas de l'chelle sociale, sans ngliger aucun des secteurs

    qui composent son inpuisable varit.

    En premier lieu, dans les contes de la campagne,

    l'auteur atteint la vie profonde du milieu rural. Le long de

    ses pages se c~toient le villageois madr, capable de plaisantes

    farces - que vengan aqu{, El pinar del t{o Ambrosio - le

  • - 12 -

    paysan ignorant, superstitieux, avare et, pour toutes ces rai-

    sons, r~fractaire ~ la m~decine moderne - Bajo la losa, Curado,

    Atavismos - et le rustre cupide et brutal capable de crimes

    effroyables (Un destripador de anta~o, Gedrgicas, Dios castiga,

    En el pueblo).

    Or la vision v~riste de la romanci~re, sa peinture

    parfois cruelle de la vie paysanne ne l'emp~che pas de souligner

    ~ et l les aspects positifs de l'existence des pauvres gens de

    la campagne galicienne. Elle nous montre des familles rurales

    capables de l'hospitalit~ la plus g~n~reuse et la plus franche

    ou du d~vouement le plus total : La gallega, El peregrino, Sara

    y Agar. Elle ~voque aussi la jeunesse paysanne avec ses joies et

    ses f~tes, ses amours et ses r~ves. En somme,si elle sait d~crire

    la mis~re et l'ignorance des campagnards, elle parvient ~gale

    ment ~ d~peindre l'all~gresse des bals traditionnels, occasion

    pour les jeunes d'heureuses rencontres. Rappelons pour m~moire

    les charmants couples de Cuesta abajo, de Lumbrarada.

    Dans les contes du terroir les silhouettes gracieuses

    ou rebutantes du monde paysan, se m~lent souvent ~ des personna-

    ges relevant d'autres cat~gories sociales, comme le vieux hobe~

    reau, si enracin~ dans le vieux pays qu'il se confond avec le

    laboureur. Cupide, born~ et opini~tre comme lui, il connatra

  • - 1 j -

    parfois une fin tragique COcho nueces). Dans d'autres cas,

    le viel hidalgo campagnard est bon enfant, aimable et complai-

    sant l'gard de ces paysans qu'il connat si bien (El ~ltimo

    baile) .

    On retrouve aussi dans ces contes de la terre, le

    cur du village tant~t charitable envers les humbles (Obra de

    misericordia, Madre 9alle9a, Los escarmentados), tant~t ivrogne

    et dvergond (La salvaci6n de Don Carmelo) le mdecin rural

    consciencieux et dvou (Obra de misericordia) ou ent~t et

    vendicatif (Ocho nueces), le boutiquier hant par la peur des

    voleurs (El invento), le matre d'cole pdant (Ocho nueces),

    les ouvriers ruraux affams r~vant de mangeaille (El " xes te"),

    les religieuses dont la vocation - problme pineux - est sou~ent

    ngative (La reja), les marginaux, malfaiteurs de tout acabit

    les bandits (InGtil), les voleurs (El puno), les profanateurs

    de tombes (No 10 invento) ...

    La femme paysanne inspire le plus vif intr~t

    notre conteur qui nous en a trac un rpertoire infiniment vari,

    allant de la demi-prostitue (La hoz, La argolla), jusqu' la

    martyre de la chastet hroque - Dalinda - en passant par

    l'pouse exemplaire (La galle9a, El montero, Sara y Agar) et

    surtout par la m~re aimante (La guija, Madre gallega).

  • Elle n'exclut ni l 'huTrible mgre (Un destripador de antano,

    La capitana), ni l'pave humaine victime de l'alcoolisme (La

    Corpana) ou de la lpre (La Deixada).

    Lam e r, lac ~ te, les po r t s de p ~ che fa sc i ne n t

    Dona Emilia autant que les campagnes de l'intrieur, peut-~tre

    parce qu'elle est sensible la menace que l'Ocan fait toujours

    peser sur ceux qui y cherchent leur subsistance: (La ganadera,

    El panuelo, Tiempo de animas).

    A ces nombreux contes de paysans et de marins s'op-

    posent les contes de la ville, avec ses ateliers, ses glises,

    ses rues, ses cafs, ses h~tels, ses gares. Dans ces rcits les

    bals et les th~tres, sont le lieu o s'talent l'infamie et

    le vice, les douleurs et les misres, l'amour et les frustra-

    tions les plus poignantes. Car la ville est pour Pardon Bazan

    une vraie fourmilire de pauvres ~tres dboussols qui se heur-

    tent leurs destins. Elle dpeint la ville de province (Mari-

    neda) o elle dcouvre les ouvriers d'ateliers soumis aux mauvai~

    traitements et aux humiliations incessantes des patrons (Un duro

    falso) , l'aristocratie provinciale vaine et arrogante ~Cobar-.,dia ?) et le milieu bohme des tudiants (La soledad). Dans

    d'autres contes, c'est la capitale, Madrid, qu'elle voque.

    Madrid avec ses foules besogneuses et sa socit lgante cible

  • 15 -

    de tous les regards. &rj2 en 1/j132, (Jona Emilia montrait son

    intr~t pour la grande ville avec la publication de El ruido

    qui pose le problme des nuisances, origine des troubles et de

    la dchance mentale et physique d'un pote. A partir de cette

    date, de nombreux thmes lis aux structures sociales de la

    capitale viendront complter la srie, surtout celui de la

    misre anonyme des grands centres urbains. Le signal est donn

    en 1893 avec la parution de Sobremesa qui transcrit tape par

    tape l'extinction d'une femme et de ses cinq enfants en proie

    une extr~me indigence dans un insalubre faubourg madrilne.

    Puis le ton devient sarcastiqu~ l'auteur semble chercher les

    cas les plus absurdes, les plus incongrus, car la misre trouve

    ou invente des professions inimaginables. C'est le cas du jeune

    garon qui offre son sang aux puces savantes pour gagner quelques

    sous (Restoran) et celui de l'tudiant prpos aux bruitages dans

    un th~tre ; son tr.avail, son seul gagne-pain, consiste aboyer

    dErrire le rideau lorsque le dialogue de la pice fait rfrence

    un chien (Irracional 19[J1). Dans la m~me,

    annee 1901, avec

    Sin Esperanza Do~a Emilia redcouvre le monde triqu des petits

    employs. Elle l'avait dj voqu dans des recueils antrieurs;.

    ds 1893, anne o~ elle avait publi Sedano, un tableau accablant

    de la petite bureaucratie besogneuse sans autre horizon qu'une

    promotion alatoire et difficile. En 1905 avec 8romit~ elle va

  • - 16 -

    plus loin. C'est le m~m~ milieu touffant o se fait jour l'es-

    prit mdiocre de ces employs sans envergure qui s'exerce en

    cruelles plaisanteries contre le plus faible et le plus fragile

    d'entre eux jusqu' l'acculer au dsespoir.

    Le drame .du sous-emploi qui est au centre des proc-

    cupations profondes du moment n'chappera pas non plus l'atten-,

    tion de Dona Emilia. Il constitue le thme de Naufragas.

    En contraste avec ces tableaux de la misre brosse,

    de la vie mdiocre des petits salaris redingote lime et

    pardessus dfratchi,se trouvent les contes qui ont pour cadre

    les milieux opulents de la capitale, l o rgnent les modes

    trangres, le dandysme snob et les raffinements de la plouto-

    cratie fortune et oisive. On y voit vivre la jeunesse infatue

    qui se prlasse dans les fauteuils d'un club aristocratique,

    les dandys qui mettent tout en oeuvre pour se procurer le valet

    de chambre le plus styl, le plus flegmatique et le plus "anglais"

    (John) ou ceux qui, pour mriter l'estime de leurs pairs, ne

    rpugnent pas s'attribuer les exploits les plus extravagants

    (Jactancia).

    En m~me temps qu'elle labore cette vaste fresque

    d'une socit infiniment htroclite et complexe, la romancire

    porte son regard sur les grands problmes qui se posent

  • - 17 -

    ~'humanit~ de tous les~~emps, et sur les passions qui l'agitent

    et qui l'angoissent. C'est l'amour sous tous ses aspects vague

    illusion d'adolescence (Primer amor, Temprano y con sol) ou

    tourment, fixation obs~dante, hantise sexuelle envahissant une

    existence tout entire, (Remordimiento, Un parecido).

    Etroitement li~ ce thme d'amour, celui de la

    conjugalit~ occupe une large place dans l'oeuvre de Dona Emilia,

    laquelle semble s'attarder volontairement sur les aspects tant~t

    positifs, tant~t destructeurs du mariage. Dans La Doda, elle

    d~peint la joie bruyante de la f~te, le plantureux repas o le

    jeune couple savoure son bonheur sur un fond envotant de fleurs

    odorantes qui s'~talent jusqu'au ruisseau d~licieux. Dans La

    Camarona, elle ~voque les promenades en mer qui firent les plus

    beaux jours d'un ravissant jeune m~nage et elle d~crit dans

    Las tijeras la parfaite entente d'un vieux couple. On pourrait

    ins~rer dans cette s~rie Gloriosa viudez o la veuve d'un ~minent

    ~crivain d~funt vit sous l'emprise du souvenir dans une profonde

    mlancolie. N~anmoins cet ~panouissement des jours heureux, cette

    parfaite comp~n~tration qui fait le bonheur de quelques ~tres

    privil~gi~s ne cachent pas l'~crivain les misres de la vie

    conjugale, les heurts, les disputes interminables, les inqui~

    tudes et les frustrations qui assombrissent la vie des poux,

    les causes multiples qui expliquent l'~chec du couple, lassitude,

    m~sentente ou, pire encore,l'adultre et ses corollaires qui

  • - 18 -

    viennent dtruire le foyer. Dans Perla rosa c'est un mari qui

    dcouvre, boulevers,-la trahison de sa femme; dans La risa

    c'est l'pouse qui, trompe, meurtrie par la trahison du mari,

    sombre dans une intermittente dmence. P8rfois l'amour bafou

    cherche vengeance, c'est le cas de La enfermera o la femme

    trompe finit par mettre fin aux jours de l'infidle. Le regard

    de Dona Emilia s'arr~te plusieurs reprises sur des cas curieux

    ou singuliers, la timidit d'un grand amour (S!, senor) ou

    l'trange mcanisme d'une rupture (Vivo retrato, Champ~la, La

    niebla, La redada, El encaje roto). Nous trouvons dans ses contes

    des femmes dominatrices et acari~tres - Navidad - ou d'autres qui

    imposent aux hommes leurs caprices les plus pervers - Los

    pendientes - mais nous y trouvons aussi les domines, les sou-

    mises, les effaces (Feminista). On nous fait sonder le nuage

    de mensonge qui couvre l'horizon des couples dsunis, la frus-

    tration et la dtresse de la femme prive d'enfants (La est~ril).

    Dans plusieurs rcits, l'auteur s'attaque au problme de l'enfant

    non souhait qui, parce qu'illgitime, fruit d'une union que la

    socit condamne, ne suscite que des sentiments de rejet ou de,

    honte (El comadron, Los escarmentados). Ces rcits particulire-

    ment effrayants de la maternit maudite s'opposent d'autres

    o la mre aimante est blesse mort par l'indignit du fils.

    On touche dans ceux-l~ au problme de la d~linquance des adoles-

    cents ou des jeunes: (Un gemeln).

  • - 19 -

    ~otre crivain ne reculant pas devant l'atroce,

    beaucoup de ses contes -~nt pour thme le crime (Nieto deI cid,

    In~til, Nuestro senor de las barbas, La cita). quelques-un1s de

    ces r~cits violents et durs retracent des silhouettes effroyables

    de bandits endurcis et impitoyables. La femme n'est pas absente

    de cette sinistre galerie o La capitana a une place de choix.

    Dans la de~nire poque de sa production, Dona

    Emilia cde a la curiosit trs g~n~ralis~e la fin du

    XIX me sicle et au dbut du XX eme pour le thme des perversions

    sensorielles ou mentales. Non pas que le sujet soit tout fait

    nouveau dans l'oeuvre de notre ~crivain qui, comme jadis Balzac,

    comme plus tard le Galdbs de la premire poque, comme tous les

    grands romanciers du XIXme

    sicle, s'tait dj pench sur les

    bizarreries pathologiques, sur ce que Freud appellera un jour

    "l'inquitante tranget", bien avant que ces phnomnes ne

    deviennent un topique littraire. Dj en 1883, tout au dbut

    de sa carrire, l'crivain avait montr dans El indulto les

    ravages mortels de la peur, de la peur qui tue. La peur tait

    de nouveau en 1893 le sujet de La Calavera. De sombres pein-

    tures de nvroses apparatront plus tard dans son oeuvre.

    [] Il pas se, en 1s; lJ [] dan s El es gue let 0, dur ci t des ta t s 0 bses-

    sionnels la rvlation des drames qu'ils dclenchent. Oans

    Eximente, de 1905, l'angoisse obsdante pousse la victime au

  • - 20 -

    suicide. El clavo dcrira en 1913 la fin tragique d'un nvros.

    Il se pend ~ un clo~qui pendant de longs jours a constitu sa

    continuelle obsession. Dans d'autres contes encore, des causes

    diverses sont ~ l'origine d'une alination mentale l'altra-

    humaine

    l'opinion publique et qui

    tion des rapports conjugaux ou affectifs (La risa, Aire, La

    se~orita Aglae).

    Il faut avant tout souligner qu'crits avec une

    froide concision presque scientifique, ces rcits sont trs

    loin du pathtisme que l'on a souvent reproch certains ro-

    manciers "naturalistes" trop emports sans doute par l'exemple

    du gigantisme de Zola.

    Les contes de Do;;'a Emilia POS,.,.E;.~\:,,'a,u,~~i ~ et l~

    L ~c.., c -1/ '"..,~. .-_ --. l~~.~les grands et pineux problmes qui agLte~~ pilod~quementf (C' "'\;- '~/'. \ ;\\

    t r 0 u b l e n t t o'j El u r s,,

  • - 21 -

    La cration artistique a, elle aussi, sa place dans

    cette vaste explorati~ de la nature humaine - Inspiraci~n et

    Perlista dcrivent les multiples difficults qui se succdent

    dans la gnration de l'oeuvre d'art et le r~le mystrieux que

    joue l'inspiration.

    ~ertains rcits voquent le douloureux chec de

    l'artiste (El ruido, Linda, En verso).

    La politique a aussi sa place dans les contes de

    Dona Emilia. Ils dnoncent le climat de violence o se droulent

    les luttes partisanes. Ds 1891, Viernes Santo campait avec

    force la silhouette du "cacique" qui, dans la campagne gali-

    cienne, dcide, sans crainte ni vergogne d'employer la manire

    forte pour soumettre les opposants sa politique locale et pour

    briser toute vllit de rsistance. Dans des rcits plus tardifs,

    la terreur que la tyrannie des "caciques" fait rgner dans la

    population rurale constituera un thme important (Madre gallega

    (1896), El voto de Rosina (1899), Ardid de guerra (1903), scnes

    dsolantes de la vie politique o l'crivain n'hsite pas

    assombrir la peinture des moeurs parlementaires de l'Espagne

    de son temps. Nous y reviendrons.

    Mais ce n'est pas tout le temps passant, le champ

    d'observation de Dona Emilia s'est sans cesse largi. Nous nous

    proposons de montrer comment aprs 1890, il lui arrive de

    J .... _~

  • - ! 2 -

    laisser de c~t le rcit raliste pour entra!ner son lecteur

    dans le domaine de la ~brale et de la philosophie en lui livrant

    sous forme de brefs apologues le fruit de ses mditations sur

    les ternels problmes de la condition humaine: l'homme devant

    la mort (Reconciliaci~n), l'euthanasie (El guinto), les rapports

    entre les hommes (Las veintisiete, La moneda del mundo) ou de

    l'homme avec l'infini (Dioses).

    Nous nous attarderons aussi sur les contes religieux

    contrepoids "idaliste" que Dona Emilia a oppos au pessimisme

    II na turaliste ll de ses contes noirs. La Nochebuena en el Infierno,

    La Nochebuena en el Purgatorio, La Nochebuena en el Limbo, La

    Nochebuena en el Cielo pourraient ~tre l'hommage de la roman-

    cire - qui s'est toujours proclame fidle chrtienne et catho-

    lique pratiquante - au souvenir ~mprissabl de Dante.

    Cette petite ttralogie de la vie future serait une

    sorte de Divine Comdie en miniature insre dans la vaste

    Comdie Humaine, version hispanique, que constitue l'ensemble,

    des oeuvres courtes de Pardo Bazan. Mais ce serait la Divine

    Comdie cre par un esprit moderne, continuateur sa faon,

    de la tradition hispanique ouverte par les rasmistes de l'po-

    que de Charles quint. Ainsi dans La Cena de Cristo il est ques-

    tian d'un homme qui a cherch Dieu dans la solitude du clo!tre.

    Du,ill'abandonne enfin, pour vivre dans le monde et se consa-

    crer aux affai res. Et c'est l qu'il rencontre le Christ. Le

  • - 2J -

    jour o~ il sauve la vie du concurrent d~loyal qui l'a ruin~,

    J~sus vient sous l'a~ect d'un pauvre mendiant partager son

    repas. Ce qui prouverait bien la justesse de la sentence de

    l'humaniste de Rotterdam IIMonachatus non est pietas. 1I

    Mais comme si l'interprtation chrtienne de la vie

    humaine n'puisait pas toutes les formes de concevabilit, Dona

    Emilia ne se refuse pas au thme antique du fatum dans des con-

    tes comme El destino ou El sinD. Le fantastique un peu la ma-

    nire de Poe ne lui est pas non plus interdit. Ainsi dans~tire

    eativo l'auteur introduit son lecteur dans un monde de phnom-

    nes tranges qui vhiculent la maladie et la mort, c'est le

    souffle venimeux d'une monstrueuse salamandre, redoute de tout

    un village, qui provoque celle inluctable d'un jeune paysan.

    Dans d'autres rcits de thme analogue, le conteur se rserve

    le droit de confier des apparitions surnaturelles l'amorce

    d'une heureuse mtamorphose de la pauvre crature humaine: c'esi

    le cas de Mariposa de pedrer{a,

    ou la visite nocturne d'un papil-

    Ion marque le dbut de la clbrit et de la richesse prodi-

    gieuses d'un jeune artiste qui longtemps a fui ses semblables,

    pour s'enfermer dans la douloureuse conscience de sa pauvret.

    Souvent au fantastique viennent se greffer des d-

    tails pittoresques, d'un pass idalis. Ainsi dans Siglo XIII,

    la vue d'un mendiant en qu~te de la charit des humbles pay-

    sans pr~te des considrations nostalgiques sur la foi des

    sicles mdivaux.

  • [Jn l'a vu, Dona Emi:La ne recule devant aucun aspect

    des moeurs de la soci~t espagnole de son temps ni devant aucun

    des problmes qui V tourmentent les hommes. Dans ses contes on

    passe de l'ironie ou de la tendresse l'horreur macabre, de la

    peinture des sentiments les plus nobles celle de la cruaut

    la plus odieuse ou de la sauvagerie la plus primitive ce qui

    va de pair avec la varit de la faune sociale que l'auteur nous

    a prsente. Dona Emilia ne se refuse rien son regard va du

    rustre anonyme au noble le plus titrF!, de l'ouvrier affam au

    bourgeois nanti, de la servante d'auberge ou de ferme la du-

    chesse. Tant~t elle s'attarde sur la grisaille des vies mdio-

    cres, tant~t elle dvoile au-del de l'horizon visible l'univers

    trange du dlire ou le monde clat du fantastique.

    Tel est le panorama d'ensemble, rapidement voqu

    et dont l'tude complte est bien au-dessus des modestes ambi-

    tions de notre travail. 11 faut tenir compte en effet, que l'en-

    semble des contes de Oona Emilia atteint le nombre de 58 (1).

    Ce chiffre comporte un nombre important de contes dj publis

    en recueils (2). Il faut compter outre ces contes une bonne quan-

    tit d'autres - ils sont au nombre de 162 - jamais recueillis

    en volume que lion trouve parpills dans divers priodiques

    et revues de l'poque (3).

  • N

    - 25 -

    o E 5

    -=-=-=-=-:-=-=-=-

    1. Madame Nelly Clmessy en a fait deux cataloguEs exhaustifs -

    l'un chronologique, l'autre alphabtique - lesquels avec

    l'essai de classification par g~nre - qui les accompagne -

    constituent aujourd'hui un instrument de travail indispen-

    sable tous ceux qui s'intressent de prs l'oeuvre de

    conteur d'Emilia Pardo Bazn.

    Centre de Recherches Hispaniques, Paris, 1971.

    2. Titre des recueils et date de leur parution en librairie

    La dama joven y otros cuentos (1885), Cuentos Escogidos (1891~

    Cuentos de Marineda (1892), Cuentos Nuevos (1884), Cuentos de

    Navidad (1894), Arcos Iris (1895), Cuentos de Navidad y de

    Reyes (1898, 1902), Cuentos de Amor (1898), Cuentos de la

    Patria (1898), Cuentos Sacroprofanos (1899), Un destripador

    de Antano (1900), En tranvla (1901), Cuentos Antiguos (1902),

    Lecciones de Li teratura (1906), El fondo del Alma (1907),

    Sud-Exprs (1909), Cuentos Tragicos (1912), Cuentos de la

    Tierra (1922).

  • - 25 -

    Tou s ces r ecu e ils d e :~,n tes 0 n t t r uni s plu s t a r d a v e c les

    romans de l'auteur, en deux tomes, par l'dition Aguilar, Madrid,

    11947 sous le titre de : Emilia Pardo Bazan : Obras completas

    (Novelas y Cuentos) on y relve 389 contes,

    3. La liste des publications et des priodiques contenant des

    contes jamais recueillis en volume:

    El Imparcial (1890 - 1920), El Nuevo Teatro Cr{tico (1891),

    Blanco y Negro (1895 - 1918), La "Ilustracin Art{stica"/

    (1896), El Liberal (1897), Madrid Comico (1898), Pluma y

    LQpiz (1901), El Heraldo (1905), La Ilustracidn Espanola y

    Americana (1908 - 1915), La Noche (1911 - 1912), Nuevo

    /Mundo (1914), La Esfera (1914 - 1921), Los Contemporaneos

    ( 19 16), Ra z a Es p a il01 a (19 19 - 192 1 ),

    -=-=-=-=-=-=-

  • CHA P 1 T R E 1 1

    =o=o=o=o=o=o=o=o~o=o=o=o=o=o=

    EVOLUTIor~ IN l'tRN E DU lICOSTUMBRISMOll

    -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

    A L'UNIVERSALITE

    -=-=-=-~-=-~-=-=-

    LES DEUX PERIODES: 1879 - 18.91 ET 1891 - 1921 - CE qUE L'ON

    ~

    A APPELE LE "NATURALISME " D'EMILIA PARDO BAZAN : LE CONTE NOIR:

    CRUAUTE, EVOCATION DE L'HORiUR ET DU MACABRE-

    ,DETERMINISME ET LIBERTE - DU REFUS OU DETERMINISME SOCIAL A

    L'OPTIMISME CATHOLIqUE.

    -==UOOOOoooOOOOO==-

    C'est l'intrieur d'une norme masse de matire

    narrative que nous voyons dfiler tous les aspects de la socit

    espagnole de l'poque. Mais ce n'est l qu'un premier constat

    rvlant l'aspect le plus vident de la production de Dona

    Emilia: la varit de ses sujets. Il en reste un autre, non

    moins immdiatement apparent qu'il conviendra d'voquer sans

    plus tarder, c'est le caractre volutif de cette immense pro-

    duction.

  • - 28 -

    LES DEUX PERIODES 1&19 1891 ET 1891-1921

    Il convient tout d'abord de signaler les deux p-

    riodes qui marquent la vie littraire de l'crivain. La produc-

    tion des douze premi~res annes (1879 - 1891) totalise dix-huit

    contes. Sur ce nombre, certes peu considrable, on est frapp

    de constater que les th~mes relatifs la capitale espagnole

    sont presque absents tandis que la majorit des contes crits

    durant cette priode dpeignent avec insistance la cadre rural

    ou citadin de la Galice, pays natal de l'auteur. Pour ces pre-

    mi~res peintures de moeurs, Dona Emilia, marque par la lecture

    des grands romanciers ralistes espagnols de la gnration de

    1868, devait procder comme l'avait fait l'cole "costumbristall,

    en recherchant avant tout le pittoresque et la couleur locale.

    Ainsi la srie des faits divers qu'ouvre en 1883 Nieto del Cid}

    sert de prtexte la peinture de paysages, ctes ou montagnes,

    mais aussi et surtout celle de la mis~re et la grossiret

    des ruraux que quelque reste de nobles instincts ne parvient pas

    cacher. La prfrence de l'crivain pour la peinture du terroir

    natal vient peut-tre, du fait qu'il tait, mieux que tout autre

    milieu, celui qui offrait la meilleure garantie de russite

    l'crivain dbutant.

    Mais partir de 1891, comme pour dpasser ce

    "costumbrismo" provincialiste qui l'aurait enferme dans les

  • - 2Y -

    limites troites de sa Fgion,~

    Pardo Bazan choisit d'inclure

    dans son univers roman~~que Madrid. Elle publiait alors Crimen

    libre qui met en sc~ne une histoire dont le cadre n'est autre

    que la capitale espagnole. D~s lors, et sans jamais atteindre

    la force des descriptions que Galdbs nouS a laisses de la capi-

    tale espagnole, Madrid sert de fond aux rcits les plus divers

    de Dona Emilia qui, au fil des annes, a su atteindre une dimen-

    sion littraire de plus en plus universelle.

    Le th~me paysan n'est pas exclu pour autant bien

    au contraire il reviendra souvent : Viernes santo, En el nombre

    deI Padre, El peregrino, Las tapias deI camposanto, La santa de

    Karnar, El baile de Querub{n, et tant d'autres rcits ruraux qui

    alternent avec les contes religieux La Nochebuena en el Infierno,

    La Nochebuena en el Purgatorio - et les histoires fantastiques

    lesquelles prendront une place de plus en plus importante dans

    les derni~res annes de la vie de la romanci~re.

    Une telle volution n'est certainement pas le fait

    du hasard. On peut la constater galement dans les oeuvres roma-

    nesques de Dona Emilia puisqu'il faut attendre 1889 pour que

    deux de ses romans - Insolaci~n et Morri~a - comportent des pi-

    sodes dont Madrid sera le cadre alors que les romans antri~urs~

    Pascual Lopez (1679), La Tribuna (1882), El Cisne de Vilamorta

    (1885), Los pazos de Ulloa (1886), La madre Naturaleza (1887) -

    gardaient un caract~re exclusivement rgional.

  • - 3U -

    Un tel largissement du cadre d'action de ses

    rcits dnonce avant ~out le dsir de notre crivain de s'ins~rer

    pleinement dans son temps. C'est srement ce qui explique la di-

    versit de son oeuvre o partir de 1891, tous les courants

    littraires de l'poque se trouvent reprsents. Notre t~che ne

    consistera pas uniquement recenser toutes les tendances artis-

    tiques dont Dona Emilia s'est fait successivement l'cho tout

    au long de sa carrire, mais analyser la forme spcifique

    qu'elles prennent dans son oeuvre puisqu'elle a toujours su, en

    les adoptant,garder son accent personnel et l'originalit de

    son temprament crateur.

    Il nous faudra donc passer dans nos analyses du

    type de rcit qui, porte ou semble porter, l'empreinte du "natu-

    ralisme" ceux de ses contes qui relveraient du no-idalisme

    symboliste de la fin du sicle. Et cela sans luder le vrai pro-

    blme que pose au critique l'oeuvre tout entire de Dona Emilia,

    la coexistence toutes les epoques de sa production de la pein-

    ture raliste la plus crue et d'un idalisme qui serait parfois

    une remanence romantique mais toujours une expression trs pro-

    fonde et authentique de sa sensibilit. Tel sera l'objet des

    pages qui vont suivre.

  • - 31

    /CE qUE L'DI\! A APPELE L.E "NATURALISME" D'EMILIA PARDO BAZAN

    LE CONTE NOIR CRUAUIE, EVOCATION DE L'HORREUR ET DU MACABRE.

    Le " na turalisme ll a t souvent dfini comme une

    approche exhaustive de la ralit qui ne recule pas devant aucun

    de ses aspects, m~me ceux que l'on considre comme empreints

    d'extr~me laideur, les plus rpugnants ou effrayants. Nous ne

    souhaitons en aucune faon discuter le bien fond de cette dfi-

    nition, laquelle on pourrait certes opposer le fait que dj

    le romantisme avait revendiqu le droit de l'crivain se ser-

    vir du laid et de l'horrible en vue d'obtenir une haute effica-

    cit expressive. Hugo ou Petrus Borel, qui n'ont jamais t

    catalogus comme " na turalistes", avaient puis abondamment dans

    ces sources d'expressivit qui sont l'atroce, le lugubre et m~me

    le rpugnant.

    quoi qu'il en soit,. ce que l'on a appel " na tura-

    lisme", trs associ la dmarche narrative d'Emile Zola qui

    en avait donn la thorie, a t considr comme le courant

    littraire o s'insre l'oeuvre de la Comtesse de Pardo 8az~n.

    Elle-m~me en crivant La cuestitn palpitante avait contribu

    tablir l'opinion selon laquelle le roman du XIXme sicle avait

    ouvert le champ de la narration l'observation de la ralit

    sous tous ses aspects, et mme,a ceux qui semblaient longtemps

    interdits l'oeuvre d'art. Un de ces aspects serait le thme du

    macabre et de l'atroce que Dona Emilia a trs abondamment trait

    dans ses contes o nous voyons souvent des personnages mourir

    dans des circonstances extr~mement horribles.

  • - 32 -

    A cet gard Un destripador de antano, rcit d'un

    e f f r 0 y a blem e urt r e, p..eu t 0 f f r i r, u ri e x e mpIe sig nif i c a tif. En

    effet, pour payer le loyer de la ferme o se trouve le moulin

    de son mari, une femme assassine une orpheline qui lui a t

    confie, et cela afin de vendre sa graisse un pharmacien qui,

    selon la rumeur publique, en fait l'onguent l'aide duquel il

    soigne ses malades. Dans ce cas prcis seule l'histoire est

    atroce l'auteur passe rapidement sur le meurtre de la malheu-

    reuse jeune fille dont il vite la description. En revanche, dans

    bien d'autres contes, le thme tragique s'accompagne des plus

    effroyables dtails sur lesquels la romancire insiste, comme

    si elle cdait un parti pris bien arr~t. Dans de tels rcits,pas

    Dona Emilia n'pargne~ son lecteur, aussi souvent que l'anecdote

    l'y autorise, les dtails les plus atroces tels que les descrip-

    tions d'horribles mutilations dont ses personnages sont victimes.

    Dans In~til, les meurtriers d'un vieillard gardien

    d'un ch~teau procdent de la faon la plus sauvage pour faire

    avouer leur victime la cachette de son bas de laine:

    "Ils tra!nrent sans peine le vieillard jusqu'au

    foyer qu'il venait de garnir et qui brlait en crpitant et en

    clairant d'un reflet rouge le ventre du chaudron et le trpied

    sur lequel reposaient les marmites. Ils cartrent celles qui

    taient plus prs du bord et, en poussant Carmelo pour l'obliger

    plier les genoux, ils appuyrent ses deux mains sur les brai-

    ses." (1)

  • - 3.3 -

    Le vieillard s'vanouit sous l'effet de cette

    premire torture mais l~s malfaiteurs redoublent l'opration,

    aprs l'avoir ranim

    "Et lentement avec une rage froide ils tendirent

    ses paumes sur le brasier qui se ravivait en petites flammches

    o brillait la rsine des pins. Les os sarmenteux du vieillard

    crpitaient en peau et tguments; ils brlaient mais le corps

    de l'homme, dj inerte ne s'agitait plus." (2)

    Insensibles l'horreur de leur exploit, les mal-

    faiteurs regrettent seulement que leur coup ait chou cause

    de la faiblesse de leur victime et avec une cruaut infernale

    ils accablent le vieillard de svices inimaginables jusqu'

    aboutir son anantissement le plus total

    "D'un coup de pied on le poussa au fond du foyer.

    Ses v~tements, ses cheveux blancs prirent feu. Il ne fit pas un

    seul mouvement. Il brlait mieux que l'amadou, mieux que le bois

    vermoulu." (3)

    Dans d'autres contes il s'agit de la description

    des cadavres rigides sur leur lit de mort, envelopps dans leur

    suaire. Dans Consuelos, une couturire a perdu son enfant. Bou-

    leverse par ce drame, elle accueille l'ouvrier qui apporte le

    cercueil

    " le cercueil o on allait dposer tout jamais

    l'enfant de Maria Vicenta tait orn de lisires bleues sur fond

  • - J 4 -

    blanc et garni ~ l'int~rieur d'une satinette rose assez criarde.

    C'~tait ce que l'on faisait de plus ~l~gant Areal~Selme remar-

    qua avec ~tonnement ~~j la couturire n'admirait pas le petit

    cercueil. Elle venait d'arr~ter son regard longuement sur la

    paillasse o reposait le petit cadavre que l'on avait habill~ de

    son costume du dimanche et du gilet de laine blanche aux glands

    multicolores. Sur son minuscule visage p~le, on vovait des taches

    violac~es, t~moignages de furieux baisers." (4)

    Lorsqu'il s'agit d'un meudre, les d~tails les plus

    impressionnants renforcent le caractre violent de l'action.

    Dans Los buenos tiempos, une comtesse fait tuer son mari infidle

    pendant son sommeil :

    "Et tandis que la dame l'~clairait avec le cierge

    de l'oratoire, le paysan d~chargea un coup, un autre, dix autres

    sur le front, sur le visage, sur la poitrine. L 'homme endormi ne

    broncha pas il para1t qu'au premier coup de hache ses veux

    s'ouvrirent avec effroi aprs rien. 1I (5)

    Toute la brutalit~ primaire de certains tableaux

    de GoVa se fait jour dans les pages de Reconciliados. Deux

    pavsans s'entretuent pour un lopin de terre:

    IIRoque venait de tomber, entra!n~ par la force m~me

    aveC laquelle il avait voulu assener le coup, puisant ainsi

    dans cet ~lan tout ce qui lui restait d'~nergie. Et en le vovant

    terre, l'autre ramassa sa houe et cette fois, le frappa juste.

    La t~te rsonna comme une marmite qui se fend. Puis, il lui

    assena un vigoureux coup de houe qui brisa ses os et ses

    c~tes . " (6)

  • - 35 -

    Des dtails froces plongent le lecteur dans un

    uni ver s d 1 pou van t e e"tl v. d e cau che ma r. Ain s i dan s [1 b rad e mis e r i -

    cordia la terrible description de la peste qui dcime un vil-

    lage. Le cimeti~re regorge de cadavres; l'crivain insiste sur

    l'odeur nausabonde qu'exhalent les corps entasss:

    Il Les manations dlt~res de tant de chair

    humaine entasse sur les champs de bataille, mal couverte par

    la terre m~re, horrifie de voir ses entrailles ainsi profa-, Ilne es . (7)

    Tr~s diffrent est le cas de Suerte macabra o le

    th~me du cadavre profan tourne l'humour noir. Un marchand de

    couleurs madril~ne dcouvre qu'il a gagn la loterie; mais le

    billet gagnant se trouve chez un de ses amis en province. Or,

    cet ami vient mourir subitement; le hros arrive chez la veuve

    et fouille sans succ~s la chambre du dfunt. La veuve se souvient

    au bout de trois jours de recherches infructueuses, que son mari

    portait le jour de son dc~s une redingote neuve. Le billet est

    srement, dit-elle, dans la poche de cette redingote avec la-

    quelle il a t enterr. Apr~s avoir obtenu l'autorisation de

    procder l'exhumation du cadavre, le marchand, accompagn de

    la veuve et d'un gardien du cimetire, se prcipite sur la tombe

    de son ami. La description qui suit est d'un effectisme postro-

    mantique o l'horreur a comme cadre l'ombre nocturne et le mugis-

    sement de la temp~te :

    Il et le soir o on ralisa le lugubre exploit

  • - 36 -

    il ~clata une temp~te horrible; le vent sifflait a travers les

    cyprs noirs, et le sourd et imposant murmure de l'Ocan avait

    des ton spI a i n tif s , i-ijlp r c a toi l' e set 1 a l' mCJ ya Il t s, d ~sel a me urs

    surhumaines tristes et menaantes que l'on aurait cru le lugu-

    bre concert de voix de morts." (8)

    La puanteur de cadavre d~j dcompos porte a son

    comble l'horreur de la scne:

    " Ils d fil' en t 1 e s .p u 1 cre ; e t qua n d ils sou 1 e-

    vrent le couvercle de zinc, la premire bouffe de pourriture,

    la puanteur cadavrique SI engouffra. non seulement dans le riez

    mais encore dans l'~me de Don Donato." (9)

    Mais, oh drision! le corps qui est en effet dans

    un tat de putrfaction avance,' est tout nu. Il a t dpouill

    de ses v~tements, sans doute par des voleurs de cimetires dont

    la visite a prcd celle du marchand de couleurs

    "Don Donato vit un visage pouvantable, dj

    vert des yeux ouverts, vernis et terrifiants, une oarbe bourif

    fe, des lvres livides . Le cadavre tait nu !" (10)

    Il faut bien remarquer que dans les contes de Do~a

    Emilia l'horreur n'est pas toujours ncessairement physique, car

    si la chair humaine se dcompose et devient matire puante, il

    y a aussi des sentiments qui ravagent lr~me et qui,comme un

    acide corrosif,la dtruisent. Alors la mort est la fin d'un

    processus impitoyable. Un de ces sentiments est la peur, cette

  • :n .

    insurmontable angoisse qui souvent tue dans les rcits de la

    Comtesse. Mieux qu'auc~~ autre conte El indulto nous dcrit ce

    processus d'anantissement de l'tre moral sous l'emprise de la

    peur. Un terrible crime a eu lieu dans un village galicien o un

    forcen a tu, pour la voler, la mre de sa femme. Cette dernire

    l'a dnonc et l'assassin est condamn vingt ans de bagne.

    Lors du procs il s'est rpandu en menaces. Si jamais il sort

    de prison ce sera pour se venger en tuant celle qui lia dnonc.

    Les annes passent. Un jour, la femme apprend que son mari a

    bnfici d'une large amnistie accorde par le roi. La malheu-

    reuse cherche la protection de la loi. Son mari l'a menac de

    mort, elle est en danger ... Mais ses frayeurs nlveillent pas

    d'cho auprs des autorits. Son mari libr, elle devra repren-

    dre la vie commune. Alors commencent les heures d'attente cruelle,

    aussi terribles que celles d'un condamn mort a la veille de

    son excution. Et la fin l'homme arrive. Son geste n'est pas

    meurtrier mais tout simplement autoritaire. Il exige son dtner,

    puis il donne l'ordre la femme de se coucher dans le vieux

    lit conjugal, car il veut dormir. C'est dans ce lit, c'est au

    cours d'une nuit d'attente atroce que le coeur de l'pouse

    cesse de battre. La peur l'aura tue.

    que de semblables thmes relvent ou ne relvent

    pas de l'esthtique "naturaliste", une chose est certaine, ils

    n'puisent pas, le moins du monde, l'oeuvre de Do?i'a Emilia, car

    ce que l'on appelle, tort ou raison, "idalisme" garde tou-

    jours une place trs importante dans l'ensemble de ses rcits

  • j8 -

    brefs, et parce que, ma.tJlr l'horreur de ses contes noirs, il

    se dgage de cet ensemble une sorte d'optimisme mtaphysique

    qui vient sans doute des ides que l'auteur professe sur la

    condition humaine.

    DETERMINISME ET LIBERTE

    Si la Comtesse s'tait propose de donner au public

    ds 1883 une analyse objective des derniers courants de la litt-

    rature narrative en France, ralisme et naturalisme, elle n1en-

    tendait pas pour autant faire acte d'allgeance aux doctrines

    que Zola avait proclames dans Le roman exprimental. Elle n'en-

    tendait en aucun cas s'adscrire aucune cole, elle n'tait pas

    pr~te adhrer aucune thorie. Mais, mme sur ce point, sa

    culture et son intelligence l'empchaient d'~tre dupe de sa rpu-

    gnance se laisser cataloguer et tiqueter. Une petite voix

    ironique, celle de son exceptionnelle lucidit, lui disait tout

    bas que quoi qu'elle pOt faire, elle finirait par ~tre affilie

    d'office une cole, range parmi les reprsentants d'un mouve-

    ment littraire:

    "Qui n'aime pas se proclamer indpendant? -,crit-elle dans La Cuestion palpitante, et qui ne se croit

    pas exempt de l'influence, non seulement des autres crivains

    mais surtout de l'atmosphre intellectuelle qu'il respire?

    Cependant} ce n'est pas au plus grand talentueux qu'il est permis

    de se vanter d'une telle exemption; tout le monde, qu'on le

  • - 39 -

    sache ou non, qu'on le veuille ou non, appartient ~ une ~cole

    laquelle la post~rit~ l'affilie en ne tenant pas compte de

    ses protestations et en s'occupant de ses actes. La post~rit~,

    c'est--dire, les savants, les ~rudits et les critiques futurs

    ~n proc~dant avec ordre et logique, mettront chaque ~crivain l

    o il devra se trouver, et diviseront et classifieront et con-

    sid~reront les. plus grands g~nies comme les repr~sentants d'une

    ~poque litt~raire c'est ainsi qu'on fera demain, parce que

    c'est ainsi qu'on a toujours fait. Malheur l'~crivain qu'au-

    cune ~cole ne r~clame comme sien! Il (11)

    Elle serait donc classe, que cela lui plaise ou

    pas, parmi les romanciers naturalistes, mais elle tient beau-

    coup d~clarer bien clairement les divergences qui l'opposent,

    du point de vue thorique, Emile Zola.

    Ces divergences portent sur un point fondamental,

    le d~terminisme que Zola proclame r~gir aussi bien le cerveau

    de l'homme que la pierre du chemin.,

    Selon Pardo Bazan, l'cole

    naturaliste conduite par Zola, en prenant appui sur les th~ories

    scientifiquesr~pandues en son temps par Claude Bernard et Darwin,

    n'avait fait que II pas ser de l'ancien fatalisme paIen au d~termi-

    nisme mat~rialiste. Il (12) Car, Ill' esth~tique naturaliste entend

    ~par montrer et mettre en ~vidence la b~te humaine~ le fait de

    soumettre la pens~e et la passion aux m~mes lois que celles qui

    d~terminent la chute d'une pierre et de ne tenir compte que

  • - 40 -

    des influences physiques et chimiques abstraction faite de la

    spontani t individuelle. Il (13)

    Or, cette mthode, affirme Dona Emilia, ne peut

    aboutir qu' des rsultats bien limits II par voie de consquence

    logique, le naturalisme s'oblige ne s'occuper que de la ma-

    tire, expliquer le drame de la vie humaine par l'instinct

    aveugle et la concupiscence effrne. L'crivain, s'il est par-

    tisan rigoureux de la mthode lance par Zola, se voit dans

    l'obligation de procder une sorte de slection entre les

    facteurs qui peuvent dterminer la volont humaine. Et, en

    choisissant toujours ceux qui sont externes et tangibles, il

    fait abstraction de ceux qui relvent du domaine moral, intime

    et dlicat. 1I (14)

    Voil qui est clair, Madame de Pardo Baz~n refuse

    le naturalisme particulier de Zola qui, IInourri des mythes de

    la science, sa nouvelle idole ll (15), rduit la libert et le

    champ d'observation de l'crivain. La Comtesse elle, croit fer-

    mement la libert humaine tout en admettant que celle-ci est

    sans doute limite par llinfluence du milieu et des conditions

    physiologiques; de l, ncessit pour le romancier de ne pas

    tronquer 11 homme, de l'tudier tout entier, corps et ~me. (16)

    Cependant, certains contes de Pardo Bazn offrent

    des donnes qui, compares avec ces affirmations, autorisent

  • - 41 -

    bien des interrogations sur l'ternel problme Le destin de

    l'homme est-il fix d'avance, ou bien peut-il le faonner par

    ses actes librement choisis?

    Il Y a tout lieu de se poser de telles questions

    car, en effet, en dpit des prlses de position antifatalistes

    dont nous venons de faire tat plus haut, on retrouve dans les

    contes de notre romancire le thme de fatum trait selon la

    plus pure tradition antique. Clest dans La tigresa que nous en

    avons la meilleure illustration. Au dbut du rcit, il est ques-

    tion d'un jeune prince sur qui pse une lourde menace de mort

    il mourra inexorablement de faon tragique, lui a-t-on prdit.

    Les vnements s'enchanent de faon conduire le jeune monar-

    que la mort il consulte un ascte qui lui propose d'abandon-

    ner son pouvoir royal pour se consacrer une vie de pnitence;

    le prince s'y refuse et malgr toutes les prcautions qu'il prend,

    il tombe sous les griffes d'une tigresse qui lui tranche les

    veines du cou. D'ailleurs, le narrateur n'avait-il pas trouv

    le moyen de dire - comme pour tourner en drision les vaines

    tentatives du prince, lorsque celui-ci sombrait dans la plus

    profonde dtresse l'ide de sa mort prochaine - que "Le

    Destin, quand il nous cherche, sait nous trouver partout o

    nous nous cachons. 1I (17)

  • - 42 -

    Tout porte donc croire que notre crivain - m~me

    si le court rcit visait un but moral quelconque (responsabilit

    morale de la victime qui, par orgueil, n'a voulu renoncer ni

    ses richesses ni au pouvoir ni l'adulation de ses sujets, pour

    suivre l'appel du destin) - semble souscrire l'acceptation d'un

    autre dterminisme qui n'est pas celui de Zola, celui du destin

    implacable que rien ne semble arr~ter, une fois en marche.

    Mais quand dans El sino, le hros prdit son destin

    cruel ("On m'a mille fois r~p~t que rien ne me russirait et

    que mon sort sera funeste" (18), s'obstinait-il dire), l'cri-

    vain ne laisse place aucune issue possible; le rcit s'ordonne

    selon un enbha1nement rigoureux de p~rip~ties pour aboutir au

    dnouement prtabli. C'est en effet en mer, au cours de la tra-

    vers~e de Lisbonne Rio de Janeiro, que le destin frappe sous

    la forme d'une temp~te qui surprend un navire. C'est du pont de

    ce navire que les vagues arrachent le jeune homme qui, amer,

    n'avait pas cess d'annoncer son malheur. Plus encore, lorsque

    l'accident se produit, le narrateur ne fera qu'insister - comme

    pour opposer la force toute drisoire de la volont~ humaine

    celle transcendante du destin - sur les efforts vains de ceux

    qui entreprennent les travaux de sauvetage. Les autres voyageurs

    se livrent en effet des tentatives dsesp~r~es de sauvetage

  • - 43 -

    en lanant dans l' eau I:1?"~ cordage du navire que la victime, que

    l'on se pla!t appeler lI offrande expiatoire ll , saisit de toutes

    ses forces. Mais trop tard, la fureur des vagues rduit nant

    tous ces efforts et le malheureux garon est tout jamais englou-

    ti par la mer.

    ,La pos~ion de Pardo Bazan qui privilgie la notion

    de la responsabilit humaine (position base sur la conception

    chrtienne du libre arbitre et de la possible, toujours possible

    rhabilitation de l'individu) para!t difficilement conciliable

    avec la faon dont elle traite la fatalit dans certains de ses

    contes. N'a-t-on pas affaire au dterminisme, au fatalisme dso-

    lant que l'crivain condamnait?

    DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A L'OPTIMISME CATHOLIQUE

    Ce qui en revanche, est tout fait clair, c'est

    que notre romancire part en guerre contre toutes les formes du

    dterminisme social qu'elle juge absurde et aberrant. Elle voue

    le plus grand mpris tous les conformismes, elle condamne une

    socit qui impose ses prjugs et son dogmatisme hypocrites

    ceux de ses membres qui s'cartent des chemins battus.

    Tous les thmes d'exclusion sociale apparaissent

    un moment ou l'autre dans l'oeuvre de Dona Emilia. La

  • - 44 -

    f i 11 e - mre : une f i 11 ', -q u i P0 rte une nfan t du h a sa rd dan s ses

    entrailles devient une rprouve aux yeux de tous, m~me de ses

    parents. Mais pour le mdecin de village dont les dceptions ont

    fait un misanthrope et un isol "elle n'est qu'une victime,

    qu'une victime" (Los escarmentados).

    Le mariage lui-m~me est une institution rgie par

    l'intr~t et soumise l'autorit des familles. Transgresser la

    loi de celles-ci peut entraner des consquences f~cheuses voire

    dramatiques

    La fille peut manquer sa vie de femme parce qu'elle

    a os rvler, sous l'emprise de l'alcool, sa rpugnance pour

    le mariage que les parents lui imposent. Abandonne de tous,

    elle n'aura d'autre refuge que la prostitution (Champana).

    Le pre peut blesser mort sa fille parce qu'elle a

    contract des liens contraires ses intr~ts (Las medias rojas).

    La socit n'a pas cess de dresser des barrires

    l'honneur reste un lment sur lequel repose toute la socit

    qui ne peut se soustraire son emprise, c'est par l que la

    socit moderne revient ainsi la barbarie des peuples primi-

    tifs.

    Un paysan imbu du code intransigeant de l'honneur

    abat lui-m~me d'une balle dans la t~te son fils qui a vol

    (Justiciero).

  • - 45 -

    La guerr~!ait des victimes dont on s'empresse

    d'accepter le stupide sacrifice, devenu chose juste et normale

    au nom de l'honneur national que l'on exalte avec vhmence

    (Poema humilde).

    Tout cet ensemble de dnonciations reste trs pro-

    . ~che du message du roman naturallste auquel Pardo Bazan a souvent

    emprunt thmes, techniques et procds tout en proclamant mille

    fois sa conception chrtienne traditionnelle de l'homme o rsi-

    dent ensemble les forces du Bien et du Mal mais qui garde toujour

    la libert de choisi~4par voie de consquence, la responsabilit

    morale. A lui de s'apercevoir du mauvais virage qu'il est en

    train de prendre et de le redresser. Soumettre l'homme la

    seule loi des influences physiologiques, reviendrait lui con-

    tester son essence divine, l'animaliser et tomber par l

    dans le plus redoutable pessimisme.

    Cet optimisme essentiel qui nat de la certitude

    que l'homme est libre et capable par l de faire tout moment

    dle meilleur choix informe bien des contes de Pardo Bazan.

    Qu1il nous suffise d'en retenir deux: Desguite,

    que nous analyserons ailleurs, o un ~tre aigri et hargneux par-

    vient touffer la voix de son ressentiment et suivre celle

    de sa conscience subitement veille au contact avec l'innocente

  • - 46 -

    tendresse d'une jeune fille. Cette m~me voix c'est l'imminence

    de la mort qui la fait entendre au protagoniste de El tornado,

    jeune ecclsiastique, au moment m~me o il slappr~te sduire

    une belle veuve en abusant de sa crdulit. (19)

  • - 47 -

    1\1 o T E 5

    -=-=-=-=-=-=-=-=-

    1. Cuentos deI Terruno, Dbras Completas, d. Aguilar, Madrid,

    1947, T. II, page 1506 : "Arrastraron facilmente al anciano

    hacia el fuego que acababa de recebar, y que ardla restallan-

    do, enrojeciendo la oscura panza deI pote y las trbedes en

    que descansaban las allas. Desviaron las mas proximas, y

    arrodillanto a Carmelo de un empujon, le apoyaron ambas ma-

    nos en la brasa."

    2. Ibid., page 1505 : "V despacio, con rabia fria, le exten-

    dieron las palmas sobre el brasero, avivado por llamitas

    cortas, en que se evaporaba la resina deI pino. Crujian,

    desnudBndose de piel y tegumento, los secos huesos, al tos-

    tarse, el cuerpo, inerte va, no se revolvia."

    3. lb id., pa 9 e 1505 :,

    "De un puntapi le empujaron mas adentro

    deI hogar. La llama prendio en la ropa y en el pela canoso

    No hizo un movimiento. Ardia mejor que la yesca y la madera

    apolillada."

  • 4.

    - 48 -

    Cuentos del Terr~p, ~, 1. II, page 1487 : Il . 'el caJon

    donde iban a guardar para siempre al nino de Mara Vicenta

    lucla simtricas listas azules sobre fondo blanco, e inte-

    riormente un forro chillon de percalina rosa. No se hacia

    en Areal nada mas elegante. Con extraneza nota Selme que la

    costurera no admiraba el pequeno fretro. Acababa de fijar

    ahincadamente la vista en el jergon donde reposaba el cuer-

    pecito, amortajado con el traje de los dlas de fiesta y la

    marmota de lana blanca y monos de colores. Sobre la cara

    diminuta, palida, se velan manchas amoratadas, senales de

    besos furiosos. 1I

    5. Cuentos de Amor, ~, T. 1, page 1374 : IIY. mientras la se-

    nora alumbraba con la vela de cera del oratorio, el labri ego

    1descargo un golpe, otro, diez en la frente, cara, el pe-

    cho .. El dormido no chisto : parece que al primer hachazo

    abrib unos ojos muy espantados . , y luego, nada."

    6. Cuentos de la Tierra, ~, 1. lI, page 1762 : IIRoque acababa

    de caer, arrastrado por la propiCLi ~ '"fuaza con que habla que-rido asestar el golpe, consumiendo en tal arranque cuanto

    '"le restaba de energla. Y, al verle en tierra, el otro reco-

    gia del suelo su azada, y ya esta vez fu certero. La cabeza

    "sono como una olla que se parte. Luego, un azadonazo vigoro-

    so quebro huesos y costillas ... Il

  • .7. Cuentos de la Tie..-r,:r;a, D.C., T. II, .page 1719 : " la emana-

    ci6n deletrea de tanta carne de hombre hacinada en los cam-

    pos de batalla, mal cubierta por la tierra madre, horrori-

    zada de ver Sus entraffas profanadas as!."

    8. Cuentos Dramaticos, ~, T. l, page 1649 :" y la noche

    en que se realizo la l~gubre hazana era de tormenta horrible;

    sil baba el viento entre los negros cipreses, y el sordo e

    imponente murmurio del Dcano tenfa tonDs de queja de mal-

    dicion y de llanto ; clamores sobrehumanos por 10 amenaza-

    dores y tristes, parecidos a un coro de voces de muertos."

    9 Ibid., page 1649 : "Destapiaron el nicho ; y cuando

    se alza la tapa de zinc, la primera bocanada de putrefaccion,

    el hedor cadavrico dia,

    a Don Donato."

    J

    mas que en las narices, en el alma

    10. Ibid., page 1649 : "Don Donato . via una cara espantosa,

    verde ya ; unos ojos abiertos, vidriados y aterradores, una

    barba fosca, unos labios llvidos ..

    ba desnudo !"

    , ... ; jEl cadaver esta-

    11. Emilia Pardo Bazan, La cuestion palpitante, Anaya,Il

    Salamanca, 1970, page 183 : dA quin no agrada blasonar de

    independiente, 1Y qUlen no se cree exento del influjo, no

  • s610 de otros autoresr.~ino hasta deI ambiente intelectual que

    respira? No obstante, ni al mavor ingenio es licito jactarse

    de tal exencion todo el mundo, spalo 0 no, quiralo 0 no,

    pertenece a una escuela a la cual la posteridad le afila no res-

    petando sus protestaciones V atendiendo a sus actos. La posteri-

    dad, le afila no respetando sus protestaciones V atendiendo a

    sus actos. La posteridad, 0 dlgase los sabios, eruditos y cri ti-

    cos futuros, procediendo con orden y logica, pondran a cada es-

    critor don de deba hallarse, y dividiran y clasificaran y consi-

    deraran a los mas claros genios como representantes de una poca

    literaria aSl se hara manana, porque aSl se hizo siempre . . AVJ

    deI autor a quien no reclame para si escueba alguna !II

    12. Ibid., page 38 : IIDe un fatalismo providencialista, hemos

    pa sadD a otro materialista. 1I

    13. Ibid., page 42 : IIS ometer el pensamiento y la pasidn a las

    mismas leyes que determinan la calda de la piedra ; conside-

    rar exclus ivamente las influencias f{sico-qu~micas, prescien-

    diendo hasta de la espontaneidad individual, es 10 que se

    propone el naturalismo V 10 que Zola llama en otro pasaje

    de sus obras IImostrar y poner de realce la bestia humana ll 1I

    14. Ibid., page 42 IIPor 16gica consecuencia, el naturalismo

    s~ obliga a no respirar sinD deI lado de la materia, a

  • - 51 -

    explicar el drama de l~ yida humana por medio del instinto ciego

    y la concupiscencia desenfrenada. Se ve forzado el escritor ri-

    gurosamente partidario del mtodo proclamado por Zola, a verifi-

    car una especie de seleccion entre los motivos que pueden deter-

    minar la voluntad humana, eligiendo siempre los externos y tan-

    gibles y desatendiendo los morales, !ntimos y delicados. u

    15. Yves Chevrel, Le naturalisme, Presses Universitaires de

    France, Paris, 1982, page 74.

    16. Boris de Tannenberg, l'Espagne littraire, (Portraits d'hier

    et d 'aujourd 'hui), Toulouse, 1903, page 304.

    17. Cuentos Tragicos, ~, T. l, page 1829 : "El Destino, cuando

    nos busca, sabe encontrarnos dondequiera que nos ocultemos."

    18. Cuentos Nuevos, O.C., T. II, page 1701: " - A ml me ha repe-

    tido mil veces que nada me saldrfa bien y que mi suerte sera

    funesta -"

    19. Les contes cits dans DU REFUS DU DETERMINISME SOCIAL A

    L'OPTIMISME CATHOLIQUE sont respectivement extraits de

    Otros Cuentos, o.C., T. l, page 1977.

    Cuentos de Amor, O.C., T. l, page 1354.

  • - 52 -

    Cu en t 0 s de laT i e rra ,~[J C., T. II, page 1706.----Cuentos drarnaticos, ~, T. l, page 1624

    Historias y Cuentos de Galicia, O.C., T. l, page 1553.

    Cuentos de Arnor, O.C., T. l, page 1318.

    Cuentos Nuevos, O.C., T. II, page 1621.

    -=-=-=-=-=-=-=-=-

  • CHA P l T R E III

    =0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=0=

    '1

    L'IDEALI~E EN QUESTION

    -=-=-=-~-=-=-=-=-=-=-=-=-

    LE RECIT A DEUX TONS: RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIqUE.

    REMINISCENCES ROMANTlqUE50U SIGNES AVANT-COUREURS DU MODERNISME?

    L'IDEALISME DES CONTES RELIGIEUX.

    -==0000000000000==-

    LE RECIT A DEUX TONS RESURGENCE DE L'IDEALISME ROMANTIQUE.

    Il arrive en effet trs souvent que le "ralisme"

    de Dona Emilia, command par un souci scrupuleux d~ dtail et

    de l'exactitude se trouve en contraste dans le corps d'un m~me

    rcit, avec l'expression de la plus tendre mlancolie et du plus

    vague idalisme de signe romantique. Cet trange dualisme n'avait

    pas chapp l'esprit critique de Menndez y Pelayo qui crivait

    " je continue croire, et bien d'autres avec

    moi, que chez Madame de Pardo 8az~n la posie, l'idalisme et

    l'inspiration chrtienne sont naturels et spontans tandis que

    le naturalisme est artificiel, postiche et appris." (1)

    Laissons de c~t les termes pjoratifs que Don

    Marcelino applique au "naturalisme" de la Comtesse et qui ne

    sont que l'expression de ses prjugs, pour retenir seulement

    ,.,

  • - s'-+ -

    dans sa phrase le constat de la curieuse dualit que nous signa-

    lions quelques lignes plus haut.

    Il est d'ailleurs fort possible que le phnomne

    "dpasse le cas personnel de Pardo Bazan et qu'il soit gnral

    tous les romanciers espagnols de sa gnration qui ne seraient

    jamais parvenus se librer entirement de la gangue romantique

    laisse dans leur esprit par leurs lectures de jeunesse. C'est

    bien ce que semble souligner Mariano Baquero Goyanes au cours

    l' " ., t t l XIX m ed une etude consacree preClsemen au con e espagno du

    sicle. En comparant les crivains Maupassant il affirme que

    les espagnols ne se sont jamais dpartis de certains procds

    romantiques :

    IIfVlaupassant - crit Baquero Goyanes - est un narra-

    teur sans truquages, sans effectismes, dont l'objectivit n'a pas

    son pareil parmi les auteurs de contes de son temps. Les espa-

    gnols sont gnralement plus passionns, plus ports chercher

    les dnouements surprenants . Il (2)

    Do~a Emilia tait bien consciente de cette dualit

    qui tait en elle et qui ne pouvait pas manquer de percer dans

    ses crits:

    liMai , comme dans mille autres occasions

  • - 55 -

    semblables, je pestais contre cette coquine de dualit qui est

    la mienne, contre cette complexit de mon tre qui, tout en me

    permettant de sentir la valeur inestimable de l'illusion poti-

    que m'oblige en mme temps l'analyser, et, par consquent,

    la dtruire Il (3)

    Parmi les multiples aspects que peut prendre ce que

    DOfla Emilia appelle 1I1'illusion potique ll se trouve l'vocation

    d'un pass idalis, gnralement le Moyen Age, tel que l'avaient

    dcrit les disciples de Walter Scott et qui par l'influence

    qu'ont lon~temps exerce leurs oeuvres, a gard un grand pouvoir

    de suggestion lyrique. Pardo Baz~n n I y chappe pas. Souvent dans

    ses contes cet idalisme historico-fantastique donne lieu l'mer

    gence dans le rcit de vieilles lgendes religieuses lies des

    dvotions ou des superstitions populaires mdivales au point

    que lion se croit revenu ce qu'on appelait en 1830 le II s tyle

    cathdrale ll Voici les premires lignes de El peregrino

    Il Il s son t loi n, b i en loi n, ces j 0 urs d e foi na ive

    qui ne nous sont voqus que par les pierres dores, par les

    licheffi et les rtables des vieilles glises o campent des

    figures mystiques. Il (4)

    Ce pass certes lointain et aboli peut nanmoins,

    parce qu'il a laiss ses traces sur les pierres et dans les ~mes,

    redevenir prsent ou se confondre avec le prsent. On ne saura

  • - 56 -

    jamais dans quel sicle est n le plerin qui, sur le chemin

    de Saint-Jacques, a demand un g!te ~un couple de vieux paysans.

    Ce plerin qui expie un horrible crime, qui a fait le voeu de

    dormir ~ la belle toile le reste de sa vie et de soupoudrer

    son pain de poussire avant de le porter sa bouche, d'o

    vient-il? Ne vient-il pas d'un trs lointain pass, condamn

    qu'il est poursuivre sans halte ni rpit son voyage ternel?

    Dans Siglo XIII l'annonce semble donner ce m~me

    ton au rcit qui va suivre:

    "Les mendiants professionnels m'intressent, m'atti-

    rent. Ils sont un reste du pass; ils sont aussi archaIques,

    aussi authentiques qu'un meuble ou qu'un mail " (5)

    Mais quelques lignes plus loin nous commenons

    nous apercevoir que la prose de notre romancire devient ironi-

    que :

    ,"Dans ce chemin qui va au petit village, ce chemin

    bord de chvrefeuilles en fleur qui embaument l'air, je rencon-

    tre, au pied du marronnier, un aveugle. Il possde tout de suite

    pour moi un peu de la posie mlancolique du crpuscule qui en-

    toure sa silhouette. Je crois pratiquer un sport du Moyen Age

    en lui donnant quelques pices de cuivre soit en passant devant

    la porte de quelque petit sanctuaire soit en m'arr~tant de broder

  • - 57 -

    une tapisserie alors que je suis assise sur le banc de pierre

    d'une fen~tre gothique. 1I (6)

    Inutile de souligner l'quivalence aum~ne = sport

    du Moyen Age ou les poncifs de la ch~telaine charitable qui

    s'arr~te devant le sanctuaire ou qui brode dans le creux d'une

    fen~tre ogive. Il n'y a pas de doute: l'auteur regarde d'un

    oeil moqueurces lettrs esthtes, dont elle est, et leur got

    pour l 'historicisme lI ar tiste ll Car cette fois l'analyse l'emporte

    sur l'idalisme brumeux. Si le mendiant professionnel qui hante

    les chemins de sa vieille Galice peut subsister c'est seulement

    parce que dans ces campagnes arrires et pauvres le paysan,

    exclu de tous les avantages de la civilisation moderne, ne con-

    na!t d'autres loisirs que les histoires de colporteurs et men-

    diants qui parcourent les chemins; lI e t qu'il trouve peut-~tre

    le seul plaisir de son existence obscure dans les runions de

    ces cratures dguenilles et factieuses, qui leur faon

    trouvent toujours le mot juste et moqueur, de ces routiers char-

    gs d'exprience qui ont appris sur les chemins toutes les nou-

    velles du pays. Il (7)

    C'est pourquoi le paysan ternel, immuable, ce

    paysan de tous les temps qui nia rien reu du sicle o~ il vit

  • - 5B -

    et auquel des sicles pa9Bs nlont lgu qu'un rude idal

    de charit chrtienne, apaise la faim du mendiant de passage

    et lui offre sous le hangar un sac de paille pour le repos de

    la nuit.

    "A deux pas de la civilisation voil~ comme sur

    une peinture mystique le foyer franciscain ouvert au mendiant." (8)

    Mais cette fois la "peinture mystique" a t expli-

    que, analyse dans son contexte qui n'est autre que ce que bien

    des annes plus tard Oscar Lewis devra appeler "l'anthropologie

    ou la culture de la pauvret."

    Par ailleurs, pour rendre sensible cette ambivalence

    prsent-pass, l'auteur se sert souvent dans les dialogues de

    ses contes d'un langage archasant qui pour tre vivant dans la

    Galice de son temps ne suggre pas moins l'cho des sicles

    r vol us. On y lit , en e ff e t des mot s co mm e :

    en de, estades (9), tenedes, onde (10),1vlstedes, vos ( 11) , metervos (12),sedes,

    veredes, sabedes, ~, callare (13)

    verdade (14) etc .

  • - 59 -

    Ce sont ~s paysans et les mendiants ternellement

    immuables qui s'en servent. Mais lorsque dans Siglo XIII la roman-

    cire semble se moquer de son r~ve II go thique li elle se sert ironi-

    quement cette fois de ses expressions archasantes chres aux

    romantiques telles que : doguiera,

    alpendre ou zanfona.(15)

    ,fenestra, moneda de vellon,

    Ces exemples l'aide desquels~ nous venons

    d'analyser le phnomne d'ambivalence que Dona Emilia appelle

    son dualisme n'puisent pas toutes les formes de rupture de

    ton que l'on peut relever dans ses rcits courts.

    Regardons de prs un exemple de double tonalit trs

    curieuse dans La gallega. L'auteur prsente dans la premire par-

    tie du conte la description d'un type humain, la femme galicienne,

    description b~tie la faon de l'ethnologue qui donnerait les

    traits physiques de la race ("grande taille, les yeux pers ou

    bleus, les cheveux ch~tains et abondants, le visage plein,

    aux pommettes plates, les lvres paisses . Il (16)) le

    mode de vie et les comportements ensuite, c'est--dire les moeurs

    et le caractre, rsultant du contexte socio-conomique dans le-

    quel elle vit. La pauvret de la rgion impose en effet aux

    hommes l'migration longue ou saisonnire qui a une grave rper-

    cussion dans la vie du couple. Le mari abandonne donc gnralemen"

  • - bU -

    sa femme et ne revient ~u foyer que de temps ~ autre pour lui

    faire un enfant. Sa vie solitaire oblige la galicienne ~ assumer

    les plus dures besognes. C'est ~ elle que reviennent le travail

    de la terre et le soin du btail ("ell e dfriche, sme, arrose,

    fait la rcolte, bat le lin et le tisse . " (17) ). Il lui incom-

    be galement d'lever les enfants et de s'occuper d'un grand-pre

    souvent grognard et despotique.

    Ce sont toutes ces raisons qui font de la galicienne

    une femme endurcie par la besogne incessante et pnible. Sa misre

    et son archasme sont illustrs par la description de l'intrieur

    de sa maison o elle partage la seule pice d'habitation avec les

    animaux domestiques, vaches porcs et poules, dont les excrments

    recouvrent p~le-m~le le sol.

    Mais aprs cet expos presque scientifique, nous

    tombons, le rcit avanant, sur l'vocation du folklore paysan

    dans le plus pur style "costumbrista" que n'aurait pas reni,

    un crivain postromantique comme Fernan Caballero. En effet,

    le costume populaire galicien, la danse traditionnelle et la

    musique rgionale y sont dcrits avec un enthousiasme esthticiste

    vident. Les jours de grande f~te voici la jeune galicienne

    garnie de ses atours les plus brillants : ch~le jaune canari

    ou rouge fonc, jupe vermillon sur jupon safran, chaussures de

  • - 61 -

    cu ira t taches av ec un-~-galon bl eu, foul a rd bl anc avec pro fu sion

    de ramages, lourd collier en filigrane d'or, longuesboucles

    d'oreille et coquilles d'argent qui retiennent le petit mantelet

    de soie verte Et cette masse de couleurs danse d'un pied lger

    la "muneira ll au son mlancolique du biniou et sous la pluie d'or

    et de rubis des fuses qui clatent dans le ciel d't.

    Nous avons l, en somme, une image pare de tout

    l'clat luxueux de la soie, du velours et des mtaux prcieux

    qui est l'oppos de la sombre silhouette de l'esclave de la

    terre bientet brise par les plus dures besognes que l'on nous

    prsentait quelques paragraphes plus haut. D'ailleurs Dona Emilia

    ne manquera pas, comme pour expliquer l'esthtisme idalisant de

    ce deuxime volet, de regretter que toutes ces beauts du folklore

    paysan qu'elle vient d'numrer soient en train de disparatre

    tout jamais

    IIV~tements, danses, moeurs, souvenirs qui, comme

    un vieux tableau, estompent et effacent les annes, disparaissent

    peu peu. 1l (18)

    Comment analyser cette veine lIidaliste ll qui par-

    court comme une stratification, discontinue mais constante, toute

    la masse de l'oeuvre narrative de Dona Emilia?

  • - 62 -

    -~

    REMINISCENCES ROMANTIQUES OU SIGNES AVANT-[OUREURS DU

    MODERNISME?

    "L'idalisme" en question peut s'expliquer, s'il

    appara!t dans des rcits anciens, comme un reliquat postromanti-

    que; par contre lorsqu'il se prsente dans un conte de la der-

    nire poque de la vie de Dona Emilia, il rejoint le courant

    europen du dbut du sicle dont le cas limite fut en peinture

    le pr-raphalisme.

    En tant que reliquat romantique, il visait mettre

    en valeur "les beauts potiques et morales" du christianisme

    selon la rece~te de Chateaubriand. Nous l'avons dj dit le

    "style cathdrale" fait irruption dans l'oeuvre de Dona Emilia

    toutes les poques de sa production.

    Mais il a plus. L'estampe postromantique brosse

    a une priode ancienne peut curieusement annoncer la vignette -

    enluminure chre aux crivains modernistes du dbut du XXemesi-

    cl e.

    Que l'on nous permette, pour tayer notre affir-

    mation, une analyse comparative de deux textes du m~me thme que

    nous rapportons en version originale

    "4 .... niLa Borgonona de Dona Emilia, conte de 1885, et

  • - 63 -

    ~lor de Santidad de Don1

    Ramon deI/

    VallE'-Inclan, de 1904. Le

    , -.J

    premier a pour herone "La Borgonona", lE' sE'cond Adeqa, toutes

    les deux voquE's comme des silhouettes fmininE's de vieille

    lgE'ndE'. RE'gardons chez nos deux crivains galiciens quelques

    points de similitude dans la dE'scription de ces protagonistes.

    "La Borgon'ona"

    sentada en un poyo ante

    la puerta de la granja, hilan-

    do su rueca.

    Adega (Flor de Santidad

    Sentada al abrigo de unas piedras

    clticas, doradas por l{quenes

    milenarios, hilaba una pastora ...

    i-nn la rueca.

    co po con mesura acompasada y

    lenta ...

    /el copo se abrIa y un

    tenue hilo, que asemejaba/de oro, partla de la rueca

    ligera al huso danzarfn.

    Velando el-v

    rebano, hilaba su

    Con las manos cruzadas,

    parecfa como en xtasis. (1C3)

    /Suspirando cruzo las manos

    sobre el candida seno como

    para cobijarlo y rezar. (la)

    Quant aux deux plerins qu'elles accueillent, les

    deux crivains leur prte1lt des traits bien semblables:

  • - 64 -

    "La Borgonona"

    Un sayal gris, que era todo el

    un puro remiendo, le r~figuarda

    ba mal del frIo.

    . Le condujo a una sala baja

    donde habla extendida paja fres-

    ca, y en seguida, volvindose a

    la cocina, intenta cenar.

    . , solo quedaba del misione-

    rD la senal de su cuerpo en la

    la paja donde habla dormido.

    . por el estrecho sendero

    abierto entre las vinas camina-

    ba despacio hacia la granja.

    traia la cabeza descubier-

    ta, desnudos los pies y muy

    matratados de los guijarros, y

    apoyabase en un palo de espi-

    no. (21)

    Flor de Santidad

    El sayal andrajoso del peregrino

    encendla en su corazon la llama

    de cristianos sentiITentos.

    En el fondo del establo habla

    una montana de heno, y Adega

    condujo al mendicante de la

    mano

    habla desaparecido, y solo qUE

    daba el santo hOYo de su cuerpo

    en la montana de heno .

    caminaba despacio y con

    fatiga por aquel sendero entre

    tojos.

    Las espinas desgarraban sus

    pies descalzos, y en cada

    gota de sangre florecla un

    liTio (22).

    Une si troublante ressemblance nous porte penser

    que, m~me dans le cas o Valle-Inclan - qui prenait son bien

    l~ o il le trouvait - s'est inspir de "La Borgo~ona" pour

    crire les premires pages de Flor de Santidad il fallait bien

    que le conte, dj~ ancien de Dona Emilia eOt de quoi inspirer

    un rcit moderniste. Le narrateur de "La Borgoiiona" prsente

    l'histoire comme un r~ve "gothique" qui l'a pour ainsi dire

    envoClt :

    " depuis que j'ai lu la miraculeuse histoire

  • - 65 -

    que je vais raconter (l~tssant de c~t~ tout scrupule et non

    sans introduire quelques modifications), je peux dire que j'ai

    vcu en compagnie de l'hrone, et que ses aventures m'ont sembl~

    comme une s~rie de vignettes de missel, bord~es d'or et de cou-

    leurs et capricieusement enlumin~es, ou comme un vitrail de

    cath~drale gothique, avec ses personnages v~tus de bleu-turquoise,

    pourpre et jaune d'amarante." (23)

    C'est le m~me prestige d'un pass~ id~alis~ par l'art

    que Valle-Inclan exprime par le truchement du narrateur dans

    FIor de Santidad lors de l'arrive du plerin prs du sanctuaire

    o Adega garde son troupeau d'agneaux

    "il paraissait ressusciter la pnitente dvotion du

    temps ancien au moment o toute la Chrtient croyait voir dans

    la vertu c~leste le Chemin de Saint-Jacques." (24)

    Le m~me procd de recul dans le temps, une fois

    pass au r~pertoire moderniste se transforme sous la plume du

    grand pote en prose qu'est Valle-Inclan, en une qu~te savante

    d'harmonie, de musicalit et de rythme laquelle aucune richesse

    ne serait trangre, richesse des couleurs et des formes, ri-

    chesse des matires somptueuses sensuellement ~voques.

    Le narrateur de la Comtesse s'extasiait dj devant

    un dcor de raffinement et de luxe :

    "La Borgo~ona vici una cama suntuosa, sitiales ricos

  • - 68 -

    Dans se~~nnes de jeunesse Do~a Emilia avait lu

    avec passion les grandes popes chrtiennes, de Dante Klops:tok

    en passant par Milton. Ses Nochebuenas (Nochebuena en el Infierno

    Nochebuena en el Purgatorio, Nochebuena en el Limbo) reprsentent

    l'cho un peu tardif de ces lectures et sa contribution au thme

    des ternelles demeures. Ecrites en 1891 - 1892, elles ouvrent

    la voie la srie de contes religieux que Pardo Baz~n ne cessera

    plus d'enrichir jusqu' la fin de sa vie.

    Si l'on ne s'en tient qu'aux sujets qu'ils dvelop-

    pent et que l'on ne les considre que globalement, on constate

    que ces contes religieux, tardiPs, s'organisent en trois groupes

    fondamentalement distincts.

    Le premier est la reprise savante du message vang-

    lique fait d'amour, d'humilit, de pauvret. Ainsi dans Jesusa,

    une enfant malade veut mourir sur la paille en mmoire de la

    naissance de Jsus, aprs avoir oblig ses parents donner la

    plupart de leur fortune pour soulager les misres et les souf-

    frances des pauvres.

    La seconde catgorie est plus symbolique. L encore

    Dona Emilia reprend le message biblique en y adaptant une leon

  • - bD -

    V una mesa preparadaBtln sus relucientes platos de estano ,

    sus jarras de plata para el agua y el vino, su dorado pan, sus

    bollos de especias y un pastel de aves y caza que ya tenta medio

    alzada la cubierta tostadita. lI (25)

    1Ce qui magnifi~ dans la prose de Valle-Inclan

    donne la description suivante :

    lIViv{an en capillas de plata cincelada, bordadas1de pedrerla como la corona de un rey." (26)

    Bref, des motifs no-romantiques prsents dj

    en 1885 dans l'oeuvre de Madame de Pardo Bazn rappara1tront

    dix-neuf ans plus tard dans la prose la plus caractrise du

    modernisme, celle de la premire priode Valle-Incln.

  • - tJ'j -

    de morale. Tel est le ~as de Jes~s en la Tierra o Jsus visite

    la demeure des mortels. Il n'y rencontre que des vilenies, la

    haine et la violence. Il voit aussi la religion des riches, la

    crche de No~l, vrai bijou pour enfants milliardaires, le rveil-

    lon de grand luxe, une vraie orgie paYenne plus raffine, qui

    est aussi celle qocSDffrent les pillards qui ont dpouill et

    achev les victimes d'un naufrage.

    "C'tait donc pour cette race l~ qu'il tait n

    dans une table et qu'il tai t mort sur une croix!" (28)

    Dans le troisime groupe, on evoque les cueils

    contre lesquels peuvent chavirer les ~mes de ceux qui aspirent

    la perfection par la voie de l'ascse. Ainsi El pecado de

    Yemsid, ce prince persan qui se laisse aller au pch de Satan,

    ~ l'orgueil. Son orgueil le perdra lorsqu'il voudra ~tre reconnu

    comme un dieu par ses sujets.

    Dans La penitencia de Dora, une belle pnitente qui

    s'est voue toutes les mortifications de la chair risque de

    se perdre lorsque le dmon la tente en rveillant dans son coeur

    des sentiments qui restent toujours latents sous la bure et le

    cilice: la nostalgie de l'amour conjugal et l'instinct maternel.

  • - 70 -

    Ce group~~e contes religieux comprend des rcits

    de miracles comme Vidrio de colores publi en 1899 dans BLANCO

    V NEGRO (nO 388) o l'on raconte celui d'un dominicain en mission

    dans le Midi de la France dvoy par l'hrsie et par la corrup-

    tion des moeurs.

    D'autres rcits retracent les origines des conver-

    sions survenues par l'irruption du surnaturel dans la vie d'un

    homme solitaire. Ainsi La mascara le hros raconte sa propre

    conversion ne d'un r~ve au cours duquel il a engag son dialo-

    gue avec la mort.

    Il faut toutefois remarquer que