Classe de Mallampati en pré, per et postpartum : quelle...
Transcript of Classe de Mallampati en pré, per et postpartum : quelle...
1
ACADEMIE de PARIS
Année 2011
MEMOIRE
pour l’obtention du DES
d’Anesthésie-Réanimation
Coordonateur: Mr le Professeur Didier JOURNOIS
par
Mr Mathieu BOUTONNET
Présenté et soutenu le 18 octobre 2011.
Classe de Mallampati en pré, per et postpartum : quelle évolution et quels
facteurs de risque des modifications?
Travail effectué sous la direction de Mme le Professeur Hawa KEITA-MEYER
2
Table des matières
1. Introduction p 3
2. Patients et méthodes p 5
2.1. Plan de l’étude p 5
2.2. Prises en charge anesthésique et obstétricale p 6
2.3. Analyse statistique p 7
3. Résultats p 8
4. Discussion p 10
5. Conclusion p 15
6. Références p 16
Tableaux p 18
Figure 1 p 20
Annexes p 21
Résumé p 26
3
1. Introduction
L’intubation difficile (ID) est définie par la nécessité de plus de deux laryngoscopies et/ou la mise
en œuvre d’une technique alternative après optimisation de la position de la tête, avec ou sans
manipulation laryngée externe[1]. En obstétrique, la survenue d’une ID expose la mère à un risque
d’hypoxémie pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardio-circulatoire hypoxique et au risque d’inhalation
bronchique avec pour conséquence une augmentation de la morbi-mortalité maternelle et fœtale. Le
dépistage d’une ID est donc primordial en obstétrique. La classification de Mallampati permet une
évaluation de la taille relative de la langue par rapport à la cavité orale[2]. Les différentes classes de
Mallampati ont une corrélation plus ou moins bonne avec la visibilité de l’épiglotte définie par les
grades de Cormack et Lehane[3] (Annexe 1). En effet, la corrélation avec les grades de Cormack et
Lehane est bonne pour la classe I associée à un grade I à la laryngoscopie ainsi que pour la classe
IV, généralement associée à un grade III ou IV à la laryngoscopie. Par contre cette corrélation est
mauvaise pour les classes II et III, auxquelles sont associées de façon assez homogène les 4 grades
de Cormack et Lehane.
Utilisé de façon isolée, la classification de Mallampati a une faible valeur prédictive positive pour
dépister l’ID, mais elle présente un intérêt lorsqu’on l’associe à d’autres critères prédictifs d’ID. En
obstétrique, les classes de Mallampati 3 et 4 sont corrélées à la survenue d’une ID, avec une
augmentation respective du risque relatif de 7,6 et 11,3[4]. En lien avec les modifications
physiologiques liées à la grossesse, Pilkington et al. ont rapporté une aggravation de la classe de
Mallampati au cours de la grossesse[5]. Au cours du travail obstétrical, deux études conduites par la
même équipe ont rapporté une aggravation de la classe de Mallampati[6], comme cela avait été noté
dans un cas clinique[7]. Cependant, aucune étude n’a évalué les changements de classe de
Mallampati chez une même population de patientes obstétricales, au cours de la grossesse, pendant
le travail obstétrical et après la délivrance. Le but de notre travail était de décrire les modifications
4
de la classe de Mallampati à chacune de ces étapes et de rechercher les facteurs prédictifs de ces
modifications.
5
2. Patients et méthodes
2.1. Plan de l’étude
Il s’agissait d’une étude prospective observationnelle ayant reçu l’agrément du Comité d’Evaluation
de l’Ethique des projets de Recherche Biomédicale (CEERB) du GHU-Nord (Université Paris 7).
Les patientes étaient incluses après information et recueil du consentement, incluant la possibilité
de sortir de l’étude à n’importe quel moment.
Le recrutement des patientes enceintes a eu lieu sur une période de quatre mois au sein de la
maternité du Centre Hospitalier Universitaire Louis Mourier, à Colombes (92) ; maternité de niveau
3 réalisant 2300 accouchements par an. Le recueil du consentement et l’inclusion étaient réalisés
avant la mise en place de l’analgésie péridurale.
Les critères d’inclusion étaient les suivants : patiente majeure, venant accoucher à un terme
supérieur à 37 semaines d’aménorrhée (SA), d’une grossesse monofœtale et désireuse d’une
analgésie péridurale. Les critères d’exclusion comportaient : une maîtrise insuffisante de la langue
française ne permettant pas de bénéficier d’une information loyale, les refus de consentement, les
grossesses multiples, l’absence de notification de la classe de Mallampati lors de la consultation
d’anesthésie.
La classe de Mallampati était évaluée tête en position neutre, bouche ouverte le plus grand possible,
langue tirée, en l’absence de phonation. Ces évaluations étaient réalisées à quatre reprises : lors de
la consultation d’anesthésie au huitième mois de grossesse (T1), avant la mise en place de la
péridurale (T2), 20 minutes après la délivrance (T3) et 48 heures après la délivrance (T4). Seuls
deux praticiens ont réalisé les évaluations des classes de Mallampati. Toutes les évaluations à T1
étaient pratiquées par le même anesthésiste sénior responsable de la consultation d’anesthésie dans
la structure. L’ensemble des évaluations réalisées aux trois autres temps étaient faites par un seul et
même anesthésiste en formation (MB). Le critère d’évaluation principal était la comparaison du
6
nombre de parturientes présentant une classe de Mallampati 3 ou 4 aux différents temps de
l’évaluation.
Les variables étudiées comme potentiel facteur de risque de modification de la classe de Mallampati
étaient les suivantes :
- entre T1 et T2 : prise de poids en kg pendant la grossesse,
- entre T2 et T3: durée du travail, durée de l’expulsion, volume de cristalloïdes perfusé au
cours du travail,
- entre T1 et T4: durée de l’expulsion et volume de cristalloïdes perfusé au cours du travail.
Les données épidémiologiques, cliniques et de surveillance au cours du travail étaient collectées
dans les dossiers médicaux et complétées par l’interrogatoire des parturientes.
2.2. Prises en charge anesthésique et obstétricale
Le protocole de l’étude n’imposait aucune modification de la prise en charge anesthésique et
obstétricale des parturientes. En particulier, aucune consigne n’était donnée concernant le volume
de cristalloïdes perfusé. Sur le plan anesthésique, le déroulement de l’analgésie péridurale était
réalisé selon les protocoles en vigueur dans le service. Après mise en place d’une voie veineuse
périphérique, d’un monitorage par électrocardioscope, saturométrie de pouls et pression non
invasive, la pose du cathéter d’analgésie péridurale était réalisée en position assise, au travers d’une
aiguille de Tuohy de 17 gauges, selon la technique de perte de résistance sur mandrin liquide.
L’induction et l’entretien de l’analgésie péridurale étaient réalisés selon les protocoles du service
avec en fonction du souhait de la patiente, soit une perfusion continue (6 à 10 ml/h) d’un mélange
de ropivacaïne (2 mg/ml) et de sufentanil (0,4 µg/ml), soit par une perfusion continue (2 à 5 ml/h)
d’un mélange de lévobupivacaïne (1,125 mg/ml) et de sufentanil (0,5 µg/ml) associée à des bolus
de 5 ml autorisés toutes les 10 minutes.
7
2.3. Analyse statistique
Les données ont été répertoriées sur une fiche de recueil conçue spécialement pour l’étude, puis
saisies sous la forme d’un tableur Excel (Microsoft Office Excel 2003). L’analyse statistique a
ensuite été réalisée à l’aide du logiciel SAS (SAS v8.0, Cary, NC, USA).
Les statistiques descriptives sont présentées sous la forme de moyenne et déviation standard pour
les données quantitatives ou en nombre et pourcentage pour les données qualitatives. Le test de Mac
Nemar a été utilisé pour comparer aux quatre temps de l’étude, les groupes de patientes présentant
une classe de Mallampati 3 ou 4. Un test de régression logistique a été utilisé pour tester
l’association entre chaque facteur prédictif et l’évolution de la classe de Mallampati aux temps
définis. Le seuil de significativité a été défini à un risque de première espèce p<0,05.
Notre implication personnelle a consisté en la participation à l’élaboration du protocole de l’étude et
à la rédaction de la demande d’autorisation au comité d’éthique. Nous avons personnellement
informé et inclus l’ensemble des parturientes, ainsi qu’évalué leur classe de Mallampati à trois
reprises pour chaque patiente. Nous avons réalisé l’ensemble du recueil et de la saisie des données.
Enfin, nous avons participé à l’interprétation et à la discussion des résultats, avant de réaliser la
rédaction intégrale du mémoire.
8
3. Résultats
Quatre vingt-dix patientes ont été informées et invitées à participer à l’étude. Deux ont exprimé leur
refus d’inclusion et une a été exclue parce que la classe de Mallampati n’avait pas été notifiée sur le
dossier d’anesthésie lors de la consultation du huitième mois de grossesse. Au total quatre-vingt
sept patientes ont été incluses aucune n’a quitté l’étude en cours de protocole.
L’âge moyen des patientes à l’inclusion était de 31,2 (± 5,2) ans. Le poids moyen en début de
grossesse était de 64,2 (± 13,2) kg, pour un index de masse corporelle (IMC) moyen de 23,9 (± 4,7)
kg/m2. Huit patientes (9,2%) étaient obèses avant le début de leur grossesse et vingt et une (24,1%)
en surpoids. Le tableau 1 résume les caractéristiques démographiques et anthropométriques des
patientes.
Pour les données obstétricales, trente deux (36,8%) patientes étaient nullipares, trente quatre
(39,6%) primipares pares et les 25% restant avaient une parité ≥ 2. L’âge gestationnel moyen au
moment de la consultation du troisième trimestre de la grossesse était de 33 (± 2,2) SA et de 39,8 (±
1,2) SA au moment de l’accouchement. Treize (14,9%) patientes présentaient une pathologie de la
grossesse, parmi lesquelles 3 (3,4%) étaient pré-éclamptiques. Les durées moyennes du travail
obstétrical et de l’expulsion étaient respectivement de 409,3 (± 197,2) minutes et de 17,8 (± 15)
minutes. L’efficacité de l’analgésie péridurale était évaluée par échelle verbale simple (0-10) avec
des scores moyens de 2,4 (± 2,2) au cours du travail et de 2,4 (± 2,9) au cours de l’expulsion. Le
volume moyen de cristalloïdes perfusés au cours de l’accouchement était de 1864,9 (± 709) ml.
Cinquante huit (66,7%) patientes ont eu un accouchement par voie basse non instrumentale, vingt
(23%) une voie basse instrumentale et neuf (10,3%) une césarienne. Deux patientes ont eu une
anesthésie générale pour césarienne et présentaient un grade 1 de la classification de Cormack et
Lehane[3]. Le tableau 2 résume les caractéristiques obstétricales des patientes.
A T1 la répartition des patientes au sein des classes de Mallampati était la suivante : 26 Mallampati
1 (29,9%), 52 Mallampati 2 (59,8%), 9 Mallampati 3 (10,3%) et 0 Mallampati 4 (0%). La classe de
9
Mallampati est restée identique aux quatre temps de l’étude chez trente deux (36,8%) parturientes :
9 des 26 (34,6%) patientes avec une classe 1 à T1, 20 des 52 (38,5%) patientes avec une classe 2 à
T1 et 3 des 9 (33,3%) patientes avec une classe 3 à T1. Pour les cinquante cinq autres patientes
(63,2%), les modifications de classe se faisaient vers une aggravation entre T1 et T2 et entre T2 et
T3 et vers une amélioration entre T3 et T4. Aucune patiente n’a présenté une amélioration entre T1
et T2 ou T2 et T3, ni une aggravation entre T3 et T4. Les trois patientes pré-éclamptiques ont eu
une aggravation de leur Mallampati passant de la classe 2 à T1 à la classe 3 à T2 et T3, pour
retourner à la classe 2 à T4. Entre T2 et T3, période correspondant au travail obstétrical, 30% (26
sur 87) des patientes ont eu une aggravation de la classe de Mallampati.
L’évaluation du critère de jugement principal en groupant les patientes ayant une classe 3 ou 4,
retrouvait les incidences suivantes : 10,3% de classes 3 ou 4 à T1, 36,8% à T2, 51,7% à T3 et
20,7% à T4. Les différences observées étaient statistiquement significatives (T1 versus T2
p=0,0000 ; T2 versus T3 p=0,0005 ; T3 versus T4 p=0,0000 ; T4 versus T1 p=0,0062). La figure 1
montre la répartition des patientes au sein des quatre classes de Mallampati aux différents temps de
l’étude.
La régression logistique n’a retrouvé aucun des facteurs prédictifs étudiés comme statistiquement
significatif des modifications de la classe de Mallampati.
10
4. Discussion
Les résultats de notre étude montrent que près de deux tiers des patientes enceintes présentent une
aggravation de leur classe de Mallampati au cours du dernier mois de grossesse et pendant le travail
obstétrical. Cette aggravation persiste immédiatement après l’accouchement et tend à se corriger
dans les 48 heures suivantes. Malgré tout, à 48 heures certaines patientes conservent une classe de
Mallampati supérieure à celle observée lors de la consultation du huitième mois de grossesse.
La recherche de facteurs prédictifs de cette aggravation afin de déterminer s’il existe une population
à risque s’est avérée négative pour les facteurs que nous avons étudiés, à savoir la prise de poids, la
durée du travail et de l’expulsion et le volume de cristalloïdes perfusé au cours du travail.
L’aggravation de la classe de Mallampati au cours de la grossesse avait déjà été mise en
évidence dans une étude précédente, qui avait comparé les classes de Mallampati de 242
patientes enceintes évaluées une première fois à 12 SA et une seconde fois à 38 SA[5]. La
méthode d’évaluation était sensiblement différente de celle que nous avons employée. Deux
photographies étaient réalisées pour chaque évaluation soit quatre par patientes, puis trois
évaluateurs devaient donner la classe de Mallampati sur vision des photographies, en ne
sachant dans aucun cas à quel moment la photographie avait été prise. Les résultats
retrouvaient une augmentation des classes 4 de Mallampati passant en moyenne de 42% des
cas à 12 SA contre 56% des cas à 38 SA. Il faut souligner une différence importante dans la
distribution des classes de Mallampati entre nos résultats et ceux de cette étude, où à 38 SA
les classes 1 représentaient 5% des cas, les classes 2 10%, les classes 3 29% et les classes 4
56%. Le moment de notre étude se rapprochant le plus de 38 SA est T2 (en moyenne 39,8
SA), or les taux de classes 1, 2, 3 et 4 étaient respectivement de 16,1%, 47,1%, 33,3% et
3,5%, alors même qu’une éventuelle aggravation de la classe de Mallampati au cours de la
grossesse laisse supposer que nous aurions dû observer des taux encore plus élevés dans les
classes 3 et 4 que ceux déjà très importants rapportés dans le travail de Pilkington.
11
L’hypothèse que nous formulons pour expliquer ces différences, vient du mode d’évaluation.
Dans les deux cas, la tête était en position neutre. Dans notre travail, l’évaluation était
clinique, ce qui implique qu’elle comportait une part dynamique, laissant à l’évaluateur
l’opportunité de choisir comme classe de Mallampati la meilleure vision de l’oropharynx
obtenue au cours du test. Dans l’étude de Pilkington, un appareil photographique était fixé 30
cm en face du pharynx des patientes et deux clichés étaient réalisés, par un photographe dont
on ne sait s’il était anesthésiste ou non. Par conséquent, la part dynamique de l’évaluation est
supprimée et par là-même l’opportunité de choisir la meilleure vue de l’oropharynx. C’est
pour tenter d’éliminer ce biais que les auteurs avaient réalisé deux clichés par évaluation, mais
l’agrément entre les photographies était médiocre (test de kappa à 0,64). En contre partie,
l’avantage est de pouvoir rendre aveugle les observateurs vis-à-vis de la période d’évaluation.
Malgré tout, il semble que la méthode photographique employée ait pu contribuer à aggraver
faussement les classes de Mallampati et ce aux deux temps de l’évaluation comme en
témoignent les taux déjà très élevés de classes 3 et 4 à 12 SA, respectivement 36% et 42% des
cas[5]. L’autre différence notable entre ces deux études est que Pilkington retrouvait une
corrélation entre la prise de poids pendant la grossesse et l’incrément de la classe de
Mallampati, point que nous n’avons pas mis en évidence. La prise de poids en cours de
grossesse semble comparable dans les deux études, avec un poids médian à 60.3 (41,8-79,2)
kg à 12 SA contre 71.3 (53-94,5) à 38 SA, alors que nos patientes avaient une prise de poids
en moyenne de 12,3 (± 5,8) kg. Ces prises de poids en cours de grossesse sont tout à fait
comparables à celles décrites dans la littérature, comme en témoigne l’enquête périnatale de
2003 avec en moyenne en France, une prise de poids de 12,9 (±5,3) kg[8]. L’absence de
corrélation entre l’augmentation de la classe de Mallampati et la prise de poids, dans notre
étude peut s’expliquer par le fait que le délai entre les deux évaluations va de 33 (± 2,2) SA à
39,8 (± 1,8) SA, alors qu’il s’étend de 12 à 38 SA dans l'étude de Pilkington. Ceci laisserait
12
supposer que les effets de la prise de poids sur la classe de Mallampati sont plus marqués en
début de grossesse et ont moins d’impact sur les modifications observées au cours du dernier
mois.
Dans une étude publiée plus récemment, Kodali et al. rapportaient des changements de classe
de Mallampati dans une cohorte de 61 parturientes évaluées en début puis en fin de travail[6].
Vingt-trois patientes (37,7%) ont eu une aggravation de leur classe de Mallampati au cours du
travail. Dans notre étude, entre T2 et T3, période correspondant au travail obstétrical, 30%
(26/87) des patientes ont eu une aggravation de la classe de Mallampati. Dans l’étude de
Kodali, le taux de classes 3 ou 4 était multiplié par 1,7 entre les deux évaluations passant de
27,9% à 49,2%. Nos résultats sont concordants avec ceux précédemment décrits puisque le
taux de classes 3 ou 4 est multiplié par 1,4 entre T2 et T3, passant de 36,8% à 51,7%. De
même, cette première étude avait recherché les facteurs prédictifs d’une aggravation du
Mallampati en cours de travail parmi lesquels le poids au début de la grossesse, la taille, la
durée de travail et le volume de liquides administré. Tout comme dans notre étude, aucun des
facteurs étudiés ne s’est révélé prédictif d’un changement de classe de Mallampati, conduisant
à l’impossibilité de déterminer une population à risque de changement. L’argument sur lequel
nous nous sommes basés pour déterminer les facteurs prédictifs repose sur le fait que l’œdème
des voies aériennes peut entrainer une aggravation de la classe de Mallampati. D’autre part,
des manœuvres de Valsalva importantes peuvent être associée à une majoration de cet œdème
au niveau des voies aériennes[9]. Sur ces éléments, nous avons retenu le volume de
cristalloïdes perfusé, la durée du travail et la durée de l’expulsion, cette dernière pouvant être
le témoin d’efforts expulsifs importants. Cependant, aucun de ces facteurs n’a été identifié
comme facteur d’aggravation de la classe de Mallampati dans notre étude.
Nous avons également cherché à déterminer s’il existait un retour vers la classe de
Mallampati initiale (T1) 48 heures après la délivrance. Nos résultats sont en faveur d’un
13
retour aux classes de Mallampati initiales, même si les modifications observées n’avaient pas
complètement disparu chez toutes les parturientes 48 heures après la délivrance. En effet,
20,6% des patientes présentaient une classe de Mallampati 3 ou 4 à T4 alors qu’elles n’étaient
que 10,3% en classe 3 et 0% en classe 4 lors de la consultation d’anesthésie. Aucun facteur
n’était là encore prédictif de ces modifications. Dans l’étude de Kodali, 18% des patientes qui
avaient aggravé leur Mallampati en cours de travail ne revenait pas à leur Mallampati de pré-
travail.
La proportion très faible de patientes pré-éclamptiques (3/87) dans notre travail ne nous a pas
permis d’analyser ce sous-groupe de patientes. C’est une limite de notre étude. En effet, la
pré-éclampsie est un facteur reconnu de rétention liquidienne et peut conduire à un œdème
des voies aériennes supérieures. Plusieurs publications ont déjà souligné la possible
implication de la pré-éclampsie dans la survenue d’un œdème des voies aériennes
supérieures[10-12]. Des études spécifiques sur cette population de femmes enceintes sont
nécessaires pour évaluer l’importance de la pré-éclampsie dans la survenue d’une dégradation
des critères prédictifs d’ID.
L’évaluation de la classe de Mallampati est sujette à une variabilité inter-observateur[13], que
nous avons cherché à diminuer en réalisant les 3 dernières évaluations par un seul observateur
et les premières observations par un seul évaluateur également. En contrepartie, cette stratégie
a comme limite le fait que les évaluateurs ne sont pas aveugles du moment de l’évaluation. Si
cette situation pose peu de problèmes pour les premières évaluations, elle peut introduire un
biais d’évaluation pour les trois dernières. La méthode adoptée par d’autres équipes[5,6]
consistant à utiliser des photographies pour permettre une évaluation en aveugle de la classe
de Mallampati comporte un risque de surestimation du Mallampati, puisqu’elle ne permet pas
de choisir la meilleure vue de l’oropharynx, mais un seul aperçu momentané. L’impact de
cette limite sur la qualité de notre évaluation semble cependant faible, puisque en
14
comparaison avec l’étude de Pilkington[5], le pourcentage de classes 3 et 4 est moins grand
en début de travail et qu’en comparaison avec l’étude de Kodali[6]. Ces données sont
comparables avec un taux de classes 3 ou 4 multiplié par 1,4 pendant le travail pour notre
étude contre 1,7 dans l’étude de Kodali.
En résumé, les résultats de notre travail confirment qu’une aggravation de la classe de
Mallampati est possible en cours de grossesse et notamment lors du dernier mois. Cette
aggravation peut se produire également au cours du travail obstétrical et n’est pas
complètement résolue chez toutes les patientes 48 heures après l’accouchement. Ce
phénomène n’est pas rare puisqu’il concerne toutes périodes confondues, deux tiers des
patientes. Ces données incitent fortement à préconiser une évaluation répétée des critères
d’intubation et de ventilation difficile avant toute prise en charge des voies aériennes
supérieures pendant la grossesse et le péri-partum. En effet, les classes 3 et 4 de Mallampati
fréquemment observées sont corrélées à l’ID en obstétrique[4] et sont également des facteurs
de risque indépendants de ventilation au masque difficile pour la population générale[14].
15
5. Conclusion
La gestion des voies aériennes reste une problématique majeure de l’anesthésie générale chez
la femme enceinte. Elle doit comporter une évaluation précoce des critères prédictifs d’ID.
Notre étude montre qu’il peut exister une aggravation de la classe de Mallampati au cours du
dernier mois de la grossesse et lors du travail obstétrical. Cette aggravation peut persister
jusqu’à 48 heures en post-partum. Ce résultat plaide pour une réévaluation des critères
d’accès aux voies aériennes avant toute anesthésie chez une femme enceinte au cours du
dernier mois de grossesse et jusqu’à 48 heures en post-partum. A ce jour, aucun critère
clinique ne permet de prévoir qu’elle patiente est à risque de présenter une modification de la
classe de Mallampati au cours de cette période.
Ce travail a fait l’objet d’une publication (Annexe 2).
16
6. Références
1. Diemunsch P, Langeron O, Richard M, Lenfant F: [Prediction and definition of
difficult mask ventilation and difficult intubation: question 1. Societe Francaise d'Anesthesie et de
Reanimation.]. Ann Fr Anesth Reanim 2008; 27: 3-14
2. Mallampati SR, Gatt SP, Gugino LD, Desai SP, Waraksa B, Freiberger D, Liu
PL: A clinical sign to predict difficult tracheal intubation: a prospective study. Can Anaesth
Soc J 1985; 32: 429-34
3. Cormack RS, Lehane J: Difficult tracheal intubation in obstetrics. Anaesthesia
1984; 39: 1105-11
4. Rocke DA, Murray WB, Rout CC, Gouws E: Relative risk analysis of factors
associated with difficult intubation in obstetric anesthesia. Anesthesiology 1992; 77: 67-73
5. Pilkington S, Carli F, Dakin MJ, Romney M, De Witt KA, Dore CJ, Cormack
RS: Increase in Mallampati score during pregnancy. Br J Anaesth 1995; 74: 638-42
6. Kodali BS, Chandrasekhar S, Bulich LN, Topulos GP, Datta S: Airway
changes during labor and delivery. Anesthesiology 2008; 108: 357-62
7. Farcon EL, Kim MH, Marx GF: Changing Mallampati score during labour.
Can J Anaesth 1994; 41: 50-1
8. Blondel B, Supernant K, du Mazaubrun C, Bréart G: Enquête Nationale
Périnatale 2003. Situation en 2003 et évolution depuis 1998. Paris, INSERM, 2005.
http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/perinat03/enquete.pdf
9. Jouppila R, Jouppila P, Hollmen A: Laryngeal oedema as an obstetric
anaesthesia complication: case reports. Acta Anaesthesiol Scand 1980; 24: 97-8
10. Heller PJ, Scheider EP, Marx GF: Pharyngolaryngeal edema as a presenting
symptom in preeclampsia. Obstet Gynecol 1983; 62: 523-5
17
11. O'Connor R, Thorburn J: Acute pharyngolaryngeal oedema in a pre-eclamptic
parturient with systemic lupus erythematosus and a recent renal transplant. Int J Obstet
Anesth 1993; 2: 53-5
12. Seager SJ, Macdonald R: Laryngeal oedema and pre-eclampsia. Anaesthesia
1980; 35: 360-2
13. Tham EJ, Gildersleve CD, Sanders LD, Mapleson WW, Vaughan RS: Effects
of posture, phonation and observer on Mallampati classification. Br J Anaesth 1992; 68: 32-8
14. Langeron O, Masso E, Huraux C, Guggiari M, Bianchi A, Coriat P, Riou B:
Prediction of difficult mask ventilation. Anesthesiology 2000; 92: 1229-36
15. Samsoon GL, Young JR: Difficult tracheal intubation: a retrospective study.
Anaesthesia 1987; 42: 487-90
18
Tableau 1. Caractéristiques démographiques et anthropométriques des patientes (n = 87).
Age (ans) 31,2 (5,2)
Poids en début de grossesse (kg) 64,2 (13,2)
Taille (cm) 164,0 (6,3)
Indice de masse corporelle (IMC) (kg/m2) 23,9 (4,7)
IMC <20 (%) 15 (17,2)
IMC 20-25 (%) 43 (49,4)
IMC 25-30 (%) 21 (24,1)
IMC >30 (%) 8 (9,2)
Données présentées en moyenne (déviation standard) ou nombre (%).
19
Tableau 2. Caractéristiques obstétricales des patientes (n = 87).
Age gestationnel (SA) 39,8 (1,2)
Parité
0 (%) 32 (36,8)
1 (%) 34 (39,1)
2 (%) 14 (16,1)
>2 (%) 7 (8,0)
Age gestationnel (SA) à la consultation 33,0 (2,2)
Prise de poids (kg) 12,3 (5,8)
Pathologie obstétricale (%) 13 (14,9)
Hypertension 5 (5,7)
Diabète 10 (11,5)
Pré-éclampsie 3 (3,4)
Dilatation cervical à T2 (cm) 3,9 (1,6)
Douleur lors du travail (0-10) 2,4 (2,2)
Douleur lors de l’expulsion (0-10) 2,4 (2,9)
Consommation d’ocytocine (UI) 9 (4,9)
Volume de cristalloïdes perfusé (ml) 1864,9 (709,0)
Durée du travail (min) 409,3 (197,2)
Durée de l’expulsion (min) 17,8 (15,0)
Voies basses spontanées / instrumentales (%) 58 (66,7) / 20 (23,0)
Césariennes (%) 9 (10,3)
Données présentées en moyenne (déviation standard) ou nombre (%).
20
Figure 1. Répartitions des patientes dans les classes de Mallampati aux 4 temps de l’étude.
Les pourcentages de patientes avec une classe 3 ou 4 de Mallampati varient de façon significative:
T1 versus T2, p = 0.0000; T2 versus T3, p = 0.0005; T3 versus T4, p = 0.0000; T4 versus T1, p =
0.0062.
29,916,1
10,323
59,8
47,1
37,9
56,3
10,3
33,3
36,8
14,9
3,514,9
5,7
0%
20%
40%
60%
80%
100%
T1 T2 T3 T4
Temps
% d
es p
atie
ntes Mallampati 4
Mallampati 3Mallampati 2Mallampati 1
21
Annexes
Annexe 1. Classification de Mallampati et grade de Cormack et Lehane.
La classe de Mallampati est évaluée chez un sujet éveillé, assis ou debout, qui ouvre la bouche aussi
grand que possible et tire la langue aussi loin que possible, en l’absence de phonation. Elle permet
d’estimer la taille de la langue par rapport aux structures oropharyngées et parallèlement d’évaluer
l’ouverture de bouche. Initialement elle comportait 3 classes en fonction des structures
oropharyngées visibles. Elle est actuellement utilisée dans sa version modifiée par Samsoon et
Young qui ont ajouté une classe IV où seul le palais dur est visualisé[15].
26
Résumé
Introduction
Les classes de Mallampati 3 ou 4 sont un facteur de risque d’intubation difficile en obstétrique.
L’objectif de notre étude était de déterminer l’évolution de la classe de Mallampati en pré, per et
post-partum et de rechercher des facteurs prédictifs de cette évolution.
Patients et méthodes
Etude prospective observationnelle réalisée au sein de la maternité de l’hôpital Louis Mourier, à
Colombes. La classe de Mallampati était évaluée à 4 reprises, chez des patientes au terme, d’une
grossesse monofœtale et désireuses d’une analgésie péridurale : lors de la consultation d’anesthésie
au huitième mois de grossesse (T1), avant la mise en place de la péridurale (T2), 20 minutes après
la délivrance (T3) et 48 heures après la délivrance (T4). Le critère d’évaluation principal était la
comparaison du nombre de parturientes présentant une classe de Mallampati 3 ou 4 aux différents
temps de l’évaluation.
Une régression logistique multivariée a ensuite été réalisée pour rechercher les facteurs de risque de
modification de la classe de Mallampati : prise de poids pendant la grossesse, durées du travail et de
l’expulsion et volume de cristalloïdes perfusé au cours du travail.
Résultats
87 patientes ont été incluses. La classe de Mallampati ne changeait pas chez 37% des patientes. Les
proportions de classe 3 ou 4 de Mallampati aux 4 temps étaient : T1=10,3%; T2=36,8%; T3=51,7%
and T4=20,7%. Les différences observées étaient toutes statistiquement significatives : T1 vs T2,
p<0,0001; T2 vs T3, p=0,0005; T3 vs T4, p<0,0001; T4 vs T1, p=0,0062. Aucun des facteurs
étudiés ne s’est révélé prédictif d’une évolution de la classe de Mallampati.
Conclusion
L’incidence des classes 3 ou 4 de Mallampati augmente pendant le dernier mois de grossesse et
pendant le travail obstétrical. Cette aggravation de la classe de Mallampati peut encore exister chez
certaines patientes 48 heures après la délivrance. Cette étude confirme l’absolue nécessité de
réévaluer les critères d’accès aux voies aériennes avant toute prise en charge anesthésique de la
femme enceinte.