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CONCLUSIONS DE M. COSMAS — AFFAIRE C-134/99 CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GEORGES COSMAS présentées le 25 mai 2000 * I Introduction 1. Dans la présente affaire, le Supremo Tribunal Administrativo (Portugal) demande à la Cour d'interpréter des dis- positions de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemble- ments de capitaux 1 (ci-après la «direc- tive»). 2. La Cour de justice est en substance invitée à répondre à la question de savoir si les droits d'inscription au Registo Nacio- nal de Pessoas Colectivas (registre national des personnes morales, ci-après le «RNPC») relèvent du champ d'application de la directive et, dans l'affirmative, si la perception de ces droits est interdite en vertu de l'article 10, sous c), ou si elle est permise en vertu de la dérogation introduite par l'article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive, selon laquelle les États membres peuvent percevoir «des droits ayant un caractère rémunératoire » ; la juri- diction nationale demande en outre quelles doivent être les modalités de calcul de ces droits. 3. Les questions posées en l'espèce par le juge national sont semblables à celles que le même juge a posées dans l'affaire Modelo (C-56/98, ci-après l'«arrêt Modelo I»), qui a donné lieu à l'arrêt du 29 septembre 1999 2, et dans l'affaire Modelo 3(C-19/99, ci-après l'«arrêt Modelo II»). La différence est que, dans ces affaires, les questions posées étaient relatives à la rémunération due au notaire pour l'établissement, imposé par la loi et réalisé par la consignation dans une écriture publique, d'actes relatifs à la modification des statuts ou à une augmen- tation de capital 4. II.Le cadre communautaire 4. La directive a pour but de promouvoir la libre circulation des capitaux afin de « créer une union économique ayant des caracté- * Langue originale: le grec. 1 JO L 249, p. 20. 2 — Rec. p. I-6427. 3 — Arrêt du 21 septembre 2000, Rec. p. I-7213. 4 — Autrement dit, les questions portaient sur le point de savoir si ces émoluments relèvent du champ d'application de la directive et, dans l'affirmative, s'ils peuvent être considérés comme autorisés en vertu de la disposition dérogatoire de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive (affaire Modelo I), ainsi que sur la façon de calculer le montant de ces émoluments notariaux dans le cas où ils seraient considérés comme des droits à caractère rémunératoire (affaire Modelo II). I - 7720

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CONCLUSIONS DE M. COSMAS — AFFAIRE C-134/99

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GEORGES COSMAS

présentées le 25 mai 2000 *

I — Introduction

1. Dans la présente affaire, le Supremo Tribunal Administrat ivo (Portugal) demande à la Cour d'interpréter des dis­positions de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemble­ments de capitaux 1 (ci-après la «direc­tive»).

2. La Cour de justice est en substance invitée à répondre à la question de savoir si les droits d'inscription au Registo Nacio­nal de Pessoas Colectivas (registre national des personnes morales, ci-après le «RNPC») relèvent du champ d'application de la directive et, dans l'affirmative, si la perception de ces droits est interdite en vertu de l'article 10, sous c), ou si elle est permise en vertu de la dérogation introduite par l'article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive, selon laquelle les États membres peuvent percevoir «des droits ayant un caractère rémunératoire » ; la juri­diction nationale demande en outre quelles doivent être les modalités de calcul de ces droits.

3. Les questions posées en l'espèce par le juge national sont semblables à celles que le même juge a posées dans l'affaire Modelo (C-56/98, ci-après l'«arrêt Modelo I»), qui a donné lieu à l'arrêt du 29 septembre 1999 2, et dans l'affaire Modelo 3 (C-19/99, ci-après l'«arrêt Modelo II»). La différence est que, dans ces affaires, les questions posées étaient relatives à la rémunération due au notaire pour l'établissement, imposé par la loi et réalisé par la consignation dans une écriture publique, d'actes relatifs à la modification des statuts ou à une augmen­tation de capital 4.

II. — Le cadre communautaire

4. La directive a pour but de promouvoir la libre circulation des capitaux afin de « créer une union économique ayant des caracté-

* Langue originale: le grec. 1 — JO L 249, p. 20.

2 — Rec. p. I-6427. 3 — Arrêt du 21 septembre 2000, Rec. p. I-7213. 4 — Autrement dit, les questions portaient sur le point de savoir

si ces émoluments relèvent du champ d'application de la directive et, dans l'affirmative, s'ils peuvent être considérés comme autorisés en vertu de la disposition dérogatoire de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive (affaire Modelo I), ainsi que sur la façon de calculer le montant de ces émoluments notariaux dans le cas où ils seraient considérés comme des droits à caractère rémunératoire (affaire Modelo II).

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ristiques analogues à celles d'un marché intérieur» 5. La promotion de la libre circulation des capitaux est assurée par l'harmonisation des impositions indirectes frappant les apports de capitaux aux socié­tés, du droit de timbre sur les titres et des autres impôts indirects qui présentent les mêmes caractéristiques que le droit d'ap­port ou le droit de timbre sur les titres. D'après le huitième considérant de la directive, «le maintien d'autres impôts indirects présentant les mêmes caractéristi­ques que le droit d'apport ou le droit de timbre sur les titres risque de remettre en cause les buts poursuivis par les mesures prévues par la présente directive et... dès lors, leur suppression s'impose».

5. Selon l'article 1er de la directive, «les États membres perçoivent un droit sur les apports à des sociétés de capitaux, harmo­nisé conformément aux dispositions des articles 2 à 9 et dénommé ci-après droit d'apport». L'article 1er de la directive crée de cette façon une imposition harmonisée sur les « apports à des sociétés de capi­taux». Ainsi que l'a relevé la Cour 6, «la directive vise notamment à harmoniser les éléments qui contribuent à la fixation et à la perception du droit auquel sont soumis les apports en sociétés dans la Commu­nauté, dans le contexte de la suppression des obstacles fiscaux qui s'opposent à la libre circulation des capitaux».

6. L'article 4, l'article 8, tel qu'il a été modifié par la directive 85/303/CEE du Conseil 7, et l'article 9 8 énumèrent les actes soumis au droit d'apport et certains actes que les États membres peuvent exonérer 9.

7. L'article 4, paragraphe 1, de la directive soumet au droit d'apport, entre autres, a) la constitution d'une société de capitaux 10 et c) l'augmentation du capital social d'une société de capitaux au moyen de l'apport de biens de toute nature.

8. Par ailleurs, l'article 71 1 , tel qu'il a été modifié par l'article 1er, point 2, de la directive 85/330, prévoit ce qui suit: 1) les États membres exonèrent du droit d'apport les opérations, autres que celles visées à l'article 9, qui étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,5 % à la date

5 — Voir premier considérant de la directive. 6 — Arrêt du 5 mars 1998, Solred (C-347/96, Rec. p. I-937,

point 3).

7 — Directive du 10 juin 1985 modifiant la directive 69/335 (JO L 156, p. 23).

8 — Sous réserve des dispositions de l'article 7. 9 — Les articles 5 et 6 de la directive concernent la base

imposable. 10 — L'article 4, paragraphe 3, de la directive prévoit que n'est

pas une constitution au sens du paragraphe 1, sous a), une quelconque modification de l'acte constitutif ou des statuts

d'une société de capitaux, et notamment: a) la transfor­mation d'une société de capitaux en une société, de capitaux d'un type différent; b) le transfert d'un État membre dans un autre État membre du siège de direction effective ou du siège statutaire d'une société, association ou personne morale qui est considérée, pour la perception du droit d'apport, comme société de capitaux dans chacun de ces États membres; c) le changement de l'objet social d'une société de capitaux; d) la prorogation de la durée d'une société de capitaux.

11 — Rappelons que l'article 7 de la directive fixait initialement une fourchette de taux, dans laquelle les États membres pouvaient déterminer librement les taux applicables sur leur territoire, et prévoyait l'application, obligatoire ou

facultative, de taux réduits en fonction de la nature de l'acte. Plus précisément, pour les rassemblements de capitaux tels que ceux visés ci-dessus, l'article 7, para­graphe 1, sous a), de la directive prévoyait à l'origine que le taux du droit d'apport devait se situer dans une fourchette allant de 1 à 2 %. Ce taux a été ramené à 1 %, à partir du 1er janvier 1976, par l'article 1er, para­graphe 2, de la directive 73/80/CEÉ du Conseil, du 9 avril 1973 (JO L 103, p. 15).

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du 1er juillet 1984, et 2) les États membres peuvent soit exonérer du droit d'apport toutes les opérations autres que celles visées au paragraphe 1, soit les soumettre à un taux unique ne dépassant pas 1 %.

9. L'article 10 de la directive établit que, en dehors du droit d'apport, les États membres ne perçoivent, en ce qui concerne les sociétés, associations ou personnes morales poursuivant des buts lucratifs, aucune imposition, sous quelque forme que ce soit, notamment a) pour les opérations visées à l'article 4; b) pour les apports, prêts ou prestations, effectués dans le cadre des opérations visées à l'article 4, et c) pour l'immatriculation ou pour toute autre for­malité préalable à l'exercice d'une activité, à laquelle une société, association ou per­sonne morale poursuivant des buts lucratifs peut être soumise en raison de sa forme juridique.

10. L'article 12, paragraphe 1, de la direc­tive établit une liste exhaustive des taxes et droits autres que le droit d'apport qui, par dérogation aux articles 10 et 11, peuvent frapper les sociétés de capitaux à l'occasion des opérations visées par ces articles 12. L'article 12 mentionne notamment, en son paragraphe 1, que, par dérogation aux dispositions des articles 10 et 11, les États membres peuvent percevoir des droits ayant un caractère rémunératoire.

III — Le cadre juridique national

11. L'article 24 du décret-loi (decreto-lei) n° 144/83, du 31 mars 1983 13, prévoit que les personnes morales doivent faire inscrire au RNPC14 certains actes et faits, dont (a) la constitution et (b) la modification de l'objet ou du capital social 15.

12. Le décret-loi n° 42/89, du 3 février 1989 16, prévoit, en son article 62, para­graphe 1, sous b), que toute violation des règles relatives à l'obligation d'enregistre­ment (regras do registo) peut donner lieu à l'imposition d'amendes administratives (coimas).

12 — Voir, â cet égard, les arrêts du 2 février 1988, Dansk Sparinvest (36/86, Rec. p. 409, point 9); du 11 juin 1996, Denkavit Internationaal e.a. (C-2/94, Rec. p. I-2827, point 21), et Modelo I, précité à la note 2 (point 8).

13 — Diàrio da República, série I, n° 75, p. 1093. 14 — Il s'agit d'un organisme qui, en vertu de l'article 1er du

décret-loi n° 144/83, est pourvu de la personnalité morale. Le RNPC est notamment chargé d'émettre des certificats d'identification (cartões identificadores) pour les personnes morales inscrites au registre.

15 — Comme la Commission l'observe au point 5 de ses observations écrites, le préambule du décret-loi n° 32/85 (Diàrio da República, série I, n° 23) expose la distinction entre registre du commerce et registre national des personnes morales. Le RNPC, qui couvre l'ensemble du pays, a été créé afin de fournir les informations nécessaires à de nombreux sec­teurs de l'administration publique, sur l'ensemble des personnes morales (et des entités assimilées, y compris les entrepreneurs individuels), et de les identifier grâce à un document qui leur est propre. La section du commerce, aujourd'hui disparue, a été intégrée au RNPC, qui est devenu le responsable exclusif de la garantie du respect des principes d'exclusivité et d'authenticité des raisons sociales et dénominations de toutes les personnes morales, notam­ment par l'émission de certificats d'admissibilité. Le registre du commerce a essentiellement pour objet de rendre publique la qualité de commerçant des personnes physiques et morales, ainsi que certains faits juridiques précisés dans la loi. Il procède donc à l'identification et à l'inscription — à l'exception des navires marchands — d'une partie des entités qui doivent être inscrites au RNPC, mais il enregistre en plus des faits qui ne figurent pas dans celui-ci.

16 — Diário da República, série I, n° 29.

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13. Selon l 'article 73 du décret-loi n° 144/83, l'inscription au RNPC et la délivrance des certificats d'admissibilité (certificados de admissibilidade) des raisons sociales (firmas) et dénominations (deno­minações) donnent lieu à la perception de droits (taxas) fixés par arrêté (portaria) du ministre de la Justice. Le produit de ces droits est versé à un organisme dénommé «Cofre dos Conservadores, Notarios e Funcionérios de Justiça» (Caisse des conservateurs, notaires et agents de la justice; ci-après la «Caisse»). Avec les sommes ainsi perçues, cet organisme prend également en charge la couverture des dépenses d'établissement et de fonctionne­ment du RNPC 17.

14. L'article 3, paragraphe 1, du Tabela de Emolumentos do Registo Nacional de Pes­soas Colectivas (tarif des émoluments du registre national des personnes morales, ci-après le «TERNPC»), dans la version résultant de l'arrêté ministériel (portaria) n° 366/89, du 22 mai 1989 18, établit que chaque inscription effectuée conformément aux articles 36 et suivants du décret-loi n° 42/89 donne lieu à la perception de 1 500 PTE. En vertu de l'article 3, para­graphe 4, ce montant est majoré, pour l'inscription d'une augmentation de capital d'une personne morale, de 0,5 % du mon­tant de l'augmentation en question. D'après

l'article 3, paragraphe 5, le montant prévu au paragraphe 4 fait l'objet d'une majora­tion supplémentaire lorsque l'inscription de l'augmentation de capital est effectuée par certaines catégories d'entreprises.

15. L'article 57, paragraphe 1, de la loi n° 10-B/96, du 23 mars 1996 19, prévoit que, dans certains cas, les émoluments légaux pour les opérations d'augmentation du capital social qui se sont déroulées en 1996 sont réduits de moitié.

16. En cas d'augmentation du capital social d'une société de capitaux, les droits d'in­scription au RNPC constituent une des charges imposées en vertu du droit portu­gais, qui soumet ces augmentations à deux autres charges encore. D'une part, lors­qu'elle est constatée par un acte notarié 20, une telle augmentation donne lieu au versement d'émoluments, qui ont d'ailleurs été considérés comme une imposition au sens de la directive dans l'arrêt Modelo I 21. D'autre part, cette opération est soumise à une charge supplémentaire (versement de droits) lors de l'inscription de l'augmenta-

17 — Comme l'observe le gouvernement portugais (point 18 de ses observations écrites), toutes les dépenses faites par le RNPC, le paiement de ses fonctionnaires, l'acquisition d'installations, l'équipement informatique ainsi que l'en­semble des dépenses inhérentes et nécessaires à l'organisa­tion, au traitement et à l'actualisation du fichier central des personnes morales, au contrôle des dénominations utili­sées, de leur compatibilité avec la loi et avec le fonction­nement normal du marché, ainsi que la fourniture de toute information pertinente, sont exclusivement financées par les recettes provenant des émoluments.

18 — Diàrio da República, série I, n° 117, p. 2032.

19 — Lei n° 10-B/96, Orçamento do Estado para 1996, Diàrio da República, série I, n° 71, p. 584 (72).

20 — Aux points 15 et suiv. de nos conclusions dans l'affaire Modelo I, nous avons analysé les modalités de perception des émoluments notariaux en droit portugais (voir aussi points 11 et suiv. de nos conclusions dans l'affaire Modelo II) et le régime légal appliqué aux notaires portugais (points 22 et suiv. de nos conclusions dans l'affaire Modelo I).

21 — Précité à la note 2.

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tion en question au registre du commerce 22

(Conservatória do Registo Comercial) 23. Cependant, conformément à l'article 1er, pa rag raphes 2 et 3 , du décret-loi n° 32/85, l'inscription au RNPC d'opéra­tions (comme l'augmentation de capital) qui doivent également être inscrites au registre du commerce est réalisée simulta­nément au moyen d'un seul acte sur le même formulaire, auprès du bureau com­pétent du registre du commerce.

17. Enfin, le gouvernement portugais men­tionne (point 19 des observations écrites) qu'une imposition sur les apports de capital (imposto de selo) s'est appliquée jusqu'en 1996 lors de la constitution des sociétés ou lors des augmentations de capital, et que cette imposition a été supprimée en appli­cation de la directive.

IV — Les faits

18. La société portugaise IGI — Investi­mentos Imobiliários SA (ci-après l'«IGI») a entrepris de faire inscrire l'augmentation de son capital social au RNPC. Le 8 juillet

1996, les services de la Conservatória do Registo Comercial do Porto (registre du commerce de la ville de Porto) ont fixé les droits d'inscription à 12 501 500 PTE.

19. L'IGI a contesté la liquidation de ce montant devant le Tribunal Tributàrio de Primeira Instância do Porto, qui l'a débou­tée. Elle s'est alors pourvue devant le Supremo Tribunal Administrativo en fai­sant valoir que le recouvrement de cette somme était incompatible, d'une part, avec la directive, en raison du caractère dispro­portionné du montant demandé par rap­port au coût et à la nature du service presté, et, d'autre part, avec la Constitution de la République portugaise 24.

V — Les questions préjudicielles

20. Pour trancher le litige dont il est saisi, le Supremo Tribunal Administrativo a saisi la Cour de justice des questions préjudicielles suivantes:

«l)Les articles 10 et 12 de la directive 69/335/CEE du Conseil du 17 juillet 1969 peuvent-ils être invoqués par un particulier dans ses relations avec

22 — Concrètement, ces augmentations font l'objet d'une inscription au registre du commerce, où toute inscription donne lieu au versement de 3 000 PTE d'émoluments, auxquels il faut ajouter, conformément à l'article 1er, point 3, du tarif des émoluments du registre du commerce, une majoration pour chaque tranche de 1 000 PTE ou fraction de tranche de 1 000 PTE, lorsque l'augmentation du capital est supérieure à 100 000 PTE (voir point 28 de nos conclusions dans l'affaire Modelo I).

23 — Enfin, nous soulignons que les émoluments des notaires et les droits d'inscription au registre du commerce, ainsi que les droits d'inscription au RNPC, sont autant de recettes de la Caisse.

24 — Concrètement, elle a soutenu qu'elle était incompatible avec la Constitution, parce que les droits en question constituaient des impositions qui, en tant que telles, devaient être instituées par le Parlement, et non par le gouvernement.

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l'État, même si celui-ci n'a pas trans­posé la directive dans son ordre juri­dique interne?

2) Les opérations visées à l'article 4, para­graphe 3, de la directive 69/335 doi­vent-elles être considérées comme rele­vant de l'interdiction énoncée à l'arti­cle 10 de cette directive, de telle sorte qu'il est interdit de percevoir à leur égard, non seulement le droit d'apport, mais aussi toute autre imposition, quelle que soit sa forme, même s'il s'agit d'une taxe et non pas d'un impôt?

3) Les dispositions des articles 10 et 12, paragraphe 1, de ladite directive doi­vent-elles être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à ce que le montant des taxes dues en raison de l'inscription des augmentations de capital (imposée par la loi) au registre national des personnes morales varient en fonction du montant de telles augmentations?

4) Ces taxes variables peuvent-elles être considérées comme étant fonction des coûts du service fourni ?

5) Les coûts en cause comprennent-ils les traitements des fonctionnaires, agents ou employés des services publics, les frais occasionnés par des opérations mineures effectuées gratuitement et une

fraction des frais généraux (loyers des installations, coûts liés au matériel informatique et à la communication, électricité, eau et autres) imputables aux opérations d'enregistrement?

6) Peut-on considérer, au regard des arti­cles précités de ladite directive, ces frais variables résultant des augmentations de capital comme étant l'expression de droits standard et, partant, autorisés?

7) Peut-on considérer, au regard des mêmes articles de la directive, que peuvent être autorisés des droits dont le montant dépasse le coût du service? Et dans l'affirmative, dans quelle pro­portion? Si un tel dépassement est manifestement déraisonnable, le mon­tant des taxes peut-il être réduit en équité ? »

VI — Les réponses aux questions préjudi­cielles

A — Sur la première question

21. Quant à la première question, relative au point de savoir dans quelle mesure un particulier peut invoquer les articles 10 et 12 de la directive dans ses relations avec

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l'État, même lorsque celui-ci n'a pas trans­posé cette directive dans son ordre juridi­que interne, nous rappelons que, confor­mément à une jurisprudence constante de la Cour25, dans les cas où les dispositions d'une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, comme incondition­nelles et suffisamment précises, les particu­liers sont fondés à les invoquer devant le juge national à l'encontre de l'État, lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les délais la directive en droit national ou lorsqu'il en fait une transposition incor­recte 26.

22. La Cour a reconnu que l'interdiction posée par l'article 10 de la directive de même que la dérogation à cette interdiction qui figure à l'article 12, paragraphe 1, sous e), sont formulées en termes suffisam­ment précis et inconditionnels pour pouvoir être invoquées par les justiciables devant leurs juridictions nationales à l'encontre d'une disposition de droit national contraire à cette directive 27.

23. Nous croyons dès lors que, compte tenu du litige en cours devant la juridiction nationale, il y a lieu de donner la même réponse â la première question, relative à la possibilité pour un citoyen d'invoquer les articles 10 et 12, paragraphe 1, sous e), de la directive dans ses relations avec l'État.

B — Sur les autres questions

24. Avec les autres questions posées, le juge national vise en substance à savoir si les montants dus pour l'enregistrement (imposé par la loi) des augmentations de capital au RNPC relèvent du champ d'ap­plication de la directive, c'est-à-dire s'ils sont considérés comme une imposition (1) dont la perception est interdite par la directive (2) ou s'ils relèvent de la notion de droits à caractère rémunératoire (3) et, dans l'affirmative, s'ils peuvent varier en fonc­tion du montant de ces augmentations ou s'ils doivent être fixés en fonction du coût du service presté, en précisant les éléments qui peuvent être inclus dans ce coût (4).

1) Sur la qualification d'imposition au sens de la directive

25. D'emblée, il faut apporter une préci­sion. La question de savoir dans quelle mesure une charge déterminée imposée par un État membre en cas de rassemblement de capitaux constitue une imposition au sens de la directive ressortit à la compé­tence de la Cour, qui se prononcera «en fonction des caractéristiques objectives de l'imposition» 28, indépendamment de la qualification donnée en droit national, des distinctions conceptuelles et des construc­tions théoriques du droit interne, comme l'impose d'ailleurs le principe de supréma-

25 — Arrêt du 2 décembre 1997, Fantasie e.a. (C-188/95, Rec. p. I-6783, point 54).

26 — Voir, notamment, l'arrêt du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cava e.a. (C-236/92, Rec. p. I-483, point 8).

27 — Arrêt Fantasie e.a. (point 55). En ce qui concerne plus précisément la possibilité d'invoquer l'article 10 de la directive devant les juridictions nationales, voir le point 35 de l'arrêt Modelo I et le point 29 de l'arrêt Soirea, précité à la note 6.

28 — Arrêt du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime (C-197/94 et C-252/94, Rec. p. I-505, point 39). Voir également l'arrêt du 27 octobre 1998, Nonwoven (C-4/97, Rec. p. I-6469, point 19).

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tie du droit communautaire sur les droits nationaux29. La Cour a jugé30 «que les termes 'droits ayant un caractère rémuné-ratoire' font partie d'une disposition de droit communautaire qui ne renvoie pas au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée. En outre, les buts de la directive seraient remis en cause si les États membres avaient toute faculté de maintenir des impositions présentant les mêmes caractéristiques que le droit d'ap­port en les qualifiant eux-mêmes de droits à caractère rémunératoire. Il s'ensuit que l'interprétation des termes en cause dans leur généralité ne saurait être laissée à la discrétion de chaque État membre ». Autre­ment dit, ces notions sont indépendantes de celles qui sont employées en droit natio­nal31.

26. Après ces précisions, il y a lieu de trancher la question de savoir dans quelle mesure les droits d'inscription constituent une imposition relevant du champ d'appli­cation de la directive.

27. Selon le gouvernement portugais (point 30 de ses observations écrites), les services du RNPC ne sont pas fournis dans le seul intérêt de celui qui y a recours, mais

également, plus généralement, en vue d'un intérêt public32. Cependant, en raison de leur structure et de leurs caractéristiques, les émoluments perçus par le RNPC ne constituent pas, à son avis, une imposition, mais la contrepartie d'un service fourni. En conséquence, il estime que la directive n'est pas applicable en l'espèce.

28. Pour déterminer si le droit d'inscription versé au RNPC en cas d'augmentation du capital de la société peut être qualifié d'imposition au sens de l'article 1er de la directive, il faut examiner ses caractéristi­ques objectives 33. Nous considérons donc que, compte tenu de ces caractéristiques, en droit portugais, le droit d'inscription doit être considéré comme une imposition indi­recte sur les rassemblements de capitaux au sens de la directive 34.

29. Tout d'abord, le droit est perçu sur la base d'une norme juridique instituée par la République portugaise 35. Ensuite, nous observons que, même si le fait générateur du droit en question est l'inscription au RNPC de l'augmentation du capital d'une société de capitaux, et non pas cette augmentation elle-même, de sorte que ce

29 — Voir points 59 et suiv. de nos conclusions dans l'affaire Modelo I, précitée à la note 2.

30 — Voir l'arrêt Fantasie e.a., précité à la note 25 (point 26), et l'arrêt du 15 juillet 1982, Felicitas Rickmers-Linie (270/81, Rec. p. 2771, point 14).

31 — En conséquence, le droit communautaire n'est pas concerné par la question de savoir si, en droit portugais, les sommes exigées constituent des droits à caractère rémunératoire ou des impositions, ces dernières ne pou­vant, en vertu de la Constitution portugaise, être instituées que par le Parlement.

32 — C'est un fait que l'IGI met en doute. 33 — Voir l'analyse théorique de la question effectuée aux

points 57 et 58 de nos conclusions dans l'affaire Modelo I. 34 — Dans l'affaire Modelo I (point 23), la Cour de justice a pris

en considération les objectifs de la directive, détaillés dans les deuxième, sixième et huitième considérants du pré­ambule, et en particulier la suppression des impôts indirects présentant les mêmes caractéristiques que le droit d'apport, pour conclure que constituaient une imposition au sens de la directive les émoluments notariaux perçus par des fonctionnaires de l'État pour une opération relevant de la directive, et qui sont en partie versés à l'État pour financer les missions de celui-ci.

35 — Il s'agit de l'article 3, paragraphe 1, du TERNPC, dans la forme qui lui a été donnée par l'arrêté ministériel n° 366/89.

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fait générateur n'est pas identique à celui du droit d'apport, la base de calcul du droit litigieux reste néanmoins le montant de l'augmentation. Par conséquent, le montant liquidé au titre du droit d'inscription a un caractère obligatoire, puisqu'il n'est pas volontaire.

30. Par ailleurs, nous constatons que les droits d'inscription constituent une presta­tion versée par un particulier à une autorité de l'État. Pour être plus précis, les employés du RNPC sont des fonctionnaires soumis à un régime juridique de droit public qui leur est propre, comme le souligne la Commis­sion (points 11 et suivants de ses observa­tions écrites). Les droits d'inscription sont perçus par des fonctionnaires pour le compte de l'État.

31. Enfin, il faut attacher une importance décisive au fait, d'ailleurs évoqué dans l'ordonnance de renvoi, que ces droits constituent une recette publique, puisqu'ils sont versés au fisc et sont affectés à des objectifs particuliers. Plus précisément, ils sont versés à la Caisse, qui les emploie pour le financement de diverses dépenses publi­ques, dont les dépenses de fonctionnement du RNPC 36.

32. En conséquence, compte tenu de la particularité du droit portugais, dans lequel le RNPC constitue un service public et la Caisse est un organisme d'État financé notamment par les droits versés à l'occa­sion de l'inscription au RNPC de l'aug­mentation du capital d'une société de capitaux, de sorte que les sommes perçues sont versées à l'État pour financer ses missions, nous croyons que ces droits constituent une imposition au sens de la directive.

2) En ce qui concerne l'interdiction prévue par l'article 10 de la directive

33. Nous pensons que les éléments néces­saires pour répondre à la question de savoir si la perception des «droits d'inscription», comme ils sont qualifiés par la réglementa­tion nationale, est interdite par l'article 10 de la directive peuvent être dégagés tant de l'arrêt prononcé dans l'affaire Ponente Carni et Cispadana Costruzioni (C-71/91 et C-178/91) 37 que de l'arrêt Fantasie e.a. 38, car les questions posées dans ces

36 — Comme ľa souligné le gouvernement portugais dans l'affaire Modelo I (point 20 de l'arrêt), la Caisse prend en charge le paiement de la partie fixe du salaire des notaires et des autres fonctionnaires, les dépenses relatives à la formation professionnelle des notaires, les dépenses d'acquisition de locaux et de mobilier pour l'installation des notaires ainsi que, après autorisation du ministère de la Justice, les autres dépenses dans le domaine judiciaire. Dans cet arrêt, la Cour s'est référée (point 21) au fait qu'«une partie des émoluments en cause au principal, dus en application de la règle de droit é,dictée par l'État, sont versés par une personne privée à l'État pour financer des missions de cet État».

37 — Arrêt du 20 avril 1993 (Rec. p. I-1915, en particulier aux points 41 et 42). Cette affaire avait pour objet la confor­mité à la directive de certaines dispositions législatives italiennes imposant des charges fiscales (taxes en faveur du Trésor) pour l'inscription de données relatives aux sociétés (à savoir les données relatives aux principales opérations concernant l'existence et le fonctionnement des sociétés) au registre national des sociétés de capitaux. Elle posait en outre la question de savoir s'il était possible de les considérer comme des droits à caractère rémunératoire, et quelle était la relation entre le montant des droits à caractère rémunératoire et le coût du service preste.

38 — Arrêt précité à la note 25. Dans cette affaire, il s'agissait notamment de déterminer dans quelle mesure des rede­vances perçues lors de l'immatriculation de nouvelles sociétés anonymes et sociétés à responsabilité limitée et lors de l'enregistrement des augmentations de capital de ces sociétés avaient un caractère rémunératoire ainsi que la façon dont il convenait de calculer le montant de ces redevances.

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affaires étaient très semblables à celles que nous examinons ici.

34. En effet, dans son arrêt Ponente Carni et Cispadana Costruzioni 39, la Cour a souligné que les impôts indirects qui pré­sentent les mêmes caractéristiques que le droit d'apport relèvent du champ d'appli­cation de l'article 10 de la directive, avant de conclure 40 que « les taxes et droits divers dus en raison de l'immatriculation d'une société de capitaux relèvent du champ d'application des dispositions précitées et sont, en principe, interdits, sous réserve des dispositions dérogatoires de l'article 12».

35. De surcroît, dans le même arrêt Ponente Carni et Cispadana Costruzioni, la Cour a jugé qu'«il n'existe aucune rai­son tenant à la lettre du texte ou à ses finalités qui permette d'écarter de plein droit l'application de l'article 10 dans les cas où le produit de l'imposition contribue au financement du service chargé de la tenue du registre dans lequel sont imma­triculées les sociétés». En revanche, l'inter­prétation proposée dans cette affaire par certains gouvernements, «en ce qu'elle permettrait aux États membres d'instituer une imposition, autre que le droit d'apport, qui frapperait les sociétés de capitaux à l'occasion de l'une des formalités essentiel­les à leur constitution et dont le montant ne serait pas au surplus limité par des dispo­sitions du droit communautaire, irait à l'encontre des objectifs de la directive». Cette solution était imposée, comme l'a jugé la Cour, par la nécessité de préserver

l'efficacité pratique des dispositions de la directive 41.

36. Ainsi, il a été jugé 42 que l'article 10 de la directive prohibe notamment les impôts indirects qui présentent les mêmes caracté­ristiques que le droit d'apport. Sont visées, parmi d'autres, les impositions qui, quelle que soit leur forme, sont dues pour la constitution d'une société de capitaux et l'augmentation de son capital [article 10, sous a)], ou pour l'immatriculation ou toute autre formalité préalable à l'exercice d'une activité, à laquelle une société peut être soumise en raison de sa forme juridi­que [article 10, sous c)]. Comme le dit la Cour 43, «cette dernière interdiction se justifie par le fait que, si les impositions en cause ne frappent pas les apports de capitaux en tant que tels, elles sont néan­moins perçues en raison des formalités liées à la forme juridique de la société, c'est-à-dire de l'instrument utilisé pour rassembler des capitaux, de sorte que leur maintien risquerait de mettre également en cause les buts poursuivis par la directive » 44.

39 — Précité à la note 37 (point 29). 40 — Point 30.

41 — Concrètement, dans l'arrêt Ponente Carni et Cispadana Costruzioni (point 31), la Cour a déclaré que: «La circonstance que l'imposition soit due non seulement lors de l'immatriculation de la société mais également chaque année ultérieure ne saurait, à elle seule, faire échapper cette imposition à l'interdiction instituée par l'article 10. Comme le soulignent la Commission et les entreprises parties au litige au principal, toute interprétation contraire priverait d'effet utile les dispositions de l'article 10 puis­qu'elle permettrait aux États membres de faire peser sur les sociétés de capitaux une charge fiscale annuelle dont le fait générateur est le seul maintien de l'immatriculation de la société ».

42 — Arrêts Fantask e.a. (point 21) et Ponente Carni et Cispa­dana Costruzioni (points 41 et 42).

43 — Arrêts Fantask e.a. (point 21) et Ponente Carni et Cispa­dana Costruzioni (points 41 et 42).

44 — Voir également l'arrêt Denkavit Internationaal e.a., précité à la note 12 (point 23), ainsi que le point 37 des conclusions de l'avocat général Jacobs dans cette affaire.

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37. Le droit portugais impose d'enregistrer au RNPC l'augmentation du capital d'une société de capitaux. Cet enregistrement constitue une formalité substantielle liée à la forme juridique de la société, et son non-respect est passible d'une amende. Partant, en l'espèce, nous croyons que l'interdiction prévue à l'article 10, sous c), de la directive vise directement les droits d'inscription perçus à l'occasion de l'enregistrement (imposé par la loi) des augmentations de capital au RNPC 45.

38. Le gouvernement portugais soutient, à titre subsidiaire (point 33 de ses observa­tions écrites), que la directive ne lui interdit pas de conserver une telle imposition en tant que droit d'apport, mais lui impose simplement d'avoir une imposition unique, à un taux qui ne soit pas supérieur à 1 %, chiffre qui n'est pas dépassé par le droit d'inscription perçu.

39. En l'occurrence, nous croyons que, si la République portugaise a abrogé en 1996 le droit d'apport (imposto de selo) imposé lors de la constitution des sociétés ou de l'augmentation de leur capital, cela ne signifie pas qu'elle pouvait maintenir en vigueur d'autres charges, c'est-à-dire d'au­tres impositions indirectes 46, qui, indépen­

damment de leur dénomination, font obs­tacle à la réalisation de l'objectif de la directive 47, qui est de faciliter la libre circulation et les rassemblements de capi­taux 48.

3) Les droits d'inscription: des droits à caractère rémunératoire

40. Au vu des éléments du dossier, il nous paraît évident que le RNPC fournit à l'ayant droit un service qui justifie une contrepartie.

41. La directive n'a pas harmonisé en tant que tels les droits à caractère rémunéra­toire, puisqu'elle ne précise pas quels services peuvent être fournis aux sociétés en contrepartie d'une rémunération ni quel doit être le montant de cette rémunéra­tion 49. Cependant, la Cour a reconnu que la directive impose des limites à ce qu'un État membre peut percevoir au titre des «droits à caractère rémunératoire». Ainsi, elle a jugé 50 qu'«un droit, dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du capital nominal souscrit, ne saurait, par sa nature même, constituer tin droit à caractère rémunératoire au sens de la directive. En effet, même s'il peut exister, dans certains cas, un lien entre la comple­xité d'une opération d'enregistrement et

45 — La Cour l'a reconnu dans l'arrêt Fantask e.a. (point 22) pour le droit de base et le droit complémentaire qui étaient prévus par la réglementation danoise, en tant que ces droits étaient acquittés à l'occasion de l'immatriculation des nouvelles sociétés anonymes et sociétés à responsabilité limitée.

46 — Nous rappelons que le fait générateur du droit litigieux en l'espèce est l'inscription au RNPC de l'augmentation du capital d'une société de capitaux, et non l'augmentation en elle-même, de sorte que ce fait générateur n'est pas le même que celui du droit d'apport, même si la base de calcul du droit en question est le montant de l'augmenta­tion.

47 — Voir sixième considérant de la directive. 48 — Voir points 24 et 25 de l'arrêt Modelo I. 49 — Voir, notamment, le point 27 des conclusions de l'avocat

général Jacobs dans l'affaire Fantask e.a., précitée à la note 25.

50 — Arrêts Fantask e.a. (point 31) et Modelo I (point 30).

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l'importance des capitaux souscrits, le montant d'un tel droit sera généralement sans rapport avec les frais concrètement exposés par l'administration lors des for­malités d'immatriculation».

42. La Cour a encore souligné 51 que «la distinction entre les impositions interdites par l'article 10 de la directive et les droits ayant un caractère rémunératoire implique que ces derniers comprennent les seules rétributions dont le montant est calculé sur la base du coût du service rendu. Une rétribution dont le montant serait dénué de tout lien avec le coût de ce service particu­lier ou dont le montant serait calculé non en fonction du coût de l'opération dont elle est la contrepartie, mais en fonction de l'ensemble des coûts de fonctionnement et d'investissement du service chargé de cette opération devrait être regardée comme une imposition relevant de la seule interdiction instituée par l'article 10 de la directive» 52.

43. En conséquence, les articles 10 et 12, sous e), de la directive ne permettent pas à un État membre, en l'occurrence la Répu­blique portugaise, de fixer les droits exigés

à l'inscription d'une augmentation de capi­tal au RNPC en appliquant le taux non négligeable de 0,5 % au montant de l'aug­mentation réalisée.

44. En conclusion, un droit perçu en vertu du droit national à l'occasion de l'enregis­trement d'augmentations de capital de sociétés de capitaux relève du champ d'application de la directive et est interdit par son article 10; un tel droit, dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du montant de l'aug­mentation, «ne saurait, par sa nature même, constituer un droit à caractère rémunératoire » 53.

4) Le calcul du montant des droits à caractère rémunératoire

45. Quant au calcul du montant des droits à caractère rémunératoire et à la question de savoir ce qui est inclus dans le coût de fonctionnement du service qui peut être pris en considération, nous croyons que la jurisprudence de la Cour, et concrètement les arrêts prononcés dans l'affaire Ponente Carni et Cispadana Costruzioni 54 ainsi que dans l'affaire Fantask e.a. 55, nous fournit les éléments nécessaires pour répondre aux questions du juge national.

51 — Arrêt Modelo I (point 29). 52 — Dans l'affaire Modelo I, la Cour a jugé (point 31) que,

« bien que le droit soit perçu selon un barème dégressif, le montant de l'imposition augmente néanmoins directement en proportion du capital nominal souscrit. En outre, étant donné que, au-delà de 10 000 000 [PTE], le droit est perçu au taux non négligeable de 0,3 % sans qu'aucune limite ait été instituée, les émoluments sont susceptibles d'atteindre un montant considérable». Et c'est pourquoi elle a conclu (point 32 et point 3 du dispositif) que « ne revêt pas un caractère rémunératoire au sens de l'article 12, paragra-

phe 1, sous e), de la directive un droit perçu pour établissement d'un acte notarié constatant l'augmentation

du capital social ainsi que la modification de la dénomina­tion sociale et du siège d'une société de capitaux, tel que les émoluments en cause au principal, dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du capital social souscrit».

53 — Cela découle de la jurisprudence constante de la Cour chaque fois qu'elle a eu affaire à de tels problèmes (voir, notamment, le point 31 de l'arrêt Fantask e.a., ainsi que le point 30 de l'arrêt Modelo I et le point 3 de son dispositif).

54 — Arrêt précité à la note 37 (points 41 et 42). 55 — Arrêt précité à la note 25.

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46. La Cour a jugé 56 que, «pour calculer les montants des droits à caractère rému¬ nératoire, un État membre est en droit de prendre en compte non seulement les coûts, matériels et salariaux, qui sont directement liés à l'accomplissement des opérations d'enregistrement dont ils constituent la contrepartie, mais aussi... la fraction des frais généraux de l'administration compé­tente qui sont imputables à ces opérations. Ce n'est que dans cette mesure que les dépenses énumérées par la juridiction de renvoi [dans l'affaire Fantasie e.a.] peuvent être incluses dans la base de calcul des droits » 57.

47. Selon nous, ce coût global inclut les rémunérations des fonctionnaires et autres agents du RNPC et les dépenses de gestion du personnel. De même, il est possible de tenir compte du coût de fonctionnement des bureaux 58, des dépenses informati­ques 59 et de formation, et plus générale­ment du coût d'installation et d'entretien du service en question pour qu'il assume de la meilleure façon possible les tâches qui lui sont confiées par le législateur national. Ce coût doit être fixé dans la mesure du possible en ventilant le coût global sur la base de critères appropriés, comme le personnel employé dans les différents types

d'activités, la surface des locaux utilisés, etc. 60.

48. Au demeurant, la Cour a reconnu qu'un État membre peut ne percevoir des droits que pour les opérations d'enregistre­ment les plus importantes et répercuter sur ces droits le coût des opérations moindres, qui seront réalisées gratuitement. Autre­ment dit, la Cour 61 a pris en considération la fonction redistributive des droits per­çus 62.

56 — Arrêt Fantasie e.a. (point 30). 57 — Les conditions auxquelles cela est possible ont été énoncées

par l'avocat général Jacobs au point 43 de ses conclusions dans l'affaire Fantasie e.a..

58 — Nous sommes parvenu à des conclusions analogues à propos du montant des émoluments notariaux examinés dans nos conclusions dans l'affaire Modelo II (point 33).

59 — Par exemple, l'acquisition, la gestion et la suppression des systèmes de logiciels et matériel.

60 — En ce qui concerne le mode de calcul du coût du service d'enregistrement, nous renvoyons au point 43 des conclu­sions de l'avocat général dans l'affaire Fantasie e.a., où se trouvent détaillés Tes éléments qu'il convient de prendre en considération. En effet, l'avocat général a souligné qu'il faut «prendre pour base de calcul les coûts nécessaires, en application des principes généralement admis en matière de comptabilité analytique. En d'autres termes, les droits peuvent être la traduction des coûts directs et des frais généraux de l'administration rattachables aux opérations en cause. Ainsi, ces coûts peuvent inclure, outre les coûts matériels directs et les coûts salariaux et sociaux du personnel chargé de l'exécution de ces opérations, une

partie des frais généraux de l'administration, tels que éclairage et le chauffage, les frais de gestion du personnel,

de fonctionnement, de développement de l'informatique, les loyers des locaux ou l'amortissement de ces derniers, l'amortissement d'autres immobilisations corporelles telles que le matériel et les équipements, etc. La quote-part de ces coûts qui est rattachable aux opérations de 'transcription dans le registre des sociétés devrait, lorsque c'est possible, être déterminée au moyen d'une affectation directe, par exemple par l'identification du loyer payable pour les locaux affectés spécialement aux services en question. Lorsque les coûts ont trait à la fois aux opérations de transcription dans le registre et à d'autres tâches, telles que les travaux préparatoires en matière de législation, il sera nécessaire de procéder à une répartition sur le fondement de critères appropriés tels que le personnel employé pour chaque type d'activités, la taille des locaux occupés, le temps d'utilisation des ordinateurs, etc.».

61 — Les raisons pour lesquelles cela est possible ont été analysées de façon exhaustive par l'avocat général Jacobs aux points 37 et 45 de ses conclusions dans l'affaire Fantasie e.a..

62 — Au point 50 de ses conclusions dans l'affaire Fantasie e.a., précitée à la note 25, l'avocat général Jacobs a souligné que: «... il est vraisemblable que l'individualisation des coûts n'est pas praticable dans le cas d'un registre des sociétés chargé de traiter un grand nombre d'opérations relativement minimes».

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49. En l'espèce, compte tenu de la spécifi­cité du système d'inscription des augmen­tations de capital au RNPC, dans l'ordre juridique portugais, la prise en considéra­tion de cette fonction (de redistribution) pour les droits d'inscription signifie qu'un État membre peut percevoir des droits plus élevés pour les opérations d'enregistrement plus importantes et répercuter sur eux le coût des opérations mineures, qui peuvent être enregistrées gratuitement. Les citoyens y gagneront un accès plus étendu aux services du RNPC, sans qu'il y ait de distinction fondée sur le revenu.

50. Il appartient aux autorités nationales de déterminer, sur la base des éléments précités, à quel niveau les droits ont un caractère raisonnable et s'il est possible de recourir à un principe général du droit national, comme le principe d'équité évo­qué par le juge de renvoi, pour ramener le montant versé à un niveau raisonnable.

51. Cependant, nous rappelons que, pour la Cour 63, «le montant d'un droit à caractère rémunératoire ne doit pas néces­sairement varier en fonction des frais réellement exposés par l'administration à l'occasion de chaque opération d'enregis­trement et un État membre est en droit de fixer à l'avance, sur la base des coûts moyens d'enregistrement prévisibles, des droits standard pour l'accomplissement des formalités d'inscription des sociétés de capitaux. Rien ne s'oppose, en outre, à ce que les montants de ces droits soient établis pour une durée indéterminée dès lors que

l'État membre s'assure, à intervalles régu­liers, par exemple chaque année, qu'ils continuent de ne pas dépasser ses coûts d'enregistrement ».

52. Partant, il nous semble qu'il appartient à la juridiction nationale, sur le fondement des considérations de la Cour évoquées ci-dessus et des critères qui en découlent, d'examiner dans quelle mesure les droits d'inscription au RNPC revêtent un carac­tère rémunératoire et de faire procéder, le cas échéant, à d'éventuels rembourse­ments 64 sur cette base.

53. En conclusion, nous dirons que l'arti­cle 12, paragraphe 1, sous e), de la direc­tive doit être interprété en ce sens que, pour revêtir un caractère rémunératoire, les droits d'inscription au RNPC perçus à l'occasion d'augmentations de capital de sociétés de capitaux, doivent être calculés sur la base du seul coût des formalités en cause, étant entendu qu'ils peuvent égale­ment couvrir les dépenses engendrées par des opérations mineures, le cas échéant effectuées gratuitement. Pour calculer ces montants, un État membre est en droit de prendre en compte l'ensemble des coûts liés aux opérations d'enregistrement, y compris la fraction des frais généraux qui leur est imputable. Un État membre a la faculté de prévoir des droits d'inscription forfaitaires et d'établir leur montant pour une durée indéterminée, dès lors qu'il s'assure, à intervalles réguliers, que ce montant conti­nue de ne pas dépasser le coût moyen des opérations en cause.

63 — Arrêts Ponente Carni et Cispadana Costruzioni (point 43) et Fantask e.a. (point 32). 64 — Arrêt Fantask e.a. (point 33).

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Conclusion

54. Par ces motifs, nous proposons de donner aux questions posées par le Supremo Tribunal Administrativo les réponses suivantes:

«1)Les dispositions combinées de l'article 10 et de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335/CEE du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, dans sa version résultant de la directive 85/303/CEE du Conseil, du 10 juin 1985, engendrent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales.

2) La directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, doit être interprétée en ce sens que le droit perçu lors de l'inscription au Registo Nacional de Pessoas Colectivas (registre national des personnes morales) d'une augmentation du capital social d'une société de capitaux relève du champ d'application de la directive et constitue une imposition au sens de cette dernière.

3) Lorsqu'il constitue une imposition au sens de la directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, le droit perçu lors de l'inscription au Registo Nacional de Pessoas Colectivas d'une opération d'augmentation du capital social d'une société de capitaux est en principe prohibé en vertu de l'article 10, sous c), de la même directive.

4) Ne revêt pas un caractère rémunératoire au sens de l'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, un droit perçu pour l'inscription au Registo Nacional de Pessoas Colectivas d'une augmentation du capital social d'une société de capitaux,

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comme le droit d'inscription en cause dans la procédure au principal, dont le montant augmente directement et sans limites en proportion du montant de l'augmentation du capital social.

5) L'article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 69/335, dans sa version résultant de la directive 85/303, doit être interprété en ce sens que, pour revêtir un caractère rémunératoire, les droits d'inscription au Registo Nacional de Pessoas Colectivas, qui sont perçus à l'occasion d'augmentations de capital de sociétés de capitaux, doivent être calculés sur la base du seul coût des formalités en cause, étant entendu qu'ils peuvent également couvrir les dépenses engendrées par des opérations mineures, le cas échéant effectuées gratuitement. Pour calculer ces montants, un État membre est en droit de prendre en compte l'ensemble des coûts liés aux opérations d'enregistrement, y compris la fraction des frais généraux qui leur est imputable. Un État membre a la faculté de prévoir des droits d'inscription forfaitaires et d'établir leur montant pour une durée indéterminée, dès lors qu'il s'assure, à intervalles réguliers, que ce montant continue de ne pas dépasser le coût moyen des opérations en cause. »

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