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À la recherche de Chilinlin

Colette Coquis

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I

Elle m’appelait PAMINA et je l’appelais CHILINLIN. Je m’étais juré de la retrouver un jour, malgré le temps et les milliers de kilomètres qui nous séparaient.

On nous avait éloignées l’une de l’autre pendant notre sieste de l’après-midi, tellement rapidement que je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qui m’arrivait sinon qu’on m’emmenait vers une vie meilleure, comme on me l’avait expliqué quelque temps auparavant. Je crois que malgré tout on nous avait bien préparées.

Tout de suite, j’avais mal vécu cette séparation malgré les apparences et les sourires.

Les années ont passé, mais j’avais gardé au plus profond de moi et au fond de mon cœur le souvenir d’une petite fille de cinq ans qui me ressemblait, qui était comme mon miroir et que je croyais être ma sœur.

De nature ouverte et maîtrisant parfaitement le français depuis près de vingt ans que j’avais quitté la Thaïlande, on me disait cependant secrète. Ce n’était

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pas complètement faux, car, de l’idée qui insidieusement me trottait dans la tête, je n’avais parlé à personne, ni à mes amis, ni à ma famille, comme si j’avais voulu oublier le passé.

L’idée de ce projet, aller rechercher mon amie d’enfance, a sans doute mûri peu à peu et, plus le temps passait, plus cette quête s’imposait à moi, bien que je n’aie aucune notion concrète des moyens à utiliser, ni aucune idée des difficultés qui m’attendraient. Où aller ? Où chercher ? A quelles portes frapper ?

Il me faudrait sans doute improviser au jour le jour, mais les difficultés ne me faisaient pas peur.

Parfois oubliée, parfois occultée, parfois repoussée comme illusoire, cette idée a resurgi un beau jour où j’accompagnais une amie dans un luxueux Spa thaïlandais du XVIème arrondissement de Paris.

Hélène adorait cet espace de relaxation qui embaumait les huiles essentielles, les fleurs de jasmin et autres essences aromatiques.

Je découvrais, émerveillée, ce lieu superbement décoré de statues et panneaux de bois de teck dorés dignes d’un musée d’Art Oriental, qui dégageait une sérénité presque palpable et n’avait rien à voir avec les salons de massage de Bangkok que l’on peut voir dans certains reportages télévisés.

Pendant que mon amie se relaxait dans un des salons pour un massage dynamisant aux plantes, Yadee, la directrice du Spa me faisait visiter l’ensemble de leur espace de « Massage Traditionnel Thaï » en m’expliquant qu’elle et son assistante étaient diplômées de l’Ecole CHETAWAN du Wat PHO à Bangkok, technique de massage traditionnel,

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vraisemblablement héritée de l’Inde, qui suivait des règles bien établies.

Dès la sortie, détendue moi aussi, un peu enivrée par les parfums et enveloppée d’un bien-être inhabituel, soudain, sans y réfléchir une seconde, je dévoilai à mon amie mon désir de retourner en Thaïlande sans lui préciser le but exact et bien entendu sous le sceau du secret.

Elle s’étonna de cette décision subite. Je l’étais moi-même. L’ambiance et l’atmosphère calme, quasi religieuse qui émanait de cet endroit avait vraisemblablement déclenché en moi ce qui était enfoui dans mon inconscient depuis de nombreuses années : le désir de retrouver mon ancienne camarade d’infortune à l’orphelinat où nous avions partagé nos peurs et nos difficultés pendant de nombreux mois.

Je repensai à une Conférence à laquelle j’avais assisté au « Centre du Dépassement de Soi ». On enseignait que les pensées n’arrivent pas par hasard, elles ne sont pas quelque chose qui s’interpose subitement dans notre esprit, elles sont le résultat de ce qui nous est arrivé antérieurement.

Cette démarche me paraissait maintenant impérieuse et pressante, qu’il me fallait concrétiser au plus vite. Fermement décidée, à partir de ce moment-là, je commençai à parler à mon entourage d’un voyage en Thaïlande, mais sans en préciser le but exact, aussi bien à ma famille qu’à quelques-uns de mes collègues. C’était « MON SECRET ».

Me doutant que cela me demanderait beaucoup de temps, j’avais l’intention de demander une année sabbatique à la Direction de mon entreprise, pour me consacrer totalement à mon enquête.

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Je devais aller jusqu’au bout, jusqu’au moment où nous pourrions nous serrer dans les bras l’une de l’autre, comme nous le faisions pendant les nuits d’orages tropicaux alors qu’il n’y avait personne pour nous rassurer.

Jusqu’à présent, je n’avais pas réalisé à quel point elle m’avait manqué. Le souvenir de cette petite fille brune et dorée qui était mon double, ma jumelle, ma sœur, était finalement plus vif que je ne l’imaginais, à plus forte raison beaucoup plus présent que celui d’une mère biologique que je n’avais pas connue.

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II

Et voilà, je m’envolais vers la Thaïlande toutes affaires réglées en un temps record. Je n’avais pas eu de difficultés à obtenir une année sabbatique dans la grande Compagnie d’Assurances où j’assurais la coordination des services informatiques depuis plusieurs années déjà, après un stage en Grande-Bretagne et aux Etats Unis.

Quand j’ai enfin donné la raison profonde de ce voyage, mes collègues et mes supérieurs ont applaudi à cette décision et m’ont laissé partir avec leurs encouragements. Tous m’enviaient de retourner au pays de « l’éternel sourire ». Ils espéraient bien que je leur donnerais de mes nouvelles de temps en temps, en attendant le plaisir de nous revoir.

Maman, bien entendu inquiète, aurait bien voulu m’accompagner, mais son état de santé ne lui permettait plus d’entreprendre de longs voyages en avion. De toutes façons, je préférais y aller seule. Elle était heureuse pour moi et approuvait entièrement mon désir de retrouver quelques racines de mon enfance.

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Elle me faisait confiance et me laissait toute latitude pour que j’aboutisse à la réalisation de mon projet. De plus, elle me donna l’adresse de certains contacts qu’elle avait encore à Bangkok qui pourraient m’être très utiles, entre autres une amie de longue date qui travaillait au Service Culturel de l’Ambassade de France à laquelle elle prit soin de téléphoner avant mon départ pour lui annoncer mon arrivée.

Elle avait aussi conservé tous les documents se rapportant à mon adoption, avec le nom de certains responsables des Services Sociaux, photos à l’appui.

Malgré l’émotion du départ, au moment où je prenais l’escalator menant à la salle d’embarquement, j’étais heureuse, confiante et entrai le pied léger dans l’Airbus de la Compagnie aérienne thaïlandaise.

J’avais beaucoup voyagé en Europe et aux Etats-Unis ces dernières années, mais jamais sur des lignes asiatiques, aussi j’ai été agréablement surprise de l’élégance et de l’amabilité des hôtesses. Dans leur uniforme de soie chatoyante, elles auraient toutes été dignes d’être élues « Miss Thaïlande ».

Je savais que le sort des filles thaïes n’était pas toujours enviable, c’est le moins que l’on puisse dire. Ces jeunes hôtesses privilégiées étaient une vitrine de leur pays pour mettre en valeur leur beauté et leur sourire légendaire.

Elles avaient sans doute eu des parents aisés et la chance de faire des études, d’avoir étudié à l’Université Thamassat de Bangkok entre autres, alors que d’autres étaient exploitées et croupissaient dans des bordels. Je savais tout cela, mais je m’installai avec délices dans le confort de cet avion empli de

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touristes, eux aussi détendus et heureux de recevoir les attentions des hôtesses dont la chevelure noire de jais était ornée de fleurs de jasmin.

Après le salut de bienvenue « Sa-wat-dii Khâ » les mains jointes, les hôtesses s’adressèrent à moi en thaïlandais bien qu’elles maîtrisassent l’anglais et le français. Je leur fis comprendre que je ne parlais pas le thaïlandais. J’avais en effet tout oublié et jamais voulu apprendre ma langue d’origine.

Je connaissais par contre bien la cuisine thaïe et en famille ou entre amis, nous allions souvent dîner dans des restaurants asiatiques. Pendant ce vol de onze heures sans escale, j’appréciai doublement le raffinement et les goûts épicés des mets qui nous furent servis à deux reprises avant d’atterrir sur le tarmac du nouvel aéroport de Bangkok, gigantesque et ultra moderne, situé à trente kilomètres de la capitale, où m’attendait Sawat, un jeune employé de l’Ambassade qui serait mon guide pendant mon séjour.

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III

Bien sûr, je n’avais que de très vagues souvenirs de la capitale, sinon le souvenir de l’abondance et de la saveur de la nourriture, de grands magasins débordant de marchandises, ou de boutiques d’antiquités où étaient présentées des statues de Bouddha que je saluais, tête baissée et mains jointes, sans doute un vieux réflexe de vénération à notre Bouddha appris à l’orphelinat.

Ma mère, qui était revenue en Thaïlande il y a cinq ans pour un voyage culturel jusqu’au Cambodge avec un groupe d’amis auquel je n’avais malheureusement pas pu me joindre, m’avait prévenue : « Bangkok a beaucoup changé. La circulation qui était déjà intense est devenue infernale. C’est maintenant une mégapole éreintante, peuplée de huit millions d’habitants. Peu de quartiers ont échappé à une urbanisation à outrance. »

Bien que prévenue, je fus affolée par le trafic des voitures, taxis, bus, véhicules en tous genres qui s’embouteillaient sur les larges avenues ou sur les voies aériennes, entre une forêt de gratte-ciel, sans parler du métro aérien surplombant l’ensemble, dans

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un tintamarre de klaxons, sonnettes des cyclos-pousse, et une pollution qui voilait le ciel en ce matin de février, alors qu’il aurait dû être d’un bleu azur, avant les nuages qui ne manqueraient pas de s’accumuler dans la soirée.

Sawat me rassura : « Il y a encore des quartiers restés calmes aux maisons basses comme dans l’immense quartier chinois où l’on se perd entre les échoppes aux idéogrammes rouge et or, On peut trouver d’autres havres de paix sur les bords du fleuve Chao Phraya et des quartiers du centre où l’on peut déguster de délicieuses soupes de nouilles chez le petit marchand du coin, à l’ombre d’un gratte-ciel ou d’un hôtel de luxe ».

Si je voulais un peu de fraîcheur, il me recommanda l’air presque froid et moins pollué du métro souterrain construit récemment. Une seule ligne pour l’instant, mais qui traversait la capitale du nord au sud.

Je m’étonnai qu’on ait pu creuser un métro souterrain dans cette ville surnommée autrefois « La Venise de l’Est », car elle était sillonnée de nombreux canaux appelés « klongs », certains comblés au fil des années.

C’était encore, il y a peu, le royaume des rats, comme me l’avait raconté maman, sans compter les risques d’inondations qui étaient fréquentes.

Sawat me proposa que, si j’avais le temps de jouer les touristes, il me ferait visiter le plus pittoresque des marchés flottants installé sur un de ces « klongs » encore existants.

Il était prévu que je n’aille à l’Ambassade de France que le lendemain matin. Aussi c’est avec

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soulagement et un grand plaisir que je découvris l’hôtel presque luxueux où l’on m’avait réservé une grande chambre près de la piscine.

Je fus époustouflée par le raffinement et la décoration du hall d’entrée et du lobby où se mêlaient harmonieusement les soies chatoyantes et les bois précieux des sièges, des rideaux et des fauteuils de rotin et bambou.

Partout le modernisme se confondait agréablement avec le raffinement asiatique.

Il y régnait une fraîcheur bienfaisante que je savourai pleinement après ce long voyage fatigant et l’atmosphère étouffante de la capitale surnommée « La Cité des Anges » = « KRUNP TAEP » à la belle époque du Royaume du Siam.

Cependant, je n’avais pas l’intention de me laisser envahir par une douce torpeur Demain les choses sérieuses commenceraient et je devrai organiser des plans de recherches, faire la liste des lieux où me rendre, rencontrer des responsables du Public Welfare qui gérait les orphelinats, questionner des personnes susceptibles d’avoir connu une fillette appelée Chilinlin, même dans des endroits mal famés. Ma plus grande crainte était de la retrouver dans un de ces gogo-bars ou autres sex-shows dans le quartier de Patpong connu dans le monde entier.

Pourtant un nouveau ministre de l’intérieur avait récemment institué un nouvel « Ordre social » contre la drogue et la débauche : interdiction aux moins de18 ans de traîner dans les rues à des heures indues, aux moins de 21 ans d’entrer dans des établissements « de nuit », fermeture des bars à deux heures du matin. Mais cela n’a tenu qu’un temps.

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Je m’imaginais mille choses horribles, qui sait peut-être était-elle plus loin encore, au Cambodge, au Laos, voire au Vietnam où le commerce des filles est aussi florissant ? Mon esprit fatigué se torturait.

Après le bouillonnement incessant et le tumulte de cette ville, je me demandais bien où étaient passés les Anges censés autrefois protéger Bangkok.

Je finis par m’endormir avec le seul ronronnement du conditionneur d’air. Demain, il ferait jour très tôt, comme d’habitude, vers cinq heures trente du matin. Je devrais être prête.