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MMOIRES POUR SERVIR LHISTOIRE DE LA GUERRE DE 1914-1918

FERDINAND FOCH

AVANT-PROPOS PRFACE

LE VINGTIME CORPSChapitre premier Le 20e corps en couverture, 25 juillet 13 aot 1914. Chapitre II Le 20e corps dans loffensive de Lorraine. La bataille de Morhange, 14-20 aot 1914. Chapitre III Le 20e corps pendant la retraite de la Meurthe et la contre-offensive, 21-28 aot 1914.

LA 9e ARME, 19 AOT - 4 OCTOBRE 1914Chapitre premier La retraite. Chapitre II La bataille de la Marne. Chapitre III La fin de la bataille et la poursuite. 10-12 septembre. Chapitre IV Larrt.

LA BATAILLE DES FLANDRES - OCTOBRE 1914 - AVRIL 1915Chapitre premier La manuvre du nord. Chapitre II La bataille de lYser. Chapitre III La bataille dYpres. Chapitre IV Les vnements sur le reste du front des armes du nord. 17 octobre-20 novembre. Chapitre V Coup doeil densemble sur la bataille des Flandres. Chapitre VI Premires tentatives allies contre le front fortifi allemand. Regroupement des forces allies dans les Flandres. Dcembre 1914-avril 1915.

DE MARS 1918 LA FIN DE LA GUERREChapitre premier Loffensive allemande du 21 mars et laccord de Doullens. Chapitre II Les premiers actes du commandement. Chapitre III Laccord de Beauvais. Chapitre IV Le rtablissement de la situation allie la Somme et leffort allemand dans les Flandres. Chapitre V La question des effectifs des armes allies en France.

Chapitre VI Lattaque allemande de Reims Montdidier (27 mai-13 juin). Chapitre VII Dans lattente (13 juin-15 juillet). Chapitre VIII La deuxime bataille de la Marne. Chapitre IX Le mmoire du 24 juillet. Chapitre X Offensives partielles des allis (aot-septembre 1918). Chapitre XI Loffensive gnrale des armes allies, du 26 septembre au 15 octobre. Enlvement de la position Hindenburg. Chapitre XII Le problme des effectifs, des fabrications de guerre et des communications lautomne de 1918. Chapitre XIII Loffensive gnrale des armes allies du 15 octobre au 11 novembre 1918. Chapitre XIV Larmistice. Chapitre XV La marche au Rhin.

AVANT-PROPOS.Au cours de la dernire guerre, mes fonctions mont successivement appel diffrents postes, dabord la tte du 20e corps, et ce sont alors les oprations de Lorraine jusqu la fin daot 1914. Puis je commande la 9e arme, et cest la bataille de la Marne. Aprs cela, comme adjoint au gnral commandant en chef, je suis charg de coordonner dans le nord les actions des troupes franaises avec les troupes allies, britanniques et belges ; ce sont alors les batailles de lYser, dYpres, les attaques dArtois et la bataille de la Somme, qui nous mnent la fin de 1916. Comme chef dtat-major gnral de larme en 1917, je fonctionne titre de conseiller militaire du gouvernement franais. Il a en effet dcid de prendre part la conduite de la guerre. Jassure, entre autres entreprises, notre coopration en Italie ds le mois davril. Je la dirige personnellement la fin doctobre et pendant le mois de novembre de la mme anne. Enfin je participe linstallation de larme amricaine en France. En 1918, comme prsident du comit militaire excutif de Versailles, puis comme commandant en chef des armes allies, je prpare et conduis lensemble des forces allies du front dOccident. Aujourdhui, en toute sincrit, jcris mes souvenirs. Ils ne forment pas une histoire de la guerre, mais seulement le rcit des vnements auxquels jai pris part. Comme on vient de le voir, cest seulement dans la dernire anne que ce rcit peut porter sur lensemble du front dOccident. Il a t crit daprs les impressions que nous prouvions au moment de laction, comme aussi daprs les renseignements que nous avions ou les hypothses que nous faisions sur lennemi, ce moment toujours plein dincertitudes. Pour saisir comment jai vu et interprt les vnements, peut-tre nest-il pas inutile au lecteur de remonter plus haut, de connatre sommairement le pass de celui qui a crit. Les manires de voir et de faire dun homme dun certain ge proviennent en effet dune formation qui les explique naturellement quand on la connat, comme aussi de certaines circonstances particulires qui ont marqu dans sa vie, au point den orienter et den fixer constamment la conduite. N Tarbes, au pied des Pyrnes, en octobre 1851, dune famille entirement pyrnenne, javais fait mes tudes successivement au lyce de Tarbes, au lyce de Rodez, au petit sminaire de Polignan, dans la Haute-Garonne, puis au collge des jsuites de Saint-Michel Saint-tienne, partout o la carrire de fonctionnaire de mon pre avait entran ma famille. Saint-tienne staient termines mes tudes prparatoires au baccalaurat s lettres, ct du futur marchal Fayolle. Bien que jaie pu songer de bonne heure lcole polytechnique comme lillustre camarade que je viens de citer, nos familles et nos matres navaient pas cru avantageux de nous pargner le circuit littraire qui allait videmment retarder le commencement de notre prparation lcole. Cest ainsi quaprs la classe de philosophie nous passions notre baccalaurat s lettres avant daborder les tudes scientifiques. Si le propre de ces dernires, de la formation mathmatique notamment, est dhabituer lesprit considrer des grandeurs et des formes matriellement dfinies, comme aussi prciser des ides sur ces sujets, les enchaner par un raisonnement implacable et faonner ainsi cet esprit une mthode de raisonnement des plus rigoureuses,

le propre des tudes de lettres, de philosophie et dhistoire, est avant tout, en quittant le monde de lobservation, de faire natre et de crer des ides sur le monde vivant, par l dassouplir et dlargir lintelligence, au total de la maintenir en veil, active et fconde, en prsence du domaine de lindfini quouvre la vie. Devant ce vaste horizon qui est pourtant une ralit, il faut bien, pour avancer, tout dabord voir large, percevoir clairement, puis, un but tant choisi, y marcher rsolument par des moyens dapproche et de conqute dune efficacit bien assure. Cest ainsi que la double prparation de connaissances gnrales et dtudes spciales se montre avantageuse, semble-t-il, pour qui veut, non seulement connatre un mtier, mais aussi le faire au besoin voluer et lappliquer successivement de nouveaux buts, dune nature souvent diffrente. Lavenir ne fera sans doute quaccentuer, pour lofficier notamment, cette ncessit de la culture gnrale ct du savoir professionnel. mesure que stend le domaine de la guerre, lesprit de ceux qui la font doit slargir. Lofficier de relle valeur ne peut plus se contenter dun savoir professionnel, de la connaissance de la conduite des troupes et de la satisfaction de leurs besoins, ni se borner vivre dans un monde part. Les troupes sont en temps de paix la partie jeune et virile de la nation, en temps de guerre la nation arme. Comment, sans une constante communication avec lesprit qui anime le pays, pourrait-il exploiter de pareilles ressources ? Comment pourrait-il prsider aux phnomnes sociaux, caractristiques des guerres nationales, sans un certain savoir moral et politique, sans des connaissances historiques lui expliquant la vie des nations dans le pass et dans le prsent ? Une fois de plus, la technicit ne lui suffira plus. Il la faut double dune grande somme dautres facults. Facilement il comprendra dailleurs que son esprit et son caractre se prparent mieux pour la guerre venir, et que la carrire se fait plus docilement dans la paix, si, dans un entier sentiment de discipline, il se maintient constamment par une intelligence largement en veil la hauteur des circonstances et des problmes qui se prsenteront sur sa route, plutt quen vivant uniquement de la vie de garnison et en se laissant obsder par lide de gravir les chelons de la hirarchie, sans justifier de capacits grandissantes. dfaut de cette conception, lofficier de carrire risque de se voir prfrer, au jour de la guerre, lofficier de complment muni certainement du savoir indispensable, mais que le train dune vie plus productive a maintenu dans une plus fconde activit. En tout cas, aprs avoir termin mes tudes littraires au collge saint-Michel, jallais Metz, en 1869, poursuivre au collge Saint Clment ma prparation lcole polytechnique. Ctait un tablissement trs bien dirig, en plein dveloppement, principalement recrut en Alsace et en Lorraine, prparant de nombreux candidats aux coles de ltat : polytechnique, Saint-Cyr et forestire, dans des cours remarquablement faits. Deux hommes notamment, le pre Saussi et le pre Causson, y tenaient une grande place par leur savoir et par leur dvouement absolu la formation de leurs lves. Un patriotisme ardent les animait sur cette frontire toujours menace. Ils le communiquaient leurs disciples, ils en poursuivaient un premier couronnement dans le succs de leurs lves aux concours dadmission aux coles. Les vnements de 1870 nous trouvaient dans cette excitation laborieuse. Ils allaient nous laisser des souvenirs profonds. Cest, ds la fin de juillet 1870, une importante partie de larme franaise se runissant autour de Metz dans un

excellent esprit mais avec un manque dorganisation impressionnant. Cest, par un soir dclinant, lempereur Napolon III arrivant pour prendre le commandement en chef et remontant la rue Serpenoise, affal dans sa voiture dcouverte, accompagn du prince imprial au regard inquiet et interrogateur, escort des magnifiques cent-gardes, au milieu dune population anxieuse et trouble la vue de ce tableau de lassitude. Cest linstallation la prfecture du quartier gnral de lempereur et de sa suite, aux grands noms et aux splendides uniformes. Puis, dans les journes des 4, 5, 6 aot, pendant que seffondrent les destines de la France en des rencontres significatives, ce sont nos compositions dadmission lcole polytechnique faites au lyce de Metz, toutes fentres ouvertes, au bruit lointain du canon, et dont la dernire, la composition franaise, pouvait donner rver aux candidats par son fond prophtique : dvelopper cette pense de Klber : il faut que la jeunesse prpare ses facults. Cest le 7 aot, un dimanche, lempereur, commandant en chef, allant la gare de Metz prendre le train pour Forbach, apprenant par le chef de gare que les trains nallaient plus jusqu Forbach vacu la veille, la suite dune bataille perdue, et rentrant la prfecture immdiatement ferme pour prendre laspect dun quartier gnral en dsastre. Cest la population messine agite, voyant partout des espions quelle veut jeter la Moselle. Cest ensuite la premire proclamation de lempereur annonant la France ses dfaites, trois batailles perdues, et dnaturant la vrit par sa ponctuation : le marchal de Mac-Mahon me tlgraphie quil a perdu une grande bataille sur la Sarre. Frossard attaqu par des forces suprieures au lieu de : le marchal De Mac-Mahon me tlgraphie quil a perdu une grande bataille. Sur la Sarre, Frossard attaqu par des forces suprieures, cest la consternation partout. Laprs-midi, ce sont les populations des campagnes envahies ou menaces refluant vers la ville et larrire, la premire vision des consquences de la dfaite, lexode lamentable des familles chasses de leur foyer, emportant, dans le dsarroi dun dpart imprvu et les fatigues dune marche sans abri et laventure, les vieillards, les femmes, les enfants, une faible partie de leur avoir, btail ou mobilier, avec le dsespoir dans lme et la misre en perspective. Nous-mmes, les lves de Saint Clment, nous quittions Metz quelques jours aprs pour rentrer dans nos familles. Sur la ligne de Metz Paris, ce sont des mouvements en tous sens de trains de troupes du 6e corps envoys de Chlons Metz et refouls en cours de route sur Chlons par crainte dinterruption de la voie ferre aux approches de Metz. Aux abords de Paris passent ensuite les troupes du 7e corps, rappeles de Belfort, puis celles du 1er corps ramenes de Charmes, aprs Froeschwiller, vers le camp de Chlons. Et quelque temps aprs, ce sont les trains des pompiers des communes de France arrivant avec leurs casques lgendaires et leurs fusils pierre lappel du gouvernement, pour assurer la dfense de la capitale. la vue de leur organisation disparate et archaque, le gouvernement se rendait bientt compte de leur inaptitude la tche envisage et rendait leurs communes ces dvous citoyens nullement prpars la guerre. Partout, on le voit, rgnait cet esprit de dsordre et derreur de la chute des rois funeste avant-coureur. Ltat seffondrait, dont le gouvernement, endormant le pays dans une paix de prosprit, de bien-tre et de luxe, avait dtourn les regards de la nation de lapproche du danger, sans pourvoir lui-mme aux prcautions indispensables ni assurer lentretien moral et matriel de larme quil avait, et qui et pu,

soigneusement et intelligemment administre, retarder pour le moins et rduire le dsastre. Comme on peut le penser, cette traverse au milieu des symptmes dun effondrement, comme prcdemment cette vue des premiers effets de la dfaite, ne pouvait tre quune srieuse leon pour de jeunes esprits. De mon ct, par la suite, je mengageais pour la dure de la guerre au 4e rgiment dinfanterie ; la lutte se terminait sans que jy eusse pris une part active. Libr au mois de mars 1871, je reprenais la route de Metz pour aller y retrouver, en une anne scolaire fortement courte, un cours de mathmatiques spciales dj vu, avec le mme professeur, le pre Saussi, et tcher daboutir, cette mme anne, lcole polytechnique. Au collge Saint Clment, nous partagions lhabitation avec des troupes allemandes de passage, et en permanence avec un bataillon du 37e rgiment pomranien. Ce voisinage ne manquait pas de crer de nombreux incidents, car ceux qui le constituaient tenaient nous faire sentir le poids de leur victoire, et, dans des assauts pleins de violence et de brutalit, affirmer tout propos et sans plus de prtexte le droit de tout faire quelle crait leurs yeux. De l, nous allions Nancy subir trois poques de lt 1871 les preuves crites, puis les examens oraux dadmissibilit et dadmission lcole polytechnique. Le gnral De Manteuffel gouvernait la Lorraine occupe et commandait larme doccupation. Il rsidait sur la place Carrire, dans le palais du gouvernement o la dclaration de guerre de 1914 devait me trouver commandant le 20e corps darme. Il y recevait leur passage de nombreux htes allemands de marque, princes, gnraux, ou grands tats-majors, et ctait chaque fois de bruyantes manifestations denthousiasme, des parades et des retraites militaires importantes en lhonneur des personnalits qui avaient men les armes la victoire ou qui par le trait de paix avaient, malgr les unanimes protestations des populations, violemment arrach la France lAlsace et la Lorraine. Aprs avoir t plusieurs fois le tmoin de ces scnes, cest de l que je partais pour entrer, en octobre 1871, lcole polytechnique, dans un Paris tout fumant encore des incendies et des ravages de la commune. Ici le pays tait refaire. Quand il avait t question de mon entre lcole polytechnique, cest surtout les carrires civiles, dont elle ouvre les portes, que ma famille avait envisages. Mais, aprs la fin de la guerre malheureuse dont nous sortions, une premire tche simposait tous, la jeunesse notamment, de travailler au relvement de la patrie ds prsent dmembre et constamment menace dune destruction totale. Aussi je nhsitais pas me ranger parmi les volontaires pour lartillerie, dsigns sous le nom de petits chapeaux, appels entrer lcole dapplication de Fontainebleau aprs quinze mois dcole polytechnique, et en sortir au mois de septembre 1874 pour arriver comme officiers dans les rgiments. Au lendemain de nos dsastres et malgr une indemnit considrable paye au vainqueur, la France, entirement dsarme par leffet des capitulations qui avaient livr son matriel lennemi, refaisait rapidement ses institutions militaires, comme aussi son armement. Elle se mettait la hte en tat de tenir tte en cas de besoin un adversaire toujours menaant, trangement surpris de la voir se relever rapidement, et sur le point, pour achever sa destruction, de recommencer la guerre, en 1875 notamment. Cest dans cette priode de rorganisation htive et de moyens encore insuffisants que je dbutais dans lartillerie, au 24e rgiment, Tarbes. Il y rgnait heureusement un noble lan de tous et une fivreuse activit. Et ce train des dbuts de la paix devait longtemps se maintenir. On ne saura jamais assez

clbrer le noble effort dont furent capables, dans larme, les vaincus de 1870 et les gnrations qui les suivirent, pour refaire nos troupes et les prparer la bataille, comme aussi pour tudier et comprendre la grande guerre, dont larme du second empire avait perdu la notion, la suite dexpditions heureuses hors dEurope et aprs une facile campagne dItalie buts et moyens restreints. Chacune des coles militaires par lesquelles je passais : cole polytechnique, coles dapplication dartillerie, puis de cavalerie, nous fournissait un puissant enseignement, un dveloppement progressif de nos facults, comme aussi de rels sujets de rflexion ; mais lcole suprieure de guerre, o jentrais en 1885, me fut une vritable rvlation. Dans des enseignements plus ou moins thoriques, tablis sur les leons de lhistoire, elle formait un esprit moyen, usant des dons naturels et des connaissances acquises, pouvoir rationnellement aborder les problmes de la grande guerre, les raisonner, les discuter, en avancer la solution sur des bases solides. Elle comprenait, il est vrai, une runion dhommes suprieurs : les Cardot, les Maillard, les Millet, les Langlois, les Cherfils notamment, remarquables par leur conscience passionne, leur exprience, leur jugement. En partant dtudes historiques minutieusement fouilles, ils parvenaient dfinir et embrasser la fois le domaine moral illimit de la guerre, et fixer, en les raisonnant, les moyens matriels par lesquels on devait le traiter. Par l, ils nous fournissaient, en mme temps quun enseignement tabli, une mthode de travail applicable aux problmes de lavenir. De ces professeurs de lcole de guerre, lun, le commandant Millet, appel tenir par la suite les plus hauts grades dans notre arme, voulut bien me suivre et sintresser moi tout le long de ma carrire. Cest ainsi que plus tard je remplis auprs de lui les fonctions de chef dtat-major de corps darme, puis darme. Il avait exerc une grande influence sur ma manire de voir la lutte prochaine, en me communiquant constamment les rflexions que lui dictaient son exprience de la guerre de 1870 et sa recherche constante de la conduite donner dans lavenir une action de guerre. Pour lui, et depuis 1870, la puissance des feux dominait et matrisait le champ de bataille, au point dy briser llan de toute troupe qui navait pas une indiscutable supriorit de feux. Avec le perfectionnement de larmement, cette puissance devait se rvler encore plus absolue dans la prochaine guerre. Il fallait tout prix se proccuper du traitement lui assurer, en cherchant la prendre son actif par un matriel plus puissant et se soustraire ses effets par des moyens trouver, car ceux que nous pratiquions, tels que nos formations dinfanterie, taient notoirement insuffisants. Ils ne pouvaient que mener la ruine de la troupe. cette action dun feu suprieur devait succder bien entendu lassaut pour enlever la position ennemie, mais l ntait quune partie de la bataille. Le renversement de lennemi, obtenu de la sorte sur un point, allait quand mme tre coteux et limit. Il devait, sous peine de rester strile, tre immdiatement agrandi et exploit par une action monte en vitesse et avec une certaine puissance, capable ainsi dutiliser dans le temps et par les moyens prpars lavance le dsarroi caus dans les organisations de lennemi, dy semer la destruction et dy rpandre le dsordre, dy raliser au total les bnfices dun effort victorieux, mais coteux. Ctait dire que, tout en prparant avec le plus de soins possible le commencement dune action, le chef dune troupe importante devait, bien loin de sarrter aux premiers rsultats tactiques, avoir tudi le dveloppement de

laction, comme aussi avoir prpar les moyens et avanc les lments qui y seront ncessaires ; un puissant effort de dpart, garantir une continuit certaine sinon par le nombre et la violence des coups, du moins par la rapidit et la prcision des nouveaux coups. Seule, lextension immdiate dun succs partiel demande la continuation de lattaque et la rptition prcipite de nouveaux coups, au total une seconde manuvre tenue en rserve, mais prpare fortement, pouvait empcher le rtablissement de ladversaire que facilitait larmement actuel. Seule elle rendrait le succs obtenu non seulement dfinitif, mais assez tendu pour amener une dsorganisation profonde de lennemi et par l faire la victoire. Mon passage, pendant trois ans, au 3e bureau de ltat-major de larme (alors dirig par le gnral De Miribel) mavait amen connatre les dispositions prises par notre tat-major pour mobiliser, concentrer, approvisionner les armes franaises dans la guerre, comme aussi les ides qui constituaient alors notre doctrine de guerre. Devant une arme allemande suprieure par le nombre, par lentranement et par larmement, le gnral De Miribel avait cherch, dans une tude approfondie de nos terrains de lest, trouver de longues positions dfensives sur lesquelles on briserait tout dabord le flot trs tendu, prvoyait-il, de linvasion. Il avait donn ses tudes une ampleur et une porte dune valeur indiscutable. Mais, comme toute stratgie uniquement dfensive, cet art de parer ou de retarder les coups par lutilisation du terrain ne comportait pas dindication de riposte. Il tait alors rserv au gnralissime des armes franaises de fixer, pensait-on, le lieu et le moment o sexcuterait cette contre-offensive, comme si un pareil renversement de lattitude tenue devant lennemi ne comportait pas la dcision la plus difficile prendre judicieusement, la plus difficile faire excuter par les masses qui forment les armes modernes, au total nexigeait pas les plus srieux prparatifs avant de pouvoir tre ralise et daboutir la reprise du mouvement en avant sans laquelle il ny a pas de victoire. Le chef dtat-major mourait avant davoir pu aborder le problme de la contre-offensive et lemploi des troupes qui devaient y correspondre. Ctait dailleurs lpoque o ltat-major allemand renforait ses armes de campagne dune artillerie lourde jusqualors rserve la guerre de sige. Cest simplement pourvu des notions fondamentales du gnral Millet que jabordais ainsi, la fin de 1895, lenseignement de la tactique gnrale lcole suprieure de guerre, pour lequel javais t dsign. Pendant six ans dun travail opinitre, je devais les approfondir et chercher les complter. Quand on sest consacr la recherche de la vrit guerrire, peut-on trouver un excitant plus fort que davoir lenseigner ceux qui la pratiqueront sur les champs de bataille, o se jouent, avec la vie de leurs soldats, les destines de leur pays ? Et pour en imprgner des esprits ouverts, mais que la pratique de la vie militaire a parfois rendus sceptiques sur les tudes dcole, ne faut-il pas la poursuivre ardemment jusqu la tenir solidement ? En ralit, lobligation de fournir un haut enseignement militaire amne se poser bien des questions concernant la guerre, dans ses origines comme dans ses fins, et envisager les vnements qui accompagnent les grands conflits. Cest ainsi quun esprit, qui ne se borne pas la simple pdagogie du mtier des armes, est naturellement entran embrasser la philosophie de la guerre et chercher quels besoins ou quelles aspirations elle rpond dans la vie des peuples ; de quel prix et de quels sacrifices ces peuples laccompagnent ; comment le dveloppement de la civilisation dans la paix, de linstruction et de lindustrie notamment, met chaque jour la disposition de la guerre des moyens nouveaux susceptibles dentraner,

au jour de la lutte, de profondes transformations dans lart de la pratiquer. Napolon disait quune arme devait changer de tactique tous les dix ans. Trente ou quarante ans aprs 1870, quels changements ne devions-nous pas attendre de la part dun adversaire lesprit toujours tendu, depuis Frdric II, vers le perfectionnement de la guerre, dont lessor industriel se montrait prodigieux et qui avait exalt au plus haut point le sentiment national dun peuple en plein dveloppement ? Ses crivains militaires, les Farkenhausen, les Bernhardi, pour nen citer que deux, ne laissaient pas ignorer dailleurs les proportions quallaient atteindre des organisations dun nouveau modle, ni lextension que devait recevoir lapplication aux peuples ennemis des lois de la guerre, cest--dire de la loi du plus fort. Aussi nest-il pas tonnant que lcole de guerre, foyer dtudes, ait, devant cet avenir inquitant, fourni, avec son personnel dinstructeurs choisis dans toutes les armes et dj prouvs, un grand nombre des chefs appels se distinguer dans la grande guerre, sans parler dun remarquable tat-major. Tels les Ptain, les Fayolle, les Maistre, les Debeney, les De Maudhuy. Quand, poursuivi par une politique qui coupait la France en deux partis pour assurer dabord les carrires des officiers soi-disant dvous cette politique, je rentrais dans un rgiment, les annes dcole de guerre avaient fortement marqu leur empreinte dans mon esprit. Javais appris envisager les problmes de la lutte de demain, les discuter froidement dans leur ensemble, leur donner une solution. La vie rgimentaire, en sous-ordre dabord comme lieutenant-colonel du 29e dartillerie sous un colonel particulirement soigneux, comme chef de corps ensuite au 35e dartillerie, me mettait aux prises pendant plus de quatre ans avec les difficults dassurer la ralisation dun plan, dune ide plus ou moins thorique. Lexercice du commandement est certainement la plus grande jouissance de la vie militaire, mais surtout dans le grade de capitaine par linfluence quon exerce de toute faon sur lhomme de troupe intelligent, dvou, actif, quest le soldat franais, et dans le grade de colonel, chef de corps, par celle quon exerce sur un corps dofficiers plein des plus nobles sentiments, dun grand savoir et dun dvouement toutes preuves, et, par ce corps dofficiers, sur tout un rgiment qui est bientt limage de son chef. Mais encore, ce corps dofficiers, faut-il linstruire de sa tche devant lennemi, lgard de ses subordonns, de ses gaux et de ses suprieurs, en ce jour de la bataille o sobscurcit lhorizon contre lequel il faut nergiquement travailler cependant, et o les communications deviennent de plus en plus difficiles entre tous les grades. Chaque grad a actuellement son rle indispensable dans laction ; il ne suffit plus quil soit tenu par un vaillant soldat parfaitement disciplin, il faut quil le soit par un chef sachant son mtier, et capable dinitiative. En tout cas, de mon commandement de rgiment jemportais limpression que notre jeune arme tait capable des plus grands efforts, et quelle devait aboutir la victoire si on lengageait dans des voies praticables avec un matriel de combat suffisant ; affaire du haut commandement, affaire dorganisation. Car, depuis 1890 notamment, nos voisins doutre-Rhin donnaient leur armement un dveloppement inusit par le nombre et la varit des calibres dartillerie quils destinaient la guerre de campagne. Ils perfectionnaient avec le plus grand soin leurs moyens dobservation et de communications. Nous

pouvions tre en retard. Cest dans cet tat desprit, et sans y apporter de modifications profondes, que, continuant ma carrire, jexerais ensuite les fonctions de chef dtat-major dun corps darme, puis de commandant de lartillerie de ce corps darme. En 1908, jtais appel commander lcole suprieure de guerre. Mon passage dans ce foyer de science mamenait proposer une troisime anne dtude pour certains officiers, en prsence des lacunes que lampleur prise dans tous les sens par lart de la guerre laissait encore dans leur savoir aprs les deux seules annes dcole. En 1911, je prenais le commandement de la 14e division, troupe des plus solides, prpare pour la couverture de la concentration ; en 1912, celui du 8e corps darme, et, au mois daot 1913, celui du 20e corps Nancy. Nos corps darme cette poque, avec ladministration des rgions correspondantes, reprsentaient par le personnel de leurs troupes et services, comme aussi par leurs nombreux tablissements, de vastes domaines, dont la direction et la connaissance exigeaient une trs grande activit. peine en possession du 8e corps, il me fallait passer au 20e. Il comprenait deux divisions dinfanterie et une division de cavalerie, toutes, trois effectifs renforcs en vue dune prompte mise sur pied de guerre. Au moment o jy arrivais, il allait comprendre dans ses diffrentes units trois classes au lieu de deux, par suite du vote de la loi qui portait trois ans la dure du service. Il y avait construire les casernements correspondant cette augmentation deffectifs, tendre en proportion les hpitaux et autres services militaires. Nous entreprenions en mme temps la construction des ouvrages fortifis autour de Nancy, et il fallait la hter de toute faon. Cest dire que dans les dernires annes avant la guerre et par suite de mes changements de position successifs, javais d me soumettre un train de plus en plus fort pour remplir entirement ma tche, entranement des troupes, organisations de toutes natures, et cela sans perdre de temps, car ladversaire devenait chaque jour plus menaant et plus puissant. Aprs avoir largement dpass lge de soixante ans, au lieu de pouvoir songer au repos, il fallait se prparer fournir toute lnergie et toute lactivit possibles. La guerre savanait. Dautre part, au cours de mon commandement de lcole de guerre, jtais entr en relations avec des notabilits importantes de plusieurs armes trangres. Dans larme britannique, je mtais li particulirement avec le commandant de lcole dtat-major de Camberley, alors brigadier gnral. Il allait devenir par la suite un des esprits les plus actifs de ltat-major imprial, puis le chef de cet tat-major, ctait le field-marshal Wilson. Nous allions, pendant de longues annes, notamment durant la guerre, travailler ensemble. Par sa grande intelligence, son inlassable activit, sa droiture toute preuve, il devait tre un des grands animateurs des organisations anglaises et un des serviteurs les plus heureux de la cause commune. Javais galement reu plusieurs reprises une mission russe de lacadmie Nicolas, conduite par le commandant de cette acadmie, le gnral Tcherbatcheff ; ceci mavait valu dtre invit par lempereur Nicolas ses manuvres de 1910. Sans parler des relations de cordialit noues de la sorte dans les deux armes, mes visites mavaient largement clair sur les moyens que nos futurs allis pourraient apporter dans une guerre contre lAllemagne, si les gouvernements marchaient daccord. Lors de mon voyage en 1910, la Russie mtait apparue comme un empire aux dimensions gigantesques, aux assises sociales encore informes, avec son

gouvernement concentr, mme dans le domaine spirituel, entre les mains dun seul homme, le tsar. Facilement linquitude naissait, quand on mesurait la tche du souverain et les capacits extraordinaires quil lui et fallu pour tenir son peuple dans la voie du progrs remplir un pareil rle, un Pierre Le Grand ntait-il pas ncessaire ? Et si, ces difficults naturelles rsultant de lorganisation du pouvoir, venaient sajouter les secousses dune grande guerre, toujours susceptibles de mettre la solidit de ltat en cause, de quelles rsistances seraient capables un semblable pouvoir comme aussi une nation tenue systmatiquement lcart de la gestion de ses affaires, et si peu prpare lassurer ? La Russie, encore dpourvue des principes sociaux et des forces morales que reprsentaient les organisations nationales de loccident et du centre de lEurope, ne devait-elle pas dans une grande lutte accuser quelques faiblesses, tel un colosse aux pieds dargile ? En tout cas, et heureusement pour lalliance franaise, le tsar Nicolas II tait un souverain dune droiture toute preuve ; nous navions pas douter du sens dans lequel il pousserait et maintiendrait les armes dont il disposerait, et elles taient considrables. Ctait l limpression trs nette que javais emporte de mes nombreux entretiens avec lempereur. Pendant toute la dure des manoeuvres, il mavait personnellement attach sa personne et les journes de manoeuvres, toujours longues pour ceux qui ny sont que spectateurs, comme ctait mon cas, avaient permis ces nombreux entretiens. Mais, en mme temps, je navais pas pu ne pas tre frapp de la sombre inquitude avec laquelle lempereur envisageait lavenir et la gravit des vnements rservs sans doute son vaste empire. Par l fallait-il sans doute placer les rsultats attendre audessous des intentions affirmes.

PRFACE.LAllemagne de 1914, lance dans la weltpolitik, net jamais dclar la guerre si elle avait posment compris son intrt. Elle pouvait, sans faire appel aux armes, poursuivre dans le monde son dveloppement conomique. Qui et os se mettre en travers ? Formidable dj, et soutenu dailleurs par une active propagande comme aussi par une puissance militaire reconnue sur terre et sur mer, qui garantissait ses voyageurs de commerce comme ses ingnieurs en qute de concessions ltranger un accueil des plus avantageux et par l une capacit de pntration et dacquisition incomparable, le dveloppement allemand dans une marche constante distanait grandement celui des autres nations. Sans faire de guerre nouvelle, lAllemagne conqurait progressivement le monde. Le jour o lhumanit se serait rveille de ses vieilles habitudes pour mesurer la rduction de ses liberts et de ses possibilits, elle se serait trouve tenue par les lments allemands tablis dans les diffrents pays sous toutes les formes mais rests toujours citoyens allemands grce leur double nationalit, et recevant le mot dordre de Berlin. Dailleurs, pas un gouvernement, surtout dessence dmocratique, naurait pris la dcision, devant cette hgmonie allemande en marche, et en vue dviter le dsastre final, la domination de son pays par llment allemand, de prendre des dispositions particulires de protection. Il aurait recul devant la discussion et la lutte entreprendre avec un tat si fortement arm que lAllemagne. Loin de paratre chercher la guerre, encore plus loign de la dclarer, il aurait mme craint de la provoquer, tant il et redout de dchaner les horreurs quallait entraner un conflit moderne entre de grandes nations. En quelque vingt ans de paix le monde se ft trouv germanis, lhumanit ligote. Mais le gouvernement de Berlin, gris par sa puissance et emport par un parti pangermaniste aveugle, pleinement confiant dailleurs en son arme suprieure toute autre, ne craignait pas de recourir aux armes et douvrir une re de lourdes hcatombes et de redoutables aventures pour hter cette domination du monde qui lui tait rserve, son sens. LAllemagne de 1914 a dailleurs couru avec lan aux armes, pour appuyer ses grandioses et folles aspirations et sans mesurer la grandeur des crimes quelle assumait devant lhumanit. Elle tait bien devenue une grande Prusse. De tout temps, la Prusse, foyer de hobereaux et berceau du militarisme comme aussi dune philosophie fortement positive, avait entretenu une industrie nationale, la guerre. Dirige par une politique particulirement chre aux Hohenzollern, cette industrie avait fait de llectorat de Brandebourg lempire allemand. Aprs avoir cart de lAllemagne lAutriche qui et pu lui tenir tte et reprsenter un autre idal, la Prusse avait fait lunit son profit. Elle y avait absorb quantit de populations au gnie pacifique et la morale purement chrtienne, telles que les populations rhnanes. Mais progressivement sa main de fer, sexerant dans le domaine spirituel comme dans le domaine matriel, par une administration dessence ou de facture prussienne, fonctionnaires, instituteurs, officiers, avait pli ces populations aux ides et institutions des provinces orientales. Elle leur avait dailleurs apport, par son prestige militaire tendu sur le monde, un dveloppement conomique et par l une prosprit matrielle inconnue jusqualors. En 1914, lAllemagne est entirement prussifie. Chez elle, aux yeux de tous, la force cre le droit. Et comme, dautre part, les organisations militaires, base de ldifice, ont t soigneusement et richement

entretenues, quelles ont march de pair dans leur dveloppement avec lessor conomique, cest une arme suprieure toute autre par ses effectifs, son armement, son instruction, que lAllemagne peut rapidement mettre sur pied pour raliser et justifier le rle qui lui est assign dans le monde par la supriorit de sa race. Dailleurs, lappel la force est un argument qui ne peut que faciliter sa marche lhgmonie mondiale. Il aura lavantage de prcipiter le cours des vnements, comme aussi den tendre et den consolider les rsultats. Une Allemagne victorieuse des grandes puissances de lEurope matrisera incontestablement tout lancien continent. Largement tablie sur la mer du Nord et sur la Manche, elle tiendra sous sa main la puissance navale par excellence, lAngleterre, et par l lempire des mers. Quel ne sera pas son pouvoir dans le monde ? Nest-ce pas lavenir dsormais assur de la weltpolitik ? Les flots de sang que la guerre peut coter lhumanit ne sont pas mettre en comparaison avec les bnfices qui en rsulteront pour lAllemagne. Cest par leffusion du sang que la Prusse a fait lAllemagne, la grandie, et doit la grandir encore. Telle est la philosophie du hobereau vainqueur, adopte dsormais par tous les fidles sujets allemands. Quimportent les atteintes portes au droit et la vie des autres peuples ? La victoire qui est certaine les lgitimera pleinement. La morale ne peut drailler, qui a la force pour elle. Et, conduite par la frule prussienne, lAllemagne aveugle part en guerre dans un enthousiasme gnral. Deutschland ber alles ! La France de 1914, loin de dsirer la guerre, plus forte raison de la rechercher, ne la voulait pas. Quand la lutte parut imminente la fin de juillet, le gouvernement franais consacra tous ses efforts la conjurer. Mais pour faire honneur sa signature, si les allis taient attaqus, il marcherait. Ctait la politique que la rpublique navait cess de pratiquer depuis plus de quarante ans. Sans jamais oublier les provinces perdues, tout en cherchant cicatriser la plaie toujours saignante quavait cause leur arrachement, la France avait rpondu par une attitude pleine de dignit et de rsignation aux virulentes provocations des incidents de Schnoebel, de Tanger, dAgadir, de Saverne et autres. Elle avait successivement rduit la dure de son service militaire de cinq ans trois ans, puis de trois ans deux ans, et ce nest que sous la menace des continuels renforcements allemands et sous lempire des plus lgitimes inquitudes et dune vidente menace, quelle tait revenue htivement en 1913 au service de trois ans. Il en tait grand temps. Elle tait bien rsolue ne recourir la force que le jour o son existence et sa libert seraient mises en pril par une agression allemande. Seul un pareil danger pouvait dcider la guerre un gouvernement dmocratique, assez clair pour mesurer la grandeur des sacrifices et lampleur du cataclysme quune guerre europenne devait entraner dans la vie des peuples. Au mois de juillet de cette anne 1914, si le ciel franco-allemand continuait de rester charg de nuages, la France toujours forte de sa sagesse croyait lorage si peu prochain que le prsident de la rpublique et le prsident du conseil des ministres partaient, au lendemain de la fte nationale, pour la Russie, en un voyage de plusieurs semaines. Pour un grand nombre dautorits, pour le parlement, commenait la saison des vacances. Moi-mme je partais de Nancy le 18 juillet avec lintention de passer quinze jours de cong en Bretagne. Brusquement, le 23 juillet, lultimatum de lAutriche conditions inacceptables, semblait-il, apportait dans formidable dcharge lectrique. Et comme, nanmoins, avec deux faibles rserves tendant sen remettre au la Serbie, par ses le ciel politique une la Serbie les acceptait jugement des grandes

puissances et du tribunal de La Haye, le reprsentant de lAutriche Belgrade quittait sa rsidence, en rompant les relations et en dclarant la rponse insuffisante. Par l saffirmait le parti pris bien arrt de lAutriche de prendre les armes sans plus dexamen. Dautre part, lalliance troite qui unissait les deux empires centraux laissait craindre que lengagement du fidle second ft le simple prlude de lentre en action dj dcide de lAllemagne, que le conflit cherch en Orient ft lavant-coureur de celui poursuivi en Occident. Le rapide dveloppement des faits ne tardait pas ltablir. Le 28 juillet, lAutriche dclare la guerre la Serbie ; le 29, elle bombarde sa capitale, Belgrade ; le 31, elle ordonne la mobilisation gnrale de ses troupes. En vain le gouvernement de Londres a-t-il propos de soumettre le litige un arbitrage de quatre grandes puissances dsintresses, France, Angleterre, Allemagne, Italie ; en vain la Russie a-t-elle souscrit cette proposition, lAllemagne sest drobe ces tentatives dapaisement. Ds le 26, elle a menac la Russie de mobiliser son arme, et par mobilisation il fallait entendre guerre, ajoute son ambassadeur Petrograd. En fait, la mobilisation autrichienne du 31, la Russie rpond par une mesure du mme ordre. Lempereur dAllemagne proclame le kriegsgefahrzustand, qui comporte la majeure partie des dispositions de mise sur pied de guerre de larme allemande. En mme temps, il demandait au gouvernement franais une dclaration de neutralit de garantie par la livraison de Toul et de Verdun aux troupes allemandes pour la dure de la guerre. Et tandis que, dans cette mme journe, lAutriche tmoignait dun certain dsir de dtente, lAllemagne adressait un ultimatum la Russie, et, ds le 1er aot, elle prescrivait le complment des mesures de la mobilisation gnrale destines grouper ses forces sur les deux fronts de lest et de louest. Elle dclarait la guerre la Russie ; la France y rpondait en dcrtant la mobilisation gnrale. Ds prsent, retenons que le conflit engag, comme on la vu, par les empires centraux, contre une nation slave allait entraner lentre en action de toutes les forces russes amenes au plus tt la guerre. Un dbat soulev par ces empires sur la question dOccident et pu dterminer un dpart moins rsolu des forces du vaste empire moscovite, et par l rduire pour quelque temps laide quil allait apporter la France. Le gouvernement de lAllemagne ne regardait pas de si prs aux dtails de sa politique. Le triomphe de ses armes ne faisait aucun doute ses yeux, la condition dagir avec rsolution et rapidit. Sa confiance tait absolue dans un outil militaire suprieur tout ce qui avait t vu jusqualors par le nombre des units mobilises, le degr de leur instruction, la puissance de leur armement, la prparation de leurs oprations, lesprit qui les animait, le savoir qui les guidait. Dans la mme absolue confiance, au mpris du droit le plus lmentaire, un ultimatum tait adress, ds le 2 aot, la Belgique davoir laisser passer librement sur son territoire les armes allemandes, qui dailleurs violaient la neutralit du Luxembourg sans plus dgards. Et ces dcisions avaient pour consquence de vaincre les dernires hsitations du gouvernement de Londres et de jeter dans les rangs allis les armes britannique et belge. Que les gouvernants allemands aient commis l une mprise, ou prouv une surprise, il leur importait peu. Une large offensive, rapidement excute, suivant un plan soigneusement rgl, naurait-elle pas raison mme dune coalition qui tait encore en voie de formation et qui se montrait retenue dailleurs par des sentiments dhonneur ou par des scrupules de conscience ? Avec ses faiblesses

ou ses dlicatesses pourrait-elle arrter dans sa marche la plus formidable machine de guerre qui ait jamais exist et qui se trouvait dj lance en pleine opration ? Et dautre part, si les gouvernements allis tentaient de rsister la politique allemande, larme ntait-elle pas en tat de briser la volont des peuples, en semant la terreur dans les pays envahis, par des procds que les ncessits de la guerre seraient censes justifier ? Un mot dordre, cest la guerre, dans la bouche du gnral comme dans celle du soldat, nallait-il pas lgitimer les plus inutiles atrocits et les plus violentes atteintes aux droits de lhumanit ? Une fois de plus, la victoire, qui devait justifier tous les procds et rgler tous les diffrends, tait certaine au prix dune offensive immdiate et audacieuse, dgage de tout scrupule, dt-elle mme tendre et redoubler les rigueurs de la guerre sur des populations inoffensives. Il ny avait qu marcher rsolument et rapidement, en se faisant prcder de la terreur et accompagner de la dvastation. La lutte qui allait sengager trouvait larme franaise dans le mme tat moral que la nation entire. Cette arme de la rpublique, reconstitue au lendemain de nos dsastres de 1870, la premire qui ait connu le service personnel obligatoire, avait produit un extraordinaire effort de rgnration. Si, au cours de cette priode de temps, la nation avait affirm, par ses sacrifices, sa volont de vivre et de tenir son rang en Europe, larme, dans un admirable labeur, avait recherch avec acharnement la manire de rsister victorieusement une nouvelle agression de son puissant voisin. Elle poursuivait pour cela ltude et la prparation de la grande guerre, dont la notion avait t perdue par larme impriale ainsi quen tmoignaient deux dsastres sans prcdent : Metz et Sedan. elle prparait ensuite les forces do sort la victoire. Elle dveloppait dans les troupes la valeur morale, le savoir professionnel et lentranement physique, pour faire avant tout de ces troupes un excellent outil de guerre. Dans les manoeuvres de toutes sortes, rptes et prolonges au mpris de srieuses fatigues, on pouvait toujours remarquer, au-dessus de lexcellent esprit de tous, leur ardent dsir de sinstruire, comme aussi une endurance et une discipline que les anciennes armes navaient pas connues. Progressivement les exercices dautomne, auxquels prenaient part certaines classes de rservistes, avaient permis de runir et de faire oprer, dans un ordre et une rgularit parfaits, de grandes units : divisions, corps darme, armes. Lemploi ais de ces forces et des nombreux services quelles comportent, combin avec une large utilisation des chemins de fer, tait devenu familier au commandement, et cette facilit de maniement rpandait une entire confiance dans tous les rangs de larme. Les rservistes, momentanment arrachs la vie civile, venaient couramment reprendre, avec leur place dans le rgiment, lexcellent esprit de leur corps. Les officiers de complment, de la rserve et de la territoriale, srieusement recruts et prouvs, assuraient de prcieuses ressources pour lavenir. Le regard toujours tourn vers la frontire, sans se laisser dtourner de sa tche patriotique, le corps dofficiers de lactive avait travers, impassible mais non sans prouver des pertes, les crises de la politique, poques de patriotisme rduit, de pacifisme voulu ou de sectarisme officiel, sorte dabdication nationale exploite en tout cas par certains partis au profit dintrts personnels et non de personnalits marquantes, au total au dtriment de la valeur militaire du corps dofficiers. Malgr tout, il avait conserv son arme la France. En dfinitive et notamment pour qui a connu les armes du second empire, larme de la rpublique tait devenue, par un travail opinitre de tous, un suprieur instrument de guerre, anime au plus haut degr

du sentiment du devoir, rsolue assurer tout prix le salut du pays. En 1914, il lui restait affronter lpreuve du champ de bataille. On ne pouvait douter des moyens moraux quelle allait y apporter. Lexistence du pays tait alors en jeu ; pour la sauver, elle ne reculerait devant aucun effort ni aucun sacrifice ; du chef le plus lev au soldat le plus modeste, ce serait un continuel assaut dabngation et de dvouement ; seules des capacits ouvriraient des titres aux diffrents emplois. En prsence de larmement moderne, ces vertus suffiraientelles ? Le commandement des armes avec leurs tats-majors et leurs services avait t mthodiquement organis de longue date. Il comportait de hautes personnalits militaires, avec des sous-ordres parfaitement entrans leurs fonctions. Le commandement des units moindres, corps darme, divisions, brigades, se ressentait encore des ingrences de la politique dans lavancement des officiers, sous certains ministres. La prsence la tte de larme, depuis 1911, dun gnralissime hautement dou et soutenu de la confiance du gouvernement de la rpublique avait permis de rduire, mais non de supprimer, le nombre des chefs dune valeur insuffisante que leurs opinions avaient fait parvenir certains commandements. Le mal ntait pas entirement rpar. Constatons-le au passage, la situation de lofficier lui interdit de se mler aux luttes de la politique, en paix comme en guerre, de prendre parti dans ses querelles. Sa valeur professionnelle ne se montre que sur le terrain daction, devant ses seuls congnres, pairs ou suprieurs ; elle chappe de la sorte au jugement des hommes politiques, et quand ceux-ci se voient entourer de clients militaires, avec un peu de discernement et de sincrit ils ny trouveront gnralement que des disgracis du terrain de manoeuvre, de simples adorateurs du pouvoir, invoquant au prix de leur droiture, cest--dire au prix de leur caractre dsormais affaibli, des ides dites philosophiques ou de prtendues opinions politiques, pour motiver une ambition militaire qui nest pas justifie par ailleurs. Cest ainsi que la politique napporte gure dans le choix de lofficier que lerreur et linjustice, deux causes daffaiblissement du corps dofficiers. Prise dans son ensemble, notre arme de 1914 a les dfauts de ses qualits ; par-dessus tout, un esprit doffensive qui, force dtre accentu et gnralis, va devenir exclusif et conduire trop souvent une tactique aveugle et brutale, par l dangereuse, comme aussi une stratgie simple et uniforme, facilement strile, impuissante et coteuse. Au total, dune doctrine par trop sommaire, on peut attendre des surprises aux premires rencontres. Cette arme sort dune priode de quarante ans de paix. Pendant ce temps, les exercices quelle a faits nont pu lui donner lide des rigueurs du champ de bataille moderne ni de la violence des feux qui le dominent. Une tude tablie sur les faits de guerre de 1870 notamment, et consacre par nos rglements, et pu lui faire saisir la puissance destructive de larmement actuel et le compte en tenir. En fait, les considrations et recommandations dveloppes dans le rglement de 1875 taient dj lointaines et bien perdues de vue. Beaucoup de nos officiers, depuis ce temps, avaient pris part des conqutes coloniales, mais ils navaient pas rencontr l cet armement redoutable aux mains dun adversaire averti. Cest ainsi que des grandes manoeuvres et des expditions coloniales, on avait rapport comme formule du succs, comme doctrine de combat, la toute-puissance dune offensive faite de la volont bien arrte de marcher rsolument lennemi pour le joindre. On avait

prconis des formations dattaque capables de nourrir immdiatement le combat. Pour le gnral et lofficier de troupe, comme pour le simple soldat, on a brod tous les thmes sur le canevas des forces morales, et surtout de sa volont de vaincre, sans plus de mnagement ni de discernement. Ds lors, le jour venu, lengagement se dveloppe rapidement et en forces, mais souvent dans linconnu, sans une prparation suffisante par les feux, notamment dartillerie plus longue asseoir. Les forces largement dpenses, faiblement appuyes par le canon, principalement proccupes du besoin daller vite et avec ensemble, se trouvent bientt dsarmes, exposes et prouves devant les invisibles armes qui se dressent, qui les frappent de toutes parts. Malgr toute leur nergie, elles ne peuvent parvenir joindre ladversaire. Il faut reprendre le combat par les feux ; elles sarrtent puises et prouves dans des formations relativement serres. Dans cette situation avance et en un groupement trop dense, elles doivent attendre que lartillerie encore distance ait battu les obstacles ou les pices qui les arrtent. Les pertes slvent, et cest ainsi que limpuissance et lchec, en tout cas des pertes srieuses, sortiront souvent dune entreprise incompltement prpare, quoique largement dote et vigoureusement mene par une infanterie qui croyait pouvoir par sa seule valeur briser lobstacle brusquement dress devant elle de la mitrailleuse ou du canon ennemi. Si lide de loffensive par-dessus tout, de la marche rsolue en avant, suffit la rigueur de catchisme au soldat, au simple combattant, elle ne peut suffire en effet, comme on la vu, au chef charg de mener une troupe. Ds que celle-ci prsente un certain effectif, il lui faut faire prcder et accompagner sa marche en avant dclaircissements et de prcautions comme daides diverses. Il lui faut, sans supprimer le principe indispensable du mouvement, ne lappliquer qu la lumire des claircissements recherchs, labri de certaines sauvegardes et de liaisons pralablement assures, avec des forces progressivement engages et avances, ne se regroupant en formation dattaque quau moment voulu, devant les objectifs indiqus, les obstacles reconnus et abattus par le canon. Sagit-il dunits importantes, linstruction provisoire, puis le rglement sur la conduite des grandes units avaient, en 1912 et en 1913, pos sans plus de rserve le dogme de loffensive comme ligne de conduite : les enseignements du pass ont port leurs fruits, y tait-il crit, larme franaise revenue ses traditions nadmet plus dans la conduite des oprations dautre loi que loffensive. En 1870, notre commandement avait pri de son attachement la dfensive et la dfensive passive. En 1914, il allait prouver dinutiles checs et des pertes cruelles, consquences de sa passion exclusive de loffensive et de sa seule connaissance des procds quelle comporte, systmatiquement appliqus en toute circonstance. En ralit, et en tout temps, il doit savoir fond la force et les faiblesses de loffensive comme de la dfensive ainsi que leurs conditions de possibilit, car cest seulement dune judicieuse combinaison et application des deux systmes quil fera sortir une puissante action offensive au point voulu. Cette obligation grandit avec le nombre des troupes engages. Moins que tout autre, le chef dune grande unit ne peut se contenter dtre un grand soldat, se bornant ordonner lattaque, appliquer uniformment des dispositions indiques la troupe pour des units moindres. Il ne peut en fait monter loffensive, avec chance de succs datteindre lennemi, que sur les terrains praticables une forte infanterie et favorables une forte artillerie.

Partout ailleurs, cest la dmonstration ou mme la dfensive que le terrain lui impose. Il doit se limiter dans ses vues. Aussi, tout commandant de division, plus forte raison de corps darme et bien plus le gnralissime des armes, doitil tenir compte du terrain dans lemploi quil fait de ses forces, la tche quil leur assigne, le mode daction quil en attend. Il doit simultanment jouer de loffensive en certains points, de la dfensive et de la dmonstration dans dautres, constamment combiner ces diffrents termes, bien loin de ne connatre quun esprit doffensive devenant aveugle et par l dangereux, force dtre systmatis et gnralis. diffrentes reprises nous aurons souffrir de cet abus dune ide juste, celle de loffensive, applique sans plus de discernement. En mme temps quon surexcitait et quon tudiait, comme nous lavons vu, ces ides doffensive dominant toute autre considration et reposant sur une apprciation insuffisante de la puissance prise par les feux, on avait attach larmement une trop faible importance. Ainsi notre infanterie tait moins bien dote en mitrailleuses que linfanterie allemande. Notre corps darme ne comprenait que 120 canons, tous de 75, tandis que le corps darme allemand, moins riche en infanterie cependant, comprenait 160 pices dont un certain nombre sont des obusiers de 105 mm. Et de 15 cm. Il en tait de mme de notre artillerie lourde darme, notablement infrieure, par le nombre et le calibre des pices, lartillerie lourde allemande. Malgr toutes ses vertus, notre excellent 75 ne pourra compenser, notamment dans loffensive, ces insuffisances de chiffres, de calibres, et son incapacit de tir courbe. Dans la dfensive, par ses puissants tirs de barrage, il nous rendra les plus grands services, en brisant implacablement de formidables attaques de lennemi ; mais faudrait-il, pour pouvoir soutenir avantageusement cette tactique, quil ait derrire lui de srieux approvisionnements de munitions. Il ne dpassait pas en fait 1500 coups par pice et les fabrications de gargousses taient trs faiblement prpares. Nos services de laviation, des communications, prsentaient galement de notables insuffisances. Si le discours de M. Charles Humbert, dans lt de 1914, avait donn le coup dalarme, il arrivait trop tard pour pouvoir tre suivi dune amlioration de notre ct, et il pouvait tre pour lennemi un prcieux avertissement. Cest quen ralit un gouvernement bien dcid ne vouloir que la paix, et nenvisageant que la ncessit de se dfendre, avait longtemps rsist aux dpenses militaires et, par l, restreint les moyens matriels de plus en plus indispensables une arme pour mener bien une attaque, avec limportance que larmement prenait dans la lutte. Ds lors, loffensive comme forme gnrale de notre action allait rencontrer de relles difficults dexcution. Tant il est vrai que la politique et la conduite de la guerre se trouvent troitement lies, que celle-ci ne peut tre tout dabord que le prolongement de celle-l. Pour si ardent quil soit et si dsireux daboutir la victoire par loffensive qui seule la fournit, le chef de la guerre est oblig souvent, par la situation que la politique lui a cre, denvisager tout dabord la dfensive. Plus il est rduit dans son armement dattaque, plus sa stratgie en doit tenir compte pour prparer la dfensive et lorganiser sur des parties de son front de plus en plus larges, afin de pouvoir concentrer les moyens dattaque limits dont il dispose sur les autres parties o il peut alors attaquer en bonne forme. Une fois de plus constatons que lide, la technique et la pratique de la dfensive doivent tre galement familires au commandement, aux diffrents degrs. De

tout temps na-t-il pas fallu savoir parer et attaquer pour avoir raison dun adversaire srieux ? Dcidment la doctrine sommaire de loffensive, qui allait entraner nos troupes dans une attaque brutale et aveugle, ne pouvait davantage suffire au haut commandement. Elle devait le conduire tout dabord, et comme on vient de le voir, une impuissante stratgie, moins quil ne dispost deffectifs suprieurs, assez forts et assez manoeuvriers pour produire lenveloppement de lennemi lune au moins de ses ailes, aprs avoir par celui de lennemi. Les effectifs franais de 1914, mme renforcs de larme britannique encore peu nombreuse au dbut de la guerre, ne permettaient pas denvisager une telle entreprise. Notre doctrine de la guerre tait donc trop courte, en se limitant pour tous une magnifique formule doffensive par trop exclusive. Pour compenser ces faiblesses doctrinales, nous avions un tat-major de premier ordre, parfaitement rompu son mtier propre et comprenant en outre des esprits dune grande valeur. Lcole suprieure de guerre et le cours des hautes tudes militaires avaient en effet dvelopp le got du travail chez beaucoup dofficiers, comme aussi entretenu et tendu leurs facults. Les natures bien doues allaient profiter du savoir acquis comme aussi de leurs capacits largement agrandies et fortement assouplies. Elles allaient pouvoir rendre pendant la guerre les meilleurs services en sadaptant aux circonstances, si nouvelles fussent-elles. Mais encore fallait-il les diriger, car en majorit ils taient de jeunes officiers, et par suite manquaient de maturit, cest--dire de lexprience qui seule donne au jugement tout son dveloppement, et de lautorit qui seule garantit au commandement le calme et laplomb des justes et fortes dcisions. En tout cas, et ds le dbut, toutes les oprations de rquisition, mobilisation, transports de concentration ou de ravitaillement, et lensemble des services de larrire aux proportions extraordinaires, sexcuteront avec une parfaite prcision. La dclaration de guerre me trouvait plac depuis un an la tte du 20e corps. La ville de Nancy et la Lorraine avec elle respiraient un degr particulirement lev les sentiments patriotiques qui animaient la France entire. Pendant plus de quarante ans, elles ont tendu les bras par-dessus la frontire leurs soeurs captives de Metz et de Lorraine annexe. Le jour approche-t-il enfin o leurs destines seront de nouveau confondues ? Dans le calme, lordre le plus absolu, avec une froide rsolution de faire face toutes les ventualits, on reoit les nouvelles signalant successivement les dispositions prises par les allemands leur frontire : arrt des communications, de la circulation des trains, du passage de tous les voyageurs ; on apprend les dcisions du gouvernement franais. On commence et on poursuit la mobilisation, la rquisition des chevaux et des voitures. Nulle part il ny a de mfaits, ni de traces de dfaillance. Dans quelques jours peut-tre la bataille sera aux portes de la ville, personne ne songe partir, tant sont grandes la confiance de chacun en son droit, lunanime volont dtre la hauteur de toutes les circonstances, la foi entire en la valeur des troupes. Ici, cest le 20e corps, avec ses deux divisions dinfanterie, 11e et 39e, avec sa 2e division de cavalerie, son artillerie modle. On ne peut voir de plus belles troupes. Quelle ardeur concentre chaque rgiment na-t-il pas entretenue, le long de cette frontire qui marquait un arrachement la France ?

Quel entranement, quelle instruction na-t-il pas dvelopps pour vaincre dans la grande rencontre ? Quel entrain et quelle allure na-t-il pas prpars pour ce jour-l ? Quel esprit de corps na-t-il pas nourri pour que son numro en sorte le plus glorieux ? En fait, il avait par l cr de si fortes traditions quelles se maintiendront au travers de toutes les preuves de la guerre, si cruelles soientelles, et que chacun de ses rgiments se montrera encore, en 1918, un des mieux tremps de larme, bien quil ait perdu tous les lments de 1914. Ds le temps de paix, les satisfactions du commandement taient particulirement grandes dans ces troupes ; pour cette raison, elles taient fort recherches des officiers travailleurs et ardents, notamment des chefs de corps. Cest ainsi que les influences rgionales et les attractions de carrire staient ajoutes pour runir des troupes et un corps dofficiers magnifiques, et donner au 20e corps une valeur, un savoir et un mordant de tout premier ordre. Le dsir est si grand de marcher lennemi et de se mesurer avec lui, il est accompagn dun tel mpris du danger, quon peut seulement redouter de le voir laffronter parfois dune faon inconsidre. Dans mon commandement davant guerre, mes efforts avaient uniquement tendu clairer encore et raisonner dans le corps dofficiers cette magnifique ardeur, source de toutes les nergies et par l de tous les espoirs. Il tait inutile de lexciter. Mais il y avait lieu de le mettre en garde devant la difficult de la tche, contre la prcipitation ou le manque densemble dans laction des armes. Heureux les chefs qui nont qu guider des volonts si ardentes !

LE VINGTIME CORPS

Chapitre premier Le 20e corps en couverture, 25 juillet 13 aot 1914.Premires dispositions, 26-31 juillet. la mobilisation gnrale, 1er aot. le 20e corps assure seul la couverture de la 2e arme, 1er au 10 aot. le gnral commandant la 2e arme prend son commandement, 6 aot. constitution progressive de la 2e arme : entre en ligne des 15e et 16e corps, 10 aot ; du 9e corps, 12 aot. Rappel le 26 juillet de ma permission en Bretagne par des vnements de plus en plus graves, je me trouvais au sige de mon commandement le 27 juillet au matin. Le mme jour, par ordre du ministre, tous les permissionnaires, officiers et hommes de troupe, rentraient leurs corps et nous mettions en application le dispositif restreint de scurit en ce qui concernait la population civile. Le 28, entraient en vigueur les mesures prises pour la surveillance de la frontire, et, le 29, nous commencions lest de Nancy les travaux de campagne prvus au plan de dfense de la ville. Ces travaux de campagne avaient pour objet de complter le systme des ouvrages de fortification tablis la Rochette, au grand mont dAmance, au Rambtant, dont la construction avait t commence dans lhiver 1913-1914, mais restait inacheve en juillet 1914. La premire tche qui incombait au 20e corps, deux pas de la frontire, tait de former la sentinelle vigilante qui observe lennemi pendant la priode de tension politique, et de continuer ensuite, dans le secteur de la basse-Meurthe, la couverture labri de laquelle la 2e arme franaise poursuivait sa mobilisation et sa concentration, si les vnements entranaient ces premires dispositions de la guerre. Le 30, dans la soire, le 20e corps darme est alert et les troupes de couverture, faisant mouvement par voie de terre, gagnent les emplacements assigns pour le cas dattaque brusque ; il est spcifi toutefois quaucun lment ou patrouille ne dpassera une ligne dont le trac, indiqu avec prcision par lordre ministriel, se trouve dix kilomtres en moyenne en de de la frontire. En somme, le gouvernement vient de dcider la prise dun dispositif de couverture restreint dans sa porte, puisque lavance des troupes est strictement limite sur le terrain, et restreint galement dans son importance, puisquil est prescrit quaucun appel de rservistes ne sera fait jusqu nouvel ordre. Les nouvelles que lon a de lactivit qui rgne de lautre ct de la frontire justifient pleinement la dcision du gouvernement. Nancy, en particulier, on sait que la place de Metz est en partie mobilise et mise en tat de dfense ; ses forts sont solidement occups. Si aucune classe entire de la rserve na t convoque, des appels individuels de rservistes ont permis de grossir les units. Les dispositions de couverture sont prises sur toute la frontire dAlsace et de Lorraine ; les routes qui la traversent sont barres et gardes militairement. Des dbarquements de troupes seffectuent au nord de Metz.

On peut donc redouter dun moment lautre une attaque brusque en forces de la part de lennemi. Le 20e corps darme est prt la recevoir. Aux termes du plan tabli par ltat-major de larme, le 20e corps ne devait disposer que de la valeur dune division pour raliser les oprations de sret qui lui avaient t prescrites. Mais en constituant ces effectifs de premire ligne avec des rgiments pris la 11e division de Nancy et la 39e division de Toul, comme aussi en maintenant le reste de ces divisions en deuxime ligne, Nancy et aux environs de cette ville, nous aurons lavantage, sans dpasser les effectifs permis, davancer sur la premire ligne les ttes de la 39e division qui eussent t fortement en arrire sans cela, comme celles de la 11e division, dont le gros maintenu Nancy conservera la ville la plus grande partie de sa garnison et son aspect habituel. En mme temps tout le corps darme sera runi dans la main de son chef. Par application de ces mesures, le 31 cinq heures du matin, la 39e division quitte Toul et vient stablir dans laprs-midi du mme jour dans la rgion sud de Nancy. La 11e division occupe les hauteurs nord et nord-est du Grand-Couronn. Elle procde activement lexcution des travaux dfensifs qui ont dj t tudis et bauchs dans les journes prcdentes. Les premires dispositions ainsi prises vont tre rapidement compltes la suite de la marche des vnements politiques. Le 31 juillet, en effet, vers 18 heures, parvient de Paris lordre de faire partir les troupes de couverture, lobligation tant maintenue de ne pas dpasser la ligne prescrite par le tlgramme de la veille. Lorsquune heure plus tard, les 11e et 39e divisions ont connaissance de cette dcision, elles sont dj pied doeuvre. Il ne leur reste plus qu attendre leurs rservistes, et au commandant du 20e corps qu donner ses instructions de dtail relatives la couverture, en y comprenant la 2e division de cavalerie, place sous ses ordres. Le 1er aot parvient Nancy lordre de mobilisation gnrale expdi de Paris, le mme jour, 15 heures 55. Peu aprs, je reois un tlgramme du ministre de la guerre renouvelant la prescription de ne pas dpasser, sauf en cas dattaque caractrise, la ligne fixe le 30 juillet. Or javais dj prescrit mon corps darme, ds le 31 juillet, dtablir ses lments avancs sur une ligne situe en avant de celle-l et couvrant des positions de premire importance, comme le mont Saint-Jean, les hauteurs de La Rochette, le mont dAmance, vritables clefs de Nancy. En nous tablissant sur une ligne trace plus en arrire, nous abandonnerions, et par suite livrerions sans aucune dfense, ces positions la moindre incursion ennemie. Il ne peut en tre question. Aussi jobtiens le 1er aot que les troupes soient maintenues sur lemplacement que jai fix. Ds le 2 aot aprs-midi, en prsence de nombreuses violations de notre frontire par des partis allemands, le gouvernement lve dailleurs linterdiction concernant la ligne des dix kilomtres, et laisse au gnral commandant en chef les armes franaises libert absolue de mouvement. Le gnral Joffre transmet cette dcision aux commandants des secteurs de couverture, par message tlphon du 2 aot, 17 h. 30, tout en ajoutant que pour des raisons nationales dordre moral et des raisons imprieuses dordre diplomatique il est indispensable de laisser aux allemands lentire responsabilit des hostilits. Par suite, on doit tout prix sabstenir de franchir la frontire, et se borner repousser nergiquement toute attaque ennemie sans jamais la provoquer.

Peu aprs ce message, je reois 17 h. 30, par tlgramme chiffr, linstruction gnrale et secrte pour la couverture, du gnral commandant en chef, contenant en particulier les directives suivantes : Lintention du commandant en chef est de ne passer loffensive gnrale que quand ses forces seront runies. En vue du dveloppement ultrieur du plan doprations, les divers lments de la couverture, en dehors de leur protection de la mobilisation et de la concentration, se conformeront aux directives ci-aprs : c) 20e corps darme - acclrer la constitution de la place du moment en voie dorganisation lest de Nancy pour assurer le dbouch de la Meurthe. Le g. Q. G. Fonctionnera Vitry Le Franois partir du 5 aot, 6 heures. Les instructions que jai dj donnes rpondent entirement aux vues du gnral en chef. La mobilisation du 20e corps se poursuit dans dexcellentes conditions dordre et de rapidit. En premire ligne, les divisions travaillent avec acharnement ; la pluie qui tombe dans laprs-midi du 2 aot ne ralentit pas leur ardeur. Il faut arriver assurer avec le minimum de forces loccupation du front fix, et cest dans ce sens que tendent les efforts de tout le monde. Le moral des troupes est excellent, elles paraissent pleines de confiance et brlent daller de lavant. Mais les prescriptions donnes antrieurement sont formelles, le gnral en chef les rpte nouveau par message tlphon, le 3 aot 10 h. 30, insistant sur limprieuse obligation de ne pas dpasser la frontire. Les troupes de premire ligne ont toutefois t autorises pousser des reconnaissances jusqu deux kilomtres au del des fronts prcdemment fixs. Les renseignements que nous recevons sur les allemands indiquent de grosses concentrations de troupes dans la rgion de Metz et au nord, et des dbarquements importants sur la ligne du chemin de fer de Metz Sarrebourg. La ligne frontire est fortement occupe et des travaux de campagne y sont signals. Des partis de cavalerie ennemie continuent pntrer sur le sol franais, obligeant parfois la retraite certains de nos postes de douaniers ; ils provoquent quelques escarmouches et se reportent, le soir venu, au del de la frontire. Une alerte plus importante se produit dans la nuit du 3 au 4 dans la rgion de Nomeny, et mme un renseignement digne de foi annonce la menace dune attaque ennemie sur tout le front. Ainsi le contact avec ladversaire devient chaque instant plus pressant. Il commence entraner des fatigues srieuses pour les troupes continuellement sur le qui-vive, dormant peu et exposes en outre de frquentes averses. Par ailleurs, on apprend que, le 2 aot, les allemands ont envahi le grand-duch de Luxembourg, et, le 4, viol la neutralit de la Belgique. Cette dernire nouvelle ne prcde que de peu lannonce de la dclaration de guerre de lAllemagne la France. Les troupes du 20e corps en sont aussitt avises. Le 5 aot, le gnral commandant la 2e arme, de son quartier gnral de Neufchteau, me fait connatre quil prendra le 6 aot le commandement de la 2e arme et du secteur de couverture de la basse-Meurthe. Toutefois, je continuerai disposer jusqu nouvel ordre de tous les lments affects jusqu ce jour la

couverture du secteur de la basse-Meurthe, notamment de la 2e division de cavalerie. Dautre part, la guerre tant dclare, il ny a plus de restriction aux oprations de couverture qui peuvent sexcuter telles quelles rsultent des missions attribues aux diffrents secteurs. Cette leve dinterdiction se traduit immdiatement au 20e corps par lenvoi en avant de la cavalerie sur la Seille, et de reconnaissances daviation sur le front Delme, Chteau-Salins, Dieuze. Cette dcouverte ne signale aucun rassemblement important et on a limpression que lennemi, restant sur lexpectative devant le 20e corps, na en ralit en premire ligne que des fractions dinfanterie relativement peu nombreuses et disperses. Nanmoins, en vue de consolider mon dispositif de couverture, je dcide de porter le 6 aot, jusqu la Seille, des dtachements de toutes armes, qui ne rencontrent dans leur mouvement en avant que de faibles lments de cavalerie et de cyclistes, et les repoussent aisment. Par contre, Vic et Moyenvic, nos dtachements de cavalerie doivent se replier devant de linfanterie et de lartillerie allemandes. Le lendemain, une fausse alerte dans cette rgion fait apparatre la ncessit de renforcer aux ailes le dispositif de couverture. Je prescris, dans ce but, lenvoi dun fort dtachement de toutes armes dans la rgion du mont Saint-Jean, avec mission de couvrir la gauche du corps darme, tandis qu droite, la 10e division de cavalerie, mise ma disposition, vient renforcer la 2e division de cavalerie dans son secteur de couverture. Mais, en fait, lennemi ne manifeste plus que trs peu dactivit. Daprs lensemble des renseignements reus, il est trs occup remettre de lordre dans les troupes quil a, au premier instant, aprs une mobilisation htive, chelonnes le long de la frontire, comme aussi complter leur organisation. Pour gagner le temps ncessaire ces oprations, il renforce sa dfensive en rompant la digue de ltang de Lindre et en provoquant linondation de la valle de la Seille, inondation qui stend dj jusqu Moyenvic. Par contre, pour se mnager la possibilit de reprendre loffensive, il laisse intacts les points de passage sur la rivire. Il semble donc avoir t devanc par la rapidit de notre mobilisation et de notre concentration. Les troupes du 20e corps sont depuis dix jours sur le qui-vive. Larrive en Lorraine, partir du 8 aot, des 16e et 15e corps darme va peu peu les soulager et permettre de leur accorder quelque repos. Le commandant de la 2e arme prescrit le partage du secteur de couverture de la basse-Meurthe en trois zones : le 20e corps gauche, le 15e au centre, le 16e droite. partir du 12 aot, le 9e corps dbarque son tour, et permet une nouvelle rduction du front tenir par le 20e, qui a dsormais une situation parfaitement assise. Ainsi se termine la priode dattente. Au 20e corps darme, nous avions eu couvrir la formation de la 2e arme. De l une srie de mesures visant, tant que larme ntait pas runie, interdire toute action de lennemi sur notre territoire, sans chercher en engager ni en provoquer aucune, mme pour nous renseigner sur la situation de lennemi. Pendant les deux semaines coules, le voisinage de masses opposes, le contact direct avec les dtachements ennemis, pouvaient, de la friction des troupes surexcites, faire natre de fcheux et de graves incidents. La vigilance et la matrise de tous staient attaches viter toute surprise et limiter un engagement qui et t prmatur, car il aurait t contraire aux projets du haut commandement. Ce rsultat obtenu, le 20e corps va constituer une des grandes units de la 2e

arme, au mme titre que les autres corps, 9e, 15e, 16e, 18e, et va oprer daprs ses ordres. Cette arme se dispose pour lattaque. Il reste en dterminer les objectifs.

Chapitre II Le 20e corps dans loffensive de Lorraine. La bataille de Morhange, 14-20 aot 1914.Considrations sur une offensive dimportance en Lorraine. attaque de la droite du 20e corps lappui de loffensive des 15e et 16e corps ; premiers engagements ; lartillerie allemande, 14 aot. large repli allemand, 16 aot. redressement de la 2e arme et prparation de loffensive face au nord, 17 et 18 aot. la bataille de Morhange, 19 et 20 aot. Une large offensive franaise en Lorraine pouvait se justifier comme une dmonstration destine immobiliser dans cette rgion les importantes forces allemandes qui sy trouvaient. Linvasion du Luxembourg et celle de la Belgique, aujourdhui poursuivies, allaient entraner et maintenir dans les rgions du nord la partie de beaucoup la plus forte des armes ennemies. Loffensive en Lorraine ne pouvait aspirer poursuivre, dans cette direction distincte et spare du thtre principal des oprations, des succs de nature modifier les consquences de la grande rencontre, qui allait mettre aux prises le gros de nos forces avec la principale masse ennemie, dans une rgion forcment loigne. Elle devait en outre prsenter de srieuses difficults et de rels dangers. La Lorraine tait, en effet, un thtre doprations isol, ferm sauf lentre, dune structure spciale et que lart avait particulirement renforc. Il se prsentait sous la forme dun triangle allong, dont la base, qui formait la frontire commune, tait ouverte, et dont les deux cts taient la Moselle louest et la Sarre lest, deux obstacles srieux. La Moselle le sparait du thtre de la rencontre du gros des forces, et cette rivire tait commande par la place de Metz Thionville, qui en protgeait les rives une grande distance. Par l tait augmente la valeur dj considrable de la barrire existant entre la Lorraine et le thtre doprations du nord. Cette rivire fournissait galement, avec la fortification tendue qui lappuyait, une magnifique base de contre-attaque pour les nombreuses rserves que lennemi pouvait un moment donn prlever sur la masse de ses armes en oprations, et quil avait la facilit de transporter rapidement en utilisant les nombreux chemins de fer convergeant sur Metz et Thionville, comme aussi de runir dans une rgion entirement abrite sous le canon de ces places. De l il lui tait facile de les lancer dans la bataille de Lorraine, sil y avait un avantage. La Sarre, lest et au nord, constituait de mme une ligne darrt de valeur, soutenue, en arrire et au sud, par la place de Strasbourg et la ligne de la Bruche avec la fortification de Molsheim. Elle pouvait recevoir facilement les rserves dune grande partie de lAllemagne dans des conditions dindiscutable sret. Elle formait ainsi une autre ligne de manoeuvre pouvant servir de base de dpart des contre-offensives puissantes. Entre les deux rivires, vers le centre du triangle, la ligne de la Rotte-Albe, prolongeant celle de la Nied allemande, tait depuis plusieurs annes organise et rattache par la fortification Thionville. Elle fournissait une solide transversale, autre ligne darrt et de manuvre facilement et avantageusement utilisable en combinaison avec les deux premires. De la cte de Delme, qui marquait lextrmit des organisations avances de Metz, jusqu la Sarre de Sarrebourg se prsentait, sur une tendue de 45

kilomtres, le terrain disponible pour une offensive franaise. De ce terrain, une grande partie (Sarrebourg-Dieuze, 25 kilomtres) tait, sans parler de vastes bois, fortement enchevtre de canaux et de grands tangs ; elle tait par l dune dfense trs facile lennemi. Sur une autre partie (Dieuze-Delme, 20 kilomtres environ), relativement plus dcouverte, se montraient de nombreux pylnes, tablis depuis quelques annes, et rpartis, depuis la frontire, sur plusieurs kilomtres de profondeur ; ctait l lindice dune prparation spciale de la lutte dartillerie sur ce terrain. Comme on le voit, le thtre doprations de Lorraine, troit par lui-mme et hriss dobstacles naturels, se montrait rduit par le dveloppement de la fortification. Avec ses positions de flanc et ses lignes de dfense transversales quappuyaient les vastes places de Strasbourg et de Metz-Thionville, disposant dun puissant rseau ferr, il constituait, aux mains du commandement allemand, un champ de bataille admirablement prpar pour arrter ladversaire avec peu de forces, et au besoin pour lui infliger un chec retentissant par la combinaison darrts de front et de contre-attaques de flanc. Il lui fournissait galement et bon compte un robuste pivot pour la manoeuvre beaucoup plus large de ses armes la recherche de la grande bataille, dans les plaines relativement ouvertes du nord de la France. Il ne semblait pas indiqu pour le commandement den faire la base de dpart dune grosse offensive, car elle aurait aborder une rgion particulirement difficile, et sans chance datteindre un objectif dcisif. Dautre part, loffensive franaise la recherche dune bataille en Lorraine ne pouvait qutre pleine de rserve. Elle ne trouvait gure, comme terrain praticable ses oprations, que lintervalle Delme-Dieuze, dune vingtaine de kilomtres ; encore fallait-il tenir compte de ses mystrieux pylnes. lest de Dieuze, ctaient la fort, les tangs, les canaux jusqu la Sarre. Elle avait par suite son flanc droit menac par ladversaire susceptible de dboucher de la haute-Sarre et de la Bruche. En continuant sa route dans le pays lorrain, elle avait son flanc gauche aux prises avec lennemi de la rgion de Metz et de la Moselle. Dans son troite zone de marche, elle devait en outre sattendre rencontrer des barrires de nature ralentir sa progression. Ctait une entreprise difficile russir, celle qui consistait sengager avec deux flancs constamment menacs, qui voyait grandir ce danger mesure quelle progressait, et sans que lon pt lavance prvoir o et quand le succs tactique pourrait mettre un terme au pril grandissant, et parvenir retourner une situation stratgique allemande assez solidement noue et assez profondment organise pour pouvoir chaque pas renverser nos premiers succs tactiques. En fait, la souricire allemande une fois tendue comme elle ltait en aot 1914, pouvions-nous esprer dans un vigoureux lan lenfoncer malgr sa profondeur de 60 kilomtres et passer au travers pour obtenir des rsultats dcisifs avant quelle ait eu le temps de jouer sur nous ? Ctait plus que risqu. Mais il nous suffisait, par une offensive de dmonstration coups rpts, dobliger ladversaire la maintenir tendue pour immobiliser les forces ennemies quelle renfermait, par l apporter notre aide la grande bataille qui devait se livrer ailleurs. Le 12 aot, le gnral commandant la 2e arme fait parvenir ses ordres concernant les oprations qui doivent tre entames dans la journe du 14. La 2e arme, se couvrant face au nord, doit dabord agir offensivement en stendant lest, vers la rgion dAvricourt, pour se lier la 1e arme, et

attaquer ensuite en direction du nord-est la gauche de cette arme. Cette action doit tre excute par les 16e, 15e corps et le gros du 20e, dans un dispositif chelonn la droite en avant, le reste de la 2 e arme couvrant lattaque. En particulier, le 20e corps aura marcher contre la crte Donnelay-Juvelize. sa droite, le 15e corps marchera en direction dHellocourt, le 16e corps sur Avricourt, tandis qu sa gauche le 9e corps couvrira lattaque depuis Moncel jusqu la Moselle. Enfin, en arrire, le 2e groupe de divisions de rserve (59e et 68e), en cours de dbarquement, stablira, au fur et mesure de larrive de ses lments, sur la position prpare lest de Nancy. En excution de ces instructions, mon corps darme dbouchera 7 heures, la 11e division droite, la 39e gauche. Il sera couvert par un dtachement plac sous les ordres du gnral Wirbel, et oprant de part et dautre de la route de Moncel, en liaison avec le 9e corps. Les renseignements recueillis par laviation montrent que les allemands poussent activement leurs travaux dfensifs aux abords immdiats de la frontire, le long de la route de Metz Sarrebourg, entre Delme et Maizires. En fait, les difficults prcdemment exposes de loffensive entreprise dans cette rgion nont pas chapp au gnral commandant la 2e arme. Aussi appelle-t-il lattention de ses commandants de corps darme sur la ncessit dorganiser mthodiquement les attaques en faisant prparer et soutenir chaque bond en avant de linfanterie par une artillerie puissante. Il leur prescrit, en outre, une ligne ne pas dpasser en fin de journe. Le programme ordonn pour le 14 se ralise tout dabord sans de relles difficults. Dans la matine, les divisions du 20e corps occupent aisment les hauteurs qui dominent la crte frontire. Les avant-postes ennemis qui taient sur ce front se sont replis sans combattre. Autant le mouvement en avant du corps darme a t facile dans la matine, autant il devient pnible dans laprsmidi. En se rapprochant de la crte, sil ne rencontre quune infanterie trs rserve, il se trouve soumis au feu dune nombreuse artillerie comprenant beaucoup de pices lourdes, dont le tir est parfaitement rgl sur les points principaux qui marquent la frontire. Ces pices ont pu, grce leur porte, stablir une distance o nos canons de campagne sont impuissants les atteindre. Nanmoins, en dpit de ce feu et des pertes qui en rsultent, le corps darme russit atteindre les objectifs qui lui sont assigns. Les lments de premire ligne, quoique canonns pendant toute la journe, se retranchent sur leurs positions de faon en assurer la possession contre toute contre-attaque, et tre prts en dboucher dans la journe du lendemain. Le quartier gnral du 20e corps est tabli Serres. Ici se rvlent dj la supriorit de larmement de lennemi comme les avantages de lorganisation du terrain quil a ralise sur son territoire. Sans parler du nombre de canons quil met en ligne, ses pices de gros calibre, par une porte suprieure celle de notre artillerie, commencent et soutiennent la lutte une distance o elle nous est interdite, et leur tir rgl lavance sur des objectifs reprs se montre dune incontestable justesse. Ds prsent, il apparat que lartillerie conditionne lentre du champ de bataille avant que toute intervention y soit possible linfanterie. Celle-ci ny peut faire circuler que de faibles dtachements. Sa volont de joindre la ligne ennemie pour lcraser de

ses feux et laborder dans lassaut se trouve barre, ds le dbut, par lartillerie adverse. Il va falloir combattre cette artillerie avec la ntre, avant de demander celle-ci de prparer et dappuyer lattaque de notre infanterie. On pouvait stonner des rvlations quallait apporter dans lart de la guerre la rencontre de deux grandes armes aprs quarante ans de paix. Avec le temps, on redresserait et on complterait notre tactique. Une premire proccupation de retenir des troupes par trop allantes et de leur faire prparer avec un grand soin leurs oprations ne pouvait ds prsent chapper au haut commandement. Le 15, loffensive doit se poursuivre partir de 4 heures. Le 20e corps a plus particulirement comme tche de couvrir lattaque du 15e sur Maizires, en maintenant inviolable le front face au nord, et en attaquant Donnelay avec ce quil lui restera de forces. Il doit attendre, pour dboucher, que le 15e corps soit parvenu sa hauteur. Mais, en ralit, ce corps darme est immobilis pour toute la journe. Trs prouv la veille, oblig de faire relever sa division de premire ligne, il rend compte, dans la matine, quil ne sera en tat de reprendre loffensive que dans la journe du 16. Cest donc larrt pour le 20e corps, immobilisation dautant plus dsagrable que lartillerie allemande dirige sur lui un feu violent et bien rgl de gros calibre. En dpit de la situation pnible qui rsulte de cette attente et des pertes quelle entrane, le 20e corps reste prt reprendre lattaque le lendemain. Aux termes de lordre de la 2e arme, loffensive doit continuer le 16 aot sur tout son front. Dautre part, les premiers enseignements tirs des combats des 14 et 15 aot amnent le gnral commandant la 2e arme adresser ses commandants de corps darme une note au sujet de lattitude tenir pour attaquer des organisations dfensives. Il sagit en lespce de conduire mthodiquement la pousse en avant jusquau moment o la solide organisation du terrain conquis ainsi que la prparation minutieuse du tir de lartillerie permettent de monter des attaques combines dinfanterie et dartillerie sur les points dont lenlvement a t dcid. Jai, de mon ct, signal mes troupes limportance primordiale des actions dartillerie et appel l-dessus leur attention pour la journe du 16 aot. Mais cette journe va avoir une allure toute diffrente de celle qui a caractris les journes prcdentes. Il est prs de 7 heures quand la droite du 20e corps se porte en avant. Elle trouve le vide devant elle et savance sans recevoir ni un coup de fusil, ni un coup de canon. Les habitants rapportent que les allemands ont commenc se replier, ds la matine du 15, dans la direction de Dieuze et que leur mouvement de retraite sest prolong toute la nuit suivante. Les quelques prisonniers capturs reconnaissent unanimement les effets dmoralisants de notre artillerie de 75. Fait plus trange, on trouve par endroits des indices dune retraite prcipite. Cest ainsi quune reconnaissance dofficier du 5e hussards signale de nombreux effets et obus abandonns. Devant cette situation, je presse mes troupes de rechercher activement le contact sur tout le front et de mettre au plus tt la main sur Donnelay-Juvelize. En fin de journe, le 20e corps est solidement install sur ces points, sa gauch