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UKRAINE — LA DÉMOCRATIE L’EMPORTE BRÉSIL — LES DÉFIS DE DILMA ENQUÊTE — LES DANGERS DE LA MÉDECINE CHINOISE A la veille des élections de mi-mandat, la presse anglo-saxonne tire à boulets rouges sur le président américain OBAMA Le mythe Le mythe en miettes N° 1217 du 27 février au 5 mars 2014 courrierinternational.com France : 3,70 € Afrique CFA 2 800 FCFA Algérie 450 DA Allemagne 4,20 € Autriche 4,20 € Canada 6,50 $CAN DOM 4,40 € Espagne 4,20 € E-U 6,95 $US G-B 3,50 £ Grèce 4,20 € Irlande 4,20 € Italie 4,20 € Japon 750 ¥ Maroc 32 DH Norvège 52 NOK Pays-Bas 4,20 € Portugal cont. 4,20 € Suisse 6,20 CHF TOM 740 CFP Tunisie 5 DTU N° 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE (!4BD64F-eabacj!:o;o

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Courrier International du 30 octobre 2014

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UKRAINE — LA DÉMOCRATIE L’EMPORTE BRÉSIL — LES DÉFIS DE DILMA ENQUÊTE — LES DANGERS DE LA MÉDECINE CHINOISE

A la veille des élections de mi-mandat,

la presse anglo-saxonne tire à boulets rouges

sur le président américain

OBAMA Le mythe Le mythe

en miettes

N° 1217 du 27 février au 5 mars 2014courrierinternational.comFrance : 3,70 €

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Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 3

ÉDITORIALÉRIC CHOL

Un président pas si XXL

Il voulait être l’Abraham Lincoln de l’Amérique du xxie siècle. Il se bat aujourd’hui pour ne pas

fi nir dans les oubliettes de l’histoire de la Maison-Blanche. En 2008, telle une rock star, il lui suffi sait d’ouvrir la bouche pour que les foules de supporters, massées dans les stades pendant la campagne électorale, entrent en pamoison. Six ans plus tard, les salles de militants démocrates, qui tentent d’éviter l’hécatombe à l’occasion du rendez-vous des élections de mi-mandat, se vident lorsqu’il s’empare du micro.Le moment de grâce s’en est allé il y a déjà longtemps, et sa réélection en 2012 n’aura été qu’un ultime feu de paille : la désillusion à l’égard de Barack Obama est immense et risque de coûter cher à son camp politique. Premier président afro-américain, auréolé d’un prix Nobel de la paix quelques mois seulement après son arrivée au pouvoir, il avait, c’est vrai, beaucoup promis. C’était la fi n des années Bush, l’Amérique, en pleine crise morale et fi nancière, avait besoin d’être rassurée, et Barack le magicien incarnait l’espoir d’une Amérique réunifi ée.A deux ans du terme de son second mandat, son bilan, encore incomplet, est d’ailleurs loin d’être ridicule. De la réforme de la santé au renforcement des droits des femmes, de la relance de l’économie intérieure au retrait des troupes d’Irak et d’Afghanistan, Barack Obama a fait ce qu’il avait dit. Pas tout, bien sûr. Mais comment lui en vouloir ? L’essentiel est ailleurs. Si Barack Obama est devenu un paria jusque dans son propre camp politique, c’est pour une autre raison : le 44e président américain est beaucoup trop normal.L’Amérique rêvait d’un nouveau F. D. Roosevelt ou J. F. Kennedy, mais les habits étaient trop grands pour l’ancien avocat de Chicago. Poutine, Daech ou Ebola, les nouvelles menaces planétaires semblent chaque fois dépasser le locataire de la Maison-Blanche. Barack Obama voulait restaurer l’image de son pays, il n’a réussi qu’à rétrécir l’Amérique dans le monde.

En couverture :Dessin de Lincoln Agnew, Etats-Unis (Marlena Agency).

p.34 à la uneSommaire

p.24

Allemagne. La revanche de l’Est !Si elle a balayé la RDA, la révolution de 1989 a aussi modifi é en profondeur la RFA. Le Spiegel revient sur un quart de siècle d’unifi cation.

p.45

Signaux. De l’eff et des vaccins

Un monde de murs32 pages spéciales dans notre prochain numéro

Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin

OBAMA

Qu’est-il arrivé au président américain ? A la veille des élections de mi-mandat, le 4 novembre, The Guardian s’interroge : “En 2008, les électeurs se seraient-ils trompés ?” Tout aussi sévère, le Washington Post estime, à deux ans de la fin de son mandat, que Barack Obama ne restera pas dans les mémoires comme un grand homme d’Etat.

SUR NOTRE SITE

SYRIE Dans les geôles de l’Etat islamique. Les témoignages recueillis par The New York Times.TUNISIE Analyses et réactions après les législatives et la défaite des islamistes d’Ennahda.JEU Brisez les murs en attendant la diff usion du webdocumentaire Connected Walls (à partir du 9 novembre).

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omLe mythe en miettes

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Le cricket, une passion indienne

p.46

Un avant-goût de Datavision 2, le nouveau livre de David McCandless, l’un des pionniers du journalisme de données, avant sa sortie en France, le 13 novembre.

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4. Courrier international — Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

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Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Octobre 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (Edition, 16 58), Rédacteur en chef adjoint Raymond Clarinard Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Conception graphique Javier Errea Comunicación

7 jours dans le monde Caroline Marcelin (chef des infos, 17 30), Iwona Ostap-kowicz (portrait) Europe Gerry Feehily (chef de service, 1970), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe, 16 36), Judith Sinnige (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34), Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, Pologne, 16 74), Emmanuelle Morau (chef de rubrique, France, 19 72), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Sabine Grandadam (Amérique latine, 16 97), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Virginie Lepetit (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Caroline Marcelin (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Corentin Pen-narguear (Tendances, 16 93), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Clara Tellier Savary (chef d’édition), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Laura Geisswiller (rédactrice multimédia), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 16 87), Patricia Fernández Perez (marketing) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Bog-gino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espa-gnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Emmanuel Tron-quart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Informatique Denis Scudeller (16 84), Rollo Gleeson (développeur) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Camille Drouet, Pauline Elie, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Marion Gronier, Mélanie Guéret, Jean-Baptiste Luciani, Valentine Morizot, Polina Petrouchina, Cora Portais, Diana Prak, Leslie Talaga, Isabelle Taudière

Gestion Administration Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13)Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Sophie Jan Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Comptabilité 01 48 88 45 51 Ventes au numéro Res-ponsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Ahram Online (ahram.org.eg) Le Caire, en ligne. Ha’Aretz Tel-Aviv, quotidien. The Caravan New Delhi, mensuel. The Christian Science Monitor (csmonitor.com) Boston, en ligne. Le Devoir Montréal, quotidien. Fenghuang Zhoukan Hong Kong, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. Foreign Policy Washington, bimestriel. The Guardian Londres, quotidien. The Independent Londres, quotidien. Istoé São Paulo, hebdomadaire. Kompas Jakarta, quotidien. Kurier Vienne, quotidien. Al-Modon (https ://fr-fr.facebook.com/AlModonNp) Beyrouth, en ligne. Moskovski Komsomolets Moscou, quotidien. An-Nahar Beyrouth, quotidien. The New York Times New York, quotidien. Oukraïnsky Tyjden Kiev, hebdomadaire. Der Spiegel Hambourg,

hebdomadaire. New Statesman Londres, hebdomadaire. Der Tagesspiegel Berlin, quotidien. The Times Londres, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. El-Watan Alger, quotidien. Al-Yaum Dammam, quotidien. Yediot Aharonot Tel-Aviv, quotidien. Your Middle East (yourmiddleeast.com) Stockholm, en ligne.

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

7 jours dans le monde6. Ukraine. L’étonnante victoire du jeune Front populaire

10. Controverse. Obama doit-il mettre fi n à l’embargo contre Cuba ?

D’un continent à l’autre— AMÉRIQUES12. Brésil. Pas d’état de grâce pour Dilma

13. Canada. La fi n de la naïveté

— MOYEN-ORIENT14. Israël. Ceux qui partent et ceux qui arrivent

16. Egypte. Le Caire sent l’urine

16. L’islam en débat. Daech est bien un produit local

— AFRIQUE18. Algérie-Libye. Une frontière sous haute surveillance

— ASIE 20. Indonésie. “Gouverner, c’est travailler”

22. Chine. Vers l’“élimination de la société civile”

— EUROPE 24. Allemagne. La revanche de l’Est

26. Autriche-Hongrie. Le temps est à l’orage entre Vienne et Budapest

27. Russie. Crimée : l’oppositionjette l’éponge

— FRANCE28. Vendanges. Les champignons attaquent la vigne

29. Diplomatie. Sauver les Mistral du naufrage

— BELGIQUE30. Social. Les syndicats du futur

A la une34. Obama, le mythe en miettes

Transversales40. Sciences. Les eff ets toxiques de la médecine chinoise

44. Economie. Le hadj, un business porteur

45. Signaux. Une toute petite piqûre

360°46. Sport. Le cricket, une passion indienne

50. Plein écran. La marche turque de Fatih Akin

52. Tendances. La ville ne tient qu’à un fi l

54. Musique. Un air de Berlin

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Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

7 jours dansle monde. ↓ Portrait d’Arseni Iatseniouk sur

une affiche de campagne du Front populaire, à Kiev, le 4 octobre. Photo Alexandr Maksimenko/Ria Novosti/AFP

UKRAINE

L’étonnante victoire du jeune Front populairePersonne ne s’attendait aux résultats des législatives du 26 octobre. Pas même le Front populaire, le tout nouveau parti fondé par Arseni Iatseniouk, qui a balayé les communistes et l’extrême droite.

SOURCEOUKRAÏNSKY TYJDENKiev, UkraineHebdomadaire, 30 700 ex.http://tyzhden.ua/ (en ukrainien)Fondée en 2007, “La Semaine ukrainienne” s’intéresse plus particulièrement aux questions de société et aux relations entre l’Ukraine et la Russie.

—Oukraïnsky Tyjden Kiev

En cette journée du dimanche 26 octobre, il règne une atmosphère paisible, presque assoupie, dans l’en-

ceinte du quartier général du Front popu-laire [fondé le 31 mars en tant qu’élément de Batkivchtchina, la formation de Ioulia Timochenko, le parti a affirmé son indé-pendance le 10 septembre]. Personne, pas même parmi ses représentants, ne peut alors imaginer ce qui l’attend. Les sondages le cré-ditent de 15 % des intentions de vote, et ses membres se préparent à une rude bagarre pour la deuxième place.

Au lieu de cela, le parti se retrouve à damer le pion au bloc présidentiel. [A l’heure où nous publions, 85,15 % des bulletins ont été dépouillés : le Front populaire est en tête avec 22 % des voix contre 21,7 % pour le Bloc Petro Porochenko, le parti du prési-dent. Ioulia Timochenko, elle, ne réalise que 5,7 %, et l’extrême droite moins de 5 %.] Et bientôt ce ne sont pas 30 ou 40 députés qu’il alignera à la Rada [le Parlement], mais 80, et cela alors qu’il n’existe que depuis deux mois à peine.

Reconnaissons-le, les gens ne votent pas seulement pour un parti, mais pour un diri-geant. Et la victoire du Front populaire doit donc beaucoup à la campagne d’affichage rendant omniprésent le visage du Premier ministre Arseni Iatseniouk, l’un de ses fon-dateurs. Pour le meilleur ou pour le pire, seul le temps nous le dira, même si l’on ne peut s’empêcher de repenser aux années 2006-2007, quand le centre de gravité du pouvoir avait basculé en faveur du gouvernement au détriment du président. Cela avait déclen-ché une lutte fratricide entre le président de l’époque, Viktor Iouchtchenko, et son Premier ministre, Ioulia Timochenko [tous deux portés au pouvoir par la “révolution orange”]. Un bras de fer sans vainqueur et qui, en fin de compte, avait permis le retour aux affaires de Viktor Ianoukovitch. Qu’on le veuille ou non, ce spectre-là nous hante, en dépit de tous les démentis des membres du Front populaire à ce sujet.

Pendant la première moitié de la jour-née du 26, pour accueillir les journalistes, seuls sont là Tetiana Tchornovol [elle-même journaliste, violemment passée à tabac par les gros bras de Viktor Ianoukovitch en décembre 2013], Teterouk [commandant

Compaoré s’accrocheBURKINA FASO — Des milliers de Burkinabés ont manifesté à Ouagadougou le 28 octobre contre le projet de révision de la Constitution. Celui-ci permettrait au président, au pouvoir depuis vingt-sept ans, de se représenter à l’élection présidentielle de 2015. “Pour prévenir les échauffourées, le gouvernement a fait fermer les écoles pour toute la semaine”, informe le magazine Fasozine.

La première taxe InternetHONGRIE  —  Des milliers de Bu dapestois se sont rassemblés dans le centre de la capitale le 26 octobre pour protester contre la taxe Internet proposée par le gouvernement de Viktor Orbán, relate le Budapest Times. Le projet prévoit d’imposer chaque gigaoctet de données transférées de 150 forints (0,50 euro). Avec cette taxe, “le streaming d’un film pourrait coûter 15 euros, celui d’une série entière environ 254 euros”, écrit EUobserver.com.

d’un bataillon de volontaires qui se bat dans le Donbass] et Dmitro Timtchouk [blogueur spécialisé dans les questions militaires] – autrement dit, toutes des personnalités hommes et femmes d’action qui contri-buent à donner une bonne image du parti. Ils se contentent d’évoquer les difficultés et les irrégularités constatées pendant le scrutin, parlent de la situation militaire à l’est et ainsi de suite, s’abstenant soigneu-sement de tout commentaire quant à l’ave-nir politique de leur formation.

Peu à peu, dans l’après-midi, l’ambiance change au quartier général du Front popu-laire, quand les premières rumeurs com-mencent à circuler sur les sondages de sortie des urnes. Puis, soudain, tout s’em-balle. Des serveurs dressent des tables et y déposent des bouteilles de vin, et l’atmos-phère s’échauffe fortement à 20 heures, au moment où les représentants des instituts de sondage communiquent leurs résultats, selon lesquels le Front populaire aurait laissé derrière lui tous ses adversaires et rem-porté plus de 20 % des suffrages, ce qui fait de lui un sérieux concurrent du Bloc Petro Porochenko.

Pourtant, aucun des chefs de file du parti – qu’il s’agisse d’Oleksandr Tourtchinov [actuel président de la Rada] ou d’Arsen Avakov, le ministre de l’Intérieur – n’a l’air particulièrement heureux. Ils ne cessent de louer les mérites de “[leur] Premier ministre”,

et leurs exigences sont claires : Iatseniouk fera tout pour que ses camarades restent au gouvernement. Et, comme la tendance se confirme au fil du dépouillement, nous sommes désormais en présence d’une force politique qui sera pleinement en mesure d’imposer ses revendications au président.

En fin de soirée, tout le monde attend l’intervention d’Arseni Iatseniouk. Notre “nouvel ancien” Premier ministre apparaît, et se montre tout sauf concret. Tout au plus reconnaît-il avoir promis de signer un accord sur la formation d’une coalition majoritaire avec Porochenko, accord qui sera finalisé quand le résultat des élections aura été offi-ciellement annoncé. Puis il s’éclipse aussi vite qu’il était venu, suivi par son équipe.

—Bohdan BoutkevitchPublié le 27 octobre

Duel idéologiqueURUGUAY — L’ex-président Tabaré Vázquez, du même parti que le sor-tant José Mujica, n’a pas réussi, avec 47 % des voix, à atteindre la majorité absolue lors du premier tour des élections du 26 octobre. Le 30 novembre, il affrontera le can-didat de centre droit Luis Lacalle Pou, qui a obtenu 30 % des voix. “Les Uruguayens ont l’air satisfaits du Frente Amplio après dix ans au pouvoir. Les politiques d’aide aux plus démunis ontuj nn assuré une vie plus confortable aux citoyens”, analyse le quotidien uruguayen El País.

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LE DESSIN DE LA SEMAINE

7 JOURS.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

La démocratie avance

ÉLECTIONS “La Tunisie qu’on aime”, titre l’éditorialiste du site tunisien d’informations Leaders, exprimant la satisfaction générale après les législatives du 26 octobre. “Un taux de participation honorable” (61,8 %) et des estimations qui donnent le parti séculier Nidaa Tounès (Appel de la Tunisie, centriste) vainqueur, avec 83 sièges sur 217. Le parti islamiste Ennahda serait en seconde position (68 sièges). Ce qui “démontre que les islamistes et l’islam politique peuvent être battus par des moyens démocratiques”. Aucun parti n’emporte la majorité absolue. La formation d’une coalition devra attendre la présidentielle du 23 novembre.

Les Britanniques se retirentAFGHANISTAN — “La Grande-

Bretagne met fi n à sa guerre en Afgha-nistan”, titre le Times. Une céré-monie célébrait le 26  octobre le retrait des der-

nières troupes britanniques, après treize années de présence dans le cadre des missions de l’Otan. “C’était un moment très symbo-lique qui marque la fi n de son plus long conflit des temps modernes, une intervention qui a coûté près de 40 milliards de livres [50,7 mil-liards d’euros], soit 2 000  livres [2 500 euros] par foyer”, et la vie de 453 soldats.

Fin du monopole russe sur le gazLITUANIE — Un méthanier nor-végien baptisé Independence est arrivé le 27 octobre à Klaipeda,

le principal port de mer litua-nien. Il met fi n au monopole du géant russe Gazprom, dont le contrat arrive à expiration fi n 2015 pour la livraison de gaz dans le pays. “A partir d’au-jourd’hui, les Lituaniens pourront fêter le 27 octobre comme le jour où ils se sont libérés du groupe Gazprom”, note l’éditorialiste du site d’informations 15min.lt. La compagnie lituanienne de gaz Litgas a signé a signé un accord de cinq ans avec la compagnie norvégienne Statoil lui permet-tant d’importer 540 millions de mètres cubes de gaz en 2015.

ILS PARLENTDE NOUS

ANA-MARIA MERLO POLI, correspondante à Paris du quotidien italien Il Manifesto.

“La gauche n’a pas beaucoup d’idées”Le chômage en France

est reparti à la hausse en septembre. C’est

un nouvel échec pour François Hollande ?C’est surtout un échec collectif en Europe.

Tout le monde applique les mêmes politiques, et elles

ne marchent pas. On avait en Italie beaucoup d’espoirs avec Matteo Renzi, jeune, dynamique et volontaire, mais fi nalement lui aussi se plie aux exigences de la Commission européenne.

Ici, on parle beaucoup de la réforme italienne du marché du travail. Que pensez-vous de ce projet?En Italie, la situation est bien moins bonne qu’en France. Avec la moitié des jeunes au chômage, c’est toute une génération qui est perdue. Le gouvernement italien cherche à supprimer l’article 18, qui protège les salariés des licenciements sans motifs. On veut donner de la fl exibilité au licenciement. On risque ainsi d’accentuer les défauts de l’économie italienne : les jeunes ne vont pas s’investir dans un emploi précaire sans avenir. Il y a eu le 25 octobre des manifestations monstres en Italie, à l’appel du syndicat CGIL, pour protester contre ce projet. C’est un syndicat pourtant plutôt modéré. On ne peut pas, pour réformer, faire marche arrière, limiter les droits.

Les gauches française et italienne font-elles fausse route ?Elles semblent surtout ne pas avoir beaucoup d’idées. Elles plient devant Bruxelles, qui réclame des réformes pour réduire les dépenses. Mais ce dont l’économie des deux pays a vraiment besoin, c’est de l’investissement. L’Italie a perdu 25 % de sa production industrielle depuis 2008. Plutôt que de changer le Code du travail, il faudrait avant tout gagner en investissement et en compétitivité et relancer la croissance. En précarisant un peu plus la société, on risque d’attiser dangereusement la contestation sociale et de faire monter le populisme.

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de doses de vaccins contre Ebola pourraient être produites dès le mois d’avril par le laboratoire américain Newlink Genetics, si les tests menés en décembre dans les pays les plus touchés par l’épidémie se révélaient concluants, indique le magazine Science. L’autre laboratoire, le britannique GlaxoSmithKline, est beaucoup plus prudent et prévoit 230 000 doses en avril et 1 million par mois dès décembre 2015. Pourquoi une telle diff érence ? Parce que Newlink a pris l’hypothèse optimiste, celle qui lui permet de produire des doses effi caces avec le minimum de matériel génétique. Autre inconnue dans cette course aux vaccins : les fi nancements qui seront nécessaires pour arriver à de telles productions.

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7 JOURS Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Vu d’ailleurs

Vendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vue de l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

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LCI

ISRAËL

Nétanyahou nourrit l’intifada à JérusalemDans un climat de tension maximale, les déclarations et les décisions du Premier ministre attisent la colère des Palestiniens.

—Ha’Aretz (extraits) Tel-Aviv

L e discours martial prononcé par Benyamin Nétanyahou le 23 octobre [la veille, un Palestinien

de Jérusalem-Est tuait un bébé et bles-sait 7 personnes dans une attaque à la voiture bélier] sur “Jérusalem réunifi é” illustre paradoxalement à quel point il en est déconnecté. Depuis au moins cinq ans, tout ce qu’il connaît de cette ville, ce sont les convois militaires qui l’emmènent de sa résidence offi cielle de Rehavia [quartier de Jérusalem-Ouest] au siège du gouvernement ou, une fois par an, à la grande synagogue, pour Yom Kippour.

De quel Jérusalem Nétanyahou parle-t-il ? La capitale “éternelle et indivi-sible” d’Israël n’existe que dans ses discours pompeux et les communiqués de presse publiés par son cabinet. Depuis dix ans, Jérusalem est une ville scindée

physiquement, certains de ses quartiers sont coupés en deux par le mur de sépa-ration et ses citoyens palestiniens sont au mieux oubliés, au pire discriminés.

Nétanyahou n’est pas le seul respon-sable de l’intifada qui est en train de se développer à Jérusalem depuis quelques mois, mais il y a contribué de façon déci-sive. Soit en multipliant les annonces de projets immobiliers destinés aux seuls Juifs à Jérusalem-Est [le 27 octobre, le gouvernement a annoncé l’accélération des plans pour la construction de 10 000 loge-ments supplémentaires], soit en emboî-tant le pas à des ONG [ultranationalistes] comme Elad ou Ateret Kohanim, qui encou-ragent l’implantation de colons juifs au cœur même des quartiers palestiniens.

Nétanyahou reprend donc sa posture favorite, celle du prédicateur. Il reproche à la communauté internationale de ne pas condamner le président de l’Auto-rité palestinienne [Mahmoud Abbas],

↙ Dessin de Schot, Pays-bas.

accusé de bouter le feu à Jérusalem. Or seul Nétanyahou est à blâmer. Ces cinq dernières années, son attitude envers les Palestiniens lui a ôté le soupçon de cré-dibilité qu’il lui restait auprès des alliés occidentaux d’Israël.

Nétanyahou en a été réduit à se compa-rer au Premier ministre canadien, Stephen Harper, qui a failli perdre la vie dans une attaque terroriste menée par un extré-miste islamiste en plein Parlement fédéral. Mais cette comparaison est encore plus risible que celle qu’il fait systématique-ment entre le Hamas et l’Etat islamique.

Jérusalem n’est pas Ottawa. Jérusalem est au cœur du confl it national et exis-tentiel qui oppose Israël aux Palestiniens. Même si l’on ne peut nier qu’il existe une haine islamiste dans la société palesti-nienne, la principale source de l’intifada qui est en train de se déclencher dans la capitale est le désir de centaines de mil-liers de Palestiniens de mettre fi n à l’oc-cupation [israélienne] et de vivre dans l’indépendance et la dignité.

Désormais, Israël aff ronte une combi-naison chimiquement explosive : une fl am-bée de violence à Jérusalem, un blocage diplomatique avec l’OLP et un isolement international qui va croissant. Le pro-blème, c’est que notre Premier ministre, et plus encore sa coalition gouvernemen-tale, ne voit les événements de Jérusalem que sous un angle sécuritaire : les fau-teurs de troubles doivent être éliminés. Ces “solutions” fi nissent là où elles com-mencent : davantage de soldats, davan-tage de policiers antiémeute, davantage d’arrestations et davantage de condamna-tions. Ces “solutions” ne peuvent qu’ali-menter un incendie qui aura tôt fait de se propager à toute la Cisjordanie.

—Barak RavidPublié le 24 octobre

Autoroutes pour cyclistesBELGIQUE — D’ici à 2018, la pro-vince de Flandre-Orientale aura achevé la construction de trois autoroutes pour cyclistes, relate De Standaard. D’une géographie très plane, cette région est très prisée des cyclistes. Le projet est destiné à faciliter les trajets “fonctionnels” à vélo – vers l’école, le bureau ou les commerces – en aménageant des voies droites et en bon état autour de Gand, le chef-lieu de la province. “Les autoroutes feront au minimum 3 mètres de large et seront de préférence en béton ou en asphalte. On table sur une vitesse de circulation de 30 kilomètres-heure”, précise le quotidien.

Un maire plus sage à TorontoCANADA — Connu dans le monde entier pour ses frasques (consom-mation de crack, de cocaïne, ivresse, excès de langage), Rob Ford quitte la mairie de Toronto. Son frère, Doug Ford, qui s’était porté candidat après avoir jeté l’éponge à cause d’un cancer, n’a pas réussi à lui succéder aux municipales du 27 octobre. Les électeurs, lassés de ses écarts de conduite, ont préféré le candidat de centre droit John Tory, qui

s’était présenté comme l’anti-Ford : prévoyant, conciliateur et pondéré. Un édile “aussi barbant que le Nebraska”, “une qualité que l’Histoire

retiendra comme son plus grand mérite”, se ré-jouit un ana-lyste dans le Toronto Star.

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ÉDITO

ÉDITO

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nationales. Or la génération qui soutient mordicus l’embargo est en train de mourir. Et pour les Américains d’origine cubaine plus jeunes, les sanctions sont plus un mal qu’un bien.

En 2009, le gouvernement Obama a fait un pas important pour assouplir l’embargo en adoptant un ensemble de lois et de poli-tiques qui permettent aux Cubains des Etats-Unis d’envoyer plus facilement des fonds à des membres de leur famille vivant sur l’archipel et de s’y rendre en voyage plus facilement aussi. Il a également ouvert la voie à l’établissement d’un réseau Internet et d’une couverture de téléphonie mobile.

La levée totale de l’embargo nécessitera l’approbation du Congrès. Mais il existe

encore beaucoup de choses que la Maison-Blanche peut faire sans le Congrès. Elle pourrait

par exemple supprimer les plafonds d’en-vois de fonds et autoriser les Américains à financer des entreprises privées à Cuba.

Elle pourrait aussi épauler les sociétés américaines qui aimeraient développer les télécommunications sur l’archipel. Car, si nous ne nous engageons pas sur le marché cubain aujourd’hui, nous laissons la place libre à nos concurrents.

Rétablir des relations diplomatiques, ce que la Maison-Blanche peut faire sans l’ap-probation du Congrès, permettrait aux Etats-Unis de renforcer la coopération dans des domaines où les deux nations collaborent déjà – comme la gestion des flux migra-toires, les patrouilles maritimes et la sécu-rité des plateformes pétrolières.

En avril, les chefs d’Etat du continent américain se réuniront dans la ville de Panama lors du septième Sommet des Amériques. Les gouvernements d’Amé-rique latine insistent pour que Cuba soit invité : l’île la plus peuplée des Caraïbes, et dont la population fait partie des plus instruites de la région, est depuis toujours exclue du sommet à la demande expresse de Washington.

Etant donné les multiples crises actuelles dans le monde, la Maison-Blanche voudra peut-être éviter de revoir radicalement sa politique cubaine. Mais se rapprocher de Cuba et amorcer un déblocage de la situa-tion pourrait rester dans l’Histoire comme l’une des plus importantes réalisations du gouvernement Obama au chapitre de la politique étrangère.

Une normalisation de ses relations avec La Havane améliorerait ses relations avec les autres gouvernements d’Amérique latine et mettrait fin à un problème qui bloque bien des initiatives sur le continent. —

Publié le 11 octobre

Nous connaissons une partie de ce qui s’est passé grâce au témoignage d’Ángel Carromero, l’homme politique espagnol qui se trouvait au volant de la voiture de location emmenant MM.�Payá et Cepero à un meeting de partisans. M. Carromero, en visite à Washington la semaine dernière, nous a dit que la voiture était suivie par la sécurité d’Etat cubaine depuis son départ de La Havane. Il raconte que lors du trajet il a principalement discuté avec M. Payá du projet Varela, une campagne de péti-tions courageusement lancée en 2002 par M. Payá en faveur de la démocratie à Cuba.

La semaine dernière, M. Carromero nous a répété qu’en réalité la voiture de location avait été percutée à l’arrière par un véhi-cule portant une plaque d’immatriculation du gouvernement. Ces dernières années, l’embargo américain a été considérable-ment assoupli pour permettre l’exporta-tion de centaines de millions de dollars de produits alimentaires et de médicaments, ainsi que l’envoi dans le pays de biens de consommation par des familles cubaines

établies aux Etats-Unis. Mais un assouplissement supplémentaire est-il mérité ? Le régime ne cesse

de persécuter les dissidents ; il maintient l’Américain Alan Gross en prison sur la base de fausses accusations. Même si Cuba flirte avec le libéralisme économique et a sup-primé les restrictions de voyage pour cer-tains, les frères Castro ne semblent en rien desserrer leur mainmise. Une levée pure et simple de l’embargo viendrait récompenser et entériner leur intransigeance. Une telle concession ne devrait pas être octroyée sans contrepartie. L’embargo ne devrait être levé que lorsque Cuba accordera une réelle liberté à son peuple. —

Publié le 20 octobre

OUI

Des sanctions absurdes—The New York Times (extraits) New York

Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, il est politiquement possible de rétablir des relations

diplomatiques formelles entre les Etats-Unis et Cuba, et de lever cet absurde embargo. Depuis longtemps le régime de Castro met les problèmes du pays sur le compte de l’embargo et force les Cubains ordinaires à vivre coupés du monde. M. Obama doit saisir cette occa-sion pour clore une longue période d’inimi-tié et aider la population cubaine, qui subit de plein fouet la rupture des relations diplo-matiques avec Cuba depuis 1961, deux ans après la prise de pouvoir de Fidel Castro.

L’archipel commence à autoriser ses citoyens à travailler dans le secteur privé et à accéder à la propriété. Au printemps, l’Assemblée nationale a adopté une loi pour encourager les investissements étrangers. En avril, les diplomates cubains ont entre-pris de négocier un accord de coopération avec l’Union européenne.

Certes, le gouvernement autoritaire continue de harceler et d’emprisonner les dissidents. Et il doit encore expliquer les circonstances suspectes dans lesquelles est mort le militant politique Oswaldo Payá [voir ci-contre]. Mais depuis quelques années les dirigeants cubains libèrent des prison-niers politiques détenus de longue date. Les restrictions sur les voyages ont été assou-plies l’an dernier, ce qui a permis à d’émi-nents dissidents de se rendre à l’étranger.

Cuba semble vouloir s’engager dans une ère postembargo. Le gouvernement a déclaré que la reprise de relations diplomatiques avec les Etats-Unis était la bienvenue et qu’il n’y mettait aucune condition.

Pour commencer, le gouvernement Obama devrait retirer Cuba de la liste des pays qui soutiennent des organisations terroristes. L’archipel a été inscrit sur cette liste en 1982 parce qu’il aidait des groupes terroristes d’Amérique latine, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Jusqu’ici, toutes les propositions visant à lever l’embargo mécontentaient les Américains d’origine cubaine, électo-rat jouant un rôle clé dans les élections

NON

Le peuple cubain n’est toujours pas libre—The Washington Post (extraits) Washington

Il y a quelques jours, Fidel Castro a écrit un article pour le journal du gou-vernement cubain, Granma, comme

il le fait périodiquement depuis son retrait du pouvoir. Il n’y tarit pas d’éloges à propos de l’éditorial du New York Times qui appelle à une fin de l’embargo commercial améri-cain contre Cuba. Mais il y a quelque chose qui chiffonne M. Castro : le journal new-yorkais mentionne le harcèlement des dis-sidents politiques et la mort non élucidée d’un grand avocat de la démocra-tie, Oswaldo Payá, et d’un jeune militant, Harold Cepero, dans un accident de voiture il y a deux ans. En sou-tenant que le gouvernement autoritaire de Cuba doit expliquer ces disparitions, le quo-tidien porte une “accusation facile et calom-nieuse”, écume M. Castro.

Alors pourquoi Cuba ne fait-il rien pour dissiper le nuage de suspicion qui entoure ces deux décès ? Si l’accusation est calom-nieuse, il est bien tard pour que M. Castro ordonne une enquête sur ce qui s’est passé sur cette route isolée de l’île dans la jour-née du 22 juillet 2012. En réalité, jusqu’à présent, Cuba ne fait pas dans la dentelle pour tenter d’étouffer et de nier l’affaire.

↓ Dessin de Dario, Mexique.CONTROVERSE

Obama doit-il mettre fin à l’embargo contre Cuba ?The New York Times appelle le président à accélérer la levée des sanctions commerciales contre Cuba. Une idée que ne partagent pas tous les Américains.

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Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Brésil. Pas d’état de grâce pour DilmaRéélue d’une courte tête, la présidente doit panser les plaies du pays sans attendre et réconcilier des Brésiliens désunis.

—Istoé São Paulo

L’un des plus grands chefs d’Etat du XXe siècle, le Premier ministre britan-

nique Winston Churchill (1874-1965), a dit un jour : “La politique est presque aussi excitante que la guerre, et tout aussi dangereuse.”

Le propos sonne comme une mise en garde qui s’adresse aujourd’hui à Dilma Rousseff, réélue pour quatre ans à la

Moyen-Orient ..... 14Afrique .......... 18Asie ............. 2Europe ........... 24France ........... 28

d’uncontinentà l’autre.amériques

investisseurs pendant sa campagne, assène le politologue Moisés da Silva Marques, de la Fundação Escola de Sociologia e Política de São Paulo. Il faudra de gros eff orts pour les reconquérir.”

Ce rapprochement devra passer par des gestes concrets de la prési-dente. Un premier geste serait de constituer une équipe économique jouissant d’une bonne crédibilité auprès des investisseurs. “Sans la confi ance des marchés, l’entourage de Dilma en sera réduit à essayer d’épon-ger des glaçons avec une serviette chaude”, ironise Roberto Romano, professeur d’éthique à l’université de Campinas [Unicamp, dans l’Etat de São Paulo]. L’usure du ministre des Finances Guido Mantega après quatre années de faible croissance et d’infl ation élevée est un indice de ce que l’on attend désormais du nouveau gouvernement de Dilma : une plus grande orthodoxie écono-mique, qui s’exprime notamment par des mesures immédiates de lutte contre l’infl ation.

Tensions. “Il faut un choc puis-sant, qui n’en sera que plus bref et moins douloureux pour tous”, estime l’économiste Roberto Luís Troster, du cabinet Troster e Associados. Autre mesure souhaitable : le réa-justement de tarifs publics devenus inadaptés, comme ceux de l’éner-gie, et la fi n des interventions sur les taux de change. Mais le plus diffi cile sera de rééquilibrer les comptes de l’Etat, car cela oblige à choisir entre réduire les dépenses publiques et augmenter la fi sca-lité. “Soit vous réduisez les moyens octroyés à l’un, soit vous prenez dans les poches de l’autre”, résume Roberto Luís Troster.

Le hic, c’est qu’aucune de ces deux options ne sera douce aux oreilles de la classe moyenne urbaine, autre frange du Brésil exas-pérée par la campagne du Parti des travailleurs [de Dilma Rousseff ].

Endettée, avec un pouvoir d’achat grignoté par la hausse des prix, cette partie de la population ne supportera pas une augmentation des impôts et ne supporte déjà plus la mauvaise qualité des services publics. “Dilma a coupé bien des ponts avec l’électeur urbain à revenu moyen”, avance Paulo Baía, socio-logue et politologue à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. La pré-sidente pourrait par exemple aug-menter les investissements dans la santé, l’éducation et la sécurité, trois domaines très chers à cette frange de la société brésilienne. Il faudra aussi trouver le moyen de

désamorcer les tensions dans les relations avec le Congrès, qui pren-dra ses fonctions en 2015 et qui est considéré comme le plus conserva-teur depuis 1964. Autant dire que le dialogue avec les parlementaires ne sera pas facile. “Dilma n’aura pas de lune de miel, assure Paulo Baía. Son deuxième mandat a com-mencé dès ce 27 octobre”, estime le sociologue, qui a vu les soutiens habituels de Dilma prendre leurs distances durant la campagne et fl irter avec Aécio Neves.

Afin de panser les blessures, la présidente pourra anticiper la désignation de son gouvernement, sans attendre l’investiture offi -cielle, prévue pour le 1er janvier. Elle aurait aussi tout intérêt, dans les quatre prochaines années, à ouvrir la discussion avec un acteur qu’elle a passé tout son premier mandat à ignorer : l’opposition. “Elle a rem-porté une élection, pas un titre de monarque, lâche Carlos Melo, poli-tologue à l’Insper, une grande école de commerce. Et ça ne suffi t pas pour gouverner un pays aussi divisé.” Comme le résumait l’ancien prési-dent Fernando Henrique Cardoso le jour du scrutin, “le vainqueur de cette élection aura pour responsa-bilité de rétablir un climat d’amitié entre tous les Brésiliens”.

—Márcio JuliboniPublié le 27 octobre

présidence du Brésil au terme du scrutin le plus disputé depuis le retour au suff rage direct, en 1989. Cette victoire à l’arraché [51,6 %] face à Aécio Neves, le sénateur du Parti de la social-démocratie brési-lienne [PSDB, centre droit], révèle la fracture qui s’est dessinée dans la population brésilienne au cours de cette élection.

Si elle ne veut pas se retrouver otage d’une société divisée qui para-lyserait son gouvernement, Dilma

doit rapidement rouvrir le dialogue avec ces franges du Brésil qu’elle a attaquées durant sa campagne.

De fait, la candidate sortante a misé sur l’antagonisme classique du “nous contre eux”, qui vise à oppo-ser les couches sociales les moins aisées ainsi que les bénéfi ciaires des programmes sociaux, à savoir son électorat de base, aux entre-prises et à une partie des classes moyennes urbaines. “Dilma a diabolisé les chefs d’entreprise et les

Dénigrement●●● La campagne présidentielle a suscitéune avalanche d’échanges intolérants sur les réseaux sociaux, particulièrement à l’encontre de la présidente candidate, soulignent les observateurs. Les médias brésiliens ont attisé ce déferlement incendiaire, estime l’Observatoire national de la presse (Observatório da Impresa), qui relève “la vision catastrophiste que les journaux ont donnée de la situation économique du pays pendantla campagne, alors qu’ils proposent maintenant [après l’élection] un scénario diff érent”. Selon cet organisme, une bonne part de la presse est complice du bras de fer entre le Sud (riche) et le Nord ou le Nordeste, plus pauvres.

↓ Dessin de Lailson paru dans Diario de Pernambuco, Recife.

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AMÉRIQUES.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

islamiste alors que la presse étrangère, elle, n’hésitait pas à mettre un nom sur ces atten-tats. Ne faut-il pas s’étonner aussi que ce soit un journal britannique, The Guardian, qui ait le premier évoqué ouvertement un échec des services de sécurité canadiens ?

Car, au fond, ce qui frappe dans le profil des deux jeunes terroristes de Saint-Jean-sur-Richelieu et d’Ottawa, c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à voir avec un vrai “loup solitaire” comme le caporal Lortie, qui avait fait irruption à l’Assemblée nationale en 1984 [faisant trois morts et treize blessés dans une fusillade]. Nous avons depuis long-temps changé de monde. Ces attentats res-semblent au contraire comme deux gouttes d’eau à ceux commis ces dernières années par de jeunes esprits galvanisés par l’isla-misme en Belgique, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Comme Mohamed Merah, à Toulouse en 2012, Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau visaient des militaires. Comme Merah, Bibeau avait le profil d’un petit délinquant qui avait récemment trouvé sa “voie” dans l’islamisme. Comme les respon-sables des attentats de Boston, de Toulouse et de Bruxelles, ces jeunes extrémistes ne semblent pas avoir été embrigadés dans une organisation centralisée et bien struc-turée. Attirés par le djihad en Syrie, ils se sont mobilisés spontanément après avoir été soumis à la propagande d’imams radi-caux dans des mosquées et sur Internet.

L’exemple de la plupart de ces jeunes vient démentir le discours de ces bonnes âmes antiracistes qui ne voient dans le ter-rorisme que le résultat de la misère maté-rielle ou l’œuvre d’un fou. On sait depuis le 11 septembre 2001 que le terrorisme isla-miste attire souvent des jeunes issus de la

—Le Devoir (extraits) Montréal

Le Canada est un pays où l’on peut facilement se croire hors du monde. Il existe en effet une forme d’excep-

tionnalisme canadien. Peut-être parce que le territoire du Canada n’a pas été touché par les deux grands conflits du XXe  siècle, peut-être à cause de son isolement géogra-phique dans le nord des Amériques, peut-être aussi à cause d’un certain sentiment de supériorité assez répandu dans le monde anglo-saxon et les pays riches, le Canada se croit le plus souvent à l’abri des grands cou-rants qui déchirent le monde. Les Français et les Américains n’ont pas cette option.

Combien de fois celui qui arrive de l’étran-ger se fera-t-il répondre : “Oui, mais au Canada ce n’est pas pareil.” Les problèmes d’intégration et d’immigration ? “Oui, mais ici il n’y en a pas !” La laïcité ? “Au Québec, ce n’est pas comme en France !” La montée de l’islamisme ? “Ben voyons, au Canada tout va bien.” Comme si le Canada vivait quelque part dans une sorte de nirvana glacé au nord du 45e parallèle.

Or si les événements tragiques qui se sont déroulés à Saint-Jean [en grande banlieue de Montréal, le lundi 20 octobre, le suspect Martin Couture-Rouleau a renversé deux militaires avec sa voiture, blessant griève-ment l’un d’entre eux] et à Ottawa [dans la capitale fédérale, le mercredi 22 octobre, Michael Zehaf-Bibeau a tué un militaire avant de faire irruption, armé, dans le Parlement et d’être abattu] démontrent une chose, c’est justement que le Canada n’est pas hors du monde. Il était sidérant d’entendre certains animateurs de radio redoubler de périphrases et d’acrobaties linguistiques afin d’éviter toute référence au terrorisme

CANADA

La fin de la naïvetéNon, les Canadiens ne vivent pas dans un “nirvana glacé”. Les deux attentats commis à Saint-Jean et à Ottawa montrent que le pays n’est pas immunisé contre la violence.

classe moyenne, sinon de milieux favori-sés, et souvent instruits. On l’avait décou-vert à Londres en 2005. Chez nous, Michael Zehaf-Bibeau était le fils d’une fonction-naire fédérale et d’un commerçant libyen qui gagnaient bien leur vie. Il avait fréquenté l’école privée. A Boston, les frères Tsarnaev ne vivaient pas non plus dans la misère et avaient étudié à l’université.

Or, ce qui distingue le Canada si on le compare aux autres pays où de tels atten-tats ont été commis, c’est une certaine indifférence à l’égard de la poussée inté-griste pourtant historique qui caracté-rise le monde musulman. Le Canada reste en effet un des rares pays occidentaux où le multiculturalisme conserve encore ses lettres de noblesse. En son nom, combien de Québécois se taisent ou haussent les épaules devant la montée de l’intégrisme et la prolifération du voile islamique de peur de “stigmatiser” quelqu’un ? Aurait-on les mêmes réserves si les “bérets blancs” [inté-gristes catholiques] se multipliaient dans nos écoles ? Quant à ceux qui osent s’ex-primer, ils se font vite traiter de racistes.

Le Québec aime se rêver en pays paci-fique immunisé depuis toujours contre la violence. Il y a pourtant une grande part de mythe dans cette idée. De Polytechnique [le 6 décembre 1989, Marc Lépine ouvre le feu dans l’université, tuant quatorze femmes et blessant quatorze autres per-sonnes] à l’attentat de Saint-Jean, en pas-sant par octobre 1970 [série de troubles impliquant les indépendantistes du Front de libération du Québec (FLQ)], le Québec a connu plus que sa part de violence. S’il y a un aspect positif malgré tout dans le drame que nous avons vécu ces derniers jours, c’est peut-être qu’il annonce la fin d’une certaine naïveté.

—Christian RiouxPublié le 24 octobre

Vu du monde arabe

“Candides” et “pacifiques”● Les Canadiens ne célèbrent pas Thanksgiving le même jour que les Américains. Ils ne donnent pas non plus le même sens à cette fête. Pour eux, il s’agit de remercier le Seigneur pour les récoltes, alors que les Américains le remercient pour la paix avec les Indiens. Les Canadiens mettent tous les conflits politiques entre parenthèses ce jour-là, alors que les Américains y voient l’aboutissement de plus d’un siècle de conflits. Les Canadiens estiment qu’ils sont pacifiques, bons et innocents, par contraste avec les Etats-Uniens, qui seraient agressifs, dominateurs et expansionnistes. Il y a une part de vérité dans cette vision positive qu’ils ont d’eux-mêmes. Les Canadiens n’ont jamais colonisé autre chose que les autochtones sur leur propre territoire. En dehors de cela, ils n’ont versé ni dans le colonialisme ni dans l’impérialisme, n’ont pas pillé les ressources naturelles d’autres continents, ni organisé des coups d’Etat, ni mené des guerres d’occupation. Le Canada a en revanche été un refuge pour les Noirs fuyant l’esclavage qui régnait aux Etats-Unis. Le Canada est une terre d’asile pour des personnes fuyant les guerres et les famines dans leurs pays d’origine. Et, bien qu’il s’agisse d’un pays moderne, démocratique et organisé, il ne s’arroge pas le droit d’intervenir dans les affaires d’autres pays. Aussi, les Canadiens sont irrités par la participation de leur pays à l’opération militaire que les Etats-Unis mènent contre Daech [l’Etat islamique]. Ils préfèrent qu’on ne leur en parle pas. Quand on insiste, ils bredouillent quelque chose sur le suivisme de leur gouvernement derrière Washington.Mais c’est quand les médias canadiens parlent des 160 jeunes qui ont rejoint Daech – dont certains de souche, c’est-à-dire blancs et chrétiens – que la candeur canadienne brille de tout son éclat. Par un discours d’une simplicité saisissante, ils expliquent que ceux-là affirment ainsi leur identité individuelle, expriment une forme de protestation, cherchent l’aventure.

—Dalal Al-BizriAl-Modon (extraits) Beyrouth

Publié le 23 octobre

Un des rares pays occidentaux où le multiculturalisme conserve encore ses lettres de noblesse

SOURCELE DEVOIRMontréal, CanadaQuotidien, 31 902 ex.www.ledevoir.comOnzième quotidien en termes d’audience au Québec, ce journal d’opinion et de débat d’idées fondé en 1910 est considéré comme une référence dans la province. Il se donne pour mission d’alimenter la réflexion des lecteurs afin de favoriser le progrès politique, économique et culturel de la société québécoise.

↙ Dessin de Vincent L’Épée paru dans L’Express, Neuchâtel.

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moyen-orient

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

—Your Middle East (extraits) Stockholm

Je voudra is me pencher sur l’échange de populations qui est en train de s’opérer, non pas du

fait de réfugiés, mais entre la diaspora juive, européenne en particulier, et la population israélienne. Ces dernières années, l’Europe a connu une montée de l’antisémitisme. Ce phénomène s’in-tensifie quand le Moyen-Orient est en proie à des violences, mais il n’est pas seulement une conséquence de ces vio-lences. Les actes antisémites sont par-ticulièrement nombreux en France et en Belgique, où vivent une minorité

juive et une communauté musulmane importantes. En France, des synago-gues et des magasins appartenant à des Juifs ont fait l’objet d’attaques isolées. En Allemagne, on constate une pro-gression alarmante des manifestations antisémites, et à Rome les graffitis anti-sémites sont devenus monnaie courante. La fusillade qui a eu lieu dans un musée juif de Bruxelles en 2014 s’est produite à un moment calme [avant le début de la guerre à Gaza].

Cette vague d’antisémitisme a poussé certains Juifs d’Europe à acquérir une résidence secondaire en Israël, voire à se domicilier dans ce pays. Pour eux, Israël continue à représenter un refuge où se

Secoués par l’antisémitisme, de nombreux Juifs européens émigrent vers l’Etat hébreu, pendant que des Israéliens quittent la Terre sainte pour l’Europe.

Israël. Ceux qui partent et ceux qui arrivent

—Yediot Aharonot (extraits) Tel-Aviv

Les Israéliens émigrant à Berlin se sont vu traiter de tous les noms ces derniers jours : mauviettes,

nazis, négationnistes, renégats. Pour le ministre des Finances, Yaïr Lapid, nous sommes des “antisionistes” : nous aban-donnons Israël et bradons nos valeurs pour des pots de crème un peu moins chers [à Berlin]. D’autres disent que le coût de la vie en Israël est clairement trop élevé, mais que nous devons tout de même rester et nous battre dans cette minus-cule terre sacrée qui nous a été donnée.

Il y a trois ans [à l’été 2011], la société civile israélienne a fait front commun autour d’une lutte bien réelle, pour dire à nos représentants que quelque chose ne marchait pas et qu’il fallait y remé-dier. Moi aussi, je suis descendu dans la rue et j’ai participé aux manifestations [à Tel-Aviv et dans d’autres villes israé-liennes], parce qu’Israël est mon pays, parce que l’hébreu est ma langue et parce qu’en toute honnêteté je préférerais vivre à Tel-Aviv qu’à Berlin.

“Ce n’est pas pour le pot de crème que je pars”

Lettre d’un jeune de 25 ans qui, excédé par les politiques ultralibérales ciblant la classe moyenne israélienne, est parti s’installer à Berlin.

mettre à l’abri de ces actes antisémites. Il est vrai qu’en s’y installant ils béné-ficient pendant un certain temps d’une exonération de l’impôt sur le revenu, mais ce n’est pas leur seule motivation.

A l’inverse, je vois aussi beaucoup de mes compatriotes israéliens faire la demande d’un second passeport, un passeport européen. Certains de leurs parents ou grands-parents étant origi-naires d’Europe, ces gens prennent le temps de se rendre dans diverses ambas-sades, de fournir les preuves des origines de leur famille et ils attendent l’arrivée au courrier d’un second passeport… au cas où. Ils en auront peut-être besoin si la situation se détériore [en Israël].

Second passeport. Les commentaires postés ces derniers temps sur les réseaux sociaux ne sont pas très optimistes [notamment des appels aux Israéliens à s’installer à Berlin] et on y dénote une réelle inquiétude sur le type de société qu’Israël est en train de devenir. Il n’y a plus de réelle liberté d’expression, du moins pour la coalition de gauche et les journalistes modérés qui semblent se situer plutôt à gauche. La gauche n’a pas perdu sa voix, elle est intimidée, réduite au silence. Les gens se demandent quel type de société et de valeurs ils vont laisser à leurs enfants et petits-enfants. L’acquisition d’un second passeport se fait discrètement, car elle est perçue comme l’opposé d’un vote de confiance patrio-tique destiné à assurer la survie d’Israël.

Il existe donc deux pans de la popula-tion juive, l’un dans la diaspora, l’autre en Israël, qui pensent que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la barrière. On peut se demander lequel se trompe et lequel va se décider à partir. L’exode d’Is-raël sera-t-il plus important que l’afflux de migrants européens ? L’immigration d’Amérique du Nord suffira-t-elle à com-bler la différence ? A l’heure où j’écris ces lignes, un avion rempli de nouveaux migrants vient d’atterrir.

Les Israéliens qui partiront pour l’Eu-rope, comme je l’ai fait il y a quatre ans, s’apercevront que la politique du gou-vernement israélien continuera inévita-blement à affecter leur vie quotidienne, même dans le petit village reculé où ils se seront installés. Car la population locale leur rappellera qu’ils sont juifs et ont donc des liens avec leur pays d’ori-gine. Peu importe qu’ils adhèrent ou non à la politique du gouvernement israélien, aujourd’hui il y a quelque chose de dif-férent dans l’air. Les Israéliens font le point sur leur vie, sur leur existence et sur l’avenir. A leurs frontières, ils voient la violence des mouvements djihadistes qui s’en prennent à leurs frères [dans les pays arabes]. Ils voient l’organisation Etat islamique distribuer des tracts à Oxford Street pour encourager les musulmans de Grande-Bretagne à passer à l’action

et à rejoindre le nouveau califat. Les Israéliens ne se contentent pas de dresser un plan pour le ranger dans un tiroir, au contraire, ils le sortent, l’époussettent et analysent ses différentes options.

Beaucoup de Juifs en Europe disent que la situation leur rappelle celle qui régnait en 1936 et se souviennent de ceux qui, devançant les événements, ont décidé de partir, ce qui leur a valu de survivre. Pour certains, on n’en est pas encore arrivé à une situation aussi dramatique. Pendant ce temps, en Israël, on ne considère plus l’émigration comme une attitude “à contre-courant”, ainsi qu’on le faisait dans les années 1970, où les migrants étaient perçus comme des traîtres à leur pays. Il est très intéres-sant de considérer ces deux flux migra-toires comme deux courants dans un fleuve et de voir dans quelle direction l’eau s’écoule.

—Naava MashiahPublié le 30 septembre

↙ Dessin de Beppe Giacobbe paru dans Corriere della Sera, Milan.

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Courrier international

Mais notre mobilisation n’a rien donné. Le gouvernement a changé, mais les prix du logement et des denrées alimentaires n’ont cessé de grimper. Je vous le dis fran-chement : ça ne sert à rien d’attendre les élections en Israël. Ça ne sert à rien de mettre des messages sur les pages Facebook des politiciens ni de dire que vous “aimez” telle ou telle manifestation dans l’espoir de les infl uencer. Les élec-tions font apparaître de nouvelles têtes, les partis changent de nom, mais les poli-tiques n’oublient jamais pour qui ils tra-vaillent, et ce n’est pas pour nous.

Je n’ai pas envie de rester planté sous une tente comme un miséreux sur le bou-levard Rothschild [à Tel-Aviv] en espérant que quelqu’un veuille bien venir m’écou-ter et me donner un coup de main. J’ai 25 ans. Je ne connais rien à l’économie et guère plus aux politiques de réglementa-tion, mais je sais que, même si je travaille vingt ans en Israël, je ne pourrai jamais m’acheter un appartement dans ce pays. Jamais je ne pourrai faire mes courses sans réfl échir un millier de fois avant de mettre quoi que ce soit dans mon panier.

Une nation pour riches. Je ne connais rien au marché immobilier, mais j’ai du mal à comprendre qu’un appartement dans le Berlin branché coûte 500 000 she-kels [105 000 euros] alors qu’il faut s’en-detter à hauteur de 1,6 million de shekels [336 000 euros] pour acquérir un loge-ment dans un Etat du Moyen-Orient vivant sous la menace de missiles. Je le dis fran-chement au gouvernement israélien : féli-citations, vous avez gagné, nous sommes battus. Vous avez exactement créé l’éco-nomie que vous vouliez. En 2014, l’Etat d’Israël est une nation pour riches Juifs, pour les employés des nouvelles techno-logies et pour les enfants de généraux.

Vous voulez nous parler de valeurs ? Vous dites que [le fondateur d’Israël] David Ben Gourion et [le fondateur du sionisme] Theodor Herzl se retournent dans leurs tombes parce que nous émi-grons en Allemagne ? Mais que diraient-ils de vous, les représentants du peuple qui n’avez eu de cesse que vous n’ayez créé un Etat dans lequel les jeunes n’ont aucune chance d’acheter un logement ? Un Etat dans lequel les jeunes couples reportent leur projet de fonder une famille lorsqu’ils voient combien cela va leur coûter. Un Etat dans lequel une personne qui tra-vaille est pauvre et humiliée. Un Etat dans lequel les étudiants vivent comme des chiens dans des taudis.—

Publié le 15 octobre

“Même si je travaille vingt ans en Israël, je ne pourrai jamais m’acheter un appartement dans ce pays”

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MOYEN-ORIENT Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

5e volet d’une série de chroniques consacrées aux débats qui agitent le monde musulman depuis l’émergence de l’Etat islamique

Daech est bien un produit localL’Etat islamique est l’héritier des régimes totalitaires arabes qui se présentaient comme “laïques” et qui ont marginalisé toutes les villes arabes jadis créatives et cosmopolites.

—An-Nahar Beyrouth

L es raids aériens des Etats-Unis, de l’Arabie Saoudite, des Emirats

arabes unis, du Bahreïn et du Qatar contre l’organisation Etat islamique (Daech) en Syrie constituent un nouvel indice de la profondeur de la crise et de l’étrangeté des événements qui agitent certains pays arabes. Nous voilà avec des guerres civiles en Syrie, en Libye, au Yémen et en Irak, sans comp-ter des pays comme le Liban et Bahreïn, qui sont au bord du gouffre. Nous assistons au retour des Etats-Unis, qui essaient d’éradiquer le cancer que représente Daech du corps politique syrien et irakien.

Certes, la catastrophique invasion américaine de l’Irak [en 2003] a contribué à l’essor du monstre du communauta-risme. Celui-ci ravage deux pays arabes [Syrie et Irak] qui avaient été jadis des foyers de civilisation d’importance mon-diale. Il n’en reste pas moins que ce ne sont pas les Américains [contrairement à ce qu’on dit dans le monde arabe] qui ont créé ces affres. C’est notre propre culture politique qui les a suscitées au cours des dernières décennies.

Déserts culturels. Daech a jailli d’une terre brûlée par des régimes autoritaires, des partis uniques, des “sauveurs” et des minorités qui ont accaparé le pouvoir. Cela s’applique à la Syrie, à l’Irak, à l’Egypte, au Yémen, à la Libye et à Bahreïn. Ce sont des régimes répres-sifs “laïques” qui ont préparé le terrain au cancer djihadiste, en éradiquant toute alternative politique, comme celle qu’on appelle l’“islam politique”.

Il est vrai que Daech, et avant lui Al-Qaida, et encore avant la Gamaa Islamiya [mouve-ment islamiste égyptien], est

une organisation terroriste, à la différence des mouvements politiques tels que les Frères musulmans, qui militent poli-tiquement, même s’ils ont un passé violent. Il n’en reste pas moins que tous ces mouvements islamistes radicaux sont pro-fondément enracinés dans le monde arabe et s’inspirent d’une manière ou d’une autre des idées communément admises des Frères musulmans. Dans les âneries proférées par Oussama Ben Laden, nous entendons un puissant écho des écrits de Sayyid Qutb, le principal théo-ricien [égyptien (1906-1966)] des Frères musulmans.

En tant qu’Arabes et musul-mans, nous ne devons pas nous attendre à ce que le président américain Barack Obama trouve la solution à notre place. La solu-tion commence par un regard critique sur notre déplorable situation politico-culturelle.

Daech est de fabrication locale, comme l’a été le parti Baas [syrien et irakien], auto-ritaire et chauviniste, ainsi que

tous les autres régimes tota-litaires. Cet héritage autori-taire a marginalisé les villes qui débordaient de vie cultu-relle, de créativité artistique et d’activité politique : Alexandrie, Le Caire, Beyrouth, Damas, Bagdad. Ces villes étaient des mosaïques culturelles et démo-graphiques, fondées sur le plura-lisme et la cohabitation – entre musulmans et chrétiens, Juifs et Kurdes, Arméniens et Assyriens, hommes de gauche et conser-vateurs, croyants et athées. Ces villes ressemblent aujourd’hui à des déserts culturels. Y a-t-il aujourd’hui une bonne uni-versité en Egypte ? Combien de livres dans le monde arabe ont été publiés, et qui méritent d’être lus ? Quel est l’apport des Arabes à la science ? Après la défaite [contre Israël] de 1967, Beyrouth était devenue la ville où les Arabes ont entamé un processus d’autocritique. Aujourd’hui, rien de tel n’est possible.

—Hicham MelhemPublié le 25 septembre

L’ISLAM EN DÉBAT

—Ahram Online (extraits) Le Caire

Un samedi après-midi, dans le centre du Caire, les toilettes publiques

du [quartier] Bab Al-Louq sont v ides. Avec leurs trois uri-noirs, leurs trois cabines et leur silence assourdissant, ces lieux contrastent avec l’ani-mation du centre-ville, où les Cairotes se retrouvent le week-end. Juste en face de ces toi-lettes, de l’autre côté de la rue, se dresse la chambre de com-merce du Caire, un bâtiment dont les marches empestent l’urine. Dans le centre du Caire, de nombreux espaces décou-verts sont régulièrement compis-sés par la population. Le centre historique de cette ville chaude et polluée, où il pleut rarement, dégage des odeurs qui n’ont rien d’agréable et s’orne de coulures qui n’ont rien de décent. Malgré le nombre de passants qui se soulagent sur les marches de la chambre de commerce, derrière des portes de voitures au milieu de la circulation ou le long de la corniche de Garden City [quar-tier huppé du Caire], il est rare de voir un citoyen indigné ou un policier dire son fait à l’inté-ressé. Malgré la présence de toi-lettes publiques et le tort causé à l’image de la ville, pourquoi les gens urinent-ils partout sans

ÉGYPTE

Le Caire sent l’urineLes passants se soulagent au milieu de la circulation, sur la corniche et sur les ponts sans que personne, pas même les policiers, s’en offusque.

que personne ait l’air d’y atta-cher d’importance ?

Moha med, gér a nt de la station-service Mobil de la rue Abdel Salam Aref, explique que cela tient en grande partie aux tarifs pratiqués dans les toi-lettes publiques. “Quelqu’un qui a de l’argent n’a pas de problème pour venir ici et payer 0,25 ou 0,50 piastre [entre 3 et 5 centimes] afin d’utiliser nos toilettes, fait-il valoir. Mais quelqu’un de moins de fortuné va se dire : ‘Pourquoi payer quand on peut faire ça gra-tuitement dans la rue et avoir accès gratuitement à de l’eau n’importe où pour se laver les mains ?’ Les gens qui demandent s’ils peuvent utiliser le tuyau d’ar-rosage sont bien plus nombreux que ceux qui demandent à utili-ser les toilettes.”

Trop paresseux. Dans les stations-service et les bâti-ments officiels, les toilettes sont payantes. Alors où peut-on aller sans payer ? Dans des établissements du centre-ville comme Gad, McDonald’s ou Strand Coffee Shop, le person-nel et la direction permettent à tout le monde d’utiliser les toilettes. Même chose pour les nombreuses mosquées. “Je peux aller aux toilettes dans n’importe quelle mosquée du quartier, mais j’ai l’impression que beaucoup de gens ne sont pas au courant de cette possibilité”, explique un éboueur du centre-ville. “La plupart des gens qui urinent en public sont trop paresseux pour chercher des toilettes, ou bien ils sont diabé-tiques, ou alors ils s’imaginent que personne ne va les laisser accéder aux toilettes”, assure un vigile posté devant la Banque nationale, rue Sherif. “J’évite autant que pos-sible les ponts du centre à cause de l’odeur, se plaint Abbas, 37 ans, habitant de Zamalek [autre quar-tier huppé]. C’est la face sombre du Caire.” Et d’ajouter que “même les panneaux ‘Interdit d’uriner’ sont couverts d’urine”.

Les Cairotes ne sont pas les seuls à en avoir assez de voir leur ville compissée. Beaucoup de cités de par le monde sont confrontées au même problème. En 2007, le maire de Paris a lancé une campagne contre la préfé-rence marquée des Parisiens pour les lampadaires et les pan-neaux de signalisation, au détri-ment des toilettes publiques.

—Amr KotbPublié le 2 octobre

“J’évite les ponts du centre du Caire à cause de l’odeur. Même les panneaux ‘Interdit d’uriner’ sont couverts d’urine.”

↑ Sur le drapeau : EI. Sur la pancarte : Moyen-Orient ? Non, Moyen-Age. Dessin de Chappatte paru dans International New York Times, Paris.

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LES VOYAGES DE LA LIBRE

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AMÉRIQUES Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014D’UN CONTINENT À L’AUTRE

—El-Watan (extraits) Alger

Des miradors en béton hauts de 14 mètres, des murs en remblai, des drones de reconnaissance, des

moyens aéroportés et des unités des forces spéciales pour traquer les terroristes sur l’étendue de la wilaya d’Illizi, dans le sud-est du pays, et protéger les sites gaziers de Sonatrach. Tout au long de la frontière avec la Libye, le dispositif de sécurité déployé est impressionnant. Des équipements sophistiqués, mais aussi l’engagement des forces aériennes et ter-restres de l’ANP [Armée nationale populaire], mobilisées en soutien aux gardes-frontières.

Notre voyage commence à In Amenas, où se concentrent les plus importantes infras-tructures gazières du pays. Il y a vingt-deux mois seulement [le 16 janvier 2013], à quelques dizaines de kilomètres du centre-ville, dans

le champ gazier de Tiguentourine, une tren-taine de terroristes armés ont investi la base de vie des travailleurs, pris en otages des centaines d’entre eux [dont plusieurs Occidentaux] et tenté de faire exploser l’unité de production. Minutieusement pré-parée à partir du territoire libyen, l’opéra-tion a suscité une médiatisation planétaire.

Ce sont les unités des forces spéciales de l’ANP qui ont été chargées de mener l’assaut,

quarante-huit heures après l’at-taque. L’intervention s’est soldée par l’élimination de l’ensemble des

éléments du groupe terroriste et la mort d’une trentaine d’otages. Nombre de ces derniers ont été utilisés comme bouclier humain. Le monde entier a alors pris conscience de la gravité de la menace que constitue la situa-tion en Libye, un pays avec lequel l’Algérie partage une frontière qui s’étend sur plus de 900 kilomètres. Pour les autorités, le

défi est de taille et relève de l’urgence. Pour mieux coordonner les eff orts et optimiser les résultats, des secteurs opérationnels mili-taires ont été créés, l’un à Djanet et l’autre à In Amenas, deux autres à In Salah [dans le centre] et Bordj Badji Mokhtar [dans le Sud, à la frontière avec le Mali]. Durant une semaine, nous avons fait le tour de nombreux points de contrôle, avec comme première escale la ville de Debdeb, à 230 kilomètres au nord d’In Amenas.

Plus de deux heures de pistes et de routes détériorées avant d’arriver au centre de cette ville qui semble totalement déserte. Il est midi passé et la température avoisine les 35 °C à l’ombre. Nécessaire, la petite halte nous permet de faire le tour des quartiers. Ici, c’est le bout du pays. Les événements en Libye ont eu de lourdes répercussions sur les habitants, habitués depuis des années à vivre du troc et du trabendo (contrebande) avec la ville libyenne de Ghadamès, située à quelques kilomètres seulement. En raison de la fermeture de la frontière, beaucoup se sont retrouvés au chômage et d’autres ont basculé dans le trafi c de drogue et (à un degré moindre) d’armes.

Détecter. Le premier poste des gardes-fron-tières se trouve à près de 20 kilomètres de piste. Un mirador domine toute la zone en faisant face à une ligne de bornes qui séparent le territoire algérien de celui de la Libye. Quelques palmiers parsèment le paysage aride de cette localité.

Le va-et-vient incessant des véhicules militaires tout-terrain soulève une traî-née de poussière aveuglante. “C’est un poste avancé assez important. Il est à 900 mètres seulement du territoire libyen. Le militaire que vous voyez au sommet du mirador est doté de moyens techniques de vision nocturne et thermique, mais aussi de communication, pour être en contact avec son collègue, posté sur un autre mirador, installé là où se termine son champ de vision”, explique l’adjoint du chef d’état-major du secteur opérationnel d’In Amenas, le colonel Abdeslam. Pour lui, “tout est étudié de manière à pouvoir détecter tout mouvement”.

“Ce travail titanesque avait commencé dès l’ef fondrement du régime en Libye [octobre 2011], mais il a connu une accélé-ration après l’attaque de Tiguentourine. En quelques mois, nous avons réalisé un vrai miracle. Aujourd’hui, je peux dire que per-sonne ne peut entrer en territoire algérien. Et si par malheur quelqu’un y arrive, eh bien il ne pourra plus ressortir. Il sera inévita-blement neutralisé quelques kilomètres plus loin”, ne cesse de répéter le commandant du secteur opérationnel d’Illizi, le colonel Safi . Les deux offi ciers capitalisent une longue expérience en matière de lutte antiterroriste. Ils ont passé plus de deux décennies dans les maquis du Nord. “La région est très diffi cile, ce qui a nécessité des moyens colossaux mis à notre disposition par le commandement de l’état-major. Les résultats du dispositif sont perceptibles sur le terrain.

Il y a quelques heures nous avons récupéré une Toyota ‘Stechène’ (Station), un pistolet automatique et des munitions.” Au loin, des gardes-frontières, bien armés et équipés, se mettent en marche en fi le indienne, appuyés par des militaires en tenue de camoufl age. Au programme de cet après-midi, une embuscade à quelques kilomètres.La journée se termine. Il faut revenir à In Amenas pour reprendre, dès le lever du jour, notre voyage. La prochaine escale se situe au nord-est de Debdeb, au poste frontalier algéro-tuniso-libyen. Nous empruntons les routes de Merksène et d’El-Borma. Un hélicoptère militaire sur-vole la région. La piste se termine et d’im-menses dunes font leur apparition. Le 4 × 4 qui nous transporte a du mal à avancer, alors que la Toyota puis un autre véhi-cule s’ensablent. L’arrêt est obligatoire.

La ville libyenne de Ghadamès apparaît au loin. A vol d’oiseau, elle est à quelques centaines de mètres. Un poste avancé et deux campements de gardes-frontières et de l’ANP apparaissent. Nous sommes à Bordj El-Khadra, le triangle qui réunit les trois territoires, tunisien, algérien et libyen. A 380 kilomètres d’In Amenas et à une tren-taine de kilomètres de Debdeb. La borne qui indique le point reliant les trois pays a été posée le 22 mars 1989. C’est ce qui est écrit sur le socle en ciment qui la supporte.

Notre présence attire l’attention d’un colonel tunisien. A bord d’un véhicule militaire de type Hummer, escorté par un 4 × 4, il vient nous saluer, mais aussi rendre compte de la situation à ses homo-logues algériens. Il parle de “relations assez particulières qui lient les deux armées”, mais surtout de “l’aide apportée par l’Al-gérie à la Tunisie dans le cadre de la lutte antiterroriste”.

Nous nous dirigeons vers le sud de Debdeb pour rejoindre le poste de sur-veillance de Bir Cherif, situé à 170 kilo-mètres. La route est éreintante : des dunes et des pistes en très mauvais état. Un mira-dor surplombe tout le périmètre.

Nous prenons la direction de la région de Stah, où se concentrent quelques unités de Sonatrach. Des torchères et des pipes, des usines et des bases de vie trônent dans le paysage lunaire que nous tra-versons. Aujourd’hui, la température est clémente : elle avoisine les 32 °C. Le can-tonnement abrite une unité de gardes-frontières et de l’ANP. Le dispositif mis en place est impressionnant. A quelques kilomètres de la frontière, des engins s’ac-tivent comme des fourmis. Grâce à des remblais, ils viennent d’ériger un long mur de protection. D’une hauteur de 5 mètres,

REPORTAGE

Algérie-Libye.. Une frontière sous haute surveillance

L’armée algérienne lève en partie le voile sur sa stratégie de défense pour assurer la protection de sa frontière avec le voisin libyen.

Un militaire scrute l’horizon avec des jumelles à vision thermique

afrique↙ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

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AFRIQUE.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

dans un premier temps sur une longueur de 90 kilomètres, cette digue constitue la première barrière de sécurité derrière laquelle se positionnent les unités de l’ANP. Selon le colonel Safi , dans la stratégie du commandement de l’ANP, “il est question de construire ce genre de mur sur la plus grande partie de la frontière avec la Libye, notamment dans les zones les plus exposées”.Au sommet du mirador qui domine les lieux, un militaire scrute l’horizon avec des jumelles à vision thermique. Une unité de l’ANP, en tenue de camoufl age, fortement armée, commence son entraînement au combat. Le terrain est rude et la pression très forte. Ici, les conditions de vie sont très dures. Les vieux containers qui servaient de dortoirs aux militaires sont en voie de disparition. Des roulottes modernes, bien équipées et autonomes, les remplacent pro-gressivement. “D’ici le début de l’année 2015, toutes nos bases de vie seront bien équipées”, note le colonel Abdeslam.

Nous quittons les lieux en laissant der-rière nous les soldats à même le sable, en train de franchir, sac au dos, lunettes de protection sur les yeux et kalachnikovs en bandoulière, une haute dune. Très tôt dans la matinée, nous nous dirigeons vers la région d’Alrar, située à 700 mètres d’al-titude. La route est assez bonne et la tem-pérature supportable. Nous nous dirigeons vers quatre postes de contrôle. Toujours les mêmes miradors pour s’assurer d’une bonne visibilité dans un rayon d’au moins 10 kilo-mètres, mais aussi de l’armement lourd et des tanks avec des canons longue portée.

Site gazier. Sur la route vers Zerzaitine, un groupe de para-commandos, à bord de Toyota “Stéchène” surmontés d’armes de type 12,7 (Doutchka), surgit de nulle part dans le désert. Le visage peint de larges bandes noires, le casque et le dos recouverts d’herbes couleur sable, armes à la main, à la jambe ou en bandoulière, les jeunes para-commandos font partie des forces spéciales de l’ANP. Sortis de la grande école de Biskra, ils sont aff ectés à cette région pour des mis-sions bien précises : la protection des sites économiques et la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée dans une région qui s’étale sur 200 kilomètres carrés. Ils ont tous pris part à l’opération qui a permis de libérer des mains des terroristes le site gazier de Tiguentourine, en janvier 2013.

Leur chef est un jeune commandant, Brahim, dont l’expérience sur le terrain est devenue une référence pour ses cama-rades. Pour lui, “l’Etat a mis tous les moyens nécessaires pour protéger les frontières. Nous avons les équipements les plus sophistiqués. Nous n’avons rien à envier aux autres”, nous dit-il tout en gardant un œil sur ses hommes, qui ont pris position sur les sommets de quelques dunes. Un appel radio et le com-mandant nous quitte.

Nous poursuivons notre chemin vers le sud en direction de Dar El-Hamra, qui porte d’ailleurs bien son nom en raison de la

couleur [hamra, rouge] du sable dans cette région reculée, où le territoire libyen est à quelques dizaines de mètres à vol d’oiseau. Ici sont déployées de nombreuses pièces d’ar-tillerie lourde, alors que la base de vie mili-taire est en pleine rénovation. Les nouvelles roulottes, qui doivent être livrées avant la fi n de l’année, seront équipées de climati-sation, d’eau chaude et de toutes les com-modités. Autonomes, ces bases de vie sont dotées de groupes électrogènes, mais aussi de cuisines mobiles permettant aux occu-pants d’avoir des repas chauds à toute heure. L’endroit est stratégique en raison de la pré-sence d’une source d’eau, qui fait de ce lieu un passage privilégié pour les groupes ter-roristes, mais aussi le point le plus proche des zones de combat en territoire libyen. L’alerte est tout le temps maximale et la vigilance également.

A quelques kilomètres seulement, une plateforme pouvant accueillir un héli-coptère a été improvisée. “Nous nous pré-parons au pire dans cette région. Nous ne savons pas comment la situation va évoluer en Libye et nous ne voulons pas être dépassés par les événements”, révèle le colonel Safi .Au moment où nous prenons le chemin du retour, un groupe de militaires, embusqués derrière une dune de couleur ocre, les armes pointées vers la frontière, avancent en posi-tion accroupie. Ils s’entraînent aux techniques de combat dans le désert. Notre journée se termine au coucher du soleil, alors que la suivante commence au lever. Nous lais-sons In Amenas pour rejoindre Illizi, mais à 170 kilomètres nous bifurquons vers l’est pour rallier Tarat, à 140 kilomètres. A vol d’oi-seau, la ville libyenne de Ghat n’est pas loin.

Une immense base militaire de gardes-frontières et de l’ANP se dresse devant nous.

Sur l’enseigne de l’entrée, il est indiqué “com-pagnie de reconnaissance et de guerre élec-tronique”. A proximité, quelques dromadaires sont en train de paître. Ils appartiennent à la brigade des méharistes de l’ANP. “Ici le terrain est très accidenté. Nous devons uti-liser les dromadaires, et, grâce à la popula-tion locale, nous avons les meilleurs pisteurs, qui arrivent à nous renseigner sur le moindre mouvement transfrontalier.”

Méharistes. “Ils font de la reconnaissance, mais aussi de la collecte d’informations. Notre présence dans ce village isolé est importante. Nous assurons tout le volet humanitaire, comme la prise en charge sanitaire, parfois le trans-port. Les méharistes sont recrutés par l’armée parmi cette population qui vit de l’agriculture. Entre nous, il y a une harmonie et une confi ance mutuelle qui nous a permis de réussir d’impor-tantes opérations”, lance le colonel Safi . Vivant dans des huttes, les habitants entourent le chef de tribu, cheikh Abdelillah Chenkiti. A plus de 70 ans, il continue de servir dans les rangs de l’armée, pour, confi e-t-il, proté-ger le pays. “Les militaires sont nos enfants. Il faut s’inquiéter de ce qui se passe au-delà de nos frontières et non pas de ce qui se passe à l’in-térieur de notre pays”, dit-il d’une voix bien audible, avant de nous quitter.

Nous reprenons la route en direction de Gara Marhat, située à quelques kilomètres, où est installée une brigade des gardes-fron-tières. La visibilité devient diffi cile en raison d’un vent de sable. Equipés de lunettes spé-ciales, les gardes-frontières ont pour mission de se poster en embuscade. Ils doivent être au point ciblé avant le coucher du soleil. “La situation en Libye a fait évoluer notre stratégie. Nous ne sommes plus dans la logique d’obser-vation des postes frontaliers, mais plutôt dans celle de contrôle hermétique de la bande fronta-lière”, note l’offi cier. Notre voyage prend fi n pour reprendre le lendemain matin.

A la brigade de la police militaire, les offi ciers nous font faire le tour des équipe-ments et de l’armement mis à disposition des unités chargées de la protection des fron-tières. Le matériel est des plus sophistiqués :

des caméras et des jumelles à vision noc-turne et thermique, d’une portée de 8 à 12 kilomètres, des fusils-mitrailleurs dotés de viseurs et de lunettes très précis, des gilets pare-balles destinés aux snipers. Non loin de là, à l’aéroport d’In Amenas, des héli-coptères de combat, de reconnaissance et de transport de troupes sont stationnés.

“Pour contrôler toute la bande frontalière, il faut des moyens modernes qui permettent de réduire les distances et le temps de réaction en cas de menace. Le dispositif est en cours de réalisation. Nous avons achevé la première phase en un temps record. La dernière phase doit être terminée au plus tard dans deux mois”, conclut le colonel Safi . Sur le chemin du retour, nous apprendrons que le groupe de militaires sorti en embuscade à Debdeb vient de neutraliser deux terroristes. Deux kalachnikovs et des munitions ont été récu-pérées lors de cette opération.

—Salima TlemçaniPublié le 20 octobreGhat

Djanet

100 km

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EL-WATANAlger, AlgérieQuotidien, 112 000 ex.www.elwatan.comTitre francophone fondé en 1990 par des journalistes venant d’El-Moudjahid, quotidien offi ciel du régime, “La Patrie” est rapidement devenu un journal de référence.

Repères

SOURCE

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A lire également : “Les méharistes, pisteurs de terroristes”, reportage d’El-Watan sur cette unité montée de l’armée.

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INTERVIEW

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

lui sert toujours la même soupe. Aujourd’hui les citoyens veulent être impliqués, avoir un rôle, pas seulement être servis. Les aspi-rations du peuple ont changé, et pour cela nous devons toujours être sur le terrain.Etre proche du peuple, ce n’est pas une question d’image ?Depuis le jour où je suis devenu maire de Solo, j’ai toujours agi ainsi. Je ne veux pas être bridé.

Le soir, je m’échappe. Même maintenant, bien que je sois sous la surveillance de la garde présidentielle, je continue à me rendre à l’improviste sur les marchés,

parce que je sens que j’ai besoin d’entendre les gens. Si je ne vais pas chaque jour à la rencontre des gens, je ne peux pas être en osmose avec eux. Si certains écri-vent que c’est pour une ques-tion d’image, c’est leur droit. Le président doit comprendre les problèmes aussi bien macro- que microéconomiques.Que souhaitez-vous dire aux citoyens ?Que peut-être, au début, nous allons devoir souff rir. Les béné-fices ne se feront sans doute sentir que dans trois ans. Nous ne pouvons pas devenir un grand pays sans traverser de grands obstacles. Nous devons travail-ler dur.

Qu’allez-vous réaliser dans un temps très proche pour répondre aux attentes des citoyens ?Ce que nous avons dit, nous devons le faire. Nous commencerons par répondre aux plaintes des gens, par exemple celles qui concernent leurs diffi cultés pour obtenir une carte nationale d’identité, un permis, quel qu’il soit, ou des soins à l’hôpi-tal. Peut-être que, pour certains, ces diffi cultés n’en sont pas, mais nous devons tout faire pour qu’elles soient allégées pour le plus grand nombre. Il existe actuellement de nombreuses aides dans le budget de l’Etat et des régions, mais elles ne sont pas versées directement au peuple. Nous allons immé-diatement distribuer les cartes Indonesia Pintar [l’Indonésie intelligente : bourses d’études mensuelles pour les écoliers et lycéens les plus pauvres sous forme de cartes de retrait] et les cartes Indonesia Sehat [cartes d’accès aux soins gratuits pour les plus démunis ; ces deux programmes sociaux ont été lancés par Joko Widodo auprès des habitants de Jakarta lorsqu’il a été élu maire de la capitale].

Indonésie. “Gouverner, c’est travailler”Elu président en juillet dernier, Joko Widodo a pris ses nouvelles fonctions le 20 octobre. Cet homme de 53 ans, issu d’un milieu modeste, entend rester proche du peuple et lutter contre la corruption.

—Kompas Jakarta

Rêviez-vous de devenir président ?JOKO WIDODO Rêvé, jamais. Je n’y ai même jamais pensé. Je viens d’une famille ordinaire, de menuisiers, et j’ai étudié la tech-nologie du bois. Mon rêve était de monter une entreprise de bois, et je l’ai réalisé jusqu’à exporter des meubles. Je ne rêvais pas d’être maire de Surakarta [petite ville princière du centre de Java], ni même gouverneur du Grand Jakarta, et encore moins président.C’est donc que le peuple a perverti vos rêves ? (Joko Widodo, sur-nommé Jokowi, éclate de rire et répond sur le ton de la plai-santerie.)Il s’agit d’un “accident”. Cela a commencé par Solo [appella-tion commune pour la ville de Surakarta].Mais alors, quel pouvoir pos-sédez-vous pour avoir été ainsi élu maire, puis gouverneur et aujourd’hui président ? (Jokowi éclate à nouveau de rire.)Oui, quel pouvoir ? Je vous ren-voie la question. D’après moi, c’est peut-être le pouvoir de comprendre les changements à la base. Ces choses que per-sonne ne lie jamais. La volonté du peuple n’est plus la même, on

Quel va être le programme prioritaire de votre gouver-nement ?Comme dans une entreprise ou une grande entreprise, si l’on veut être compétitif il faut se concentrer sur son objectif. Je vois que notre force se trouve dans le secteur agricole, même si actuellement nous sommes importateurs de denrées agricoles. Cela montre bien qu’il y a une mauvaise gestion. Mon objectif est que dans trois ans nous soyons autosuffi sants en riz, en maïs et en sucre. Une fois que la production sera abon-dante, les industries en aval se développeront. Nous devons être prêts. Concentrés. Nous devons être clairs sur ce que nous voulons que notre pays devienne, et les potentiels sont immenses.Le choix de vos ministres ?Beaucoup de professionnels, beaucoup de bosseurs. Des per-sonnes qui ne sont plus dans la théorie parce que gouverner, c’est travailler.Des person nalités défendant le libre marché ?Disons plutôt  : défendant le peuple et dont on peut voir les résultats après une ou deux années de travail. Ils doivent travailler pour de vrai, pas seule-ment rester assis dans un bureau, n’être que des concepteurs. Nous avons déjà examiné leurs antécé-dents, leur intégrité, leurs com-pétences managériales.

La Commission pour l’éradi-cation de la corruption a été impliquée dans la sélection ?Nous lui avons seulement demandé son avis. Nous avons aussi invité les partis politiques à s’exprimer, même si en dernier lieu la proro-gative revient au président.Que ferez-vous pour que les membres de votre cabinet ne s’adonnent pas à la corrup-tion, comme dans les gouver-

nements précédents ?Nous nous eff orçons de choisir les meilleurs. Mais si par la suite ils se

laissent tenter ou tentent autrui, que faire ? Si le ministre en question

était impliqué dans une aff aire de corruption avant,

mais que nous ne le savions pas, c’est diffi cile, non ? Je parle franc et net. Nous avons étudié leurs antécédents, mais il est possible

que certains nous aient échappé. Si le cas se pré-sente, oui, c’est le risque,

désolé, terminé. Je n’aime pas les formalités, comme signer un pacte d’intégrité, toutes ces pape-rasseries, ça suffi t (il rit). Tu n’es pas honnête ? Eh bien, viré ! Oui, ce sera comme ça. Le management, c’est ça. Tu triches, dehors. (Son expression devient plus ferme.)Comment allez-vous aff ronter le Parlement [dont plus de 70 % des membres appartiennent à la coalition dite rouge-blanche de l’opposition] ?C’est juste un problème de commu-nication. Les citoyens n’ont pas à s’inquiéter. La preuve, j’ai gouverné le Grand Jakarta avec seulement 18 % des sièges au Parlement régio-nal en ma faveur, et ça a marché.

—Budiman Tanuredjo, Sutta Dharmasaputra,

Sonya H Sinombor, Suhartono

Publié le 20 octobre

asie

“Corrompu ? Tu n’es pas honnête ? Eh bien, viré ! Oui, ce sera comme ça”

↙ Sur les haltères, à gauche : Devoirs. A droite : Promesses. Dessin de Robi, Indonésie.

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Dans nos archives : retrouvez notre dossier “Indonésie : là où s’invente l’Asie de demain”. En juillet

dernier, nous avons publié un portrait de “Jokowi, l’icône qui s’exporte”.

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ASIE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

dix autres bibliothèques dissémi-nées dans tout le pays que gérait Li Ren, une organisation carita-tive œuvrant dans le domaine de l’éducation. Des bibliothèques vic-times, parmi d’autres, de cette grande campagne de retour à l’or-thodoxie élaborée par le président Xi Jinping, qui poursuit la conso-lidation de son régime. Alors que les opérations réprimant la liberté d’expression procèdent générale-ment par intermittence en Chine, ce nouveau tour de vis est plus généralisé, touchant jusqu’à des personnalités en vue et modérées.

Au cours des derniers mois et des dernières semaines, des cher-cheurs ont vu leurs livres frappés d’interdiction parce qu’ils avaient exprimé leur sympathie pour les manifestants prodémocratie à

—The Christian Science Monitor Boston

De Picun (Chine)

A la sortie de l’école, Huang Qiufeng, une petite fi lle enjouée de 12 ans, fi lle de

travailleurs migrants, s’arrête à la bibliothèque de Picun, vil-lage miséreux de la banlieue de Pékin, comme elle a l’habitude de le faire de temps à autre. Mais la bibliothèque a récemment été remplacée par une épicerie. Les caractères du mot “livre”, peints en couleurs vives sur le mur, dis-paraissent derrière des rayonnages remplis de nouilles instantanées. “Les gens étaient très gentils ici, et j’aimais bien cette bibliothèque, s’attriste Qiufeng. Mais mainte-nant c’est fermé.” Tout comme

CHINE

Vers l’ “élimination de la société civile”Une répression de plus en plus sévère, lancée par le président Xi Jinping, va jusqu’à priver les enfants de bibliothèques.

Hong Kong, des artistes indépen-dants d’esprit ont été réduits au silence, des avocats de prisonniers politiques ont été placés derrière les verrous et des défenseurs des droits de l’homme et des mili-tants de la société civile ont été arrêtés par centaines. “Plus per-sonne ne sait où se trouvent les lignes rouges à ne pas franchir, plus per-sonne ne sait ce qui peut valoir des ennuis”, résume Li Fangping, qui fait partie des rares avocats des droits de l’homme qui n’a pas été arrêté. Résultat, comme le déclare le directeur d’une ONG étrangère dont les partenaires chinois sont de plus en plus nerveux et réti-cents : “Tout le monde vit dans la peur, sans pouvoir déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.”

“Tout ça est absurde”. He Feihui, le jeune homme qui diri-geait les bibliothèques de l’asso-ciation Li Ren, n’aurait jamais ima-giné s’attirer les foudres des auto-rités. Mais il croit savoir ce qui a attiré l’attention de l’Etat : “Nous mettons l’accent, dans notre concep-tion de l’éducation, sur les valeurs individuelles.” “Li Ren” signifi e d’ailleurs “devenir quelqu’un”. Les bénévoles de l’association encourageaient les enfants à s’im-pliquer dans du travail volon-taire et des missions en équipe et à élire leurs chefs d’équipe, autant de choses qui stimulent le développement d’une conscience civique et que le Parti considère aujourd’hui comme des pratiques subversives. Le Comité central du Parti le disait déjà il y a dix-huit mois dans un “Communiqué sur l’état actuel de la sphère idéolo-gique”, mettant en garde contre les “militants de la société civile [qui] entendent priver le Parti de son autorité, tant et si bien que leur action est en train de devenir une forme grave d’opposition politique”.

Les cadres du PCC ont égale-ment été prévenus d’autres dan-gers, tels la démocratie constitu-tionnelle, les “valeurs universelles” comme les droits de l’homme, la théorie économique néolibérale et la conception occidentale de la

liberté de la presse. Ce commu-niqué, plus connu sous le nom de “Document n° 9”, n’a pas été rendu public : Gao Yu, une journa-liste chinoise expérimentée soup-çonnée d’avoir transmis le docu-ment à un site Internet étranger, a été arrêtée : elle est aujourd’hui poursuivie pour révélation de secrets d’Etat.

Reste que la répression inha-bituellement sévère qu’a lancée le gouvernement de Xi Jinping apparaît comme une applica-tion directe du Document n° 9. Au cours des six derniers mois, quelque 300 défenseurs des droits de l’homme et militants des liber-tés civiles ont été arrêtés, estime Teng Biao, avocat spécialisé dans les droits de l’homme qui mène actuellement des recherches à l’université Harvard. Parmi eux, beaucoup de modérés qui se sont toujours eff orcés de travailler dans les limites du système et qui ont toujours préconisé le dialogue avec le gouvernement. Le mois dernier, l’économiste ouïgour Ilham Tohti, connu pour sa pru-dence, a été condamné à la per-pétuité. Xu Zhiyong, à la tête d’un mouvement populaire contre la corruption, a été condamné à quatre ans d’emprisonnement en mars dernier.

Il y a aussi des personnalités moins en vue, tel Chang Boyang, qui s’était lui aussi eff orcé, selon ses proches, de travailler dans le cadre légal. Le cas de cet avocat spécialisé dans le droit de l’inté-rêt public, qui défend de nombreux malades atteints d’hépatite dans des aff aires de discrimination, est édifi ant. Il a été arrêté en mai der-nier, dans sa ville de Zhengzhou, après avoir tenté en vain de ren-contrer trois de ses clients, déte-nus au poste de police pour avoir participé à une commémoration privée en hommage aux victimes de la répression du mouvement de

la place Tian’anmen, en 1989. “Je n’arrive pas à croire qu’ils ont arrêté mon père, déplore Chang Ruoyu, sa fi lle. C’est une personne si douce. Il n’a rien d’un radical, il a des amis au gouvernement. Il a toujours été très discret. Tout cela est absurde.” “Ce qui est arrivé à Chang Boyang montre que les partenaires modérés, s’ils ne sont pas sous la férule du Parti, ne sont pas tolérés”, analyse William Nee, chercheur pour Amnesty International à Hong Kong.

Moteur de changement. Sous la présidence de Hu Jintao, le pré-décesseur de Xi Jinping, le gouver-nement mettait l’accent, dans sa volonté de tenir la société civile, sur une stratégie de “maintien de la stabilité”. Depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, Xi Jinping met en œuvre, lui, ce que l’avo-cat Teng Biao appelle une poli-tique d’“élimination de la société civile”. “Le gouvernement considère la société civile comme une menace contre son pouvoir et estime que, s’il ne maîtrise pas sa montée en puissance, elle deviendra un puis-sant moteur de changement poli-tique, précise-t-il. C’est pourquoi les autorités ont le sentiment de devoir arrêter sans cesse plus de gens afi n d’assurer la pérennité du système.”

Cette stratégie pourrait fonc-tionner à court terme, analyse Teng Biao, car la répression a “un eff et dissuasif”, par exemple sur les avocats, qui hésitent à se charger d’une aff aire politiquement déli-cate, ou sur les défenseurs de l’en-vironnement qui envisageraient d’organiser un séminaire sur la construction de barrages – mais aussi sur les bénévoles de la biblio-thèque Li Ren, ici, à Picun, trop eff rayés pour accepter de parler à un journaliste étranger. “Il est extrêmement diffi cile de contrôler toute la vie politique et la bonne assi-milation de l’idéologie par chacun, juge pour sa part William Nee. Je crains que cela soit impossible, d’où cette répression constante à laquelle on assiste – et dont on ne voit pas la fi n.”

—Peter FordPublié le 18 octobre.

Ce nouveau tour de vis touche jusqu’à des personnalités en vue et modérées

↙ Dessin de Falco, Cuba.

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

europe

—Der Spiegel (extraits)Hambourg

L’Ouest va absorber l’Est et cueillir les fruits de la révolution au profit de ses

entreprises. Il ne restera rien de la République démocratique allemande (RDA), ses citoyens devront se plier à des conditions entièrement nouvelles. Les révo-lutionnaires ont amicalement invité à cette absorption de leur pays, mais l’opération a été menée de façon hostile, destructrice, pour éradiquer ce qu’était l’Est. La République fédérale va tout simplement s’agrandir et le tour

sera joué. Telles étaient les prévi-sions lorsque l’euphorie de la révo-lution, provoquée par la chute du mur, le 9 novembre, s’est dissi-pée. Pis encore : gonflée à bloc, la République fédérale risquait de revenir en arrière, de redevenir l’empire du Mal. L’écrivain Günter Grass déclarait en février 1990 : “L’expérience effroyable et sans pré-cédent d’Auschwitz que nous avons faite, et avec nous les peuples d’Eu-rope, exclut un Etat allemand unifié.” Grass prônait une confédération, et si un Etat unifié devait voir le jour, il le jugeait “voué à l’échec”. La République fédérale ne l’a pas suivi et, de toute évidence, elle a

Allemagne. La revanche de l’EstLa révolution de 1989 a rayé la RDA de la carte. Elle a aussi conduit à une grande Allemagne, réunie sous l’égide de la RFA. Mais celle-ci n’en est pas sortie intacte. Retour sur un quart de siècle d’unification.

pu éviter l’échec. Mais qu’en est-il de l’OPA hostile ? De l’absorption de la révolution par le marché ? Les citoyens de Leipzig ou de Halle qui ont eu le courage de descendre dans la rue sont-ils simplement venus grossir les rangs de l’armée des consommateurs sans modifier le moins du monde la donne poli-tique de leur nouvel Etat ?

Une révolution a toujours deux objectifs : mettre fin à un état de choses révolu et construire quelque chose de nouveau. L’objectif no 1 a clairement été atteint par les acteurs de 1989 : la RDA a disparu de la surface de la terre. Quant à l’objectif no 2, les choses sont plus

complexes : la République fédé-rale s’est attelée à la tâche à l’Est, la nouveauté n’a rien apporté de totalement inconnu, du moins au départ. L’Ouest a mené une poli-tique d’expansion à l’Est.

Pourtant, aujourd’hui, vingt-cinq ans après la chute du mur, il apparaît que toute l’histoire ne se résume pas en si peu de mots. La révolution a également ouvert la voie à quelque chose de nouveau, à une autre RFA. Certes les institu-tions n’ont pas bougé, certes l’éco-nomie ouest-allemande règne sur tout le pays, mais il s’est produit autre chose. La République fédé-rale, qui regardait depuis 1949 vers l’Ouest, n’est-elle pas devenue plus orientale depuis quelques années ?

Rien ni personne n’y aura autant contribué que la chancelière venue de l’Est, Angela Merkel. Démocrate, attachée à la liberté, elle n’a pas fait surgir une grande RDA, mais elle dirige ce pays de telle sorte qu’on peut parfois avoir quelques rémi-niscences de la RDA.

Consensus. Les dictatures craignent le débat public, les conflits, et vivent de l’illusion de l’unité. Le dictateur ou le parti en place prétend exécuter la volonté du peuple et, comme celle-ci est censée être univoque, tout le monde est contraint au consen-sus. Le silence vaut approbation. C’est dans ce système que Merkel a grandi. On en retrouve des élé-ments dans son style politique. Elle déteste le conflit ouvert, elle ne lance aucun débat, elle ne se sent jamais aussi bien que quand le calme règne. Elle préfère par-dessus tout gouverner avec une grande coalition, car elle peut ainsi générer un large consensus en avançant prudemment. Le calme est revenu en République fédérale. Et cela convient à une grande partie de la population. Aux Allemands de l’Est – qui y sont habitués – comme à la majorité des Allemands de l’Ouest – qui trouvaient déjà suspect le modèle anglo-saxon de dualisme et de polémiques pas-sionnées, sans parler des Français qui se disputent encore davantage. Avec Merkel, les Allemands se sont retrouvés tels qu’en eux-mêmes.

De l’Union [CDU-CSU] alliée au Parti social-démocrate (SPD) [du gouvernement Merkel III, dit de “grande coalition”], elle a forgé non un nouveau SED [Parti socia-liste unifié, le parti communiste est-allemand], mais un parti social-démocrate unifié, qui nourrit abon-damment le consensus social, en

distribuant des aides financières aux familles, aux retraités ou aux salariés, par le biais du salaire mini-mum. Le seul parti qui manifes-tait un brin de sympathie pour le capitalisme anglo-saxon, le [parti libéral] FDP, a pratiquement dis-paru de l’échiquier politique.

Tandis que Merkel intègre le calme plat de la RDA dans la vie poli-tique allemande, Joachim Gauck, le président de la République, lui

aussi venu de l’Est, incarne haut et fort la dissidence. Pasteur à Rostock, Gauck n’était pas un résistant [en RDA], mais il a lutté pour les droits civiques. C’est cette conception offensive de la liberté qu’il apporte dans la vie politique allemande, y compris en diffusant le message qu’il faut conquérir ou défendre la liberté, au besoin par les armes. Cela lui a valu un maxi-mum de critiques de la part d’un parti qui a également ses racines en RDA – Die Linke [La Gauche], en grande partie issue du PDS [Parti du socialisme démocratique], suc-cesseur du SED, qui s’est allié aux transfuges de l’aile gauche du SPD venus grossir ses rangs. Die Linke est tellement forte qu’il ne peut y avoir de majorité de gauche sans elle. Le SPD n’ayant jamais voulu former de coalition avec elle au niveau national, c’est donc grâce à un parti est-allemand qu’une chan-celière est-allemande peut demeu-rer aussi longtemps au pouvoir et y imprimer sa marque. Qui osera encore prétendre que la République fédérale est restée la même après la chute du mur ?

Bien entendu, cette situation est fortement liée à la personne d’Angela Merkel et pourrait ne pas durer. Mais le pays a lui aussi changé. Et il a trouvé une conver-gence vers un nouveau centre [qui présente quatre caractéristiques]. Tous les Allemands sont attachés à l’Etat social, à un Etat social fort. La RDA assurait une prise en charge à grande échelle mais d’un faible niveau. En RFA, l’Etat social s’ap-plique à une moindre échelle mais offre de meilleures conditions de vie. L’Est et l’Ouest ont une pro-pension à rejeter le capitalisme. En RDA, l’anticapitalisme était intrin-sèque au système ; en RFA, il s’est

↙ Dessin d’Ammer paru dans NRC Handelsblad, Amsterdam.

Angela Merkel incarne le calme plat ; Joachim Gauck, la dissidence

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EUROPE.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

développé une forme spécifi que de “capitalisme rhénan”, moins libé-ral que le modèle anglo-saxon, qui ouvrait la voie à une plus grande emprise de l’Etat. L’historien Hans-Ulrich Wehler, récemment décédé, a mis en évidence l’aspiration à une “monarchie sociale” en Allemagne dès le XIXe siècle. C’est dans un Etat fort, non dans l’individu, que les Allemands mettaient tous leurs espoirs. Ici se situe la diff érence essentielle avec les Britanniques et les Américains. Les Allemands des deux côtés de la frontière ont déve-loppé une propension pacifi que après la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. En RDA comme en RFA, les mouvements pacifi stes se sont montrés particulièrement actifs. Enfi n, malgré leur fascina-tion pour tout ce qui est américain, les Allemands donnent volontiers dans l’antiaméricanisme. En RDA, cela relevait de la doctrine offi -cielle, mais les gens étaient aussi très conscients que les missiles américains détruiraient leur pays si une guerre éclatait. En RFA, le sentiment d’amour-haine pour le

grand frère était empreint d’élé-ments tout à la fois anticapita-listes et pacifi stes.

Révolution nationale. Il est intéressant de constater que ces quatre tendances fondamentales – attachement à l’Etat social, paci-fisme, anticapitalisme et anti-américanisme – correspondent précisément au programme de Die Linke, faisant ainsi de cette formation le parti allemand par excellence. Pourtant, Die Linke ne peut obtenir la majorité à l’éche-lon national, parce qu’elle défend ses positions avec un radicalisme fort peu allemand. Ses attaques contre le capitalisme ont, il est vrai, valu à Sahra Wagenknecht [voir CI n° 1101, du 8 décembre 2011] de devenir une star médiatique. A la suite de la crise fi nancière, elle a gagné beaucoup de sympathie parmi tous ceux que son parti ne séduisait par ailleurs en rien. En ce sens, elle est donc elle aussi un élément important, venu de l’Est, qui compte aujourd’hui dans la vie politique allemande.

Comme l’amour de l’Etat social et l’anticapitalisme ont des racines plus profondes dans la popula-tion est-allemande que dans celle de l’Ouest, ces courants se sont globalement renforcés dans l’en-semble du pays. Ces quatre ten-dances fondamentales réunies donnent l’image d’une nation tou-jours romantique, qui veut se tenir à distance d’un monde en ébulli-tion permanente et de plus en plus dur. De ce point de vue, Merkel est la chancelière idéale, parce qu’elle ménage, protège, et fait générale-ment ce que la nation attend d’elle.

La révolution de 1989 a été dans sa phase tardive une révolution nationale, comme celle de 1848. A l’époque aussi, les citoyens asso-ciaient la liberté et la démocratie à l’unité allemande. Ce fut un échec. En revanche, les révolutionnaires de 1989 ont atteint leur objectif dès le 3 octobre 1990, depuis lors com-mémoré comme le jour de l’unité nationale. Une question demeu-rait cependant en suspens : les craintes de certains intellectuels, tel Günter Grass, de voir

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“La nouvelle Allemagne”, titre Handelsblatt, qui dresse le bilan économique de l’unifi cation. “La fusion est réussie. L’Est n’est devenu ni un ‘Mezzogiorno sans mafi a’ (Schmidt) ni une terre aux ‘paysages fl orissants’ (Kohl).” Certes, le processus a coûté quelque 2 000 milliards d’euros, l’ex-RDA n’a plus que 12,7 millions d’habitants, son taux de chômage (9,4 %) est d’un tiers plus élevé qu’à l’Ouest et les niveaux de vie ne convergeront pas avant 2020. Mais Berlin, Leipzig ou Erfurt renouent avec leurs traditions industrielles et créatives. “Un petit miracle”, conclut le quotidien.

Portrait

BODO RAMELOW“Ils le font !” titre Die Welt le 26 octobre. Réunis en congrès, les sociaux-démocrates (SPD) et La Gauche (Die Linke) de Thuringe (ex-RDA) ont obtenu un large soutien pour mener les négociations en vue de former un gouvernement de coalition avec les Verts. Une conséquence des élections régionales du 14 septembre. Après vingt-quatre ans de domination chrétienne-démocrate, c’est Bodo Ramelow, syndicaliste venu de RFA en 1990, qui devrait devenir en décembre le premier ministre-président membre de Die Linke de toute l’Allemagne.

→ 

Un monde de mursVingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, jamais les barrières de séparation n’ont été si nombreuses entre les Etats. Au-delà de la question des frontières, Courrier international s’est intéressé à la symbolique du mur en général : géographique, virtuel, économique, ludique, artistique. Un monde de murs. A défaire ?→ “Le mur doit tomber !” Dessin de Reumann paru dans Le Temps, Genève.

32 pages spéciales dans notre prochain numéro

En vente chez votre marchand de journaux à partir du jeudi 6 novembre

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EUROPE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

resurgir le nationalisme, le militarisme et la domination de l’Allemagne sur l’Europe allaient-elles se concrétiser ? [Passons-en revue ces trois points.]

• Le nationalisme. La Coupe du monde de football de 2006 a été une fête aux couleurs natio-nales, noir, rouge et or. Mais les Allemands ont célébré l’Alle-magne tout autant que le Togo ou le Brésil. Ils n’ont pas agité le drapeau de manière bornée comme aux temps anciens, mais dans la joie et la bonne humeur. En d’autres termes, nous sommes devenus une nation pratiquement exempte de nationalisme.• Le militarisme. Jusqu’à pré-sent, l’armée allemande s’est enga-gée à deux reprises sur la scène internationale, dans les Balkans et en Afghanistan. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ces deux interventions, elles n’ont pas débouché sur un regain de mili-tarisme ou d’esprit prussien. La Bundeswehr est restée une armée prudente, que les dirigeants poli-tiques n’engagent pas à la légère.• La domination sur l’Europe. L’Allemagne domine l’Europe parce qu’elle est forte économiquement. Sinon, elle s’intéresse fortement à elle-même. Elle n’est plus un élé-ment docile de l’Occident. Lors des bombardements de l’Otan sur la Libye, Merkel s’est démarquée des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. Lors de l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine a trouvé en Allemagne un grand nombre d’esprits compréhensifs.

Autant dire, pour conclure, que la révolution a eu un eff et dialec-tique. En mettant la main sur la RDA, la RFA a occidentalisé l’est de l’Allemagne, ce qui a eu pour eff et, en retour, de la rendre moins occi-dentale, voire parfois plus orientale. Plus orientale par la culture poli-tique d’une partie de ses élites et par le renforcement de tendances héritées du passé, comme l’anti-capitalisme ou l’attachement à l’Etat social.

—Dirk KurbjuweitPublié le 15 septembre

—Kurier Vienne

Entre les hussards en uniforme fl amboyant devant le palais pré-sidentiel de Budapest, la garde

d’honneur au salut et les déclarations d’amitié entre les deux Etats, le président autrichien Heinz Fischer a certainement reçu un accueil chaleureux dans la capi-tale hongroise [lors de sa visite offi cielle, le 15 octobre dernier]. Tous ces gestes de sympathie et témoignages de bon voisi-nage entre l’Autriche et la Hongrie ne sau-raient toutefois cacher le fait qu’il existe un véritable problème entre Vienne et Budapest. “Je suis inquiet de voir surgir des nuages à l’horizon”, a déclaré le président autrichien, d’ordinaire très prudent dans ses propos. “Et le gros nuage est celui de la loi sur les terres agricoles.”

Pour Budapest, la question ne se pose visiblement pas avec autant d’urgence. En témoigne ne serait-ce que la traduc-tion en hongrois du message du président

AUTRICHE-HONGRIE

Le temps est à l’orage entre Vienne et BudapestNon content de ponctionner les banques autrichiennes implantées sur le territoire hongrois, le gouvernement de Viktor Orbán s’apprête à exproprier les agriculteurs étrangers sans indemnisation.

autrichien : le président hongrois, János Ader, n’a en eff et pas entendu parler de “gros nuage”, mais seulement de “petit nuage”. Pour des centaines d’Autrichiens, le ciel tourne pourtant franchement à l’orage.

La terre aux Hongrois. Depuis le 1er mai dernier, une nouvelle loi s’applique en Hongrie. Elle met fi n avec eff et rétroac-tif à tous les contrats d’usufruit acquis depuis 1994, conférant aux bénéfi ciaires l’usage et la jouissance de terres agri-coles voire de simples jardins. Résultat : quelque deux cents agriculteurs et de nombreux propriétaires de résidences secondaires sont menacés d’expropria-tion. Tous ont pourtant payé pour pou-voir utiliser ces terres sur une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans et fi gurent au cadastre. Mais tout d’un coup le gouver-nement national-conservateur de Viktor Orbán décrète que “la terre hongroise [doit rester] aux mains des Hongrois” – et voilà que leurs contrats ne valent plus rien. Ils

doivent être rayés du cadastre. Dans le pire des cas, ils risquent de perdre leurs champs, leur récolte, leur maison et leur jardin. Et ce sans la moindre indemnisa-tion. Car, dans la logique du gouverne-ment, ces contrats étaient illégaux.

Cela fait des mois que l’Autriche adresse des plaintes à la Commission européenne à ce sujet. Celle-ci doit rendre sa décision à la fi n du mois. Une décision, a souligné le président Fischer en présence de son homologue hongrois, qu’il “conviendra de respecter”.

Confl it avec Bruxelles. Depuis qu’il est au gouvernement avec une majorité des deux tiers, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, ne cesse de se heurter aux dirigeants de Bruxelles, qui l’exhortent à reconsidérer des pans entiers de sa législa-tion – aboutissant péniblement à certaines modifi cations. Mais dans le cas présent, même si Budapest recule sur cette ques-tion de la terre, un certain nombre de res-sortissants autrichiens pourraient déjà avoir perdu leurs champs ou leur droit d’usufruit. Les autorités hongroises ont en eff et déjà demandé à certains d’entre eux de prouver qu’ils avaient un lien de proche parenté avec leurs propriétaires fonciers. Ils ne sont pas nombreux à pou-voir le faire. Plus rien ne semble alors s’op-poser à leur radiation du cadastre.

Les échanges entre Viktor Orbán et Heinz Fischer n’ont guère pu contribuer à dissiper les nuages entre les deux pays. Car le Premier ministre hongrois se montre aussi infl exible sur ce point que face aux banques autrichiennes. Une nouvelle loi doit contraindre ces dernières à chan-ger en forints, à un cours fi xé par le gou-vernement, la totalité de leurs crédits en devises étrangères. Une mesure qui pour-rait coûter jusqu’à 3,2 milliards d’euros aux banques implantées dans le pays. Le gou-vernement Orbán reproche aux établis-sements fi nanciers de s’être conduits de manière “indigne” et leur demande à pré-sent des comptes. Pour l’heure, les banques autrichiennes ont pourtant décidé de ne pas quitter le territoire hongrois.

Elles ne sont toutefois pas les seules à s’inquiéter des “grandes réformes” annon-cées par Viktor Orbán pour son nouveau mandat. Ces projets encore vagues pour-raient s’accumuler comme autant de gros nuages au-dessus des deux pays.

—Ingrid Steiner-GashiPublié le 15 octobre

↙ Dessin de Martin Sutovec, Slovaquie.

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EUROPE.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

—Moskovski Komsomolets (extraits) Moscou

C’est un véritable casse-tête politique pour les militants de l’opposition totalement

allergiques au slogan “La Crimée est à nous”. Ils viennent de perdre brutalement leurs idoles. Non pas

RUSSIE

Crimée : l’opposition jette l’épongeLes deux principaux opposants à Vladimir Poutine renoncent à revendiquer la restitution de la presqu’île à l’Ukraine.

physiquement – Alexeï Navalny [le célèbre blogueur anticorruption assigné à résidence] et Mikhaïl Khodorkovski [l’ancien oligarque et ex-détenu politique] n’ont pas disparu. C’est bien pire : les deux antipoutiniens “sans peur et sans reproche” ont soudain montré leur “vrai visage” et, sur la question de la Crimée, ils ne se distinguent que par d’infi mes nuances de Vladimir Poutine.

“La Crimée est-elle un sand-wich au saucisson qu’on s’arrache de part et d’autre ? La Crimée a été annexée au mépris le plus total des règles internationales. Mais les choses en sont là, elle fait désormais partie de la Fédération. Nous ne devons pas nous faire d’illusions, et les Ukrainiens non plus, je le leur recommande fortement. La Crimée restera en Russie et ne fera plus jamais partie de l’Ukraine, du moins avant très longtemps”, a déclaré Alexeï Navalny à la radio Echo de Moscou.

“Je parlerai franchement : le pro-blème de la Crimée ne pourra être réglé avant des dizaines d’années. La

solution passe par l’eff acement des frontières en Europe. Je ne vivrai pas jusque-là”, a récemment répondu Khodorkovski à un admirateur qui lui demandait sur Internet s’il rendrait la Crimée à l’Ukraine quand il serait président.

Comment doit-on comprendre ces ahurissantes pirouettes politiques ? Le Kremlin aurait-il “retourné” ses opposants les plus bruyants et les plus popu-laires ? Non, non et cent fois non. Il ne s’agit pas de cela. Un politi-cien réaliste – et Navalny comme Khodorkovski le sont jusqu’à un certain point – ne peut adopter que cette position à l’égard de la Crimée.

Je n’ai pas été un chaud parti-san de la “réunifi cation”. Cela me paraissait de la folie, un pas verti-gineux, extrêmement risqué. Mais, à partir du moment où la Crimée a été offi ciellement intégrée à la Russie, je suis devenu un chaud partisan de son maintien dans la Fédération. Pourquoi ? Parce que je suis réaliste. La Crimée, en eff et, n’est pas un “sandwich”

qu’on peut se passer et se repas-ser. L’option “rendre la Crimée” n’existe tout simplement pas. La Crimée est une région qui s’est immédiatement “regreff ée” au corps de la Russie, comme si elle en avait toujours été un membre. Proposer à la Russie de la resti-tuer reviendrait à dire à un indi-vidu en bonne santé : “Au nom du triomphe du droit international, nous allons t’amputer du bras droit et la jambe gauche ! Tu ne veux pas ? Quel drôle de bonhomme tu fais !”

Navalny et Khodorkovski ont parfaitement compris que tenir un tel discours au pays était tota-lement insensé. Navalny n’est pas seulement un opportuniste habile et très talentueux. C’est aussi un homme politique sincèrement favorable à un “nationalisme sain”.

Khodorkovski est plus complexe. Romantique, idéaliste, il se voit dans le rôle de la fi gure morale dont l’autorité fait consensus, une sorte de messie. Pour autant, ce n’est pas un rêveur coupé de la réalité, et il a bien l’intention de faire preuve de pragmatisme en politique. D’après ce que je sais, il a d’ailleurs récemment refusé net la proposition “terriblement séduisante” de rejoindre Mikhaïl Kassianov et Boris Nemtsov à la tête de leur si populaire parti [RPR-Parnas, parti libéral pro-occidental, non représenté à la Douma].

Non, les deux leaders n’ont pas trahi leur camp, ils ont agi dans leur intérêt et dans celui de la Russie. Je suis entièrement favo-rable à la lutte acharnée entre le pouvoir et l’opposition, mais cer-tains thèmes ne doivent pas en faire l’objet. Et l’intégrité terri-toriale de la Russie dans les fron-tières qui sont de fait les siennes actuellement est de ceux-là.

—Mikhaïl RostovskiPublié le 17 octobre

“La Crimée est-elle un sandwich au saucisson qu’on s’arrache de part et d’autre ?”

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

france

Vendanges. Les champignons attaquent la vigneAujourd’hui, 12 % des exploitations viticoles françaises sont touchées par des maladies qui attaquent les ceps. Et qui se propagent à grande vitesse.

—The Independent Londres

En 2014, en France, après deux années de mauvaises conditions climatiques, les vendanges ont

été exceptionnelles. Mais les vignerons pourraient bien perdre leur sourire si les maladies du bois qui affectent aujourd’hui 12 % du vignoble français continuaient leur implacable progression.

La propagation de ces maladies, cau-sées par trois types de champignons, alarme tellement les experts que cer-tains la comparent à celle du phylloxéra, qui décima les vignes de l’Hexagone à la fin du XIXe siècle.

sont présents dans le sol depuis l’Anti-quité. On les rencontre aujourd’hui dans tout le bassin méditerranéen, de même qu’aux Etats-Unis et au Canada. L’un d’eux, Eutypa lata, peut être gardé sous contrôle en protégeant les plaies de taille des ceps. Mais les deux autres, à l’ori-gine du black dead arm et de l’esca, sont plus complexes et prolifiques. Une fois infectés, les pieds peuvent se putréfier et mourir en l’espace de sept ou huit ans.

Arsénite de sodium. Selon M. Yobregat, les vignobles de l’ouest de la France – notamment ceux de la vallée de la Loire et de la région bordelaise – sont davantage exposés aux champignons, probablement à cause de l’humidité. Certains cépages sont aussi plus vulnérables, comme le cabernet sauvignon, utilisé dans le claret [bordeaux rouge] et le sauvignon blanc planté en Alsace.

Pendant plus d’un siècle, ces champi-gnons ont été maîtrisés grâce à l’arsé-nite de sodium. Mais depuis deux ans ils prennent leur revanche. “Ces deux der-nières années, les récoltes ont été médiocres à cause des dégâts causés par les tempêtes et le mauvais temps. Là, nous avons une bonne récolte, mais c’est la seconde année où nous observons la présence importante de symptômes de ces maladies”, explique M. Yobregat.

Le secteur viticole français emploie 600 000 personnes et, selon le ministère de l’Agriculture, les vendanges de cette année produiront 46 millions d’hecto-litres de vin. Soit 2 % de plus que la pro-duction moyenne quinquennale, des chiffres qui reflètent les récoltes excep-tionnelles effectuées partout, sauf dans le Languedoc-Roussillon, où les vignes ont été endommagées par les pluies impor-tantes de la fin du mois de septembre.

M. Yobregat refuse de dresser tout parallèle entre les maladies du bois et le phylloxéra qui, souligne-t-il, était une “nouvelle” maladie importée d’Amérique et qui a eu un effet “explosif” sur les vignes non protégées.

Les viticulteurs français sont en butte à d’autres parasites du fait de la mondia-lisation, ajoute-t-il. Le dernier en date est une mouche au doux nom de Drosophila suzukii, venue d’Asie, qui a commencé à détruire les fraises de l’Hexagone avant de s’en prendre aux raisins. “En une année seulement, elles peuvent faire beaucoup de dégâts”, commente-t-il.

Les recherches sur les maladies du bois se concentrent sur le développe-ment génétique de vignes plus résis-tantes aux champignons et sur l’étude du comportement des variétés les moins vulnérables. Les chercheurs planchent également sur l’action de l’arsénite de sodium, pour éventuellement le rendre de nouveau utilisable.

—Anne PenkethPublié le 14 octobre

“Il n’y a pas de solution miracle en vue, explique Olivier Yobregat, du pôle Sud-Ouest de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), à Lisle-sur-Tarn. Les vigne-rons veulent des solutions, mais ces maladies sont très complexes. Une bonne partie des recherches actuelles n’apportera de résul-tats qu’à long terme.” Pour l’heure, alors que le seul traitement efficace, un pes-ticide à base d’arsénite de sodium, a été retiré du marché en 2001 à cause de sa toxicité, “il n’y a rien à faire”.

Les trois types de champignons, dont l’un provoque une maladie au nom lugubre, le black dead arm [bras mort noir], ne sont pas nés de la dernière pluie : ils

—The Times Londres

L’état de l’économie européenne fait beaucoup de tort à la vigne. La France vient de reprendre sa place

de premier producteur vinicole de la pla-nète, mais c’est surtout la conséquence de la mauvaise météo et des vendanges déce-vantes qu’a connues l’Italie, sa plus proche concurrente. Car tandis que la consomma-tion mondiale de vin recule, une nouvelle menace est apparue : l’esca, une maladie fongique, ravage les vignobles français, tant et si bien qu’elle pourrait coûter, rien que cette année, 1 milliard de livres [1,25 mil-liard d’euros] au secteur vinicole français.

Les Britanniques doivent-ils voir là l’oc-casion rêvée de prendre un avantage com-pétitif ? Il est tentant de le croire, même si les producteurs britanniques ne pour-ront certainement pas rivaliser sur le ter-rain des prix. Cependant, redoutant la montée en puissance des vins australiens et confrontés à une demande plus faible venant de Chine, les viticulteurs français ont choisi de ne pas répercuter les coûts de l’esca sur les consommateurs. Et, pas plus que l’excellence de leurs nectars, il ne faut sous-estimer la résilience des producteurs de l’Hexagone : le vin français n’en serait pas à sa première résurrection.

Dans les années 1870 et 1880, les vignes françaises furent dévastées par le phyl-loxéra, un puceron microscopique qui causa la ruine de nombreux viticulteurs. Les premiers bénéficiaires en furent les vignobles du Nouveau Monde, en Californie – et dans un parfait contre-exemple de bonne politique économique, les Etats-Unis cherchèrent à accentuer cet avantage en augmentant les taxes à l’importation des vins français. Cette stratégie fut un échec : la grande époque de plantation des vignes californiennes, de 1880 à 1885, posa certes les fondations de la Napa Valley, mais elle se traduisit par une crise de surproduction et un effondrement des prix.

Depuis sa renaissance, dans les années 1940, la viticulture anglaise s’est éten-due, gagnant une place toute particulière dans le Kent et le Sussex. Nous lui souhai-tons de belles réussites, évidemment, mais nous restons convaincus que la France reviendra en force. Comme le disait feu Mme de Rothschild [propriétaire du Château Mouton Rothschild, décédée en août der-nier], il est facile de produire du vin une fois qu’on a appris – il suffit de passer le cap des deux cents premières années. —

Publié le 20 octobre

Anglais, ne vous réjouissez pas !La vigne française a surmonté bien des épreuves pour toujours revenir au premier plan.

↙ Dessin d’Ale+Ale paru dans Internazionale, Rome.

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FRANCE.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

—Foreign Policy (extraits) Washington

C ’est là que le bât blesse : il est tou-jours risqué de vendre des systèmes d’armes à un pays qui, un jour, pour-

rait les retourner contre vos alliés, vos partenaires ou même vos propres forces. En 1982, pendant la guerre des Malouines, un pilote argentin a coulé le destroyer bri-tannique HMS Sheffi eld à l’aide d’un mis-sile Exocet tiré depuis son Super-Etendard. Le missile et l’avion étaient tous deux de fabrication française. (Pour être honnête, les Argentins ont également déployé des Skyhawk américains et des Canberra contre les troupes du Royaume-Uni.) Et, lors du raid aérien déclenché en 1986 (opération El Dorado Canyon) pour punir le régime de Muammar Kadhafi , responsable d’attentats terroristes en Europe, les Libyens auraient utilisé un missile sol-air français Crotale pour abattre un bombardier F-111 de l’US Air Force. Inutile de préciser que ces inci-dents n’ont rien fait pour inciter Londres ou Washington à coopérer avec Paris dans le domaine de la défense.

C’est peut-être en ayant ces exemples à l’esprit que, peu avant le sommet de l’Otan au pays de Galles les 4 et 5 septembre dernier, le président François Hollande a annoncé que, compte tenu des agissements de Moscou en Ukraine, il suspendait la livraison à la marine russe du Vladivostok, le premier des deux Mistral, prévue en automne. Selon les termes du contrat signé en 2011 sous le mandat de Nicolas Sarkozy, d’un montant de 1,2 milliard d’euros, la France est censée livrer le second bâtiment, le Sébastopol, à la

DIPLOMATIE

Sauver les Mistral du naufrage

fi n de l’année 2016. Le sujet divise la classe politique française. Certains politiciens et industriels de la défense préviennent que, nonobstant le comportement déplorable de Moscou, la crédibilité de la France en tant qu’exportateur d’armements – elle occupe la cinquième place au classement mondial – subirait des dommages irréparables si le contrat des Mistral était annulé. Il est vrai que, en dépit de la sinistrose qui règne dans l’économie française, l’industrie de l’arme-ment prospère. En septembre, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a révélé que le montant total des commandes avait atteint 6,87 milliards en 2013, soit une aug-mentation de 43 % par rapport à 2012.

Inquiétudes. Pourtant, nombre de spé-cialistes français de la sécurité et de com-mentateurs de renom préféreraient que Hollande renonce à la vente des navires. Ils citent en exemple des cas de contrats d’armement annulés par Paris dans le cadre d’embargos internationaux. Ils redoutent que l’aff aire des Mistral* n’éclipse le rôle de la France dans les mesures d’apaise-ment et de dissuasion convenues au pays de Galles aux yeux de plusieurs de ses alliés de l’Otan – notamment la Pologne et les pays baltes. Et certains font part de leurs inquiétudes au sujet de l’ampleur des transferts de technologies françaises à l’armée russe, en particulier en matière de systèmes d’information et de commu-nication militaires.

Voilà donc la solution : la France devrait proposer un accord de “crédit-bail” en vertu duquel les deux Mistral passeraient sous contrôle de l’UE avant d’apparte-nir, à terme, à tous ses Etats membres. Une initiative aussi audacieuse se justi-fi e parfaitement d’un point de vue straté-gique. Depuis 1999, l’Union européenne s’est employée à trouver la volonté et les

La vente de deux porte-hélicoptèresà la Russie n’est pas une très bonne idée. Mais il serait possible de leur trouver d’autres acheteurs, et la sécurité européenne en sortirait gagnante.

↙ Dessin de Lauzan, Chili.

capacités politiques nécessaires à l’exécu-tion des missions dites “de Petersberg”, qui couvrent aussi bien des missions huma-nitaires et d’évacuation que des opéra-tions de stabilisation après un confl it. Les Mistral doteraient l’UE d’un outil formi-

dable (et fl exible) pour y parve-nir. Sachant que 44 % de

la population mon-diale vit à moins de 150 kilomètres des côtes, l’UE pour-rait ainsi jouer un rôle de premier plan dans la fourniture et la coordination de l’aide humani-taire et du secours

aux sinistrés.De plus, l’Union

européenne se doterait de capacités internes qui lui per-

mettraient de conduire des opérations non combattantes d’évacuation dans cer-taines situations, comme le confl it libyen de 2011. L’UE pourrait également mettre ces bâtiments à profi t dans les domaines de la surveillance maritime, du sauvetage, de la lutte contre les trafi cs et la piraterie en Méditerranée et au large des côtes africaines.

La signature d’un accord de crédit-bail entre le gouvernement français et l’Agence européenne de défense, qui prévoirait la fourniture, par la France, des 160 membres d’équipage nécessaires, ferait sens à court terme. Plus tard, la vision de leurs Mistral arrivant sur les lieux de la prochaine crise humanitaire sous pavillon européen pour-rait inciter les 28 Etats membres de l’UE à tenir leurs engagements répétés à se doter de capacités civiles et militaires qui font actuellement cruellement défaut.

Le gouvernement français aura fort à faire pour convaincre l’UE de se pencher sur le dossier Mistral. Et son ministre des Finances ne saurait raisonnablement attendre de l’UE qu’elle couvre chaque euro de l’amende pré-sumée résultant de l’annulation du contrat existant par la France. Cela dit, les opéra-tions russes en Ukraine ont amené l’UE à riposter au moyen de sanctions qui auraient été impensables il y a encore peu. Et, à long terme, la détention et l’exploitation de Mistral par l’UE seront une bien meil-leure publicité pour l’industrie française de la défense que leur livraison aux Russes.

—James Stavridis, Leo MichelPublié le 21 octobre

* En français dans le texte

Les deux Mistral pourraient passer sous contrôle de l’UE

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Belgique.Les syndicatsdu futurEn appelant des travailleurs à se fairelicencier pour bénéficier de l’anciennelégislation sur les préretraites, la FGTBa surpris. Mais elle ne fait que s’inscriredans un mouvement plus général.

—De Morgen Bruxelles

Ils auraient pu voir venir l’avalan-che de critiques qui a suivi. Mais àla FGTB, ils estiment n’avoir fait

que leur devoir. Le relèvement de l’âgedes prépensions est imminent et le syn-dicat estime qu’il y avait urgence. Etdonc, la FGTB a écrit une lettre à quel-

que 7 000 ouvriers du bâtiment pour leurdire que s’ils voulaient encore profiter del’ancien système de préretraites, il fallaitqu’ils se fassent mettre à la porte avantmercredi.

Les réactions dans les médias et sur lesréseaux sociaux ont été pour le moinséhontées et hypocrites dans leur ensem-ble. En deux mots, le syndicat passe, une

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

fois de plus, pour une organisation dé-connectée de la réalité, totalement indif-férente à l’intérêt général.

Pourtant, l’année dernière, l’Unizo [fé-dération des PME flamandes] avait, demanière similaire, ouvertement appeléses membres à tout mettre en oeuvrepour éviter une mesure gouvernementale(qui a fait l’objet d’un aménagement en-tretemps) : l’augmentation de la taxationdes boni de liquidation, destinée à finan-cer les retraites des indépendants.

Par ailleurs, lors du précédent durcis-sement des critères d’accès à la prépen-sion, en 2011, une série d’entreprisesavaient procédé à des licenciements col-lectifs afin que les employés concernéspussent bénéficier encore de l’anciensystème – plus avantageux aussi bienpour eux que pour les entreprises.

Peut-on parler d’indignation sélec-tive ? Quoi qu’il en soit, les critiques ten-dent à persister davantage quand ellesconcernent un syndicat et semblent àchaque fois remettre en cause jusqu’àleur existence même. En refusant touteréforme, ils finiraient par mettre l’emploiet le pouvoir d’achat en péril, entend-on.

Signe de cet état de fait : aucun diri-geant syndical n’a voulu être présentmercredi soir dans le studio de Terzakepour commenter l’annonce d’une grèvenationale pour le 15 décembre prochain.Ils ont le sentiment de devoir toujours etpartout “se justifier”, ont-ils dit. Pour-tant, on peut légitimement leur deman-der s’il n’existe pas une autre manière dedéfendre leurs intérêts, sans devoir enarriver à des mesures qui ne font appa-remment que dégrader leur image. Parceque dans presque tous les pays industria-lisés, les syndicats ont dû s’adapter poursurvivre en milieu hostile.

Etats-Unis. C’est ainsi que le modèleorganisationnel, importé des Etats-Unis,a fini par débarquer en Europe. Aux USA,les syndicats sont historiquement plusfaibles, certainement pour ce qui est deleur rôle d’interlocuteurs sociaux. Pourconvaincre l’opinion publique, ils n’ontdonc pas d’autre choix que de faire régu-lièrement des expériences et de s’organi-ser autour d’un thème précis et d’un sec-teur déterminé. Quand une infirmière aété contaminée par le virus Ebola il y adeux semaines au Texas, le National Nur-ses United, fondé en 2009 a très vite mo-bilisé ses troupes pour dénoncer le man-que de protocole de sécurité au sein del’hôpital.

Ce modèle commence a prendre corpsen Europe également. Aux Pays-Bas, lacampagne Schoon Genoeg (“Propre as-sez”) dure déjà depuis un certain temps.Cette campagne vise à instaurer demeilleures conditions de travail pour lepersonnel de nettoyage en procédant àdu recrutement intensif auprès de cettecatégorie de travailleurs et en mobilisantl’opinion publique au moyen de campa-gnes modernes et percutantes. Celles-cisont très ciblées et manifestement trèsefficaces puisque les conventions collec-tives du secteur se sont nettement amé-

liorées au cours de ces dernières annéesaux Pays-Bas.

Dans les pays scandinaves également,des initiatives nouvelles ont vu le jour.Une information intéressante pour nossyndicats dans la mesure où le contexteest très comparable : taux élevé de syndi-calisation et intervention des syndicatsdans le processus de distribution des al-locations. En ce qui concerne ce dernierpoint, c’est toutefois moins le casqu’auparavant, ce qui a été un vecteurpuissant pour pousser les syndicats àchercher de nouvelles méthodes.

Suède. C’est notamment ainsi qu’est néen 2008 le syndicat Unionen en Suède,résultat de plusieurs fusions successivesd’organisations existantes. Unionen visespécifiquement les employés et les ca-dres et, grâce à plusieurs campagnes derecrutement réussies, cette organisationcompte aujourd’hui plus de 500 000membres. Unionen propose à ses mem-bres toute une palette de conseils, ducoaching et du soutien en cas de négocia-tions salariales. Par contre, cette organi-sation ne descend jamais dans la rue etreste à distance des partis politiques.

Il est par ailleurs frappant de voir àquel point les syndicats optent là-basbeaucoup moins souvent que chez nouspour la confrontation. En grande partieparce qu’ils ont été inclus dès 1938 dansle processus de concertation sociale avecl’accord de Saltsjöbaden.

Au Sud de l’Europe, en revanche, l’at-mosphère reste toujours très militanteétant donné que les syndicats sont beau-coup moins acceptés. Enfin, en Allema-gne, le tableau est mitigé : il y a une lon-gue tradition de cogestion des entrepri-ses mais, au cours de ces dix dernièresannées, les syndicats ont troqué l’atti-tude conciliante qu’ils avaient adoptédans le but de réaliser des réformes enprofondeur contre des revendicationsdures en matière de hausses salariales.

Bien entendu, dans tous les pays euro-péens, les relations au sein du monde dutravail et le rôle des syndicats est le ré-sultat d’un processus historique. Aucunmodèle n’est exportable tel quel. “Etpourtant, je constate que tous les partenairessociaux, patrons y compris, adoptent une at-titude très conservatrice. Le dernier exerciceofficiel de réflexion sur la concertation so-ciale remonte maintenant à 1985”, constatePatrick Humblet, spécialiste du droit dutravail à l’Université de Gand. “En théorie,il y a beaucoup de modèles possibles pour re-définir le rôle des syndicats, mais chacunpréfère s’en tenir aux traditions.”

—Frederik DescampsPublié le 20 octobre

“Il y a beaucoupde modèles possiblespour redéfinir le rôledes syndicats, maischacun préfère s’en teniraux traditions.”

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1252 du 30 octobre au 5 novembre 201430.

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—De StandaardBruxelles

Où est le dragon ? Vousn’avez pas vu mon dra-gon ?” Ce jeune homme

blond vient de faire irruptionau Kamiano, un restaurantpour sans-abri [à Anvers]. Unde ses sacs en plastique tombepar terre tandis qu’il se fraieun chemin au milieu de la filedes gens qui attendent.

Deux fois par semaine, envi-ron trois cents sans-abri etsans domicile fixe reçoivent iciun repas chaud gratuit. Unegrande partie d’entre eux sontalcooliques ou toxicomanes etcertains ont des problèmespsychiques. Malgré la patienceet la générosité des volontai-res, il fait rarement calme dansce restaurant.

Le jeune homme est danstous ses états parce que l’un deses amis vient de mourir.Quand son amie – celle qu’il ap-pelle le dragon – lui fait une re-marque à ce sujet, il lui jetteune assiette de goulash enpleine figure. “On n’est pas desanges”, commente David – 41ans dont 16 dans la rue – quivient d’assister à la scène.“Dans la rue, tu dois apprendre àte battre, sinon tu ne peux pas

survivre. Tu n’as qu’un seul ami :toi-même.”

L’organisation Médecins duMonde a fait un sondage sur laviolence dans la rue. Il en res-sort que quatre sans-abri surdix ont déjà été victimes deviolence physique et que pres-que la moitié d’entre eux ontsubi des violences psychologi-ques. La plupart du temps,l’auteur des violences en ques-tion est connu de la victime.

“Il s’agit souvent des histoiresd’alcool ou de drogue”, expliqueDiederik, 52 ans, SDF depuis 18mois et mieux connu sous lesurnom de Big Daddy au Quar-tier des Marins. “Il suffit de peude chose. Comme de quelqu’unqui se trompe de carton au mo-ment d’aller dormir. On a pres-que tous un couteau sur nous ; ilfaut faire attention.”

En dépit de son surnom –c’est vraiment quelqu’un decostaud – Diederik s’est fait dé-pouiller un nombre incalculablede fois. “Tu dois avoir des yeuxdans le dos. Dans la rue, un GSMou des vêtements, ça a énormé-ment de valeur. Parfois c’est parpure jalousie. Dernièrement,j’avais un pot de moutarde et, dujour au lendemain, il a disparu. Jel’ai retrouvé dans une poubellequelques jours plus tard. Quel-

qu’un qui voulait juste m’embê-ter.”

Il n’y a pas que le vol. L’an-née passée, Diederik s’est re-trouvé deux jours dans le comaaprès qu’on lui ait mis du Ro-hypnol dans sa bouteille. “Heu-reusement, une patronne de caféattentive a appelé une ambulance.J’ai eu beaucoup de chance. Je nesais pas qui m’a fait ça mais monsac à dos avait disparu.”

Femmes. Selon l’enquête deMédecins du monde, ce sontles femmes qui sont les plussujettes à la violence et certai-nement pour ce qui est desviolences sexuelles : 27 % d’en-tre elles ont été victimes d’unviol. Dans ces cas-là aussi,l’auteur des faits est très sou-vent connu de la victime. “Lesrelations entre sans-abri, c’estune zone de flou”, estime Kris-tien Wouters, volontaire à Ka-miano. “Elles sont de courte du-rée et sont souvent entachées debeaucoup de violence.”

Sandra, 43 ans, peut en té-moigner. Elle a été maltraitéeet violée par son ancien parte-naire. “Je suis tombée très basmais j’essaie de remonter lapente. J’ai déjà eu assez de misè-res”, commente-t-elle.

Aujourd’hui elle vit de sesindemnités d’invalidité. Et ha-bite dans une petite maisonqu’elle loue avec son ami etson jeune fils. “Mais je viens en-core manger deux fois par se-maine chez Kamiano.”

Mercredi soir, Sandra ira re-cevoir des soins dans un cabi-net médical. Elle a été atta-quée sur la place Roosevelt lanuit dernière et elle a une

SOCIAL

La dureté de la rueQuatre sans-abri sur dix disent avoir déjà étévictimes de violences physiques en rue.“On a presque tous un couteau sur nous”,témoigne l’un d’entre eux.

grande coupure sur la jouegauche. “Un Marocain qui m’ademandé une cigarette. J’aivoulu m’en aller mais il m’a re-tenue et il a essayé de me volermon sac. Comme je me débattais,il a sorti un couteau. Je suis trèschoquée mais j’essaie de ne pasavoir peur. C’est une règle d’orquand on vit dans la rue. Celuiqui a peur se met en danger.”

Le danger est une réalité dela rue. Ce mois-ci, les volon-taires de Kamiano sont entrain de rassembler des pho-tos des sans-abri qui sontmorts l’année dernière. Demaladie, suite à des violencesou par suicide. En tout unevingtaine de personnes ; leplus jeune n’avait que 19 ans.Le 1er novembre prochain, unecommémoration sera organi-sée. “Parce que nous voulonsque personne ne soit oublié”,ajoute Kristien Wouters.

“Mon ami Jo en fait partie”,dit David. “Ils l’ont trouvé il y aquelques semaines sur un chan-tier. D’après la police, il a faitune chute après avoir trop bu.Mais moi je sais que ce n’est pasle cas. Il a été égorgé par des Po-lonais avec qui il s’était battuquelques jours plus tôt.”

“La violence est partout”, af-firme David. Et, il le dit sansvouloir minimiser sa proprepart. “J’ai passé 55 mois au troupour avoir tabassé un dealer.C’est la vie, ça fait partie de lavie. Mais ça ne veut pas dire queje m’habitue à tout ça. Il y a desmots qui vous restent en traversde la gorge. Quand la policevient et qu’on me dit que je gâchele paysage. Ou quand quelqu’unme jette à la figure que c’est àcause de gens comme moi que lesgens ne veulent plus avoir d’en-fants. Non, ça, je n’oublie pas.”

—Eline BergmansPublié le 17 octobre

↙ Dessin de Clou parudans La Libre Belgique

Édito

Incohérentet révoltant●●● A la fin de cette annéeacadémique, 300 diplômésen médecine (soit près de50 % des diplômés attendus)et 90 diplômés en dentisterie(60 %) n’auront pas accès àune attestation et donc à unnuméro Inami indispensablepour exercer leur métier. Etcela après sept annéesd’études qui exigent un travailquotidien acharné. Lasituation est financièrementcatastrophique ethumainement déplorable.Ce constat, les doyens desfacultés de médecine l’ontdéjà dressé à plusieursreprises. Il est à présentdénoncé par les étudiants enmédecine. Tous renvoient laballe vers un monde politiquequi tarde trop à réagir. D’oùvient le problème ?Le numerus clausus imposé àla fin des années de médecinea généré une pénurie qui adéstabilisé certainesstructures hospitalières.Il a raréfié les candidats auxspécialités les moinsrémunérées et les pluslourdes à assurer (la pédiatrienotamment, vu le nombreimportant de gardes).De plus, la libre circulationvoulue par l’Europe a faitvenir en Belgique desmédecins des pays de l’Estpour renforcer les équipestandis que les jeunesdiplômés belges se voyaientinterdire l’accès auxformations.La situation est absurde : lesuniversités sont obligéesd’inscrire tous les étudiants“finançables”. Or le numerusclausus à la sortie limite lenombre d’attestations que cesmêmes universités doiventdistribuer. Veut-on priver despromotions entières d’unaccès au métier ?Oui, il faut conserver unemaîtrise de la consommationmédicale, mais il faut mettrefin à ce système abscons. Laministre de la Santé MaggieDe Block a promis uneconcertation, un cadastre. Ilest urgent d’agir. Tout commeil est urgent que les syndicatsmédicaux, favorables aunumerus, revoient uneposition jugée trèscorporatiste.

—Francis Van de WoestyneLa Libre Belgique

Publié le 28 octobre

BELGIQUECourrier international – n° 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 31

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

unioneuropéenne

↙ Dessin de Topan, Roumanie.

—Público (extraits) Lisbonne

Royaume-Uni, Suisse, Allemagne : dans trois de ces destinations de l’émi-

gration portugaise d’aujourd’hui, la libre circulation des personnes est en débat. Les expatriés n’ayant pas d’emploi ou de moyen de sub-sistance peuvent se voir invités à plier bagage. L’Observatoire

portugais de l’émigration a recueilli auprès des pays d’ac-cueil des données sur l’entrée de Portugais sur leur territoire. L’année dernière, ils ont ainsi été 30 000 au Royaume-Uni, 15 000 en Suisse et 11 000 en Allemagne. Le classement serait peut-être dif-férent si l’on disposait de données sur la France, mais Paris refuse de traiter (ou de divulguer) ce type

d’information afin de ne pas ali-menter la xénophobie.

L’ouverture des frontières a rendu les migrations plus expé-rimentales. Cependant, libre circulation ne signifie pas libre installation. Pour être autorisé à résider plus de trois mois dans un autre pays de l’Espace éco-nomique européen (EEE), les ressortissants communautaires

Migration. La libre circulation remise en cause Dans un contexte de crise économique et de montée en puissance des partis eurosceptiques, les Portugais s’inquiètent des difficultés pour s’installer durablement dans les pays de l’UE où ils émigrent.

doivent avoir un emploi ou un moyen de subsistance afin de ne pas devenir un fardeau pour le système de protection sociale du pays d’accueil.

Le Luxembourg est le pays accueillant le plus grand nombre de Portugais sans emploi (environ 30 %), mais, comme le Portugal, il ne considère pas le chômage comme un motif d’expulsion. Tous les Etats membres n’ont cependant pas la même concep-tion des choses. Et depuis que la crise a traversé l’Atlantique pour se propager à toute l’Eu-rope, certains ont planché sur des moyens d’expulser sur-le-champ leurs immigrés commu-nautaires. La Belgique expulse ainsi des Européens présents de longue date sur son territoire, au motif qu’ils représentent une “charge déraisonnable” : le nombre d’expulsions de ce type est passé de 343 en 2010 à 989 en 2011, pour atteindre 1 918 en 2012.

Acculés par la progression de partis extrémistes eurosceptiques, certains partis de gouvernement “adoptent un discours aux relents xénophobes, au lieu de les combattre”, dénonce le député européen Carlos Coelho (Parti social-démocrate), délégué à la commission parle-mentaire mixte de l’Espace écono-mique européen. “La Commission européenne peut traduire en justice ceux qui ne respectent pas la direc-tive sur la libre circulation des per-sonnes, et je suis convaincu qu’elle le fera, ajoute-t-il. Je suis très préoc-cupé par ce qui se passe.” Le Portugal vit un véritable exode, seulement comparable en termes quanti-tatifs à ce qu’il a connu dans les années 1960 et 1970. [Depuis 2010, on évalue à 120 000 le nombre de départs annuels.]

En France, la polémique a éclaté en 2010 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avec l’expulsion de Roms venant de Roumanie et de Bulgarie. Des opérations sem-blables ont eu lieu dans d’autres pays de l’UE, mais plus discrète-ment, notamment en Allemagne, au Danemark et en Suède. Des plaintes ont alors été adressées à la Commission européenne, mais les ressortissants de la Roumanie et de la Bulgarie, bien que leurs pays soient membres de l’Union, ont encore eu à subir des restric-tions à l’entrée dans les autres Etats membres.

La sociologue Inês Espírito Santo, qui travaille à une thèse sur la communauté portugaise émigrée, juge inimaginable que

celle-ci devienne la cible d’un tel opprobre : “C’est la popula-tion étrangère la moins exposée au chômage en France.” Analysant les derniers recensements, cette chercheuse à l’Observatoire por-tugais de l’émigration a estimé que seuls 5,5 % des résidents nés au Portugal étaient au chômage, contre un taux de 10,5 % pour la population française globale. “Ils ont intégré des secteurs très spéci-fiques, au sein desquels ils ont tissé des réseaux communautaires, sans compter qu’ils jouissent d’une image de ‘bons travailleurs’ auprès des employeurs.”

L’année dernière, la contro-verse a gagné le Royaume-Uni, nouvelle grande destination des Portugais. Dans un article publié dans le Financial Times, le Premier ministre David Cameron a annoncé la mise en place de nou-velles restrictions pour les immi-grants ressortissants de l’EEE. Toutes ses annonces n’ont cepen-dant pas été approuvées et, pour l’heure, le Royaume-Uni a respecté les directives européennes, sou-ligne Carlos Coelho.

Les premiers changements sont entrés en vigueur le 1er janvier der-nier, avec la fin des restrictions à la libre circulation des Roumains et des Bulgares. Auparavant, les autorités britanniques offraient une aide financière dès l’inscrip-tion dans un centre pour l’em-ploi ; désormais, il faut pouvoir faire état de trois mois de rési-dence pour bénéficier de cette aide, des allocations familiales et d’autres prestations sociales. Un étranger restant plus de six mois au chômage perd par ail-leurs le statut de travailleur qui l’autorise à résider dans le pays.

En mars 2014, c’est l’Allemagne qui a, à son tour, annoncé des mesures d’encadrement de l’im-migration. Le ministre de l’In-térieur, Thomas de Maizière, et la ministre du Travail, Andrea Nahles, ont présenté un rapport proposant de fixer un délai de trois à six mois aux ressortis-sants d’autres pays de l’UE pour qu’ils trouvent un emploi, délai au-delà duquel ils devraient quit-ter le pays. Ils seraient alors non seulement expulsés d’Allemagne,

Le Portugal vit un véritable exode, comparable à ce qu’il a connu dans les années 1960 et 1970

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UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

↙ Dessin de Luojie paru dans China Daily, Pékin.

—The Spectator (extraits)Londres

Il est facile de tourner David Cameron en ridicule au sujet de l’immigration. Face à la

pression exercée par l’opinion publique et le Parti pour l’indé-pendance du Royaume-Uni (Ukip), il est contraint d’élaborer à la va-vite une position plus stricte sur la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. Certaines mesures écartées au printemps dernier font aujourd’hui partie d’une politique envisagée. Mais ce n’est pas seulement une question de repositionnement poli-tique : en ce qui concerne la liberté de circulation, il existe de véri-tables arguments en faveur d’une exception britannique par rapport aux autres pays de la zone euro.

Quelle que soit la composition du gouvernement à l’issue des pro-chaines élections [prévues pour le 7 mai 2015], la relation de la Grande-Bretagne avec l’UE devra changer. Pourquoi ? Parce que ce pays est l’un des seuls au sein de l’UE qui n’adoptera jamais la monnaie unique. Il y a quelques années, plusieurs grands pays d’Europe de l’Est semblaient aussi tentés de s’abstenir. Maintenant, l’adhésion à l’euro fait partie de leur stratégie défensive face au retour en force de la Russie. D’ici

Le casse-tête de David CameronLe Premier ministre britannique veut se montrer plus ferme contre l’immigration, une stratégie risquée au moment où il tente de renégocier les termes de l’appartenance de son pays à l’UE.

Le Luxembourg est le pays accueillant le plus grand nombre de Portugais sans emploi (30 %)

L’économie britannique a créé plus d’emplois que le reste de l’UE dans son ensemble

La volonté du public n’est peut-être pas compatible avec l’adhésion à l’UE

mais ceux qui se seraient rendus coupables de fraude aux aides sociales se verraient dans l’in-terdiction d’y revenir.

Si le taux de chômage reste bas en Allemagne, il est presque deux fois plus élevé chez les étrangers que chez les Allemands. Le pays bénéficie d’un système de protec-tion sociale très généreux, rappelle Nelson Rodrigues, qui travaille pour Caritas en Allemagne : outre l’allocation chômage et l’aide de base pour les chercheurs d’em-ploi, il existe des prestations pour l’achat de mobilier ou le paiement du loyer et des factures d’eau, d’électricité et de gaz. Pour l’heure, elles n’ont pas été modifiées, et Nelson Rodrigues espère que les annonces du gouvernement d’An-gela Merkel, lancées à la faveur des dernières élections européennes, en resteront là.

La Suisse a approuvé en février, par référendum, la mise en place de quotas d’entrée pour les citoyens de l’Union européenne. Et elle se prépare à une nouvelle consulta-tion proposant de réduire le solde migratoire annuel à 0,2 % de la population totale, soit 16 000 per-sonnes, alors que ce solde est actuellement supérieur à 80 000.

Dans ce pays, le taux de chô-mage avoisine les 3 %, et des études successives ont montré que les étrangers ont trois fois plus de risques d’être sans emploi. Il faut cependant signaler qu’ils travaillent souvent dans des sec-teurs connaissant d’importantes fluctuations saisonnières, tels le bâtiment, l’hôtellerie ou l’agricul-ture. C’est le cas des Portugais, dont le taux de chômage grimpe à 10 % en hiver, pour retomber à 5-6 % en été.

Pour l’heure, les ressortissants de l’UE ont droit à l’assurance chômage en Suisse. Quand ils arrivent en fin de droits, ils ont alors six mois pour retrouver un emploi, sous peine de perdre le permis de résidence s’ils ne peuvent pas prouver qu’ils ont un autre moyen de subsistance. Seuls échappent à cette obliga-tion les détenteurs d’un permis de résidence longue durée.

—Ana Cristina PereiraPublié le 20 octobre

à 2020, la plupart des nouveaux Etats membres auront rejoint la zone euro. En 2030, la Grande-Bretagne, le Danemark et la Suède pourraient être les seuls membres à rester en dehors de la zone euro.

La Grande-Bretagne est la pre-mière puissance économique parmi ces trois pays. Par conséquent, si les économies de la zone euro montrent une convergence – ce qui est indispensable à leur survie –, la Grande-Bretagne deviendra la soupape de sécurité de l’Europe à chaque flambée du chômage, en raison de son cycle économique indépendant.

Des signes le montrent déjà. Au cours de l’année 2006, avant la crise, moins de 10 000 Espagnols avaient obtenu un numéro de sécu-rité sociale britannique. En 2013, ce nombre est passé à 50 000. La tendance est la même pour les Portugais (30 000, contre un effectif inférieur à 10 000 aupa-ravant) et les Italiens, passés de 11 000 à 44 000. Au total, plus de 120 000 immigrés sont arrivés en 2013 de ces trois pays, qui sont

membres de l’UE depuis longtemps. Ces chiffres réduisent en miettes l’objectif de David Cameron, qui prétend réduire le solde migratoire à seulement quelques dizaines de milliers de personnes, contre des centaines de milliers aujourd’hui. Ces chiffres remettent également en cause toute politique partant du principe que le problème se limite aux immigrés venus des nouveaux Etats membres. La prolongation des “restrictions transitoires” – c’est-à-dire des conditions d’im-migration plus strictes pour ceux qui ont récemment rejoint l’UE – ne serait pas une solution aux flux en provenance de la zone euro dans son ensemble.

Le peuple décide. Le gouver-nement britannique altère sa position sur la liberté de circu-lation non seulement pour écar-ter l’Ukip, mais aussi parce qu’il craint que le retour de la crise dans la zone euro accentue l’immi-gration vers la Grande-Bretagne. Maintenant que de grandes com-munautés d’Espagnols, d’Italiens et de Portugais y sont déjà installées, des sources au sein du gouverne-ment font valoir que la prochaine vague d’immigrés qui viendra de ces pays sera d’autant plus impor-tante. Pourquoi toutes ces per-sonnes ambitieuses viennent-elles en Grande-Bretagne ? La raison est simple, c’est là qu’il y a du travail. Depuis 2010, l’économie britan-nique a créé plus d’emplois que le reste de l’Union européenne dans son ensemble.

On peut sans aucun doute avan-cer que la Grande-Bretagne devrait accueillir ces immigrés. Ce sont des personnes qui ont fait preuve de motivation pour changer de pays et chercher du travail. L’opinion publique, en revanche, ne semble pas particulièrement réceptive à ces arguments. Plus de trois quarts des personnes interrogées veulent un recul de l’immigration, et plus de 50 % sont persuadées que l’im-migration européenne coûte plus à la Grande-Bretagne que ce qu’elle ne lui apporte.

L’opinion publique est maîtresse du débat sur l’immigration. David Cameron admet ouvertement que c’est le peuple qui décide et que, s’il s’attaque à la liberté de circulation, c’est parce que “le public veut que ce problème soit résolu”. Seulement, son problème est que la volonté du public n’est peut-être pas compa-tible avec l’adhésion à l’UE.

Depuis des années, Nigel Farage, le chef de l’Ukip, dit que

le débat sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’UE doit tour-ner autour de la question de la maî-trise des flux d’immigration. Si la population venait en effet à assi-miler l’adhésion à l’UE à des fron-tières ouvertes, elle demanderait à quitter l’Union. Jusque-là, face au succès récolté par ce discours de Nigel Farage, les conservateurs ont proposé de sévir contre les abus de la liberté de circulation et d’adopter des restrictions pro-longées pour les nouveaux Etats membres, mais sans remettre en question la validité du principe de libre circulation. Or, maintenant, la tendance semble s’inverser.

Selon un haut fonctionnaire du gouvernement, David Cameron devrait annoncer avant Noël des mesures destinées à restreindre le nombre d’Européens autorisés à immigrer en Grande-Bretagne. C’est une décision contraire au traité de Rome. Les hauts res-ponsables du gouvernement britannique admettent que le reste de l’Europe s’y opposerait probablement.

David Cameron sait à quel point il est risqué de marquer un mauvais point qui permet-trait au public de mal apprécier sa renégociation avec l’UE. S’il annonçait ses intentions sans réussir à obtenir ce qu’il souhaite, il lui serait ensuite plus difficile de convaincre la population de voter pour rester membre de l’UE. Pour cette raison, un grand nombre de personnes qui ont soutenu la candidature de David Cameron en 2005 s’inquiètent de son discours sur l’immigra-tion aujourd’hui. Elles craignent qu’il fixe un objectif irréalisable au cours des négociations.

Peut-être le terme “renégocia-tion” ne convient-il pas à la tâche que David Cameron s’est fixée. Selon l’un de ses ministres les plus réfléchis, David Cameron n’aurait pas dû promettre une renégocia-tion. Il aurait été préférable qu’il s’engage à créer un statut adapté à un pays qui ne rejoindra jamais la zone euro. Voilà la mission du prochain Premier ministre de la Grande-Bretagne.

—James ForsythPublié le 25 octobre

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34. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

OBAMA LE MYTHEEN MIETTES

à la une

Qu’est-il arrivé à Barack Obama ? Icône mondiale en 2008, le président américain fait aujourd’hui figure de persona non grata. A l’approche des élections législatives de mi-mandat du 4 novembre, même les candidats démocrates prennent leurs distances avec lui (p. 35). Comparé à Roosevelt ou Kennedy à ses débuts, il semble aujourd’hui plus proche d’un Jimmy Carter (p. 36). Si son bilan en matière de politique intérieure n’est pas catastrophique, de nombreux commentateurs dénoncent son échec en politique étrangère. —Service Amérique du Nord

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Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 OBAMA, LE MYTHE EN MIETTES. 35

“Pendant les quatre premières années […], je pensais

qu’Obama était un leader solide sur les questions de sécurité.

Mais depuis deux ans il semble un peu perdu.”

Leon Panetta,EX-DIRECTEUR DE LA CIA

ET EX-MINISTRE DE LA DÉFENSE D’OBAMA

Paru dans Politico, octobre 2014

The Guardian (extraits) Londres

Q u’est-il donc arrivé au messie ? L’homme pour lequel, en cette nuit électorale inoubliable, il y a presque six ans, les Américains dansaient dans les rues en chantant “Yes we can !” L’homme dont le nom était sur toutes les lèvres en Europe.

Celui qui avait promis [en juillet 2008 devant la porte de Brandebourg, à Berlin] que l’humanité se souviendrait de ce moment comme de celui où “la montée des océans a commencé à ralentir et notre planète à guérir”.

A l’approche des élections législatives de mi-mandat du 4  novembre, les candidats démocrates refusent de se montrer à ses côtés. Sa cote de popularité a chuté aux alentours de 40 % et en Europe on ne parle quasiment plus de lui : Obama est devenu “Nobama”.

Que s’est-il donc passé ? Il peut certes encore arriver beaucoup de choses pendant ses deux dernières années de mandat, mais Obama a probablement déjà réalisé ses plus grands accomplissements et – les cheveux grisonnants, l’air détaché, discourant d’une voix lasse – il donne de plus en plus l’impression qu’il aimerait tout autant aller jouer au golf.

Il est important de rappeler que depuis 1945 aucun président américain n’a été confronté à une conjoncture aussi difficile. Obama est entré en fonctions avec la pire crise financière depuis les années 1930, une désastreuse et absurde guerre en Irak héritée de son prédécesseur républicain George W. Bush, un système politique dysfonctionnel articulé autour d’un Congrès divisé, biaisé par le charcutage électoral et dominé par l’argent, et une évolution historique de l’équilibre des pouvoirs dans le monde. Cette année, la Chine a ravi aux Etats-Unis la place de première puissance économique mondiale, en parité de pouvoir d’achat.

Préjugés. Dans un article que j’ai écrit à Washington au lendemain de l’élection d’Obama en novembre 2008, le slogan “Yes we can !” résonnant encore dans les oreilles, j’exprimais déjà des doutes : cet élan plein d’espoir suffirait-il à surmonter tous les obstacles ?

Mais il est un obstacle que je n’avais pas suffisamment anticipé. Alors que l’on acclamait l’arrivée du premier président noir à la Maison-Blanche en disant qu’elle débarrassait la plus grande démocratie du monde de sa tache la plus sombre, il s’avère que bien des préjugés subsistent. “Il est indéniable, commente sobrement la journaliste américaine Elizabeth Drew, que la couleur du président joue un rôle significatif dans la façon destructrice dont certains parlent de lui et l’affrontent.”

Cela dit, quel est le bilan provisoire d’Obama ? Selon moi, un bilan modérément positif en politique intérieure et très médiocre en politique extérieure. L’économie américaine s’en sort mieux que les autres grandes économies développées. Elle a progressé de près de 8 % depuis le premier trimestre 2008, alors que la zone euro affiche un recul de plus de 2 % sur la même période.

Le chômage est passé au-dessous de 6 %. Le déficit du budget fédéral pour l’année fiscale 2014 est descendu sous la barre de 3 % du PIB. On pourrait débattre jusqu’à plus soif pour déterminer à qui en revient le mérite ? Au gouvernement ? A l’ancien président de la Réserve fédérale Ben Bernanke ? Au boom du gaz de schiste ? Au dynamisme du gigantesque marché intérieur ? A l’esprit d’entreprise américain ? A Dieu tout-puissant ? Toujours est-il que cela s’est passé sous la houlette d’Obama. Les restrictions imposées au monde financier par la loi Dodd-Frank [loi sur la stabilité et la transparence du système financier adoptée en 2010 à la suite de la crise des subprimes] sont timides et incomplètes, mais le Bureau de protection financière des consommateurs protège significativement les clients des banques. Obama a fait ce qu’il a pu pour commencer à réduire les émissions de carbone, en dépit d’un Congrès dominé par les lobbys.

Incapacité. Le lancement de la plateforme Internet permettant aux Américains de souscrire une assurance-santé dans le cadre de l’Obamacare [surnom de la réforme de l’assurance-maladie] a certes été un désastre dont il est responsable, mais cette réforme a permis à peut-être 10 millions de personnes de bénéficier pour la première fois d’une assurance-santé ou de Medicaid [programme fédéral d’assurance-maladie pour les plus démunis]. Selon les travaux de deux professeurs de Princeton, lors de son premier mandat, Obama a budgétisé bien plus de programmes de lutte contre la pauvreté que tout autre président démocrate. Il a moins parlé des pauvres, mais a davantage agi pour eux. Il n’a pas (encore) mené de grande réforme de l’immigration, mais c’est en grande partie à cause de la résistance des législateurs républicains. Voilà donc un bilan de politique intérieure respectable en ces temps difficiles.

Côté politique extérieure, en revanche, le président dont le monde attendait tant a accompli bien peu de choses. Il n’a certes pas fait “de choses stupides” comme envahir l’Irak. Mais cela s’arrête là. L’homme d’Etat visionnaire qui a prononcé le discours du Caire en 2009 n’a pas su saisir la chance que représentait le “printemps arabe”, notamment en Egypte, où, avec l’aide de plus de 1 milliard de dollars qu’ils versent à l’armée, les Etats-Unis disposaient d’un réel atout

Si seulement les Américains avaient élu HillaryLoué comme un homme d’Etat providentiel en 2008, Obama a déçu. Notamment en politique étrangère, estime ce chroniqueur britannique.

ContexteUNE VAGUE RÉPUBLICAINE ?Depuis 2010, Barack Obama doit composer avec une opposition féroce au Congrès, la Chambre des représentants étant contrôlée par les républicains. Cela ne devrait pas s’arranger avec les élections de mi-mandat du 4 novembre, où seront renouvelés tous les sièges de la Chambre des représentants et un tiers de ceux du Sénat. Trente-six postes de gouverneur sont également en jeu. Les républicains sont quasi assurés de conserver la majorité à la Chambre des représentants et, d’après The New York Times, ils ont de grandes chances de s’emparer du Sénat, jusqu’ici à majorité démocrate. Aux Etats-Unis, les deux dernières années du second mandat sont traditionnellement celles du “président canard boiteux” (lame-duck president) : le chef de l’Etat, qui ne peut pas briguer un troisième mandat, se trouve en position de faiblesse et n’est pas en mesure d’accomplir grand-chose. Face à une opposition républicaine peut-être renforcée, Obama risque de ne pas déroger à la règle.

→ 36

A la une

“MICROMANAGER EN CHEF”Le président Obama est-il trop “cool” pour gérer efficacement les crises ? C’est en tout cas ce que suggère la couverture du dernier numéro du magazine américain Bloomberg Businessweek, qui titre : “La gestion de crise sous la présidence Obama”. On peut y voir un locataire de la Maison-Blanche très décontracté et démultiplié un peu à la façon d’une série d’Andy Warhol. A l’approche des élections de mi-mandat, la presse américaine n’épargne guère Obama. Début octobre, le site Internet du magazine The Atlantic traitait déjà le président de “micromanager en chef”.

Dessin de Riber paru dans Svenska Dagbladet, Stockholm.

Page 36: Courrier 20141030 courrier full 20141105 155017

36. À LA UNE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Le président qui s’était vu trop grandBarack Obama pensait pouvoir transformer la politique et la société américaines. Mais il ne restera pas comme un grand homme d’Etat.

—The Washington Post (extraits) Washington

T ous les présidents déçoivent. Cela va de pair avec le job ; c’est une conséquence inévi-table des attentes irréalistes des Américains envers leur président et du fossé qui sépare faire campagne et gouverner. Barack Obama n’est donc pas le premier à ne pas être à la

hauteur des attentes – et il ne sera pas le der-nier. Mais il en est venu à incarner autre chose : les risques que l’on encourt à vouloir être un grand président sans avoir le génie, l’étoffe et la situation de crise nécessaires pour y parvenir.

“Certains s’interrogent sur l’étendue de nos ambitions et suggèrent que notre système ne peut supporter trop de grands projets à la fois”, déclarait le nouveau président devant 1,8 million de personnes dans son discours d’investiture le 20  janvier 2009. “Ce que les cyniques ne comprennent pas, c’est que le sol s’est dérobé sous leurs pieds et que les arguments politiques rancis auxquels nous avons eu droit depuis si longtemps ne sont plus valables aujourd’hui.”

A petits pas. Obama avait promis une grande révolution ; il en est réduit à avancer à pas mesurés [allusion aux propos du président sur sa politique étrangère] et se cantonne à son petit paragraphe dans le grand livre de l’Histoire [allusion à une

interview du président dans The New Yorker]. Et, après avoir été comparé à Abraham Lincoln, à Franklin D. Roosevelt et à John Kennedy, il est tombé si bas que les journalistes se demandent s’il ne jouerait pas plutôt dans la cour d’un Jimmy Carter.

Il faudra du temps pour porter un jugement sur la présidence d’Obama et la comparer à celles d’autres occupants du Bureau ovale. Certains, comme Paul Krugman, ont déjà tranché : c’est “l’une des plus importantes et, oui, l’une des plus réussies de l’histoire des Etats-Unis” [a déclaré l’économiste dans le magazine Rolling Stone, voir encadré p. 37]. Pourtant, quelle que soit en définitive l’opinion des historiens et des Américains, il ne restera probablement pas dans l’Histoire comme le grand homme d’Etat qu’il voulait être. Sa présidence n’est certainement pas un échec, mais Obama ne sera sans doute pas considéré comme un grand président, ni même comme un leader emblématique. L’indéniable grandeur de présidents comme George Washington, Abraham Lincoln et Theodore Roosevelt exige trois éléments : une crise grave qui menace la nation pendant une période prolongée ; du génie – une intelligence politique, une force de persuasion et une habileté à négocier avec le Congrès – pour savoir transformer à long terme la nation à partir de cette crise ; et enfin, l’étoffe d’un chef.

“Les grandes nations ont besoin de principes

directeurs ; ‘ne pas faire de choses stupides’ n’est

pas un principe directeur.”Hillary Clinton,

EX-SECRÉTAIRE D’ETATParu dans The Atlantic,

août 2014

↘ “Obola est extrêmement contagieux ! – Vos résultats dans les sondages sont mortels !– Désinfection du candidat.”Dessin de David Fitzsimmons paru dans The Arizona Star, Tucson.

→ Dessin de Kroll paru dans Le Soir, Bruxelles.

35 ← face aux militaires répressifs qui dominent de nouveau le pays.

Il a déclaré que l’usage d’armes chimiques en Syrie était une “ligne rouge” à ne pas franchir, puis il a laissé le président syrien la transgresser en toute impunité. Et Bachar El-Assad a concentré ses tirs sur l’opposition syrienne modérée qu’Obama n’a pas suffisamment soutenue en dépit des pressions de sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton. Ce qui a permis au mouvement aujourd’hui baptisé Etat islamique (EI) de gagner du terrain. Dans le même temps, son incapacité à négocier avec le Premier ministre chiite irakien Nouri Al-Maliki – incapacité critiquée jusque dans les Mémoires de son ancien ministre de la Défense Leon Panetta – a poussé certains sunnites, mécontents, à se tourner eux aussi vers l’EI. Et les Américains sont de nouveau engagés militairement en Irak.

Maigre bilan. Le Prix Nobel de la paix prématuré n’a pas (encore) tout mis en œuvre pour parvenir à une solution à deux Etats pour Israël et la Palestine, comme l’a fait Bill Clinton. Il a mollement réagi à l’agression éhontée de Poutine en Ukraine. Le scandale de la surveillance électronique massive de la NSA a éloigné de nombreux alliés, notamment l’Allemagne, et il n’a même pas limogé son chef du renseignement, le général James Clapper, qui avait menti devant le Congrès.

Le “pivot” vers l’Asie est une bonne idée, mais ni la Chine ni les alliés américains dans la région ne semblent impressionnés par les résultats. Et puis il y a la question du développement. L’homme qui est arrivé au pouvoir comme le champion des relations Nord-Sud plutôt qu’Est-Ouest n’a en réalité guère fait plus que George W. Bush pour aider le développement du Sud. Ah oui, et il n’a pas fermé le centre de détention de Guantánamo. Faut-il que je continue ?

Tout cela nous amène à une question intéressante  : les électeurs des primaires démocrates de 2008 se seraient-ils trompés de priorité ? Auraient-ils dû faire le choix historique de désigner la première femme plutôt que le premier Africain-Américain comme candidat à la présidence de leur pays ? Hillary avait davantage d’expérience et aurait probablement été plus ferme à maints égards. Elle avait le bon âge – alors qu’elle aura 69 ans lors des élections de 2016. Et avec huit ans de plus, une période passée au Sénat suivie par exemple d’un mandat de secrétaire d’Etat ou de vice-président, Obama aurait été mieux armé pour affronter les dangers du monde. Mais on ne refait pas l’Histoire avec des si.

—Timothy Garton AshPublié le 13 octobre

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Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 OBAMA, LE MYTHE EN MIETTES. 37

A la uneLE MAGAZINE “ROLLING STONE” AU SECOURS D’OBAMA

Dans le concert des critiques et des noms d’oiseaux adressés à Obama, une voix s’élève à contre-courant : celle du magazine Rolling Stone, qui a décidé de faire les honneurs de sa couverture au président américain à l’approche des élections de mi-mandat en titrant : “En défense d’Obama”. Ce n’est pas la première fois que le magazine prend fait et cause pour le locataire de la Maison-Blanche. En 2008 déjà, l’hebdomadaire soutenait la candidature d’Obama et il a remis le couvert en 2012.Dans les pages du magazine, c’est Paul Krugman, célèbre chroniqueur du New York Times et Prix Nobel d’économie, qui s’y colle. Pour le commentateur phare, non seulement “Obama ne mérite pas toutes les critiques qui pleuvent sur lui”, mais il est même “l’un des plus grands présidents des Etats-Unis. Et, oui, l’un de ceux qui ont rencontré le plus de succès.” Et ce dans bien

des domaines, souligne Paul Krugman, qui cite pour preuves la réforme de l’assurance-maladie d’Obama, “certes imparfaite, mais qui représente un grand pas en avant” ; sa réforme fi nancière, “incomplète, mais qui porte néanmoins ses fruits” ; sa gestion économique, “meilleure que celle de bien des pays occidentaux” ; et enfi n sa politique environnementale, “qui pourrait, à terme, rester dans les annales comme sa réalisation majeure”.Pour enfoncer le clou, le magazine a choisi de publier également 55 chiff res “qui prouvent que le locataire de la Maison-Blanche a accompli plus de choses qu’on veut bien le reconnaître”. Parmi ces réussites, la baisse du taux de chômage, aujourd’hui de 5,9 % – contre 10 % en 2009 – ou encore le nombre de détenus à Guantanamo Bay, passé de 242 en 2009 à 149 en 2014. Reste que le président américain avait promis en 2009 de fermer la prison de Guantanamo Bay dans les plus brefs délais et qu’il n’a toujours pas réussi à le faire.

Bill Clinton – l’historien David Greenberg a établi le parallèle un an après le début de sa présidence. Les deux hommes se sont heurtés à une forte opposition des républicains, qui s’imaginaient leur président bien plus radical qu’il ne l’était vraiment. Ils ont tous deux mis l’accent sur l’économie. D’un certain point de vue, Obama est Clinton en mieux – il a réussi sur le terrain de la santé et sa vie personnelle a échappé aux scandales. Mais, d’un autre côté, c’est un Clinton en moins bien – il n’est ni aussi sympathique, ni aussi bon politicien. Et il quittera probablement ses fonctions avec une cote de popularité moins élevée et une économie moins fl orissante.

Quoi qu’on pense de la politique d’Obama, il existe un abîme entre les attentes qu’il a suscitées – y compris les siennes – et la réalité de sa présidence. Obama a cherché la grandeur, mais il a déçu bon nombre de ceux qui ont voté pour lui parce qu’ils voulaient tellement y croire : ceux qui pensaient qu’il allait mettre fi n à l’esprit partisan et changer Washington, alors qu’il ne le pouvait pas ; ceux qui croyaient qu’il pouvait transformer les Etats-Unis et leur politique étrangère, ce qu’il n’a pas fait ; et ceux qui étaient convaincus qu’il deviendrait une sorte de nouveau Kennedy, le président de leurs rêves.

—Aaron David MillerPublié le 10 octobre

“Obama ne croit pas en sa stratégie

et ne considère pas cette guerre comme la sienne. Pour lui, tout

se résume à sortir de là.”Robert Gates, EX-MINISTRE

DE LA DÉFENSE, à propos de la guerre en Afghanistan

Paru dans The Washington Post,janvier 2014

La crise qu’a dû aff ronter Obama, une récession complexe née dans les secteurs financier et immobilier, était suffi samment grave pour ne pouvoir être résolue ni rapidement ni facilement, mais pas assez catastrophique pour lui permettre de mettre au pas le monde politique de Washington comme le fi rent Lincoln ou Roosevelt. Seule une crise paralysant la nation, violente et implacable, ouvre la voie à la grandeur présidentielle.

Dr Jekyll et Mister Hyde. Quant au génie, on ne peut pas vraiment dire que le président ait laissé passer une occasion historique. Il s’est plutôt mépris sur les attentes des Américains. Ceux-ci voulaient sortir de la récession et des longues et coûteuses guerres en Afghanistan et en Irak ; ils espéraient aussi pouvoir se fi er à leur président et à la compétence de leur gouvernement. Mais ils ne voulaient pas d’un nouveau contrat social. En outre, Obama n’était pas dans la position de force qu’off re une confortable majorité au Congrès et n’a pas davantage pu s’appuyer sur une collaboration effi cace avec les républicains. La réforme de la santé [Obamacare] de 2010 est tout ce qui restera de sa présidence. Et dans quelques années elle sera peut-être considérée comme un succès sur le plan moral et économique. Simplement on est aujourd’hui en présence de trop de complexité et d’incertitudes pour pouvoir dire de cette loi qu’elle a transformé le pays.

Enfi n, concernant l’étoff e, Obama a un problème de type “Dr Jekyll et Mister Hyde”. A la fois pragmatique et idéaliste, le président a souvent semblé en proie à un confl it intérieur, incapable de situer la limite de ses ambitions, qu’il s’agisse de changement climatique, de réforme fi scale ou de l’ampleur du plan de relance. Par nature, Obama n’est pas l’homme d’un parti, un populiste ou un révolutionnaire. Il se trouve à l’aise dans la conciliation et dans le monde empirique de l’analyse politique rationnelle. Ces qualités peuvent être utiles dans de nombreuses circonstances, mais elles ne peuvent faire de vous un président apte à transformer le pays.

Obama n’a ni l’aura de Kennedy ni la stature de Ronald Reagan. Il est sans doute plus proche de

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “Obama, le président qui s’était vu trop grand”, dans l’émission de William Leymergie, mardi 4 novembre à 7 h 38.

↑ 1. Couverture de juillet 2008. 2. Août 2009. 3. Mai 2012. 4. Octobre 2014.

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38. À LA UNE Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

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Encore deux ans de chaos mondialLe retrait des Etats-Unis conduit à une situation internationale catastrophique, estime cet éditorialiste conservateur. Les deux dernières années de Barack Obama seront à haut risque.

Des électeurs apathiquesJamais une élection n’a aussi peu déchaîné les passions. Et les résultats des législatives ne devraient pas mettre fi n à la paralysie de Washington.

—The Wall Street Journal (extraits) New York

Q uelques mois avant que la zone euro ne soit frappée par la crise, Paul Krugman vantait la “réussite économique” de l’Eu-rope, preuve, selon lui, que “la social-démocratie fonctionne” ; en 2012, il saluait l’économie argentine comme une “remar-

quable réussite”. Aujourd’hui, le même Krugman nous assure, dans le magazine Rolling Stone, que Barack Obama est un président fantastique [voir encadré p. 37]. Autant dire que les deux prochaines années vont être exceptionnellement pénibles. Comment les aff ronter ?

Si vous habitez les Etats-Unis, vous serez sans doute à peu près tranquilles. Ce que les Américains qualifi ent de “récession” équivaut, pour le reste du monde, à l’abondance. Ce que nous appelons ici “catastrophe” est connu ailleurs sous le nom d’“existence”. Mais supposez que vous soyez le président de l’Estonie ou d’un autre pays dans la ligne de mire de Vladimir Poutine, un chef tribal sunnite irakien hostile à l’Etat islamique, un combattant de ce qui reste de l’Armée syrienne

—Financial Times (extraits) Londres

L e 4 novembre, les électeurs américains vont se prononcer. Mais, hormis les membres de la classe politique, personne ou presque n’accorde d’importance à ce que diront les résultats des législatives. Dans les annales des élections de mi-mandat aux Etats-Unis,

on a du mal à trouver un scrutin accueilli avec autant d’apathie.

Côté démocrate, des candidats en diffi culté font tout ce qu’ils peuvent pour se distancier de Barack Obama, dont la cote de popularité n’a jamais été aussi basse. Côté républicain, les candidats se démènent pour mettre tous les malheurs du monde sur le dos du président et éviter de parler de ce qu’ils feront s’ils gagnent. L’enjeu est le contrôle du Sénat, aujourd’hui à courte majorité démocrate. La Chambre des représentants, elle, restera presque certainement aux mains des républicains. Mais dans une situation de blocage aussi longue que celle que nous traversons, les petits calculs politiques au Capitole risquent d’avoir peu d’eff ets dans la pratique. Aucun parti n’a de plan pour sortir de l’impasse. Et tant qu’aucun leader n’aura la solution, les deux camps mériteront l’opprobre des électeurs.

Comme beaucoup de démocraties occidentales, les Etats-Unis souffrent d’une montée du sentiment antipolitique. Aux dernières élections de mi-mandat, en 2010, l’amertume croissante avait provoqué le triomphe du mouvement utltraconservateur Tea Party, qui avait privé les démocrates du contrôle de la Chambre des représentants et laissé Obama sans aucune chance – ou presque – de pouvoir appliquer son programme pour le pays.

Cette fois, les enjeux sont moins importants. Le contrôle du Sénat donnerait aux républicains à peine un peu plus de poids pour bloquer les initiatives du président, ce qu’ils font déjà très bien. Des projets importants, comme la réforme de l’immigration et de la fiscalité, sont bloqués dans l’antichambre

parlementaire depuis quatre ans. Un nombre record de postes d’ambassadeurs des Etats-Unis sont inoccupés parce que les sénateurs ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la procédure de confi rmation. Promettre un peu plus de la même chose n’est clairement pas une stratégie de nature à enthousiasmer les électeurs. C’est pourtant exactement ce que les républicains proposent de façon implicite.

Il y a peu de doutes que les républicains soient les plus à blâmer pour la paralysie de Washington. Mais les démocrates pèchent également par manque d’idées pour débloquer la situation. Une avalanche d’ouvrages écrits par d’anciens membres du gouvernement est venue rappeler aux électeurs que le président n’a pas beaucoup de goût pour la bagarre. Récemment, Obama s’est concentré sur quelques initiatives de petite envergure, comme la hausse du salaire minimum, pour se démarquer des républicains pendant la campagne. Mais ni lui ni ses collaborateurs n’ont expliqué clairement pourquoi les choses pourraient fonctionner diff éremment après les élections.

Les démocrates n’ont presque aucun message national. Dans les courses au Sénat les plus serrées, comme dans l’Arkansas, en Louisiane, dans l’Iowa et en Caroline du Nord, les candidats démocrates promettent de voter contre des

initiatives clés du président, comme son idée de prendre un décret pour

réduire les émissions de CO2.Les seuls à tirer avantage de

cette paralysie politique sont les gros bailleurs de fonds qui procurent de l’argent aux partis. Les dépenses engagées

pour ces élections devraient battre tous les records en raison

du récent assouplissement des règles du financement électoral. Parallèlement, les électeurs affi chent un niveau inégalé d’apathie. On a rarement vu autant d’argent séduire

aussi peu d’indécis. Ce n’est peut-être pas l’épitaphe la plus excitante qui soit pour une élection, mais elle risque bien

d’être la bonne.—Publié le 8 octobre

↑ ISIS : (en français EIIL) Etat islamique en Irak et au Levant.“Va chercher l’appareil photo ! C’est trop mignon. Il se prépare à tenter de nous faire peur en nous faisant encore la leçon.”Dessin de Cam Cardow, Etats-Unis.

← Dessin de Cajas paru dans El Comercio, Quito.

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libre ou encore le Premier ministre israélien. Qu’allez-vous faire ? Comment naviguer dans un monde où vous ne pouvez plus compter sur les Etats-Unis en tant qu’allié fi dèle et pays tampon entre vous et vos ennemis ?

Ne croyez pas qu’à l’étranger ces questions ne sont pas dans toutes les têtes. L’autre jour, Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien oligarque russe devenu prisonnier politique puis défenseur de la démocratie, a rendu visite à notre journal, à New York. Nous lui avons demandé comme Vladimir Poutine réagirait si les Etats-Unis armaient les Ukrainiens ou envoyaient des forces dans les pays baltes. “En Russie, a-t-il répondu, tout le monde considère que les Etats-Unis ne sont pas prêts à se battre. Fin de la discussion.” En novembre dernier, le prince saoudien Al-Walid ben Talal nous avait confi é : “Les Etats-Unis doivent avoir une politique extérieure. Bien défi nie, bien structurée. Malheureusement, en ce moment, vous n’en avez pas.”

Même pas peur. Tous les commentaires s’accordent sur ce message essentiel : n’ayez pas peur des Etats-Unis, ne faites pas confi ance aux Etats-Unis et n’attendez pas qu’ils viennent à votre secours. Le corollaire, qui n’aura pas échappé à M. Poutine, à l’ayatollah Khamenei ni à d’autres dirigeants peu recommandables, est qu’ils ont les coudées franches au moins jusqu’en janvier 2017 [date de l’investiture du prochain président].

Pour les pays que ces Etats voyous risquent d’attaquer, il y a deux options. La première est de se battre, comme l’Ukraine a courageusement tenté de le faire au début de l’année. La seconde est d’accepter toutes les conditions que leurs adversaires leur proposeront, ainsi que le président ukrainien Petro Porochenko a été contraint de le faire après l’invasion de son pays par la Russie et le refus des Etats-Unis de lui fournir des armes.

En Afghanistan, quand le retrait des troupes américaines aura été mené à son terme, à la fi n de 2016, le nouveau président, Ashraf Ghani, sera confronté à un choix tout aussi déplaisant face aux talibans et à leurs soutiens d’Islamabad. Il sera fondé à chercher de l’aide – comme l’a fait Bagdad – auprès de Téhéran, ce qui permettra à l’Iran d’avoir des clients aussi bien à l’est qu’à l’ouest.

La nature a horreur du vide et il en va de même pour le pouvoir : le retrait des Etats-Unis signifi e qu’un autre pays – un pays que nous n’aimons pas – prendra la place laissée libre.

Cela dit, tous nos alliés ne vont pas capituler si facilement. Il ne faut pas s’attendre à ce que les Saoudiens croisent les bras si l’Iran et l’Occident signent un accord nucléaire que seul le secrétaire d’Etat John Kerry juge crédible. Ni à ce que le Japon respecte indéfi niment son engagement de ne pas devenir une puissance nucléaire si les coupes dans le budget militaire des Etats-Unis continuent à vider de son sens leur promesse de pivoter vers l’Asie, alors que la Chine devient de plus en plus agressive.

Nous vivons dans un monde de voyous turbulents et de pays nerveux laissés à eux-mêmes. Si vous pensez que 2014 a été une année de désordre et de chaos, attendez 2015 !

—Bret StephensPublié le 13 octobre

A la une

OBAMA, BUSH : MÊME COMBATLe 1er mai 2003, le président républicain George W. Bush, embarqué sur un porte-avions, annonçait sous une bannière triomphante où il était écrit “Mission accomplie” la fi n des opérations de combat en Irak, tout en ajoutant : “La guerre contre le terrorisme n’est pas terminée.” A l’heure où les Etats-Unis mènent l’off ensive aérienne contre l’Etat islamique, l’hebdomadaire britannique The Economist fait un clin d’œil à cette célèbre photo d’actualité en campant un président Obama vêtu des habits de son prédécesseur et relançant, onze ans plus tard, la fameuse “mission”.

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40. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

—Fenghuang Zhoukan (extraits) Hong Kong

Les médecins qui utilisent la pharma-copée chinoise sont-ils conscients du danger que peuvent représenter

certains de leurs remèdes pour le foie ? Bien souvent, non ! Contrairement aux médicaments chimiques prescrits par la médecine occidentale, les produits de la médecine traditionnelle, pourtant large-ment utilisés par les Chinois du monde entier, n’ont jamais fait l’objet d’études de toxicité poussées. Un nombre crois-sant de recherches montre pourtant que la consommation à forte dose et sur une longue durée de certains remèdes tradi-tionnels, qu’il s’agisse de plantes ou de produits conditionnés, peut entraîner des lésions mortelles.

Le professeur Xu Jianming, de l’uni-versité de médecine de l’Anhui, a réalisé en 2005 une enquête rétrospective sur les lésions hépatiques d’origine médica-menteuse dans 16 grands centres hospi-taliers de différentes régions de Chine. Conclusion : des substances pathogènes de la pharmacopée chinoise étaient en cause dans 20,6 % des 1 200 cas recen-sés. Par ailleurs, selon un article scienti-fique publié en 2013 par l’hôpital Xinqiao de Chongqing, sur les 24 111 lésions hépa-tiques médicamenteuses recensées entre 1994 et 2011, 18,6 % s’expliquaient par l’absorption de remèdes d’herboris-terie chinoise.

Foie en danger. De fait, les données éparses transmises par des centres hos-pitaliers commencent à faire débat parmi les professionnels. Ainsi, le 23 mai, lors du 6e Forum sur les maladies d’origine médicamenteuse et la sécurité pharma-ceutique, organisé par une revue scien-tifique chinoise, de nombreux orateurs ont souligné les risques que peuvent faire courir au foie les remèdes employés dans la médecine chinoise. Le directeur d’un hôpital spécialisé dans les maladies hépa-tiques à Pékin a ainsi confié à Du Xiaoxi, responsable du Centre national d’obser-vation des effets médicamenteux indési-rables, que dans son établissement près de 60 % des maladies hépatiques d’ori-gine médicamenteuse étaient liées à la pharmacopée chinoise. Un autre direc-teur d’hôpital de médecine occidentale a estimé en aparté lors du forum que, chez lui, c’était sans doute la moitié des patients qui était concernés. “La respon-sabilité des médicaments chinois et des médi-caments chimiques (ou occidentaux) dans les atteintes hépatiques est respectivement de 51 et 49 %, a de son côté déclaré le directeur adjoint de l’hôpital du peuple, qui dépend de l’université de Pékin. On a bien cerné quels médicaments chimiques étaient mauvais pour le foie, mais ce n’est pas encore clair pour les remèdes de la phar-macopée chinoise.”

↙ Dessin de Jonathan Rosen paru dans The New York Times Book Review, New York.

Les effets toxiques de la médecine chinoisePharmacologie. Les remèdes traditionnels peuvent être mortels quand on les surdose. En Chine, les praticiens commencent seulement à en prendre conscience et se heurtent à un adversaire redoutable : la force de l’habitude.

Economie ......... 44Signaux .......... 45

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 41

Rencontres avec les acteurs

de la presse internationale

Programme & inscriptions : tribunesdelapresse.org - Entrée gratuite

4ÈME ÉDITION

L’EUROPELA DÉFENDREOU LA POURFENDRE ?DÉBATS -AA EXPOSITIONS - PROJECTIONS

TnBA - Bordeaux6-8 novembre 2014

Sur le plan clinique, les hépatopathies médicamenteuses font l’objet d’un dia-gnostic d’exclusion [la conclusion qui s’impose lorsque toutes les autres possi-bilités ont été éliminées], posé en géné-ral par un spécialiste après consultation de la banque de données des eff ets indé-sirables d’un médicament. Actuellement, plus de 900 médicaments chimiques ont été identifi és comme pouvant entraîner des lésions hépatiques. Beaucoup de notices mettent en garde contre ce danger. Si au cours d’un traitement un médecin constate un lien entre l’usage du médicament et une maladie du foie, il peut choisir d’in-terrompre les soins ou d’administrer un traitement hépatoprotecteur.

Intoxication quotidienne. Mais dans la pharmacopée chinoise, où la composition des remèdes est complexe, on ne dispose pas d’études sur leur toxicité potentielle. Les patients, mais également certains médecins, ne sont donc pas conscients du risque. C’est ainsi que l’on se trouve confronté à des insuffi sances hépatiques aiguës (IHA ou hépatite fulminante), voire mortelles. Selon certains hépato-logues, la croyance populaire en l’inno-cuité des remèdes de médecine chinoise conduit parfois à une surmédication ou à une automédication inappropriée.

Le docteur Cai Haodong, responsable du Centre des maladies hépatiques de l’hôpi-tal Ditan, à Pékin (rattaché à l’université de médecine de la capitale), s’est spéciali-sée dans l’étude des eff ets indésirables des médicaments. A ce titre, elle s’intéresse depuis longtemps à la question de leur sécurité. Elle trouve souvent dans sa boîte aux lettres électronique des courriels de femmes enceintes venant d’accoucher ou se sentant fatiguées qui l’interrogent sur l’opportunité de prendre des remèdes de médecine chinoise pour se soigner. “Cela me met en colère : si l’on est malade, on se soigne, mais quel besoin a-t-on de prendre des médicaments à tort et à travers quand on n’est pas souff rant ?” demande-t-elle.

Elle évoque le cas d’une femme por-teuse du virus de l’hépatite B dont l’état s’était bien amélioré, mais qui avait brus-quement présenté une jaunisse (ictère) et une augmentation des transaminases [des enzymes dont la présence four-nit des renseignements sur l’activité du

et qu’il est souvent lié à des problèmes de dosage. “Certains programmes de remise en forme recommandent de consommer tous les jours du poulet mijoté avec 10 grammes de racine de renouée. Mais cette racine est un médicament, comment pourrait-il être bon d’en ingérer autant chaque jour ?”

Les professionnels estiment à plusieurs centaines le nombre de médicaments de la pharmacopée chinoise contenant de la racine de renouée en Chine populaire. Et le chef du laboratoire militaire d’études de la pharmacopée chinoise de l’hôpi-tal 302 de l’Armée populaire de libération, Xiao Xiaohe, a constaté, en consultant les dossiers des malades ayant souff ert de maladies du foie d’origine médicamen-teuse, que la racine de renouée était le produit de médecine chinoise qui avait causé le plus de lésions hépatiques. “Les eff ets indésirables des plantes utilisées dans la médecine chinoise sont désormais pris en compte dans le monde entier. Mais, aux yeux de bien des Chinois, ce ne sont pas des médi-caments à proprement parler, et l’idée selon laquelle ces plantes ne sont absolument pas toxiques est ancrée dans les mentalités. Nos recherches montrent que, souvent, les lésions hépatiques sont le résultat d’une automé-dication. Les produits de la pharmacopée

foie, notamment]. Après interrogatoire, la patiente avait avoué consommer de la racine de renouée à fl eurs multiples [Fallopia multifl ora, connue en Orient pour ses propriétés anti-âge] dans l’espoir de fortifi er son foie et de lutter contre l’ap-parition de cheveux blancs. “Quand nous l’avons appris, cela nous a inquiété car les cas de lésions hépatiques dus à la racine de renouée ne sont plus du tout des exceptions… Comment des malades souff rant d’hépa-tite peuvent-ils encore prendre des remèdes chinois mauvais pour le foie ?” s’étonne le docteur Cai Haodong. Quand les méde-cins ont ensuite appris que la sœur de la patiente prenait également de la racine de renouée, ils lui ont conseillé de venir consulter. Et ils ont aussi découvert chez elle des lésions hépatiques.

Le professeur Yan Jie, qui enseigne à l’université de médecine de Pékin, a constaté récemment des cas similaires. Une femme ayant souff ert il y a deux ans d’une maladie du foie d’origine médica-menteuse est venue en consultation, mais le professeur Yan n’a pas trouvé, parmi les médicaments pris par cette patiente, d’éléments susceptibles de poser pro-blème. C’est fi nalement au hasard d’une conversation entre la patiente et l’infi r-mière en chef qu’il a appris qu’elle pre-nait de la racine de renouée. “Quand je lui ai demandé pourquoi elle ne me l’avait pas dit, elle m’a répondu qu’elle ne considérait pas ça comme un médicament.” Le profes-seur Yan a prescrit des analyses qui ont confirmé que les atteintes hépatiques étaient bien dues à la racine de renouée. “Des plantes médicinales comme la racine de renouée ou le séneçon (Senecio chrysan-themoides), très consommées par la popu-lation, rendent malades des gens qui ne le sont pas”, constate avec impuissance le docteur Cai Haodong.

Du Xiaoxi, qui a commencé par étu-dier la médecine chinoise, confi rme que ce risque est connu sur le plan clinique,

chinoise sont fournis sans notice détaillée faisant mention de leur toxicité, ce qui favo-rise leur mauvaise utilisation.”

Le problème, c’est que les chercheurs ont beaucoup de mal à isoler l’élément fautif. Une telle situation s’explique par des facteurs objectifs. Les remèdes pres-crits associent le plus souvent plusieurs ingrédients dans des préparations qui se présentent sous forme de poudre, de granules ou de potion. Des produits qui ne font l’objet d’aucune analyse de leurs composants chimiques et de très peu d’études toxicologiques.

“Eff ets incertains”. De plus, les traite-ments de la médecine chinoise reposent souvent sur des combinaisons de produits dont la nature et le dosage varient de façon complexe : il est diffi cile de retrouver l’élé-ment en cause. Ce n’est fi nalement que dans un petit nombre de cas qu’un lien très clair a pu être établi entre un seul ingrédient de la pharmacopée chinoise et une mala-die hépatique. Les chercheurs ne peuvent donc se fonder que sur des suppositions et leurs analyses s’en trouvent limitées.

Le jour où elle nous a reçus, le docteur Xu Jingkang, chef de service adjoint à l’hô-pital n°1 de l’université de Pékin,

“Si l’on est malade, on se soigne, mais quel besoin a-t-on de prendre des médicaments à tort et à travers quand on n’est pas souff rant ?”

C’est le nombre d’établissements pratiquant la médecine traditionnelle chinoise recensés dans le Rapport statistique national de la santé 2013, indique le Jiankang Bao (Journal de la santé). Ces dispensaires comptent au total 794 000 lits d’hôpital, soit une progression de 12 % sur trois ans. Cela représente 13 % des capacités d’accueil du pays. Ces établissements ont par ailleurs donné 810 millions de consultations en 2013, soit 15,4 % des consultations médicales en Chine.

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TRANSVERSALES42. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Les informés de France InfoUne émission de Jean-Mathieu Pernin, du lundi au vendredi, de 20h à 21h

Chaque vendredi avec

venait juste-ment de recevoir une malade âgée de 51 ans qui prenait depuis cinq ou six ans des médicaments chinois pour soigner des lombalgies et des douleurs aux jambes liées aux disques intervertébraux. Résultat : cette femme souffre maintenant d’une cirrhose et d’une insuffi sance hépatique. “Son trai-tement à base de médicaments tout prêts et de potions à préparer lui était prescrit durant plus de la moitié de l’année, explique le docteur. L’ordonnance a été établie par un médecin exerçant dans un hôpital de méde-cine chinoise. Elle est très complexe : chaque remède peut comporter jusqu’à une dizaine d’ingrédients et sa composition peut varier selon la période d’administration. Il va nous être très diffi cile d’imputer les lésions hépa-tiques à tel ou tel composant.”

Parmi les cas rencontrés par les hépatolo-gues, la plupart des remèdes chinois incri-minés ont été prescrits par des médecins, alors que ceux-ci n’ont pas recommandé de surveillance des fonctions hépatiques durant le traitement. Selon le docteur Cai, les non-spécialistes savent rarement que les produits de la pharmacopée chinoise peuvent causer des dégâts au foie, sur-tout les médecins des petits et moyens hôpitaux. Si les contre-indications sont régulièrement signalées dans des revues médicales, les médicaments tout prêts

principale d’IHA en Chine est la consomma-tion de remèdes de médecine chinoise”, sou-ligne-t-il dans l’un de ses articles.

Pour les besoins de son étude, il a ana-lysé les causes de 177 cas d’IHA survenus dans 7 hôpitaux militaires. Les médi-caments traditionnels chinois étaient à incriminer pour 30 patients. Ces der-niers n’avaient pas d’antécédents de mala-die du foie avant de prendre des remèdes chinois. Aucun n’a bénéfi cié d’une trans-plantation hépatique, 18 sont décédés. Pour ces 30 patients, la prise de produits de la pharmacopée chinoise ne répondait pas à une nécessité vitale. Pour 9 d’entre eux, il s’agissait de soigner des problèmes de peau ; pour 6 autres, des infections des voies respiratoires ; pour d’autres encore, des rhumatismes ou des dépressions – cer-tains avaient simplement cherché à maigrir.

Après une première étude nationale sur les lésions hépatiques d’origine médica-menteuse lancée et achevée en 2005, le professeur Xu Jianming s’est intéressé de près aux IHA en 2006. L’étude de phase II qu’il a menée auprès de 213 malades sélec-tionnés selon des critères d’évaluation et de quantifi cation internationaux dans 16 provinces et grandes municipalités, par-vient à cette conclusion : “Les produits de la pharmacopée chinoise sont les premiers fautifs (dans 28 % des cas) et ce sont éga-lement les premiers responsables des décès consécutifs à des lésions hépatiques d’ori-gine médicamenteuse.”

Outre les malades atteints d’IHA, le professeur Xu a souvent été en contact avec des patients souff rant d’une grave maladie du foie provoquée par les médica-ments de médecine chinoise, le syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS ou maladie veino-occlusive hépatique), qui présente une mortalité supérieure à 10 % en milieu hospitalier. En juin 2007, il a diagnosti-qué le premier cas de cette maladie dans la province de l’Anhui. Lors de l’interro-gatoire médical, il a relevé que le patient avait consommé une plante médicinale chinoise, le séneçon de type Senecio chry-santhemoides, présent dans un élixir qu’il buvait depuis longtemps. En recherchant

contenant cet ingrédient se contentent d’indi-

quer sur leur notice des “eff ets indési-

rables incertains”.Ces remèdes

bénéf icient d ’a i l le u r s d’un véri-table trai-tement de faveur. En effet, les règlements de l’Agence nationale chinoise de

surveillance des médica-

ments et des a l i-

ments précisent que les notices des

produits de la pharma-copée chinoise doivent

“énumérer scrupuleusement les eff ets indésirables en les classant en

fonction de leur gravité, de leur fréquence et du caractère systématique des symptômes. En cas de doute, il est possible d’indiquer ‘eff ets indésirables incertains’“.

Mortalité élevée. Selon Zhao Pan, pra-ticien du Centre d’études et de traitement des insuffi sances hépatiques à l’hôpital 302, les lésions hépatiques d’origine médica-menteuse classiques posent rarement de gros problèmes. Ce qui est le plus à redou-ter, c’est leur forme aigüe – les IHA, qui affi chent un taux de mortalité très élevé en Chine. Dans ces cas-là, même si le malade reçoit à temps une greff e du foie, ses chances de survie ne sont que de 60 % à 80 %. Contrairement aux pays dévelop-pés, la Chine n’accorde pas encore une grande importance à l’étiologie [l’étude des causes et des facteurs favorisant ces lésions] des insuffi sances hépatiques d’ori-gine médicamenteuse.

En 2009, alors qu’il préparait sa thèse, M. Zhao a enquêté sur l’étiologie des IHA d’origine médicamenteuse. Il s’est rendu pendant quatre ans dans des hôpitaux militaires à Pékin, Shanghai, Wuhan et Jinan pour y mener ses recherches. Les résultats de son enquête ont été publiés en novembre 2013 dans la revue scientifi que en ligne Plos One et en avril 2014 dans la revue Critical Care Medecine. “La cause

Les médecins généralistes savent rarement que la pharmacopée chinoise peut causer des dégâts au foie

l’origine de sa maladie, le professeur Xu a fi ni par découvrir que c’était cette plante qui avait provoqué le syndrome d’obstruc-tion sinusoïdale.

En 2011, le docteur Xu et ses doctorants ont mené une enquête nationale sur le SOS dans 19 grands hôpitaux de 15 pro-vinces et municipalités autonomes. Ils ont ainsi trouvé 98 malades correspondant à l’objet de leurs recherches, dont 11 étaient décédés. D’après ces travaux, “la princi-pale cause de SOS est la consommation de produits de la pharmacopée chinoise, dont le Senecio chrysanthemoides, responsable des deux tiers des cas”. Une étude toxicolo-gique en profondeur menée parallèlement a révélé la présence d’alcaloïdes pyrroli-zidiniques dans cette plante. C’est juste-ment cette molécule qui entraîne cette grave maladie du foie.

—Zeng DingPublié le 30 août

SOURCE

FENGHUANG ZHOUKANHong-Kong, Chinewww.ifengweekly.comCréé en juin 2000 par le groupe hongkongais Phoenix TV, “Phoenix hebdo” choisit souvent de traiter des sujets délicats pour la presse de Chine continentale. Il  bénéfi cie de la réputation d’indépendance de Phoenix TV, considérée comme la plus libre  des chaînes diff usant en mandarin. Ses reportages exclusifs ont beaucoup d’impact et lui donnent une audience comparable à celle du grand hebdomadaire cantonais Nanfang Zhoumo. L’enquête dont nous publions des extraits était annoncée en une du numéro du 30 août sous le titre “Risque caché. Enquête en Chine continentale sur les lésions du foie causées par la médecine chinoise à base de plantes”.

↙ Dessin de Ximena Maier paru dans El País Semanal, Madrid.

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TRANSVERSALES44. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

—Al-Yaum (extraits) Dammam

A partir de l’année pro-chaine, les revenus géné-rés par le pèlerinage à La

Mecque progresseront réguliè-rement pour atteindre, à l’hori-zon 2020, 47 milliards de riyals [près de 10 milliards d’euros] par an, prévoient les économistes et les spécialistes. Un premier pic avait été atteint en 2012, avec 26,9 milliards de riyals [5,6 mil-liards d’euros]. En 2013 et 2014 en revanche, ces revenus ont chuté à 2 milliards d’euros, en raison des colossaux travaux en cours à La Mecque.

Ces travaux touchent à leur fin. Grâce à eux, les capacités d’ac-cueil des deux lieux saints [La Mecque et Médine] doubleront : ils pourront recevoir 5 à 6 mil-lions de personnes pour le grand pèlerinage [le hadj, qui a eu lieu cette année début octobre], explique Abed Al-Abdali, pro-fesseur d’économie à l’univer-sité de La Mecque. Quant au

petit pèlerinage [oumra], qui se pratique tout au long de l’année, il devrait concerner 20 millions de personnes par an, et enregis-trer des revenus de 25,8 milliards de riyals [5,4 milliards d’euros] d’ici à 2020, contre 21,5 milliards actuellement.

Hôtellerie. Les dépenses m o y e n n e s p a r p e r s o n n e s’élèvent à près de 8 000 riyals [1 700 euros]. La venue de ces pèlerins a donc de multiples répercussions sur l’économie du pays. Les secteurs immobilier et hôtelier se taillent la part du lion, avec 5 milliards de riyals en 1995, puis 11 milliards en 2012. L’hébergement représente en moyenne 40 % du budget d’un pèlerin, l’achat de souvenirs 14 % et la restauration 10 %.

Selon le Pr Al-Abdali, les retombées du pèlerinage ne dépendent pas seulement du nombre de pèlerins, mais éga-lement de leur richesse. Ainsi, on s’attend à ce que les pèle-rins originaires de pays à fort

ÉCONOMIE

Le hadj, un business porteurInvestissements. En doublant la capacité d’accueil des lieux saints, l’Arabie Saoudite espère doper son économie. Et la rendre moins dépendante du pétrole.

↙ Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

pouvoir d’achat dépensent plus. [L’Arabie Saoudite restreint le nombre de pèlerins de chaque pays musulman à 1 000 pour 1 million d’habitants. Cette règle ne s’applique pas aux pays occi-dentaux, ce qui laisse d’impor-tantes marges de progression.]

Depuis le début de l’exploi-tation de son pétrole, en 1939, l’Arabie Saoudite a consacré une large part de son budget à de nombreux chantiers d’in-frastructures liés au pèlerinage. Rien que pour l’extension de l’en-ceinte sacrée à La Mecque ces dernières années, on évoque le chiffre de 200 milliards de riyals [42 milliards d’euros].

Ces invest issements ne génèrent aucun revenu direct pour l’Etat, celui-ci ne prélevant pas de taxe sur les pèlerins. En revanche, le secteur privé en pro-fite, et à travers lui l’économie saoudienne dans son ensemble. Médine et La Mecque en béné-ficient également largement : le pèlerinage fournit à Médine les deux tiers de ses ressources, et la majorité des habitants de La Mecque travaille dans le sec-teur du pèlerinage.

L’économie de toute la région du Hedjaz [ouest du pays, sur la mer Rouge, où se trouvent La Mecque et Médine] repose depuis toujours sur le pèlerinage, rappelle Nadia Baechn, écono-miste et doyenne de la faculté de gestion de Djeddah. Sur place, la prise en charge des pèlerins, la tawwafa, était traditionnel-lement assurée par de grandes familles de notables mecquois. Aujourd’hui, ajoute-t-elle, ce secteur est mieux exploité [avec des méthodes entrepreneuriales rationalisées].

Tourisme religieux. Nadia Baechn compare le rôle écono-mique du pèlerinage à celui du parc d’attractions Disneyland pour la Californie. Selon elle, il faut développer l’industrie du tourisme religieux et en exploi-ter toutes les opportunités. Avec une bonne organisation et des investissements réalisés en par-tenariat avec des acteurs privés, ce secteur pourrait, à terme, rap-porter autant que le pétrole. Dans le même sens, Wafa’ Mahdar, pro-fesseure d’économie à l’univer-sité de La Mecque, estime qu’il faut mieux cerner les demandes spécifiques de chaque pèlerin, afin que tous repartent satis-faits des prestations offertes.

Le pèlerinage se répercute également sur le taux de change du riyal. L’achat par les pèlerins étrangers de riyals saoudiens entraîne une appréciation de cette monnaie. En revanche, leur forte consommation de produits importés a l’effet inverse. D’où l’importance de remplacer ces articles importés par une pro-duction locale. Salem Baajajah, doyen de la faculté d’économie de l’université de Taif, estime ainsi que le pèlerinage peut constituer un levier pour déve-lopper une industrie légère.

“Aujourd’hui, nous n’avons pas d’industrie légère en Arabie Saoudite. Les cadeaux et souvenirs

Le poids économique du pèlerinage est comparable à celui du parc Disneyland pour la Californie

qui font partie intégrante de l’iden-tité des lieux, les tapis de prière, les produits artisanaux, tout vient de Chine, explique-t-il. Il faut que les industriels saoudiens investissent ce secteur. Il faut les soutenir, leur donner les moyens financiers de construire des usines, créer des labels ‘made in La Mecque’, ‘made in Médine’. Le pèlerinage est une activité saisonnière. Il faut donc bien rentabiliser la période durant laquelle il se déroule.” Mohamed Freihan, de l’Association éco-nomique saoudienne, abonde dans ce sens. Selon lui, il fau-drait construire à La Mecque et à Médine un marché consa-cré à l’artisanat et au commerce des souvenirs.

Selon Saïd Al-Bassami, vice-président des chambres de commerce saoudiennes, les transports sont également un domaine d’investissements importants. Même si les trans-ports en commun [dont un train à grande vitesse entre La Mecque et Médine, et un métro reliant les différentes étapes du pèleri-nage] sont destinés à se dévelop-per, les minibus et les taxis ont encore un bel avenir devant eux. A cela s’ajoutent d’autres activi-tés susceptibles de résoudre le problème du chômage des jeunes Saoudiens. Il faudra créer des petites entreprises, telles que des salons de coiffure, qui fonc-tionneront certes de manière sai-sonnière mais avec des marges importantes [les hommes sont invités à se raser entièrement la tête au cours du pèlerinage].

Gélatine. De son côté, Nasser Bassahl, de la chambre de com-merce de Djeddah, préconise de saisir les opportunités offertes par le rite du sacrifice. Cinq millions de bêtes sont abat-tues chaque année dans la seule Arabie Saoudite. Une meilleure organisation du marché pourrait permettre de réduire les impor-tations d’animaux au profit de la production locale. On pourrait également exploiter la gélatine de mouton au profit de l’indus-trie pharmaceutique, d’autant que la majeure partie de la géla-tine disponible sur le marché mondial provient du porc. Des investisseurs, en collaboration avec la Banque islamique, ont déjà ficelé un projet, qui démar-rera l’an prochain.

—Yahia Al-Hajiri et Mounira Al-Saïd

Publié le 29 septembre

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TRANSVERSALES.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 45

signaux

Tétanos

NOMBRE DE CASAVANT L’INTRODUCTION

DU VACCIN

NOMBRE DE CASAPRÈS L’INTRODUCTIONDU VACCIN

250

(4 millions)

milliers de cas par anaux États-Unis

200 150 100 50 0 151050

Pneumocoque

Hépatite A

Oreillons

Rougeole

Hémophilie

Diphtérie

Variole

Rubéole

Hépatite B

Polio

Tuberculose

Coqueluche

Varicelle

sources : Centers for Disease Control & Prevention data : bit.ly/KIB_Vaccines

Chaque semaine, une page visuelle pour présenter

l’information autrement

Une toute petite piqûreCertaines maladies mortelles ont disparu aux Etats-Unis grâce aux vaccins.

DAVID McCANDLESS. Ce Britannique, pionnier du journalisme de données, est l’un des principaux contributeurs du datablog du Guardian. Son nouveau livre – Datavision 2, le savoir est un art – sort en France le 13 novembre aux éditions Robert Laffont.

Cette infographie en est extraite. Pour mémoire, la poliomyélite est sur le point d’être éradiquée grâce à la vaccination. On assiste pourtant à un véritable mouvement antivaccination dans le monde, et particulièrement aux Etats-Unis.L’auteur

Page 46: Courrier 20141030 courrier full 20141105 155017

46. Courrier international — no 1251 du 23 au 29 octobre 201446. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Madras. Dans ces origines communes se trouvait la clé du succès, selon Dhoni : “Les gars des petites villes sont plus solides mentalement et physiquement que les joueurs des grandes métropoles. Comme les petites villes n’ont ni infrastructures, ni équipements sportifs, les joueurs qui en sont issus doivent travailler plus dur.”

Sociologiquement parlant, l’argument tenait la route. Le cricket indien s’est progressivement démocratisé et décentralisé. De 1958 à 1974, Bombay n’a jamais essuyé de défaite dans le Ranji Trophy [compétition nationale qui voit s’aff ronter 27 équipes représentant chacune un Etat]. Des équipes basées dans d’autres grandes villes, comme Delhi ou Bangalore, se sont mises ensuite à rem-porter le championnat. A partir des années 1990, l’Inde profonde a commencé à s’affi rmer. Jadis jugées rin-gardes, les équipes du Pendjab, de l’Haryana et de l’Ut-tar Pradesh ont signé leurs premières victoires. L’Orissa, le Kerala, le Jharkhand et le Madhya Pradesh, qu’on considérait eux aussi comme des béotiens en matière de cricket, ont fourni des joueurs à l’équipe nationale de test-cricket [la forme longue du cricket, où les matchs durent jusqu’à cinq jours].

La télévision a joué un rôle crucial dans ce rayonne-ment à la fois spatial et social, nourrissant les espoirs et l’ambition des joueurs des petites villes, voire des villages. Auparavant, le fait d’avoir grandi dans une grande ville – où l’on a accès aux clubs, aux entraîneurs et aux ligues professionnelles – était un atout précieux pour intégrer un jour l’équipe nationale. Désormais, toute personne armée du talent et de la volonté nécessaires peut apprendre les techniques de batting et de lancer à la télévision.

En septembre 2007, la Fédération internationale de cricket a organisé en Afrique du Sud la première Coupe du monde de cricket Twenty20 [ou T20, variante la plus courte du jeu, où les matchs n’excèdent pas trois heures]. A l’instar de Sachin Tendulkar, les meilleurs joueurs indiens ont refusé

d’y participer, n’y voyant qu’une compétition secondaire sans grand intérêt. C’est donc une équipe inexpérimentée qui a été dépêchée sur place, avec pour capitaine le batteur et gardien de guichet Mahendra Singh Dhoni, qui n’avait encore guère eu l’occasion de se distinguer.

Quand cette équipe a décroché le titre mondial face au Pakistan, les patriotes indiens, pour ne pas parler des ultranationalistes, ont été sur un petit nuage. Les par-tisans des mouvements nationalistes hindous sont des-cendus dans la rue pour fêter la victoire. A leur retour en Inde, les joueurs ont été accueillis en héros par des milliers de supporters massés à l’aéroport de Bombay. La foule les a escortés jusqu’au stade Wankhede, où 35 000 personnes ont assisté à un discours de Sharad Pawar, alors président de la Fédération indienne de cricket et chef de la branche locale du parti du Congrès.

Mahendra Singh Dhoni lui a succédé à la tribune. Le capitaine victorieux a mis en avant ses origines modestes. Il est originaire d’une famille de la classe ouvrière de Ranchi, une ville [du nord-est du pays] qui ne passait pas jusqu’alors pour être un haut lieu du cricket indien. Neuf autres membres de l’équipe étaient eux aussi issus de villes moins puissantes politiquement et économique-ment, moins prestigieuses intellectuellement et moins riches historiquement que Delhi, Bombay, Calcutta ou

Le cricket, une passion indienneAu cours des dernières décennies, ce sport inventé en Angleterre a accompagné toutes les mutations de l’Inde : envol économique, essor de la classe moyenne, propagation de la télévision, tensions récurrentes avec le Pakistan… Le pays domine aujourd’hui sans conteste la discipline – une suprématie à l’image du rôle qu’il entend jouer à l’international. —The Caravan (extraits) New Delhi

MAGAZINELa marche turque de Fatih Akin Plein écran .. 50La ville ne tient qu’à un fil Tendances ...... 52Un air de Berlin Musique .................... 54

SPORT

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D’autres transformations majeures ont contribué à modifier la manière dont le cricket est joué, regardé et perçu. La libéralisation de l’économie indienne ces vingt dernières années s’est traduite par un bond de la croissance économique et l’essor de la classe moyenne. Aujourd’hui, des millions d’Indiens ont plus de roupies à dépenser pour leurs loisirs. Une partie de cet argent est tombée, directement ou indirectement, dans l’escar-celle du cricket et de ses joueurs.

En 2008, un an après la victoire remportée en T20, la Première Ligue indienne (Indian Premiere League, IPL) a vu le jour. Mais les Etats les plus peuplés – comme l’Ut-tar Pradesh et le Bihar [deux Etats pauvres] – n’avaient

pas d’équipe en Première Ligue, alors que l’Etat du Maharashtra, dont la capitale est Bombay, centre éco-nomique de l’Inde, en avait deux. Il est évident que les franchises avaient été réparties à l’avantage des régions les plus riches : les équipes de Première Ligue étaient implantées dans les villes et dans les Etats qui avaient le plus profité du boom économique.

Si elle rebutait les vieux barbons comme moi, la Première Ligue a séduit en revanche une bonne partie de la classe moyenne émergente. Les jeunes cadres de la nouvelle éco-nomie mondialisée, qui ne comptaient pas leurs heures de travail, n’avaient ni le temps, ni l’envie de poser cinq jours de congé pour assister à un test-match. Une rencontre

SOURCE

THE CARAVANNew Delhi, IndeMensuelFondé en 1940, ce magazine anglophone privilégie les reportages, le photojournalisme et la critique littéraire. Il se distingue par sa maquette soignée.

↓ De jeunes garçons décorent un mur à la gloire de Sachin Tendulkar, la superstar du cricket indien, pendant la Coupe du monde 2011. Photo Jayanta Shaw / AP / Sipa

de Première Ligue, en revanche, dure moins de quatre heures. Elle débute à 19 heures et se termine bien avant minuit. Vous pouvez la suivre tranquillement à la télé-vision de chez vous après une dure journée de labeur, ou aller la suivre au stade avec des amis ou en famille.

Cette Première Ligue existe depuis maintenant six ans. Elle a souvent fait la une des médias pour des rai-sons qui n’ont rien à voir avec le cricket, mais qui sont liées à des scandales de corruption et de matchs truqués. Cependant, elle se porte comme un charme. Son essor confirme l’idée qui veut que toute publicité soit bonne à prendre, même mauvaise. En 2011, le championnat a été suivi par quelque 60 millions de personnes. La chaîne

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qui a obtenu les droits de retransmission aurait engrangé près de 10 milliards de roupies [environ 130 millions d’euros]. S’ils ont connu des hauts et des bas, les tarifs publicitaires restent extrêmement élevés. La Première Ligue a beau attirer pour l’essentiel un public de cita-dins de classe moyenne, force est de constater que c’est un succès commercial et même sociétal, tout au moins dans les villes. Le format court de la Première Ligue est vraiment devenu un sport national.

La marchandisation croissante du cricket indien a contribué à sécuriser le statut des joueurs. Dans les années 1940 et 1950, beaucoup de joueurs de premier plan sont morts dans la misère. En réaction, dans les années 1950 et 1960, quantité de jeunes talents se sont vu intimer l’ordre par

leur famille d’abandonner le cricket pour se concentrer sur leurs études, au motif que ce sont les diplômes, et non les points sur le terrain, qui assurent un emploi. Dans les années 1970, prenant conscience du problème, des banques et des entreprises publiques ont salarié des joueurs pour qu’ils puissent continuer à évoluer en haut niveau. Tout au long des années 1980-1990, les joueurs ont commencé à profiter des flux d’argent venus de la télévision. Depuis, leurs revenus n’ont cessé d’augmenter, année après année. En 2013, une saison entière du Ranji Trophy rapportait à un joueur, en honoraires de match uniquement, la très coquette somme de 1,4 million de roupies [quelque 18 000 euros].

Parallèlement à la donne sociologique et financière, la portée politique du cricket a elle aussi évolué. En 2004, la tournée de l’équipe nationale au Pakistan voisin a vu les deux pays s’affronter pour la première fois depuis le conflit de Kargil [guerre indo-pakistanaise de 1999]. Les rencontres ont été âprement disputées, mais l’ambiance n’en est pas moins restée étonnamment détendue et bon enfant. La victoire indienne a été accueillie avec la même philosophie par le pays d’accueil et les visiteurs. Les supporters indiens ont eu le triomphe plus modeste que leurs comportements passés n’auraient pu le laisser craindre et, de la même manière, les supporters pakis-tanais n’ont pas été trop accablés.

L’année suivante, le Pakistan est venu en tournée en Inde. J’ai vu l’équipe remporter un test-match dans la

→  Dans la prison d’Ahmedabad, les détenus regardent la demi-finale de la Coupe du monde 2011 entre l’Inde et le Pakistan. Photo Sam Panthaky / AFP

ville de Bangalore, électrisée par la performance de son capitaine, Inzamam-ul-Haq. Là aussi, le résultat a été accueilli avec une maturité impressionnante. Les sup-porters indiens n’avaient pas toujours épargné Inzamam par le passé, se laissant aller à des commentaires nar-quois sur son embonpoint. Cette fois, ils ont salué à la fois ses qualités de batteur et de capitaine. Au coup de sifflet final, le jeune fils d’Inzamam s’est précipité sur le terrain. Le géant a serré le petit dans ses bras sous mes acclamations et celles de tous les supporters des tri-bunes – dans un contraste saisissant avec la rencontre de Bangalore de 1996 qui avait vu [le batteur pakistanais] Javed Miandad regagner les vestiaires sous les applau-dissements d’un seul et unique spectateur.

Ce climat de courtoisie qui a présidé aux rencontres entre l’Inde et le Pakistan en 2004 et 2005 est remar-quable. Il découle en partie de l’action des Premiers ministres indiens de l’époque. Atal Bihari Vajpayee [1998-2004] comme Manmohan Singh [2004-2014] se sont efforcés de réchauffer les relations avec Islamabad [qui se sont de nouveau dégradées en 2008, après les atten-tats de Bombay]. Cette accalmie pourrait aussi avoir été favorisée, de manière plus subtile, par les pas de géant de l’économie. L’Inde était devenue nettement plus pros-père et les Indiens de la classe moyenne se souciaient moins de perdre un match face au Pakistan. Après tout, n’obtenaient-ils pas de bien meilleurs résultats dans des domaines autrement vitaux ?

En 2011, la Coupe du monde est revenue en Inde. Elle y avait déjà été disputée en 1987 et 1996. Cette fois, le chauvinisme toujours excessif des supporters de cricket indiens s’était exacerbé par le fait que ce pouvait être la dernière Coupe du monde de Sachin Tendulkar. La star avait déjà disputé cinq Coupes du monde sans jamais en remporter aucune. Une victoire à domicile serait un cadeau de départ idéal pour le plus admiré des sportifs de l’histoire indienne.

Tendulkar avait fait ses débuts internationaux en 1989, dans un contexte de grogne sociale croissante dans le pays. Le rapport de la commission Mandal, qui préconisait la mise en place de mesures de discrimination positive au bénéfice des castes intermédiaires, avait déclenché une série de heurts. L’ouverture de l’économie faisait craindre un accroissement des inégalités et du chômage. Un regain

de nationalisme hindou menaçait les fondements sécu-liers du pays. Entre le début et la fin des années 1990, des milliers de personnes ont perdu la vie lors d’émeutes sanglantes entre des groupes religieux rivaux. Ces ten-sions sociales s’accompagnaient d’instabilité politique – de 1989 à 1998, l’Inde a connu sept Premiers ministres successifs. C’est dans ce climat de haine, de suspicion, de peur et de violence que Tendulkar a marqué ses pre-miers points en compétition internationale. La qualité et la polyvalence de son jeu ont permis à des millions d’In-diens d’oublier provisoirement leurs problèmes et de se rassembler derrière leur nouveau héros.

Tendulkar aurait été immense quelle que soit l’époque. Mais il a aussi eu la chance de voir sa carrière coïncider avec l’essor de la télévision par satellite. Son jeu pou-vait ainsi être apprécié dans les petites villes et les vil-lages, à une époque où les rencontres internationales se multipliaient. Autant de facteurs qui lui ont permis de devenir plus reconnaissable que n’importe quel joueur indien du passé.

Pendant la Coupe du monde 2011, l’Inde n’a eu aucun mal à se qualifier pour les demi-finales, contre le Pakistan. Le match devait avoir lieu à Mohali, au Pendjab, à quelques heures de route de la frontière pakistanaise. C’était de loin la ren-contre la plus attendue de toute la compétition.

Aux quatre coins de l’Inde, des supporters se sont mis à prier pour la victoire de leur équipe. A Kanpur [dans l’Uttar Pradesh], des religieux hindous et musulmans ont organisé un office commun. Les musulmans ont lu des versets du Coran et les hindous leurs textes sacrés pour aider l’équipe indienne à remporter la Coupe.Le jour de la rencontre, les bureaux ont fermé leurs portes plus tôt que d’habitude. Dans tout le pays, les supporters se sont agglutinés derrière leurs écrans de télévision. Les seules structures qui continuaient à tourner – tant bien que mal – étaient les hôpitaux, même si, là aussi, les méde-cins, les infirmières, les aides-soignants et (surtout) les patients suivaient ce qui se passait à Mohali, balle après balle, sur leurs téléphones portables. Le coup d’envoi a été donné à 14 heures heure indienne. Avec 85 runs à son actif, l’immense Tendulkar a inscrit le meilleur score, sa bonne fortune étant sans aucun doute à mettre au

→→  Match improvisé en plein cœur de Bombay. Photo Fredrik Naumann/Panos-Réa

→→→  Le capitaine Mahendra Singh Dhoni célèbre avec ses coéquipiers la victoire de l’Inde au championnat T20 en 2007. Photo Alexander Joe / AFP

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360°.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 49

PITCH

BATTEUR

BATTEUR

BATTEUR

ARBITRE

LANCEUR

TERRAIN

GUICHET

GARDIENDE GUICHET

GARDIENDE GUICHET

ÉQUIPE AÉQUIPE BGUICHETS

du divertissement et ville natale de la plupart des meil-leurs joueurs indiens, dont Tendulkar. L’Inde en fi nale chez elle, avec le retour à Bombay de Tendulkar : aucune rencontre n’avait jamais suscité autant d’intérêt dans l’histoire du cricket. Les 90 000 étudiants de l’univer-sité du Gujarat ont été ainsi jusqu’à persuader le vice-président de l’établissement de repousser la date des examens de fi n d’année après la compétition. Dans la technopole de Bangalore, les terminaux informatiques, qui en temps normal servaient de back-offi ce de la pla-nète, ont débrayé plusieurs heures avant le début de la partie. “Dans un eff ort désespéré pour arriver à temps pour le début du match”, a écrit The Times of India, “des milliers de banlieusards ont envahi les rues, en deux-roues, en voi-ture, en rickshaw ou en transports en commun, pour gagner leurs pénates, un bar, un restaurant ou le quartier le plus

LES RÈGLES DU CRICKETCe sport est né en Angleterre au xvie siècle. Un match peut durer de quelques heures à plusieurs jours en fonction du type de rencontre. Deux équipes de 11 joueurs s’aff rontent sur un terrain ovale en herbe, au centre duquel se trouve le “pitch”, grand rectangle de 20 mètres environ. A chaque extrémité est placé un guichet. A chaque manche, alternativement, l’une des équipes “batte” et essaie de marquer des points, et l’autre tente de l’en empêcher. L’équipe dont c’est le tour de marquer des points dispose deux batteurs devant les guichets, ses autres joueurs restant sur le banc ; l’autre équipe place un lanceur et un gardien de guichet à l’intérieur du “pitch”, et ses neuf autres joueurs se disséminent sur le reste du terrain. Si le batteur arrive à frapper la balle lancée par l’adversaire, il change de position avec l’autre batteur. Il marque alors un “run” (une course), qui vaut 1 point. S’il arrive à envoyer la balle hors du terrain sans qu’elle touche terre, son équipe marque 6 points (4 points si la balle touche une fois le sol). Si la balle touche le guichet opposé ou qu’un adversaire l’attrape à la volée, le batteur est éliminé – sachant par ailleurs qu’il change toutes les 6 balles. Lorsque tous les batteurs de l’équipe ont été sortis, la manche est terminée et c’est au tour de l’équipe adverse de batter. L’équipe qui marque le plus de points remporte le match.

proche afi n d’éviter d’être coincés dans les embouteillages et de rater le spectacle.”

Après la victoire, toute l’Inde a fait la fête, à l’exception des ennemis traditionnels du cricket : les exploitants des salles de cinéma. Dans les dernières phases de la compé-tition, les multiplex des villes, qui ordinairement étaient presque pleins, faisaient état d’un taux d’occupation de 10 %. “Les cinémas victimes de la marche triomphale du cricket”, a titré le [magazine économique] Mint.

Tout au long du xxe siècle, l’Angleterre et l’Aus-tralie ont régné en maîtres sur le cricket mon-dial. C’est en Angleterre que ce sport est né et que ses règles ont été fi xées et affi nées, et c’est là que la Fédération impériale de cricket (plus tard internationale) avait son siège. L’Australie

a ensuite produit un grand nombre de joueurs et d’équipes de tout premier plan, ouvert la voie à la marchandisation du cricket et amélioré son rayonnement médiatique grâce à des retransmissions de grande qualité. En 1981, pourtant, le critique britannique Scyld Berry eut cette phrase prémo-nitoire : “Le cricket est appelé à devenir plus populaire en Inde que tout autre sport dans n’importe quel pays du monde. […] L’Inde est vouée à devenir la capitale du cricket.”

A la fi n du xxe siècle, cette prophétie s’est réalisée de belle manière. Et en ce début de xxie siècle l’importance du cricket en Inde, et de l’Inde dans le cricket, n’a fait que s’accroître. Ce n’est désormais plus l’Asie du Sud, mais l’Inde seule qui est la capitale du cricket mon-dial. L’utilisation (ou la non-utilisation) des dernières technologies d’arbitrage vidéo, la programmation (et la reprogrammation) des tournées, dans ces domaines et d’autres qui intéressent toutes les nations du cricket, la Fédération indienne exerce des pouvoirs considérables et souvent absolus. Ainsi, comme l’a écrit [la journaliste] Sharda Ugra, “cette nation qui jadis s’éclaircissait la gorge pour demander à être entendue par le pouvoir britannique s’est aujourd’hui muée en despote de la discipline, prompt à bomber le torse et à étaler ses richesses. A l’heure actuelle, l’Inde tient l’économie du cricket sous sa coupe et, dans ce nouvel ordre en vigueur, choisit de jouer non pas les leaders, mais les autocrates.”

—Ramachandra GuhaPublié le 1er octobre

crédit des prières précédemment adressées aux dieux. L’Inde a marqué en tout 260 runs – un score suffi sant pour s’assurer une victoire confortable.

Après le coup de siffl et fi nal, les jeunes se sont rassem-blés aux carrefours, scandant des slogans à la gloire de leur équipe et de leur pays. Pour certains Indiens, la vic-toire de l’équipe était le signe que le Pakistan n’était pas à la hauteur, que ce soit en termes de politique, de civili-sation ou de cricket. Comme l’a résumé un supporter sur un ton condescendant, “si les Pakistanais abordaient leurs problèmes sociaux, religieux, politiques et économiques avec le sérieux dont l’Inde fait preuve au moment d’entrer sur le terrain, l’avenir de leur pays serait bien plus prometteur”.

En fi nale, l’Inde devait se mesurer à un autre rival du sous-continent, le Sri Lanka. La rencontre avait lieu à Bombay, place fi nancière du pays, capitale de son industrie

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L’auteur

Ramachandra Guha, né en 1958, est un historien indien renommé. Il écrit souvent dans la presse sur des questions variées qui vont de l’héritage gandhien à l’écologie en passant par le cricket, l’une de ses passions. L’article que nous proposons ci-contre est adapté de son ouvrage A Corner of a Foreign Field : The Indian History of a British Sport (Un coin de terrain étranger : L’Histoire indienne d’un sport anglais), dont une nouvelle édition doit bientôt paraître chez l’éditeur britannique Allen Lane. Cet essai, comme les autres ouvrages de l’historien, reste inédit en français.

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—Der Tagesspiegel Berlin

Près de cent ans se sont écoulés depuis le génocide perpétré contre les Arméniens par l’Empire ottoman,

que The Cut prend comme point de départ pour raconter l’extermination presque totale d’une famille. Ce film, le plus ambitieux et le plus coûteux de Fatih Akin [cinéaste alle-mand d’origine turque], baigne pourtant dans l’actualité. Dans l’esprit du spectateur, des scènes vues dans les journaux télévisés ne cessent de se superposer aux images de ce panorama historique, semblant interroger la pertinence, au regard de l’horreur du réel, d’une reconstitution si minutieuse d’événe-ments et d’émotions passés.

A quel point les violentes attaques de l’armée terroriste internationale de l’Etat islamique contre les communautés chrétiennes d’Irak reproduisent-elles, du moins sur le fond, le génocide qui a coûté la vie à près d’un million et demi d’Arméniens chrétiens entre 1915 et 1916 ? La relance de la guerre qui oppose la Turquie à sa minorité kurde, les images de

la ville syrienne de Kobané détruite par les tirs d’artillerie, les gigantesques camps de réfugiés installés dans le désert en Jordanie et en Turquie près de la frontière irakienne : ces catastrophes causées par l’homme modifient puissamment le regard qu’on porte sur ce film, qui appelle, avec une ampleur et une tranquillité épiques, à adopter une posture humaniste, à faire le bien dans un monde fondamentalement mauvais.

Odyssée. La création de The Cut elle-même a une dimension historique et politique qui dépasse largement ce film. Fatih Akin voulait à l’origine tourner un long-métrage sur Hrant Dink, ce Turc d’origine arménienne, directeur de l’hebdomadaire Agos, qui a été abattu en 2007 par un jeune nationaliste de 16 ans. Il a travaillé à ce projet pendant deux ou trois brèves années après L’Engrenage, son premier film (1998), mais n’a jamais trouvé aucun acteur turc qui ait accepté de jouer ce rôle, comme il l’a souvent relaté. Comment en effet incarner un homme qui avait été régulièrement traîné devant

La marche turque de Fatih AkinLes 7 et 8 novembre, le réalisateur allemand sera l’invité du Forum des images, à Paris. Avec The Cut, il s’attaque à un sujet qui n’en finit pas de résonner dans l’actualité : le génocide arménien.

CINÉMA

plein écran. ←  Le Français Tahar Rahim campe Nazaret, le héros de The Cut. Photo DR

les tribunaux en raison de ses appels à reconnaître le génocide, dans un Etat où le terme reste tabou, et aux funérailles duquel le Premier ministre Tayyip Erdogan avait refusé d’assister, préférant aller inaugurer un tunnel autoroutier ?

Il a donc fallu attendre cinq ans après la comédie Soul Kitchen pour que Fatih Akin puisse mettre fin à sa trilogie, courageusement intitulée “L’amour, la mort et le diable”. Les films qui la composent traitent de thèmes très différents mais sont unis par une même énergie passionnée et le leitmotiv de la migration. Si Contre le mur – Ours d’or au Festival de Berlin – évoquait une sexualité et un amour libérés des conventions turques et familiales, en 2007 De l’autre côté – prix du scénario à Cannes – dressait un panorama familial et générationnel subtil entre l’Allemagne et la Turquie. A sa sortie, Fatih Akin avait annoncé son film sur le diable en ces termes : “Je veux raconter l’histoire d’une immigration ultime !”

Cette histoire d’immigration est finalement devenue The Cut. Un exode individuel qui mène le forgeron arménien Nazaret [l’acteur français Tahar Rahim] de sa ville natale de Mardin, près de la frontière syrienne, dans la Turquie actuelle, à Alep, puis au Liban, à Cuba, en Floride, à Minneapolis et enfin dans l’hiver glacé du Dakota du Nord. Au début du film, ce père de famille vit paisiblement avec sa femme Rakel (Hindi Zahra) et leurs deux petites filles quand les soldats turcs l’embarquent pour aller casser des pierres. Un jour, les détenus sont attachés les uns aux autres et massacrés à l’arme blanche. Nazaret en réchappe : le soldat qui s’occupe de lui a des scrupules et se contente de lui donner un coup de couteau dans le cou [au lieu de

lui couper la gorge]. Nazaret perd la voix mais pas la vie. Il part à la recherche de ses filles et son odyssée se termine par des retrouvailles familiales qui comptent parmi les plus tristes de toute l’histoire du cinéma.

Après la première de The Cut, à la Mostra de Venise, les critiques ont fusé : les Arméniens parlent un anglais bizarre, le film est démodé, c’est un drame expressionniste surchargé, simpliste, voire naïf. Ces reproches sont peut-être justifiés. Il est vrai que le film manque de personnages complexes et donc riches sur un plan dramatique : les Arméniens sont bienveillants, les Turcs, et plus tard les Yankees, en général de sales types. The Cut ne possède ni la sauvagerie de Contre le mur ni la complexité scénaristique de De l’autre côté. Cela ne devrait cependant pas constituer un inconvénient pour ce “film de contrebandiers”, pour reprendre les termes d’Akin, qui est aussi destiné au public turc.

Enfer terrestre. C’est justement la modestie de son doux héros Nazaret (ce n’est pas un hasard si le nom rappelle Jésus de Nazareth) qui donne au film sa force considérable. En cent trente-huit minutes, le long-métrage nous mène d’un monde des mille et une nuits à l’univers de vagabonds d’un Jack London. Il regorge de scènes qui semblent se dérouler dans un enfer terrestre intemporel. La plus forte : un gigantesque camp dans le désert, des tentes en lambeaux, des Arméniens à moitié nus, affamés, tout est couleur de sable, livide ; une femme famélique supplie Nazaret de la tuer. Après une hésitation déchirante, il le fait. Il maudit Dieu et arrache la croix qu’il porte au poignet.

Certains accusent The Cut d’esthétiser l’horreur, mais ce reproche moralisateur n’est pertinent qu’en partie. Akin cherche

à faire naître une émotion authentique à partir d’une image nécessairement arrangée. Il faut

pour cela que le spectateur soit embarqué aux côtés du héros et peut-être qu’il prête une attention particulière à l’humanité que le réalisateur confère à son récit malgré un contexte historique controversé – réussissant par là même à échapper à tout parti pris. The Cut ne parle pas de vengeance mais de quête. De ce que l’on peut sauver dans un monde assoiffé de vengeance.

Ce film facilement attaquable est sorti à la mi-octobre en Allemagne avec 100 copies. Il risque bien de faire naufrage. Fatih Akin, le petit jeune sympa des cinémas allemand et turc qui a maintenant 41 ans, ne le mériterait pas. Il est plus passionnant de se demander si The Cut sortira vraiment dans les salles turques le 5 décembre. Sur Twitter, des menaces de mort annoncent que la “casquette blanche” est déjà prête – une allusion directe au meurtre de Hrant Dink [c’était le couvre-chef que portait l’assassin]. Le fait qu’une date de sortie ait été fixée est pourtant un signe que la Turquie bouge, qu’elle va de l’avant malgré tout.

—Jan Schulz-OjalaPublié le 15 octobre

50. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

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360°.Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014 51

Vu de Turquie

● The Cut sera-t-il projeté en Turquie ? Une sortie a beau être annoncée pour décembre, Habertürk s’interroge. Le quotidien stambouliote rappelle qu’en 2002 aucune salle n’avait accepté de diffuser Ararat, le long-métrage d’Atom Egoyan sur le génocide arménien. Interrogé par le quotidien, Sebahattin Cetin, le distributeur malheureux d’Ararat, veut toutefois croire que les spectateurs turcs pourront découvrir The Cut : “Le pays a changé et n’est plus le même qu’il y a douze ans.” Un optimisme que partage Mehmet Açar, le critique cinéma d’Habertürk : “Le film de Fatih Akin ira à la rencontre de son public et suscitera la discussion. La Turquie a désormais atteint un niveau de maturité qui autorise cela.”

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et du cinéma. Cet événement, dont Courrier international est partenaire, entreprend de questionner l’actualité par le prisme du septième art. Parmi les temps forts annoncés : un panorama du cinéma japonais post-Fukushima, un gros plan sur la quête d’identité et de reconnaissance des cinéastes ukrainiens par rapport au voisin russe et une rétrospective de l’œuvre de Fatih Akin. The Cut, le dernier film du réalisateur germano-turc, sera présenté en avant-première le 7 novembre à 20 heures, avant une sortie française annoncée pour le 14 janvier prochain.

Gros plan

LE COMBAT DES CINÉASTES UKRAINIENSDepuis l’indépendance, en 1991, le cinéma ukrainien peine à faire entendre sa voix. Presque inconnus hors de l’ex-URSS, ses réalisateurs manquent de moyens et ne peuvent rivaliser avec les grosses productions américaines et, surtout, russes. Dans les années 1990 et 2000, leurs œuvres évoquaient la déliquescence de la société, les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl et la “révolution orange” de 2004. Mais, depuis l’Eurorévolution, les cinéastes veulent mettre leur art au service de la nation. Comme Sergeï Loznitsa, qui, avec le court-métrage Maïdan (dans Les Ponts de Sarajevo), dépeint les événements sur la place de l’Indépendance vécus de l’intérieur. “Ce documentaire a été présenté à Cannes”, souligne Oukraïnsky Tyjden. D’autres, à l’instar de Vladimir Tikhiy, parlent de la guerre qui ravage l’Est depuis avril. Dans le quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, le réalisateur

présente son nouveau projet : “Nacha Nadiya [Notre espoir] est un film sur les raisons qui amènent les gens à se battre, sur les raisons qui font que, sur notre terre, des gens sont venus les armes à la main”, explique-t-il. Son film est un documentaire centré sur le personnage, réel, de Nadia Savtchenko, une pilote d’hélicoptère ukrainienne capturée par les séparatistes et transférée en Russie pour y être jugée pour “crimes de guerre”. Estimant que “la guerre est un moment formateur pour une société”, Tikhiy soutient que, “quand on vit dans ce pays, il faut montrer ce qui s’y passe”. Preuve que le cinéma est un enjeu dans la révolution et la guerre, des films russes ont été interdits de diffusion pour “déformation de la vérité historique”. Parmi eux, des films d’action comme Nous venons du futur 2, qui se passe en Ukraine en 1944, mais aussi des productions tirées de chefs-d’œuvre de la littérature, comme Taras Boulba, d’après Nicolas Gogol, ou La Garde blanche, d’après Mikhaïl Boulgakov.

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360°52. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

12 €—New Statesman (extraits) Londres

De Nairobi

I ci, les automobilistes passent plusieurs heures par jour dans leur voiture. Un simple trajet de

10 kilomètres pour aller au travail peut prendre jusqu’à deux heures. Je connais quelqu’un qui, lorsqu’il est bloqué dans les embouteillages, en profite pour se couper les ongles des pieds. Le vice-gou-verneur de la capitale kényane estime que les embouteillages coûtent presque 600 000 dollars [473 000 euros] par jour au pays. Le même phénomène se retrouve dans presque toutes les villes en expansion des pays en voie de déve-loppement : la construction est en plein boom, la population augmente, mais les réseaux de transport ont du mal à suivre.

Nous connaissons actuellement la croissance urbaine la plus rapide de l’Histoire. Plus de la moitié de la popu-lation mondiale vit dans des villes, et cette proportion ne cesse d’augmen-ter. Selon les estimations du Fonds des Nations unies pour la population, la plus forte hausse aura lieu en Asie et en Afrique, principalement dans les petites villes et les agglomérations qui ont peu de ressources pour s’adapter aux changements. Elles n’auront pas de place pour un réseau routier et ferro-viaire terrestre de grande taille, et pas d’argent pour construire des voies fer-rées souterraines.

Considérez maintenant les téléphé-riques, ces symboles de l’opulence alpine, et imaginez-les s’élevant au-dessus d’une ville comme Nairobi ou Johannesburg. Ils pourraient servir non seulement aux touristes, mais à tout le monde, des ban-quiers aux femmes de ménage, en pas-sant par les jardiniers et les chômeurs des taudis qui s’aventurent dans les quartiers riches.

Le plus grand constructeur de ces engins au monde, l’entreprise autri-chienne Doppelmayr, pourrait bien-tôt révolutionner le transport dans les villes des pays en développement. Selon son directeur du marketing, Ekkehard Assmann, l’idée des téléphé-riques urbains a fait beaucoup de chemin au cours des sept dernières années. “Beaucoup de grandes métropoles pensent sérieusement à les utiliser pour résoudre

leurs problèmes de circulation”, affirme-t-il. Après le succès du transport par câble à Caracas, Rio de Janeiro et Medellín, presque toutes les grandes métropoles d’Amérique du Sud ont ainsi exprimé leur intérêt pour ce système, poursuit-il. En Afrique subsa-harienne, l’installation d’un téléphérique à Lagos, au Nigeria, est presque termi-née. Une étude de faisabilité est en cours à Kampala, en Ouganda, et la Banque mon-diale a approuvé un emprunt de 175 mil-lions de dollars [138 millions d’euros] pour financer le projet.

Caracas, la capitale du Venezuela, a construit son premier téléphérique en 1952. Quatre ans plus tard, Alger, la capitale de l’Algérie, en faisait autant. L’Algérie est aujourd’hui considérée comme un leader mondial dans le domaine du transport urbain par câble : quatre grandes villes du pays sont équipées de ce système, et le réseau d’Alger compte déjà quatre lignes.

Les arguments économiques en faveur des téléphériques urbains sont incontes-tables. Ils peuvent transporter 5 000 passa-gers à l’heure dans chaque sens, moins que les rames de métro, qui peuvent prendre en charge plus de 20 000 passagers à l’heure, mais qui coûtent dix fois plus cher. S’ils sont correctement utilisés, ils consomment moins d’énergie que la plupart des sys-tèmes de transport, parce que les moteurs tournent à une vitesse constante. Les coûts d’installation sont également plus bas.

Ce moyen de transport peut être bon marché pour les usagers, et les dépenses

Surveillance popCANADA — “Les habitants de Toronto peuvent dormir plus sereinement maintenant qu’ils savent que le capitaine Kirk, Sulu, l’inspecteur Harry et Musclor protègent leur quartier”, s’amuse le Toronto Sun. Dans la ville canadienne, 83 panneaux signalant des patrouilles de voisinage ont été modifiés par le street artist Andrew Lamb. Ils font désormais apparaître des icônes de la culture pop à la place du logo habituel. L’arrivée de ces nouveaux protecteurs a déclenché une “chasse au trésor géante” sur les réseaux sociaux canadiens. D’après le quotidien, chacun guette les nouvelles apparitions, “tous ignorant sur quel périmètre s’étend le phénomène”.

Sans voiture, avec bénefNORVÈGE —  Depuis quelques semaines, certains passants et cyclistes de la ville de Lillestrøm ont la surprise de se faire arrêter sur le bas-côté par des représentants de l’autorité, non pour recevoir une amende, mais bien de l’argent liquide. L’opération, baptisée “Péage à l’envers”, vise à encourager les habitants à délaisser la voiture, relaie Fast Company. “Pousser les gens à marcher et faire du vélo profite à la société, souligne le maire, Ole Jacob Flaetene, c’est bénéfique pour notre santé, pour l’environnement et pour notre réseau de transport.” Le gouvernement norvégien a calculé qu’il économisait 6 euros pour chaque kilomètre parcouru à pied par un de ses citoyens et 3 euros par kilomètre effectué à vélo. Lillestrøm offre ainsi 100 couronnes, soit 12 euros, aux personnes arrêtées à ses “péages à l’envers”.

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tendances.

La ville ne tient qu’à un filAprès Dubaï et Londres, les métropoles du Sud s’équipent de téléphériques. Sur fond d’urbanisation galopante, le transport câblé présente de multiples avantages.

d’investissement peuvent être rapide-ment remboursées. A Constantine, en Algérie, un téléphérique a transporté 4,5 millions de passagers la première année [en 2008], pour 15 centimes d’euro par trajet. Même à ce tarif, les frais de fonctionnement et de maintenance étaient couverts.

Cerise sur le gâteau, les téléphériques sont un mode de déplacement attrayant. Faith Kangai Njeru est vendeuse de vête-ments d’occasion, femme de ménage et mère de deux enfants. Elle vit à Nairobi et passe au minimum deux heures par jour dans les transports. A cause de cela, elle a elle-même dû engager une femme de ménage et une nounou, alors qu’elle ne gagne que 5,40 euros par jour. Je lui ai montré une vidéo sur les télé-phériques dans les Alpes. Faith, qui n’a jamais vu de neige ailleurs qu’à la télévi-sion, a regardé attentivement les images. Puis je lui ai montré une autre vidéo sur Tlemcen, en Algérie, où les téléphériques pendent comme des décorations en verre bleu au-dessus des rues. Elle s’est calée dans son fauteuil en souriant. Je lui ai demandé combien elle payait pour ses trajets en autobus et lui ai exposé les arguments en faveur des téléphériques, mais les questions d’argent étaient visi-blement passées au second plan. “Ça a l’air amusant !” s’est-elle exclamée, met-tant fin à la discussion.

—Jessica HatcherPublié le 17 octobre

↓ En mai 2014, La Paz a inauguré le plus long téléphérique urbain du monde.

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So sikhs ! Depuis huit ans, les photographes britanniques Amit et Naroop parcourent le monde pour tirer le portrait des stars. Mais leur dernier projet, intitulé Singh, est bien plus personnel. Il met en valeur les sikhs britanniques et “symbolise avec brio la rencontre entre la foi et la mode dans une Grande-

Bretagne moderne et multiculturelle”, se réjouit le site d’information Asian Image. “Il y a beau y avoir plus de 30 millions de sikhs dans le monde, on peut distinguer presque autant de manières de porter la barbe et le turban”, indiquent les photographes, dont l’exposition est visible à la galerie Framers, à Londres, du 3 au 15 novembre.

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La bosse du laitARABIE SAOUDITE — “Plus de 100 000 dollars – c’est le bénéfi ce déjà réalisé par Walid Abdelwahhab. En janvier, ce Saoudien a fondé en Californie la première société américaine de production de lait de chamelle”, rapporte la chaîne de télévision

saoudienne MBC. Etabli aux Etats-Unis, le jeune homme raconte qu’il a eu cette idée quand il était étudiant boursier et qu’on lui a demandé d’imaginer un projet d’entreprise

à l’université. “J’ai trouvé qu’au milieu de toutes les mauvaises nouvelles du Moyen-Orient je devais présenter quelque chose de positif, quelque chose qui soit particulier à

mon pays, sain et nutritif”, explique-t-il. Son lait est toutefois issu à 100 % de chamelles américaines. Malgré son prix élevé, 18 dollars la bouteille, le produit connaît un tel succès aux Etats-Unis que l’homme d’aff aires envisage désormais de faire venir des chamelles d’Australie,

avant de s’attaquer au marché de son propre pays.

Dénicher ou boycotter

ISRAËL — Début octobre, le rabbin Daniel Cohen a lancé une

application pour mobiles qui permet d’identifi er les produits

made in Israel et les lieux où les acheter, afi n de “soutenir l’économie israélienne, qui

a de nombreux ennemis de par le monde”. Cette initiative vise

à contrer les nombreuses applications arrivées sur le marché

cette année et qui, au contraire, ciblent les entreprises liées à Israël

et invitent à les boycotter. Les applications en faveur du boycott des produits israéliens ont tout de même une longueur d’avance, avec

plus de 400 000 utilisateurs, contre à peine 12 000 pour celle

de Daniel Cohen, estime The Times of Israel. “Ce qui intéressant, met

en avant le quotidien israélien, c’est que, malgré leurs buts

diff érents, ces applications sont très similaires car elles ont pour

objet de partager des informations sur des produits israéliens.”

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A méditer cette semaine : Pour Halloween, songe à un costume qui t’aiderait à éveiller une part secrète ou cachée de ton potentiel.

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360°54. Courrier international — no 1252 du 30 octobre au 5 novembre 2014

Un air de BerlinDétroit attire les Allemands. Dans la cité en crise, ils retrouvent ce qui faisait l’attrait de leur capitale après la chute du Mur. Sur place, leur engouement laisse dubitatif.

musique.

—The Wall Street Journal New York

A chacun de ses quinze voyages à Détroit, Dimitri Hegemann a rendu visite

à son vieil ami Fisher Body 21. “Nous restons en contact, assure ce Berlinois de 60 ans, aux che-veux blond-blanc vaporeux. Fisher Body est mon vrai premier amour.”

Fisher Body 21 est un bâtiment décrépi de cinq étages, aux fenêtres cassées, couvert de graffitis. D’après les autorités du Michigan, le site est dangereusement contaminé. Cette ancienne usine de pièces automobiles, construite en 1919, a été abandonnée il y a une vingtaine d’années. Si certains considèrent le bâtiment comme une ruine promise à la démolition, Hegemann et ses amis entendent bien en faire la première étape du renouveau de cette ville à l’abandon. Cette friche industrielle bourrée d’amiante “a une aura particulière, assure-t-il, et j’ai des projets pour elle”.

Hegemann, fondateur d’un night-club et d’une maison de

disques, est à l’origine de la Detroit-Berlin Connection, un projet mené par les acteurs de la scène musicale berlinoise pour contribuer au redémarrage de Motor City [ou Motown]. Les Berlinois trouvent des points communs entre Détroit aujourd’hui et leur ville après la chute du Mur. Ils estiment que la ville du Michigan possède tous les atouts pour renaître en centre de la culture underground : bâtiments désaffectés, loyers bon marché, réputation d’âpreté.

Sons d’usine. L’été dernier, une dizaine de Berlinois se sont ainsi rendus à Détroit pour un symposium de cinq heures. Le but de l’opération était d’expliquer aux habitants comment Berlin était passée de cité en ruines à plaque tournante de la culture. Ils ont donné des conférences sur la manière de promouvoir une scène musicale, de circonvenir la bureaucratie et de récupérer les bâtiments abandonnés. Entre deux réunions avec des animateurs communautaires et des promoteurs

immobiliers locaux, les Berlinois ont visité des ruines, dîné dans un café axé sur le bouddhisme zen et sont allés danser à un festival de musique techno.

Les Berlinois veulent renvoyer l’ascenseur à Détroit, qui a fourni à Berlin l’un des éléments clés de sa reprise : la musique techno. Lors d’un voyage aux Etats-Unis en 1987, Hegemann avait découvert sur la démo d’un album d’étranges rythmes industriels. Intrigué, il a appelé le numéro griffonné sur l’étiquette et contacté les artistes, de jeunes DJ de Détroit. “Cela me rappelait des sons d’usine, raconte-t-il. Plus tard, j’ai découvert que tout le monde à Détroit avait au moins un parent qui travaillait dans une usine automobile.”

Hegemann a sorti cet album sous son label allemand et invité les DJ de Détroit à venir jouer à Berlin. Après la chute du Mur, la techno a explosé dans la capitale allemande : dans les espaces abandonnés de la ville, les rave parties se sont mises à fleurir jusqu’au bout de la nuit. “La techno de Détroit aura été la

bande sonore de la réunification, souligne Hegemann. Elle a permis de rassembler les gamins de Berlin-Est et ceux de Berlin-Ouest.” La musique techno est de fait devenue incontournable dans les clubs de Berlin, qui ouvrent le vendredi, ferment le lundi et attirent des millions de visiteurs chaque année.

Désamiantage. Katja Lucker, à la tête du Berlin Music Board, u n org a n isme publ ic qu i promeut la scène musicale de la capitale allemande, explique qu’elle examine actuellement le financement d’une résidence à Détroit pour les artistes allemands, qui serait pilotée par les deux villes. Depuis sa visite en mai dernier, elle considère Détroit comme “une ville aux vertus thérapeutiques” capable de régénérer des artistes en mal d’inspiration. “Comme il n’y a plus de voitures, les gens font leur jogging dans la rue, s’enthousiasme-t-elle. C’est vraiment génial.”

Dimitri Hegemann a créé en 1991 Tresor, l’un des clubs de techno les plus célèbres au monde, dans l’ancienne chambre forte du grand magasin Wertheim, bombardé en 1944. Depuis, il a aussi transformé une ancienne centrale thermique de Berlin-Est en un espace artistique de 22 000 mètres carrés. Sur le toit, il a installé des ruches qui accueillent 120 000 abeilles, dont le miel est vendu aux clubbers en sous-sol. “Nous l’avons baptisé le ‘techno miel’, c’est un produit dopant naturel.”

Son prochain coup de maître sera le Fisher Body  21. Pour ce projet, il s’est entouré d’un promoteur immobilier, d’un architecte de Détroit et aussi d’une fondation suisse chargée de réhabiliter les bâtiments désaffectés. Hegemann espère que le désamiantage de Fisher Body 21 ne posera pas difficulté, dans le cas contraire il pourrait se rabattre sur la Michigan Central

↙ Le Fisher Body 21, une usine construite en 1919, est abandonnée depuis vingt ans.

↓ Dimitri Hegemann, l’homme par qui la techno est arrivée à Berlin en 1987.

Station, l’ancienne gare de Détroit aujourd’hui à l’abandon.

“On sent bien que les Allemands aiment Détroit. Quand ils étaient là, ils débordaient d’enthousiasme”, explique Walter Wascz, un journaliste américain spécialisé dans la musique qui représente Hegemann dans le Michigan. Si certains habitants se disent f lattés de l’intérêt porté par Berlin, ils font valoir que Détroit doit faire face à des problèmes de criminalité, à des tensions intercommunautaires et à des difficultés économiques bien plus graves qu’à Berlin. “Les Allemands ont des idées qui pourraient nous être utiles”, reconnaît Cornelius Harris, manager du mythique label de techno Underground Resistance, fondé il y a vingt-cinq ans à Détroit. “Mais leurs préoccupations sont très éloignées des nôtres. Il n’y a aucune comparaison possible entre les deux villes.” Ed Siegel, le promoteur de Détroit qui travaille avec Hegemann, n’est pas convaincu qu’un club de techno soit une priorité pour Détroit : “Permettez-moi de nuancer la vision romantique que les étrangers peuvent se faire de notre ville. Les gens d’ici ont d’autres attentes et il faut en tenir compte.”

Dans la salle des machines de son ancienne centra le thermique de Berlin-Est, où les canapés en cuir rouge côtoient d’antiques ordinateurs de deux mètres de haut, Hegemann exhibe fièrement des photos de Fisher Body 21 et présente ses idées pour cette usine de 50 000 mètres carrés : restaurants éphémères, expositions, pépinières d’entreprises et club de techno. Peu importe à quoi ressemblera cet immeuble, “tout est une question d’âme”, aime-t-il préciser. Et, pour devenir un club de techno, Fisher Body 21 “a simplement besoin de spots rouges et d’une sono qui déchire”.

—Jack NicasPublié le 14 octobre

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