Crise et communication

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TEXTES SUR LA CRISE publiés sur le site de François-Bernard Huyghe Crise : une notion contemporaine Tout est en crise, à commencer par la notion de crise. « Le mot "crise" hante donc notre vie quotidienne. Au hit-parade des utilisations, ce mot bat tous les records depuis la fin des années 1970. Son succès, la généralisation de son usage à tous les domaines, est sans doute l'un des grands événements de ces dernières années. En tout cas, un événement qui n'a rien d'innocent. C'est le signe en traduction simultanée d'une prise de conscience extraordinaire. » écrivait Serge July en Février 1984 dans un supplément de Libération accompagnant un livre et une émission intitulés Vive la crise . Mais, au fait, prise de conscience de quoi ? Que les trente glorieuses étaient finies ? Que l'alliance des progrès de la science et de l'augmentation du PNB ne garantissait pas automatiquement la sécurité et la prospérité ? De fait, le terme subit une inflation impressionnante. Les hommes du Moyen Age qui subissaient les grandes pestes et famines ne songeaient pas qu'ils étaient victimes d'une crise sanitaire, humanitaire ou alimentaire. Le terme apparaît dans notre langue pour désigner une situation militaire et/ou politique très préoccupante, menaçante et qui exige des mesures énergiques. Tandis que Montesquieu emploie le terme pour désigner de grands cycles historiques pouvant entraîner la chute d'une civilisation (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence). Et, pendant très longtemps le terme a été réservé à des événements graves : ainsi des tensions internationales pouvant déboucher sur une guerre (crise des Balkans, crise des missiles de Cuba). Ou encore, on parlait de crise pour désigner un changement majeur touchant une des grandes dimensions de la vie sociale et ayant souvent une dimension spirituelle : - crise de civilisation, - crise morale, - crise de la culture (titre d'un ouvrage de Hanah Arendt de 1961), - crise de la conscience européenne (titre d'un ouvrage de Paul Hazard de 1935), - crise du couple, - crise des générations, - crise de la modernité. Bref, il y avait crise lorsqu'un ordre immuable depuis longtemps et accepté par tous semblait menacé d'effondrement, de déclin ou de révolution. Ceux qui parlaient le plus de crise étaient sans doute les médecins et les économistes. Les premiers parce que, depuis les Grecs, la crise est le moment décisif d'une maladie, son paroxysme, sa phase aigüe. http://www.huyghe.fr version révisée le 16 avril 2010 1

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Crise est une notion si englobante qu’il devient plus facile d’énumérer ce qui n’est pas en crise que ce qui l’est. La définition la plus générale qu’on puisse en donner est la rupture brusque d’un ordre considéré comme normal (considéré, car il n’y a, au final, rien de plus normal que d’aller de crise en crise). Sur la communication de crise, les facteurs d'influence et de réputation, le Web .2...

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TEXTES SUR LA CRISE

publiés sur le site de François-Bernard Huyghe

Crise : une notion contemporaine

Tout est en crise, à commencer par la notion de crise.

« Le mot "crise" hante donc notre vie quotidienne. Au hit-parade des utilisations, ce mot bat tous les records depuis la fin des années 1970. Son succès, la généralisation de son usage à tous les domaines, est sans doute l'un des grands événements de ces dernières années. En tout cas, un événement qui n'a rien d'innocent. C'est le signe en traduction simultanée d'une prise de conscience extraordinaire. » écrivait Serge July en Février 1984 dans un supplément de Libération accompagnant un livre et une émission intitulés Vive la crise. Mais, au fait, prise de conscience de quoi ?

Que les trente glorieuses étaient finies ? Que l'alliance des progrès de la science et de l'augmentation du PNB ne garantissait pas automatiquement la sécurité et la prospérité ?De fait, le terme subit une inflation impressionnante. Les hommes du Moyen Age qui subissaient les grandes pestes et famines ne songeaient pas qu'ils étaient victimes d'une crise sanitaire, humanitaire ou alimentaire. Le terme apparaît dans notre langue pour désigner une situation militaire et/ou politique très préoccupante, menaçante et qui exige des mesures énergiques. Tandis que Montesquieu emploie le terme pour désigner de grands cycles historiques pouvant entraîner la chute d'une civilisation (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence). 

Et, pendant très longtemps le terme a été réservé à des événements graves : ainsi des tensions internationales pouvant déboucher sur une guerre (crise des Balkans, crise des missiles de Cuba). Ou encore, on parlait de crise pour désigner un changement majeur touchant une des grandes dimensions de la vie sociale et ayant souvent une dimension spirituelle : - crise de civilisation, - crise morale,  - crise de la culture (titre d'un ouvrage de Hanah Arendt de 1961), - crise de la conscience européenne (titre d'un ouvrage de Paul Hazard de 1935), - crise du couple, - crise des générations, - crise de la modernité. 

Bref, il y avait crise lorsqu'un ordre immuable depuis longtemps  et accepté par tous semblait menacé d'effondrement, de déclin ou de révolution.Ceux qui parlaient le plus de crise étaient sans doute les médecins et les économistes.

Les premiers parce que, depuis les Grecs, la crise est le moment décisif d'une maladie, son paroxysme, sa phase aigüe.

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Les seconds parce qu'ils étaient frappés dès le milieu du XIX° siècle par la régularité des dysfonctionnements de l'économie. La crise économique (qui se décline en crise bancaire, financière, de sur ou de sous production, etc.) est donc une perturbation d'un système complexe qui semble fonctionner voire globalement progresser. Joseph Garnier écrit en 1859, « les crises commerciales sont des perturbations soudaines de l'état économique naturel, et plus particulièrement des perturbations dans la fonction générale de l'échange aussi indispensable à la vie sociale que la circulation du sang l'est à la vie animale et individuelle ». En somme, une crise économique est un trouble de l'organisme social qui se dérègle : une tendance se retourne. Et, du reste, Marx fonde de grands espoirs sur les crises inhérentes au système capitaliste : elles amèneront à son renversement et à son remplacement par un système économique plus stable.Il y a donc crise quand un organe ou un organisme n'assume plus ses fonctions normales et quand il y grand danger qu'il s'effondre ou meure.

Si nous remontons plus haut, jusqu'à l'étymologie grecque, nous voyons bien toute la richesse de la notion de Krisis.Qu'il s'agisse de médecine, de droit ou de théologie, les Grecs pensent la cris à la fois un choix, une lutte et une décision.

Ainsi, il y a crise :- lorsque se dessinent deux possibilités décisives (guérir ou périr, par exemple)- lorsque deux tendances se combattent- lorsqu'il faut bien séparer ce qui est confus.

La Krisis met fin à la Krasis (la confusion) : elle prend même le sens positif du jugement qui distingue et rétablit un ordre. C'est un moment décisif d'un processus, celui qui le réoriente pour le meilleur ou pour le pire.

Revenons aux années 70. Que s'est-il donc produit qui ait si facilement convaincu nos contemporains que la crise est omniprésente et inéluctable ?

Les pistes sont si nombreuses qu'il faut se contenter d'en évoquer les plus évidentes :

- la conjonction de la première crise pétrolière, d'une crise économique (qui rend vraisemblable ce qui semblait inimaginable depuis la fin de la Guerre : le retour du chômage et la fin de la prospérité obligatoire) et enfin d'une première prise de conscience écologique (le rapport du Club de Rome qui évoque les fantômes de la croissance zéro, de la rareté et de l'effondrement général). Ce sont trois coups portés à  la confiance générale dans le développement technique, dans la croissance et dans les progrès de la science. Ce trois facteurs étaient censés mener vers un monde plus sûr et plus prévisible. La catastrophe redevient vraisemblable à rebours des idéologies optimistes qui prédominaient alors.

- comme pour illustrer les pronostics pessimistes, des catastrophes auxquelles les médias donnent un écho planétaire viennent inquiéter nos sociétés par ailleurs de plus en plus obsédées par la sécurité et le zéro risque. Il y a aussi prolifération objective des crises.

Ainsi pour les plus marquantes de la fin du vingtième siècle.

• 1967 le Torey Canyon pollue une large surface de côtes ; suivront d’autres marées noires : 76 Olympic Bravery, 76 Bohelen (ïle de Sein), 78 Amoco Cadiz, Exxon Valdez en 89 (il pollue 1.600 kilomètres de côtes)72 Talc Morhange : la mort de bébés empoisonnés76 Seveso  : un nuage de Dioxine79 Three Miles Island : cette fois c'est la peur de l'atome qui est réveilée

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82 Affaire des flacons de Tylénol qui provoquent sept morts : Johnson et Johnson doit rappeler 22 millions de flacons84 Bhopal : 3.000 morts en Inde86 Challenger : l'emblème même du progrès triomphant (la fusée, la navette, la conquête spatiale) s'autodétruit devant les télévisions du monde entier86 Tchernobyl : cette fois il y a des morts, des nuages toxiques...90 Affaire Perrier : la découverte de benzène dans les bouteilles de la célèbre marque96 Vache folle : cette fois c'est le risque d'être tous empoisonnés96 Eurotunnel : l'exploit technique du tunnel sous le Mont Blanc et le cauchemar99 Tempête en France : un pays développé peut être paralysé par un accident naturel. Au lieu de la crise du bug de l'an 2000, la tempête..

• etc...

Cette sensation d'insécurité rampante renvoie à un danger qui détourne les symboles mêmes du progrès (l'atome, l'énergie, l'industrie, les médicaments, l'alimentation pour tous par la grande distribution) tandis que reviennent des périls "archaïques" comme l'épidémie de Sida, équivalent moderne des grandes pestes. La notion de responsabilité à l'égard des générations suivantes, de "société du risque " (qui répartit non plus les richesses, mais le prix à payer pour le développement en terme de pollution, catastrophes...) contribuent à ce pessimisme général.

Désormais, toute organisation sociale ou entreprise est, a été ou sera en crise. Elle doit s’attendre un jour où l’autre à subir une crise soit par contrecoup (il se produit un attentat, une catastrophe naturelle ou des troubles dans des zones où elle exerce son activité), soit de son fait (elle a distribué un produit dangereux, il se produit un accident dans une de ses usines), soit par une mise en cause ou une révélation (un site Internet affirme que ses produits sont cancérigènes ou un article l’accuse de travailler avec un gouvernement qui viole les droits de l’homme), soit enfin parce que son histoire prend un tour spectaculaire ou dramatique (un conflit social s’aggrave, elle subit une OPA hostile, un rumeur boursière la déstabilise).

Crise est  une notion si englobante qu’il devient plus facile d’énumérer ce qui n’est pas en crise que ce qui l’est (de l’éducation ou des relations internationales, à la modernité et du logement à la filière bovine). La définition la plus générale qui s'en puisse en donner est  :la rupture brusque d’un ordre considéré comme normal (considéré, car il n’y a, au final, rien de plus normal que d’aller de crise en crise).

La crise c’est  la rencontre de l’incertitude et du désordre. Elle est davantage que l’événement qui la provoque et peut être aggravée et pérennisée par une mauvaise gestion et une perception inexacte voire tout simplement par la panique. Ainsi les crises internationales reposent en large partie sur la représentation de dangers futurs, les crises informationnelles sur la perte de confiance dans les mécanismes de contrôle, les crises financières sur des comportements individuels de fuite du risque, même si ces comportement sont collectivement dommageables, …Bref la crise est la perturbation d’un ordre supposé stable et prévisible, donc largement une affaire d’interprétation.

Marcel Mauss disait “ la crise est un état dans lequel les choses irrégulières sont la règle et les choses régulières impossibles. ».

La crise suppose 

- un événement (qui peut  être simplement le fait d’atteindre un certain seuil : il peut donc être qualitatif ou quantitatif)

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- d’origine interne ou externe- plus une certaine réaction d’un organisme physique ou social doté d’une conscience qui se traduit par un processus de perturbation.

Sa perception est très subjective : certaines communautés ou organisations fonctionnent avec des taux de perte ou de désordre considérables, dans d'autre cas, tout ce qui est inattendu devient crise.Une crise c’est toujours la rencontre d’un fait objectif, d’une interprétation/perception (ne serait-ce que le fait de percevoir et « proclamer » la crise) et d’une réaction de l’organisme ou organisation en crise. 

C’est la capacité collective d’inventer du nouveau dans une situation par définition atypique et imprévisible qui fera la différence.

Tout aléa, tout danger ou tout désordre ne suffit pas à constituer une crise ; elle ne commence que quand l’ensemble est affecté ou se sent remis en cause par un basculement des règles.De même, si beaucoup de crises résultent d’un risque qui survient (risque = une probabilité + un dommage), le risque est une notion extérieure, objective, tandis que la crise est forcément subjective, comme ressentie par un être ou un ensemble intelligent. La crise se reconnaît d’abord à ce qu’elle change notre façon d’éprouver la crise. Sans compter qu'il existe une catégorie particulière de risques : les menaces Elle suppose la rencontre entre, d’une part, une circonstance, un moment, tel un événement bien précis qui fait déclencheur et, d’autre part, une structure qui s’en trouve globalement perturbée. Mais le deux renvoient à une troisième composante : une interprétation, un capteur (p.e. dans l’organisme), un cerveau qui analyse, un centre de décision (comme, par exemple, une « cellule de crise »).

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Crise, information et risque

Dans le cas d’une organisation, et particulièrement une entreprise, il est impossible de séparer la notion de crise de celle d’information, et ce dans tous les sens de ce mot (donnés, nouvelles, savoirs, programmes…). Une crise mobilise des traces inscrites et conservées : on cherche immédiatement à comprendre comment cela a pu se produire, où est la faute ou est le dysfonctionnement à corriger. On interroge le passé pour trouver une solution ou déterminer une responsabilité. Et si l’entreprise s’aperçoit qu’elle ne peut garantir la traçabilité, ou qu’elle n’a plus accès à son propre patrimoine informationnel, bref qu’elle ne dispose pas des données nécessaires, la crise s'alourdit. Une crise se propage, s’aggrave ou se résout par la circulation de messages, qu’il s’agisse d’alerte, de panique, d’ordres ou de contre-ordres, de discours rassurants, de communiqués, d’interpellations. Leur portée, leur vitesse, leur adaptation ou leur capacité d’émerger du bruit ambiant sont des facteurs décisifs dans un sens ou dans l’autre. En corollaire, se pose la question de la détection de la crise (donc des « signaux faibles », donc de la vigilance pour détecter en situation de surinformation quels messages sont vraiment significatifs et valent alerte) Une crise est toujours crise de savoir : ce que l’on sait (ou ce que l’on aurait dû savoir), la façon dont on interprète des données éparses et parfois contradictoires en termes de danger et opportunité, la manière de donner forme à ses connaissances forcément parcellaires de la situation pour se projeter vers l’avenir. Une crise implique des informations sous forme de programmes ou d’instructions, bien ou mal exécutées qui en déterminent la genèse et la solution.

- Enfin et surtout une crise est toujours une crise d'image. La crédibilité de l'organisation en crise, sa réputation qui fait qu'on lui fait plus ou moins confiance pour dire la vérité, prendre les mesures appropriées, la perception qu'en ont les autres acteurs, la représentation qu'en donnent les médias.., autant de facteurs qui ne sont pas des conséquences mais des composantes de la crise. Et, bien sur, en retour la crise et son traitement auront un effet sur l'image qui émanera de cette organisme ou entreprise, y compris auprès de ses membres. Il y a crise (ou sentiment de crise) quand on ressent que « plus rien ne sera comme avant » : elle porte sur la nature même de l’organisation qui peut en être modifiée, ou du moins sur le fonctionnement de ses règles qui sera remis en cause au présent et dans son avenir.

Cela n’a de sens que par rapport à la notion de norme, de routine, de prévisibilité, de code.D’où la question de l’issue de la crise. 

Elle se transformera en danger durable ou opportunité  ( principe du :  ce qui ne me tue pas me rend plus fort) pour l’organisme tout entier

En même temps, il faut distinguer la notion de crise de celle de risque (même si la seconde est presque toujours la conséquence du premier).Le risque est la rencontre d'une probabilité avec un dommage : tel ou tel événement malheureux a plus ou moins de "chances" de se produire.

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Initialement le risque est l’écueil qui menace les navires, puis prend le sens d’un danger imprévisible et exclusif de la faute humaine. Le risque, exalté par la philosophie libérale comme rançon du succès, se manifeste souvent sous la forme de l’accident, du malheur qui survient de façon brusque, et surtout de l’accident industriel. La multiplication des machines, des vitesses, des forces en action, des contacts humains, des innovations…, semblent d’abord nécessairement porteuse de la possibilité de tels malheurs. Elles s’ajoutent aux risques inhérents à la vie : maladie, chômage, vieillesse…

Mais cette possibilité peut être réduite de deux façons Soit par la prévoyance (que l’on recommande particulièrement aux classes pauvres pendant longtemps) renforcée par la prévention (perfectionnement des moyens d’agir sur les causes des risques). Soit le risque dont on sait qu’il est soumis à des règles de probabilité peut être mutualisé et assuré (que ce soit par l’individu ou par l’État Providence). Une grande partie de notre système de protection sociale est fondé sur la seconde solution et sur sa logique qui est celle de l'assurance : le risque plus ou moins statistiquement prévisible et plus ou moins destiné à diminuer avec le progrès peut être réparti pour être supportable. Ou au moins compensé en partie.

Vers la fin du XX° siècle se propage la notion du « zéro risque » . Nos sociétés qui sont objectivement de moins en moins dangereuses souffrent pourtant d’une perception subjective ou d’une aversion au risque que ne connaissaient pas nos ancêtres qui vivaient bien moins longtemps et considéraient épidémies, guerres ou accidents comme choses presque naturelles

Notre société s’est donc longtemps placée dans une perspective de protection croissante des individus, de maîtrise de la techno-science et de prédictibilité. Or voici qu’il est question d’une culture ou d’une société "du risque", comme si, après la répartition des biens (sociétés industrielles libérales contre sociétés communistes) ou après la répartition de l’information (cela ce fut le bref fantasme de la société dite du savoir), la question cruciale était celle du partage de l’insécurité et du malheur entre les pays, les générations ou les individus. Du triomphalisme (demain un monde meilleur…) à l’idéal du moindre mal : le moins de danger, le moins de discrimination, le moins de contrainte, le moins de perturbation des équilibres naturels ou autres.

Pour une part, cette évolution s’explique par des facteurs objectifs, notamment de spectaculaires catastrophes « révélatrices » des années 80/90, mais elle reflète aussi une évolution des esprits : aversion au risque, obsession de la figure de la victime, judiciarisation des rapports sociaux. Notre perception du risque et de sa réalité est largement déterminée par les médias et par l’influence de groupes d’experts ou d’autorités morales : elle constitue un enjeu politique majeur.

Cela soulève trois paradoxes, notamment à travers les controverses qui entourent la notion de précaution :

-          Un paradoxe du temps : celui de la décision et de l’urgence s’oppose au temps long, de la chaîne des conséquences enchevêtrées, surtout dans le domaine écologique ou celui des conséquences sur la santé (cf l'amiante). Notre monde de l’éphémère est aussi obsédé par la crainte du futur envisagé comme remords virtuel.

-          Un paradoxe cognitif : notre exigence de prouver, si possible en amont, l’innocuité de toute action entreprise s’oppose à la complexité du futur, une complexité que la science augmente plus qu’elle ne la diminue. Nous pensions que nous irions vers la réduction de l'incertitude par la science, nous découvrons à la fois que la science est porteuse de risque et qu'elle n'est pas toujours en mesure de prédire les dangers futurs qui résultent des innovation.

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-          Un paradoxe éthique : le crainte d’être complice d’un dommage ou d’une violence, fut-ce par ignorance devient une valeur cardinale. Or cet idéal du respect et de l’innocence fait regarder tout aléa comme un scandale, mais dans la mesure où il suppose un contrôle accru, il mobilise une puissance technique qu’il dénonce par ailleurs.

Mais tout cela implique un quatrième paradoxe : l'aversion au risque, la recherche de la précaution ou de la réduction du risque sont intrinsèquement source de crises.

Plus nous sommes conscients des risques, plus nous abaissons le seuil de ce qui paraît inacceptable ou scandaleux, plus nous sommes déterminés à supprimer les facteurs qui peuvent déclencher le risque ou nous efforçons d'en atténuer les conséquences, plus nous sommes obsédés par la sécurité, plus nous multiplions les systèmes d'alerte, plus nous accroissons la probabilité des crises allant depuis la réaction d'une organisation qui se sent menacée dans son image et sa réputation jusqu'à une franche panique.

Nous systèmes sont mal préparés aux risques qui nous préoccupent désormais prioritairement : des catastrophes, des ruptures brusques d’un ordre stable. Dès la fin des années 70, Seveso (76), l’Amoco-Cadiz ou Three Mile Island (78) changent les mentalités. Les risques technologiques majeurs (même si, dans ces trois cas, il n’y a eu aucun mort) passent vite  au premier plan.

Leur première caractéristique est leur imprévisibilité en dépit de la multiplication des systèmes d'alerte. 

La seconde, d’impliquer à un degré ou à un autre la faillite d’un système de contrôle, de suivi (et d’information du public sur la vérité des dangers encourus). 

Les nouveaux risques sont pour une large part informationnels. Après coup, il semble évident qu’on aurait dû calculer, qu’on ne pouvait pas ne pas prévoir, mais avant personne n’avait rien vu venir. Dans tous les cas on exige le  renforcement de mécanisme d’évaluations, sécurisation traçabilité, en attente d’une autre catastrophe qui prouvera à son tour l’impossibilité du zéro défaut et nourrira le sentiment –pourtant terriblement subjectif – d’une fragilité générale.

La peur de l’accident de type Seveso, Tchernobyl, ou de l’épidémie (Sida, vache folle…) se propage... Encore faudrait-il relativiser le point de comparaison : les pestes médiévales, les accidents industriels du XIXesiècle ? 

Les nouveaux risques qui nous préoccupent tant, à tort ou à raison, présentent des caractéristiques :

• - Ils sont liés à des inventions scientifiques (OGM, énergie atomique) ou à la découverte de relations causales jusque-là inconnues (HIV et le SIDA, prion et la maladie de Creutzfeldt-Jakob). Du coup, le tribunal du risque convoque la science à plusieurs titres : parfois comme plaignante (lorsqu’elle révèle ou mesure un risque encore imperceptible au sens commun), souvent comme accusée (elle a produit des monstres ou minimisé des dangers), comme enquêtrice (on lui demande de chiffrer le risque ou au moins d’en confirmer la possibilité) et comme réparatrice (elle doit produire des solutions).

• - Il ne s’agit pas de calculer une probabilité, sur la base de séries statistiques avérées comme, par exemple, nous pouvons estimer nos « chances » d’avoir un accident de voiture, ou d’attraper un cancer en fumant voire les risques

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qu’un système de surveillance subisse une défaillance. Le doute porte sur une relation de causalité, sur l’existence du risque et non sur la répartition statistique de fréquences observables ni sur des corrélations t quantifiables. La viande anglaise propage ou pas la maladie de la vache folle, il y a ou pas déforestation pour cause de pluies acides ; et il faut choisir. C’est la possibilité qui est douteuse, pas son degré de vraisemblance.

• - -La question se pose souvent de façon binaire : faut-il ou non laisser faire, tel produit est-il ou pas cancérigène ? Du coup, il entraîne une exigence de réponse immédiate (interdire ou pas la diffusion de sang qui pourrait être contaminé, par exemple) à des questions déterminées par un futur non-maîtrisable. Par contraste, les conséquences se révèlent soit  définitives (puisque irréversibles), soit excédant par leur durée, leur complexité et leur enchevêtrement toute capacité de calcul. Et les interactions écologiques se combinent avec les effets d’inertie de la technologie : celle-ci, tel un anti-choix ferme des possibilités d’alternative ou de retour à mesure qu’elle se développe. La chaîne des conséquences s’allonge et raccourcit celle des interventions et des anticipations.

• - Ce monde hypothétique est en outre controversé : ni les théories scientifiques, ni les points de vue des acteurs ne sont unanimes.

• - La répartition du risque est tout sauf égalitaire. C’est vrai dans le temps (pour les générations futures) et dans l’espace : le pays X peut souffrir de la pollution produite par le pays Y, ou encore la délocalisation renvoie les dangers là où on n’en retire guère de profit. Le partage de la catastrophe est aussi discuté que sa vraisemblance.

Résultat paradoxal :  l’ignorance des conséquences semble proportionnelle à leur gravité. La prudence scientifique répugne à exclure toute possibilité de catastrophe. D’où la tentation d’exiger le renversement de la preuve : ne plus considérer l’absence de démonstration d’un danger comme un indice d’innocuité ou comme permission de faire, mais exiger la certitude que le scénario du pire est impossible. 

Poussé à l ‘absurde, cela équivaut, avant toute initiative, à attendre la démonstration de l’absence de toute possibilité d’un effet négatif même indirect. Une telle preuve est impossible à administrer, à la fois parce qu’il faut bien arrêter quelque part la chaîne des conséquences envisagées sous peine de fuite vers l’infini, et parce qu’il n’y a pas moyens d’échapper au problème de la connaissance future. La réduction d’incertitude à venir, ou la contestation ultérieure des hypothèses de départ, la vraisemblance de l’interférence de facteurs encore à venir, l’éventualité de découvertes de la techno-science, tout cela constitue un cycle affolant. 

La douteuse suffisance du prophète de bonheur justifiait sa direction éclairée ; l’incertitude assumée du prophète de malheur lui confère un droit de censure. Dans les deux cas, l’instabilité du présent devient un motif de le confier à un avenir inconnu. Et les stratégies de l’information, y compris les plus manipulatoires, prolifèrent à mesure que s’éloigne l’espérance d’une calculabilité générale.

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Crise et technologie

Notre société s’est longtemps pensée dans une perspective de protection croissante des individus, de maîtrise de la techno-science et de prédictibilité. Or voici qu’il est question d’une société «du risque», comme si, après la répartition des biens (sociétés industrielles libérales contre sociétés communistes) ou après la répartition de l’information (cela ce fut le bref fantasme de la société dite du savoir), la question cruciale était devenue celle du partage de l’insécurité et du malheur entre les régions, les générations ou les individus. Du triomphalisme (demain un monde meilleur…) à l’idéal du moindre mal : le moins de dangers, le moins de discrimination, le moins de contrainte, le moins de perturbation des équilibres naturels ou autres. 

Pour une part, cette évolution s’explique par des facteurs objectifs, notamment de spectaculaires catastrophes « révélatrices » des années 80/90 (Bhopal, Seveso, Tchernobyl…) mais elle reflète aussi une évolution des esprits : aversion au risque, obsession de la figure de la victime, judiciarisation des rapports sociaux, refus d’accepter les lois de la fatalité ou de considérer que « c’est le prix à payer pour le progrès » comme l’ont fait les générations précédentes, poursuite du zéro risque et de la transparence absolue. 

Le tout engendre sans doute une anxiété permanente Et un sentiment de fragilité que viennent sporadiquement raviver de grands traumatisme télévisés planétaires comme le 11 Septembre ou le tsunami. Pour ne prendre que ce dernier exemple, comparons nos réactions à celles des hommes des Lumières. Quand se produit le tremblement de Terre de Lisbonne en 1755 avec des dizaines de milliers de morts, Rousseau se demande si nous n’avons pas tort de créer des villes au lieu de vire de façon bucolique et Voltaire si ce n’est pas là une réfutation philosophique de la foi en la Providence. Quand se produit le tsunami du 26 décembre 2004, chacun met en cause la mondialisation qui concentre les activités touristiques dans des zones à risque, le manque d’information des populations, l’absence d’un système technologique fiable, le manque de préparation à la crise… 

Ce changement de mentalité se traduit notamment par des formes de pratiques militantes ou quasi militantes : non plus agir collectivement pour créer le meilleur des mondes, mais être vigilant au quotidien contre les scandales, les abus, les atteintes. Veiller, dénoncer, discuter ou vérifier les discours rassurants des experts, se mobiliser autour d’événements précis, non plus contre le Système en général, mais contre des responsables comme des marques responsables d’un accident ou d’une pollution. Ne pas nécessairement chercher à prendre le pouvoir ou à appliquer un programme, mais sanctionner les dysfonctionnements quotidiens, imposer des exigences de résultat à tous les détenteurs d’un pouvoir, y compris un pouvoir économique…

  L’émergence de ces contre-pouvoirs (de la nébuleuse altermondialistes avec ses rassemblements mondiaux à la simple association de quartier ou de consommateurs apolitiques) n’est pas seulement un phénomène sociologique (ou idéologique). C’est aussi un phénomène technologique : qu’il s’agisse de transmettre rapidement l’information (y compris une information technique faisant l’objet d’une véritable expertise), de se rassembler ou de se mobiliser, d’amplifier une demande ou une protestation, les nouveaux contre-pouvoirs tirent le meilleur parti des moyens de communication high tech. Un groupe de pression qui défend des intérêts (y compris des intérêts moraux ou idéologiques), un réseau mobilisé sur une cause unique (ou plus exactement contre un adversaire unique) sont infiniment mieux adaptés à cette

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nouvelle donne qu’une entreprise à priori hiérarchisée et censé parler d’une seule voix.

Et cela dans un monde où la combinaison « numérisation des informations + circulation sur Internet » rend illusoire toute ambition de censurer ou simplement contrôler les informations sur un sujet, qu’il s’agisse du décès de deux mangeurs d’huître (qui en réalité sont mort de tout autre chose) ou des conditions de la pendaison de Saddam Hussein. Du coup se dessinent de nouveaux pouvoirs comme celui des « e-influents » (ceux qui savent attirer l’attention des internautes et susciter un mouvement de contagion de l’information) et des « rumoristes » (les lanceurs de rumeurs sur le Net). Il se développe d'ailleurs tout un secteur d'affaires, pour ne pas dire un métiern consacré à la "e-réputation" ou l'identité "numérique" des organisations ou des entreprises ; le but est de repérer les sources possibles de "buzz" négatif, les "e-influents", les lieux (numériques) où se confrontent les avis, où s'expriment les jugements, où se diffusent les bruits et révélations à propos d'une entreprise.

Parallèlement, notre perception du risque et de sa réalité est largement déterminée par les médias et par l’influence de groupes d’experts ou d’autorités morales : elle constitue un enjeu politique et nourrit des débats incessants. Les thèses les plus contradictoires circulent et les évaluations du danger (et donc les mesures prises) contribuent souvent à ce qui apparaîtra avec le recul comme une panique disproportionnée (que l’on se souvienne des anticipations apocalyptiques sur la vache folle ou la grippe aviaire). Dans cette perspective, l’entreprise se trouve placée sous des feux croisés. Elle ne peut plus se contenter de dire qu’elle remplit sa fonction principale – produire et vendre, être performante , et proclamer tant qu’elle respecte les lois et les normes (sanitaires, sécuritaires, sociales ou autres), le reste ne la concerne pas. Elle ne peut pas non plus se contenter de se dire « citoyenne », responsable, éthique, de s’impliquer dans le développement durable ou la bonne gouvernance, de signer des chartes, de se faire noter et certifier, de respecter des normes…. 

Elle doit se préparer à la communication de crise. Toute entreprise doit s’attendre un jour où l’autre à subir une crise soit de son fait (elle a distribué un produit dangereux, il se produit un accident dans une de ses usines), soit par contrecoup d’un fait générateur qui la touche indirectement (il y a un attentat, une catastrophe naturelle ou des troubles dans des zones où elle exerce son activité) soit du fait d’une mise en cause ou d’une révélation (un site Internet affirme que ses produits sont cancérigènes ou qu’elle est complice d’un gouvernement qui viole les droits de l’homme dans un pays où elle produit), soit parce que des épisodes de son histoire prennent un tour spectaculaire ou dramatique (un conflit social s’aggrave, elle subit une OPA hostile, un rumeur boursière la déstabilise.

La notion de risque d’opinion ou de réputation est devenue centrale.

La « vieille » communication de crise était surtout l’art de rassurer les salariés et les acteurs les plus concernés sur le terrain, de bien se coordonner pour éviter la cacophonie, d’envoyer des communiqués argumentés avec des données vérifiables et de ne pas faire de gaffe pendant une conférence de presse ou une interview télévisée. Si l’entreprise avait suffisamment pratiqué des exercices de simulation et s’était dotée de bonnes procédures pour avertir les clients ou rapatrier les pièces défectueuses, cela devait faire l’affaire. En principe du moins… La gestion de crise consistait en grande partie à gagner du temps.  

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Désormais, en cas de crise, Internet joue plusieurs rôles :

- prolifération des lieux d'expression communautaire

- décentralisation et démultiplication de la crise qui devient sinon mondiale, du moins visible de partout et où chacun peut intervenir de partout

- difficulté d’identification des sources primaires

- évaluation, débat, suffrage s'engendrant mutuellement dans une spirale du commentaire sans fin

- accélération de la circulation de l’information, rumeurs et désinformation comprises

- concurrence des médias officiels (qui souvent « courent derrière » le Net) mais s'y mêlent aussi

- prolifération des sources tels les blogs ou sites personnels et prime à la source d’information rapide et innovante

- nouvelles formes d'expertise collective 

- réactions souvent intenses des communautés virtuelles 

- enfin fonction archive de la Toile : la conservation des traces de la crise (y compris des déclarations ou activités que l'on préférerait oublier).

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Le web 2.0 en particulier joue un double rôle à la fois faciliter et relier

Faciliter :

  À chaque stade d'une crise (surtout de réputation ou de e-réputation), on peut constater combien la technologie a joué un rôle accélérateur ou simplificateur (mais c'est probablement la même chose) :

- les internautes sont plus vite mis en alerte ; ils ont accès en temps réel à des sources de documentation qui semblent inépuisables. Chacun peut devenir (ou a l'impression de devenir) un enquêteur ou un expert. L'incroyable disponibilité des données est un puissant stimulant au journalisme citoyen ; elle incite quiconque s'est fait une opinion ou connaît un fait à vouloir les faire connaître instantanément (sans forcément prendre le temps d'effectuer les procédures de vérification ou respecter les délais de réflexion et d'intégration, comme sont censés le faire de vrais experts ou professionnels)

- au stade de la mise en forme (et de la mise en ligne), chacun dispose de moyens inimaginables il y a dix ans, comme par exemple de mettre gratuitement en ligne une vidéo théoriquement susceptible d'être vue de n'importe qui sur l'instant

- le problème de la diffusion, autrefois génératrice de coûts, de délais, de structures lourdes, etc., est maintenant théoriquement réduit à zéro : tout est accessible de partout. Évidemment, cela implique - comme nous l'avons souvent rappelé - que le vrai pouvoir est moins devenu le pouvoir de dire ou de montrer que celui d'attirer l'attention, la ressource la plus rare sur la Toile pour cause d'offre surabondante.

Relier :

Sans tomber dans les excès de la mode du Web social et sans prêter une vertu démocratique et créative infinies aux "foules intelligentes", il faut bien comprendre la dimension d'échange et de relation inhérente aux réseaux. Celle-ci ne consiste pas seulement à créer des agoras où des communautés pourraient trouver un terrain d'expression et de débat. Elle instaure un régime de participation à chaque stade : indexation, recommandation, vote, reprise et commentaire, évaluation constante...

Les "communautés" ainsi rassemblées sont changeantes, ayant des objets et des degrés d'engagement très variables, mais toujours en proie à une activité inlassable.

Face à cela , l’indispensable cellule de crise doit trouver sur Internet les relais indispensables qui permettront d’anticiper, simuler et traiter, donc :

- déceler en amont les signaux faibles d’une attaque ou d’un mouvement d’opinion

- repérer à l'avance les sources d'influence et d'expertise

- tester des scénarios d’incident et de développement de crise

- apprendre et simuler des réactions pertinentes

- contrôler ses propres circuits de transmission interne et sa faculté de coordination en situation d’urgence

- s’assurer de la disponibilité des données et ressources en cas de problème

- identifier préalablement les relais d’opinion importants et les réseaux susceptibles de réagir

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- savoir les atteindre et par eux l’opinion en général (ou les opinions internes, externes, locales, internationale, médiatique, institutionnelle, professionnelle…) notamment en  disposant d'un moyen d'exrpression pertinent, fiable, réactif, bien référencé, attractif, accessible… et qui, accessoirement, serve à occuper le terrai avant la bataille

- analyser la perception de l’événement une fois produit et suivre son évolution

- pour enfin, et seulement enfin, activer le processus  au jour J afin de fournir un bon relais à la communication de crise, coordonner les réponses et accélérer la vitesse de réaction.

La nouvelle communication doit intégrer les caractéristiques du Net en termes de :- seuil d'alerte ou de déclenchement- vitesse de circulation - capacité de mémoire et de stockage donc traçabilité - facilité d’accès de tout lieu - chute des coûts d’édition et facilité de propagation- instabilité ou capacité de modification constante - formation et recomposition d'une multitudes de collectifs en ligne (qu'il s'agisse de commenter, indexer, discuter, citer, interpeller....)- caractère incontrôlable de l’expression (« tous journalistes, tous éditeurs ») - circulation parfois erratique de l’information par des réseaux de « contagion » - émergence de nouvelles niches de pouvoir (le pouvoir d’indexer, le pouvoir de diriger l’attention…) - création collaborative ou intelligence collective - nécessité de raisonner en terme d’interactivité et d’hypertextualité sur le Net - vulnérabilités technologiques - capacité de caisse de résonance du Net

Mais le problème numéro un reste culturel.

Il est très utile de s'équiper en Wikis, forums, logiciels de chat, Web « noir » (sites qui sont créés avant l’événement et restent invisibles , pour être disponibles sur le champ le jour où la crise éclate vraiment), Intranet et listes de diffusion. Il est excellent de s’abonner à des services de veille pour détecter à la naissance les dangers de réputation ou repérer les crises en puissance. Mais les facteurs décisifs reste l’adaptabilité et la capacité de décision. Une crise c’est toujours la rencontre d’un fait objectif, d’une interprétation/perception (ne serait-ce que le fait de percevoir et « proclamer » la crise) et d’une réaction de l’organisme ou organisation en crise. C’est la capacité collective d’inventer du nouveau dans une situation par définition atypique et imprévisible qui fera la différence. À tous les stades – formation, sensibilisation et exercices de simulation, veille pour la détection précoce, mise en place d’une structure d’alerte avec messagerie efficace, décision du type de gestion de crise, identification des parties intéressées, mise en place de documentation et réponse aux premières questions, etc., etc.) les technologies peuvent faire gagner du temps, de la coordination, des éléments de jugement, de la visibilité, de l’écho mais selon la vieille formule « il n’est pas de vent favorable pour le capitaine qui ne sait pas où il va». La stratégie doit prédominer sur la technologie.

À l'heure des blogs, du "web 2.0" et de la prolifération des nouveaux médias, la détection, l'impact, le traitement par les organisations, mais aussi la compréhension de ce qu'est une crise changent totalement.

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Le rôle des TIC

La nature des techniques de l’information impliquées dans une crise est donc fondamentale. Elles interfèrent à tous les stades • Mobilisation des mémoires (archives, traces, reconstitution du passé) • Propagation des alertes • Contamination des paniques • Multiplication des instructions • Prolifération des interprétations • Anticipation des scénarios (évaluation des conséquences et des développements). • Et, bien sûr, réaction à la crise (comme elles auraient dû jouer au stade de son décèlement précoce)

Dans tous les cas, interviennent des instruments et des vecteurs destinés à garder, traiter et diffuser de l’information. Ce sont d’abord des techniques matérielles, des outils (des ordinateurs, des téléphones, des journaux, des blogs…). Il importe d’en comprendre la logique : une crise à l’heure du communiqué de presse et du tract syndical ne se développe pas comme sur un Wiki ou un forum : Mais ce sont aussi des techniques intellectuelles, des façons de faire efficaces.

Certaines disciplines sont ainsi mobilisées : 

• La rhétorique ou art d’agir sur les gens pour les persuader par des discours efficaces, des images, des symboles. Tout dépendra souvent de l’autorité d’un mot, de l’influence d’une déclaration. • La logistique ou art d’agir sur les moyens pour en disposer au moment juste n’est pas moins importante. Qu’il s’agisse de la logistique des objets (combien de crises éclatent ou s’aggravent parce que l’outil ou le matériel qu’il fallait n’était pas là quand il fallait ?), ou de la logistique des signes, la façon de disposer ou de rendre accessibles les informations nécessaires et efficaces. • Nous serions tentés d’y ajouter une troisième discipline (elle aussi riche en connotations qui évoquent lutte ou guerre) : la balistique ou art de calculer les trajets. Les mots et les images eux aussi ont besoin d’une balistique pour parvenir où il faut et y gagner tout leur efficace.

L’impact des technologies de l’information sur les crises contemporaines n’a échappé à personne. Il est le plus souvent pensé en termes de « plus » : il y a plus de moyens d’expression, plus de médias, accessibles à davantage de gens (citoyens, consommateurs, salariés, investisseurs, experts, ONG, autorités et autres parties prenantes). Ils sont plus rapides, plus commodes, plus accessibles de partout ; il y a plus de sensibilité, de réactivité, de vigilance avec plus de moyens de savoir, d’alerter, de publier, de dénoncer. Le tout plus vite et plus souvent. Il faudrait donc réagir plus rapidement, être plus transparents, plus vigilants (pour détecter les signaux précoces de la crise), etc. Tout cela comporte une grande part de vérité. Mais l’emballement ou la prolifération des crises ne sont pas seulement le résultat mécanique de plus de visibilité combinée avec plus d’expression. Le changement provoqué par les nouvelles technologies n’est pas seulement quantitatif, il est structurel. Ce n’est pas seulement la même chose à un autre rythme ou à une autre échelle. Les crises ne sont pas seulement sous la loupe grossissante de médias, leur nature dépend d’un nouveau mode de circulation et de transmission et reflète la rencontre de nouvelles fragilités et d’une nouvelle complexité. Les technologies numériques suscitent de nouvelles vulnérabilités (notamment celles des systèmes d’information, mais aussi la fragilité des « réputations »), elles suggèrent de nouveaux usages, parfois agressifs ou intéressés, qui tendent à susciter ou exploiter les crises.

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Elles provoquent des mises en scène et des dramatisations adaptées à une société qui se voudrait « zéro risque». 

• Elles provoquent de nouveaux emballements et confèrent de nouveaux pouvoirs, telle la « e-influence » qu’acquièrent certains en dirigeant l’attention des internautes. Elles suggèrent de nouveaux modes d’organisation des communautés impliquées, notamment des réseaux protestataires.

• Elles jouent en faveur de formes de médiation et en rendent d’autres obsolètes.

• Elles transforment les mentalités ; elles incitent à pratiquer une démocratie de vigilance et de protestation qui ne vise pas à prendre le pouvoir, mais à le contrôler et à lui imposer ses exigences.

• Elles changent les règles du temps (urgence et instantanéité), celles de l’espace (il n’y a plus de proche et de lointain : tout est en connexion avec tout).

• Elles changent les règles du savoir (les vieux monopoles de l’information sont bouleversés) et du pouvoir ( surtout celui de la hiérarchie managériale ou des intermédiaires traditionnels, vite débordés), en les répartissant différemment.

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Crise, entreprise, médias

 Dans beaucoup de cas, la première manifestation de la crise pour une entreprise est une confrontation douloureuse avec la presse. Il est bien connu qu'une mauvaise gestion des rapports avec les médias surtout dans les premières heures peut l'aggraver.

• Discours triomphalistes imprudents,• promesses impossibles à tenir,• propos optimistes qui seront démentis quelques heures après,• chiffres invérifiables que rien ne permet de justifier,• couacs au sein de la même entreprise qui fait des déclarations contradictoires,• image d'indifférence à la souffrance des victimes,• mauvaise appréciation de l'impact de la crise,• refus de communiquer qui entretient la suspicion,• excès de communication qui, au contraire, risque de produire l'inverse de

l'effet recherché• imprécisions alimentant les rumeurs• confusion qui nourrit l'impression que l'on cache des choses beaucoup plus

grave • phrases vagues qui se prêtent à toutes les interprétations,• considérations mal argumentées sur les responsabilités (qui feront

immédiatement penser que l'entreprise cherche à se défausser ou à trouver des boucs émissaires),

• ou tout simplement mauvaise prestation télévisuelle d'un dirigeant qui donnera une impression de flou, de culpabilité, d'hypocrisie, d'arrogance (même s'il est le meilleur type du monde hors caméra)...

• la liste est longue des maladresses bien connues.

«La crise, c'est 85 % de mauvaise communication ;  le manque de réactivité de l'entreprise est le principal facteur de crise : plus elle va vite, moins il y a de crise», comme le notait une étude de Euro RSCG& Co faisant un bilan de la communication sensible. Mais de nombreuses erreurs résultent aussi d'un excès de hâte et des gaffes faites dès les débuts de la crise, des phrases, des déclarations, des impressions qui déterminent toute la suite du traitement de l'affaire par les médias. Notamment dans le domaine de la recherche des responsabilités.

Il est très facile de partir  dans une "double spirale"  : pour l'entreprise le journaliste forcément incompétent, hostile et ne recherchant que le sensationnel est responsable de l'incompréhension de l'opinion publique  voire de la crise tout court, tandis que pour le journaliste l'entreprise qui informe mal a forcément quelque chose à cacher.

Cette spirale peut s'enclencher d'autant plus vite que deux logiques se heurtent.

Celle des médias repose sur la notion d'événement ; un événement c'est un enchaînement de faits ayant un début et une fin, comportant un effet de surprise ou de contraste par rapport au déroulement "normal" des choses ("on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure") ; Un événement n' a de sens qu'à un certain moment et dans un contexte. Or, la crise est l'événement par excellence, puisqu'elle suppose une rupture, qu'elle a des enjeux et qu'elle génère des passions.

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La reconnaissance (ceci est un événement digne d'être rapporté, ceci est une crise), son traitement (l'enquête), la façon d'impliquer le lecteur ou le spectateur, la grille utilisée pour l'analyser..., tout cela dépend de facteurs qui sont inhérents au média même (indépendamment de facteurs comme la qualité des journalistes, leurs orientations politiques, les exigences de l'Audimat, les pressions des rédactions pour avoir du rapide et du spectaculaire, et autres facteurs qui ne sont pas toujours imaginaires) :

Premier facteur : le temps. Il y a un temps des médias qui n'est pas celui de l'entreprise (celle-ci préférerait souvent résoudre les crises avant d'en parler) mais celui d'une actualité soumise à la course de la concurrence ; mais le temps n'intervient pas seulement comme facteur de hâte et d'impatience : il rythme l'agenda de la crise de ses grands moments ( le JT, l'émission phare, le prochain article de fond, la dépêche...) et conditionne la réception des informations; Suivant le cas, ce qui peut se dire (et si possible se montrer en images) en moins d'une minute, ou le contenu d'un dépêche ou d'une tribune sera le bon format.

Mais le choix du contenu répond à d'autres critères :

-       besoin de narration. Il faut une histoire avec un développement et une fin (et si possible un crescendo), des personnages identifiables, des entités ou des principes qu’ils représentent, une certaine lisibilité de leurs actions, un mise en valeur des implications (y compris pour le lecteur ou le spectateur afin qu’il soit impliqué)

-       besoin d’interpréter : lisibilité des actes, l’établissement des faits, l’évaluation des conséquences (un point particulièrement sensible en cas de crise, puisque la plus grande partie des débats portera sur des suites futures et probables), voire des responsabilités et une leçon pour l’avenir.

-       Mais aussi des enjeux symboliques : les personnages ou leurs actes incarnent de grands principes (l’expertise, la science, la nature, les citoyens…) ou de grands affects (la peur de l’empoisonnent, la compassion pour la victime innocente, la crainte du péril caché…)

La bonne équation pour la constitution d'un événement  c’est : 

• scénarisation (mise en ordre des composantes de la crise pour une représentation destinée à un public), 

• plus action, • plus émotion, • plus distribution (des acteurs identifiables ayant des rôles et des personnalités

bien distincts), plus scansion (moments forts et développement de l’intrigue), • plus explication (la crise a un sens), • plus résolution (la crise a une fin).

Pour sa part, l'entreprise est traditionnellement mal préparée aux rapports avec les médias en temps de crise :

• Longtemps sa communication externe a été du type "euphorique" : dire le plus grand bien de ses produits ou de l'entreprise elle-même, souvent sur son terrain et sans craindre la controverse

• C'est un monde plutôt habitué à la hiérarchie et guère à voire contester le discours de la direction

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• Il reste trop souvent peu familier des enjeux éthiques, politiques ou idéologiques liés à son activité. A priori, les membres de l'entreprise pensent que ce qu'ils font est bon puisque cela contribue à accroître la richesse générale et qu'ils respectent les lois. Ils ont l'habitude de défendre des dossiers techniques en termes techniques. Il a souvent tendance à considérer ceux qui critiquent l'entreprise comme irrationnels, archaïques ou motivés par une idéologie naïve.

• L'entreprise a souvent le culte du chiffre et de la performance. Elle fait confiance à ses experts : l'idée qu'il faut prendre certains risques pour obtenir globalement certains résultats lui est familière, comme une vision en terme de balance des coûts et des avantages. Cela ne facilite pas toujours le dialogue avec les victimes d'un accident ou d'une pollution ou avec des gens pour qui il s'agit d'enjeux symboliques et pas de points de croissance.

• La peur du risque, l'impatience, l'affolement sont souvent considérés comme des attitudes méprisables

Bien entendu, il ne faut pas caricaturer :

- L'entreprise s'habitue   à la communication de crise considérée comme une discipline autonome ou une profession en soi Ainsi la notion de crise (anticipation, évaluation, gestion...) tient une place croissante en intelligence économique.

- Beaucoup sont conscients que l'entreprise ("les vrais maîtres du monde") est de plus en plus exposée à la contestation par le retrait du politique ou le scepticisme général sur ses pouvoirs.

- La mondialisation joue aussi sur les dangers, les conséquences des risques, les responsabilités, la critique, l'alerte : tous peuvent instantanément se propager d'un bout à l'autre de la planète.

- Le discours sur l'entreprise "responsable", "éthique" ou "citoyenne" ou sur la gouvernance implique un effort sur la gestion et la communication de crise.

- Le nouveau management considère l'activité de l'entreprise moins comme une "lutte contre la rareté" (l'entreprise étant une sorte de boîte noire qui avec des ressources financières et humaines produit des biens et services pour un marché) que comme un entité en interrelation avec des "parties prenante", tous ceux, des actionnaires ou fournisseurs jusqu'aux ONG, médias, associations de riverains ou de consommateurs, etc. qui peuvent subir les contrecoups heureux ou malheureux de l'activité de l'entreprise.

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QUELQUES NOTIONS COMPLÉMENTAIRES

CATASTROPHE

Le mot évoque l’idée un malheur, une destruction effroyable due à des causes naturelles ou accidentelles. De tels événements ont toujours scandé notre histoire ;dès le XVIII° siècle, avec le désastre de Lisbonne de 1755 qui fait vingt mille victimes ou l’explosion de la poudrerie de Paris qui en tue mille en 1794, on réfléchit sur le sujet. Pourtant aucune époque autant que la nôtre n’a mis la catastrophe au centre de ses préoccupations. Ainsi le tsunami asiatique de la fin 2004 est apparu à beaucoup, après le 11 Septembre comme l’échec de la modernité : pas plus que le fanatisme ne disparaissait, notre immense pouvoir technique ne nous permettrait ni de maîtriser le péril, ni de le prévoir.

  Par ailleurs, nombre de catastrophes qui ont marqué les esprits (Amoco Cadiz, Bhopal, Tchernobyl) ont nourri l’idée qui débouchera sur celle du développement durable : nous devions avant tout minimiser les dommages et les dangers que nous laisserons en héritage aux générations suivantes. Notamment ceux qui résultent du développement économique. On passe ainsi insensiblement de la notion d’un progrès continu à l’idéal de faire, d’encourir ou de faire encourir le moins de mal possible. Pour ne pas dire de ne rien faire d’irréversible. Éviter le pire, plutôt que chercher à créer le meilleur des mondes. Le principe de précaution reflète la même vision, celle de ce qu’Ulrich Beck nomme « la société du risque ». 

Nous sommes passés d’une vision triomphaliste, celle des trente glorieuses et de leur suite – à une vision catastrophiste. Selon la première la science avance faisant reculer l’incertitude et donc le risque, tandis que la croissance économique entraîne mécaniquement toujours plus de sécurité pour toujours davantage de citoyens. Selon la seconde la science est génératrice d’accidents, d’effets secondaires pervers, et, surtout, elle nous révèle l’étendue des risques auxquels nous sommes soumis : elle est convoquée pour mesurer une responsabilité probable, mesurer la vraisemblance de l’effroyable, désigner des responsables. Quant à l’économie, elle est vue comme destructrice des protections (sociales par exemple du fait de la mondialisation), destructrice de la nature, génératrice de risque… Bref, la possibilité du pire hante la conscience contemporaine.

Mais, si on les examine en détail, les catastrophes qui nous préoccupent sont hétérogènes : 

- naturelles (de type inondation ou tremblement de terre ou canicule ou autres phénomènes qui ont toujours existé mais qu’aggrave parfois la concentration de l’habit humain

- écologiques résultant de l’épuisement d’une ressource ou d’une pollution, les plus célèbres n’étant pas nécessairement les plus mortelles. Ainsi deux des catastrophes qui ont provoqué les plus grandes paniques, Seveso et celle la centrale nucléaire de Three Miles Islands n’ont fait aucun mort

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- grands accidents miniers, explosions, déraillements et autres rappelant les accidents liés au machinisme du XIX° siècle

- catastrophes de type inédit que personne n’avait anticipée faute de saisir à temps le rapport entre cause et effet : maladie de la vache folle ou propagation du virus HIV

- hypothétiques comme celles qui résulteraient du développement des OGM

- catastrophes dites « en miettes », comme les accidents individuels, de la route, du travail qui tuent beaucoup au coup par coup et régulièrement, sans former une grande catastrophe/événement.

Si la perception de ces catastrophes est subjective dans toutes ses composantes – probabilité, responsabilité de ceux dont on pense qu’ils auraient dû les prévoir,, urgence et importance des contre-mesures – en revanche, il n’y a guère de catastrophe que l’homme ne puisse aggraver par sa fermeture d’esprit (imprévoyance, orgueil, déni de la réalité, carence d’imagination) par sa mauvaise organisation (censure de ce qui dérange, dispersion des responsabilités, absence de communication ),ou par sa mauvaise gestion (impréparation, manque de coordination ou de proportionnalité dans la réaction, non communication)…

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CHAOS 

La physique confère un sens précis à ce terme et parle de lois du chaos. La Bible et Hésiode font du chaos l’état originel de l’Univers : le non différencié. Mais, dans le langage courant, chaos est synonyme de non prédictibilité, désordre, absence de contrôle ou de lois. Il s’applique à une situation dont nul ne voit l’issue et qui résulte souvent de l’effondrement d’une structure de régulation. Tel est le cas dans les zones grises de la planète où prédominent groupes criminels et paramilitaires et où ne s’exerce aucune autorité légitime. Certes, on peut discuter de la subjectivité qui imprègne toute perception du chaos, ou spéculer sur sa capacité à créer un nouvel ordre … Reste pourtant que la plupart de nos contemporains qualifient, par exemple, la situation qui a suivi l’effondrement de l’URSS de chaotique. 

Toute comparaison avec le désordre qui régnait au V° ou au XIII° siècle ne console guère. Le chaos aussi se mondialise, notamment en accroissant la perception que nous avons de nos fragilités et de nos interdépendances. Beaucoup découvrent un paradoxe : la prédominance d’une seule puissance se réclamant des valeurs de démocratie et de progrès est moins efficace pour imposer un semblant d’ordre que des systèmes délirants et immoraux comme la dissuasion par la terreur. 

La disparition de l’ennemi principal (dont le « terrorisme », indûment substantifié n’est qu’un pauvre avatar) aurait donc eu un effet de désordre inversement proportionnel à l’effet régulateur qu’exerçait un conflit à la fois principal et limité USA/URSS. Le système basé sur les souverainetés, les territoires et l’équilibre des puissances, si injuste qu’il ait été, assurait un ordre perdu que ne connaît plus un monde interdépendant et incontrôlable. Une de ses conséquences est l'extension des zones chaotiques de la planète, celles justement où nul ne sait plus dire si règne l'état de guerre ou l'état de paix, qui combat qui, ce qui est politique et ce qui est criminel. Il y a chaos là où même les entités en conflit ne sont plus clairement identifiées.

Le 11 Septembre et ses suites, « guerre au terrorisme » en Afghanistan et en Irak ont accrédité l’idée que nous vivons dans un monde « hobbesien », c’est-à-dire où les nations sont livrées l’état de nature et de férocité. La constitution d’une République a tiré les individus dans la théorie de l’auteur du Léviathan. D’où la tentation pour les uns de réclamer plus du même : plus de globalisation, plus de concurrence, plus d’hyperpuissance…

D’où la tentation chez les autres d’incriminer les stratégies qui seraient responsables de ce chaos. Ce sont notamment celles du désespoir et du terrorisme qui opposent leur volonté de vengeance et de destruction à ce qu’ils perçoivent comme l’ordre global. 

Mais ce sont aussi les stratégies contre-productives de l’hyperpuissance, des stratégies visant à assimiler (démocratiser, moderniser…) le reste du monde perçu comme danger jusqu’à le rendre finalement semblable à soi. Sous sa forme douce (enlargement, extension d’un modèle pacifique et prospère à la planète) ou sous sa forme dure (« guerre perpétuelle pour la paix perpétuelle », suppression de toutes les possibilités de désordre), la stratégie de reconquête face au chaos aboutit objectivement à son contraire. Ne serait-ce qu’en nourrissant le ressentiment et en multipliant les « petites guerres » qui n’aboutissent ni sur une paix ni sur une victoire.

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GESTION DE CRISE

  La notion de gestion des crise – appliquée aussi bien dans les relations internationales que dans les affaires - suppose que, le risque zéro étant un mythe, il faut se doter de méthodes et structures les plus adaptées pour maîtriser au mieux les crises pendant, mais aussi avant et après.` En amont, la gestion de crise commence par sa détection. Elle repose souvent sur de signaux faibles et doit se faire quand il est psychologiquement difficile de reconnaître sa montée. Cela implique des tâches de surveillance prévention, et préparation. Les premières comprennent l’analyse périodique de la situation dont ses propres faiblesses et vulnérabilités, l’entretien des réseaux « capteurs » de signaux d’alerte, l’identification des facteurs déclencheurs. Les secondes exigent la fixation de priorités, l’établissement de scénarios et l’élaboration de procédures de réaction rapide. La préparation, enfin, est à la fois logistique, financière, communicationnelle, organisationnelles (création de cellules de crise) et surtout culturelle et morale (apprendre à faire face à l’imprévisible). Pendant la crise la tâche paradoxale de « gestion » - paradoxale puisque par définition l’entreprise ou l’institution fonctionne, entre surprise permanente et anticipation de l’imprévisible- recouvre de nombreuses tâches. Citons : l’évaluation des causes des dégâts, de leur ampleur et de leur durabilité, une anticipation raisonnable du développement de la crise, l’identification des facteurs positifs (remèdes, alliés, ressources, opportunités), la fixation de priorités d’action, la collecte de renseignements, la communication de crise et la logistique. Cette phase est aussi celle du réajustement permanent des hypothèses et solution, de la réévaluation des options et de l’adaptation aux contraintes de temps, de l’ignorance ou de l’impuissance mais aussi aux réactions d’autrui. La compréhension de la façon dont les différents acteurs vivent la situation n’est pas le facteur le moins important. La plupart des gaffes commises au début des crises reposent souvent sur cette ignorance des enjeux pour l’autre (celui qui risque peut-être sa santé ou son travail, ou qui dans tous les cas est en situation d’inquiétude). D’autant que, qui dit crise dit souvent négociation en période défavorable. L’auto-examen ou l’auto-correction, la coordination interne (communicants, logisticiens, direction, acteurs sur le terrain, experts), la capacité d’éviter les erreurs dès le début, ne sont pas non plus les pré-requis les plus faciles à assurer. L’après-crise n’est pas à laisser au hasard. Il faut gérer à la fois : la sortie de crise et la réactivation des mécanismes habituels, la reconquête de la confiance, les impacts financiers, juridiques, médiatiques, et surtout l’apprentissage des leçons de la période de rupture et éventuellement la réécriture des scénarios, des plans de crise et des programmes de formation et vérification. La gestion de crise suppose la capacité d’apprendre non à prévoir l’imprévisible, mais à s’y adapter et à en exploiter les potentialités. Ce que résume bien une phrase du stratège van Creveld « Il n’y a pas de succès possible – ou même concevable – qui ne soit basé sur l’aptitude à tolérer l’incertitude, à l’intégrer dans ses raisonnements et à l’utiliser. »

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COMMUNICATION DE CRISE

La communication de crise a quelque chose de paradoxal, du moins pour ceux qui réduisent la «com» à une rhétorique de séduction, voire à une sorte de lubrifiant des rapports sociaux. 

La crise implique à la fois perturbation, surprise, tension et risque ; elle oblige le «communicant» à faire ce qui lui répugne le plus.

• Il s’exprime d’urgence au moment et sur le terrain qu’il n’a pas choisi, parfois dans une atmosphère d’agressivité ou de suspicion.

• La plupart du temps, il a une connaissance très imparfaite de la situation, de la façon dont elle sera perçue et plus encore de ses développements futurs.

• Quand il n’y a pas danger d’être démenti ou contredit, y compris par son propre « camp » d’où peuvent venir gaffes et révélations tardives.

Par définition, la crise est la rencontre de l’incertitude et du désordre. Naturelle (tremblement de terre), industrielle (de type Seveso), sanitaire (contamination), etc. la crise devient aussi souvent, médiatique, cognitive, des systèmes informationnels, crise de réputation, de fiabilité, de traçabilité, d’évaluation ou de publicité du risque, de conformité aux critères éthiques, politiques, sociaux ou écologiques. Ajoutons qu’elle peut être déclenchée et amplifiée par toutes sortes d’attaques informationnelles qui vont du viol d’un mot de passe à une campagne d’opinion à motivations idéologiques ou commerciales, intéressées ou gratuites. Bref la liste des facteurs déclencheurs semble difficile à limiter.

Plus précisément, toute crise est à la fois de communication et d’information. De communication parce qu’elle est immédiatement mise sous les projecteurs des médias, et que notre société obsédée par l’utopie du zéro-risque est ultrasensible à tout évènement dramatisé (dont la crise est le cas paroxystique). C’est une crise d’information dans la mesure où elle résulte tantôt d’une information (vraie ou fausse) qui a été divulguée ou a été mal protégée, tantôt d’une information dont on découvre qu’elle faisait défaut au moment voulu. Est-ce tout ? Non, car – à rebours de ce que croyaient les prophètes de la « société de l’information », - les nouvelles technologies, à commencer par Internet, ne prémunissent pas contre les crises ; elles les multiplient. Internet favorise les rumeurs, le « pilori numérique » que constituent les sites ou forums agressifs, parodiques ou dénonciateurs, l’intoxication, la désinformation, la panique, l’attaque anonyme, bon marché, sans frontières…. Et surtout, la Toile est le royaume de l’urgence. Le temps représente un facteur crucial. Ceci va du « déni d’accès » qui paralyse une entreprise par le simple fait de la perte de temps, à la course de vitesse entre médias et versions des faits, du temps qui manque pour vérifier au gouffre de l’imprévisibilité future. Ainsi le fameux principe de précaution oblige à prendre ici et maintenant une décision -faire ou ne pas faire - sans pouvoir évaluer ni la probabilité d’un risque, ni son existence même, ni l’état de la connaissance future qui permettra de vérifier ou d’invalider une hypothèse. Dans une actualité rythmée par le surgissement des catastrophes, de l’épidémie au terrorisme, Internet est le système nerveux surexcité de la planète. Dans ces conditions, les recettes de la communication de crise voire du « Web de crise » se résument pour une bonne part à des listes d’erreurs à éviter. Qui se risquerait aujourd’hui à dire qu’un nuage radioactif s’arrête à nos frontières ou à déclarer au soir d’une catastrophe de type AZF qu’il y a 90% de chances qu’elle soit accidentelle ? L’effet démenti, contradiction ou incrédulité laisse des traces durables.

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Qui ignore quels dégâts peut provoquer une rumeur électronique boursière ou une campagne contre les sweat shops, ces ateliers de sous-traitance où les enfants sont exploités et dont une entreprise internationale peut se trouver indirectement commanditaire ? Quant aux propositions positives que font les spécialistes, d’ordre technique ou tactique, elles ressortent le plus souvent au bon sens. Anticiper les crises, sélectionner les risques contre lesquels il est le plus urgent de se prémunir (et donc les domaines qu’il faut surveiller en priorité), s’exercer, simuler, prévoir des systèmes de secours, préparer des moyens de vérification, repérer les futurs interlocuteurs, intérioriser des impératifs de transparence, de crédibilité et de cohérence… Tout cela est parfaitement logique. Pourtant, la communication de crise, si elle doit être autre chose qu’une anti-crise de la communication, devra s’inscrire dans un projet plus large. Sans retomber dans les délires de la futurologie des années 70, et moins encore dans son optimisme naïf, il est temps de comprendre que ni une institution ni une entreprise ne peuvent se dispenser de prendre en compte des tendances sociétales, des mouvements d’idées, des reconfigurations de pouvoir et d’influence, des valeurs changeantes. Ce qui est perçu comme crise, aléa ou catastrophe aujourd’hui et comment cela est perçu n’est pas ce qui nous préoccupait hier. Il faut en finir avec l’illusion de la neutralité technique : il n’y a pas de gestion des crises sans prise en compte des conflits, des idéologies et des stratégies.

Désormais, faire de la communication de crise  c’est se livrer à une épreuve de quadriathlon. Il faut exceller dans quatre domaines.

- L’oral ;  les crises cela se traduit d’abord et partout par des réunions, des engueulades, des affolements, des paroles rassurantes et des controverses, des instructions qui apaisent ou pas les troupes, les acteurs ou l’opinion. Il faut ici à la fois l’autorité du chef et l’art de négocier du diplomate.- L‘écrit, ou plutôt l’imprimé. Dans le monde de l’article, du tract ou du communiqué, il faut une autre rhétorique. Elle doit, certes, être convaincante, mais aussi tenir compte des risques de l’interprétation, doser le flou (qui évite de trop engager) et la précision pour ne pas être taxé de langue de bois.- L’image, surtout télévisée, où nul n’est maître du montage qui sera retenu. Ici chacun doit se méfier de son corps qui risque souvent de jouer contre la parole explicite. Comment, comme l’a montré un exemple récent, expliquer que l’on a retiré du marché une viande qui ne présentait pas de danger sanitaire, sans que l’attitude de l’interviewé ne suggère un soupçon que conjurent ses paroles ?- Internet, enfin. Ici, les problème est d’abord celui de la circulation et du nombre des messages. Quand les vidéos révélatrices, photos indices et documents qui trahissent existent quelque part, on peut être assuré que leur diffusion sera instantanée et ravageuse. Par ailleurs, il n’y a plus de hiérarchie entre les jugements et opinions. Sur les forums, blogs et autres lieux du journalisme citoyen, se forment des configurations nouvelles. La « e-influence », l’art d’attirer l’attention sur une page, puis d’être repris, recopié se développe et ce n’est pas au bénéfice des structures organisées, entreprises, partis. Il leur faudra désormais apprendre à anticiper, repérer, traiter, concurrencer ces courants semi-spontanés d’une opinion aléatoire…

La communication de crise appelle deux compléments : - le manuel de gestion de crise : un aide-mémoire des informations et procédures minimales- la cellule, avec des membres aux rôles définis et toute l'intendance et les moyens nécessaires

Ils ne valent évidemment que ce que vaut la préparation à la crise qui les a accompagnés et qui porte sur- la capacité d'anticiper l'inattendu, en particulier par la veille

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- celle de réagir à l'exceptionnel- mais aussi celle de se tester, de se juger et d'apprendre y compris de ses erreurs.

L’indispensable entraînement prend notamment la forme de simulations et d’exercices. Leur fonction est de mettre en œuvre les acquis dans des conditions les plus proches possible de la réalité : stress, poids des enjeux, urgence, information imparfaite, surprises en chaîne, émotion des interlocuteurs, nécessité de se préparer à des réactions non rationnelles. La concentration dans le temps et la gestion des contraintes - au cours d’exercices qui ressemblent parfois à des jeux de rôles avec scénarios- permettent la répétition, l'acquisition des bons réflexes, l’auto observation et l’analyse. Celle-ci demande aussi un regard extérieur, que ce soit pour imaginer ce que percevraient les médias ou le public, ou pour faire une critique plus technique en fonction de l’expérience d’autres crises vécues par d’autres.Par ailleurs bien savoir (anticiper la crise, connaître les principes à appliquer), bien agir (avoir la bonne logistique, les bonnes liaisons, les bons plans, prendre les bonnes décisions) et bien s’exprimer (avoir les bons arguments, les bons relais et vecteurs…) supposent aussi de savoir bien interagir avec les autres : la formation insiste comporte aussi l’aspect de la négociation de crise.

En dehors de tels exercices spécifiques, de telles n’existent pas durant le fonctionnement ordinaire de l’organisation et il est, par définition, trop tard au moment de la crise même. La communication de crise est un art tout d’exécution, et qui suppose une pratique la réaliste possible.

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Pratique de la communication de crise

La communication de crise est mise en œuvre brusquement (même si l’organisation s’y est préparée depuis longtemps par la veille, les scénarios, les simulations…),

• souvent au pire moment (vacances, absences, période difficile).• Et, bien entendu, elle demande une réaction ultra rapide dans un contexte où

tout le monde devient quelque chose entre très impatient et vraiment hystérique.

• Par ailleurs, elle se déroule en situation d’information incomplète. Ainsi, le plus souvent, la cellule de crise dispose de renseignements vagues sur une réalité lointaine dans l’espace (i.e. dans un pays avec lequel les communications ne sont pas faciles, sans personne de fiable sur place).

• Autre éventualité assez fréquente : les informations utiles sont lointaines dans le temps. En effet, la cellule de crise peut être conduite à retrouver des données portant sur un passé oublié (la cause de l’accident remonte à une erreur commise, il y a des années, le document que l’on recherche pour prouver que les études préalables ont bien été faites est dans les archives inaccessibles).

• Ou encore, la quête d’information porte sur un futur incertain (les conséquences d’un accident sur la santé dans X années, ou tout simplement le développement de la crise dans les prochains jours, lorsque tout le monde semble en ignorer l’ampleur effective). Les membres de la cellule de crise peuvent être conduits à justifier des actes dont ils n’avaient pas connaissance une heure avant ou à faire de la futurologie.

Une bonne part de la communication de crise consiste souvent à faire des choses désagréables : s’excuser, avouer son ignorance et/ou sa responsabilité, promettre que les erreurs du passé ne se reproduiront pas au moment où elles se révèlent le plus crûment. On encore à faire ce que l’on peut tout en admettant que c’est ce qui est possible sur le moment. Il faut toujours trouver un compromis entre le refus de communiquer (le fameux « no comment » qui attire vite le soupçon) et la tentation de s’exprimer trop vite au risque de devoir se rétracter, réviser des informations factuelles, revoir des prévisions…

Enfin tout cela se fait dans des conditions psychologiques difficiles. Difficiles pour la cellule de crise et pour l’organisation qu’elle représente : tension, tentation de se défausser en trouvant un bouc émissaire, ouverture de parapluie, choc psychologique pour des gens qui se considéraient comme des managers participant à la prospérité du pays et qui se voient brusquement traités d’assassins en puissance ou interpellés violemment. Mais ce peut être encore plus difficile pour certains : victimes, riverains, employés qui risquent de perdre leur travail, malades qui peuvent se croire contaminés, parents sans nouvelles des leurs proches... Dans ces conditions penser (et pire encore dire) que ces gens sont irrationnels et ne comprennent rien au problème ou que les médias sont partiaux et hystériques ne résout absolument rien.Par ailleurs, une organisation de crise doit remplir au moins trois fonctions :- détecter la crise si possible le plus en amont possible (ce qui veut dire, par exemple, décréter qu'il y a crise et déclencher les procédures prévues)- mobiliser les gens et les outils nécessaires de la façon la plus adaptée (y compris en vertu du principe "Pierre et le loup", éviter les réactions contre-productives et les mobilisations totales à la moindre alerte)- réagir au mieux en fonction de la préparation et des schémas pré-construits, mais en sachant parfaitement que le principe de la crise est de s'adapter à l'inattendu

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On ne répétera jamais assez que la caractéristique d’une crise est ceci : dès qu’elle est là, tout va à rebours des lois habituelles et il faut apprendre à jouer selon de nouvelles règles.

La communication de crise n’a rien de miraculeux. En aucun cas elle ne remplace la gestion de crise (mais elle peut la contrarier ou la saboter). En aucun cas non plus elle ne remplace la communication stratégique globale de l’entreprise, ni ne rattrape les erreurs du manque de préparation en amont.

La préparation porte sur :

1) - La surveillance des « signaux faibles » annonciateurs de la crise par la veille. Le décèlement précoce des dangers qui suppose de conserver une capacité d'étonnement et de remise en cause des routines et des certitudes. Mais tout ne se fait pas d'une chambre de guerre avec une batterie d'ordinateurs. L'information doit aussi remonter d'en bas, du terrain et d'une pluralité de "capteurs" qui peuvent être les collaborateurs d'une organisation. Ceux-ci doivent eux-mêmes être sensibilisés à la nécessité de l'alerte, conscients de l'importance des effets de seuil (les situations qui évoluent lentement et peuvent être occultées par la routine sont parfois les pires). Les "signaux" doivent d'ailleurs être croisés : c'est souvent la conjonction de plusieurs facteurs qui est à l'origine de la crise, pas forcément une variable unique repérable comme dans le manuel, et pourquoi pas chiffrable.

La cartographie des sources influentes, l'observation des tendances ou des exemples (cas similaires : ce qui pourrait vous arriver demain, les mécanismes des crises) sont des éléments importants.

Par ailleurs, la veille implique ussi d'une adaptation "culturelle" au Web 2.0 et à ses modes d'interaction avec des communautés (parfois pompeusement promues représentantes de la société civile"). L'apparition de lieux d'expression des usagers (le fameux "contenu généré par les consommateurs"), la culture du dialogue permanent en ligne (y compris entre l'entreprise, qui a intérêt à réagir vite, et ses "parties prenantes"), le développement d'effets d'amplification (un incident mineur repris, cité, commenté, indexé devenant un vrai buzz viral

L'aspect psychologique n'est pas le plus négligeable : il n'est pas toujours facile d'admettre ses propres faiblesses ou vulnérabilités (ou celle de son organisation), ni de penser au facteur déclenchant d'une situation que l'on désire avant tout éviter.

L'observation des signaux n'a de sens que si les acteurs sont d'accord sur un seuil prédéfini de déclenchement des crises, quelque part entre la tentation d'en déclencher une à la moindre anomalie (peut-être pour ouvrir le parapluie) et le risque d'attente dans l'espoir que les choses ne se révéleront pas si graves ou s'arrangeront avec le temps.

2) - Le recensement des risques envisageables, notamment en s’inspirant d’expériences des autres (et bien sûr de la sienne propre et de sa propre mémoire). Il faut faire ici un effort d'imagination pour penser simultanément des dangers non encore avérés et leurs conséquences encore inconnues : facteurs de risque, causes de crises, hiérarchie des dommages éventuels du plus inacceptable au plus bénin. L'élaboration de scénarios (et si.. et si au même moment...).

3)  La préparation des moyens techniques (pour un rappel de produit p.e.). Pour la diffusion des alertes : structures, moyens, procédures... Ou tout simplement pour le bon fonctionnement de la cellule de crise. Il importe de savoir qui prévient qui, qui

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alerte comment, où se trouvent les moyens nécessaires... Bref, c'est par excellence le domaine où l'intendance doit suivre, et, pour cela, être prête à l'avance.

4) L'élaboration d’argumentaires et d’aides mémoire pour la première réaction. Cela ne signifie pas qu'il faille répéter mécaniquement un texte censé répondre à toutes les situations : simplement les listes ou les éléments de discours préformés servent à gagner du temps et à ne pas risquer d'oubli majeur. À condition, bien entendu d'appliquer ici aussi la règle d'or : s'adapter à l'imprévu.

5) La présence sur la Toile et la création d’un média spécifique tel un site dit « noir » prêt à être activé au jour J : ce peut être un excellent moyen de regrouper les demandes que l’on reçoit, de présenter les messages que l’on désire émettre de façon synthétique. Il permet en outre – ce n’est pas accessoire – d’occuper l’espace sur Internet (par exemple en s’assurant que l’on tombera sur ce site avant ceux de la critique en faisant une recherche par mots-clés au jour fatal). Mais bien sûr, celui qui est déjà présent sur le Web 2.0, par exemple avec des blogs d'entreprise a un temps d'avance.

6)  L'organisation et l’entretien de la cellule de crise elle-même avec des rôles précis assignés à chacun et une logistique qui suive (par exemple un lieu de réunion équipé correctement et qui fonctionne même le jour où il y a un accident ou des troubles au site principal)

7 ) La formation spécifique de ses membres (on ne s’exprime pas dans une conférence de presse en situation de catastrophe comme lorsqu'il s'agit de présenter un nouveau produit en vingt minutes avec PowerPoint)

8) Le repérage des principaux interlocuteurs, y compris les « adversaires » pour chaque type de crise et dans chaque domaine (économique, politique, sociétal), si possible l’établissement d’un premier réseau et de premiers contacts avec ceux qui peuvent être utiles. Ceci inclut aussi la connaissance des médias principaux susceptibles d’être particulièrement intéressés à cette crise; une liste de contacts à jour, y compris dans les médias, les agences…

9)  De nombreuses vérifications et des simulations de crise pour tenir compte des impondérables, des ratés idiots, des réactions psychologiques en situation de stress…

10) La diffusion des informations sur tout ce qui précède auprès de ceux qui sont concernés.

Le fonctionnement de la cellule de crise présente de nombreux aspects :

• - Le premier commence avec le « constat » de la crise ouvrant sur son diagnostic. Déclarer qu’elle existe, c’est déclencher tout un processus qui, s’il est mal géré, peut avoir des conséquences contre-productives (p. e. : donner une importance démesurée à des faits qui n’auraient autrement pas eu de conséquences ou seraient passés inaperçus) ou dont l’abus peut produire un effet « Pierre et le loup » (trop d’alertes tuent la vigilance)

• - La cellule doit d’abord assurer son propre fonctionnement, se mettre en place, vérifier que tous les interlocuteurs sont prévenus, vérifier l’intendance, commencer à enregistrer ses activités (l’équivalent d’un journal de bord est indispensable)

• - Elle centralise (et si possible confronte et vérifie) l’information permettant d’évaluer la nature et la gravité de la crise. Éventuellement les premiers dégâts et les urgences absolues.

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• - Elle analyse les tendances des médias et de l’opinion, les intérêts et les attitudes des différents acteurs

• - Elle assure la liaison avec la direction stratégique et l’interne en général (y compris les collaborateurs et leurs représentants) sans oublier les autres interlocuteurs de l’entreprise

• - Elle gère les relations avec la presse en fonction d’objectifs qui ne sont pas seulement de faire passer son message (ou sa « version officielles ») mais aussi d’occuper le terrain, d’éviter la communication contradictoire, de couper court aux rumeurs, de centraliser les demandes d’information en évitant la concurrence de sources « sauvages », de garder le tempo… Communiquer trop tard, c’est laisser le champ libre à toutes sortes d’interprétations incontrôlées (y compris celle de l’indifférence ou de l’incompétence de l’entreprise). Communiquer trop tôt (pour ne pas «rater le prochain JT») c’est risquer de nourrir l’affolement, s’exposer à faire des déclarations mal pensées ou mal vérifiées que l’on regrettera plus tard…

• - Elle donne la tonalité générale de la communication de l’entreprise et indique ses grands axes stratégiques : relativisation des dégâts, reconnaissance de la gravité, désignation de responsabilités (en évitant de donner l’impression de se défausser sur un bouc émissaire), annonce de mesures immédiates.

• - Elle aide tout le monde à se concentrer sur l’essentiel en évitant la dispersion (y compris en matière de communication)

• - Elle coordonne les réponses aux questions susceptibles d’être posées (si possible avec un numéro vert, un centre d’appel et un site unique pour recevoir les demandes du public)

• - Elle interprète dans son contexte l’information reçue et donnée. Dire « tout est revenu en ordre à 97% » n’a pas le même sens quand il s’agit d’une panne ordinaire ou quand le 3% qui reste peut porter sur la vie, la santé ou la sécurité de gens très alarmés

• - Elle argumente en rappelant ce qui a été fait, les précautions prises bien avant la crise. Elle rassemble les données les plus précises possible et prépare le discours à la fois sur le plan des faits bruts (constats, chiffres, degré de fiabilité des informations), de l’explication des causes et des conséquences, et de la position dans les éventuelles polémiques.

• - Elle anticipe et réajuste la stratégie au stade suivant (y compris le retour à la normale)

• - Elle conserve la mémoire de la crise en cours et prépare la crise suivante

La plupart des manuels de communication de crise énumèrent surtout des erreurs à ne pas commettre :

• Passivité et réactions tardive• Politique du silence, du déni hautain (« ces critiques sont faites par des gens

incompétents »), du secret systématique• Communication froide, jargonnante, technique qui peut produire

l’incompréhension ou• Affirmations hâtives avec le risque d’être démenti par les faits dans l’heure

qui suit. Exemples : La crise est finie, nous avons les chiffres définitifs. Les mesures sont déjà en place. Notre système de sécurité est totalement sûr. Tout a été surabondamment vérifié. Nous avons pris telle mesure qui s’applique dans tel délai.

• Relativisation, dédramatisation, refus de responsabilité, contestation des thèses alarmistes sans s’être assuré d’avoir les munitions pour.

• Contradictions entre les déclarations émanant de la même entreprise• Donner l’impression de ne pas prendre la mesure de la douleur des victimes,

de l’inquiétude des personnes concernées, de l’impact symbolique d’un événement.

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Crise ? Dans la mesure où nous sommes censés être désormais en train de vivre la pire crise économique depuis des décennies, comme cela nous est rappelé à chaque instant, et comme crise semble être devenu l'autre nom du destin, il semble paradoxal d'apprendre à gérer des crises ou de prétendre les régler ou les atténuer par de la "communication".Pourtant toute organisation est susceptible de subir une crise majeure, du fait d'un accident naturel ou industriel, d'un faute de sa part, d'événements internes ou externes, de changements technologiques, économiques ou politiques qui l'affectent indirectement, d'attaque à sa réputation...Et surtout, il n'existe pas une seule organisation qui ne soit capable d'aggraver une crise avec de la mauvaise information et une mauvaise expression, de l'improvisation et des gaffes, une piètre argumentation, une coordination insuffisante, une mauvaise relation avec les médias ou avec d'autres acteurs de la crise, une processus de décision erroné, un sérieux déni de la réalité et surtout une vraie impréparation.

Dans la crise la communication n'est pas tout, mais tout a une composante informationnelle (ce que l'on aurait du savoir, ce qu'il est urgent de savoir ou de faire savoir, les éléments de décision ou d'évaluation plus ou moins connus) et une composante relevant de la communication ( la façon de dire ou de négocier, les moyens et le contexte choisis pour le faire, la valeur persuasive ou émotive du discours, l'anticipation de la façon dont il sera interprété, reflété, notamment par les médias, et souvent contredit).Au minimum, il existe une multitude de règles ("faites, ne faites pas...") qui ne résoudront pas tout, mais aideront à éviter les principales erreurs.

Évaluer les facteurs de crise et construire des scénarios. Veiller et déceler, Prendre en compte le facteur conjoncturel, aléatoire, humain, psychologique.. Savoir éviter la circulation de la mauvaise information et diriger celle de la bonne aux bonnes personnes au bon moment. Savoir quoi dire ou écrire, à qui, par quelle voie et quand. Savoir faciliter le retour à la normale.... Toutes ces notions sont évidentes sur le papier, mais ne valent rien faute d'avoir été éprouvées concrètement.

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Les règles sont surtout ici affaire de pratique. Restent pourtant quelques principes incontournables - sur lesquels tout le monde est à peu près d'accord - et que nous pouvons tenter de résumer dans la liste suivante en vingt-cinq points :

1. Anticiper : on ne peut pas tout prévoir, mais il faut prévoir qu'il y aura de l'inattendu. Ne pas se contenter de prolonger les tendances, ne pas censurer, ne pas répéter ce qui s'est produit une fois. Se demander ce que ses habitudes mentales, ses routines vous incitent à négliger : quel risque d'être votre point aveugle ?

2. Prévoir listes et scénarios (dont le scénario du pire), mais, comme on ne peut pas préparer (ou imaginer toutes les crises) se préparer aux scénarios inacceptables (les plus graves) ou les plus vraisemblables.

3 Décider du processus pour proclamer la crise et des méthodes d'alerte.

4 Penser simulation et stimulation sans dissimulation : sans exercice pratique on ne réalise pas les difficultés pratiques, psychologiques, ce qui peut ne pas marcher et qui ne marchera pas. La nécessité d'un entraînement le plus réaliste possible (facteur temps, facteur panique, facteur communications, friction et brouillard...)

 4 Créer une cellule de crise : simple, avec des systèmes de liaison redondants et des possibilités de remplacement. Par définition en période de crise quelqu'un peut être indisponible, quelque chose peut ne pas marcher...

5 Constituer un groupe ayant l'habitude de travailler ensemble (éviter les tensions psychologiques) mais pas trop menacé par l'effet routine ou "pensée de groupe"

6 Établir des règles de base faciles à se rappeler : aide-mémoire, adresses utiles, interlocuteurs, procédures minimum (qui fait quoi). Et un mémo que tout le monde ait lu avant le jour J, pas au fond d'un tiroir dans la partie du bâtiment qui sera bloquée

 7 Planifier une formation spécifique à la communication en temps de crise, par oral, par écrit, face aux médias audiovisuels et sur Internet

8 Préparer une panoplie de base : messages tout prêts, grille d'évaluation du dommage mais aussi les moyens matériels et archives (données, photos...) et, bien sûr, les vecteurs (par exemple, certaines entreprises créent des sites "noirs", gardés en réserve mais qui serviront en cas de crise et seront immédiatement disponibles).

9 Songer au détail le plus idiot qui fait échouer le plan le pus intelligent : la clef mal rangée, le courant qui saute, le fichier qui a vieilli...

10 Noter ce que l'on fait : commencer immédiatement à tenir la mémoire de la cellule

11 Dresser une liste des interlocuteurs internes et externes. Se placer de leur point de vue (p.e. : quel est le sens des mots pour eux)

12 Identifier d'éventuels adversaires, mais aussi d'éventuels alliés (telles les autorités techniques pour appuyer votre point de vue, des représentants du même secteur ayant des raisons d'être solidaires). Cette règle vaut à l'intérieur comme à l'extérieur

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13 Intensifier la veille, chercher les signaux faibles

14  Évaluer la source, la portée, votre implication, en cas d'attaque à la réputation. Mettre en balance l'avantage du silence et celui de la riposte dans un contexte précis.

15 Clarifier Il n'y a pas de honte à ne pas tout savoir tout de suite, mais il faut expliquer pourquoi et faire comprendre à vos interlocuteurs les efforts faits pour s'informer

16 Mémoriser (se rappeler des cas comparables, connaître son propre passif...)

17 Donner confiance. L'atout le plus précieux est la crédibilité, il dépend notamment de la cohérence. Démontrer sa bonne volonté (et donner les moyens de la vérifier) est souvent un atout décisif.

18 Ne pas se tirer de balle dans le pied. Les mensonges, les rodomontades (tout est sous contrôle..., ce sont de purs fantasmes de gens mal informés..), les effets d'annonce sont les pires ennemis. Le pire est de se contredire ou d'être contredit par la réalité. Faire des promesses que l'on est certain de ne pas pouvoir tenir est presque aussi grave.

19 Chronométrer et adapter. Le premier critique est le temps. Réagir trop vite implique le risque d'erreur, de démenti, d'incohérence. Réagir trop tard, c'est favoriser la panique ou la désinformation.

20 Ne pas donner l'impression de fuir ses responsabilités ou de chercher des boucs émissaires : c'est souvent contre productif.

 21 Préciser. Les termes vagues ou les qualificatifs qui n'ont pas forcément le même sens pour tous les interlocuteurs ("probabilité scientifiquement mesurable", "dommage inévitable", "risque acceptable"...) sont à proscrire. Par ailleurs, une crise se déroulant par définition dans un contexte d'information imparfaite, changeante, contestée et incomplète, il faut mettre l'accent sur la précision des premières informations recueillies (la vérification, l'évaluation de la source...) qui peuvent être la source de nombreuses erreurs ultérieures. Sans compter un petit détail idiot : une minuscule erreur sur un fait, une date, un nom, une chronologie... peut agacer ou décrédibiliser tout un discours exact sur le reste.

22 Penser au rapport avec les autres. La relation humaine, la faculté de s'identifier à son interlocuteur, le sens de ce qui est approprié dans le contexte (par exemple la façon de manier l'humour), le rôle de l'émotion sont au moins aussi importants que le contenu factuel de ce que l'on dit.

23 Décider del'"agenda" autant que possible : qui détermine ce qui est important, ce qui est urgent, ce qui doit être mis en relief ou au contraire négligé ou relativisé ?

24 Éviter les tentations intellectuelles. Pas de pensée magique (prendre ses vœux pour des réalités) mais pas de soulagement trop rapide non plus.

25 Exploiter le retour d'expérience et l'analyse de la crise afin d'être prêts pour la crise suivante.

http://www.huyghe.fr version révisée le 16 avril 2010

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